N° 843
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2013
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)
sur les coûts de production en France,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Daniel GOLDBERG,
Député.
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La mission d’information sur les coûts de production en France est composée de : M. Bernard Accoyer, président ; MM. Philippe Baumel, Thierry Benoit, Mme Corinne Erhel et M. Laurent Furst, vice-présidents ; M. Daniel Goldberg, rapporteur ; Mme Michèle Bonneton, MM. Jean-Charles Taugourdeau et Olivier Véran, secrétaires ; MM.Frédéric Barbier, Christophe Borgel, Mme Marie-Georges Buffet, M. Olivier Carré, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, MM. Christian Estrosi, Laurent Grandguillaume, Jean Grellier, Michel Lefait, Marc Le Fur, Mme Annick Le Loch, MM. Thierry Mandon, Jean-René Marsac, Pierre Morange, Alain Moyne-Bressand, Pierre-Alain Muet, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Bernard Reynès et Claude Sturni.
AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT BERNARD ACCOYER
La constitution d’une mission d’information de la Conférence des présidents sur les coûts de production en France répond à une urgence. Sous la précédente Législature, une tentative consacrée à la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale n’avait pu aboutir à l’adoption d’un rapport et de propositions par la mission alors constituée. En tant que président de cette précédente mission d’information dont j’avais pris l’initiative de la création, tout en veillant à la désignation de deux co-rapporteurs représentant la majorité et l’opposition, j’avais néanmoins tenu à faire publier les auditions tenues devant cette mission d’information (2).
Si les intitulés de ces deux missions d’information ne sont pas exactement identiques, leurs champs de réflexion se recoupent néanmoins largement. La conclusion de nos travaux a pu, cette fois, aboutir plus sereinement car le temps consacré aux échanges au sein de la mission n’a pas été pareillement marqué par la proximité d’échéances électorales.
Au-delà de ce rappel factuel, il me parait important de souligner le caractère décisif des enjeux de compétitivité auxquels l’économie de notre pays est confrontée, y compris vis-à-vis d’autres pays membres de la zone euro. Certes, la crise économique de la fin des années 2000, d’une ampleur sans précédent depuis la Libération, a servi de révélateur. Mais le glissement de la compétitivité de notre économie et la vulnérabilité croissante des entreprises françaises, notamment les PME-PMI, ont de multiples causes. Elles ne résultent pas toutes de la mondialisation. Ni de son caractère supposé inéluctablement redistributif des positions aux dépens des anciens pays industriels, comme d’aucuns l’affirment. La montée en puissance de zones économiques émergentes appelle néanmoins une prise de conscience nationale de même que des réorientations de certaines des politiques conduites par l’Union européenne depuis deux décennies.
Force est de constater que la France a, plus que d’autres pays, manqué de lucidité dans la conduite de sa politique économique. En effet, notre pays a trop fréquemment fait preuve d’un conformisme voire d’un conservatisme favorisant plutôt le corporatisme que l’innovation économique. Il encourt ainsi un risque d’isolement et de déclin dans un monde « ouvert » et fortement marqué par les interpénétrations. Au cours de ses travaux, la mission a tenu à dépasser le seul prisme comparatif « franco-allemand » qui nous est manifestement défavorable. Les personnalités auditionnées, délibérément choisies dans des familles de pensée économique très différentes comme les entrepreneurs et syndicalistes réunis par la mission dans le cadre de tables rondes spécifiques, ont tous fait part de vives inquiétudes. Leurs propos ont souvent été illustrés par des exemples criants, qu’il s’agisse du devenir de nos industries alors que s’approfondit un processus de déstructuration du tissu industriel, du niveau et de la qualité des investissements et de la création voire de la simple sauvegarde des emplois.
Telles qu’elles ont été mises en œuvre, les lois relatives aux « 35 heures » sont très révélatrices. Leurs promoteurs ont notamment cru possible de faire fi de l’environnement économique international de la France. L’abaissement généralisé de la durée légale hebdomadaire du travail a nécessairement généré de puissants impacts en termes de coûts. Une telle généralisation concernant tout autant des secteurs fortement exposés à la concurrence internationale que des secteurs non marchands comme les activités de soins hospitaliers a grevé bien des disponibilités de nature budgétaire ou sociale en s’accompagnant durablement d’allègements de charges, coûteux pour l’État, bien qu’au demeurant partiels. L’équilibre économique général en a été lourdement affecté. Si l’adoption des « 35 heures » a pu, un temps, entrainer une certaine modération salariale, les salariés et les entreprises en acquittent toujours ensemble un surplus en tant que contribuables et également contributeurs des régimes de protection sociale, et sans doute aussi en tant que consommateurs lorsque sur le marché intérieur un rattrapage de la mesure par les prix est possible, ce qui n’est pas le cas pour les exportations.
Si le travail représente un coût généralement plus élevé que dans les autres pays européens, ce qu’il revient de payer au salarié, c’est à dire le salaire net perçu, est pourtant loin de correspondre à ce que son employeur doit acquitter. Les travaux de la mission ont d’ailleurs été l’occasion de recueillir les analyses éclairantes que les économistes auditionnés ont spontanément exprimées sur les « trappes à bas salaires » et les effets induits sur l’emploi du smic, qu’il convient cependant de considérer pour ce qu’il est en termes « nets » : un minimum qui permet à peine de vivre notamment dans les villes où le coût du logement représente une part de plus en plus importante du revenu. La question de l’alourdissement des charges supportées par les ménages, elle aussi, n’est pas sans conséquences économiques.
La situation de l’économie française s’est avérée marquée par des périodes de gaspillage des fruits de la croissance alors qu’elle était encore soutenue. À présent, dans un contexte de croissance faible et d’ailleurs durablement ralentie, notre économie souffre des conséquences d’une impréparation à faire face au défi de la concurrence internationale.
Les industriels français ont été laissés bien seuls dans le contexte de la mondialisation. Pour résister et exporter, ils ont été contraints de comprimer leurs marges ce qui a d’abord eu des conséquences sur leurs capacités d’investissement et d’innovation, les a également empêché de moderniser les outils de production et, au final, de conforter l’emploi. Toutes les données objectives, comme les statistiques de l’OCDE ou d’Eurostat, démontrent que les taux de marges des industries et aussi des services sont beaucoup moins élevés en France que ceux constatés dans d’autres grands pays qui sont, à la fois, nos concurrents et nos partenaires.
Ce glissement particulièrement inquiétant n’a malheureusement pas retenu suffisamment l’attention des pouvoirs publics. Sans doute parce que l’opinion a été entretenue, en France, dans une croyance fallacieuse qui consiste à confondre le taux de marge et la distribution de dividendes à des actionnaires toujours supposés lointains des préoccupations sociales et généralement dénoncés sous le seul registre de l’avidité voire de la cupidité ! Cette présentation caricaturale ne peut perdurer car le taux de marge est le résultat objectif de toute activité marchande. Transformer les plus-values d’activité en pouvoir d’achat est aussi une des missions naturelles de l’entreprise. Malheureusement, des polémiques, parfois fondées, sur la rémunération des dirigeants de certains grands groupes internationalisés ou encore sur les délocalisations massives d’entreprises pour lesquelles le marché français ne représente souvent qu’une faible part de l’activité ont compromis toute analyse concernant une situation de portée plus générale et aux lourdes conséquences. Une des incidences majeures de ce handicap français est de porter atteinte à la compétitivité de milliers de PME et PMI qui ne peuvent se développer. Trop souvent, elles ont purement et simplement disparu ou, dans la moins pire des hypothèses, ont vu leurs dirigeants contraints de les céder à des intérêts étrangers ! Le petit nombre d’entreprises de taille intermédiaires (ETI) par rapport à ce qui existe en Allemagne, notamment dans les industries exportatrices, trouve ainsi son explication. De même la structure de contrôle familial sur ces entreprises est bien moins solide et durable en France qu’outre-Rhin. Nombreux ont été les interlocuteurs de la mission qui ont insisté sur cette réalité.
Les efforts à accomplir et la nécessaire prise de conscience collective qui doit les soutenir relèvent donc bien de l’urgence. Mais de fortes contraintes handicapent nos possibilités d’action.
Notre pays peine chaque année un peu plus en raison du poids excessif des prélèvements obligatoires. Un alourdissement récent a porté ce poids à 46,5 % du PIB en 2013, un taux supérieur à celui de la Suède, et que seul le Danemark dépasse désormais parmi les quelque trente-cinq pays de l’OCDE. La situation est d’autant plus préoccupante que le taux des prélèvements obligatoires, déjà élevé, était de 42,9 % en 2010 et que l’on pensait que le taux atteint au terme de l’année 1999 (44,9 %) représenterait pour la France un maximum « historique ». Au sein des prélèvements obligatoires, les cotisations sociales, qui portent principalement sur le travail, ont, en France, un poids particulièrement lourd car elles atteignent 40 % du total de ces prélèvements, à comparer à la TVA et aux autres impôts concernant la consommation qui en représentent 25 %.
Fonder une analyse sur les seules comparaisons statistiques internationales peut parfois induire en erreur. Néanmoins, il convient d’admettre que la quasi-totalité des indicateurs de compétitivité sont plutôt défavorables à l’économie française. Même les statistiques relatives à la productivité des salariés en rapport au nombre d’heures effectivement travaillées dans une année méritent une attention particulière car elles ne sont pas aussi « excellentes » que d’aucuns se plaisent à souligner. D’autant que le renouvellement des machines et des process de production, notamment la robotisation, a pris du retard en comparaison d’autres économies.
Les charges et contraintes de toute nature qui entravent, en France, l’innovation et la création de richesses ne pourront être toutes levées à court terme. Pour autant, il revient aux pouvoirs publics d’agir dans la clarté pour rompre avec une logique de déclin qui pose d’ores et déjà de graves problèmes comme, par exemple, celui de l’insertion professionnelle des jeunes.
Le sérieux des travaux de la mission d’information et aussi la qualité d’expression des personnalités qu’elle a auditionnées ne suffisent, pour autant, à construire un programme de redressement économique au travers de la mise en œuvre de quelques « recettes miracle ». Il faut beaucoup de modestie pour aborder un à un les problèmes de coûts directs ou indirects (compétitivité «coûts» et compétitivité « hors coûts ») auxquels nos entreprises sont quotidiennement confrontées. Cette modestie n’interdit cependant pas la détermination et le courage d’engager les réformes structurelles qui modifieront enfin leur environnement dans un monde où chaque dirigeant d’entreprise doit être toujours plus réactif. Pour cela, la mission se devait de prendre en compte la demande exprimée devant elle par les entrepreneurs s’agissant d’une stabilité du cadre législatif, réglementaire et, bien évidemment, fiscal dont les bouleversements leur ont été trop souvent imposés hors de toute concertation et, parfois même, en totale ignorance de leurs problèmes. Au terme de sa réflexion, la mission livre sans tabous un bilan de situation et des pistes qui doivent pouvoir éclairer le chemin de la réforme.
SOMMAIRE
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Pages
AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT BERNARD ACCOYER 3
INTRODUCTION 15
I.— LE DÉCROCHAGE FRANÇAIS : DES COÛTS DE PRODUCTION EN AUGMENTATION DANS TOUS LES SECTEURS INSUFFISAMMENT COMPENSÉS PAR DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ 25
A.— UNE RÉFLEXION SUR LES NIVEAUX DE SALAIRES EST NÉCESSAIRE, MÊME SI ELLE N’EST PAS DÉTERMINANTE 26
1. Les salaires : le « prix du travail » 26
a) Des salaires français bruts plus élevés ? 26
b) La question du SMIC ou le SMIC en question ? 36
c) Le coût du capital 41
2. Une durée du travail tout au long de la vie plus faible que dans d’autres pays 42
a) Une durée hebdomadaire ou annuelle du travail controversée 42
b) Une durée du travail tout au long de la vie qui fait surtout la différence avec d’autres pays 45
3. L’impact de la fiscalité 46
a) Le montant de la fiscalité 46
b) La fiscalité d’investissement 49
c) La réduction du montant de la dépense publique 49
d) L’instabilité des règles fiscales 50
B.— DES COÛTS VARIABLES SELON LES SECTEURS QU’IL CONVIENDRAIT D’OPTIMISER 51
1. Une facture énergétique élevée en dépit d’atouts à préserver 52
a) L’augmentation du coût des énergies fossiles 53
b) La compétitivité de l’électricité d’origine nucléaire ne doit pas masquer les difficultés rencontrées par les entreprises électro-intensives 56
c) Les incertitudes du mix énergétique et des nouvelles techniques d’extraction. 59
2. La logistique et les transports, des enjeux de compétitivité au-delà des coûts 66
a) La logistique, un élément de compétitivité trop négligé 68
b) Un secteur des transports fragilisé n’est pas sans conséquences sur l’ensemble de l’économie 69
c) Des grandes infrastructures performantes à l’exception des installations portuaires 71
d) Le transport des personnes au service du développement économique, l’exemple du « Nouveau Grand Paris » 73
3. Les coûts d’accès au financement pèsent sur les coûts de production 76
a) Un marché du crédit bancaire et de la dette obligataire sous contrainte 76
b) Des difficultés d’accès aux fonds propres 80
c) Des problèmes de trésorerie préoccupants 81
4. Les coûts immobilier et foncier pèsent sur la compétitivité des entreprises 83
C.— LA DÉGRADATION DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES 85
1. La baisse inquiétante des taux de marge des entreprises françaises 85
2. Un niveau d’autofinancement largement insuffisant 88
3. L’étau de la concurrence 89
D.— L’IMPACT DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES SUR L’INVESTISSEMENT ET LA RECHERCHE 90
1. La France accuse un retard en termes d’investissement, d'automatisation et de robotisation 90
a) Un niveau d’investissement globalement comparable à celui des autres grands pays européens 90
b) L’investissement productif reste toutefois mal orienté 91
c) Le capital industriel français accuse un grave retard de modernisation 94
2. Des retards préoccupants en termes de recherche privée et d’innovation 95
a) La recherche est trop éloignée de ses débouchés industriels 95
b) La France souffre d’un déficit en innovation 97
3. Un « cercle vicieux de compétitivité » 100
4. Des disparités territoriales frappantes 101
II.— NE PAS ÊTRE « LA BELLE ENDORMIE » : AU-DELÀ DE LA SEULE QUESTION DES COÛTS DE PRODUCTION, S’ADAPTER AUX ATTENTES DU MARCHÉ GRÂCE A L’INNOVATION ET EN VALORISANT LA QUALITÉ 105
A.— EN DEHORS DES SEGMENTS « HAUT DE GAMME », LA CONCURRENCE S’EFFECTUE MAJORITAIREMENT PAR LES PRIX ET ILLUSTRE LA NÉCESSITÉ DE MONTER EN GAMME ET EN VISIBILITÉ 106
1. Un positionnement trop centré sur le « moyen de gamme » 108
2. Développer l’innovation mais aussi la valorisation de la recherche et la diffusion des techniques au sein des entreprises 110
a) Une culture de l’innovation trop peu présente 111
b) L’innovation doit faire l’objet d’une valorisation concrète et d’une diffusion au sein du tissu des PME-PMI 114
3. Promouvoir le « Fabriqué en France » et même un marketing patriotique 116
B.— LES PHÉNOMÈNES DE DÉLOCALISATION NE S’EXPLIQUENT PAS PRINCIPALEMENT PAR LES COÛTS DE PRODUCTION ET BROUILLENT LE PANORAMA DU COMMERCE INTERNATIONAL 119
1. Une motivation principale : rapprocher la production du marché 120
a) Les conquêtes de nouveaux marchés pour répondre à l’atonie de la demande en Europe 121
b) Délocalisations à la recherche de moindres coûts de main-d’œuvre 122
2. Sortir de l’alternative segmentation/délocalisation : la co-localisation 124
a) La stratégie allemande s’explique d’abord par la géographie 124
b) Une réponse française : la co-localisation 125
3. Un visage nouveau du commerce international 129
4. Les relocalisations de production : un phénomène réel mais d’une ampleur limitée 130
5. Mieux prendre en compte les enjeux économiques de la normalisation 132
C.— LA TROP FAIBLE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES : UN HANDICAP POUR LUTTER A ARMES ÉGALES AVEC LES AUTRES ZONES ÉCONOMIQUES 136
1. Les défaillances de la protection aux frontières 136
2. L’absence d’Europe sociale 138
3. Le risque accru d’un cavalier seul allemand 141
4. L’impact des politiques de redressement des comptes publics 143
5. Les problèmes de la zone euro : les conséquences d’un euro « fort » mais « cher » 144
6. Le retour de la contrainte extérieure 154
III.— LES PARIS DE L’INDUSTRIE, DE L’INNOVATION, DE LA MOBILISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL : DES LEVIERS A ACTIONNER POUR ENDIGUER LA PERTE DE COMPÉTITIVITÉ LIÉE AUX COÛTS DE PRODUCTION 159
A.— LE RENOUVEAU DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE 159
1. L’industrie est au centre de toute économie compétitive 159
2. Une première réponse : le rapport Gallois et le CICE 162
a) Certains interlocuteurs de la mission ont mis en doute l’efficacité du CICE ou en ont même dénoncé le principe 163
b) Nombre de personnalités auditionnées ont salué l’opportunité et la qualité du dispositif... 164
c) …mais un dispositif qui resterait en l’état insuffisant 165
d) ...avec un champ d’application trop large 166
e) … et un effet différé dans le temps 166
f) Un dispositif compliqué et peu lisible ? 167
g) Un seuil inadapté ? 167
h) Le débat sur les conditionnalités et l’information des salariés 170
3. Réhabiliter la politique industrielle 172
a) Vers un État stratège 172
b) Renforcer le financement de nos entreprises, notamment en faveur des PME 181
c) Stimuler l’emploi en favorisant le développement des PME et des ETI 185
d) Stimuler la recherche et l’innovation 200
e) Encourager les exportations en facilitant l’internationalisation des entreprises 208
f) Un management des entreprises insuffisamment ouvert et diversifié 214
4. Une politique industrielle à construire au niveau communautaire 216
B.— LA RÉNOVATION DE LA FORMATION, DE L’APPROCHE ET DU CADRE SOCIAL DU TRAVAIL ET POUR UNE REFONDATION DU FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE 224
1. L’éducation, la formation professionnelle, le contrat de génération 224
a) La formation initiale : le manque d’ingénieurs, de techniciens et la fuite des « cerveaux » à l’étranger 224
b) La formation tout au long de la vie 226
c) Le contrat de génération 228
2. Fluidification du marché du travail et protection des salariés : deux enjeux conciliables ? 229
3. La nécessaire amélioration du dialogue social, outil de la compétitivité des entreprises et du pays 233
4. Un nouveau financement de la protection sociale 238
a) Lien entre cotisations sociales et compétitivité des entreprises à travers le débat sur le financement de la protection sociale 238
b) La compensation par la hausse de la TVA et de la CSG ? 239
c) La compensation par la hausse de la TVA ? 239
d) La compensation par la CSG ? 240
e) Une autre solution ? 241
C.— POUR UNE « NOUVELLE » ÉCONOMIE VERTE ET EN RÉSEAU 242
1. Les diagnostics convergent : un modèle économique à bout de souffle...et de nouvelles perspectives technologiques 242
2. La « croissance verte » facteur de progrès et d’emplois 244
3. Les pistes à choisir et les logiques à développer 245
4. Le nécessaire effort de recherche 247
EXAMEN DU RAPPORT 249
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UMP 259
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UDI 261
PROPOSITIONS 265
ANNEXES STATISTIQUES 277
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 297
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 301
Audition, ouverte à la presse, de M. E. M. Mouhoud, Professeur d’économie (Université de Paris Dauphine/CNRS) 303
Audition ouverte à la presse, de MM. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence et Christophe Blot, Directeur-adjoint du département de l’Analyse et de la Prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) 319
Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS) 333
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian de Boissieu, Professeur d’économie (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) 343
Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode 353
Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Beulin, Président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) 365
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Cahuc, Professeur à l’École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE) au Center for Economic Research (Londres) et à l’Institute for the Study of Labor (Bonn) et M. Stéphane Carcillo, Maître de conférences à l’université de Paris 1, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po (Paris) 377
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Saint-Etienne, Professeur titulaire de la Chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au CNAM 391
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Askenazy, Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris 401
Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe Fives, Président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), Patrick Iltis, Directeur général de Staübli holding France et Vincent Schramm, Directeur général du SYMOP 409
Audition, ouverte à la presse, de MM. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI) et Vincent Moulin Wright, Directeur général du GFI 421
Audition, ouverte à la presse, de M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II 433
Audition, ouverte à la presse, de MM. Olivier Duha, Christian Poyau, ancien président de Croissance Plus, Antoine Colboc, coprésident de la Commission Création & Financement de CroissancePlus, François Bergerault, coprésident de la Commission Croissance Responsable de CroissancePlus 443
Table ronde, ouverte à la presse, avec M. Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl Arc atlantique ; M. Gilles Benhamou, président-directeur général de Asteel Flash ; M. Matthieu Labbé, secrétaire général du Syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) ; M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato ; M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC) ; M. Jérôme Akmouche, directeur du SNDEC ; M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT) ; M. François Pénard, directeur des affaires sociales de l’UIT ; M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable « Industrie du poisson » à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale) ; M. Yves l’Épine, directeur général du groupe Guerbet ; M. David Warlin, responsable des affaires publiques du groupe Guerbet ; M. Philippe Robert, président-directeur général de la Générale du Granit ; M. Mathieu Coquelin, directeur de la Société de confection du Coglais ; M. Jacques Royer, président du groupe Royer ; M. Antonio da Silva, président de la Ferronnerie roncquoise ; M. Jérôme Frantz, directeur général de Frantz Electrolyse, vice-président de l’Institut de recherche en propriété industrielle (IRPI) et président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) ; M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) et Mme Irène de Bretteville, COOP de France 455
Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis 481
Audition, ouverte à la presse, de l’Association française des entreprises privées (AFEP), représentée par M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema, M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema, Mme Stéphanie Robert, directrice de l’AFEP et M. Olivier Chemla, chef économiste 493
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) et M. Patrick Bouchez, président de l’Union des entreprises de Transport et de Logistique de France (Union TLF) 503
Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-François Roubaud, président de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, et Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales 515
Table ronde, ouverte à la presse, avec les syndicats : Confédération française démocratique du travail (CFDT), représentée par Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles et M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste, Force ouvrière (FO), représentée par M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique et M. Philippe Guimard, assistant confédéral, Confédération générale du travail (CGT), représentée par M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Joseph Thouvenel, vice-président, Confédération générale des cadres (CFE-CGC), représentée par M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie-logement-développement durable, et M. Kévin Gaillardet, chargé d’études économiques, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), représentée par M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, et M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’Industrie de l’UNSA, Union syndicale Solidaires (SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques), représentée par Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales, et M. Morvan Burel, membre de la commission économique de Solidaires. 525
Audition, ouverte à la presse, de MM. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » des Échos, éditorialiste économique à France Inter et Guillaume Duval, rédacteur en chef d’ « Alternatives économiques » 553
Audition, ouverte à la presse, de Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini 565
Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Mathieu, président du réseau des Centres techniques industriels (CTI), M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), ainsi que de M. Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR et M. Alain Costes, directeur d’AFNOR Normalisation 579
Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande, M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, M. Christof Hennigfeld, ancien président de BBraun France, M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France, M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion du risque cardiaque de Sorin SpA, M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France et M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France 591
Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif 607
« L'avenir n'est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n'as point à le prévoir mais à le permettre. »
Antoine de Saint Exupéry
MESDAMES, MESSIEURS,
Étudier la question des coûts de production en France appelle nécessairement à s’interroger sur les coûts des différents facteurs qui interviennent dans les processus productifs, leur part dans le prix du produit final et leur impact sur la croissance économique. Faire le constat d’une croissance faible voire « en panne » conduit également à formuler d’autres interrogations sur l’investissement, l’innovation, l’offre des produits et services et notamment l’« effet-gamme ». Cela interroge de fait l'ensemble de ce qui constitue notre modèle de développement : le retour chimérique à un taux de croissance très élevé connu par le passé n'étant en l'état actuel, ni atteignable, ni soutenable.
Si ce questionnement en tiroirs s’applique à l’économie française, il ne lui est évidemment pas spécifique. Tous les pays industriels sont confrontés à ces interrogations. L’émergence d’un mythe prétendument annonciateur d’une ère post-industrielle a pu, un temps, donner à penser que la « vieille industrie » allait être définitivement remplacée par les nouvelles technologies de services. Ainsi, quelques managers avaient cru pouvoir affirmer qu’il leur était possible de développer une offre mondiale en bâtissant des groupes « sans usines » ou encore des « usines sans ouvriers » sur les décombres de grandes entreprises industrielles. Dans de telles situations, la question des coûts de production aurait perdu beaucoup de son importance, car les économies des pays développés n’auraient plus principalement à supporter que des coûts de conception, de développement et de gestion. Or, rien de cela ne s’est avéré exact.
La pratique n’a pas validé de tels schémas. En dépit d’un fort mouvement de délocalisations, aucun des pays industrialisés ne s’est transformé en fournisseur quasi exclusif de services à haute valeur ajoutée, tant pour les besoins de sa population que pour son offre commerciale internationale. Des pays à coûts salariaux élevés voire très élevés et à hauts niveaux de protection sociale ont démontré qu’ils pouvaient conserver des outils industriels innovants. Les exemples du Canada, de la Suède, de l’Autriche mais aussi de la Suisse sont révélateurs à maints égards. Les places financières de Zurich et Genève ne font pas, à elles seules, vivre l’économie helvétique. Au contraire, le « Swiss made » est devenu un label particulièrement attractif : il s’identifie à une qualité industrielle qui trouve pleinement sa place sur les marchés d’exportation. Certes la taille ou le poids démographique de ces pays les ont amenés à faire des choix d’innovation et de spécialisation. Mais cette question se pose également pour des pays plus importants dans un contexte de mondialisation des échanges. Ainsi, le développement de la City de Londres n’a pas entrainé le complet effacement industriel du Royaume-Uni que d’aucuns prédisaient. Ce pays a même entamé avec un certain succès une phase de réindustrialisation qui, il est vrai, fait suite à de douloureuses mutations. (3)
La question des coûts de production peut être abordée sous de nombreux angles. En témoigne la distinction couramment pratiquée entre les composantes « prix » et « hors prix ».
Cependant, nombre d’interlocuteurs de la mission ont souligné le caractère quelque peu artificiel de cette distinction concernant des concepts qu’il ne s’agit pas d’opposer. Notre travail s’est ainsi attaché à dépasser le seul thème du coût salarial, c'est à dire le prix du travail, assorti des cotisations en étendant la réflexion à d’autres sujets comme, par exemple, le coût du capital, celui de l'accès au crédit ou à l’énergie pour les entreprises ou encore les contraintes du transport et de la logistique. Nos auditions ont montré que les facteurs de la compétitivité dite « hors prix » ne pouvaient constituer un champ résiduel d’interrogations, tant leur impact, bien qu’apparemment plus diffus, s’avère déterminant. Par exemple, le cadre réglementaire et normatif qui enserre certaines activités ou encore les charges immobilières peuvent s’imputer puissamment sur les coûts de production. En outre, la mission a évidemment conscience de l’appel lancé par les entrepreneurs à une plus grande stabilité des normes applicables à la vie des affaires, notamment des dispositions fiscales. Mais d’autres données tout autant essentielles relèvent de la seule responsabilité entrepreneuriale. Il en est ainsi de la capacité d’adaptation à l’évolution des marchés, de la question cruciale de l’acceptation ou non des transferts de technologies dans les contrats internationaux, de la fiabilité des services après-vente, du respect des délais de livraison, de l’image de marque, etc.
Des entreprises ou des pays bénéficient en certains domaines d’une réputation qui leur permet d’imposer leurs produits à l’exportation indépendamment des prix pratiqués. En général ces situations très favorables sont confortées par une recherche permanente de la qualité au moyen d’importants efforts d’innovation, que cette innovation concerne le produit lui-même ou les process de production.
Par ailleurs, la notion de compétitivité qui est par nature comparative, renvoie intuitivement aux performances commerciales des entreprises ou des pays. Ces performances sont généralement appréciées en termes de parts de marché. Pour être significatives, les comparaisons avec leurs principaux concurrents doivent être établies dans le cadre de séries statistiques « longues ». Mais, s’agissant de la compétitivité d’une économie nationale, il convient aussi de prendre en compte, avec une même attention, les capacités à atteindre un résultat aussi proche que possible de la notion de plein emploi et à garantir ainsi les revenus et la protection sociale (4).
La situation de l’économie française se caractérise par une vitesse de désindustrialisation plus élevée que dans les pays qui sont à la fois ses partenaires et ses concurrents. Au cours des trente dernières années, la destruction de l’emploi dans les seules activités industrielles a concerné au total plus de deux millions de postes.
Entre 2000 et 2010, le poids de l’industrie manufacturière a reculé de 3,7 points pour l’ensemble de la zone euro et ne représentait plus que 15,5 % de la valeur ajoutée de son PIB global. Mais le recul aura été encore plus fort en France : au cours de la décennie 2000, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB a chuté de 5,2 points ce qui équivaut à plus de 100 milliards d’euros. Dans une note de mars 2012, l’institut COE-Rexecode soulignait : « Cette diminution ne résulte pas d’une croissance exceptionnelle des secteurs non industriels mais du recul de la part industrielle du PIB d’environ un tiers ». La question de la perte de compétitivité dans ce secteur est donc posée. L’industrie assurant plus de 75 % des exportations, le déficit de notre commerce extérieur au sein de zone euro s’est accentué, dans le même temps, d’une façon plus sensible encore qu’à l’égard des zones émergentes. Depuis 2000, les pertes françaises à l’exportation sont généralement évaluées à plus de 1000 milliards d’euros cumulés par rapport à nos principaux partenaires !
Le fléchissement de l’emploi dans le secteur marchand (non agricole) s’explique largement dans ce contexte. En effet, il s’établit, en 2012, à un niveau à peine équivalent à ce qu’il était en 1991.
Ce « décrochage » français a été trop tardivement perçu et, parfois même, vécu comme la conséquence d’une mondialisation inexorablement redistributrice du jeu économique. En ce sens, la crise de la fin des années 2000 aura plus été un révélateur de ce décrochage qu'une de ses causes.
Une vision aussi fataliste s’est traduite par une insuffisance de décisions susceptibles de stopper la glissade, première étape indispensable avant d’engager des mesures de reconquête.
Entre 1998 et 2007, la part des exportations françaises de marchandises (en valeur) dans les exportations de la zone euro à 17 membres a reculé de 16,9 % à 13.3 %. Après une certaine stabilisation sur la période 2007-2009, le glissement a repris pour s’établir, au terme de l’année 2012, à 12,7 %.
Au niveau mondial, le recul tendanciel de nos parts de marché est également confirmé ; notre pays ayant enregistré, depuis 1998, une chute de 44 % de ses exportations dans le commerce mondial, sa contribution ne représente plus, à présent, que 3,1 % des échanges mondiaux et notre cinquième rang mondial s’en trouve fragilisé.
Par ailleurs, de 2000 à 2008, le coût salarial unitaire a progressé nettement moins en Allemagne que dans les autres pays européens, et notamment qu'en France (5). En outre, cette évolution ne s'est pas accompagnée d'un pouvoir d'achat plus important dans notre pays. Cela provient singulièrement de la part fortement croissante que consacrent les ménages français au logement : celle-ci représente aujourd'hui environ le double de ce que les particuliers allemands engagent dans leur budget. Cet emballement du coût du logement en France ne permet en rien une modération salariale et pèse très négativement sur notre économie.
Aujourd'hui, l’évolution du coût salarial français accuse dorénavant une forte différenciation vis-à-vis des pays du sud de l’Europe. En Italie et en Espagne, des pays qui ont pourtant connu de très sensibles augmentations de leurs coûts salariaux dans l’industrie de 2000 à 2008 (respectivement + 26,7 % et + 28,3 %), on constate, de 2008 au deuxième trimestre 2012, une décélération en Italie et même une baisse dans certaines activités en Espagne. Sans que la course à la baisse des salaires ne puisse servir de vigie pour notre pays, il se dessine ainsi pour la France un risque supplémentaire d’écarts de performance défavorables avec deux de ses principaux partenaires commerciaux.
Force est de constater que l’état des lieux et les risques encourus avaient été exposés. En 2004, M. Christian Blanc, dans un rapport au Premier ministre « Pour un écosystème de croissance », soulignait la nécessité d’une restructuration économique avec l’émergence de pôles de compétitivité et de clusters, dont les premières déclinaisons ne seront véritablement concrétisées que trois années plus tard. À la même époque, dans « Le sursaut : vers une nouvelle croissance pour la France », le groupe de travail dirigé par M. Michel Camdessus s'inquiétait quant à l’urgence des défis à relever, spécialement au regard de nos objectifs de protection sociale en soulignant que « le décrochage s’opère sous anesthésie ». Il constatait déjà un sensible ralentissement de la croissance, en dépit d’une productivité encore élevée par heure travaillée, mais aussi un déficit d’investissement notamment dans les nouvelles technologies. Il préconisait notamment d’« agiliser l’État » sans suites significatives. Plus récemment encore, dans deux rapports successifs (janvier 2008 et octobre 2010), la Commission Attali « Pour la libération de la croissance française » formulait de nombreuses recommandations thématiques ou pistes de réforme. Toutefois, leur opportunité et un certain foisonnement en ont limité la portée.
Le rapport demandé par le Président de la République, dès le mois de juillet 2012, à M. Louis Gallois, nouvellement nommé Commissaire général à l’investissement, marque une étape décisive. Ce document, publié le 5 novembre 2012, a déclenché une prise de conscience collective. Résultat d'une concertation avec les acteurs économiques et sociaux, il renoue avec un volontarisme longtemps oublié. Il dresse avec précision un bilan destiné aux pouvoirs publics, au monde économique et aux acteurs sociaux en leur conférant des responsabilités d’action en faveur de mesures réalistes. Leur mise en œuvre suppose certes des efforts, mais elles relèvent d’une cohérence d’ensemble. C'est d'ailleurs un nouveau « pacte de confiance que le pays doit nouer avec lui-même » qu'il veut promouvoir. Cette confiance entre les différents acteurs sociaux, économiques et politiques fait défaut depuis trop longtemps dans notre pays et handicape notre développement. Cette confiance est à retrouver dans un nouveau pacte social destiné à servir de socle au pacte productif.
Le Gouvernement a répondu à ces réorientations proposées en arrêtant immédiatement des mesures directement inspirées par ce rapport dans le cadre du « Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi ».
Ce Pacte est fondateur. Il appelle non seulement à la responsabilité mais exige aussi certains comportements dans la durée qui doivent trouver à s’exprimer dans la concertation et la négociation. Le Premier ministre a ainsi chargé le Haut conseil du financement de la protection sociale, une instance installée le 6 septembre 2012, de coordonner une réflexion sur l’évolution des dépenses de chaque branche, de clarifier le partage de leur financement et, au terme de cette démarche évaluative, d’ouvrir des pistes de rééquilibrage de la part contributive pesant sur les salaires. Dans le même temps, les partenaires sociaux ont engagé une négociation sur la sécurisation de l’emploi. Cette démarche refondatrice ne peut aboutir qu’au moyen d’une mobilisation collective à l'écoute des différents besoins et des craintes qui s'expriment, notamment de déclassement individuel ou collectif, voire de celui de notre pays tout entier. Cette démarche devra s'appuyer, contrairement à certains diagnostics inaboutis précédents, sur une approche clarifiée du devenir de notre modèle économique, des conditions de son insertion dans le jeu mondialisé et des risques inhérents à ce dernier.
Cette étape déterminante pour le pays doit s’accompagner d’une réduction de l’endettement public dont le poids excessif et notamment la montée des charges d’intérêts est préjudiciable à la croissance et rend plus difficile encore toute réaction aux chocs économiques. Ainsi, la nécessaire diversité des efforts à accomplir de façon concomitante conditionne tout résultat probant.
Cette situation que d’aucuns assimilent à un défi n’est cependant pas particulière à la France. Les gouvernements et nombre d’économistes des principaux pays ont longtemps suscité, à intervalles plus ou moins réguliers, des ajustements monétaires de la part des Banques centrales, en négligeant l’importance des évolutions de la dette et du crédit, du moins jusqu’à l’éclatement de la crise financière de la fin des années 2000. La théorie économique dominante a pu même considérer l’endettement en tant que facteur d’amélioration de l’allocation des ressources. Il a effectivement donné aux entreprises mais aussi aux ménages le moyen de lisser l’investissement et la consommation face aux fluctuations de la demande comme aux aléas conjoncturels voire individuels. L’augmentation de la dette permettait ainsi de répartir les prélèvements entre les générations dans une relative insouciance. Dès lors que la richesse s’accroissait d’une façon que l’on pensait régulière et progressive, il était admis que les générations à venir, toujours supposées plus prospères, pourraient s’acquitter d’une accumulation de charges. Or, dans un contexte de croissance beaucoup plus irrégulière voire ralentie sur une longue durée, ce schéma ne trouve plus à s’appliquer. Et surtout, l'endettement crée n'a pas toujours été de l'endettement utile à faire fructifier une croissance future. Force est de constater qu'il a aussi contribué à recourir à des formes à moyen et long termes de soutien public en faveur de certaines activités à l'utilité sociale discutable par le biais de niches fiscales dont le coût perdure longtemps après leur extinction, ou encore à des formes de traitement social du chômage. Leur financement ayant aussi été partiellement assuré par l’endettement, ce recours a sans doute retardé des réorientations, certes difficiles, mais qui auraient conduit à ne pas repousser dans le temps des échéances financières et sociales alourdies.
Les marges budgétaires et monétaires étant désormais contraintes, il convient d’ouvrir d’autres perspectives pour ne plus sacrifier les générations futures aux nécessités du présent. Le rythme du désendettement et son articulation avec des mesures structurelles visant à restaurer la croissance sont des éléments-clés. Toutefois, ces deux facteurs ne peuvent a priori être conçus comme intangibles. Leur conjugaison exige des ajustements aussi précis que possible pour ne pas étouffer l’investissement et la consommation ainsi qu’il en résulterait de la mise œuvre de politiques d’austérité. Nombreux sont ceux qui, à l’image des experts de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou de M. Philippe Askenazy, économiste également auditionné par la mission, expriment d’ores et déjà une inquiétude concernant d’éventuels effets contreproductifs face à une crise de la demande.
Ainsi, la qualité du pilotage des réformes constitue donc un enjeu décisif. En effet, dans un article récent, MM. Olivier Blanchard, Chef économiste du FMI et Daniel Leigh, économiste de cette même institution, ont reconnu que, pour des pays développés, les politiques de compression de la dépense publique et d’augmentation de la fiscalité qu’ils nomment « consolidation fiscale » avaient un effet multiplicateur dépressif sur la croissance qui pourrait même être deux à trois fois plus important que les résultats quantifiés par les modèles économiques par trop fondés sur une analyse historique. Les remèdes à nos maux ne peuvent être apportés sans se soucier de leurs effets globaux sur la santé du malade.
Au long de ses auditions et notamment des tables rondes organisées avec des entrepreneurs et les organisations syndicales de salariés, la mission d’information a constaté l’inquiétude de ses interlocuteurs. Elle a néanmoins perçu leur volonté partagée d’un rétablissement soutenu par une détermination à relancer une machine économique qui dispose de réels atouts. Toutefois, nombre d’observations ou de critiques illustrées par des exemples frappants, également exprimés devant la mission, ont relevé les insuffisances du gouvernement économique de l’Union européenne et en particulier de la zone euro. Ouverte aux vents de la concurrence internationale en ayant oublié de faire valoir auprès des autres grandes zones commerciales des obligations de réciprocité, la zone euro fragilise d’autant plus ses positions que certains de ses membres confondent ce qui relève de la compétitivité « intra zone » avec des mesures de dumping social et fiscal. Ils mettent ainsi en œuvre des politiques qui dissolvent les solidarités, exacerbent les divergences de politique économique et affaiblissent toute démarche de cohésion en Europe.
Votre rapporteur peut affirmer que ses collègues de la mission considèrent unanimement que certains errements européens ne peuvent perdurer. L’Europe souvent s’épuise, parfois même s’enlise et altère ainsi ses principes fondateurs. Aucun gouvernement ne peut s’exonérer de conduire des réformes d’adaptation absolument nécessaires. Mais les politiques relevant d’un court termisme à visées principalement nationales n’ont plus leur place dans une même zone monétaire : les quelques gains temporairement engendrés de la sorte au bénéfice de certains membres ne résisteront pas à un affaiblissement des ressorts de la croissance globale dans la zone et au creusement des inégalités. Un risque majeur est déjà perceptible, celui d’un glissement en continu qui ferait perdre à l’Union européenne son rang de première zone économique mondiale, au moins autant en raison d’un dynamisme devenu insuffisant dans ses échanges internes que d’un affaiblissement de sa position commerciale vis-à-vis des pays émergents.
La stratégie de Lisbonne, telle que définie par le Conseil européen au début de la décennie 2000, n’a pas atteint ses objectifs qui visaient à faire de l’Union européenne « ... l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
Les conséquences de la crise économique majeure des années 2008 et 2009 n’expliquent qu’en partie l’insuffisance du résultat. Car les divergences des politiques économiques entre pays membres ruinent cette perspective, en dépit des évolutions espérées avec les mises en place successives du marché unique puis de l’euro impliquant une irrévocabilité des taux de change dans un espace bénéficiant d’une faible inflation. Les objectifs de Lisbonne, équilibrés au départ, ont été en partie détournés par une lecture visant à toujours plus de libéralisation dans les échanges et toujours plus de concurrence entre les États européens, alors qu'il aurait été nécessaire de promouvoir de réelles politiques industrielles, de recherche, de développement économique, social et environnemental cohérentes à l'échelle européenne.
La mission d’information a aussi constaté une survivance tenace de la disparité des coûts salariaux unitaires en Europe. Ses interlocuteurs en ont évidemment souligné l’importance.
Toutefois, les coûts salariaux – le prix du travail - ne peuvent être tenus responsables, à eux seuls, du déficit de la compétitivité française vis-à-vis de nos partenaires. D’autant que les écarts statistiques de productivité entre travailleurs ne sont pas défavorables à la France. Alors que l’Europe se conçoit toujours comme un espace de développement économique harmonieux supposant une convergence des niveaux de vie, d’autres différences, au moins aussi profondes, dans le fonctionnement des marchés nationaux du travail et dans les modalités comme les objectifs de la protection sociale restent de puissantes sources d’hétérogénéité. De telles disparités qui éloignent la perspective d’une « Europe sociale » cohérente trouvent nécessairement des traductions en termes de coût du travail. Elles ont aussi des effets structurels majeurs empêchant tout progrès significatif en faveur de la réalisation de l’objectif, pourtant supposé premier, de convergence des économies européennes.
En outre, l’élargissement de l’Union n’a pas été sans effet sur les écarts intra européens de compétitivité. Toutes les études montrent que l’allocation des fonds régionaux aux nouveaux États membres n’a pas freiné un phénomène croissant d’agglomération spatiale des activités innovantes à forte valeur ajoutée. En conséquence, les pays encore défavorisés dans l’Union n’ont souvent pour principal recours que la valorisation de leurs bas coûts de fabrication comme le démontre aujourd’hui les choix d’implantation de l’industrie automobile européenne, lorsqu’ils n’offrent pas à des activités d’autres pays membres (agriculture, industries agroalimentaires, bâtiment, transports routiers etc..), des avantages difficilement contrôlables par la mise à disposition d’une main-d’œuvre à meilleur marché.
Les problèmes structurels irrésolus de l'Europe, institutionnels notamment, qui tendent à privilégier une contraction économique et un manque d'investissement dans les secteurs d'avenir, handicapent notre développement. De même, le pilotage de l'euro avec pour seul dessein la maîtrise de l'inflation et non des objectifs de croissance et d'emploi nous sont défavorables.
Les efforts structurels accomplis par chaque économie nationale ne permettront de franchir une étape décisive qu’à la condition d’une remise en cause de certaines postures de l’Union qui doit constamment garder à l’esprit la nécessité de protéger son savoir-faire et ses entreprises. Pour l’essentiel, les grands groupes français ont pu résister et même croître dans un contexte de large ouverture des marchés. Il n’en va pas de même des plus petites entreprises, y compris dans des activités de pointe. Leur potentiel de compétitivité est atteint par le fait qu’elles se trouvent prises en tenaille entre des groupes internationalisés qui sont souvent leurs donneurs d’ordres de plus en plus exigeants, et une concurrence extérieure particulièrement agressive par les prix. Cette réalité est à l’origine de la faiblesse de leurs marges d’exploitation, ce qui réduit d’autant leurs capacités d’innovation et in fine la création d'emplois.
Pour autant, cette situation d’une Europe inaboutie et parfois inconséquente n’interdit évidemment pas toute prise de décision nationale. C'est le sens du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi que met en œuvre le gouvernement et des trente-cinq mesures qu'il contient. De nombreux autres sujets purement nationaux appellent des évolutions en profondeur, comme le déficit d'adéquation de notre formation professionnelle aux besoins actuels, les conditions à adapter pour le financement de la protection sociale, les difficultés d'accès à la commande publique pour nos entreprises ou encore le déséquilibre persistant des relations entre les producteurs ou transformateurs et la grande distribution, plus marqué en France que dans tout autre pays européen.
Votre Rapporteur tient à souligner l’atmosphère très constructive des travaux de la mission d’information due à l’approche résolument ouverte et dépassionnée de ses collègues. Il remercie en particulier celles et ceux qui se sont le plus investis dans nos travaux et ont ainsi apporté de la richesse à notre réflexion collective et à ce rapport en particulier. La disponibilité des différentes personnalités auditionnées et la qualité des propos tenus devant la mission justifiaient cette attention. Il a pleinement conscience que le travail présenté ne peut prétendre à l’exhaustivité en raison des multiples dimensions du sujet étudié.
Nous pensons vivre un temps particulier de l'histoire économique de notre pays et c'est sans doute le cas : difficultés structurelles et manque d'anticipation, nécessaire adaptation continue à un monde changeant toujours plus vite, inévitable transition énergétique et redéfinition de notre modèle de croissance, pertes de repères quant à notre destin commun et modèle social à préserver. Ne serait-il pas temps de jeter les bases d'une économie de marché enfin plus vertueuse car conjuguant modèle social et développement économique ? Loin d'un déclin trop souvent prédit, tout concourt aujourd'hui à une prise de conscience collective qui peut nous permettre un sursaut. De fait, il s'agit donc bien encore et toujours d'ordonner le présent pour permettre l'avenir.
I.— LE DÉCROCHAGE FRANÇAIS : DES COÛTS DE PRODUCTION EN AUGMENTATION DANS TOUS LES SECTEURS INSUFFISAMMENT COMPENSÉS PAR DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ
Définition des coûts de production
Les coûts de production sont des coûts auxquels une entreprise doit faire face afin d’assurer sa production de biens ou de services.
Les coûts de production se soustraient des revenus (par exemple le produit des ventes) afin de déterminer la marge brute réalisée par une entreprise.
L’objectif d’une entreprise est donc de maintenir les coûts de production au niveau le plus bas possible.
Les coûts complets comportent :
– les charges directes, directement affectées aux coûts des produits, car la consommation de ces charges par chaque type de produit est connue.
– les charges indirectes, regroupées dans les centres d’analyse (approvisionnement, production, distribution, administration, service après-vente …).
Le cycle d’exploitation d’une entreprise industrielle suit le schéma suivant : achat de matières premières, stockage de celles-ci, production des produits, stockage des produits finis, vente des produits finis.
Il est plus court dans une entreprise commerciale : achat de produits, stockage puis vente de ceux-ci.
Des opérations diverses de manutention, transport et autres peuvent générer des charges entre ces différentes étapes.
Différents types de coûts correspondent aux différentes étapes de fabrication et de vente d’un produit :
– le coût d’acquisition : prix d’achat + frais d’approvisionnement ;
– le coût de production : coût d’acquisition + charges de fabrication ;
– le coût de distribution : charges de diffusion + charges de vente ;
– le coût de revient : coût de production + coût de distribution + charges ne relevant pas de la fabrication ;
Le résultat est égal au chiffre d’affaires dont on retranche le coût de revient.
A.— UNE RÉFLEXION SUR LES NIVEAUX DE SALAIRES EST NÉCESSAIRE, MÊME SI ELLE N’EST PAS DÉTERMINANTE
1. Les salaires : le « prix du travail »
Selon une thèse largement répandue, les coûts salariaux constituent le facteur déterminant de la réduction des marges des entreprises à tel point que la seule perspective utile à notre développement économique serait de les réduire tout en modifiant notre mode de protection sociale.
Si le prix du travail est un coût certain de la chaine de production, la focalisation excessive sur ce seul item ne permet pas d’expliquer le décrochage français. De même, ne considérer le niveau de protection sociale que comme une charge fait oublier souvent que les cotisations versées, considérées dès l’origine comme une part de salaire indirect, sont utiles à la collectivité. Ceci posé, l’assujettissement au seul travail des besoins de financement des différentes branches de notre système de prévoyance collective mérite aujourd’hui d’être questionné.
Il faut d’ailleurs d’ores et déjà préciser, que c’est le niveau des cotisations sociales qui fait débat et non celui des salaires nets, à l’exception notable de l’agriculture, où le caractère anormal de la concurrence intra-européenne sera examiné ci-après.
Une autre remarque s’impose de surcroît : même si les comparaisons internationales sont inévitables et précieuses, elles s’avèrent toutefois délicates, tant la législation sociale et l’encadrement du marché du travail diffèrent d’un pays à l’autre.
Votre Rapporteur estime également qu’il convient d’examiner l’ensemble des coûts de production. Comme l’a souligné devant la mission. M. Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l’innovation et la concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les coûts de production ne sont pas réductibles au seul coût du travail, et notamment aux charges sociales. Aux coûts d’utilisation d’une capacité de production s’ajoutent les coûts d’investissements, sans cesse plus élevés. « La nécessaire maîtrise des coûts suppose d’optimiser la chaîne de valeur, c’est-à-dire de trouver l’équilibre entre la hausse des coûts d’investissement et la baisse recherchée des coûts de fonctionnement ». L’ensemble des personnalités auditionnées par la mission a d’ailleurs souhaité élargir le débat à la totalité des coûts de production.
a) Des salaires français bruts plus élevés ?
i) Cette question a déjà été abordée au long des années précédentes. Avant même que la mission ne soit créée, le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 sur « les déterminants de la compétitivité de l’industrie française » estimait que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années…les charges qui s’y ajoutent sont nettement plus faibles chez nos voisins (6), où la protection sociale repose davantage sur la fiscalité : le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points (7) à celui constaté en Allemagne ».
M. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain, auditionné (8) par la commission des affaires économiques avec M. Louis Schweitzer, président d’honneur de Renault, avait souligné que la mondialisation avait apporté des changements considérables, avec l’ouverture de certains pays (notamment la Chine et ceux de l’Europe de l’est) qui disposent aujourd’hui de personnes qualifiées et recevant des salaires équivalents à 20 % des nôtres, voire 5 %, ce qui a entraîné une chute des coûts de production des biens industriels dans des proportions jusque-là inconnues, impliquant une révision des stratégies.
Mais cette question doit aussi être examinée à l’intérieur de l’Union européenne, où les coûts du travail diffèrent, M. Jean-Louis Beffa indiquant qu’en 5 ans, le coût du travail s’est accru de 15 % en France par rapport à l’Allemagne.
ii) La responsabilité du prix du travail dans la réduction des marges des entreprises, et donc dans la diminution de leur compétitivité, est diversement appréciée par les organisations représentant les salariés que la mission a reçus.
Pour certaines organisations syndicales, les coûts salariaux ne sont en aucune façon la cause des difficultés de l’économie française. M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques de la CGT, estime que « la réduction du coût du travail ne saurait tenir lieu de stratégie de développement économique et social ». La réflexion sur la compétitivité suscite de la défiance, ainsi que le souligne M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique de FO, pour qui la compétitivité est « un prétexte à la modération salariale, voire, à terme, à la remise en cause du financement de la protection sociale » et qui « dénonce la stigmatisation du coût du travail à laquelle se livrent le rapport Gallois et le Pacte de compétitivité ». Pour M. Morvan Burel, membre de la commission économique de SUD, « la question du coût du travail dissimule la remise en cause du financement de la protection sociale, c’est-à-dire de l’égalité entre les citoyens ».
De leur côté, dans un rapport intitulé « Approche de la compétitivité française » cosigné en 2011, la CGPME, l’UPA, le MEDEF, la CFTC, la CFDT et la CFE-CGC ont pris acte de cette question, comme l’ont confirmé à la mission Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles de la CFDT, « le coût du travail ne doit pas être ignoré, mais il n’est qu’un des éléments à prendre en compte, d’autant qu’il est très variable selon les secteurs professionnels », ou M. Jean-Marie Poirot, conseiller national (UNSA), « la compétitivité n’est pas un gros mot, pourvu qu’on ne la limite pas à la réduction du coût du travail ». Selon M. Joseph Touvenel, vice-président (CFTC), « nous manquons d’outils statistiques fiables », comme le montre le rapport précité.
Ce rapport, examinant le coût horaire de la main-d’œuvre, constate une dégradation de la compétitivité du coût salarial en France par rapport à la moyenne de la zone euro entre 2000 et 2010. Vis-à-vis de l’Allemagne, cette dégradation a atteint 20 %. Si l’on prend en compte les gains de productivité et si l’on considère donc l’évolution du coût salarial par unité produite, on constate que celui-ci s’est accru davantage en France que dans la moyenne de la zone euro entre 2000 et 2009 (annexe n°2).
iii) L’impact du prix du travail a également été reconnu par nombre de personnalités auditionnées par la mission, notamment par des économistes.
Les économistes que la mission a reçus ont mis l’accent sur l’importance du montant des cotisations sociales et de leur part essentielle dans l’augmentation des coûts salariaux globaux en France, notamment par rapport à l’Allemagne. Même si les chiffres diffèrent selon les sources et si leurs interprétations varient, le diagnostic est très semblable.
C’est aussi le cas de M. Louis Gallois qui, dans son rapport « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », préconise un choc de confiance qui « déchargerait d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité, en le reportant sur la fiscalité et la réduction de la dépense publique…ce serait d’ailleurs une mesure d’harmonisation avec la plupart des pays européens ».
Le prix du travail, cotisations sociales comprises, est plus élevé en France qu’en Allemagne et dans nombre de pays européens et cette différence, non seulement ne se justifie pas par le différentiel de productivité, mais est accrue par le positionnement de gamme.
– le prix du travail
M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique, a souligné que le coût horaire moyen d’une heure de travail effectif (9) se situait en 2008 – la situation ayant peu changé depuis - à 31,80 euros, soit un niveau significativement supérieur à celui de la zone euro : il est plus élevé en Belgique et au Danemark, mais inférieur en Allemagne, en Italie ou en Espagne (annexe n°3). Les coûts salariaux dans la seule industrie sont toujours restés en France proches de ceux de l’Allemagne, alors que dans l’ensemble du secteur marchand, on observe dans notre pays une augmentation depuis les années 2000, et un fléchissement des coûts unitaires allemands entre 2002 et 2007, liés au niveau de salaires très faibles dans les emplois de services peu qualifiés outre-Rhin. En effet, 23 % des salariés allemands, soit 7,8 millions de personnes, perçoivent un salaire qualifié de « bas » en Allemagne, c’est-à-dire inférieur à 9,15 euros brut de l’heure. De plus, il existe en Allemagne 7,3 millions de « mini-jobs » rémunérés à 400 euros par mois et exemptés de cotisations sociales et d’impôt pour les salariés. En France, les coûts ont augmenté dans les services, ce qui pèse sur la compétitivité globale, puisque l’industrie a de plus en plus recours aux services de conseil, de maintenance ou d’informatique
La constatation est du même ordre pour M. Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode. Dans l’industrie manufacturière le coût du travail est quasi identique en France et en Allemagne : pour une heure de travail, il était respectivement de 36,8 et 36,20 euros au deuxième trimestre 2012. Entre 2000 et 2007, il a augmenté de 53,4 % en France et de 27,2 % en Allemagne, la moyenne s’établissant à 38,3 % dans la zone euro (annexe n°4).
Pour l’ensemble de l’économie, ce coût horaire est plus élevé en France (35,10 €) que dans l’ensemble de la zone euro (28,20 €) et en Allemagne (31,40 €), mais l’évolution est du même ordre que celle relevée pour l’industrie manufacturière : la progression a été de 43,7 % en France et de seulement 19,2 % outre-Rhin (10) (annexe n°5).
La consommation intermédiaire de services représente 17 % de la valeur de la production dans l’industrie et la valeur de la production de ces services est composée à 40 % par le coût salarial : l’évolution de ce dernier influence donc pour 8 points les prix de production dans l’industrie.
En ce qui concerne l’évolution du coût salarial unitaire (11), M. Vincent Chriqui fait remarquer que la France se trouve dans une situation intermédiaire entre l’Espagne ou l’Italie, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part, qui a réalisé au cours des dernières années des progrès considérables, après le choc de la réunification : depuis les années 1980, la dynamique du coût salarial unitaire est relativement modérée en France par rapport à l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni ; entre 1995 et 2010, le coût salarial unitaire a progressé de plus de 20 % alors qu’il est resté globalement stable en Allemagne (annexe n°6).
M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, confirme cette évolution du coût salarial unitaire en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, constatant – bien que la quantification de la productivité soit délicate – qu’à la création de l’euro ces coûts étaient plus bas dans les trois autres pays qu’en Allemagne, alors que le rapport s’est inversé pour la France et l’Italie depuis 2004 et 2005. En France, le coût salarial unitaire a considérablement cru au cours des années récentes par rapport au prix de la valeur ajoutée (annexe n°7)
L’augmentation du coût unitaire du travail a été de 20 points supérieure en France par rapport à l’Allemagne ; parmi les grands pays de la zone euro, seules l’Espagne et l’Italie ont fait moins, selon M. Gilbert Cette, professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II : « la distance s’est creusée entre la France et l’Allemagne jusqu’à devenir abyssale en matière de coûts salariaux », Cette différence tient à une modération salariale beaucoup plus forte en Allemagne, et non à de meilleures performances de celle-ci en termes de productivité du travail. Une étude de l’INSEE révèle que si les coûts salariaux moyens sont les mêmes en France et en Allemagne, le prix du travail dans les services est de 25 % supérieur en France. De ce fait, le prix du travail indirect (c’est-à-dire compte tenu des services) pour l’industrie manufacturière est beaucoup plus bas en Allemagne. Comme d’autres intervenants, M. Gilbert Cette souligne également que cette dernière bénéficie de coûts inférieurs grâce la délocalisation d’une partie de sa production dans les pays limitrophes de l’Europe de l’est.
La différence entre le coût « superbrut » (12) et le salaire versé est particulièrement importante en France, du fait des charges sociales, ce qui traduit des choix différents en matière de financement de la protection sociale, ainsi que l’a souligné M. Vincent Chriqui (annexe n°8). Il constate que « La stratégie ciblant les allègements de charges sur les bas salaires a profité aux services plus qu’à l’industrie dans la mesure où celle-ci compte plus d’emplois relativement qualifiés ou très qualifiés et verse des salaires plus élevés. Ce décrochage n’a pas été constaté en Allemagne. Ce n’était pas le seul ni même le principal objectif des allègements de charges : ils ont peu favorisé la compétitivité industrielle, mais ils avaient pour objectif de ramener vers l’emploi des personnes peu qualifiées, particulièrement sensibles à la rémunération ».
Il a ajouté que la part de la rémunération du travail (13) dans la valeur ajoutée est stable en France, mais plus élevée que dans les pays comparables (Allemagne, Finlande, Royaume Uni, Espagne, Italie) ; elle tranche avec la baisse des salaires observée en Allemagne ou la progression en Italie ou au Royaume-Uni (annexe n°9). Ce niveau élevé, qui favorise les salariés, limite la capacité des entreprises à constituer des marges permettant un investissement suffisant. En Allemagne, sa diminution, entre 1995 et 2010, a permis aux entreprises de renforcer leur compétitivité.
M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) note que, pour produire 100 euros, l’économie utilise en France 59,6 euros de consommations intermédiaires, et en Allemagne 58,4 euros, si bien que la valeur ajoutée représente 40,4 euros pour l’une et 41,6 euros pour l’autre. Cette valeur ajoutée se décompose, notamment (14) pour la France, en 27 euros de rémunération des salariés et 12,2 € d’excédent brut d’exploitation, alors qu’en Allemagne, les chiffres sont respectivement de 24,9 et 17,2 euros (annexe n°10).
La part de la rémunération des salariés dans la valeur de la production a augmenté d’un point par rapport à 2000 en France, alors qu’elle a diminué de 3,4 points en Allemagne. Si l’on ne considère que l’industrie, on constate un recul de la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée de 0,6 point en France et de 5 points en Allemagne.
Selon M. Jean-Luc Gaffard (OFCE), une analyse plus fine montre que dans les grandes entreprises du secteur industriel, le coût du travail reste plus élevé en Allemagne qu’en France mais ce n’est pas le cas dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, ni dans les services.
– prix du travail et productivité
Les différents intervenants, aussi bien les économistes que les chefs d’entreprises, ont mis l’accent sur le lien existant entre salaire et productivité et sur l’insuffisance des gains de productivité en France.
Selon M. Vincent Chriqui, le salaire « superbrut » progresse plus fortement que la productivité, à la fin des années 1970, ce qui entraîne un coût pour les entreprises. La courbe s’inverse ensuite et dans les années 1980, le salaire net évolue peu, même quand le salaire « superbrut » augmente assez fortement, car la hausse est absorbée par la protection sociale. Le phénomène n’est pas propre à la France, mais celle-ci est particulièrement touchée. La situation a cependant été stable pendant les années 1990 au long desquelles le ralentissement des gains de productivité s’accompagne d’une certaine modération salariale.
Depuis 1995, la productivité de l’Espagne ou de l’Italie, inférieure à la moyenne européenne, n’a pas rattrapé celle des autres pays ; comme l’Allemagne a fait preuve de plus de modération salariale, les écarts de compétitivité se sont au contraire creusés au sein de la zone euro.
M. Christian de Boissieu, professeur d’économie (Paris I) et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a fait remarquer que « la compétitivité prix, qui dépend en grande partie du coût salarial unitaire, c’est-à-dire du rapport entre salaire et productivité du travail, joue également un rôle non négligeable. Ainsi, la perte de la compétitivité- prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique-t-elle à la fois par l’évolution des coûts salariaux (le numérateur du ratio) des deux pays- l’Allemagne a mené une politique salariale sévère afin de tirer les conséquences de sa réunification - et par celle de leurs gains de productivité (le dénominateur), - la France étant certes bien classée en termes de niveau de productivité du travail, mais pas en termes de gains de productivité ».
Lors de son audition du 7 novembre dernier (15), M. Louis Gallois, a d’ailleurs souligné que la productivité restait forte en France, mais qu’elle ne croissait pas suffisamment, ce qui commençait à poser problème, soulignant qu’il existait en France 35 000 robots, contre 150 000 en Allemagne.
M. Pierre Cahuc a fait la même analyse : si les salaires sont plus élevés dans l’industrie allemande, c’est en partie parce que la productivité des salariés y est élevée : le niveau élevé des salaires traduit la bonne santé de l’industrie manufacturière en Allemagne.
Selon M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) le coût de l’heure de travail peut évoluer plus vite dans un pays que chez ses partenaires, si cette évolution est compensée par des gains de productivité supérieurs, or les niveaux de productivité par heure travaillée dans l’industrie évoluent en France à rythme sensiblement parallèle à celui qu’on observe pour la zone euro ou pour l’Allemagne. L’évolution de la productivité ne justifie donc pas que l’augmentation du coût horaire du travail soit plus élevée en France qu’en Allemagne : « Le coût salarial unitaire – c’est – à dire le coût de la rémunération des salariés par unité de valeur ajoutée de l’industrie manufacturière accuse par conséquent une dérive progressive par rapport à l’Allemagne, mais non par rapport aux autres pays de la zone euro. Toutefois, les efforts violents consentis en Espagne ces dernières années se traduisent ces dernières années par une réduction de l’écart de coût salarial unitaire entre la France et les pays du sud de l’Europe ».
– prix du travail et niveau de gamme
Les constats bruts ci-dessus peuvent être mis en perspective avec d’autres éléments, ce qui permet une approche plus fine de la situation des coûts salariaux. M. Patrick Artus estime en effet que les coûts salariaux dans l’industrie, cotisations sociales comprises, sont pratiquement les mêmes en France et en Allemagne – légèrement plus élevés en France. Mais ceux-ci doivent cependant être corrigés en tenant compte du niveau de gamme, que l’on peut quantifier en examinant la sensibilité de la demande aux prix : plus un produit est banal et bas de gamme, plus la demande est sensible aux prix. D’après ses calculs, le salaire horaire dans l’industrie, au niveau de gamme de l’Allemagne, est de 45 € de l’heure en France, contre 34 € outre-Rhin. Il en conclut donc que « l’égalité des coûts salariaux est une illusion ». (16)
Le prix d’un produit industriel comporte le montant des salaires des services consommés – et ils sont nombreux. Or, les salaires des services sont aujourd’hui plus bas en Allemagne qu’en France : avec cette correction, M. Patrick Artus juge que « même si ce chiffre est un peu exagéré, les grandes entreprises françaises qui opèrent dans les deux pays à la fois affichent des écarts de coûts de l’ordre de 30 %. »
– salaires et état de l’économie
La France se caractérise, souligne là aussi M. Patrick Artus, par la disjonction entre l’évolution des salaires et l’état de l’économie : « Dans beaucoup de pays – l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Allemagne –, quand le chômage augmente, la croissance des salaires ralentit rapidement alors qu’on observe le contraire en France : la montée du chômage ne fait pas obstacle à celle des salaires. (…) ; le salaire ne réagit à rien – ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Il a une vie autonome, augmentant toujours dans la même proportion, quelle que soit la situation économique ».
Il y trouve deux raisons : « le fait que l’évolution du SMIC suive, non celle de la conjoncture, mais plutôt celle des prix - quand il ne la devance pas » d’une part, et, d’autre part, une situation où les organisations syndicales représentent les seuls « insiders », « les salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non ceux qui l’ont perdu. » Il constate qu’alors « les salaires ont tendance à augmenter en période faste et à simplement stagner en période difficile, mais ils n’évoluent jamais de manière à ramener les chômeurs à l’emploi. » Cet « effet de cliquet …explique qu’en France l’inertie du chômage lors des périodes de reprise économique soit la plus élevée de tous les pays de l’OCDE ».
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, a d’ailleurs fait remarquer à la mission que « l’accord signé par la direction de Renault en Espagne prouve que le groupe a opté, dans ce pays, pour la baisse des salaires alors qu’il se borne à les geler en France ».
– prix du travail et taux de change
La question du taux de change ne doit pas non plus être négligée, même si, comme on l’a vu, le prix du travail en France est parmi les plus élevés de la zone euro et non pas seulement par rapport aux autres pays du monde.
Ainsi que l’a souligné M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, l’évolution des taux de change est essentielle lorsque l’on compare le prix du travail.
« Je voudrais insister sur la question du taux de change de l’euro qui est absolument centrale : l’euro valait 0,9 dollar en 2000 et un plus de 1,5 en 2008. Cette hausse représente un choc de compétitivité gigantesque ! Elle est pourtant rarement évoquée dans le débat public, peut-être parce que l’on considère qu’on y peut pas grand-chose. Pourtant cela veut dire qu’une heure de travail aux États-Unis, qui valait en 2000 14 % de plus qu’une heure de travail en France en valait 14 % de moins en 2010. Il en va de même avec le Japon : une heure de travail dans l’industrie manufacturière japonaise valait 18 % de plus qu’une heure de travail française en 2000 mais 21 % de moins en 2010. C’est phénoménal. Et c’est tout aussi vrai des pays émergents : une heure de travail en Corée valait 46 % d’une heure de travail en France en 2000 et 41 % en 2010 ; une heure de travail à Taïwan valait 34 % d’une heure de travail en France en 2000 et 21 % en 2010. Les salaires dans les pays émergents ont pourtant augmenté, mais l’effet de cette hausse a été plus que compensé pour l’industrie européenne par la hausse de l’euro. Une des seules bonnes nouvelles de la crise, c’est donc la – légère - chute du cours de l’euro qui est aujourd’hui à 1,30 dollar. Mais l’on peut craindre que ce cours ne remonte. On pourrait portant agir. Les traités prévoient la possibilité d’une politique de change ; pour les Allemands, je le sais bien, ce n’est pas un sujet, et cela ne doit pas le devenir. Mais je suis surpris de la timidité des pouvoirs publics français sur ce point, dont Louis Gallois a pourtant souligné l’importance. »
– la politique d’allègement des cotisations sociales
La politique d’allègements des cotisations sociales à la charge des employeurs a été une constante des deux dernières décennies, quels que soient les gouvernements successifs, comme l’a fait remarquer M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École d’économie de Paris : les « réductions » Aubry et Fillon » ont représenté le double de celles auxquelles avait procédé le gouvernement Juppé, et ont également été maintenues par les gouvernements Jospin et Raffarin. Parce qu’elles n’étaient pas en situation de le faire ou parce que cela ne leur apparaissait pas comme une nécessité, ce choix politique continu n’a pas été mis à profit par les entreprises afin de faire des investissements productifs et d’innovation.
De plus, la stratégie ciblant les allègements de cotisations sur les bas salaires a profité aux services plus qu’à l’industrie dans la mesure où, comme nous l’avons déjà vu, celle-ci compte plus d’emplois relativement qualifiés ou très qualifiés et verse des salaires plus élevés.
iv) Nombre des chefs d’entreprises auditionnés par la mission ont également souligné le handicap que représente pour eux les coûts salariaux.
M. Pierre Gattaz, président de Radiall et du Groupe des fédérations industrielles (GFI) a évoqué « l’explosion des charges industrielles qui a conduit à un écart global de 70 milliards d’euros avec l’Allemagne ». M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC) a indiqué qu’un salarié de ce secteur coûtait 44 000 euros, cotisations comprises en France, contre 34 000 euros en Allemagne, l’écart provenant non des salaires, mais des cotisations sociales, qui représentent 10 % du chiffre d’affaire des sociétés françaises, contre 5 % des sociétés allemandes. M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT) a précisé que l’heure de travail coûtait dans l’industrie textile française 23,02 euros contre 20,85 en Allemagne. M. Philippe Robert, président-directeur général de la Compagnie du Granit, subit depuis des années la concurrence des entreprises chinoises ou indiennes, et, depuis 3 ans, la forte concurrence de l’Espagne et du Portugal.
La mission a également invité des industriels dirigeant en France des filiales d’entreprises allemandes et italiennes afin de bénéficier de leur vision de la réalité française.
M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France a noté de manière intéressante que le prix du travail, notamment le coût horaire des contrats de travail à durée indéterminée (CDI) était plus élevé en France qu’en Italie d’environ de 25 à 30 %, « non seulement parce que le coût du travail est généralement plus cher en France qu’ailleurs, mais également parce que le consommateur français est de plus en plus attiré par des produits issus des sociétés qui auront démontré une vraie responsabilité sociétale. Contrairement aux entreprises italiennes, les entreprises françaises ont ainsi intégré la question sociétale dans leur stratégie, ce qui a un coût ». De même, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion des troubles du rythme cardiaque de Sorin SpA, a fait remarquer que le prix du travail sur le site de Clamart, en France, était supérieur de 30 % à celui de Saluggia, dans la région de Turin, en raison à la fois de la différence de salaires et de cotisations sociales ; cela n’a pas empêché le groupe de choisir d’implanter son centre d’excellence mondial à Clamart en raison de l’existence d’une école de cardiologie de niveau mondial.
On peut ainsi constater que la question du niveau des coûts salariaux peut aussi être contrebalancée par d’autres facteurs. Il serait d’ailleurs ainsi sûrement profitable aux entreprises françaises ou installées en France de mettre beaucoup mieux en valeur vis-à-vis de leurs acheteurs ou des consommateurs certains avantages comparatifs – lorsqu’ils sont manifestes -, notamment ceux liés à la responsabilité sociale des entreprises.
D’une manière plus générale, le niveau de certaines cotisations sociales plus élevé comparativement dans notre pays doit inviter à s’interroger sur les causes de cette situation. Il correspond en partie au choix décisif fait en France d’une assurance collective pour la vieillesse, la maladie, le chômage et les charges de la famille ; on peut d’ailleurs remarquer que le niveau global de ces dépenses, privées et publiques, dans les pays développés qui ont fait le choix inverse – une assurance privée individuelle – est au total au moins équivalent.
Mais, dans les causes de cette situation, la très faible part de salariés séniors en activité pèse aussi naturellement sur nos dépenses sociales. Cela provient d’une forme particulière de managériat qui considère que, passé 50 ans, leur utilité économique est réduite, alors qu’ils sont tout à fait en situation de travailler et d’apporter à l’entreprise. Enfin, ce faible niveau d’emploi des séniors est aussi à mettre en lien avec le nombre élevé de celles et ceux qui, suite à des années de travail pénible, ne sont plus en situation physique de travailler.
b) La question du SMIC ou le SMIC en question ?
Le salaire minimum de croissance (SMIC) joue un rôle très important dans l’économie française, comme l’ont fait remarquer plusieurs économistes.
Défini comme un salaire minimum horaire, ses augmentations qui doivent garantir son pouvoir d’achat et faire en sorte qu’il incorpore les « fruits de la croissance », ont très peu évolué depuis son instauration. Jusqu'en février 2013, il est ainsi revalorisé chaque année par décret en tenant compte de l’indice national des prix à la consommation, sans que son évolution ne puisse être inférieure à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat du taux de Salaire horaire de base ouvrier (SHBO). En outre, le Gouvernement, par l'intermédiaire de qu'on appelle les « coups de pouce », est libre de porter le SMIC à un taux supérieur à celui qui résulterait de la seule mise en œuvre des mécanismes précités.
Au 1er janvier 2013, le niveau du SMIC est de 9,43 euro brut par heure, qui correspond pour un temps plein, à un montant mensuel brut de 1430 euros, soit 1122 euros net.
– un salaire minimum élevé par rapport aux autres salaires
Depuis les années 1970, au contraire d’autres pays, le salaire médian a moins progressé que le SMIC entraînant un resserrement du bas de l’échelle des salaires resserrent. M. Gilbert Cette attribue cette évolution à une « très forte augmentation du SMIC ». Il estime qu’« on ne peut pas parler du coût du travail sans poser la question du SMIC », ajoutant qu’« il est plus élevé que dans les autres pays et qu’il "plombe" la compétitivité de nos entreprises ». Il estime en outre que c’est « un outil totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté ». Néanmoins, le manque de dynamique contractuelle, avec des accords de branche débutant sous le niveau SMIC, peut aussi être incriminé.
MM. Pierre Cahuc, Professeur à l’École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE), au Center for Economic Research (Londres) et à l’Institute for the Study of Labor (Bonn) et Stéphane Carcillo, Professeur affilié au département d’économie de Sciences Po. Paris ont mis l’accent sur la spécificité française du salaire minimum.
Ils ont tout d’abord souligné que la comparaison des coûts planchers est plus significative que celle des salaires parce qu’elle ne dépend pas directement de la productivité des salariés, mais de la loi. De plus, le niveau du salaire minimum est une référence et a des répercussions sur l’ensemble des salaires.
La France est un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où le prix du travail au niveau du salaire minimum est le plus élevé en tenant compte de toutes les exemptions (17) : il est environ plus élevé de 80 % que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Il est par exemple deux fois plus faible en Espagne. Si l’on excepte le Luxembourg – dont l’économie est spécifique – l’Irlande et la Belgique, la France se situe juste derrière le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Australie (annexe n°11), pays qui prévoient par ailleurs des exemptions au salaire minimum, les jeunes étant parfois payés à un taux beaucoup plus bas. Les comparaisons réalisées par Eurostat montrent également que le salaire minimum est élevé en France (annexes n°12 et 13).
L’OCDE conclut que le SMIC est un instrument peu efficace de redistribution des revenus, car « la pauvreté est principalement liée à l’insuffisance du nombre d’heures travaillées et non à la faiblesse des salaires horaires : seulement 1 % des personnes employées à temps plein pendant toute l’année sont pauvres ».
Si l’OCDE affirme que le SMIC à un niveau jugé élevé évince de l’emploi les travailleurs les plus fragiles, ces derniers sont de facto concernés par les emplois aidés. De plus, la baisse du SMIC n’est pas non plus un facteur décisif pour l’embauche : malgré une forte baisse des salaires, le chômage a continué de progresser en Espagne.
– pour un nombre de salariés important
Conséquence du niveau relativement élevé du SMIC, la moitié des salariés, ce qui est considérable, gagnent entre 1 et 1,5 SMIC, le salaire médian en France s'élevant à 1675 euros net. La proportion de personnes employées à plein-temps recevant le salaire minimum est beaucoup plus importante que dans les pays comparables, même si elle tend à diminuer. (annexe n°14)
– entraînant une politique d’allègement de charges sur les bas salaires
MM. Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. Dès le début des années 1990, les conséquences néfastes de cette politique sur le développement de l’emploi peu qualifié ont été identifiées. La réaction des pouvoirs publics fut alors le développement progressif de réductions générales de cotisations patronales sur les bas salaires, afin de déconnecter l’évolution du coût du travail de celle du salaire net, tandis que le SMIC continuait à progresser à un rythme soutenu, notamment sous l’effet des 35 heures. Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année » (18).
Selon M. Gilbert Cette, l’effet négatif du SMIC est amorti en bonne partie par des allègements de cotisations « qui représentent plus de 20 milliards d’euros par an…mais sans lesquelles des centaines de milliers d’emplois disparaîtraient rapidement ».
M. Philippe Askenazy a jugé que le fait de concentrer les allègements de cotisations au niveau du SMIC risquait d’en faire « une trappe à bas salaires ».
– un salaire minimum interprofessionnel n’existant pas dans tous les pays comparables
Un salaire minimum interprofessionnel n’existe pas en Allemagne, en Autriche, en Italie, ni dans les pays scandinaves. Dans certains d’entre eux, comme la Suède et le Danemark, où les distributions de revenus sont les plus égalitaires, il existe des minima de branche. Toutefois, un salaire minimum existe dans 21 pays de l’Union européenne sur 27.
En Allemagne, du fait de l’autonomie des partenaires sociaux, les grilles de salaires sont fixées dans le cadre d’accords collectifs qui s’appliquent à tous les salariés et à toutes les entreprises dépendant de la branche dans laquelle l’accord est signé. Toutefois, un salaire horaire minimal a été instauré dans neuf secteurs d’activité particulièrement exposés au risque de dumping social et dans lesquels il n’existait pas d’accords collectifs (19). Le débat sur la mise en œuvre d’un salaire minimum général est récurrent en Allemagne. La Chancelière, Mme Angela Merkel, s’est prononcée récemment en faveur de cette réforme, préconisée depuis des années par les sociaux-démocrates.
Comme l’a souligné M. Pierre Cahuc, « les pays qui s’en sortent bien aujourd’hui n’ont pas de salaire minimum, mais le dialogue social y est extrêmement bien structuré. » Votre Rapporteur ne peut que constater que ce type de dialogue ne correspond actuellement pas au cas français, en dépit de la récente conclusion d’un accord interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi.
– un salaire minimum uniforme
M. Gilbert Cette souligne qu’il a le défaut d’être du même niveau dans toutes les régions, alors qu’on ne vit pas de la même façon avec un SMIC à Paris et en zone rurale.
Observation à laquelle les syndicats objectent qu’il convient de ne pas multiplier les SMIC et de compliquer ce système : tel est le cas de M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC).
MM. Cahuc et Carcillo font en outre remarquer qu’il n’existe pas en France d’exception au salaire minimum au-delà de 18 ans, à la différence de la plupart des pays équivalents : le SMIC est applicable à l’ensemble de la population, donc plus contraignant. Créant un salaire minimum au Royaume-Uni en 1999, le gouvernement de M. Tony Blair a instauré un niveau 20 % moins élevé pour les salariés de 18 à 20 ans. Si certains soutiennent que le caractère uniforme du SMIC français peut expliquer au moins en partie le niveau très important du taux de chômage des jeunes (24% en juin 2012), on peut remarquer que ce dernier est du même ordre au Royaume-Uni (21% à la même date).
En outre, dans les pays où a été adopté le principe d’un salaire minimum, son évolution n’est pas toujours fixée par la loi, mais par des accords de branche.
– avec un impact important pour les entreprises
M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME fait remarquer que dans les entreprises de moins de 20 salariés, 30 % des effectifs sont au SMIC, alors qu’ils ne sont que 8 % dans les entreprises de plus de 500 salariés ; l’augmentation de celui-ci affecte donc plus massivement les petites entreprises, avant même tout effet induit sur l’ensemble de l’échelle des salaires. Il est selon lui « essentiel d’éviter les coups de pouce – mêmes faibles - par exemple pour un contrat de mandature, de façon à permettre aux chefs d’entreprise d’avoir une lisibilité du dispositif à moyen terme ».
M. Jean-François Roubaud estime que le SMIC peut constituer un frein à la création d’emplois et que « l’on devrait réfléchir à la mise en place, pour le premier emploi des jeunes et des stagiaires d’école, d’un SMIC spécifique, moins élevé, de façon à leur mettre le pied à l’étrier ».
Ainsi que l’ont souligné MM. Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, les entreprises, pour préserver leur productivité, vont chercher à diminuer le salaire net afin de compenser l’augmentation directe du coût du travail, qu’elles ne peuvent répercuter sur le salaire minimum, d’où une baisse du pouvoir d’achat.
Pour insérer les jeunes et les personnes à bas salaire dans le marché du travail, la France a choisi la baisse des cotisations sociales au niveau du SMIC plutôt que de baisser celui-ci.
– mais défendu par les organisations syndicales
Les organisations syndicales se sont prononcées en faveur du SMIC actuel, voire pour son amélioration. Pour M. Joseph Thouvenel (CFTC), sans le salaire minimum, « la valeur travail ne serait pas respectée et la société devrait supporter des charges qu’il appartient aux entreprises d’assumer. Or le salaire minimum est trop souvent l’objet de discours idéologiques, qui font fi de sa nécessité économique et sociale ».
M. Pascal Pavageau (FO), n’est pas « favorable à la démarche consistant à rompre avec le caractère national et interprofessionnel du SMIC pour mettre en place des SMIC de branche ou territoriaux ». La revendication de FO est de porter le SMIC à 80 % du salaire médian, afin d’encourager la consommation et de renouer avec la croissance. De même, M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) considère qu’il ne faut pas affaiblir le SMIC, mais l’améliorer.
M. Emmanuel Mermet (CFDT) a estimé que « le SMIC ne devait pas être l’alpha et l’oméga dans le débat sur le pouvoir d’achat en France, puisqu’il n’est perçu que par 10 % des salariés ». Mais comme les autres salaires peuvent être impactés par ses réévaluations, il faut mettre en œuvre une stratégie plus large du pouvoir d’achat « qui passe par une dynamisation de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires ».
– une réflexion nouvelle sur le salaire minimum
Pendant la campagne présidentielle, M. François Hollande a proposé de réformer sa formule de revalorisation en fonction de la croissance.
M. Patrick Artus a indiqué à la mission que « les réflexions académiques sur le sujet s’accordent sur la nécessité de rendre le niveau du SMIC dépendant de la croissance, afin qu’il augmente davantage lorsque la situation est bonne, et qu’il augmente moins, voire qu’il baisse, en cas de récession ».
Cette proposition a été abandonnée au profit d’une simplification de la règle de calcul (20): on prendra désormais pour référence l’indice d’inflation mesurée pour les ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie (les 20 % de revenu le plus bas par foyer) ; en outre, le salaire de référence est celui des ouvriers et employés et non plus celui de l’ouvrier seul. Le changement d’indice de référence pour l’inflation aura comme effet une revalorisation du SMIC plus étroitement liée au prix des produits de premières nécessités et aux dépenses contraintes, donc plus importante. En cas de hausse des prix des denrées alimentaires, par exemple, les 2 % d’inflation pourraient être plus rapidement atteints.
Le groupe d’experts mis en place en 2008 par le précédent gouvernement et présidé par M. Champsaur sera renouvelé intégralement ainsi que l’a annoncé M. Michel Sapin, ministre du travail. Ses observations sur les éventuelles mises en place d’un SMIC jeunes voire d’un SMIC régionalisé ont été rejetées. La composition du futur groupe sera plus diversifiée ; il ne devra pas seulement avoir une approche macro-économique mais également une vision plus sociale du SMIC et mener un dialogue plus direct avec les partenaires sociaux.
Le SMIC semble un élément structurant en France bien qu’il ne puisse remplacer une dynamique de négociations salariales. Sa modération ne peut se concevoir sans endiguer la hausse des dépenses contraintes pour les ménages les plus modestes.
Si l’Allemagne adopte à son tour un salaire minimum, les pays de l’Union européenne sans cet outil seront des exceptions. Toutefois, des évolutions du type de la déflation salariale décidée en Espagne peuvent, en l’absence d’action des autorités européennes, briser la nécessaire convergence progressive des salaires à l’échelle continentale.
Certaines personnalités auditionnées ont mis l’accent sur l’évolution récente du coût du capital, en contrepoint de celle du travail.
Les syndicats estiment que le coût du capital est responsable de la baisse de la compétitivité des entreprises.
Ainsi, pour M. Morvan Burel (SUD), le recul de la compétitivité de l’économie de la France s’explique bien davantage par le coût du capital que celui du travail. « Depuis 20 ans, le niveau des dividendes a quadruplé en France ; en dépit de la crise, leur part a continué d’augmenter depuis 2008, obligeant même les entreprises à s’endetter pour financer l’investissement ». Pour M. Jean-Marie Poirot (UNSA), « il est temps d’affirmer, à rebours du théorème de Schmidt (21), que les dividendes d’aujourd’hui sont la diminution de l’investissement de demain et le chômage d’après-demain ». M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) déplore qu’on évoque très peu le coût du capital, bien qu’on observe « une quasi stabilité de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis les années 1990 après une chute dans les années 1980, alors que celle du capital augmente de façon continue et régulière. Si le manque de compétitivité de nos entreprises est dû au coût des facteurs de production, c’est plutôt le coût du capital que celui du travail qu’il convient d’incriminer ».
L’économiste Philippe Askenazy observe que le taux de redistribution des dividendes nets des entreprises non financières a atteint en 2011 le chiffre record de 9 % alors qu’il était historiquement de l’ordre de 4 % et d’à peine 5 % voilà 10 ans.
M. Gilbert Cette note également que les dividendes versés ont triplé depuis le premier choc pétrolier, passant de 3 à 9 points de valeur ajoutée en 2011, cette orientation résistant même à la crise actuelle : « la rémunération de l’actionnaire a donc augmenté continûment depuis quarante ans ». Mais la hausse des dividendes a été contrebalancée par la baisse des frais financiers payés par les sociétés non financières, si bien que la rémunération de la propriété a diminué. « Cette situation perdure jusqu’aux années 2000 qui voient une stabilisation des frais financiers, d’où une augmentation des revenus de la propriété (du fait de l’augmentation des dividendes), qui passent de 8 points à 11 points de valeur ajoutée. C’est ce qui explique que le taux d’épargne des sociétés est orienté à la baisse depuis le début de la décennie 2000, alors que le taux de marge reste stable jusqu’en 2007-2008 ». Il ajoute que la part des dividendes en France n’est pas considérable en comparaison des autres pays. En fait, la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, « elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne ».
Conclusion corroborée par M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) : le coût du capital, à savoir la rémunération des apporteurs extérieurs de capitaux banques et actionnaires, est de 3,90 euros en France et de 8,20 euros en Allemagne. La part de la rémunération du capital, soit la somme des intérêts et dividendes nets, restée stable en Allemagne, a progressé en France de 0,6 point dans l’ensemble de la production des sociétés non financières entre 2000 et 2010.
M. Louis Gallois a indiqué, lors de son audition, que le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises, qui est le ratio pertinent, n’a pas beaucoup évolué, même s’il n’en demeure pas moins que les grandes entreprises ont distribué assez généreusement des dividendes au cours des dernières années.
Par ailleurs, le mécanisme des offres publiques de rachat d'actions (OPRA) qui permet à une entreprise de racheter ses propres actions pour les annuler par la suite, faisant ainsi croitre mécaniquement le cours de l'action et donc le dividende versé, comporte des risques pour l'entreprise du fait des sommes investies qui ne peuvent être utilisées pour des investissements productifs. De plus, ces rachats d'actions sont sujets à débats au vu de la situation de l'entreprise, comme cela a été le cas pour le Groupe PSA qui a procédé en 2011 à un rachat d'actions d'un montant de 199 millions d'euros.
2. Une durée du travail tout au long de la vie plus faible que dans d’autres pays
a) Une durée hebdomadaire ou annuelle du travail controversée
Le coût de la durée hebdomadaire du travail de 35 heures a été largement évoqué par les personnes entendues par la mission. Les auditions ont permis de mettre en lumière l’existence, au sein des économistes, d’analyses bien plus contrastées qu’il ne paraît de prime abord sur l’impact, présumé négatif, de la durée hebdomadaire du travail.
Pour M. Vincent Chriqui, « il est difficile de l’évaluer, mais il existe et il est élevé. Le passage aux 35 heures peut s’analyser comme un choc de compétitivité négatif, puisqu’il s’agit de faire moins travailler les salariés avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État, mais supporté in fine par les entreprises. »
La méthode choisie pour les 35 heures, selon le Professeur de Boissieu, « n’a pas été la bonne », il a regretté que la mesure ait été mise en œuvre de « manière uniforme et homogène ».
En revanche, pour M. Christian Saint-Étienne le choix des 35 heures n’est pas la cause des difficultés de l’industrie, mais l’effet, les Français s’étant convaincu que le monde était entré dans l’ère post-industrielle, marquée par le déclin du travail.
Un article récent de M. Éric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’OFCE (22) a souligné que, dans la période 1997-2002, la France est, parmi les grands pays, l’un de ceux qui a le plus réduit ses coûts salariaux unitaires. L’augmentation du salaire horaire lié au passage aux 35 heures a été compensée par la modération salariale et l’État, sous forme de baisses des cotisations sociales, a amorti le choc.
En termes de durée effective annuelle moyenne de travail, la France est dans la moyenne des pays comparables. Selon une étude d’Eurostat, citée par M. Vincent Chriqui, la durée effective annuelle moyenne de travail de l’ensemble des salariés était en France de 1 761 heures en 1998 et de 1 550 en 2010 ; pour l’Allemagne, les chiffres sont respectivement de 1 823 heures et 1 637, pour l’Italie de 1 862 et 1 691. Le temps de travail en France est égal à celui de la Suède. Seuls Malte, le Danemark et les Pays–Bas ont un temps de travail moins important (annexe n°15).
Quant au lien entre durée du travail et productivité, M. Chriqui a souligné que cette durée est relativement faible par rapport à la moyenne mondiale et européenne, mais que la productivité horaire demeure élevée. Encore faut-il examiner les raisons de cette productivité satisfaisante. Les deux éléments sont liés : « dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible ». Par exemple, les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi. Et d’en conclure : « il est très positif d’avoir une productivité horaire élevée, mais ce résultat ne doit pas être obtenu par l’expulsion des travailleurs les moins productifs ». En fait, en matière de productivité, la France se situe dans la moyenne des pays européens (annexe n°16).
De même, M. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » du quotidien Les Échos fait remarquer : « on vante souvent une productivité française qui serait la plus élevée du monde ; mais cette statistique n’est là encore pas pertinente, puisqu’en France les plus jeunes et les plus âgés, qui ne sont pas productifs, sont éliminés du marché du travail ; la base de comparaison est donc faussée. La productivité française est bonne, certes, mais elle n’est pas exceptionnelle ».
Ainsi que l’a indiqué M. Louis Gallois, « je n’ai pas abordé en tant que telle la question de la durée du travail, non pas parce que je serais un fanatique des 35 heures – ce n’est pas le cas – mais parce que la durée hebdomadaire n’est pas vraiment un problème…le vrai problème concerne le taux d’emploi. La population active est extrêmement faible par rapport à la population totale ».
La durée hebdomadaire du travail a également été commentée par les industriels que la mission a reçus.
D’aucuns ont fortement regretté la mise en place des 35 heures. M. Philippe Robert, président directeur général de La Générale du granit, a évoqué les difficultés croissantes de son entreprise : « la loi sur les 35 heures, l’augmentation du coût des transports, de l’énergie et des salaires ont rongé notre rentabilité ». M. Jacques Royer, président du Groupe Royer, une entreprise en forte croissance et spécialisée dans la production et la vente de chaussures, déplore également « les charges liées à l’immobilier et les charges salariales, du fait des 35 heures ». Pour M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), « le point de rupture s’est produit en 2000-2001, du fait de la loi sur les 35 heures, que j’avais d’abord soutenue car cette forme du partage du travail me semblait une piste intéressante. Je m’étais lourdement trompé ». M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, « la mise en place des 35 heures a engendré il y a quinze ans une hausse immédiate du coût du travail de 11 % dont les effets dévastateurs n’ont toujours pas été absorbés par les entreprises, notamment dans les secteurs qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre ». Quant à M. Christian Poyau, ancien président de CroissancePlus, il a indiqué à la mission que «le coût du travail, en Allemagne, une fois prise en compte la durée hebdomadaire d’activité, est de 12 à 15 % inférieur à ce qu’il est en France » et que « les 35 heures ont constitué une erreur monumentale qui, accessoirement, coûte 15 milliards d’euros par an à l’État ».
Malgré leurs critiques, il convient de remarquer que ces différents dirigeants d’entreprise n’ont pas souhaité une modification de la durée hebdomadaire de travail.
Pour d’autres interlocuteurs de la mission, la durée légale de 35 heures ne peut pas ou ne doit pas être remise en cause.
M. Pierre Gattaz, président du GFI, tout en soulignant que la durée annuelle effective du travail était moindre en France que dans les pays comparables, ne souhaite pas de modification : « nous avons éprouvé tant de mal à mettre en place les 35 heures en 2000 et 2001 que nous ne sommes pas favorables à leur remise en cause : le « détricotage » d’une telle mesure, avec son lot de négociations sociales, soulèverait aujourd’hui plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Mais il est certain qu’on ne travaille pas assez en France. ».
M. Vincent Moulin Wright, directeur général du GFI, a ajouté que « la réduction de la durée légale du travail à 35 heures constitue toujours pour le patronat une source de regret, mais elle n’est plus aujourd’hui le cœur du problème. Et s’il doit y avoir une évolution sur ce point, elle ne doit pas être négociée au niveau national, mais au niveau des branches ou, mieux encore, des entreprises, seules à même de connaître parfaitement leurs propres besoins. Le vrai problème réside dans la durée effective du travail et, plus précisément, parce que la situation n’est pas si dramatique que cela en ce qui concerne la durée effective hebdomadaire […] dans le volume annuel d’heures effectivement travaillées, qui est inférieur de 260 heures à ce qu’il est en Allemagne ». Sa conclusion est qu’« il serait bon de s’attaquer à cette spécificité française qu’est l’entrée trop tardive sur le marché du travail suivie d’une sortie trop précoce ».
Votre Rapporteur tient à souligner que le passage aux 35 heures n’a pas seulement donné du temps aux salariés ; il a aussi développé la consommation et l’emploi. Ce dispositif n’a ensuite qu’été assoupli : la loi du 17 janvier 2003 dite « Fillon » a augmenté le contingent d’heures supplémentaires de 130 à 180 heures, les branches ayant même la capacité de négocier un contingent d’heures supplémentaires encore supérieur. Un décret de 9 décembre 2004 a ensuite porté ce contingent à 220 heures par an. Dans le même temps, la loi de 2003 a réduit pour l’entreprise le coût de ces heures supplémentaires. La défiscalisation des heures supplémentaires a été introduite en 2007. Mais la précédente majorité s’est gardée de remettre complètement en cause ce dispositif.
b) Une durée du travail tout au long de la vie qui fait surtout la différence avec d’autres pays
La durée hebdomadaire du travail ne suffit pas à rendre compte du nombre d’heures travaillées au cours de la vie.
Le nombre d’heures travaillées au cours de la vie est affecté par l’entrée trop tardive sur le marché du travail des jeunes, mêmes qualifiés, et a fortiori des 150 000 d’entre eux qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme, ainsi que par notre taux d’emploi des seniors, l’un des plus faibles d’Europe. M. Gattaz faisait remarquer qu’on touche en France son premier salaire entre 20 et 25 ans et en Allemagne, dès 17 ou 18 ans ; on cesse de travailler en France entre 55 et 62 ans et en Allemagne, entre 60 et 67 ans.
Le fait que la population active soit numériquement faible par rapport à la population totale entraîne deux conséquences selon M. Louis Gallois : notre croissance potentielle est limitée, puisque c’est la population active qui génère l’activité économique, et les cotisations sont plus lourdes, puisque le poids des inactifs est plus élevé qu’ailleurs. M. Stéphane Carcillo fait le même constat : les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le plus grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité, d’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi. Selon lui, à source inchangée de financement des retraites, l’âge légal de la retraite influence donc grandement le taux d’emploi des seniors.
Votre rapporteur estime néanmoins que l’âge légal de départ à la retraite n’est pas, loin s’en faut, l’explication dominante du trop faible taux d’emploi des séniors dans notre pays. Il y a un sentiment trop répandu en France qu’un salarié plus âgé serait beaucoup moins utile à l’entreprise.
Trois problèmes se posent en matière fiscale : le niveau de la fiscalité, l’attractivité de la fiscalité d’investissement ainsi que la lisibilité de la fiscalité. S’y ajoute la question de la réduction de la dépense publique.
Les comparaisons internationales sont malaisées et ne peuvent être exhaustives dans le cadre de ce rapport.
Le document « Approche de la compétitivité française » (23), rappelle une donnée bien connue : le taux de prélèvements obligatoires en France figure parmi les plus élevés en Europe.
D’après le même rapport, le taux de prélèvements sur les entreprises est également parmi les plus importants d’Europe, après la Suède, en raison de cotisations et d’impôts plus élevés qu’ailleurs (annexe n°17) : « ainsi, globalement, le système français de prélèvements pèse plus fortement qu’ailleurs sur les facteurs de production, qui sont par essence mobiles dans un marché européen unifié et une économie mondialisée ».
Le tableau de l’Observatoire européen de la fiscalité des entreprises (OEFE) de la Chambre de commerce de Paris, place même la France en tête pour le taux de prélèvement obligatoire des entreprises (annexe n°18).
Comme l’a souligné M. Guy Maugis, président de Bosch France et président de la chambre de commerce franco allemande, les approches culturelles de la France et de l’Allemagne sont opposées : « pour les Français, c’est l’entreprise qui doit être taxée, plus que les particuliers, car ils sont persuadés que si le pouvoir d’achat va bien, l’entreprise ira bien ; aux yeux des Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendant de la santé et de la pérennité de l’entreprise, ainsi que de sa compétitivité ».
La taxation est en Allemagne plus souple pour l’entreprise : la taxe en France est fixe – l’entreprise paie d’abord – alors que l’imposition allemande repose sur une taxe variable : les entreprises paient des taxes en cas de profit, ce qui leur permet, comme le montrent les études micro-économiques, de prendre plus de risques, d’investir davantage dans la recherche et d’embaucher.
M. Philippe Askenazy a souligné l’effondrement du taux de l’impôt sur les sociétés en Allemagne (baisse de 20 points au cours de la décennie 2000) : « ...avec initialement un taux dans la moyenne, la France se trouve désormais dans une fourchette haute, compte tenu de la tendance à la baisse chez nos voisins ; toutefois, l’instauration du crédit d’impôt atténue la hausse du taux apparent et nuit à la lisibilité de la situation ».
Les impôts locaux ont également une incidence sur les entreprises ; mais ils varient considérablement d’un pays à l’autre et rendent difficile toute comparaison.
En France, votre rapporteur regrette que la réforme de la taxe professionnelle ait été mal conduite : alors qu’il existait un quasi consensus à ce sujet, elle a été conçue et mise en place trop rapidement.
M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a estimé que la réforme de la taxe professionnelle, conçue pour favoriser l’industrie, a rempli sa mission. Il a en outre fait remarquer qu’« il est indispensable de garder le lien entre l’entreprise et son territoire : si l’on supprime toute taxe locale, plus une ville ne voudra d’usine ; il faut donc trouver un équilibre. Le problème de la CFE tient à l’augmentation très importante de la cotisation minimum qui n’a pas toujours été prise en compte par les assemblées locales au moment du vote des taux…le Parlement vient de voter des amendements autorisant les collectivités à revoir le montant de la CFE pour 2012. La levée de boucliers avait été violente dans les territoires touchés par les augmentations les plus significatives ; depuis, la réforme a bien évolué, mais il reste beaucoup à faire ». Quant à la contribution économique territoriale (CET), M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, souhaite que sa stabilité soit assurée. La CGPME entend d’ailleurs être associée à la prochaine étape de la révision des valeurs locatives, actuellement en cours.
Les chefs d’entreprises interrogés ont fait valoir leurs doléances, mettant l’accent à la fois sur le haut niveau de la fiscalité et sur son inadaptation.
Selon M. Pierre Gattaz (GFI), « la compétitivité passe par une fiscalité incitative, et non coercitive ou punitive » ; il a souhaité « assurer la sérénité en matière fiscale » et estimé que notre législation « n’a pas su protéger les entreprises patrimoniales,…il y a eu l’ISF, les droits de succession confiscatoires. …, la loi Dutreil a permis, enfin, la transmission des entreprises dans de bonnes conditions ».
Se fondant sur son expérience, M. François Bergerault, (CroissancePlus), a constaté que « le prélèvement global avant le paiement de l’impôt sur les sociétés atteignait 3,5 % du chiffre d’affaires au Royaume-Uni alors qu’il dépassait les 19 % en France : pour une entreprise qui n’est pas ultra bénéficiaire et ne verse pas de dividendes, un tel taux représente une menace ». M. Olivier Duha a déploré l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail adoptée au cours des derniers mois et ses conséquences sur l’investissement.
Différentes taxes grèvent également les ressources des entreprises ; M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles, les a égrenées : taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), contribution au service public de l’électricité (CSPE) et impôts fonciers (CFE) sont en progression et atteignent 2,5 % de la valeur ajoutée, pesant sur la compétitivité coût des entreprises.
M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France, a souligné qu’ « en ce qui concerne la pression fiscale… on assiste en France à des débats anxiogènes…en outre, l’année dernière, une fois l’impôt prélevé, il n’est rien resté des10 millions d’euros de résultats supplémentaires que Ferrero France avait obtenus….cette situation sera difficile à supporter à long terme ».
Dans le secteur agricole, M. Xavier Beulin, le président de la FNSEA, a souhaité « une révision des dispositifs réservés aux agriculteurs, notamment la dotation pour investissements (DPI) et la dotation pour aléas (DPA)… il faut également prendre en compte, outre les risques climatiques et sanitaires, les risques de marchés liés à la volatilité des prix agricoles, en faisant bénéficier les exploitations imposées sur leur bénéfice réel d’une gestion fiscale interannuelle [afin] de lisser des fluctuations de prix devenues insupportables. » À titre de comparaison, le forfait fiscal agricole en Belgique n’est pas plafonné, l’agriculteur pouvant choisir entre le système forfaitaire et une déclaration au bénéfice réel ; au Danemark, les taux d’amortissement atteignent 30 % ; en Allemagne, il existe trois dispositifs différents de DPI avec des montants plus élevés qu’en France. En revanche, la fiscalité française sur les carburants agricoles est parmi les plus attractives d’Europe.
En revanche, le crédit d’impôt recherche est très largement apprécié. M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (CGPME) a souligné que certaines mesures étaient décisives pour les PME, telles que le maintien en l’état de l’ISF-PME, qui permet de leur amener davantage de financements.
b) La fiscalité d’investissement
Les chefs d’entreprises rencontrés ont souhaité que la fiscalité d’investissement soit plus attractive que la fiscalité de placement, notamment M. Christian Poyau, au nom de CroissancePlus.
Pour le Professeur Christian Saint Étienne, « appliquer un taux d’imposition sur les sociétés à 20 % sur les bénéfices réinvestis tout en vérifiant, comme le préconise Arnaud Montebourg, que c’est bien en France qu’ils le sont, peut permettre la reconstitution rapide des fonds propres des entreprises et leur redonner les moyens d’investir [ce qui] coûtera 5 à 6 milliards d’euros ».
M. Louis Gallois propose que les bénéfices réinvestis fassent l’objet d’un avantage fiscal.
Dès sa conférence de presse du 13 novembre, le Président de la République a annoncé que le taux de l’impôt sur les sociétés serait modulé afin d’encourager l’investissement dans les entreprises plutôt que la distribution de dividendes aux actionnaires.
c) La réduction du montant de la dépense publique
Plus généralement, nombre des chefs d’entreprises interrogés par la mission ont souligné que la diminution du niveau des dépenses publiques devenait impérative et qu’il devait être ramené à celui de la zone euro, afin de pouvoir diminuer la pression fiscale pesant sur les entreprises. M. Olivier Duha a fait remarquer que « relancer la compétitivité de notre économie et la consommation implique une diminution de cette pression fiscale et donc de la dépense publique » soulignant que la dépense publique est « de l’ordre de 57 % de notre PIB, soit 10 % de plus que dans la zone euro ». Il a estimé que si la France avait le même niveau de dépenses publiques que la zone euro, elle économiserait 170 milliards d’euros.
M. Dominique Seux a rappelé que, pour son journal Les Échos, le niveau des dépenses publiques en France ne paraissait pas tenable depuis 10 ans !
M. Louis Gallois avait également évoqué, parmi les faiblesses structurelles expliquant les difficultés des industries françaises le niveau élevé des dépenses publiques, qui entraîne une importante pression fiscale. Mais il a rappelé qu’il fallait agir avec discernement, car une grande partie de la dépense publique est orientée vers la cohésion nationale, les dépenses de la protection sociale étant égales à la somme des dépenses de l’État et de celles des collectivités territoriales.
Le Fonds monétaire international (FMI) lui-même, dans sa mission de consultation de 2012 concernant la France, fait remarquer que « la qualité de l’effort budgétaire serait améliorée si l’effort entrepris reposait davantage sur une réduction des dépenses publiques…avec un taux de fiscalité et de dépenses publiques parmi les plus élevés d’Europe, l’alourdissement de la fiscalité en 2012 et 2013 réduit encore les incitations au travail et à l’investissement et met la France dans une position de désavantage compétitif vis-à-vis de ses pairs ».
Dans son rapport public de 2013, la Cour des Comptes note que « le rapport des dépenses publiques au PIB augmenterait en France de 56 % en 2011 à 56,3 % en 2012, alors qu’il serait stable dans la zone euro (à 49,5 % du PIB) et dans l’Union européenne (à 49,1 %).
Le rapport des recettes publiques au PIB augmenterait d’un point de PIB en France pour s’établir à 51,8 % du PIB en 2012, tandis qu’il s’accroîtrait de 0,8 point dans la zone euro et l’Union européenne, pour s’établir respectivement à 46,2 % et à 45,5 % du PIB.
La réduction du déficit public en France en 2012 reposerait donc plus sur les recettes que dans d’autres pays ».
À cet égard l’annexe n°19 comparant les dépenses publiques dans les pays européens en 2010 est tout à fait éclairante.
Devant la commission des finances, le ministre de l’économie et des finances M. Pierre Moscovici a rappelé que la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques prévoyait d’ores et déjà 50 milliards d’euros d’économies sur 5 ans et annoncé la réunion d’un comité interministériel pour la modernisation de l’action publique.
Dans sa conférence de presse du 13 novembre dernier, le Président de la République a annoncé un plan d’économies supplémentaires de 10 milliards d’euros qui viendront s’ajouter aux 10 milliards déjà inscrits dans le projet de loi de finances, « ce qui représentera un effort jamais accompli depuis 50 ans », précisant qu’il ne s’agira pas de coupes aveugles mais de la « redéfinition stratégique des missions de service public ».
d) L’instabilité des règles fiscales
L’instabilité fiscale est également mal perçue.
Les chefs d’entreprises italiens ou allemands reçus par la mission l’ont souligné. Pour M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion des troubles du rythme cardiaque de Sorin SpA, une mesure fiscale doit être intégrée à une planification stratégique de long terme : la politique fiscale doit donc être simple, prévisible et stable, comme l’est le crédit d’impôt recherche. L’opinion de M. Guy Maugis, exprimée au nom de la Chambre de commerce franco-allemande, est semblable : l’attractivité de la France aux yeux des entrepreneurs allemands diminue depuis 6 ans et l’une des principales raisons en est le risque : « si l’on ajoute au risque de marché le risque fiscal et le risque social, cela fait beaucoup pour l’entrepreneur, qui choisira donc, touts choses égales par ailleurs, de s’implanter la où la sécurité est maximale ».
Pour M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, l’absence de permanence de la règle fiscale provoque de l’attentisme de la part des chefs d’entreprise qui, en tout état de cause, ne vont investir ou réduire leurs prix qu’en 2014, une fois le Crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE) effectivement perçu.
Or, comme le fait remarquer M. Pierre Gattaz (GFI), « il est facile de modifier la législation fiscale tous les six mois, mais les investissements dans l’industrie se font à l’échéance de 20 ou 30 ans ».
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (CGPME) s’est dit très attaché au « test PME » qui impose d’évaluer, pour toute mesure nouvelle, les effets qu’elle pourrait avoir sur les PME.
M. Louis Gallois a également appelé de ses vœux un choc de confiance impliquant, notamment, d’assurer un environnement favorable à l’investissement grâce à la stabilité et à la visibilité des règles. Sa première proposition est que l’État doit s’engager à ne pas modifier cinq dispositifs, au moins, au cours du quinquennat, dont quatre fiscaux : le crédit d’impôt-recherche, les règles dites « Dutreil » favorisant la détention et la transmission des entreprises, la contribution économique territoriale
M. Arnaud Montebourg a confirmé que le gouvernement avait fait le choix de stabiliser cinq grands impôts qui touchent de près la vie des entreprises : transmission, investissement, innovation et taxes locales.
B.— DES COÛTS VARIABLES SELON LES SECTEURS QU’IL CONVIENDRAIT D’OPTIMISER
Il n’est pas d’économie compétitive sans ressources énergétiques disponibles, abordables, abondantes sinon pérennes et sans infrastructures et moyens de transport performants. En matière de ressources énergétiques les pays ont longtemps été tributaires de la richesse de leur sous-sol, particulièrement des combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon) et des matières premières (uranium).
Comme pour tout autre facteur de production, une hausse des prix de l’électricité, du gaz naturel ou des produits pétroliers augmente les coûts de production des entreprises situées sur le territoire national. Dans une telle hypothèse, soit elles ne peuvent pas répercuter cette hausse sur le prix de leurs produits, ce qui réduit d’autant leurs marges qui sont déjà très faibles et réduit leur capacité d’investissement. Soit elles augmentent leurs prix, ce qui diminue le pouvoir d’achat des ménages français. Pour autant cette perte de compétitivité n’est pas inéluctable car, d’une part, la hausse des prix de l’énergie peut améliorer la compétitivité de l’économie française si celle-ci est moins intensive en énergie et, d’autre part, la hausse des prix de l’énergie peut entraîner un redéploiement des activités vers des procédés moins consommateurs en énergie et accélérer le développement d’une « économie verte » potentiellement créatrice d’emplois, à la condition que des filières françaises soient à même de s’imposer sur ces nouveaux marchés.
La situation française en ce domaine est porteuse de quelques avantages, fruits de la politique ambitieuse menée à compter de 1945, en dépit des incertitudes liées à la transition énergétique et à la nouvelle donne mondiale des hydrocarbures.
Les activités de transport et de logistique sont, elles aussi, particulièrement structurantes pour l’économie puisque tous les secteurs d’activité ont plus ou moins recours à ces services. Les coûts de livraison et d’acheminement pèsent d’ailleurs lourdement dans les comptes d’exploitation de certaines entreprises. Le fait que ces activités aient souvent été considérées essentiellement sous l’angle de leur impact sur l’environnement a considérablement alourdi les contraintes et les coûts.
Les fluctuations et l’inéluctable augmentation du prix des carburants et la future « écotaxe » routière vont contraindre les entreprises de transport à répercuter ces coûts supplémentaires sur leurs clients français, ce qui pèsera inévitablement sur la compétitivité de ces entreprises. Le dumping social et salarial existant entre transporteurs intra-européens ne peut constituer la solution.
1. Une facture énergétique élevée en dépit d’atouts à préserver
Selon les données figurant dans le rapport « énergies 2050 » (24), la production nationale d’énergie primaire (25) s’est élevée en 2010 à 138,6 Mtep (26). Le nucléaire assure à lui seul 80 % de cette production, mais la production d’origine renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque, énergie renouvelable thermique, déchets) est en forte hausse depuis le début des années 2000 et atteint désormais 22,7 Mtep. En revanche, la production nationale d’énergies fossiles classiques (pétrole, charbon, gaz naturel) est faible mais stable à 2,5 Mtep, soit l’équivalent de seulement cinq jours de consommation finale.
Dans la mesure où la consommation totale d’énergie primaire de notre pays se situe aux alentours de 260 Mtep, il est nécessaire d’importer près de la moitié de notre consommation énergétique. Le solde importateur d’énergie primaire qui en découle est donc lui aussi stable, aux alentours de 130 Mtep depuis le début des années 2000. Les importations sont constituées de charbon, pétrole brut, produits pétroliers raffinés et gaz naturel. Les exportations se composent principalement de produits pétroliers raffinés et, dans une moindre mesure, d’électricité.
a) L’augmentation du coût des énergies fossiles
La facture énergétique de la France est structurellement déficitaire et se situe chaque année à un niveau proche de celui du déficit commercial. Ainsi le solde négatif des échanges en matière d’énergie s’est élevé à 48 Mds € en 2010 (déficit de la balance commerciale de 52 Mds €), 62,4 Mds € en 2011 (déficit de 74 Mds €) et 69 Mds € en 2012 (déficit de 67,1 Mds €).
La plus lourde charge concerne, de très loin, les échanges de produits pétroliers et en particulier les importations de pétrole brut. Les cours du pétrole sont sujets à une grande volatilité : en 2008, les prix ont flambé, atteignant une moyenne de 100 dollars, et même 150 dollars en juillet. En pleine crise économique, en 2009, le cours est retombé à 60 dollars le baril. En 2011, la facture pétrolière de la France s’est élevée à plus de 50 Mds €, en hausse de 14 milliards (+ 37 %) par rapport à 2010. Cette forte progression de la facture pétrolière est liée à l’envolée du prix du Brent, passé de 79 $/baril en moyenne en 2010 à plus de 111 $/baril en 2011 (+ 40 %). Mécaniquement, le prix du brut importé et ceux des produits raffinés ont progressé respectivement, de 34 % et 29 % (prix moyens CAF à l’importation en €/t). À noter toutefois que la France importe deux fois moins de pétrole en 2011 qu’en 1973.
Cette évolution quelque peu erratique mais néanmoins haussière du cours du pétrole a été rappelée par Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini, « il a atteint 150 dollars par baril en 2008 avant de retomber aujourd’hui aux alentours de 100 dollars – ce qui reste néanmoins élevé : le baril était à 20 dollars en 2002. » (27). Si le prix du pétrole demeure élevé et volatil sur le court terme, M. Patrick Artus a indiqué à la mission que ce prix pourrait être revu rapidement à la baisse en raison d’une diminution prévisible des importations de la part des États-Unis et de la faiblesse de la croissance économique mondiale. Selon lui, « les prévisions qui nous annonçaient un baril à 200 dollars en 2020 sont totalement démenties. Le cours actuel de 100 dollars ne tient qu’en raison de la politique de baisse de la production de l’Arabie saoudite, qui a besoin de maintenir le cours à un niveau artificiellement élevé pour financer ses dépenses. Dans un marché véritablement concurrentiel, ce cours se serait effondré, s’établissant probablement aux alentours de 30 dollars le baril. (28)»
Dans le secteur industriel, c’est le gaz naturel, consommé à la fois comme source d’énergie et comme matière première, qui constitue la principale ressource énergétique utilisée. Bénéficier d’un prix du gaz compétitif est donc un enjeu particulièrement important pour l’industrie française, notamment pour le secteur de la chimie, qui représente le tiers du gaz consommé dans l’industrie, dont 40 % en tant que matière première. Effet de la crise économique, la consommation d’énergie brute dans l’industrie manufacturière hors IAA et hors scieries (29) s’est élevée en 2011 à 29,7 millions de tonnes-équivalent pétrole (TEP), hors carburants, soit une baisse de 2,6 % par rapport à 2010. Malgré la baisse des consommations, la facture énergétique du secteur industriel a continué d’augmenter en 2011, sous l’effet d’une hausse des prix des énergies. Elle s’est ainsi élevée à 12,4 milliards d’euros (+ 7,5 %), soit un montant proche de celui de 2008, pour une consommation bien inférieure.
Le gaz naturel et l’électricité sont, de loin, les produits énergétiques les plus consommés par l’industrie française, ainsi que l’illustre le graphique suivant :
Selon les études régulièrement actualisées par l’entreprise spécialisée NUS Consulting Group (30), le prix moyen du kWh de gaz en France se situait en 2012 à 3,34 centimes d’euros contre 4,29 centimes d’euros en Allemagne et 1,47 centime d’euros aux États-Unis. Comme l’indique le rapport du Centre d’analyse stratégique précité, « l’évolution des prix du gaz est tout aussi incertaine mais avec trois marchés qui fonctionnent avec des logiques distinctes et des niveaux de prix actuellement fortement contrastés : Europe, Amérique, Asie. Le marché américain est marqué par la véritable révolution que constitue l’exploitation des gaz de schiste. (31)». Les gaz non conventionnels américains ont eu pour effet de maintenir les prix de marché de court terme (« spot ») à des niveaux historiquement bas depuis 2009. En Europe, au contraire, les prix spot sont orientés à la hausse. Ils restent néanmoins inférieurs aux prix des contrats long terme : indexés majoritairement sur les produits pétroliers, ceux-ci suivent mécaniquement l’évolution haussière de ce marché.
b) La compétitivité de l’électricité d’origine nucléaire ne doit pas masquer les difficultés rencontrées par les entreprises électro-intensives
En raison de l’importance économique et stratégique que représente la production d’électricité et pour préserver autant que faire se peut son indépendance, notre pays s’est doté d’une importante industrie de production d’électricité d’origine nucléaire. La filière nucléaire a permis de développer des technologies innovantes et un savoir-faire mondialement reconnu. La part conséquente de l’électricité d’origine nucléaire dans la production nationale, 75 % à l’heure actuelle mais devant être réduite à 50 % à l’horizon 2025, explique le coût modéré de l’électricité domestique et constitue un avantage comparatif pour nombre d’entreprises.
La forte compétitivité de l’électricité produite en France est un incontestable atout pour notre économie et particulièrement pour les entreprises industrielles. Comme l’a souligné Mme Colette Lewiner, « grâce au nucléaire l’électricité produite en France est parmi les moins chères d’Europe. Ainsi, le prix de l’électricité fournie aux entreprises (à l’exclusion des grandes entreprises très fortement consommatrices d’énergie) est plus élevé de 60 % en Allemagne.» (32)
Pour la plupart des activités industrielles, le prix de l’énergie n’est qu’un paramètre parmi d’autres, dont l’effet sur la marge des entreprises est encore faible voire résiduel. Pour autant les évolutions liées à la libéralisation du secteur initiée par l’Europe aboutissent à un renchérissement significatif du coût de l’électricité pour les entreprises les plus consommatrices, dans les secteurs, dits « énergo-intensifs ».Quatre secteurs industriels représentent les deux tiers du total de la consommation d’énergie industrielle. Il s’agit de la chimie (26 %), de la sidérurgie (16 %), de l’agro-alimentaire (14 %) et du papier et carton (10 %).
Répartition par secteurs de la consommation d’énergie de l’industrie française en 2009 ( %)
Source : Enquêtes EACEI (INSEE et SSP), calculs SOeS. Syndicat français de l’industrie cimentière (Sfic) pour l’industrie des chaux et ciments.
Avec la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi NOME) (33), les tarifs réglementés de vente pour les grandes et moyennes entreprises, seront supprimés au plus tard le 31 décembre 2015. Pour satisfaire les exigences posées par le droit communautaire, elles seront contraintes de se fournir sur le marché, sans disposer de solutions alternatives.
Certaines entreprises électro-intensives bénéficient de contrats de long terme avec le fournisseur historique. Ces contrats dits « historiques » permettaient à ces entreprises de s’assurer un prix de l’électricité stable et bon marché, mais de tels contrats sont désormais en voie d’extinction, là encore pour respecter la réglementation européenne. Les industriels des pays hors de l’Union européenne, eux, continuent de s’approvisionner sur la base de contrats de long terme, qui sont particulièrement adaptés à leur activité.
Pour contourner l’impossibilité de conclure des contrats de long terme, les entreprises électro-intensives ont décidé de mettre en place un projet alternatif dénommé Exeltium. En contrepartie d’un investissement en propre, au côté d’EDF, dans le développement du futur parc nucléaire français, elles devaient avoir accès, sur le long terme, à un prix de l’électricité compétitif garanti. Alors que la levée du financement de cet investissement s’est faite dans des conditions particulièrement coûteuses – du fait de la crise financière –, les industriels électro-intensifs français constatent aujourd’hui que le prix de l’électricité fournie par Exeltium est proche des prix de marché (de 47 à 50 €/MWh). Leurs concurrents qui n’ont pas fait l’effort d’apporter du capital peuvent se fournir, via l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), à un prix inférieur (de l’ordre de 42 €/MWh), qui reflète les coûts d’un parc nucléaire historique déjà amorti.
Cette situation est préjudiciable aux industriels électro-intensifs français à un double titre. D’une part les entreprises françaises n’ont aucune assurance quant au prix futur de l’ARENH (34), d’autre part l’accès à l’ARENH est limité pour les industriels électro-intensifs membres du consortium Exeltium car, aux termes de l’article L. 336-4 du code de l’énergie, les droits à l’ARENH viennent en déduction des quantités d’énergie auxquelles les partenaires du consortium peuvent prétendre. De plus les contrats d’approvisionnement du consortium sont dépourvus de montant de garantie de capacité contrairement au dispositif ARENH. La proposition de loi « visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes » (35) propose d’établir le même traitement entre la fourniture de l’électricité par le dispositif ARENH et par Exeltium.
M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema numéro un français du secteur de la chimie et membre fondateur d’Exeltium, a indiqué devant la mission (36) qu’il est « urgent de restructurer cet outil, sur la compétitivité duquel la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt prévue par la loi de finances pour 2013 aura de lourdes conséquences. Nous nous demandons donc pourquoi Exeltium, qui était conçu pour être compétitif, n’est pas exempté d’une telle mesure de limitation, d’autant que le prix de l’énergie qu’il fournit se répercute directement sur la compétitivité des sites qui en dépendent. »
D’une manière plus générale, M. Thierry Le Hénaff a relevé que « l’Allemagne met par ailleurs en œuvre un certain nombre de mesures très favorables, qui requièrent toute notre vigilance car une différence est en train de se créer de part et d’autre du Rhin, s’agissant de l’accès à l’électricité des grands consommateurs électro-intensifs. Pour ceux-ci, l’avantage en faveur de l’Allemagne atteint aujourd’hui 20 %, alors que la situation était inverse il y a quelques années. Le coût de l’électricité, souvent encore perçu comme un avantage français, risque ainsi de devenir un handicap de compétitivité par rapport à des pays tels que l’Allemagne ou les États-Unis. (37)»
Cette crainte est également celle de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) qui estime que l’Allemagne protège ses très grands industriels exportateurs qui bénéficient d’un taux d’exemption des frais de transport pouvant atteindre jusqu’à 80 % (38). De plus, l’« interruptibilité » ou « l’effacement », c’est-à-dire la capacité des entreprises à baisser leur charge à la demande en période de grand froid, est mieux rémunérée en Allemagne qu’en France. L’UNIDEN considère donc que les « électro-intensifs » allemands paient l’électricité 25 % moins cher qu’en France. La légalité des aides ainsi accordées, particulièrement l’exonération de la taxe sur les réseaux, pourrait toutefois être mise en cause par des recours introduits par des associations de consommateurs allemands et par la Commission européenne qui vient d’ouvrir une enquête pour distorsion de concurrence à cet égard.
COMPARAISON DU PRIX DE L’ÉLECTRICITÉ POUR LES INDUSTRIELS
EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
e/MWh |
Commentaire | |||
Allemagne |
Fr |
Fr Exeltium |
||
Énergie |
48,5 |
42,3 |
47 |
- Allemagne : prix marché Allemagne 2013 coté depuis 01 juin 2012 |
Transport |
- |
6 |
6 |
- Allemagne : exemption 7 000 h - France : Turpe 4 = prix pour utilisateur 7 500 h (moyenne HTB1-HTB2) |
Taxes/CSPE |
0,5 |
1 |
1 |
- Allemagne = EEG plafonnée à 0.5 €/MWh et exemption KWG - France = plafonnement CSPE (600 k€) + TICFE - exemptée à 80 % = 1 € |
Interruptibilité |
De -2,5 à-7 |
- |
- |
L’Allemagne travaille actuellement à la mise en place d’un mécanisme de rémunération de l’interruptibilité industrielle |
Compensation CO2 indirect |
-5 |
- |
- |
Les EU ¨guidelines¨ laissent la possibilité aux États membres de compenser le C02 intégré dans le prix de l’électricité |
Total |
37 à 41,5 |
49,3 |
54 |
Source : UNIDEN
c) Les incertitudes du mix énergétique et des nouvelles techniques d’extraction.
Notre pays doit bien entendu poursuivre la mutation du mix-énergétique en développant les énergies renouvelables et en renforçant l’efficacité énergétique. Il s’agit là d’engagements européens structurants et nécessaires pour diminuer les atteintes à l’environnement. Pour autant, il faut remarquer que la donne énergétique mondiale a connu récemment une évolution conséquente avec l’exploitation en masse des gaz non conventionnels aux États-Unis. À court terme, le coût du gaz a été fortement baissé pour les industries américaines, ce qui peut conduire les industriels européens à privilégier le développement de capacités nouvelles aux États-Unis, dans l’industrie chimique notamment (39). Sur le plus long terme c’est l’équilibre géostratégique lié à l’autosuffisance américaine par rapport aux pays producteurs de pétrole qui est conduit à se modifier.
La notion de transition énergétique consiste à faire évoluer notre modèle basé essentiellement sur des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) pour promouvoir progressivement la production d’énergies renouvelables et émettre ainsi moins de CO2. L’accident de Fukushima, au Japon, a accentué le mouvement en faveur des énergies renouvelables. Ainsi, les projections des différents pays européens pour 2025 font apparaître une diminution de la part du nucléaire, du charbon et du lignite et une augmentation des énergies renouvelables et du gaz. Le développement de l’énergie nucléaire est important en Asie, mais il est ralenti en Europe car un certain nombre de pays européens (dont la France et surtout l’Allemagne) souhaitent diminuer la part qu’il représente dans leur production d’électricité.
La France bénéficie d’un pôle d’excellence internationalement reconnu en matière de recherche dans ce domaine. L’IFP énergies nouvelles (IFP-EN), ancien Institut Français du Pétrole, contribue à développer les technologies et matériaux du futur dans les domaines de l'énergie, du transport et de l'environnement. Il doit apporter aux acteurs publics et industriels de l'énergie des solutions innovantes pour une transition maîtrisée vers les énergies propres et sûres, les matériaux de demain, plus performants, plus économiques, plus respectueux de la santé et durables. L'institut travaille par exemple sur le captage/stockage et la valorisation du CO2, sur la production de biocarburants (1ère, 2ème et 3ème générations), sur l'électrification des véhicules ou encore sur la mise en place d'éoliennes offshore flottantes.
Selon les experts auditionnés, cette évolution sera coûteuse. Votre rapporteur pense que ce choix n'en est pas un. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut aller ou non vers une transition énergétique : il s'agit plutôt d'admettre qu'elle est inéluctable et que la question est d'en mesurer le rythme et le calendrier. D'autant qu'un ajustement adéquat peut être source d'avantages compétitifs à l'avenir si l'on arrive à combiner engagements à consommer moins et mieux, stratégie industrielle et filières innovantes.
En ce qui concerne tout d’abord notre pays, où l’on envisage de ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025, Mme Colette Lewiner a souligné que « parmi les modes de production de l’électricité, l’hydraulique est certes le moins onéreux, mais on ne peut guère envisager de construire plus de barrages. Ensuite viennent, dans l’ordre, le nucléaire, le charbon, le gaz, l’éolien terrestre, l’éolien maritime et le solaire. L’éolien terrestre commence à pouvoir être compétitif, puisque son coût de production – 80 euros par kilowattheure – est du même ordre de grandeur que le coût prévu pour l’électricité produite par le nouveau réacteur EPR de Flamanville. » (40)
Selon l’union française de l’électricité (UFE) qui rassemble les producteurs d’électricité, il faudrait investir 590 milliards d’euros d’ici 2030 pour réaliser la transition énergétique décidée par le Président de la République François Hollande (dont 422 milliards pour le système électrique et 170 milliards pour les efforts d’efficacité énergétique) (41). L’augmentation du coût de l’électricité serait de 30 à 40 euros par Mégawattheure, soit l’équivalent de l’augmentation consécutive au Grenelle de l’environnement. Le différentiel avec l’Allemagne resterait toutefois en notre faveur.
Les choix allemands sont en effet très différents en ce domaine. Parallèlement à l’abandon total du nucléaire prévu en 2022, l’Allemagne entend poursuivre sa politique de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, donc augmenter la part des énergies renouvelables. Comme l’a indiqué Mme Colette Lewiner, elle ne se heurte pas tant à un problème de production, puisqu’elle a remis en service des anciennes centrales au charbon et, encore plus polluant, au lignite, qu’à un problème de transport électrique : les sites éoliens qu’elle veut continuer de développer sont en mer ou sur les côtes, dans le nord, alors que la consommation industrielle, notamment pour l’automobile, est plutôt concentrée dans le sud. Or il est très difficile aujourd’hui de construire des lignes électriques à haute tension car la population y est hostile. Mme Colette Lewiner a souligné que « le coût de la transition énergétique en Allemagne a été estimé au départ à 400 milliards d’euros, dont la moitié pour les réseaux. La transition énergétique, ce n’est pas seulement remplacer des centrales nucléaires par des éoliennes ; cela implique aussi de revoir entièrement le réseau. Siemens avance pour sa part le chiffre de 1 000 milliards d’euros, un spécialiste allant même jusqu’à 2 000 milliards, soit le coût de la réunification allemande ! Le prix de l’électricité payé par les industriels pourrait augmenter de 70 % d’ici à 2025. » (42)
En regard de ces coûts qui peuvent peser lourdement sur la compétitivité des entreprises, la question se pose de l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels. Cela est particulièrement vrai pour les gaz non-conventionnels. Dans la plupart des scenarii de transition énergétique, la part du gaz connaît en effet une évolution positive ou, à tout le moins, demeure stable.
Mme Colette Lewiner a largement abordé ce sujet devant la mission. Préférant parler de « gaz d’argile » plutôt que de « gaz de schiste », elle a rappelé que « c’est en 1970 que le Département Américain de l’Énergie, voyant que les réserves de gaz des États-Unis allaient baisser, a décidé de travailler sur le fracking (fracturation hydraulique), déjà utilisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les puits verticaux classiques. La technique développée consiste à injecter dans la roche un mélange d’eau et de sable additionné de polymères qui permettent de reconstituer la roche. Depuis qu’une petite société texane a mis au point, en 1998, ce mélange nommé slick water (eau visqueuse), l’exploitation des gaz de schiste s’est développée de manière fulgurante aux États-Unis. En 2010, elle représentait 20 % de la production totale de gaz dans ce pays. »
Les États-Unis possèdent et exploitent également du pétrole de schiste issu des schistes bitumineux. Selon, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) (43), ils deviendraient ainsi en 2020 le premier pays producteur de pétrole, dépassant l’Arabie saoudite et devenant autosuffisants à la fois en gaz et en pétrole. Toutefois, contrairement aux gaz de schistes, l’exploitation des schistes bitumineux a un coût de revient dans la fourchette supérieure de l’exploitation pétrolière et répond d’abord à une logique d’indépendance énergétique plus que de compétitivité. Son développement se heurte néanmoins à de fortes résistances, qui se cristallisent par exemple autour de l’oléoduc Keystone XL.
Il s’agit donc d’une nouvelle donne et, même d’une véritable révolution selon Mme Colette Lewiner (44) : « Bref, s’il y a eu une révolution dans l’énergie au cours des vingt dernières années, c’est bien celle du gaz et du pétrole non conventionnels. Le prix du gaz des contrats européens de long terme est trois fois supérieur au prix du gaz au États-Unis, où les industries énergétivores comme la chimie ou les engrais bénéficient d’un avantage compétitif considérable. Les Américains estiment qu’ils ont créé 600 000 emplois grâce aux gaz de schiste. »
C’est également l’avis de l’économiste Patrick Artus qui considère que « la baisse du coût de l’énergie aux États-Unis est un phénomène considérable, comparable en ampleur au début de l’exploitation du charbon dans le Royaume-Uni des années 1820. En outre, cette évolution se fait sans rencontrer d’obstacle d’ordre environnemental puisqu’on passe du charbon au gaz, ce qui divise par deux les émissions de CO2. ». Il faut donc s’attendre selon lui « à une réindustrialisation massive de l’Amérique du nord grâce à une énergie à faible coût, qui plus est écologiquement vertueuse. (45)»Votre rapporteur considère que la vertu écologique de l'exploitation des gaz de schiste reste encore à démontrer, leur exploitation ne pouvant in fine que contribuer au relâchement de gaz à effet de serre (46). Par ailleurs, les entreprises investies dans ce domaine aux États-Unis profitent de dispositifs fiscaux de l’État fédéral (47).
Le débat autour de ce type d'exploitation est lié à une réflexion quant à la compétitivité des industries concernées au premier chef par ces matières premières. Or, il apparaît qu’un grand différentiel de compétitivité s’est formé entre l’Europe et les États-Unis. Mme Colette Lewiner a rappelé lors de son audition que, « selon une étude commanditée par des industriels allemands, les prix de l’électricité devraient augmenter de 90 (aujourd’hui) à 98-110 euros par Mégawattheure en 2020 en Allemagne, alors que cette augmentation ne serait que de 48 à 54 euros aux États-Unis. L’électricité deviendrait deux fois plus chère pour les industriels allemands alors qu’ils sont exportateurs et en concurrence directe avec les industriels américains. (48) ».
Cette nouvelle configuration est étudiée de près par les industries fortement consommatrices de cette ressource, comme matière première et comme source d’énergie, et oriente leurs futurs investissements. C’est l’analyse présentée par Thierry Le Hénaff, Président-Directeur général d’Arkema, qui observe très concrètement ce phénomène et en mesure la portée dans son secteur d’activité : « Le développement des gaz non conventionnels procure un indéniable avantage compétitif aux États-Unis : nous le constatons tous les jours, puisque nous y achetons du gaz et de l’électricité. Cet avantage se ressent aussi, de façon très sensible, sur le prix de revient des produits dérivés du gaz, comme certains plastiques, dont les exportations sont amenées à se développer. C’est là un point d’importance pour la pétrochimie et les fabricants de ces plastiques en France. En Europe, le prix du gaz relève de deux mécanismes : une formule industrielle d’une part, indexée sur le prix du pétrole brut, et le prix spot, apprécié à Zeebrugge. Selon que l’on se réfère à l’un ou l’autre de ces niveaux de prix, la différence entre le prix du gaz entre les États-Unis et l’Europe peut atteindre un rapport de 1 à 3, voire 1 à 4. » (49).
Toutefois, des voix se font entendre, notamment aux États-Unis, pour mettre en garde sur l’emballement concernant cette ressource. Dès 2011 le New York Times (50) a alerté sur des surestimations du rendement des exploitations et le volume des gisements. En effet, depuis 2009, la Securities and Exchange Commission (SEC) autorise les compagnies à chiffrer leurs réserves sans vérification par une institution indépendante (51). Le directeur de l’Institute for Policy Resarch and Development de Brighton, M. Nafeez Mosaddeq Ahmed, rappelle la décroissance rapide du rendement des gisements après leur mise en exploitation, ce qui incite à multiplier de manière rapide le nombre de forages de façon à dégager suffisamment de liquidités, alors même que la croissance rapide de l’exploitation a fait chuter les cours (52), rendant la dette de sociétés ayant fortement investi difficilement supportable. M. Ahmed met en garde contre une « bulle gazière » (53), dont les premiers effets sont perceptibles sur des sociétés leaders du secteur comme Chasepeake (54), ce qui devrait se traduire selon lui par une correction et une réévaluation des prix du gaz aux États-Unis, rendant le différentiel avec notre continent moins prononcé qu’aujourd’hui.
Les questions qui se posent avec une incontestable acuité à notre pays face à cette situation sont de deux ordres. Il s’agit tout d’abord de savoir si nous pouvons durablement maintenir une position d’interdiction totale d'exploration et d'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique conformément à l’article 1er de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011. (55) Cet article dispose qu’« en application de la Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. ». De leur côté, les pays d’Europe orientale dont l’approvisionnement en gaz dépend à 100 % de la Russie envisagent sérieusement cette possibilité, la Pologne et l’Ukraine notamment. Ces pays se rappellent qu’il y a quelques années l’opérateur russe gazier (Gazprom) avait fermé les robinets de gaz en plein hiver ! L’exploitation des gaz de schiste représente pour eux une possibilité d’amélioration conséquente de leur indépendance énergétique. L’Allemagne et la Grande-Bretagne, pour leur part, ont lancé des études pour examiner les conditions d’exploration et d’éventuelle exploitation qui seraient régies par des lois spécifiques. En Europe, seules la Roumanie, la Bulgarie et la France interdisent de telles initiatives.
Par ailleurs, l’expert pétrolier Jean-Louis Schilanski, président de l’Union française des industries du pétrole, considère qu’en raison des différences de densité et de législation environnementale les coûts d’exploitation en France seraient nettement supérieurs à ceux des États-Unis (56). De même, M. Janez Potocnik, Commissaire européen chargé de l’Environnement, pense que : « la structure géologique du continent européen ne ressemble en rien à celle des États-Unis et (que) ces derniers disposent de beaucoup plus d’infrastructures pour le forage, le transport et le stockage. L’Europe est aussi handicapée par des questions d’accès aux terrains. » (57)
La seconde interrogation porte sur le niveau pertinent d’élaboration d’une telle politique. À l’heure actuelle l’Union européenne ne joue pas un rôle majeur dans ce débat, se bornant aux dires du commissaire chargé de l’environnement, M. Janez Potocnik, « à s’assurer qu’il n’y ait pas de danger pour la santé publique et l’environnement » (58) en cas d’exploration ou d’exploitation de réserves de gaz de schiste. M. Louis Gallois, dans son rapport (59), suggérait, lui, que la France puisse, conjointement avec l’Allemagne, prendre l’initiative de proposer à ses partenaires européens un programme sur ce sujet.
Votre rapporteur tient à souligner l’existence d’un véritable paradoxe français dans le domaine des gaz de schiste. En effet, d’un côté le législateur est intervenu pour interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et, de l’autre, plusieurs grands groupes français comme Total, CGGVeritas (leader dans les domaines de la géophysique et de la sismique), l’entreprise minière Imerys ou Vallourec ont des positions fortes « à l’international », y compris aux États-Unis, sur le marché des gaz de schiste et des techniques concernant tant son exploration que sa production.
La recherche pour développer ou perfectionner des techniques moins agressives que l’actuelle facturation hydraulique et de réduire les taux de fuites, pourrait néanmoins faire évoluer le débat. Les expérimentations en cours sur le gaz de houille en Lorraine et les permis récemment accordés par la Ministre de l’Environnement pour la géothermie profonde (aux techniques voisines de la fracturation hydraulique) (60) permettront le moment venu de pouvoir, si nécessaire, reconsidérer le choix français actuel.
Il n’appartient pas à la mission d’adopter une position définitive sur ce sujet complexe qui touche aussi bien à l’indépendance énergétique du pays qu’à la soutenabilité de ce type d’exploitation pour le sous-sol, les nappes phréatiques et l’environnement d’une manière générale. Mais consciente des enjeux économiques potentiels pour plusieurs filières industrielles, la mission approuve le fait que la recherche sur de possibles techniques d’exploitation des gaz de schistes préservant à long terme l'environnement soit poursuivie. Les travaux que vient d’engager l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (61) pourront contribuer utilement au débat
Par ailleurs, la renégociation des contrats à long terme de gaz indexés sur le cours du pétrole présente des possibilités de gains de coûts à explorer.
Votre rapporteur considère que, même si elle était techniquement possible dans notre pays, l’apparition d’une telle source d’énergie fossile bon marché risquerait fort d'avoir un impact négatif pour nos entreprises engagées dans les énergies renouvelables. L'exemple du secteur des panneaux photovoltaïques promu par le « Grenelle de l’Environnement », puis privé brutalement de soutien, démontre que la base industrielle et le savoir-faire perdus sont difficiles à recréer une fois les coûts ajustés.
À moyen terme, l’effet « économiquement dopant » des gaz des schistes pourrait aussi se révéler contre-productif (62), empêchant la baisse de la dépendance de la France aux énergies fossiles et à ses conséquences en cas de hausse des cours pétroliers. Le recours aux gaz de schistes avant que les énergies renouvelables nouvelles n’aient atteint une taille critique pourrait donc avoir un effet négatif, là où l’Allemagne privilégie la stabilité et une vision de long terme.
Il ne faudrait donc pas que la croyance en un nouveau Graal énergétique – les gaz non-conventionnels – obère la nécessaire transition de notre pays vers l'utilisation d'énergies renouvelables à coût maîtrisé et une baisse de notre consommation énergétique, notamment dans le bâti et les déplacements automobiles.
2. La logistique et les transports, des enjeux de compétitivité au-delà des coûts
Que la qualité des infrastructures de transport soit un atout majeur pour la compétitivité et l’attractivité d’un territoire est une évidence et la France n’est pas dépourvue d’atouts en ce domaine. D’ailleurs depuis la création du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées en 1716 puis la mise en place d’une formation spécifique à ce corps, via la création d’une école nationale en 1747, la qualité des routes françaises est unanimement saluée. Déjà, lors de ses voyages en France entrepris entre 1787 et 1790, l’agronome britannique Arthur Young (63) ne manquait pas de relever la qualité et la beauté des routes françaises qu’il comparait à la médiocrité de nos infrastructures portuaires.
Cette donnée reste valable aujourd’hui, comme l’indique le tableau de bord de l’attractivité de la France que publie l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) : « le site France se caractérise par des infrastructures de transport de grande qualité, offrant des connexions rapides et efficaces avec le reste du monde, en particulier l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. » (64)
Pour autant, comme l’a souligné M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR), lors de son audition, « la France, à la différence des Pays-Bas, par exemple, n’a jamais eu de grandes ambitions en termes de transport, alors qu’elle dispose d’un très vaste territoire. Elle n’a pas suivi non plus l’exemple allemand, qui s’appuie, d’une part sur des ports très solides, d’autre part sur un maillage logistique et des transports terrestres performants ». (65).
Des industriels auditionnés ont également fait part de leurs attentes en ce domaine. M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe chimique Arkema a relevé que « les transports constituent un autre point de vigilance : qu’il s’agisse du fret ferroviaire, des ports, des pipelines ou de la route, certaines évolutions suscitent des inquiétudes. » (66)
Bien entendu à l’ère de la globalisation et de l’immédiateté, les infrastructures de transport comprennent également les autoroutes numériques du réseau internet. Comme l’ont souligné de nombreux rapports parlementaires (67), le déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire constitue une opportunité à saisir pour la compétitivité de nos entreprises et plus largement pour le développement de nouveaux services pour l’ensemble de la population. La récente décision du gouvernement de mobiliser 20 Mds€ d’investissements publics et privés sur une période de dix ans va dans ce sens. Ce plan permettra de connecter sur une période de dix ans 100 % des foyers au très haut débit, avec un premier objectif de 50 % et à la fin du quinquennat en 2017.
Pour s’en tenir au transport de marchandises physiques dont l’intensification va de pair avec l’expansion du commerce international, il n’est sans doute pas exagéré de parler de maillon faible au sein de la chaîne de production et de distribution de notre pays. Le constat vaut en premier lieu pour la logistique.
a) La logistique, un élément de compétitivité trop négligé
Avant d’être un objet d’aménagement du territoire, la logistique est une composante essentielle de l’organisation, de la gestion et de la stratégie des entreprises, qui a pour objectif de mettre en place l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation d’un produit ou d’un service et à sa commercialisation, et à la qualité de service, notamment après-vente (68).
C’est une démarche qui a pour objet de gérer les flux physiques et d’information, afin d’assurer la coordination et la synchronisation des rythmes entre les clients, la production et les fournisseurs, pour mettre à disposition au moindre coût, les marchandises demandées, dans la quantité et la qualité définies, tout en minimisant le niveau des stocks.
Selon l’Association française pour la logistique (ASLOG), « elle concerne toutes les opérations déterminant le mouvement des produits telles que la localisation des usines, des entrepôts, l’approvisionnement, la gestion physique des en-cours de fabrication, l’emballage, le stockage, la gestion des stocks, la manutention et la préparation des commandes, le transport et les tournées de livraison. » (69)
Elle dépasse donc très largement les fonctions de transport et d’entreposage, qui sont essentielles, mais sont loin d’être les seules dans le processus logistique. Elle inclut de ce fait la maîtrise des opérations de gestion de l’information, qui sont décisives pour la réalisation d’une logistique efficace. M. Jean-Paul Deneuville, (FNTR), l’a souligné lors de son audition, « une chaîne logistique n’est efficace que si chaque maillon de la chaîne est optimisé : une logistique de transport ne peut se concevoir que du premier au dernier kilomètre » (70).
Mais quel est le poids économique de la logistique ?
M. Philippe Duong, directeur du cabinet spécialisé Samarcande, définit la logistique comme l’intermédiaire entre l’économie et le transport. Il a estimé lors d’une audition à l’Assemblée, que « les coûts de logistiques représentent 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros dans notre pays. Ces coûts constituent donc un enjeu considérable pour la compétitivité de l’économie et ils pourraient d’autant plus facilement être abaissés qu’il s’agit d’une activité non-délocalisable (71)».
Votre Rapporteur souligne l’importance de rechercher une meilleure efficacité logistique pour améliorer la compétitivité des entreprises. À cet égard, une concentration des activités va incontestablement dans le sens d’une massification des flux et donc d’une optimisation des transports.
Dans ce domaine, il semble que les orientations prises par l’Allemagne en matière de fret méritent d’être regardées attentivement. Ainsi, toujours selon M. Philippe Duong, « dans sa politique de fret, l’Allemagne a une vision cohérente : un plan logistique national décliné en volets ferroviaire, fluvial et portuaire extrêmement efficaces. Le rail et les canaux desservent notamment à la perfection les ports de Hambourg et de Brême. Cette articulation de la stratégie industrielle, exportatrice, entre le Bund et les Länder n’existe pas en France. S’il y a un bon exemple à prendre en Allemagne, c’est certainement celui-ci, plus encore que dans la thématique de la compétitivité. C’est un enjeu essentiel pour maintenir à flot notre économie et notre industrie dans les territoires. » (72)
b) Un secteur des transports fragilisé n’est pas sans conséquences sur l’ensemble de l’économie
Les différents modes de transport sont complémentaires et non-concurrents comme on a trop souvent tendance à le penser. Comme le souligne l’ASLOG, « il n’est guère possible d’imaginer que chacun disposera d’un terminal ferré à sa porte. Certes le fluvial est en plein développement mais il est impossible d’envisager de détourner un bras de la Seine vers chacune des liaisons en région parisienne. On ne peut donc pas jouer l’opposition entre les modes de transport. On ne peut jouer que leur complémentarité car le transport routier est le mode de transport leader de par sa flexibilité et son atout à pouvoir livrer les marchandises destinées aux clients finals sur le dernier kilomètre. Toute la question est de savoir comment utiliser au mieux chacun de ses modes. »
Le secteur du transport routier est en effet un acteur économique de première importance. Il représente 87 % du transport de marchandise contre 11 % pour le transport ferroviaire et 2 % pour le transport fluvial. La route reste le moyen le plus flexible, le plus fiable, et le plus réactif en dépit d’un prix au km parcouru de plus en plus onéreux compte tenu de l’augmentation du prix du gazole.
Ainsi que l’a rappelé M. Jean-Paul Deneuville (FNTR), il s’agit effectivement d’un secteur économique de première importance : « le secteur du transport et de l’entreposage compte environ 90 000 entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros et dégageant une valeur ajoutée d’environ 80 milliards d’euros. Le transport routier seul représente 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour une valeur ajoutée de 40 milliards d’euros. La filière « poids lourds » dans son ensemble, c'est-à-dire du constructeur à l’utilisateur, représente 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus d’un million d’emplois en France. (73)» Il s’agit en outre de l’un des tout premiers pourvoyeurs d’emplois « ouvriers » en France, puisqu’il se situe dans les cinq premiers secteurs employeurs.
L’année 2012 a été celle d’un nouveau choc énergétique pour ce secteur, avec une augmentation du prix du gazole de 9 %, après une hausse de 16,5 % du prix de l’énergie en 2011. Le poste carburant représentant 25 % des coûts, cette augmentation aura, aux dires de ses représentants, un impact très significatif sur l’équilibre du secteur.
M. Jean-Paul Deneuville considère, en outre, que les entreprises françaises de transport routier évoluent « dans un contexte de concurrence fiscale et sociale très inégalitaire », qui leur « vaut un lourd déficit de compétitivité, en particulier par rapport à nos voisins immédiats. » Selon lui, « l’heure de conduite coûte 30 % moins cher en Allemagne » (74). D’où ce constat cruel : en un peu moins de vingt ans, le pavillon routier français a chuté de 67 % à l’international et nos véhicules ne représentent plus que 17 % du trafic routier d’importation et d’exportation sur le territoire national.
L’enquête annuelle réalisée par la Banque de France (75), en liaison avec les services de la FNTR, sur la situation du transport routier indique qu’un tiers des entreprises disposent d’une capacité faible à honorer leurs engagements financiers, voire même très faible. C’est dans ce contexte que va prochainement intervenir la mise en place de l’écotaxe sur les poids lourds qui fait l’objet de critiques virulentes de la part des professionnels concernés. Ce dispositif très complexe qui a connu diverses moutures a été entièrement revu, dans un souci de simplification, par le ministre chargé des Transports, M. Frédéric Cuvillier. L’une des interrogations majeures concerne les modalités de répercussion de ladite taxe sur les chargeurs. Celle-ci devrait avoir la forme d’un système simple : une majoration forfaitaire, « de plein droit », incluant les frais de gestion que devront supporter les transporteurs, avec un taux fixé par région et un taux distinct pour les trajets interrégionaux. L’entrée en vigueur de ce dispositif, prévue initialement pour le 20 juillet 2013, a été repoussée au 1er octobre afin que soit évaluée son impact économique concret pour les professionnels comme pour les territoires et que soit assurée la fiabilité technique du système de collecte.
M. Jean-Paul Deneuville a souligné « qu’outre le choc économique pour le secteur, le mode de collecte retenu constitue une difficulté supplémentaire : le système de géolocalisation mis en place utilisera 4 100 péages virtuels répartis sur des sections de tarification de 3,8 kilomètres en moyenne, et générera 3,6 milliards de lignes de facturation par an. » (76)
c) Des grandes infrastructures performantes à l’exception des installations portuaires
La France dispose de 11 000 km d’autoroutes, du réseau TGV le plus étendu d’Europe, de 155 aéroports dont 13 dépassent le million de passagers par an, et d’un hub mondial – Paris-Charles de Gaulle est le deuxième aéroport européen – et enfin, de plusieurs ports historiquement importants mais en déclin (Marseille et Le Havre).
Les infrastructures de transport françaises sont globalement bien placées vis-à-vis de celles de nos principaux concurrents économiques :
Source : Tableau de bord de l’attractivité de la France, édition 2010.
La France qui, par sa géographie (deuxième espace maritime au monde en superficie après les États-Unis) et son histoire, devrait être une grande puissance commerciale maritime est hélas relativement mal placée dans cette activité essentielle. Lors de son audition, M. Jean-Paul Deneuville a relevé qu’« en dépit de l’importance de notre façade maritime, nos portes d’entrée maritime sont moins performantes que les grands ports européens. (77)». Il est symptomatique que le groupe CMA CGM, armateur français basé à Marseille et n° 3 mondial dans le domaine du conteneur, ne réalise que 5 % de son chiffre d'affaires sur le marché français.
Le sénateur Charles Revet (78) a récemment rappelé que si « dans les années 1980 notre pays se situait en quatrième ou cinquième position au niveau de sa flotte de commerce, nous sommes actuellement en trentième position. Aujourd’hui 85 à 90 % du commerce mondial se fait par la mer et l’Europe est l’une des premières destinations au monde. Pourtant, nos ports sont relégués parmi les moins dynamiques d’Europe. Marseille, premier port français et en Méditerranée, voit sa position s’effriter : il pointe à la cinquième place pour le tonnage total et ne figure pas dans les dix premiers ports d’Europe pour les conteneurs. Quant au Havre, premier port français pour le trafic de conteneurs, il n’occupe que la 8e position sur ce segment en Europe. Le tonnage du seul port de Rotterdam dépasse celui de nos sept grands ports maritimes réunis. Et le port d’Anvers, qui traite plus de conteneurs que l’ensemble des ports français, est devenu aux yeux de nombreux acteurs économiques le « premier port français » par le nombre de conteneurs à destination ou en provenance de l’Hexagone… Corsetés par des règles de gouvernance surannées, affaiblis par des mouvements sociaux dégradant leur fiabilité auprès des entreprises clientes, entravés par des infrastructures de transport insuffisantes ou inadaptées pour desservir leurs arrière-pays, les ports français ont connu un déclin constant et dramatique depuis ces vingt dernières années. »
La loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire ne visait que les ports autonomes maritimes de l’Hexagone – Dunkerque, Rouen, le Havre, Nantes/Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux et Marseille –, qu’elle a transformés en grands ports maritimes : ils représentent, à eux sept, près de 80 % du tonnage total des ports français (271 millions de tonnes en 2009 sur un total de 345 millions).
La loi comprenait quatre axes de réforme:
– la réforme de la gouvernance des ports, à travers la création d’un directoire, d’un conseil de surveillance, d’un conseil de développement et d’un éventuel conseil de coordination portuaire pour les ports appartenant à une même façade maritime ;
– l’élaboration de projet stratégique pour chaque port, révisable régulièrement, qui détermine sa « feuille de route » à court, moyen et long termes ;
– la cession de tous les outillages de manutention des ports, sauf exceptions énumérées par la loi ;
– et le transfert des personnels du port qui conduisent ces outillages, tous salariés de droit privé, vers les opérateurs privés de terminaux.
Cette réforme d’ampleur ne s’est pas faite sans crispations et plusieurs mouvements de grève, notamment à Marseille, n’ont sans doute pas amélioré l’image des ports français. Pour autant, les grands ports maritimes répondent désormais aux exigences de performance et de compétitivité qu’impose l’évolution du commerce maritime international. Le développement de la multimodalité et l’amélioration de la desserte de l’arrière-pays sont les enjeux clés rendus possibles par cette réforme. A cet égard, les travaux d’aménagement d’un terminal « trimodal » (fluvial, ferroviaire et routier) dans le grand port maritime du Havre doivent permettre d’accroitre considérablement la compétitivité et l’attractivité de ce port. A moyen terme, l’amélioration de la connexion fluviale du port de Marseille via le Rhône est également nécessaire pour améliorer la desserte de son arrière-pays.
Pour conforter cette tendance, le gouvernement a pris l’initiative d’une stratégie nationale portuaire qui rejoint également les problématiques en matière de transport car les questions sont liées et les solutions doivent être complémentaires. Cette stratégie s'articulera autour de trois axes majeurs : la logistique et l’inter-modalité des transports, le développement industriel, ainsi que l'aménagement des espaces.
d) Le transport des personnes au service du développement économique, l’exemple du « Nouveau Grand Paris »
Le transport des personnes est un sujet crucial, car on ne peut penser compétitivité économique d’un territoire sans que les salariés puissent circuler dans de bonnes conditions entre leur domicile et leur lieu de travail, mais aussi sans que des visiteurs étrangers ou des acheteurs potentiels puissent facilement se rendre par des transports publics de qualité dans les zones à forte activité économique. La compétitivité économique dans notre pays passe aussi par le tourisme ou l’activité des foires et salons qui ont besoin d’un réseau de transports de personnes performant.
Tous les territoires de notre pays, notamment les métropoles régionales, sont confrontées à ces besoins, mais le cas de l’Île-de-France est particulier quand on sait que 8,5 millions de voyageurs empruntent quotidiennement les transports en commun en Île-de-France. Alors qu’elles accueillent sur 10 % du réseau près de 40 % du trafic national, les infrastructures ferroviaires d’Île-de-France ont besoin d’être modernisées et développées pour faire face à l’augmentation importante du trafic (21 % en dix ans). C’est l’un des enjeux majeurs du projet « Grand Paris express» désormais dénommé « Nouveau Grand Paris » et présenté par le Premier ministre le 6 mars 2013, lors d'un déplacement à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
C’est tout d’abord un enjeu de qualité de vie en Île-de-France, pour que les conditions d’exploitation du réseau soient plus fiables, plus confortables, et apportent une meilleure qualité de service aux usagers. Le temps de transport quotidien, qui n’a cessé d’augmenter pour atteindre en moyenne 1h20, contre dix minutes il y a 60 ans, doit diminuer pour redevenir raisonnable.
Votre rapporteur souligne que les conditions de transport et de logement des Franciliens, car les deux questions sont intimement liées, ont un impact direct sur la compétitivité des entreprises. Les Franciliens bénéficient d’un haut niveau de qualité de vie, mais qui tend à se dégrader. Cela se traduit notamment par un solde migratoire négatif de l’Île-de-France par rapport au reste du pays pour la population active. Or cette détérioration de la qualité de vie est due principalement à deux facteurs, à savoir une offre insuffisante et inadaptée de logements ainsi qu’une saturation liée à un sous-investissement pendant trop d’années et un aménagement déficient éloignant pour beaucoup les lieux de travail des domiciles. Par son inadaptation à la montée des besoins et son organisation uniquement radiale, il demande à être profondément modernisé.
Le nouveau réseau de transport en rocade et l’amélioration des réseaux existants qui entendent répondre à ces préoccupations ont dû être redimensionnés pour mieux correspondre à l’enveloppe financière prévue sans remettre en cause son ambition, notamment, en adaptant la capacité de certains tronçons aux besoins de mobilité et à la réalité des trafics.
Dans un contexte de croissance rapide des flux touristiques (à horizon 2020, jusqu’à 10 millions de touristes supplémentaires pourraient visiter l’Île-de-France chaque année, soit un total atteignant environ 40 millions de visiteurs/an) et de concurrence accrue entre les destinations au niveau mondial, la réponse apportée par le « Nouveau Grand Paris » aux besoins des touristes, notamment en matière de mobilité, constitue également un enjeu clé à la fois en termes économiques et en termes d’image et d’attractivité.
Autre grand enjeu économique incontournable, le secteur des foires, salons et congrès dont les retombées économiques en Île-de-France sont estimées en 2011 à 5,6 milliards d’euros. Paris Île-de-France est la première place mondiale de surface d’exposition avec plus de 680 000 m² d’espaces couverts. Cependant, si la région Île-de-France bénéficie de nombreux atouts, la compétition internationale se renforce. Pour les évènements professionnels (salons, congrès, conventions), la concurrence fait valoir ses atouts. Londres, Barcelone, Milan et plus à l’est, Vienne, Prague et Budapest sont des concurrents redoutables.
Enfin, le développement du tourisme professionnel et d’agrément représente une opportunité à saisir, d’autant qu’un réel potentiel de progression existe : le nombre de voyageurs devrait doubler au cours de la décennie à venir au niveau mondial. On estime que le tourisme représente 10% du PIB francilien et que 10 000 nouveaux emplois non délocalisables sont créés chaque année en moyenne.
Une liaison directe pour relier l’aéroport Charles de Gaulle est envisagée depuis de nombreuses années pour renforcer et dynamiser les différentes activités qui viennent d’être évoquées. Comme l’a souligné le Premier ministre, « l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ne peut se satisfaire des liaisons qui le relient au centre de Paris, même en tenant compte de la réalisation de la branche du réseau du Grand Paris Express qui desservira Roissy. La plupart des grands aéroports (Heathrow, Oslo, Stockholm, Hongkong, ou encore Tokyo) disposent d’une liaison directe et dédiée avec le centre de la capitale, véritable porte d’entrée vers celle-ci. Il s’agit d’un élément indispensable à l’amélioration de l’attractivité de la Région et du pays. ». C’est pourquoi le Gouvernement décidera, avant l’été, du lancement d’une nouvelle procédure de consultation présentant de nouveaux montages pour ce projet, « en y impliquant RFF mais aussi, et surtout, Aéroports de Paris qui sera le premier bénéficiaire de cette “porte d'entrée de l'aéroport dans la capitale. » Tout financement public de cette liaison est néanmoins écarté.
En ce qui concerne les retombées économiques attendues da la mise en œuvre de ce grand projet structurant, les économistes de la Société du Grand Paris ont élaboré leur propre appareil statistique interne, en s'appuyant sur les travaux d'Émile Quinet(79), mais aussi sur une instruction administrative portant sur « les méthodes d'évaluation des grands projets d'infrastructure de transport » et sur l'exemple du « Crossrail » pour le Grand Londres.
Ces travaux classent les avantages économiques selon trois scénarios(80). Le moins favorable escompte 39,2 milliards d'euros de bénéfices à terme pour l'économie nationale, et le plus avantageux, 102,9 milliards. Le scénario médian évalue à 73,5 milliards d'euros ces avantages. Plus du tiers des gains économiques escomptés proviendrait de gains de temps pour les usagers. En outre, le fait d'avoir des lignes plus automatisées, donc plus régulières, avec plus de place par passager suscite un confort estimé à près de 5 milliards. S'ajoutent enfin des effets positifs sur l'environnement, évalués à 10,6 milliards: non seulement la pollution automobile est réduite, mais une population plus dense consomme traditionnellement moins d'énergie qu'une population plus dispersée. À ces effets «classiques» s'ajoute ce que les experts appellent des «externalités d'agglomération»: les entreprises et les salariés se trouvant dans une zone dense ont tendance à être plus productifs que ceux qui se situent dans une zone moins dense.
3. Les coûts d’accès au financement pèsent sur les coûts de production
a) Un marché du crédit bancaire et de la dette obligataire sous contrainte
Au cours de son audition (81) par la mission d’information, M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II a souligné que « dans l’ensemble, les entreprises n’ont pas de problème d’accès au crédit en France. […] Même pendant la crise de 2008-2009, il n’y a pas eu de rationnement du crédit accordé aux PME. Il en a été de même pour les grandes entreprises […] ».
Pour M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France (82), le crédit aux grandes entreprises « est en recul, de 5.6 % à peu près en France », sans toutefois les pénaliser en raison d’un accès aux marchés financiers orientés vers une reprise, tandis que « le crédit aux PME [est en hausse] de 2,5 % [sur l’année] ».
Ce constat doit être cependant nuancé. S’il n’y a pas eu de rationnement, les entreprises françaises n’en connaissent pas moins des difficultés certaines d’accès au crédit bancaire, en particulier les PME. Si l’on prend en compte des statistiques depuis 2006, afin de mesurer l’impact de la crise, les flux de crédits nouveaux qui leur sont accordés ont connu une baisse marquée depuis la crise financière.
Ils sont en effet passés, selon les statistiques de la banque de France, de près de 30 milliards d’euros avant la crise de 2008 à moins de 24 milliards en 2011, ce qui témoigne d’une situation d’assèchement du crédit – notamment en crédit de trésorerie.
Les difficultés d’accès au crédit des PME sont d’autant plus pénalisantes qu’en raison d’un taux d’autofinancement au plus bas et d’un accès limité aux marchés financiers, elles sont très dépendantes du crédit bancaire. Elles sont, de ce fait, particulièrement vulnérables à la persistance de conditions de crédit resserrées et à une remontée des primes de risques.
FLUX DE CRÉDITS NOUVEAUX AUX PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES
(en milliards d’euros)
Source : Banque de France.
Cette baisse des flux de crédits nouveaux aux PME s’est accompagnée d’une hausse des taux d’intérêt relatifs proposés aux PME indépendantes par rapport à ceux offerts aux grands groupes, mais également par un durcissement global des conditions d’octroi des crédits (volumes proposés, taux d’intérêt, garanties demandées).
CONDITIONS D’OCTROI DE CRÉDIT AUX PME (83)
(en %)
Source : Banque de France.
Le secteur industriel apparaît particulièrement pénalisé. Les encours de crédit à l’industrie manufacturière ont baissé de plus de 10 % entre 2008 et 2011.
Lors de son audition (84) par la mission, M. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles GFI), a souligné ces difficultés : « Le crédit est devenu plus rare et plus difficile à obtenir depuis la crise des subprimes. Un contrat qui, avant 2007, tenait en une dizaine de pages en comporte aujourd’hui une centaine, tellement les garanties exigées sont lourdes et complexes. Ce sont les PME industrielles qui ressentent le plus ce durcissement ».
Le risque d’un retournement conjoncturel a été souligné, de manière générale pour l’ensemble des sociétés non financières (85), par M. Gilbert Cette (86), compte tenu du degré de dépendance au financement bancaire des entreprises françaises : « Il faut noter également que l’écart de taux d’endettement entre la France et l’Allemagne était de 25 points de valeur ajoutée au début de la décennie 2000, et qu’il est désormais de plus de 50 points : alors que les sociétés non financières allemandes se désendettent, les sociétés non financières françaises s’endettent de plus en plus. Cela signifie que ces dernières, partant d’une situation patrimoniale particulièrement dégradée par rapport aux sociétés allemandes, souffriront bien davantage de l’augmentation des taux d’intérêt qui ne manquera pas d’arriver ».
La situation est d’autant plus préoccupante que les difficultés d’accès des PME aux financements bancaires risquent d’être amplifiées par l’application anticipée des nouvelles normes prudentielles dites « Bâle III » (87), destinées à renforcer le système financier à la suite de la crise financière de 2007, ainsi que par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui devrait se traduire par une augmentation temporaire du coût des crédits.
Les accords de Bâle III vont en particulier introduire de nouvelles contraintes en termes de liquidité (88) et d’effet de levier (ratio minimal exigé entre fonds propres et expositions de bilan et hors bilan). D’ores et déjà, les accords de Bâle II et III ont contraint les banques françaises à doubler, voire tripler, leurs fonds propres pour 2013 (89). Il y a donc lieu de craindre que les coûts de financement bancaire n’augmentent sous l’effet des nouveaux ratios de fonds propres.
Les banques françaises sont particulièrement concernées par les nouveaux ratios de liquidités. Lors de son audition (90), M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, a rappelé que « Si ce ratio [de liquidité] devait être imposé dans sa définition actuelle, l’ensemble des banques françaises seraient amenées à réduire de quelque 25 % les crédits inscrits à leur bilan. Les Banques populaires, avec lesquelles travaillent 70 % des entreprises françaises, auraient ainsi à ramener leur ratio crédits sur dépôts de 150 % à 100 % environ. […]».
Alors que l’entrée en vigueur de Bâle III est prévue pour 2019 et que les États-Unis ont reporté sine die leur application pour les établissements de crédit situés sur leur territoire, les nouvelles exigences en termes de fonds propres sont déjà anticipées par les banques européennes et ont ainsi valeur de normes.
Il y a donc un risque de voir le secteur bancaire réduire le montant de leurs actifs pondérés des risques. Le crédit aux PME étant le plus risqué et donc le plus consommateur en fonds propres pour les banques, il sera le premier visé par ces restrictions. Il y a donc lieu de craindre une restriction plus marquée encore du crédit dans un proche avenir.
Or, du fait de leur taille modeste et de contraintes juridiques disproportionnées, les PME françaises n’ont quasiment pas accès au marché obligataire, qui est pourtant une source de financement à long terme importante pour les grandes entreprises.
Comme l’a indiqué M. Antoine Colboc, coprésident de la Commission « Création & Financement » de CroissancePlus et senior advisor chez Omnes Capital, lors de son audition par la mission (91), « les obligations constituent un autre vecteur de financement des entreprises, mais il est peu développé en France contrairement à l’Allemagne ; le Gouvernement doit l’encourager, l’un des enjeux résidant dans la possibilité de noter le risque pour les petites entreprises ».
b) Des difficultés d’accès aux fonds propres
Bien avant la crise, l’accès aux fonds propres était problématique en France, notamment pour les PME et les TPE innovantes. Cette situation s’explique par le fait que le financement par la dette a été privilégié par rapport à celui sur fonds propres - évitant ainsi des prises de contrôle -, et car l’épargne des ménages est insuffisamment dirigée vers les entreprises françaises(92). Comme l’a souligné M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, au cours de son audition (93) par la mission, « les particuliers n’ont aucun intérêt à acquérir des actions de société puisque cet investissement est le plus risqué et le plus taxé ».
De ce fait, la France souffre d’une difficulté structurelle à faire croître ses PME. La croissance d’une PME aboutit trop souvent à sa cession ou à sa perte d’autonomie par absorption au sein d’un grand groupe.
Les entreprises innovantes sont particulièrement confrontées à des difficultés structurelles de financement. L’investissement y est particulièrement risqué, voire implique d’assumer des pertes pendant plusieurs années avant de percevoir des revenus. De ce fait, les entreprises innovantes ont des difficultés à lever des fonds - notamment lors des phases d’amorçage (« la vallée de la mort ») et des premiers développements. Une des explications réside dans un phénomène d’aversion au risque des investisseurs, qui se tournent vers des placements plus sûrs que le capital-risque ou le capital-développement.
Les États généraux de l’industrie ont ainsi évalué le déficit d’apport aux PME à 100 milliards d’euros (94).
Ces difficultés d’apports en fonds propres se sont renforcées avec la crise. Comme le souligne le rapport Gallois, les levées de fonds de capital-risque ont quasiment été divisées par deux depuis le début de la crise financière, passant de 13 milliards d’euros en 2008 à 6,5 milliards en 2011.
Or, comme l’indiquait déjà en 2006 le rapport du conseil d’analyse économique relatif à « une stratégie PME pour la France », les difficultés de financement rencontrées par les PME doivent être impérativement résolues, leur développement conditionnant le redémarrage de la croissance économique et le retour des créations d’emploi.
c) Des problèmes de trésorerie préoccupants
Le crédit commercial interentreprises reste la principale source de financement des entreprises en France. Son volume est cinq fois plus important que le crédit bancaire de trésorerie des entreprises. La loi LME de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a permis une réelle amélioration des pratiques, en réduisant le délai de paiement à 60 jours à compter de la date d’émission de la facture.
Les travaux de la mission ont permis de constater que ce délai n’était pas respecté, si bien que le délai moyen de paiement est en réalité de 72 jours. Ces retards occasionneraient une perte estimée à 13 milliards d’euros par an, selon le rapport annuel 2012 de l’Observatoire des délais de paiement.
M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, a ainsi fait valoir, lors de son audition (95) par la mission que « dans la chaîne de financement, le temps que prennent les grandes entreprises pour payer leurs sous-traitants et leurs fournisseurs est trop long. La loi fixe à soixante jours le délai de paiement. Or seul un tiers des sociétés respectent ce plafond, ce qui contribue à porter le délai moyen à soixante-douze jours. La loi le fixe à trente jours en Allemagne et deux tiers des entreprises ne dépassent pas ce seuil, si bien que le paiement intervient en moyenne au bout de trente-huit jours. En France, un jour de retard dans l’acquittement de la facture représente un manque global de 1 milliard d’euros dans les trésoreries des TPE et des PME, alors même que ce crédit interentreprises est leur première source de financement – il représente plus du double des encours bancaires mobilisés en leur faveur. Une étude conduite par la Commission européenne a montré qu’un quart des défaillances d’entreprises dans l’Union européenne était lié au non-respect des délais de paiement. Lorsqu’un simple contribuable s’acquitte de ses impôts en retard, il subit des pénalités. Lorsqu’il s’agit d’un grand groupe, rien ne se passe. L’État doit se doter d’un organe de contrôle et de sanction pour faire respecter la loi, car les entreprises n’ont pas les moyens de contraindre les mauvais payeurs à honorer leurs dettes ».
Le non-respect des délais de paiement suscite des difficultés d’autant plus grandes que les crédits bancaires de trésorerie aux TPE, PME et ETI sont en baisse de 3,5 % par rapport à l’année dernière, comme l’a indiqué le ministre de l’Économie et des finances Pierre Moscovici(96). En effet, le secteur bancaire tend à restreindre ses financements de court terme, par exemple en réduisant les autorisations de découvert, afin de réduire leurs engagements dans des délais rapides.
Afin de résoudre ces difficultés, le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre du projet de loi sur la consommation présenté au 1er trimestre 2013, à ce que les retards dans les délais de paiement puissent être directement sanctionnés par l’administration. Le rapport annuel 2012 de l’Observatoire des délais de paiement préconise ainsi d’améliorer l’efficacité du dispositif de sanctions, afin de mettre un terme aux pratiques illicites ou abusives, en remplaçant les sanctions civiles et pénales par des sanctions administratives, et d’accroître les contrôles ciblés de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Votre rapporteur juge cette démarche indispensable puisqu’il est extrêmement délicat pour un fournisseur de poursuivre en justice un donneur d’ordre.
Ne pourrait-on pas, toutefois, aller en au-delà de cette mesure, en réduisant les délais légaux de paiement à 40 jours comme cela est pratiqué en Allemagne, et en renforçant les sanctions financières en vigueur ? Afin de veiller au principe de stabilité juridique, cette mesure pourrait être appliquée à raison d’un jour par an, afin de ne pas déstabiliser les trésoreries des entreprises concernées.
M. Pierre Moscovici a récemment (97) précisé ses intentions et des pistes nouvelles de réflexions : « L’État va progressivement étendre ses centres de traitement et de paiement unique des factures pour permettre le respect d’un délai global de vingt jours d’ici à 2017 et mes services accompagneront les collectivités locales pour les aider à réduire elles aussi leurs délais. ». Il propose également de promouvoir la médiation interentreprises et même d’aller plus loin afin « d’engager notre pays vers une dématérialisation totale de ses factures. » Cette perspective audacieuse donnerait à notre pays, si elle était atteinte, une avance importante en termes de compétitivité.
4. Les coûts immobilier et foncier pèsent sur la compétitivité des entreprises
Certaines analyses pourraient laisser entendre que les prix du foncier ne pèsent pas sur la compétitivité des entreprises françaises.
Ainsi, une étude (98) récente du cabinet de conseils KPMG indique que la France est le pays d’Europe où les coûts d’implantation sont les plus faibles. L’acquisition du foncier figure parmi les points forts de la France en matière de coûts d’implantation.
Las, ce constat optimiste ne résiste pas à une analyse plus poussée, comme le souligne le rapport économique, social et financier pour 2012-2013(99). L’inflation immobilière observée depuis 15 ans pèse indéniablement sur la compétitivité industrielle de la France, par le biais de différents canaux.
La France subit, en effet, une flambée des prix de son immobilier tout à fait hors norme.
Comme l’a indiqué M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, lors de son audition (100) par la mission, les prix de l’immobilier « n’ont pas bougé depuis quinze ans en Allemagne, et ils ont été multipliés par 2,5 en France, c’est-à-dire presque autant qu’en Espagne et dans les pays qui ont connu les bulles immobilières les plus importantes ».
Paris est devenue, en termes de loyers de bureaux, la troisième ville la plus chère d’Europe, après Londres et Genève, et la cinquième ville la plus chère au monde. Le prix du mètre carré de bureau à Paris « se situe autour de 830 euros par an dans les quartiers les plus en vue (101) », contre 430 euros à Francfort (classée sixième) et 390 euros à Munich (classée neuvième).
En conséquence, le coût du foncier représente une charge directe et incontournable pour les entreprises, qui pénalise leur compétitivité. La hausse du prix de l’immobilier pèse en effet sur les coûts directs des entreprises, au travers de leurs loyers et de leurs investissements immobiliers.
De plus, les Français consacrent une partie croissante de leurs revenus pour se loger. En vingt ans, le poste logement des Français représente désormais 25 % à 28 % du budget des ménages contre 12 % à 15 % en Allemagne. Les difficultés de logement en centre-ville les poussent de plus en plus à la périphérie, entraînant coûts de transport et perte de temps.
Des phénomènes sociologiques expliquent le caractère plus fragile des unions et conduisent à la fois à une diminution de la taille moyenne des ménages et à une augmentation du nombre de ménages français. La dispersion des familles a accru les besoins en volume. Des conditions de crédits favorables ont alimenté l’augmentation de la demande en matière immobilière. Les politiques de soutien à la demande de biens immobiliers (comme les déductions fiscales des taux d’intérêt) ont contribué à alimenter les tensions. Dans le même temps, l’offre est demeurée rigide. Le manque de terrains pèse sur les constructions nouvelles. Il manquerait actuellement 800 000 logements en France.
La flambée des prix immobiliers a également un impact direct au niveau salarial : les entreprises sont contraintes d’en tenir compte dans la détermination de leurs masses salariales. Il en résulte pour les entreprises des tensions à la hausse sur leurs masses salariales, ainsi que des freins pour la mobilité et le recrutement des salariés.
Selon le rapport économique, social et financier pour 2012-2013 précité, annexé au projet de loi de finances pour 2013, des études ont montré pour la zone euro une corrélation positive entre 2000 et 2010 entre l’évolution du prix de l’immobilier et celle des coûts salariaux unitaires. La hausse des prix immobiliers en France contribue à « renchérir le coût du travail ».
À l’inverse, la faiblesse relative des prix de l’immobilier en Allemagne explique en grande partie l’acceptation, au sein de la population allemande, de la politique de modération salariale.
M. Guillaume Duval a rappelé que « selon Eurostat, le poste « logement » dans la consommation des ménages était, en 1999, en Allemagne de 18 % supérieur à la moyenne européenne, et en 2011, il était devenu inférieur de 1 %. En France, il est resté stable, à environ 10 % au-dessus de la moyenne européenne. De tels chiffres expliquent pourquoi la modération salariale a été bien acceptée [en Allemagne] ! »
Comme le souligne le rapport économique, social et financier pour 2012-2013 précité, la flambée des prix de l’immobilier et du foncier a enfin un impact sur l’ensemble de l’économie, en orientant l’épargne vers les crédits immobiliers plutôt que vers le financement des entreprises.
Selon ce rapport, « on observe entre 1993 et 2012 que la part des crédits aux entreprises dans les crédits au secteur privé (entreprises et ménages) a diminué de 13 points (de PIB) au profit des crédits à l’habitat ».
Ce sont donc bien les investissements productifs – et donc la préparation de notre avenir – qui in fine « paient le prix » de la flambée des prix de l’immobilier et du foncier. L’inflation immobilière est ainsi devenue un frein à la compétitivité de l’économie française.
La situation est suffisamment grave pour que le Gouvernement, par le biais du rapport précité, considère que « la lutte contre l’inflation immobilière dans les zones tendues est une priorité de [sa] politique économique et sociale ».
La mission ne peut que souscrire à cet impératif : il est urgent, pour les entreprises comme leurs salariés de faire évoluer cette situation extrêmement défavorable à la compétitivité de l'ensemble de notre pays.
Comme l’a souligné M. Guillaume Duval, cette politique ne sera pas « indolore non plus, puisque cela reviendrait à appauvrir les ménages : le Crédit suisse a ainsi calculé que la France possède le quatrième patrimoine mondial, et que ce patrimoine est immobilier aux trois quarts. C’est un vieux problème français : on privilégie, historiquement, la rente foncière par rapport au capital productif ; et psychologiquement, c’est une question très sensible. Mais ce serait sans doute le levier interne le plus efficace pour rediriger l’épargne vers la production et relancer l’industrie ».
M. Louis Gallois a récemment convenu (102) avoir un regret concernant son rapport qui est de n’avoir pas pensé à citer le logement : « c’est une différence décisive pour la compétitivité des deux pays (la France et l’Allemagne) et c’est une pression très forte sur les salaires des Français. »
Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion que des mesures urgentes doivent être prises en faveur de la mobilisation du foncier, tant public que privé, et du soutien à la construction de logements neufs pour desserrer les contraintes pesant sur l’offre immobilière.
C.— LA DÉGRADATION DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES
1. La baisse inquiétante des taux de marge des entreprises françaises
Les travaux de la mission débouchent sur un constat inquiétant : la situation financière des entreprises françaises ne cesse de se dégrader, comme en témoigne la baisse de leur taux de marge.
Définition du taux de marge des sociétés non financières
La valeur ajoutée mesure la richesse crée par l’entreprise au cours d’une période donnée.
Valeur ajoutée (VA) = Excèdent brut d’exploitation (EBE)
+ Rémunérations des salariés (S)
+ Impôts sur la production (I) – subventions d’exploitation
L’EBE est une des mesures du profit dégagé par l’entreprise. Il mesure le solde dégagé par l’activité courante de l’entreprise avant prise en compte de sa politique d’investissement et de sa gestion financière. L’EBE permet de rémunérer les actionnaires (via des dividendes), de servir les frais financiers dûs aux prêteurs (charges financières), le solde étant mis en réserve et pouvant servir à la politique d’investissement de la société.
Excèdent brut d’exploitation (EBE) = dividendes
+ charges financières
+ épargne brute
Le taux de marge des sociétés non financières est défini comme l'excédent brut d'exploitation divisé par la valeur ajoutée brute. Cet indicateur de profitabilité indique la part de la valeur ajoutée créée au cours du processus de production qui sert à la rémunération du capital.
Taux de marge = EBE / VA
Lors de son audition (103) par la mission M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II, en a conclu que : « Le diagnostic qui doit être posé à partir de l’indicateur du taux de marge est que la situation des sociétés non financières est mauvaise en France. Il faut remonter jusqu’en 1985 pour retrouver ce niveau de taux de marge. La situation est d’autant plus dramatique que toutes les prévisions dont nous disposons indiquent que ce taux continuera de baisser en 2012 et 2013, année où l’on devrait revenir à des niveaux de taux de marge qu’on n’avait pas connus depuis 1983 ».
En 2011, le taux de marge des sociétés non financières (104) est, en effet, tombé à 28,61 %, son plus bas niveau depuis 1985. Cette baisse est d’autant plus préoccupante que le taux de marge s’élève, en 2011, à 41,25 % en Allemagne et à 38,61 % dans la zone euro.
Cette dégradation touche tout particulièrement les PME, les groupes du CAC 40 dégageant des profits sur les marchés étrangers. Lors de son audition (105) devant la mission, M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), a ainsi précisé que 2012 marquait « la troisième année consécutive de perte de marge pour les PMI et les ETI ».
M. Christian Saint-Étienne, Professeur titulaire de la Chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au CNAM, a souligné au cours de son audition (106) par la mission que « hors CAC 40, la France est aujourd’hui celui des grands pays industriels qui a le secteur productif le moins rentable : si l’on applique le taux de marge de l’Allemagne tel qu’il est mesuré par Eurostat, à la valeur ajoutée française, il manque 105 milliards d’euros d’excédent brut d’exploitation dans nos comptes, soit un tiers en moins. [….] Notre taux de marge, hors CAC 40, est inférieur d’un tiers non seulement à celui de l’Allemagne, mais aussi de l’Italie, du Royaume Uni, des États-Unis, du Canada, et bientôt de l’Espagne ».
Comme le souligne le rapport Gallois, cette baisse s’inscrit dans un mouvement de moyen terme. Les marges ont ainsi baissé en France, pour les industries manufacturières, de 9 points sur la période 2000-2011, alors qu’elles progressaient de 7 points en Allemagne sur la même période.
Il y a donc là une spécificité purement française.
Part des profits dans la valeur ajoutée des sociétés non financières
(en %)
Source : Eurostat.
2. Un niveau d’autofinancement largement insuffisant
La dégradation des taux de marge des sociétés non financière a pour conséquence de réduire leur taux d’autofinancement. Comme l’indique le rapport Gallois, celui-ci est passé de 85 % en 2000 à 64 % en 2012 pour les industries manufacturières – situation inédite depuis 30 ans –, contre près de 100 % en 2012 dans la zone euro.
La conséquence en est que pour conserver son taux d’investissement, l’entreprise doit s’endetter, ce qui peut réduire encore ses marges, ou ouvrir son capital, ce qui peut aliéner son indépendance et la conduire, sous la pression d’investisseurs soucieux de rentabilité, à une stratégie de court terme.
M. Christian Poyau, ancien président de CroissancePlus et cofondateur de Micropole, a indiqué, lors de son audition (107) par la mission que « les PME allemandes ont principalement recours à l’autofinancement ; elles peuvent se le permettre, car leur taux de rentabilité s’établit à 15 % contre 5 % en France ».
Le faible niveau d’autofinancement des entreprises françaises les expose inéluctablement à une montée brutale de leurs charges financières – le faible coût du crédit n’est pas durable – et les pénalise en termes d’investissement et d’innovation.
Il convient donc de mener une politique vigoureuse de redressement des taux de marge des entreprises. Les marges dépendant des coûts – plus ou moins flexibles – et des prix, il est impératif que le tissu productif français monte en gamme rapidement pour être en mesure d’augmenter ses prix ou tout au moins d’échapper à la concurrence internationale sur ce poste.
Quelle interprétation donnée à la baisse de rentabilité des sociétés françaises ? Sur ce sujet, comme sur celui du coût salarial unitaire ou du rôle de la durée hebdomadaire de travail, les avis des économistes sont partagés.
Le rapport Gallois met en cause la concurrence de l’industrie allemande et celle des pays émergents et des pays de l’Europe du Sud et de l’Est. Les entreprises françaises seraient prises en étau entre « cette double et grandissante concurrence ». Contraintes de conserver des prix compétitifs, les industries françaises auraient été conduites à rogner leurs marges.
Lors de son audition (108) devant la mission, M. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a également souligné l’impact du coût du travail dans la dégradation des taux de marge des entreprises françaises : « la thèse, aujourd’hui privilégiée, est que la hausse relative du coût du travail a contraint les entreprises à réduire leurs marges pour se maintenir sur les marchés au détriment des dépenses de R & D ».
La thèse selon laquelle les coûts unitaires du travail seraient à l’origine de la baisse des taux de marge des entreprises ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les économistes.
Dans un article (109) du 8 janvier 2013, M. Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à l’université de Paris I et député au Parlement européen, met en cause la dégradation de la demande et le cycle de productivité comme facteurs de baisse de la profitabilité des entreprises françaises : « la baisse du taux de marge est avant tout est liée à une dégradation de la demande. La conjoncture, devenue morose à partir de 2008, a en effet amenuisé les carnets de commandes des entreprises, qui ont donc réduit leurs ventes. Leur production fut donc moins forte, sans que les entreprises n’ajustent immédiatement l’emploi à la baisse. La productivité a donc mécaniquement baissé. Le coût unitaire de la main-d’œuvre a donc augmenté et, symétriquement, le taux de marge a diminué. Inversement, lorsque la reprise interviendra, la productivité et le taux de marge se redresseront. Il s’agit du cycle de productivité qu’observent les conjoncturistes ».
Lors de son audition (110) devant la mission, M. Jean-Luc Gaffard (OFCE) a également souligné ce rôle moteur de la demande dans la formation : « Les entreprises cherchent naturellement à être compétitives en baissant leurs coûts et leurs prix pour accroître leurs parts de marché. Au niveau global, les choses sont différentes. Les mesures en faveur de la compétitivité des entreprises qui pèseraient sur le pouvoir d’achat pourraient être de peu d’effet sur leurs performances en raison d’une baisse induite de la demande des ménages. Le Nobel d’économie Paul Krugman le dit depuis longtemps, la compétitivité d’une nation n’est pas celle d’une entreprise ».
La baisse des taux de marge a un impact en termes d’investissement productif et de recherche et développement (R&D), lesquels conditionnent la croissance potentielle de la France.
D.— L’IMPACT DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES SUR L’INVESTISSEMENT ET LA RECHERCHE
1. La France accuse un retard en termes d’investissement, d'automatisation et de robotisation
a) Un niveau d’investissement globalement comparable à celui des autres grands pays européens
Globalement, le taux d’investissement en France est comparable à celui des grands pays industrialisés. Selon l’OCDE, il s’élève, en France, à 18,9 % du PIB en moyenne sur la période 1970-2009, contre 19,0 % en Allemagne, 16,4 % au Royaume-Uni et 20,2 % en Italie.
Taux d'investissement par pays
(investissements/PIB)
(En valeur, en %)
1970-1979 |
1980-1989 |
1990-1999 |
2000-2009 |
1970-2009 | |
Ÿ France |
21,5 |
18,8 |
17,3 |
18,2 |
18,9 |
Ÿ Allemagne |
20,7 |
18,6 |
19,8 |
16,9 |
19,0 |
Ÿ États-Unis |
17,9 |
18,3 |
16,6 |
17,3 |
17,5 |
Ÿ Royaume-Uni |
18,1 |
16,8 |
15,7 |
15,2 |
16,4 |
Ÿ Canada |
20,7 |
19,7 |
17,4 |
19,0 |
19,2 |
Ÿ Japon |
30,3 |
26,6 |
26,1 |
21,1 |
26,0 |
Ÿ Italie |
23,3 |
20,9 |
18,0 |
18,6 |
20,2 |
Source : Perspectives économiques de l’OCDE, juin 2010, Comptes nationaux.
En 2011, selon Eurostat, le taux d’investissement en France (20,09 % du PIB) est supérieur à la moyenne des 27 pays de l’Union européenne (18,9 %), à celui de l’Allemagne (18,12 %), de l’Italie (19,56 %) et du Royaume-Uni (14,17 %).
Taux d’Investissement par États membres
(en % du PIB)
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 | |
Investissement total | ||||||||||||
Ÿ UE (27 pays) |
21,13 |
20,74 |
20,20 |
19,89 |
19,97 |
20,39 |
21,25 |
21,59 |
21,43 |
19,27 |
18,82 |
18,90 |
Ÿ France |
18,89 |
18,88 |
18,22 |
18,30 |
18,68 |
19,34 |
20,04 |
20,91 |
21,31 |
19,49 |
19,45 |
20,09 |
Ÿ Allemagne |
21,47 |
20,06 |
18,38 |
17,79 |
17,39 |
17,28 |
18,06 |
18,44 |
18,58 |
17,21 |
17,44 |
18,12 |
Ÿ Espagne |
25,85 |
26,01 |
26,29 |
27,20 |
28,06 |
29,41 |
30,57 |
30,69 |
28,69 |
23,61 |
22,26 |
21,06 |
Ÿ Italie |
20,49 |
20,52 |
21,09 |
20,51 |
20,64 |
20,94 |
21,37 |
21,46 |
20,99 |
19,39 |
19,61 |
19,56 |
Ÿ Royaume-Uni |
17,13 |
16,84 |
16,90 |
16,44 |
16,70 |
16,61 |
17,03 |
17,71 |
16,80 |
14,89 |
14,91 |
14,17 |
Source : Eurostat.
En recul depuis 2008, le taux d’investissement des sociétés non financières en France (20,14 %) s’inscrit également dans la moyenne communautaire (20,1 %) et est supérieur à celui de l’Allemagne (17,89 %).
Toutefois, ce taux stagne depuis 10 ans, ce qui ne permet d’envisager ni montée en gamme de l’industrie française, ni reconquête industrielle.
Taux d’investissement des sociétés non financières
(en %)
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 | |
Ÿ UE (27 pays) |
22,99 |
22,31 |
21,43 |
20,77 |
20,63 |
21,64 |
22,19 |
22,63 |
22,83 |
20,08 |
19,72 |
20,10 |
Ÿ France |
18,92 |
19,01 |
17,97 |
17,48 |
17,66 |
18,09 |
18,67 |
19,72 |
20,22 |
18,25 |
19,23 |
20,14 |
Ÿ Allemagne |
21,26 |
19,96 |
18,07 |
17,69 |
17,49 |
17,67 |
18,54 |
19,03 |
19,31 |
17,19 |
17,24 |
17,89 |
Ÿ Espagne |
30,40 |
29,85 |
29,57 |
30,24 |
31,45 |
33,61 |
35,07 |
35,80 |
32,03 |
24,47 |
24,23 |
24,06 |
Ÿ Italie |
22,59 |
22,61 |
23,42 |
22,66 |
22,63 |
23,02 |
23,75 |
23,65 |
23,09 |
20,73 |
22,05 |
22,20 |
Ÿ Royaume-Uni |
19,67 |
18,38 |
17,45 |
16,09 |
15,13 |
17,75 |
16,05 |
17,09 |
17,55 |
16,15 |
15,31 |
14,64 |
Source : Eurostat.
b) L’investissement productif reste toutefois mal orienté
Cet effort d’investissement, globalement satisfaisant, cache en réalité des difficultés profondes quant à l’orientation de l’investissement productif.
Comme l’ont souligné le Conseil d’analyse économique dans son rapport de 2011 intitulé « Crise et croissance : une stratégie pour la France » (111) et les études de l’Insee sur les investissements dans l’industrie, l’investissement des entreprises françaises souffre de quatre faiblesses :
● les entreprises de petite taille font l’objet d’un déficit d’investissement assez prononcé, notamment au regard de l’Allemagne, ce qui handicape leur croissance et leur spécialisation ;
taux d’investissement des entreprises
selon leur taille
(Moyenne 2000-2007 – En %)
Taille des entreprises |
France |
Allemagne |
Italie |
Petites entreprises : |
12,1 |
16,0 |
18,2 |
Entreprises moyennes : |
16,0 |
18,6 |
12,8 |
Grandes entreprises : |
19,3 |
21,5 |
16,0 |
Source : Commission Européenne – Données BACH
Les données sous-jacentes à ce tableau sont directement issues de la comptabilité d’entreprise et ne sont donc pas directement comparables et cohérentes avec des données émanant d’Eurostat.
Il s’agit là d’un problème majeur, les PME et ETI étant le réservoir de croissance et d’emplois en France. Ce sujet a été évoqué par M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, au cours de son audition (112) devant la mission : « Des études de la Banque de France ont montré que 80 % des PME françaises investissaient très peu, n’exportaient pas, ne grandissaient pas et n’embauchaient pas, se limitant à une stratégie de consolidation de leur bilan en vue d’une autarcie financière durable qui assure leur simple survie. Selon le Conseil d’analyse économique, seulement 10 % d’entre elles contribuent à la croissance, contre 50 % en Allemagne ».
● le taux d’investissement est relativement faible dans l’industrie manufacturière, pourtant exposée à la concurrence internationale, comparativement aux taux d’investissement dans les services marchands (il est relativement faible pour les biens intermédiaires, les biens de consommation et les biens d’équipement) ;
● les investissements dans l’industrie tendent à se concentrer sur le renouvellement des capacités existantes, et non sur la modernisation ou la rationalisation de nature à générer des gains de productivité ;
● l’investissement a un relativement faible contenu en technologies de l’information et de la communication (TIC), qui jouent un rôle pourtant essentiel dans l’accroissement de la productivité au travail.
Comme nous l’avons vu précédemment sur d’autres sujets, les économistes divergent sur l’origine des faiblesses de l’investissement productif en France.
M. Patrick Artus a fait valoir, lors de son audition (113), que : « pour ce qui est de l’automatisation, le problème majeur réside dans l’incapacité des entreprises à investir, en raison de leur trop faible niveau d’autofinancement».
Lors de son audition (114) devant la mission, M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS) est allé plus loin en mettant en cause le poids des salaires dans la valeur ajoutée : « En France, la part de la rémunération du travail qui entre dans la valeur ajoutée est relativement stable, mais son niveau élevé, qui favorise les salariés, limite la capacité des entreprises à constituer des marges susceptibles, en particulier, de permettre un niveau élevé d’investissement. En Allemagne, sa diminution, entre 1995 et 2010, a permis aux entreprises de renforcer leur compétitivité ».
Pour M. Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne (115), en revanche, il faut rechercher l’origine des faiblesses de l’investissement productif en France dans l’insuffisance de la demande : « l’insuffisance de la demande est précisément à l’origine de la panne d’investissement de notre économie. La contraction des carnets de commandes a en effet provoqué une baisse du taux d’utilisation des capacités de production, qui se situe à son plus bas historique. Dans ce contexte, les entreprises n’ont aucune raison d’investir (i.e. d’accroître leur stock de capital), même en présence d’une baisse du coût du travail. Elles ont d’ores et déjà tendance à déclasser leur stock de capital inutilisé et à « ajuster » leur main-d’œuvre. Ce phénomène est la véritable cause de la baisse du potentiel de croissance de l’économie française ».
Sans trancher ce débat, il est indéniable que les faiblesses de l’investissement dans les PME et l’industrie en France constituent un motif majeur d’inquiétude pour l’avenir.
Ce retard ne les prépare ni à la concurrence internationale, ni à la croissance, les investissements étant d’abord consacrés au renouvellement des capacités existantes et non à la modernisation de l’appareil productif. Il obère lourdement la croissance des PME et ETI industrielles françaises. Si aucun renversement de tendance n’est mis en œuvre, cette situation handicapera lourdement la capacité du secteur productif français à monter en gamme.
c) Le capital industriel français accuse un grave retard de modernisation
D’ores et déjà, la France accuse un retard inquiétant en matière de robotisation.
Les flux sont sensiblement inférieurs à ceux de nos partenaires européens, si bien que le parc de machines-outils français connaît un retard et un vieillissement préoccupants. L’industrie française investit six fois moins que son homologue allemande dans la modernisation de son appareil productif : en 2012, elle n’a ainsi acheté que 3 300 robots, alors que l’industrie allemande en achetait 19 000.
nombre de robots industriels achetés
(Unités)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012* | |
Ÿ Allemagne |
15248 |
8507 |
14061 |
19533 |
19000 |
Ÿ France |
2605 |
1450 |
2049 |
3058 |
3300 |
Ÿ Espagne |
2296 |
1500 |
1897 |
3091 |
2500 |
Ÿ Italie |
4793 |
2883 |
4517 |
5091 |
4600 |
*Prévisions
Source : IFR International Federation of Robotics.
Lors de son audition (116) devant la mission, M. Jean-Camille Uring, président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), a indiqué que [la modernisation de notre outil industriel] ne fait l’objet en France que de 28 % des investissements productifs. Avec seulement 6,1 % du PNB consacré à l’investissement en machines, nous sommes parmi les derniers pays de l’OCDE, l’Italie ou l’Allemagne faisant bien mieux avec 9 % et 7,2 % respectivement. [….]. En 1999, l’âge moyen du parc de machines-outils était de dix-sept ans en France, de dix ans en Italie et de neuf ans en Allemagne. Autrement dit, une part notable de nos machines a été financée par le plan Marshall ! De plus, notre taux de robotisation est très faible en comparaison de ce qu’il est chez nos voisins : il y avait l’année dernière 34 500 robots installés en France, 62 000 en Italie et 157 000 en Allemagne, soit 122 robots pour 10 000 emplois industriels en France, 159 en Italie et 261 en Allemagne ».
Ce retard français a un fort impact sur le niveau de la productivité, mais aussi peu avoir des conséquences sur des différentiels de qualité. Si son niveau reste élevé, elle ne croît plus suffisamment et la France souffre d’un retard en investissements visant à accroître la productivité. Or, sans augmentation de la productivité, il sera difficile à l’économie française de générer de la croissance.
Faute de conserver et d’accroître ses parts de marché, le retard de la France en termes de robotisation va à l’encontre de l’emploi. En effet, un effort de robotisation n’est en aucun cas synonyme d’usine sans ouvrier, et il ne s’agit en aucun cas de substituer la machine à l’homme. Bien au contraire, l’automatisation des entreprises vise à améliorer leur compétitivité, afin de leur permettre de gagner des parts de marché et ainsi de favoriser l’emploi, y compris en emplois plus qualifiés. Comme l’a souligné M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, lors de son audition (117) par la mission, « l’augmentation de la productivité et l’automatisation créent des emplois, même s’ils se transforment ». C’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement s’apprête à relancer la filière robotique, qui accuse un grave retard en France.
La France ne gagnera pas la bataille de la lutte contre le chômage sans politique volontariste de modernisation de son appareil de production.
2. Des retards préoccupants en termes de recherche privée et d’innovation
a) La recherche est trop éloignée de ses débouchés industriels
Même si la France dispose d’indéniables atouts en matière de recherche et développement (R&D), notamment au regard des niveaux de formation et de la qualité professionnelle de ses chercheurs, celle-ci souffre d’handicaps structurels, qui pénalisent notre pays dans la compétition internationale.
Selon Eurostat, l’effort global de R&D est en France de 2,25 % en 2011. Ce niveau est supérieur à la moyenne communautaire (2,03 %) et à la moyenne de la zone euro (2,09 %). Cependant, il est moins élevé que dans certains pays du nord et de l’est de l’Europe (118)et s’inscrit en recul depuis 1993.
Le différentiel d’effort de R&D entre la France et ses principaux concurrents s’explique par un effort trop limité des entreprises françaises en la matière, même si là encore le niveau français est supérieur à la moyenne communautaire (1,26 %) et à la moyenne de la zone euro (1,31 %).
En 2011, selon Eurostat, l’effort de R&D des entreprises françaises – orienté à la baisse jusqu’en 2008 – s’élève à 1,43 % du PIB, contre 1,9 % en Allemagne (119), ce qui représente un écart de 30 % entre les deux pays. En particulier, l’effort de R&D des entreprises de l’industrie manufacturière est faible en France, notamment en comparaison avec l’Allemagne.
Comme l’a résumé, devant la mission (120), le Professeur de Boissieu (Paris I -Panthéon-Sorbonne), également membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) : « La question centrale est donc de savoir comment inciter les entreprises privées à faire plus de R&D si elles ne le font pas spontanément ».
Le retard de l’industrie française en termes de R&D est d’autant plus lourd de conséquences que nos concurrents internationaux mènent une politique dynamique en la matière. On rappellera à cet égard que les pays d’Asie, qui sont en train de devenir les laboratoires du monde, s’apprêtent à conquérir les secteurs à haute valeur ajoutée.
Au-delà de ces aspects quantitatifs, la R&D française souffre de déficiences d’ordre culturel, qui conduisent à éloigner la recherche fondamentale de ses débouchés industriels.
Même si cette situation est en voie d’amélioration avec les pôles de compétitivité, les liens entre les sites de production industriels et les centres de recherche ne sont pas assez développés en France. Les liens entre le système public de l’enseignement supérieur et de recherche et les entreprises sont trop faibles en France, qu’il s’agisse de la valorisation professionnelle des jeunes doctorants ou du transfert de connaissance et de technologie vers les entreprises. Outre-Rhin, l’industrie et la recherche travaillent dans des cadres d’étroites collaborations, débouchant sur des PME innovantes et dynamiques.
Comme l’a souligné M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, de son audition (121) devant la mission : « Alors que la France bénéficie d’une excellente recherche fondamentale, celle-ci profite peu à l’industrie […]. Ainsi le nombre d’ETI entretenant des rapports réguliers avec un laboratoire de recherche serait de l’ordre de 750 en France, contre 15 000 en Allemagne ».
En conséquence, la R&D française n’est pas assez orientée vers la notion de process industriel. Contrairement à l’Allemagne, la France a du mal à opérer la transition entre la recherche fondamentale et l’application pratique et l’intégration dans un process industriel. Les travaux de la mission ont permis de souligner l’importance de ce phénomène pour les entreprises d’outre-rhin. La maîtrise et l’amélioration continue des process sont au cœur de la performance des entreprises industrielles allemandes.
M. Vincent Schramm, directeur général du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), a indiqué, lors de son audition (122) par la mission, que « la performance du tissu industriel allemand [s’explique par le fait] que les entreprises allemandes réfléchissent de manière continue à l’amélioration de leurs process de production. Cela leur assure un avantage en termes de prix, mais aussi de qualité et de compétitivité hors coûts ».
b) La France souffre d’un déficit en innovation
Conséquence de l’effort insuffisant en termes de R&D du secteur productif français, la France souffre d’un déficit d’innovation, laquelle traduit les efforts de recherche et développement en débouchés commerciaux
M. Jean-Camille Uring, président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), a indiqué, lors de son audition (123) par la mission, que « si [la France dépense] quelque 32 milliards d’euros en recherche et développement, dix milliards seulement vont aux dépenses d’innovation : installation de nouvelles machines ou de nouveaux logiciels ou composants ». Ce niveau de dépenses est largement insuffisant, comme en témoignent les indicateurs internationaux.
Le tableau de bord de l’innovation de l’Union de 2011 montre en effet que, sur la base de 24 indicateurs, la France occupe la 11ème place et est considérée en Europe comme un pays « suiveur » en termes d’innovation, derrière les pays leaders que sont le Danemark, la Finlande, l’Allemagne et la Suède. Pour la Commission européenne, cet écart s’explique par le défaut d’investissement des entreprises et le manque d’innovateurs.
S’il convient de regarder avec une certaine circonspection les classements globaux, le rang de notre économie au titre de l’indice de la compétitivité 2010-2011 (124) est peu satisfaisant : la France se situe à la 15ème position, derrière la Suisse, la Suède, Singapour, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, la Finlande, les Pays-Bas, le Danemark, le Canada, Hong-Kong, le Royaume-Uni, Taïwan et la Norvège.
Situation de la France au regard de l’innovation
Critère |
Rang |
Capacité d’innovation |
8 |
Qualité des institutions de recherche scientifique |
19 |
Dépenses de recherche et développement des entreprises |
13 |
Collaboration université/industrie dans la recherche et développement |
44 |
Commande publique de produits de haute technologie |
48 |
Disponibilité de scientifiques et d’ingénieurs |
12 |
Brevets d’invention par million d’habitant |
21 |
TOTAL |
19 |
Source : The Global Competitiveness Report 2010-2011© 2010 World Economic Forum.
Autre symptôme du déficit d’innovation en France : les entreprises françaises déposent trois fois moins de brevets que leurs homologues allemandes (17 000 contre 60 000). Comme l’indique le Pacte national pour la croissance, ce déficit est particulièrement observé dans les PME françaises, qui représentent 25 % de l’effort de R&D mais seulement 17 % du dépôt des brevets. Cet écart permet d’appréhender le différentiel dont souffre la France en matière de réussite de ses processus d’innovation.
NOMBRE DE BREVETS TRIADIQUES (125)
(par million d’habitants)
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 | |
États-Unis |
50,3 |
51,0 |
51,8 |
51,9 |
53,1 |
49,9 |
46,3 |
45,2 |
44,8 |
Suède |
77,7 |
75,2 |
77,4 |
92,1 |
99,0 |
101,2 |
97,8 |
93,5 |
94,1 |
Allemagne |
66,7 |
66,0 |
68,3 |
70,1 |
72,4 |
72,2 |
69,9 |
68,7 |
69,5 |
Japon |
112,2 |
117,7 |
118,7 |
116,3 |
117,8 |
113,8 |
102,6 |
102,5 |
117,7 |
France |
37,0 |
37,6 |
39,7 |
39,3 |
39,5 |
40,0 |
39,7 |
38,8 |
39,0 |
Sources : OCDE, Eurostat, principaux indicateurs de la science et de la technologie.
M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris, a précisé, au cours de son audition (126) que « pour analyser les succès de l’économie allemande, tournée vers l’exportation, il faut revenir sur une quinzaine d’années d’enchaînement de décisions dynamiques. [….] Au milieu des années 1990, les entreprises allemandes [….] ont [….] décidé de jouer sur [le levier] de l’innovation : les courbes de l’effort de recherche et développement [entre l’Allemagne et la France] se coupent en 1995 et la part de la richesse nationale consacrée à cet effort, jusque-là supérieure en France, baisse dans notre pays et augmente à vitesse accélérée en Allemagne, comme dans la plupart des pays européens. Nous n’avons jamais rattrapé ce retard ; le gouffre n’a même jamais cessé de se creuser ».
L’innovation est ainsi au cœur du processus industriel allemand.
M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, a souligné, au cours de son audition (127) par la mission, que « le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d’entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit. C’est ainsi que la Golf de Volkswagen n’a cessé de changer d’aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente [….]. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l’évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d’une amélioration continue des projets ».
Pourtant, au travers des innovations de produit, de processus, de marketing et d’organisation, l’innovation est devenue le levier majeur de croissance et de développement industriel et créé de nouveaux marchés. A ce titre, la contrainte de l’innovation pèse aujourd’hui sur toutes les entreprises, qu’il s’agisse d’entreprises à forte intensité technologique ou d’entreprises plus classiques.
Elle est essentielle pour les pays confrontés à une concurrence par les coûts sur des marchés de produits matures, comme c’est aujourd’hui le cas pour la France. L’innovation est le seul moyen pour la France de « monter en gamme » et de retrouver des parts de marché mondial et de la croissance.
Comme l’a fort justement résumé M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode, lors de son audition (128) par la mission : « c’est évidemment l’innovation qui créera les conditions de la compétitivité à moyen et long terme ».
La Chine ne s’y est pas trompée et fonde dorénavant sa stratégie industrielle sur l’innovation.
Comme le souligne le rapport « Le nouvel impératif industriel » du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie de mai 2012, la Chine a désormais l’ambition de devenir « le laboratoire du monde », après avoir été « l’atelier du monde ». Son objectif est de promouvoir une société chinoise de l’innovation. Elle développe ainsi une politique d’innovation reposant sur une base scientifique et technologique, en assimilant les innovations venues de l’étranger et en promouvant une politique d’innovation locale. Elle multiplie les investissements publics dans la R&D et se fixe comme objectif de déposer deux millions de brevets par an à compter de 2015.
Des mesures ont été prises ces dernières années pour favoriser l’innovation : la création des pôles de compétitivité, le rapprochement initié par la loi LRU (129) des universités du monde des entreprises, la création du Crédit impôt recherche (CIR) et du crédit impôt innovation, le lancement du programme des investissements d’avenir (PIA). De tels dispositifs doivent toutefois être consolidés par un contrôle plus fin de leurs usages, afin qu’ils servent bien l’économie réelle et la réindustrialisation. En effet, le CIR a principalement bénéficié aux banques qui l’ont utilisé pour développer leurs activités spéculatives.
La mission salue, à cet égard, les initiatives prises par les pouvoirs publics pour stimuler l’innovation en France : le soutien accordé à la recherche et à son transfert vers le tissu économique, le renforcement des partenariats recherche-entreprise, le lancement d’un nouveau programme d’innovations de rupture dans le cadre du PIA, la priorité donnée aux technologies numériques, la simplification des dispositifs publics de soutien à l’innovation, le financement de l’innovation et de l’industrialisation des produits qui en sont issus par la BPI, la mise en place d’un crédit d’impôt en faveur de l’innovation sont autant de mesures vont dans la bonne direction.
Votre Rapporteur abordera, dans le chapitre consacré à la politique industrielle, les mesures préconisées par la mission pour stimuler encore davantage l’innovation en France.
3. Un « cercle vicieux de compétitivité »
Au terme des travaux de la mission, il apparaît clairement que la modernisation de l’appareil de production français constitue la seule chance de maintenir une activité industrielle sur notre territoire.
La France est aujourd’hui prisonnière d’un « cercle vicieux de compétitivité », qui appelle des mesures urgentes et d’ampleur pour rebâtir son système productif.
Confrontée à un manque de compétitivité, l’industrie française a rogné sur ses marges pour « rester dans la course ». Mais la dégradation des taux de marge handicape les entreprises pour mener l’effort d’investissement, de recherche et d’innovation qui leur permettrait de rester compétitive et de monter en gamme. Les pertes de marché qui en découlent conduisent progressivement à une « atrophie » du tissu industriel français. Insuffisamment compétitives, les entreprises livrent bataille sur le terrain des prix, alors que la concurrence des pays émergents ne laisse que peu de chance de remporter la bataille.
M. Jean-Luc Gaffard, (OFCE), a résumé ainsi la situation lors de son audition (130) par la mission : « Un manque de compétitivité courante, prix ou hors prix, se traduira par une chute des taux de marge, laquelle fera obstacle à la réalisation des investissements nécessaires pour restaurer à terme cette compétitivité prix ou hors prix ».
Pourtant, à l’image de l’Allemagne en 2000, le redressement du tissu productif français est possible, sous réserve d’un consensus national sur cet objectif.
Le Professeur Christian Saint-Étienne a ainsi appelé, au cours de son audition (131) par la mission, à une reconstruction d’un système productif compétitif, afin de sauver le modèle français : « entre 1999 et 2011, […] nous avons défait en douze ans le tiers des acquis des Trente Glorieuses. Si, de nation vaincue et écrasée en 1944, la France est repassée au quatrième rang des puissances industrielles du monde, c’est que par miracle, pendant toute cette période, nous étions tous d’accord pour reconstruire nos infrastructures énergétiques et physiques, conformément à la politique définie par le Conseil national de la Résistance (CNR). […] À l’époque, tout le monde comprenait la nécessité de reconstruire un système productif compétitif […] ».
4. Des disparités territoriales frappantes
Nombre de territoires se trouvent, avec la crise, dans une situation qui s’aggrave.
Laurent Davezies, professeur au CNAM et à Sciences Po, a dressé un constat préoccupant (132) et qui distingue quatre France :
« – une France productive, marchande et dynamique, concentrée dans les plus grandes villes, où se forgent les nouveaux atouts de la compétitivité (36% de la population ;
– une France non productive, non marchande et pourtant dynamique, située à l’ouest d’une ligne Cherbourg-Nice, qui vit d’une combinaison de tourisme, de retraites et de salaires publics (44% de la population) ;
– une France productive, marchande et en difficulté, composée de bassins industriels déprimés, principalement dans la moitié nord du pays (8% de la population)
– une France non productive, non marchande et en difficulté, située également dans le nord-est du pays et faite de territoires si frappés par le déclin industriels qu’ils dépendent essentiellement des injections de revenus sociaux (12% de la population) ».
Les secteurs les plus touchés, qui ont régulièrement perdu de l’emploi depuis 1993 (mais pas plus rapidement en 2008-2009), sont ceux où l’on retrouve l’essentiel de l’industrie traditionnelle française (industries textiles, meuble, imprimerie, chimie, sidérurgie, papier, fabrication de machines) ; d’autres progressaient rapidement jusqu’au début des années 2000 et ont subi ensuite un déclin marqué.
Quant aux territoires les plus atteints, c’est « une descente aux enfers » dans certaines zones d’emploi des territoires du nord-est ; en revanche, les régions de l’ouest et du sud ont été relativement épargnées. Les six régions les plus affectées (Limousin, Haute-Normandie, Franche-Comté, Lorraine, Picardie et Champagne Ardennes) sont industrielles, à une exception près, et subissent 30% des pertes d’emploi, alors qu’elles ne représentent que 15% de la population. Un fait nouveau apparaît avec la crise de 2008-2009, les grandes villes résistent mieux que le reste du pays, car les activités productives modernes, notamment dans le secteur du tertiaire supérieur n’ont pas subi le même contrecoup.
La crise de 2008-2009 a donc « attaqué prioritairement les territoires déjà blessés » et il conclut que « ce n’est pas le secteur, mais le territoire industriel …qui a été le plus durement touché ». L’effet d’amortissement de l’emploi public a joué, mais il joue d’autant moins que les territoires ont été affectés par la crise ; les régions les plus dépendantes de l’emploi public sont celles qui ont les problèmes économiques et sociaux les plus aigus (133) .Il en est de même pour l’effet de compensation lié par la consommation.
Le choc, pour les territoires défavorisés, risque d’être plus brutal que les précédents, car ceux-ci seront moins bien protégés du fait de l’assèchement des finances publiques. L’économie de nombreux territoires est en effet jusqu’à présent portée par les emplois publics. M. Laurent Davezies évoque « la fin d’une époque », même si d’autres ressources de ces territoires, comme le tourisme ou les pensions de retraite ne devraient pas connaître un fléchissement aussi net.
Les nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission ont mis l’accent sur la nécessité de politiques « au plus près des territoires », donc d’une meilleure prise en compte des besoins territoriaux.
La politique de l’emploi reste très nationale et manque de flexibilité : M. Philippe Askenazy a fait remarquer que le dispositif des emplois aidés, mis en œuvre de Paris, applique les mêmes critères à tous les départements. Or, la France se caractérise par des différences territoriales importantes : il en conclut donc que les politiques françaises de l’emploi et de l’innovation devaient donner plus de place aux territoires, considérant que les succès de certaines régions italiennes et de certains Länder allemands s’expliquaient par l’autonomie dont ils disposaient.
M. Jean-Camille Uring, Président du syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) a souligné qu’il fallait que « nos entreprises puissent s’ancrer dans leur terroir », car il est plus facile de défendre son entreprise lorsqu’elle est immergée dans un territoire, que lorsque les décisions se prennent dans un état-major lointain, à des milliers de kilomètres : « l’essentiel est que les organes de décision restent au niveau local ».
Cette politique « au plus près des territoires » se pratique largement chez nos voisins européens. Lors de la table ronde de la mission avec des industriels allemands et italiens, M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France, a souligné que le modèle italien était très lié à la régionalisation de son tissu ainsi qu’à l’existence d’un nombre élevé de très petite entreprises. En Allemagne, a rappelé M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la Chambre de commerce franco-allemande, les Länder jouent un rôle majeur et M. Jörn Bousselmi, directeur général de cette même chambre de commerce a ajouté que l’ « écosystème » en Allemagne était très régionalisé, en particulier sur le plan financier. M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France a noté qu’il était difficile de faire venir des talents en Haute-Normandie et de travailler au niveau local avec les pouvoirs publics et les autres entreprises pour résoudre ce problème : « les Italiens réussissent mieux que nous dans ce domaine ; au lieu de faire de même, nous subissons individuellement les injonctions gouvernementales relatives au handicap, aux seniors, aux stagiaires etc., et nous n’osons pas agir de peur des taxes afférentes».
II.— NE PAS ÊTRE « LA BELLE ENDORMIE » : AU-DELÀ DE LA SEULE QUESTION DES COÛTS DE PRODUCTION, S’ADAPTER AUX ATTENTES DU MARCHÉ GRÂCE A L’INNOVATION ET EN VALORISANT LA QUALITÉ
Une idée assez consensuelle s’est dégagée au travers des travaux de la mission. L’économie française ne connaît pas une crise brutale mais davantage un lent et relatif déclin, assorti d’un déphasage de politique économique avec notre partenaire allemand, lequel s’est traduit par un décrochage des parts de marché à l’international à compter du début des années 2000. En fait, le choc économique des années 2008-2009 a plus été un révélateur de cette situation qu'une cause. C’est donc bien une sorte d’endormissement qui caractérise l’état de notre économie. Endormissement partiellement masqué par la rémanence des images de luxe, d’élégance et de sophistication qui viennent spontanément aux observateurs étrangers les mieux disposés. Certes la France n’est pas le seul pays à avoir laissé se creuser ses déficits intérieurs et extérieurs mais les points de croissance de son PIB ont essentiellement résulté de la stimulation de la consommation et non pas de la production et des exportations.
Même si les signaux n’avaient pas fait défaut auparavant (134), l’un des grands mérites du rapport du commissaire général à l’investissement, M. Louis Gallois (135), est d’avoir hiérarchisé les différents maux dont souffre notre économie, en mettant la compétitivité de notre industrie au cœur du débat et en la replaçant au sein d'un objectif de restauration de la confiance en notre destin collectif et d'une certaine fierté nationale sans lesquels il n’est pas de progrès durable.
Les diverses auditions ont permis de constater qu’il existe désormais un consensus pour dépasser l’opposition traditionnelle entre compétitivité « prix » et « hors-prix », les deux facettes se révélant indissociables. Il est possible de vendre cher des produits hauts de gamme et/ou différenciés, il est surtout nécessaire de tenter de répondre au mieux aux besoins des économies en croissance tout en favorisant l’innovation et la qualité des produits « fabriqués en France ». Comme l’a souligné le ministre du redressement productif lors de son audition par la mission(136), la nécessité de redynamiser notre appareil productif va bien au-delà de la remontée de tel ou tel agrégat économique, c’est bien plus fondamentalement l’indépendance et le rayonnement de la France qui sont en cause.
La compétitivité prix consiste, pour une économie ou une entreprise, en la capacité de pouvoir fournir, dans le but de développer ses activités, des biens et services de même qualité et dans le même temps que les autres fournisseurs à un niveau de prix au plus égal à ceux-ci et pour un bénéfice équivalent. Celle-ci dépend, au-delà des évolutions de taux de change, des coûts salariaux et de ceux du capital.
De son côté la compétitivité « hors prix », moins visible, est la capacité de faire valoir des avantages compétitifs autres que le prix. Les critères « hors prix » sont très diversifiés, on peut principalement citer : la qualité, le contenu en innovation technologique, l’ergonomie et le design, la performance des réseaux de distribution (rapidité et respect des délais de livraison), le service après-vente, l’étendue de la garantie ou l’image associée aux produits. Le fait que ces critères évoluent plus lentement et sont moins sensibles aux fluctuations conjoncturelles que les prix explique la difficulté à en saisir l’importance exacte dans les relations commerciales.
A.— EN DEHORS DES SEGMENTS « HAUT DE GAMME », LA CONCURRENCE S’EFFECTUE MAJORITAIREMENT PAR LES PRIX ET ILLUSTRE LA NÉCESSITÉ DE MONTER EN GAMME ET EN VISIBILITÉ
Cette problématique structurante a été illustrée lors des auditions par M. Patrick Artus (137) qui a eu recours à l’image du sandwich pour décrire la situation de l’industrie française : « le haut de gamme part vers des pays qui s’y spécialisent, et le bas ou le milieu de gamme vers des pays qui ont des coûts salariaux ou des coûts d’énergie plus faibles. »
Cette situation ne peut perdurer car elle met en péril l’avenir. M. Patrick Artus a mis en lumière l’écart de rentabilité qui se creuse entre les entreprises allemandes et françaises au détriment de ces dernières :
« Depuis la fin des années 1990, les coûts salariaux unitaires dans l’industrie ont certes davantage augmenté en France qu’en Allemagne, mais ce sont surtout les prix qui font la différence de rentabilité entre les deux pays : alors qu’ils augmentent un peu plus vite que les coûts en Allemagne, la France est obligée de baisser les siens pour pouvoir vendre. Cela tient, à nouveau, au niveau de gamme de nos produits : lorsqu’on fabrique du bas de gamme, on se retrouve concurrent de pays à coûts salariaux faibles, et on est obligé de baisser les prix pour continuer à vendre. L’écrasement des marges des entreprises françaises trouve ainsi sa cause dans la baisse des prix plutôt que dans la hausse des coûts, ou encore dans l’impossibilité, pour les industriels, de répercuter les hausses de leurs coûts – salaires ou matières premières – sur leurs prix. »
C’est là l’origine de l’effet « vortex » évoqué par M. Jean-Luc Haas (138), au nom de la CFE-CGC, pour décrire la spirale infernale qui voit s’enchaîner la réduction des marges des entreprises donc la réduction de leur capacité d’autofinancement, qui entraîne à son tour la dégradation de la note des entreprises cotées, un renchérissement du coût du capital et de ce fait une diminution de l’investissement et, in fine, un cantonnement dans la production de bas ou de milieu de gamme : « L’industrie française a été conduite à préserver sa compétitivité-prix au détriment de sa compétitivité hors prix », résume le rapport Gallois (139). De plus, ainsi que l’a relevé M. Christian de Boissieu, les entreprises françaises, quel que soit leur secteur d’activité, « sont toutes « preneuses de prix » (price takers) » et « ne devraient pas trop compter sur la constitution d’un pouvoir de marché pour reconstituer leurs marges » (140). On retrouve à cette occasion une des différences, réelle ou supposée, avec les entreprises allemandes, censées disposer d’un pouvoir de marché leur permettant d’être des entreprises price makers, « proposant un produit que les gens acceptent de payer plus cher, comme une BMW » (141).
De plus, la concurrence s’est intensifiée au cœur même de l’Europe en se déplaçant des seuls éléments de fiscalité vers une pression à la baisse des rémunérations. En effet, les salaires baissant dans les pays du sud de l’Europe, ceux-ci gagnent en compétitivité sur le milieu et le bas de gamme. C’est tout particulièrement le cas de l’Espagne dont les coûts salariaux unitaires baissent de plus en plus rapidement, ce qui fait de ce pays un compétiteur de plus en plus direct et de plus en plus dangereux pour notre pays.
Au-delà de la nécessaire montée en gamme de pans entiers de l’économie, l’attention doit porter sur les demandes pérennes du marché, sur l’existence de marchés de renouvellement et sur le lien indéfectible entre, d’une part, l’utilisation de matériels performants de production, l’élaboration de machines et biens intermédiaires et, d’autre part, le savoir-faire qui s’attache aussi bien à l’utilisation qu’à la conception et à la production de tels biens.
Plusieurs intervenants ont mis en avant devant la mission ce risque de perte de savoir-faire et ses conséquences pour la productivité de notre industrie, sans compter l’incapacité de transmettre ces savoirs techniques aux jeunes, contribuant ainsi à alimenter le discrédit de certaines filières. Un autre souci voisin touche au faible volume et au vieillissement du parc de machines automatisées en France. Partant de ce constat, le Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) (142) propose de dresser urgemment un état des lieux de l’outil de production en France, pour déterminer dans quels secteurs, dans quelles régions et pour quelles technologies l’obsolescence est la plus manifeste.
1. Un positionnement trop centré sur le « moyen de gamme »
C’est le constat dressé par l’économiste Christian Saint-Étienne pour expliquer le rôle défavorable d’un euro trop cher pour notre économie : « L’euro a joué un rôle parce que, à l’exception de quelques sous-secteurs industriels, notre industrie se situe dans les gammes moyennes et que l’élasticité-prix de nos exportations est très forte, contrairement à celle de l’Allemagne. » (143)
Le problème de l’industrie française, désormais assez clairement perçu, tient sans doute au niveau du prix du travail mais aussi au niveau de gamme de nos produits. La banque d’investissement Natixis a élaboré un indicateur permettant de comparer plus finement le niveau des salaires en fonction du niveau de gamme des produits et de dépasser le trompe l’œil découlant du fait que les coûts salariaux dans l’industrie, cotisations sociales comprises, restent encore proches en France et en Allemagne.
Ainsi que nous l’avons déjà vu précédemment(144), l’idée est que ces coûts « doivent cependant être corrigés en tenant compte du niveau de gamme, que l’on peut notamment quantifier en analysant la sensibilité de la demande aux prix : plus un produit est banal et bas de gamme, plus la demande est sensible à son prix ». Ainsi, d’après les calculs de notre service de recherche, le salaire horaire dans l’industrie, au niveau de gamme de l’Allemagne, est de 45 euros de l’heure en France, contre 34 euros outre-Rhin. L’égalité des coûts salariaux unitaires est donc une illusion, la différence s’élevant en réalité à quelque 30 %. » (145).
Cette approche plus fine et plus concrète, apporte une incontestable plus-value dans la compréhension du décrochage français. Encore une fois ce n’est pas le prix du travail en lui-même qui pose problème, et si cela était le cas des pays comme la Suisse ou la Suède connaîtraient de grandes difficultés, mais bien l’articulation entre un prix et un niveau de gamme. C’est dans ce rapport relatif, qui souvent d’une longue histoire et non dépourvu d’éléments irrationnels, que réside l’explication masquée derrière les équivalences nominales.
La notion de niveau de gamme est donc éminemment relative et son appréhension très souvent indirecte, au travers des réactions aux évolutions du taux de change. Plusieurs intervenants ont souligné l’avantage dont disposent les produits allemands en ce domaine. Ainsi pour le Professeur Christian de Boissieu (146), l’enquête précitée relative à l’image hors prix des produits français auprès de certains importateurs étrangers « montre qu’en la matière, depuis vingt à vingt-cinq ans, la France a comblé une partie de son retard face à l’Allemagne. Les entreprises allemandes conservent cependant une avance pouvant expliquer pourquoi elles sont moins sensibles que leurs homologues français au taux de change, et en l’occurrence à la surévaluation de l’euro. Plus généralement, en Europe, les différentiels de compétitivité "hors prix" sont tels que les pays européens sont inégalement sensibles aux taux de change, d’où la difficulté de définir un point de vue européen sur le taux de change idéal. »
M. Patrick Artus a dressé le constat de la baisse du niveau de gamme « pour à peu près tous les produits français, à l’exception du matériel de transport et de la pharmacie »(147). Il avait en outre précédemment relevé une différence d’approche entre les industriels français et leurs homologues européens, à savoir « que la France avait une logique de montée de gamme par niches, alors que les autres pays avaient adopté une logique de montée de gamme globale. C’est ainsi que les Allemands ou les Italiens peuvent être très bons sur tous les produits et faire du "haut de gamme" dans la chimie, le plastique, le bois, le textile, etc. et pas seulement dans les trains et les avions. » (148). Il ne faut pas non plus se cantonner au seul haut de gamme mais, dans l’idéal, disposer d’une offre diversifiée. Mais, de fait, le système productif allemand propose une offre de techniques et de produits qui correspond souvent au mieux à la demande des pays émergents lorsqu’ils sont à la recherche d’une haute qualité.
La question de la montée en gamme est donc capitale. Outre le fait que cette évolution n’est visible qu’à moyen terme, elle nécessite l’articulation entre les efforts de recherche et développement et la stratégie des entreprises. L’innovation cristallise les enjeux et les espoirs de toute stratégie de montée en gamme, plusieurs intervenants devant la mission ont regretté « l’absence en France d’un réseau comparable à celui des instituts Fraunhofer », même si les missions de nos Centre techniques industriels (CTI) pourraient être mieux connus donc mieux mobilisés avec quelques moyens supplémentaires. (149). Pour autant notre pays n’est pas totalement dépourvu de ressources en ce domaine et c’est sans doute en tentant de créer un continuum entre innovation, valorisation de la recherche et diffusion des techniques que des gisements de productivité restent à exploiter. La question d’une meilleure articulation entre les recherches publique et privée reste toutefois posée.
2. Développer l’innovation mais aussi la valorisation de la recherche et la diffusion des techniques au sein des entreprises
Ce sujet n'est pas nouveau : M. Alain Peyrefitte partant déjà à la recherche du « Mal français », notait, que la France est très forte pour les prototypes et moins pour la fabrication en série(150).Un trait caractéristique de notre pays est sans doute une dichotomie entretenue entre recherche privée et recherche publique d'un côté, et entre recherche dite « blanche » et recherche appliquée de l'autre. Il est communément admis aujourd'hui que, dans chacun de ses deux couples, les deux facteurs sont dépendants et s'alimentent l'un l'autre.
L’innovation est protéiforme, ainsi Mme Agnès Benassy-Quéré avait souligné que « nous exportons essentiellement des hautes technologies et des produits haut de gamme – l’un n’étant pas nécessairement lié à l’autre comme en témoigne le vin. » (151)
Nous avons vu précédemment que la question de la compétitivité hors coûts rejoint celle de la montée en gamme. Or, selon M. Patrick Artus, « alors que la France bénéficie d’une excellente recherche fondamentale, celle-ci profite peu à l’industrie, en dépit du crédit d’impôt recherche. Ainsi le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) entretenant des rapports réguliers avec un laboratoire de recherche serait de l’ordre de 750 en France, contre 15 000 en Allemagne. » (152) Cette constatation interroge donc aussi sur l'utilisation des fonds du Crédit impôt recherche (CIR) tantôt qu'ils constituent un atout pour l'attractivité d'un territoire ou bien un réel soutien à des activités de recherche.
Il s’est également interrogé sur les moyens de « corriger cette situation et faire en sorte que nos industriels aillent puiser des idées dans les laboratoires universitaires. Cette pratique, aussi courante que spontanée aux États-Unis, a donné par exemple les succès du stylo-bille ou de la poêle Tefal. ». S’agit-il là d’un défaut d’appétence à l’égard des applications concrètes, voire triviales, d’un procédé génial ou, plus prosaïquement, d’une conséquence du cloisonnement entre la recherche publique et les applications qui peuvent en découler ? La responsabilité de cette situation est sans doute à rechercher à la fois du côté des chercheurs et des entrepreneurs.
M. Jean-Philippe Bourgoin (153), directeur de la stratégie et des programmes du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, avait d’ailleurs précédemment rappelé cette difficulté française à traduire les progrès de la recherche en process industriel : « Afin de maximiser l’effet de la R&D sur l’innovation, il est indispensable de combler ce que l’on appelle la " vallée de la mort ", c’est-à-dire de ne pas oublier qu’il faut passer de l’idée à la technologie, de la technologie au produit et du produit à sa fabrication en grande série. »
a) Une culture de l’innovation trop peu présente
Au-delà des efforts financiers consacrés à la Recherche & Développement, un ensemble d’éléments permettent d’appréhender la culture d’innovation d’une entreprise. D’une manière générale, l’innovation peut tout d’abord être qualifiée de rupture lorsqu’elle modifie profondément les conditions d’utilisation par les clients et/ou qu’elle s’accompagne d’un bouleversement technologique. Constituent de tels exemples d’innovation : le passage du moteur à vapeur au moteur à explosion, du télégraphe au téléphone, du téléphone à internet… ou encore passage de la cassette VHS au DVD. L’innovation peut également être « incrémentale » : elle consiste en de modestes, graduelles mais continuelles améliorations de techniques ou de produits existants afin d’y apporter une amélioration sensible et permettre à l’entreprise de conserver son avance technologique sur ses concurrentes.
On peut penser que le modèle allemand, le Mittelstand constitué de PME recherchant l’innovation dans une perspective de long terme, est plus sensible à l’innovation incrémentale que le modèle français. Point de vue partagé lors des auditions par M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, selon qui, « une étude réalisée pour le Fonds stratégique d’investissement montre que le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d’entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit ».
Il ajoutait pour la grande industrie : « C’est ainsi que la Golf de Volkswagen n’a cessé de changer d’aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente, alors que si l’aspect ou la technologie d’un produit est totalement modifié, le modèle précédent perd toute valeur. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l’évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d’une amélioration continue des projets. » (154)
D’autres éléments, comme le design et l’ergonomie, qui peuvent de prime abord paraître secondaires, surtout si l’on considère le secteur des biens intermédiaires et d’équipement plutôt que celui des biens de consommation, n’en constituent pas moins des champs ouverts à l’innovation en vue de gains de part de marché.
Selon une étude de l’institut COE-Rexecode consacrée au design et à l’innovation(155), deux pays alternent à la première place en ce qui concerne le design-ergonomie des biens intermédiaires et d’équipement : le Japon et l’Italie. En moyenne sur la période 2001-2009 c’est le Japon qui, de très peu, tient la tête. Ce pays est aussi en moyenne le premier pour le design des biens d’équipement mécanique et électrique. Le design italien, premier pour les biens de consommation, se trouve second pour les biens intermédiaires et d’équipement. L’Allemagne occupe en moyenne la troisième place, avec souvent, d’une enquête à l’autre, des positions plus avantageuses encore pour l’équipement électrique ou la mécanique.
Quant à la France, qui est classée deuxième pour le design des biens de consommation, elle ne se place qu’en cinquième position pour le design des biens intermédiaires et d’équipement. Pour expliquer cet écart, les auteurs avancent le fait que beaucoup de designers français, dans la lignée des Arts décoratifs, négligeraient encore de s’intéresser à des produits autres que ceux de consommation, laissant ces produits, plus techniques, aux bons soins des seuls ingénieurs.
Un intéressant tableau montre le positionnement de différents pays en fonction des qualités de leurs produits :
Classement des productions nationales pour l’ensemble des biens de consommation selon le critère (moyenne 2000-2008)
La situation française est plus défavorable en matière d’innovation technologique : la France n’apparaît en moyenne qu’en cinquième position sur ce critère. C’est dire que, à l’exception du sous-secteur de l’agro-alimentaire, pour lequel les produits français sont classés deuxièmes, le niveau technologique des biens de consommation français est relativement peu apprécié. Ce critère constitue donc pour la France un handicap concurrentiel. Ceci reflète, une fois de plus, malgré un assez bon niveau en matière de recherche, une difficulté spécifique à appliquer cette recherche dans le domaine industriel et à procéder à des transferts de technologie.
Les auteurs relèvent que la France souffre depuis longtemps d’une image de moindre innovation technologique de ses productions. Jusqu’ici, en ce qui concerne les biens de consommation, un bon design et de bons services palliaient en grande partie la faiblesse perçue en contenu technologique, ce qui ce qui avait permis jusqu’en 2006 de conserver une compétitivité hors prix, en deuxième place derrière l’Allemagne. Selon M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode, une prochaine enquête, qui porte sur les biens de consommation, fait déjà apparaître des conclusions comparables à celles que l’on peut tirer des données relatives aux biens d’équipement et intermédiaires pour les dix dernières années.
Il est symptomatique de retrouver des conclusions similaires en matière de dépôts de brevets. Un rapport du Conseil d’analyse économique met d’ailleurs en lumière les processus de transfert qui se mettent en place dans le financement privé de la recherche : plus les entreprises participent au financement en amont, plus elles en bénéficient en aval en terme de brevets triadiques (156) déposés. Dans la mesure où une large part des brevets déposés proviennent de la recherche privée, la France, parce qu’elle investit relativement moins en recherche industrielle, dépose relativement moins de brevets (157).En ce sens, la faiblesse des moyens consacrés aux dépenses de recherche et développement dans notre pays, dans les crédits publics et encore plus dans les crédits privés, constituent un handicap aujourd'hui et pour l'avenir. L’appel lancé par le directeur du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), M. Philippe Choderlos de Laclos, est parfaitement illustratif de cet état de fait et des moyens d’y remédier : « Les instituts Fraunhofer ont trois fois plus de moyens que le CETIM pour l’innovation : ils déposent donc trois fois plus de brevets que nous ! Donnez-nous des moyens, et nous ferons la même chose ! ». (158)
b) L’innovation doit faire l’objet d’une valorisation concrète et d’une diffusion au sein du tissu des PME-PMI
Il apparaît bien que c’est au stade de la valorisation concrète des produits de la recherche que se situe la perte la plus significative.
Selon M. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe d’ingénierie industrielle Fives et Président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), « si nous dépensons en France quelque 32 milliards d’euros en recherche et développement, dix milliards seulement vont aux dépenses d’innovation : installation de nouvelles machines ou de nouveaux logiciels ou composants. Or, dans toute entreprise, l’introduction d’une technologie nouvelle implique bien souvent une révision globale du processus de fabrication et l’acquisition de nouvelles compétences. Et même si cette technologie n’est pas nouvelle absolument, elle n’en doit pas moins être regardée comme une innovation, en particulier pour une PME, et mérite à ce titre une incitation similaire au crédit d’impôt recherche, ou une inscription dans le champ d’application du crédit d’impôt innovation » (159).
Il convient à cette occasion de souligner que l’article 71 de la loi de finances pour 2013 a complété le dispositif du crédit impôt recherche par un crédit innovation réservé aux petites et moyennes entreprises(160).
Pour rester compétitive, notre industrie doit offrir des produits de haute qualité, fabriqués dans des délais conformes aux attentes des clients et à des coûts de production adéquats.
Pour atteindre ces objectifs, a encore souligné M. Jean-Camille Uring, « il nous faut automatiser et, plus largement, développer le recours aux nouvelles technologies qui ne cessent d’évoluer, de la soudure laser aux fours à cristal désormais automatisés et numérisés. ».
Nous retrouvons à ce stade la nécessité d’une jonction entre recherche fondamentale et développement industriel, articulée en Allemagne autour des instituts Fraunhofer. Or, et c’est un aspect assez peu connu en dehors du milieu industriel lui-même, la France dispose elle aussi d’un outil performant quoique sous dimensionné par rapport à l’exemple allemand, il s’agit du réseau des centres techniques industriels, les CTI, créés en 1948 et qui n’ont pas depuis cessé d’apporter leur concours aux PMI-PME.
Illustrant cet état de fait, M. Jean-Camille Uring a indiqué devant la mission : « toutes les actions que nous entreprenons – « Robot Start PME » ou « Productivez ! »– sont réalisées en étroite collaboration avec les centres techniques qui nous sont alliés : le Centre technique des industries mécaniques (CETIM), doté d’un maillage territorial de premier plan, l’Institut de soudure, etc. Ces centres, financés par des taxes parafiscales acquittées par les employeurs, assurent la diffusion des nouvelles technologies et offrent une assistance pour l’installation et l’utilisation des nouvelles machines. ».
La récente signature entre le CETIM et l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) d’une convention destinée à sensibiliser les PME de la mécanique aux enjeux de la propriété industrielle et à les accompagner dans leurs démarches illustre le rôle de facilitateur et d’accompagnateur des CTI à l’égard des entreprises.
Il convient d’insister sur la diffusion des innovations technologiques au sein des entreprises, en effet lorsqu’une PME ou une ETI fait un investissement, il est important que celui-ci soit totalement réussi ; pour cela, toute arrivée d’une nouvelle machine doit s’effectuer dans un environnement préparé, qu’il s’agisse du processus de fabrication ou de la formation des personnels comme l’a encore souligné M. Jean-Camille Uring.
Cette réflexion doit être entendue. Elle touche la maille la plus fine du tissu industriel français, c’est cette maille qu’il faut consolider et moderniser pour disposer, à terme, d’un outil de production compétitif. À cet égard l’idée « d’inclure dans la définition de l’innovation la mise en œuvre par une entreprise d’une technologie nouvelle pour elle » (161) apparaît pertinente. Cette innovation suppose en effet l’installation d’une nouvelle machine, une évolution du processus de fabrication et l’acquisition de nouvelles compétences. Il faut souligner le fait qu’à ce stade la relation entre les entreprises et les centres techniques est essentielle.
Les missions des CTI se déclinent en quatre volets, tous fondés sur le progrès technique et l’innovation. Le premier est la création de la connaissance : nous contribuons à de nombreux projets de recherche, en France et sur la scène européenne. Le deuxième est la codification de la connaissance. C’est tout l’enjeu de l’organisation de la normalisation française, avec les trois volets sur lesquels les CTI interviennent : pré-normalisation, normalisation, diffusion et appropriation des normes par les entreprises. Viennent ensuite la transmission de la connaissance, qui recouvre l’assistance technique aux entreprises, les publications et la formation continue, domaine qui nous tient particulièrement à cœur, et enfin l’accompagnement de l’utilisation de la connaissance par des projets au profit des entreprises, autrement dit des prestations d’études. M. Christophe Mathieu, président du réseau des Centres techniques industriels (CTI) (162) |
Devant la mission, le directeur du CETIM a plaidé avec beaucoup de conviction en faveur de l’innovation à l’échelle de l’entreprise : « Nous devons absolument aider l’innovation, et non la recherche. Même si nous sommes contraints par le cadre européen, nous pouvons trouver de meilleures solutions qu’aujourd’hui. Les aides accordées via le Fonds unique interministériel (FUI) et les pôles de compétitivité sont trop orientées vers les centres de recherche, au détriment des entreprises. Nous faisons de la recherche, pas de l’innovation. Pour faire de l’innovation, il faut des sujets plus en aval. Surtout, il faut éviter de mettre dix personnes autour de la table lorsqu’on tient un sujet d’innovation : c’est l’assurance de perdre deux ans à faire un contrat de confidentialité, et au final, de ne pas s’en sortir. Il faut absolument aller vers des contrats plus petits, à la portée des PME. » (163)
Si distinction il y a entre recherche et innovation et si la partie innovation - ou encore valorisation - doit être mieux soutenue, ces deux fonctions doivent se comprendre comme s'alimentant réciproquement l'une de l'autre. Il apparaît donc essentiel de développer massivement dans notre pays des formations encore plus adaptées et surtout beaucoup mieux valorisées aux métiers de techniciens et d'ingénieurs. La formation par la recherche et pour la recherche, appliquée comme théorique, doit aussi être généralisée pour donner encore plus d'appétence à ce type de métiers porteurs d'avenir, permettant de solides carrières professionnelles et absolument nécessaires à la compétitivité de notre industrie.
Il convient de regarder précisément le mode de financement des CTI. Sur les quinze organismes sous tutelle du ministère du redressement productif, cinq CTI bénéficient de dotations budgétaires et neuf perçoivent le produit d'une taxe affectée, quant au CTI « Forêt, Cellulose, Bois, Ameublement » (FCBA) il bénéficie des deux modes de financement. Cette architecture mixte de financement apparaît à la fois complexe et source d’insécurité financière en raison de la tendance baissière des dotations budgétaires.
3. Promouvoir le « Fabriqué en France » et même un marketing patriotique
Face à la mondialisation, une nouvelle donne est nécessaire, associant l’État, les responsables politiques, les entreprises et leurs salariés pour mieux « vendre » notre pays. Améliorer l’image de la France est une nécessité car, actuellement, trop de chefs d’entreprises ont l’impression de n’être ni suivis ni même entendus dans le soutien qu'ils espèrent à ce sujet : cela nécessite une prise de conscience collective.
Alors même que les consommateurs sont manifestement demandeurs de plus de transparence, la mondialisation des processus de production conduit aujourd’hui à une véritable perte d’identité de la plupart des produits dont les origines n’apparaissent plus clairement aux consommateurs. La crise qui s'est faite récemment jour dans les défauts de contrôle du circuit de l'alimentation, défauts qui semblent assez généralisés, renforce d'autant ce constat et doit amener à des évolutions majeures.
À cette exigence de traçabilité s’ajoute désormais une volonté plus ardente, celle du « patriotisme économique » encouragé et soutenu par le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg. Du coup, au-delà de renforcement légitime de notre fierté nationale, le « Fabriqué en France » doit s'imposer et donc se justifier comme un gage supplémentaire de qualité et de confiance vis à vis des consommateurs.
La réflexion autour de ce sujet avait été initiée sous la précédente Législature avec le rapport rédigé par notre collègue M. Yves Jego. Son analyse de la mondialisation des chaînes de production et de ses conséquences sur l’identification de l’origine des produits mérite d’être rappelée :
« Cette perte d’identité connaît deux grands types d’exceptions : le produit qui bénéficie d’une marque très prestigieuse (de Chanel à Coca-Cola par exemple) ou celui connu pour son prix très abordable. Dans ces deux cas, l’image du produit semble « écraser » son origine. Cette évolution n’est pas sans conséquences. L’absence de valorisation de l’origine est à la fois l’effet et la cause du développement de la mondialisation des processus de production. Identifier et marquer l’origine d’un produit ne doit pas conduire à une remise en cause de la mondialisation en favorisant une forme de protectionnisme économique. Mais cela peut permettre de la rendre moins anonyme en augmentant la transparence et la traçabilité. Le " Made in monde ", c’est-à-dire l’opacité et l’anonymat, est une des raisons de l’image négative de la mondialisation partagée par de nombreux citoyens. » (164)
Une des idées du rapport Jego consistait à lever le « voile d’ignorance » sur le découplage entre l’image nationale de certaines marques et l’origine internationale de leurs produits. Il constatait en outre que de plus en plus d’États développent des stratégies de marque nationale (Suisse, États-Unis, Chine, Canada, Australie).
Pour valoriser le marquage de l’origine et plus largement les valeurs positives associées à la « Marque France », le rapport préconisait la mise en place de deux instruments pouvant être mis en place : un « made in France » facultatif à étoiles, d’une part ; une nouvelle labellisation volontaire plus valorisante pour le producteur et plus fiable pour le consommateur d’autre part.
L’objectif de ce « made in » à étoiles était de différencier les produits en fonction de leur degré de fabrication française, c’est-à-dire de leur impact économique et social plus ou moins important sur le territoire national. Aujourd’hui, en application du code des douanes communautaires, il n’y a pas de distinction entre des produits dont les conditions de fabrication peuvent être profondément différentes. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ne se satisfait pas des critères douaniers pour l’apposition d’un « made in » et pratique une interprétation au cas par cas peu compréhensible pour les acteurs économiques.
Pour les cas où il serait trop difficile d’appliquer le critère de la valeur ajoutée, le rapport proposait l’attribution des étoiles en fonction du nombre d’étapes du processus de fabrication réalisé dans le pays d’origine. Sans nier les difficultés pratiques de mise en œuvre d’un tel label, une telle démarche apporterait une incontestable visibilité à ces produits et permettrait d’impliquer producteurs et consommateurs. C’est tout le sens du marketing patriotique que le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg souhaite voir adopter par les entreprises, à commencer par les enseignes de la grande distribution (165).
L’idée d’une extension des indications géographiques protégées IGP aux produits manufacturés, comme semble le permettre les règles de l’OMC sans que le droit communautaire ne l’autorise à ce jour, est une autre idée figurant dans le rapport Jego dont la proposition n° 6 visait à « Conduire une action d’influence en faveur d’un règlement européen étendant le champ des indications géographiques protégées (IGP) aux produits non alimentaires afin de prendre en compte la situation des entreprises victimes de la concurrence déloyale de produits fabriqués à l’extérieur de l’Union européenne et utilisant la même dénomination pour leurs produits (cf. exemples des verreries de Murano, du cristal de Bohème, des couteaux Laguiole, de la porcelaine de Limoges etc.). »
Il s’agit effectivement d’une piste de travail intéressante qui a notamment retenu l’attention de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (166) et qui pourrait trouver un prolongement législatif dans le futur projet de loi sur la consommation. En effet l’étude de faisabilité d’une protection des IG pour les produits non agricoles décidée le 28 décembre 2011 par la Commission européenne ne constituera en tout état de cause qu’une photographie de l’existant. Dans ces conditions il apparaît nécessaire et urgent de mettre en place un cadre national pour les IGP non alimentaires afin de renforcer l’information des consommateurs et surtout pour permettre aux producteurs, artisans, PME, de mieux mettre en avant leurs produits et savoir-faire dans une économie toujours plus ouverte.
B.— LES PHÉNOMÈNES DE DÉLOCALISATION NE S’EXPLIQUENT PAS PRINCIPALEMENT PAR LES COÛTS DE PRODUCTION ET BROUILLENT LE PANORAMA DU COMMERCE INTERNATIONAL
La problématique du prix du travail était particulièrement mise en avant sous la précédente majorité qui voyait dans l’instauration d’une TVA dite « anti-délocalisation », le remède efficace à ce phénomène. Dans les faits, les délocalisations obéissent à une pluralité de causes parmi lesquelles la recherche de coûts du travail réduits est relativement marginale. La raison principale avancée par les entreprises qui ont recours à cette stratégie est d’accéder à des marchés en pleine croissance et d’être ainsi présentes au plus près des lieux de consommation de leurs produits.
La fragmentation de la chaîne de valeur n’est pas à proprement parler une novation pour les entreprises depuis que la mondialisation de l’économie et des échanges ainsi que la très forte montée en puissances des BRICS (167) ont totalement modifié les modes de production et de commercialisation des entreprises. Le scénario de développement des sociétés multinationales moqué dans la fable de René-Victor Pilhes (168), s’est transmis à l’ensemble des entreprises qui cherchent à diminuer leurs coûts de production. Elles ont alors recours soit à la délocalisation pure et simple de l’ensemble de leur production dans des pays à bas coûts, soit à l’externalisation d’une partie intermédiaire de la production (outsourcing) qui correspond à la délocalisation de certains segments de valeur ajoutée, soit encore au choix des différents composants d’un produit dans le monde entier à la recherche du meilleur coût (global sourcing). Il est en revanche important de relever que les entreprises françaises ont majoritairement choisi de délocaliser en globalité le processus de production et de réimporter, le cas échéant, le produit final alors que leurs homologues allemandes contrôlent mieux ce processus dans le cadre de délocalisations verticales.
Ce constat est largement partagé comme en témoignent les propos tenus par plusieurs économistes ou experts devant la mission. Il en va notamment ainsi de M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS) qui a souligné (169) que « la réussite de l’Allemagne tient en grande partie à ce qu’elle apporte de la valeur ajoutée à des biens d’Europe centrale et orientale en conservant la partie la plus intensive de la production, comme l’assemblage, en main-d’œuvre qualifiée. ». Selon lui, cet avantage est toutefois amené à évoluer à l’avenir car « au fur et à mesure que les pays d’Europe centrale ou orientale convergeront, ces coûts augmenteront, réduisant d’autant son avantage concurrentiel. »
L’observation de ces phénomènes complexes reste difficile au travers des données traditionnelles du commerce international qui reposent sur le modèle largement obsolète de la production d’un bien par un pays et l’exportation de ce bien vers un autre pays pour y être consommé. L’OMC et l’OCDE ont récemment modifié leur approche statistique du commerce international pour mieux tenir compte de la fragmentation des chaînes de production.
1. Une motivation principale : rapprocher la production du marché
Contrairement à l’idée la plus répandue dans l’opinion et dans le débat politique, l’essentiel des délocalisations n’est pas imputable à la simple recherche de coûts du travail moins élevé qu’en France. L’audition du Professeur Mouhoud (170) a été particulièrement éclairante à cet égard. Selon lui, en effet, il convient de distinguer deux grandes logiques de délocalisation :
– « Certains investissements à l’étranger sont liés aux différences de croissance et de demande, Il s’agit le plus souvent d’investissements directs, dont l’objectif est la conquête de marchés » ;
– « Une seconde logique est plus inquiétante, car elle remet directement en cause l’activité sur notre territoire. Je veux parler des délocalisations qui sont motivées par les différences de coût de main-d’œuvre ».
Ces conclusions rejoignent celles d’une enquête (171) réalisée en 2011 auprès de 730 conseillers du commerce extérieur et responsables d’entreprises françaises implantées à l’étranger : pour 87 % des entreprises l’implantation à l’étranger répond à la nécessité d’accéder à des marchés en croissance et pour 78 % elle répond à l’intérêt de se rapprocher des clients étrangers ; en revanche, la recherche de bas salaires ou d’une fiscalité avantageuse ne serait pas considérée comme une motivation pour respectivement 71 % et 73 % des sondés… en considérant que les sondés ne se soient pas auto-censurés !
La littérature économique tente de dissocier les deux motivations – accès à des marchés et réduction des coûts de production – en distinguant, au titre des investissements directs à l’étranger (IDE), IDE horizontal et IDE vertical. L’IDE horizontal correspond à la réplication de l’unité de production afin de desservir le marché local, tandis que l’IDE vertical consiste à fragmenter son processus de production dans plusieurs pays, afin de tirer parti des différences internationales de coût des facteurs. Cette distinction est évidemment théorique : les investissements dans les pays émergents (Pays d’Europe centrale et orientale [PECO] et Chine en tête) visent à la fois à accéder à de nouveaux relais de croissance et à bénéficier de faibles coûts de production. Cela explique en partie pourquoi la théorie ne permet guère de prédire l’impact des investissements à l’étranger sur l’activité de la maison-mère.
Selon certains auteurs (172) l’internationalisation des entreprises a un effet positif sur leur chiffre d’affaires, leur innovation et leur emploi en France, elle contribue donc au développement de l’activité industrielle en France. D’un autre coté, elle profite surtout aux emplois qualifiés (conception, fonctions supports) et provoque la destruction d’emplois peu qualifiés. Ce phénomène est tout à fait nouveau : depuis 2008, les groupes multinationaux (dont ceux du CAC 40) ont créé plus d’emplois dans les pays émergents que dans les pays industriels pour la simple raison que les marchés se trouvent là-bas. Or, l’essentiel des délocalisations pour des motifs d’accès aux marchés s’opèrent par des fusions-acquisitions, ce qui peut conduire à délocaliser aussi la recherche et développement (R&D), au risque d’une dilution de nos avantages comparatifs à long terme.
a) Les conquêtes de nouveaux marchés pour répondre à l’atonie de la demande en Europe
Les auditions ont montré que l’essentiel des délocalisations correspond à une stratégie de conquête de marchés en raison de la faiblesse de la demande en Europe et au déplacement du centre de gravité de la croissance vers l’Asie. Il s’agit le plus souvent d’investissements directs. L’illustration la plus pertinente de cette tendance concerne l’industrie automobile pour lequel le constat des experts est sans appel :
Si le marché automobile mondial, qui représente environ 80 millions de véhicules par an, est en croissance (+ 3 % par an), il se caractérise par de fortes disparités régionales. L’Asie – majoritairement la Chine – représente la moitié de ce marché et connaît une croissance de 30 % par an. D’autres zones de forte croissance existent en Amérique latine (+ 15 %), en Russie (+ 4 %) et en Amérique du Nord (+ 3 %). Le marché européen, qui représente un quart du marché mondial, est en revanche fortement déprimé. Après un pic de production en 2007 avec 23 millions de véhicules, il a connu une forte baisse pour atteindre un niveau de 17 millions de véhicules produits en 2009. Ce niveau de production s’établit à 19 millions de véhicules fin 2011 et les dernières estimations l’évaluent à 17 millions de véhicules en 2012. Ce marché européen déprimé se caractérise par des faiblesses structurelles. En premier lieu, il s’agit d’un marché saturé dont la production est uniquement orientée sur le renouvellement du parc existant. En second lieu, avec une démographie stable, ce marché n’est pas porteur contrairement à celui de l’Amérique du Nord, par exemple. Enfin, il comprend des pays durement affectés par la crise financière comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce. D’après le comité des constructeurs français automobiles (CCFA), la France en 2012 enregistre une baisse de production de 14 %, soit son niveau de vente le plus bas depuis 15 ans. (M. Emmanuel Sartorius (173), co-auteurs du rapport, commandé par le Gouvernement, sur la situation de PSA) |
La plupart des actuelles restructurations dans l’industrie automobile sont liées à l’atonie de la demande en Europe. Les groupes sont alors tentés de rechercher de nouveaux marchés, principalement dans les pays à forte croissance et les pays émergents et à investir à l’étranger en procédant à des fusions-acquisitions, en rachetant des entreprises existantes, ou en s’assurant le contrôle de la production – comme l’a fait Renault avec Nissan au Japon.
b) Délocalisations à la recherche de moindres coûts de main-d’œuvre
Cette démarche consiste à faire assembler des biens de consommation dans des pays à bas salaires. Elle concerne des secteurs comme le textile, l’habillement, le cuir ou la chaussure qui ont recours à une main-d’œuvre importante et ne peuvent automatiser que marginalement leurs process. Une fois assemblé dans les pays à bas salaires, le produit final revient ensuite en France.
Contrairement aux précédentes, les délocalisations liées aux différences de coût de main-d’œuvre ne passent pas par des investissements massifs à l’étranger. Il s’agit simplement de sous-traiter des opérations intensives en travail non-qualifié à des entreprises implantées en Chine ou encore dans le bassin méditerranéen. Il ne s’agit pas d’investissements directs, mais ce sont tout de même des délocalisations : on substitue à l’assemblage en France, un assemblage au Maroc, en Tunisie, en Chine ou en Inde.
Il est possible d’avoir une mesure de ces délocalisations à partir des statistiques du commerce international, notamment celles des importations de biens contenant des exportations préalables de composants et de biens finis destinés à la consommation finale des ménages. Selon les différents économistes auditionnés, ce phénomène de délocalisation reste relativement marginal. Il s’agit bien entendu là d’une approche purement macro-économique car d’un point de vue micro-économique, ce phénomène frappe lourdement certains territoires très spécialisés dans des secteurs soumis à la concurrence des pays à bas salaires.
Pour autant la capacité d’intervention des pouvoirs publics apparaît limitée et l’on ne peut que constater que les politiques mises en œuvre depuis trente ans ne sont pas adaptées à ces phénomènes de délocalisation. Elles passent presque toujours par des aides aux entreprises en difficulté, alors que les stratégies auxquelles obéissent les délocalisations verticales sont assez hétérogènes. Selon le Professeur Mouhoud (174), celles-ci obéissent à trois logiques bien distinctes.
– La première est une logique défensive. Elle s’observe aussi bien dans le secteur des biens de consommation comme le textile-habillement, le cuir, la chaussure ou le jouet, que dans celui des services depuis le développement des technologies de l’information et de la communication, qui rendent possible la délocalisation des activités de services aux entreprises tels que les centres d’appel ou la saisie informatique. Réimporter le produit final pour être consommé en France permet à l’entreprise de diminuer ses prix afin de rester dans la course de la compétitivité : la délocalisation compétitive ou défensive, est pratiquée par environ 30 % de nos entreprises, en particulier des PME ;
– Une deuxième logique concerne les entreprises qui développent des comportements de marge. Il s’agit là notamment, selon le professeur Mouhoud, des grands distributeurs qui seraient les champions de cette logique. Ils délocalisent l’ensemble de leur processus de production et le produit revient ensuite pour être consommé en France. La grande différence avec l’hypothèse précédente tient en ce que l’entreprise aligne le prix de vente final non pas sur le coût de production du pays de délocalisation, comme dans la logique défensive, mais sur le coût de production français. Le différentiel entre le coût de production du pays à bas salaires et le coût de production français passe essentiellement dans la marge. Environ 40 % des entreprises de biens de consommation qui délocalisent adopteraient ce type de comportement ;
– La troisième logique n’est pas toujours liée aux coûts de main-d’œuvre puisqu’il s’agit des délocalisations forcées. L’idée est que si les technologies ne sont pas les mêmes dans les différents segments de la filière de production, la délocalisation de l’assemblage peut induire une délocalisation de la filière amont – quand bien même celle-ci n’a pas de raison objective d’être – par le seul jeu des effets de demande et d’offre à l’intérieur de la filière. Il en va, par exemple, ainsi de la filière textile dont l’amont – filature, tissage – est totalement automatisé alors que l’aval – habillement, bonneterie – restent complètement manuels, car les activités à matières souples ne sont pas automatisables.
Le Professeur Mouhoud lie cette problématique aux relations entre distributeurs et fabricants qui constituent une spécificité française. Face à des producteurs atomisés en une myriade de PME, les distributeurs qui sont eux très concentrés bénéficient d’un avantage incontestable. Ce déséquilibre très ancien entre distributeurs et fabricants perdure en dépit des réformes législatives telles que la loi de modernisation de l’économie (175) qui entendait pourtant s’attaquer à certaines pratiques très contestables telles que l’abus du crédit inter-entreprises.
Les distributeurs ont un pouvoir de marché qui leur permet d’imposer des conditions de livraison et de marge très strictes. Dès lors, les fabricants sont contraints de délocaliser pour reconquérir des marges qui leur ont été confisquées. Les rapports inégaux entre distributeurs et fabricants concourent donc à expliquer les délocalisations forcées et constituent une différence notable avec la situation qui prévaut en Allemagne.
2. Sortir de l’alternative segmentation/délocalisation : la co-localisation
Plusieurs rapports (176) ont souligné que le recours à la segmentation de la chaîne de production est beaucoup plus développé en Allemagne qu’en France. Le rapport du Conseil d’analyse économique sur la comparaison des performances commerciales de la France et de l’Allemagne a bien mis en évidence des différences de stratégie des entreprises en matière d’internationalisation entre les deux pays. Les grandes entreprises françaises semblent avoir privilégié l’investissement à l’étranger et la production depuis leurs filiales étrangères, tandis que les entreprises allemandes segmentent plus la chaîne de valeur et utilisent leurs fournisseurs étrangers comme source de compétitivité pour des activités industrielles maintenues outre-Rhin.
Une autre donnée confirme la différence de stratégie : le pourcentage de consommations intermédiaires importées en provenance des pays émergents, ou en transition, qui traduit l’importance de la part d’externalisation du processus de fabrication, se situait autour de 8 % seulement pour la France en 2006 alors qu’il était deux fois plus élevé en Allemagne.
On retrouve à cette occasion une des explications avancées par le Professeur Mouhoud pour expliquer que les entreprises françaises délocalisent tous les processus de production et réimportent le produit final dans le cadre de délocalisations horizontales alors que leurs homologues, en Allemagne, contrôlent mieux le processus – elles ont procédé à des délocalisations bien avant – : c’est que la taille des entreprises distributrices et fabricantes est relativement comparable dans ce dernier pays. Selon lui, « le fait que ces entreprises soient de taille comparable les a poussées à coopérer. Ainsi, en Allemagne, un accord tacite a été passé entre les fabricants et les distributeurs afin que les seconds se fournissent à plus de 60 % auprès des premiers, ce qui n’a pas été possible en France. » (177)
a) La stratégie allemande s’explique d’abord par la géographie
Les auditions ont été l’occasion de souligner l’avantage économique que donne à l’Allemagne la proximité de la « nouvelle Europe » à la suite de l’élargissement intervenu en 2004 (Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie). L’analyse a été particulièrement développée par M. Philippe Askenazy (178) selon qui « le mode d’organisation des entreprises réclame en effet souvent que les sous-traitants soient situés à proximité de l’établissement où est réalisé l’assemblage – souvent à moins de 24 heures de délai de livraison. Les entreprises allemandes ont donc immédiatement adopté une stratégie consistant à délocaliser vers l’Europe de l’Est les opérations à faible valeur ajoutée pour maintenir en Allemagne les segments à forte valeur ajoutée. Ainsi, bon nombre des coûts intermédiaires sont plus bas pour les entreprises allemandes que pour les entreprises françaises ou espagnoles, et les pays européens qui présentent les plus grands succès à l’exportation dans les deux dernières décennies sont précisément ceux qui sont géographiquement proches des pays de l’Est, qu’il s’agisse de la Finlande, de l’Allemagne, de l’Autriche ou de l’Italie. »
Mais cette orientation est en réalité tout sauf une nouveauté. Les firmes allemandes délocalisent depuis longtemps la production de « morceaux » de biens intermédiaires dans les pays d’Europe centrale et orientale, ce qui leur donne un avantage de coût. Selon le Professeur Mouhoud les entreprises allemandes pratiquent depuis 1958 une stratégie de division du travail dans les pays d’Europe centrale et orientale : elles ont délocalisé plus et plus tôt que nous, mais principalement les biens intermédiaires. Elles incorporent ainsi dans le bien final des biens fabriqués à des niveaux de productivité et de qualification élevés, mais pour des coûts – en particulier salariaux – plus faibles. Cela leur confère un avantage évident. Cette caractéristique se combine avec le fait que l’Allemagne est plutôt spécialisée dans les biens d’équipement, les biens intermédiaires et les machines-outils, qui sont des biens très sensibles à la croissance mondiale, ce qui donne un fort avantage à ses exportations.
L’économie allemande, souvent qualifiée d’économie « de bazar » selon le concept lancé par le professeur Hans Werner Sinn de l’Institut für Wirtschaftsforschung (Ifo) à Munich (179), repose donc en partie sur ce mécanisme : les activités où les entreprises allemandes apportaient peu de valeur ajoutée ont été externalisées, ce qui a été plus que compensé par une hausse du volume de leurs exportations : si la valeur ajoutée par euro exporté a diminué, l’augmentation des volumes exportés a permis au final une croissance de la valeur ajoutée totale des exportations.
b) Une réponse française : la co-localisation
À l’occasion d’un déplacement au Maroc au mois de décembre 2012, le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a souligné les mérites d’une nouvelle forme de partenariat industriel qu’il a qualifiée de « co-localisation ». Si selon le professeur Mouhoud cette appellation n’est pas parfaitement satisfaisante, préférant quant à lui parler de « co-production », ou de « co-traitance », il s’agit néanmoins d’une évolution significative de la stratégie des grandes entreprises françaises. Ainsi, « le concept s'inspire des partenariats industriels que la RDA a mis en place avec les pays d'Europe de l'Est dès la fin des années cinquante, et que l'Allemagne réunifiée a développés de manière exponentielle après la chute du Mur. Il consiste, pour un pays donneur d'ordres, à faire fabriquer des composants intermédiaires industriels à forte valeur ajoutée par une main d'œuvre qualifiée mais moins onéreuse, dans un pays étranger. Cela s'apparente, à première vue, à de la délocalisation. Mais cela en diffère car la délocalisation verticale telle que nous la pratiquons actuellement dans beaucoup de pays en voie de développement ne concerne que l'assemblage des produits de masse, et poursuit une réduction des coûts à court terme. Les effets induits sont la perte d'emploi pour la France et une paupérisation des qualifications dans le pays fabricant. » (180)
Notre collègue Pouria Amirshahi, élu dans la 9ème circonscription des Français de l’étranger, plaide en faveur de partenariats scientifiques et industriels « gagnants-gagnants » dans le cadre d’un Projet Euro-Méditerranéen qui s’appuierait notamment sur l’espace économique du Maghreb. Dans ce cadre, le renforcement de stratégies communes en matière de formation, d’innovation et d’industrialisation pourrait aboutir à la mise en place de consortiums aptes à développer des filières durables et riches en emplois. La constitution d’un secteur euro-méditerranéen des énergies nouvelles lui paraît ainsi concevable, au même titre que ce que des pays européens ont su bâtir ensemble dans l’aéronautique et les activités spatiales. La volonté politique des gouvernements mais aussi l’ambition manifestée par des entrepreneurs des deux rives de la Méditerranée peuvent insuffler un esprit d’entreprenariat en soutenant des actions de co-formation (par exemple, un nouveau programme Erasmus francophone) favorables à la mise en place de co-localisations industrielles.
La ministre chargée du commerce extérieur, Mme Nicole Bricq (181), a d’ailleurs eu l’occasion de préciser un nouveau concept qui trouve surtout à s’appliquer avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. L’idée rejoint celle du partenariat industriel. À titre d’illustration, la France a signé des protocoles d’accord avec le Maroc et l’Algérie qui souhaitent avoir des productions locales pour leur marché intérieur, mais aussi des formations pour leurs jeunes. Ainsi, lorsque Renault s’implante à Tanger – et ce sera bientôt le cas en Algérie –, les emplois qui sont créés dans le pays devraient aussi être profitables à l’industrie française : loin de lui nuire, ils viennent en complémentarité des emplois restés en France. Le concept vaut également pour les plans agricoles que ces pays souhaitent mettre en œuvre. L’idée consiste à la fois à procéder à des transferts de compétences, voire de technologies en destination de ces pays et à permettre en retour à la France d’accéder à d’autres marchés, au Moyen Orient ou en Afrique subsaharienne. C’est ce que certains appellent une stratégie « gagnant-gagnant » : dans la co-localisation, chacun trouve sa place dans une chaîne de valeur ajoutée où les uns et les autres ne se situent pas sur les mêmes segments.
c) Ne pas passer à côté du décollage économique de l’Afrique
Une des principales raisons pour lesquelles la France a beaucoup souffert de la crise de 2008, notamment dans le secteur crucial de l’industrie automobile, réside dans sa trop forte dépendance à l’égard des marchés méditerranéens qui se sont eux-mêmes effondrés. Ces réticences traditionnelles à l’égard de marchés plus éloignés ou en raison de la barrière linguistique doivent être dépassées pour s’adapter aux évolutions des échanges et à la croissance des nouveaux pays émergents. En effet après les BRIC (182) et les CIVETS (183), les observateurs ont identifiés une série partiellement nouvelle de pays émergents susceptibles d’avoir un impact sur l’économie mondiale : ce sont les « Next eleven » (184) ou « N-11 ». Au-delà de leurs différences, ces pays ont en effet trois points communs que sont le fait d’avoir beaucoup à gagner de la croissance de la Chine, de réaliser des investissements d’infrastructures qui transforment leur économie et de disposer d’un marché intérieur contribuant à la réduction de leur dépendance à l’égard des économies développées.
Les marchés aujourd’hui en plein développement ne sont donc plus la Chine ou la Turquie, mais davantage l'Indonésie, le Vietnam ou le Pakistan, des pays dotés d’une population jeune et en expansion. C'est là que les groupes asiatiques (Hong-Kong, Japon, Singapour, Corée du Sud et Chine) mais aussi américains, canadiens, britanniques et hollandais y réalisent des croissances à deux chiffres par an, alors que la France est encore trop timide sur ces marchés.
Surtout, il existe un continent entier qui connait depuis 2005 une croissance de 5% par an (avec de pointes à 20% comme en Angola par exemple qui suscite une émigration à rebours du Portugal vers l’Angola) : c'est l'Afrique. Richesse du sous-sol en hydrocarbure, matières premières, potentiel énorme de développement en matière d’énergie photovoltaïque et hydroélectrique et richesse démographique. A titre d’illustration les échanges commerciaux entre le France et l’Afrique sont dix fois moindres que les échanges entre la France et les autres pays de l’Union européenne.
La Chine qui est depuis le début de la décennie 2000 l'un des moteurs de l'économie mondiale a contribué à l'accélération de la croissance africaine en tirant à la hausse les cours des matières premières.
Entre 2000 et 2007, la multiplication par sept du commerce sino-africain - de 10 à 70 milliards de dollars - classe la Chine au premier rang des fournisseurs du continent et au second rang de ses partenaires commerciaux derrière les États-Unis. (185) Cette progression spectaculaire a arrêté le processus de marginalisation de l'Afrique dans le commerce mondial qui avait débuté en 1980. Une plus grande stabilité politique et des réformes économiques ont permis au secteur privé de s’épanouir dans nombre des économies diverses qui composent le continent.
En outre, la pauvreté recule et une nouvelle classe de consommateurs apparaît. En 2035, la main-d’œuvre en Afrique sera plus conséquente que celle de n’importe quel pays du monde.
Or, l’Afrique ne compte pas moins de 31 pays francophones et les liens demeurent très forts avec nombres d’entre eux. Bien entendu les groupes comme Total pour les hydrocarbures, Areva pour l’uranium, Eramet pour le manganèse ou encore Technip dans les secteurs pétrolier et pétrochimique sont présents de longue date. Il en va de même pour le groupe Bolloré qui a investi dans la logistique portuaire, le transit et le transport de marchandises et la CFAO dans les secteurs de la distribution d’automobiles et de produits pharmaceutiques, l’Oréal, Bouygues et Orange. Plus récemment la création d’une usine Renault-DACIA à Tanger et la création d'une unité de montage de voitures à Oran, devant assembler la nouvelle Renault « Symbol », sont venues renforcer cette tendance.
Pour autant, la France prend du retard par rapport aux investissements colossaux réalisés par les chinois sur le continent africain. Mais il faut faire vite : il y a déjà presque autant d'expatriés chinois en Algérie que de Français ! Dès 2009, la Chine a remplacé les grands pays européens ou les États-Unis comme premier partenaire commercial de l’Afrique. Les échanges dans les deux sens ont quadruplé en sept ans. Entre 2010 et 2011, ils ont bondi de 127 milliards de dollars à 166, soit autant que le commerce Chine-Allemagne.
Notre pays a un fort potentiel d’investissements et de développement en Afrique, à condition de disposer sur place de personnels compétents pour renforcer notre présence consulaire. Sur le plan géographique nous disposons d’un atout de proximité par rapport aux Allemands pour mettre en œuvre le concept de co-localisation. C’est pourquoi il faut saluer l’infléchissement de notre diplomatie en direction de la diplomatie économique. Comme l’a souligné le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, le « réflexe économique sera désormais une instruction prioritaire et permanente »(186). Le plan d’action du Quai d’Orsay, visant à faire de la diplomatie économique une priorité, s’est notamment traduit par la création d’une direction spécialement dédiée aux entreprises, la direction des entreprises et de l’économie internationale, et l’augmentation des moyens dévolus aux régions les plus dynamiques sur le plan économique.
Concrètement, cette attention accrue portée aux questions économiques au sein de notre réseau diplomatique doit permettre de mieux articuler les analyses macro-économiques conduites par les missions économiques et les postes d’expansion économique dans les ambassades et les consulats avec l’action des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) résidant à l’étranger qui disposent d’informations plus fines pour aider les PME à aborder de nouveaux marchés à l’international.
3. Un visage nouveau du commerce international
Les entreprises du CAC 40 réalisent désormais 72 % de leurs chiffres d’affaires hors de France (la croissance de leurs activités « hors France » est une tendance qui s’est même nettement accélérée au cours des 3 dernières années).
La fabrication de produits manufacturés mobilise de plus en plus d’acteurs à travers le monde, cette fragmentation du processus de production s’apparente à une nouvelle appellation, le « made in world » qui redessine les contours du commerce international (187).
Alors que des produits haut de gamme bénéficient de « l’effet marque » et de l’identification à un pays qui s’y attache, la réalité du processus de production est beaucoup plus complexe comme en témoigne l’exemple de l’iPhone qui incorpore un écran tactile, une mémoire flash, des transistors et une batterie fabriqués au Japon, une mémoire DRAM coréenne, des bandes de bases et des émetteurs-receveurs allemands, un logiciel conçu en Grande-Bretagne, le tout assemblé en Chine. Dès lors et ainsi que l’a relevé un intervenant devant la mission, « la définition même d’un produit « français » ou « allemand » renvoie certes à des représentations qui pourraient faire l’objet de longs débats – pourquoi, par exemple, un véhicule Porsche Cayenne, dont la fabrication incorpore 90 % d’intrants produits hors d’Allemagne, est-elle universellement perçue comme un produit allemand ? » (188).
Le biais statistique créé par l'imputation de la totalité de la valeur commerciale au dernier pays d'origine peut fausser le débat sur l'origine des déséquilibres, et donc amener à prendre des décisions mal fondées, donc contre-productives. Ainsi pour reprendre l’exemple de l’iPhone, les règles commerciales en vigueur le comptabilisent comme un déficit de 400 dollars des États-Unis vis-à-vis de la Chine alors que seul l’assemblage est réalisé dans ce pays pour une valeur ajoutée estimée à 4 % de son prix.
Cette constatation est à l’origine de l’initiative conjointe de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) (189) sur les échanges en valeur ajoutée. Elle rompt avec les statistiques commerciales classiques qui mesurent les flux bruts de biens et de services à chaque franchissement de frontière. Elle cherche en fait à analyser la valeur ajoutée par pays dans la production des biens ou services exportés et offre ainsi une vision plus complète des relations commerciales entre les nations.
Selon le Directeur général de l’OMC, M. Pascal Lamy (190), 60 % du commerce mondial sont des produits intermédiaires et le contenu en importations des exportations est passé de 20 % il y a vingt ans à 40 % aujourd’hui.
En analysant la situation du commerce extérieur de la France, on observe depuis plusieurs années de telles distorsions de perception au regard des chiffres officiels. Il en va notamment ainsi des échanges avec la Chine. Si la Chine se différencie des autres BRIC par une montée en gamme de ses exportations, en 2008, les achats de biens de haute technologie (ordinateurs, téléphones, produits électroniques grand public) ont représenté 29 % de l’ensemble des importations françaises depuis ce pays. Cette montée en gamme des produits chinois doit cependant être relativisée. Elle reflète pour partie l’internationalisation croissante des processus de production. Selon les douanes chinoises, en 2009, la moitié des exportations de la Chine relèverait ainsi d’opérations de perfectionnement, elles-mêmes réalisées à hauteur des deux tiers par des filiales étrangères. Par ailleurs, un bilan des échanges entre la France et les BRIC, éloignés géographiquement, nécessiterait de prendre en compte l’activité des filiales françaises implantées dans cette zone.
4. Les relocalisations de production : un phénomène réel mais d’une ampleur limitée
Le thème de la relocalisation sur le territoire français d’activités précédemment délocalisées témoigne de la prise de conscience de la nécessité d’arrêter l’hémorragie qui touche aussi bien l’industrie que les services. On a en effet longtemps considéré, à tort, que les services ne pouvaient faire l’objet de délocalisation, mais les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont rapidement rendu cette vision obsolète.
Plusieurs exemples comme les entreprises Rossignol, Geneviève Lethu ou encore les Taxis bleus (pour leurs centres d’appels) se sont inscrits dans cette contre-dynamique. L’audition du Professeur Mouhoud (191) a particulièrement permis de mesurer l’ampleur de ce phénomène et d’en analyser les causes. Les développements qui suivent y font largement appel.
Dans le cadre de la distinction évoquée précédemment entre les délocalisations horizontales et les délocalisations verticales, les relocalisations concernent presque exclusivement ces derniers cas de figure. Elles peuvent être considérées comme étant « le phénomène inverse des délocalisations verticales ».
Les relocalisations qui font suite à une délocalisation verticale sont motivées par quatre facteurs :
– l’automatisation de la production. Il est de fait que l’automatisation de la production et la délocalisation verticale dans les pays à bas salaires pour réimporter le bien final sont deux techniques concurrentes pour la rentabilité et donc la viabilité des entreprises. Une entreprise qui réduit la part des coûts salariaux dans ses coûts de production grâce à l’automatisation et à la robotisation gagne en compétitivité coût unitaire et en étant proche des marchés, elle peut faire de petites séries et répondre ainsi au mieux à la demande ;
– L’imperfection des produits finis en provenance des pays de délocalisation. Ce déficit de qualité par rapport à la production en France peut résulter d’une moindre dotation en outils performants, d’une moins bonne formation des personnels et/ou d’une moindre productivité ou tout simplement de l’éloignement culturel avec les clients. Le phénomène n’est pas nouveau puisqu’un rapport parlementaire publié en 2004 relevait déjà que « la compagnie parisienne Les Taxis Bleus a renoncé à ses centres d'appels marocains au bout de trois mois après avoir constaté une dégradation de la qualité de l'accueil téléphonique ; aux États-Unis, c'est le fabricant d'ordinateurs Dell qui a dû rapatrier une partie des services délocalisés en Inde en raison des trop nombreuses plaintes de ses clients (192). » Ces entreprises ont perdu en parts de marché ce qu’elles avaient gagné en termes de coûts de production. Plus récemment, plusieurs entreprises ont également fait le choix de la relocalisation : Le Coq sportif, les skis Rossignol, le shampooing Petrole Hahn, les jouets Smoby, les lunettes Atol, les chaussettes Kindy ou encore les linges de table Geneviève Lethu ;
– L’augmentation des coûts de transport et de coordination. Il s’agit d’un facteur plus récent lié à l’augmentation des coûts de transports au cours des dernières années après une longue période orientée à la baisse ;
– L'adaptation et la réactivité à la demande du client ou du consommateur final est une donnée nouvellement pris en compte, les défauts en ces domaines pesant plus fortement avec une chaine de production éloignée.
En dépit de cette tendance récente il est incontestable que les deux flux ne revêtent pas, et de loin, la même importance. Le rapport s’établit de la manière suivante : « on ne compte qu’un emploi recréé pour dix délocalisé »(193).
Si les délocalisations vers des pays à moindres coûts ne sont pas une fatalité, il est tout aussi vrai que les relocalisations ne constituent pas la panacée. L’époque est à la complexité, à l’imbrication des flux et la multiplicité des sources d’approvisionnement. L’ère de la mondialisation des échanges et de la globalisation (194) de la production et du commerce peut certes présenter des risques accrus de défaut de traçabilité et de sécurité, mais on ne peut nier sa capacité à transformer l’économie en profondeur. Les maîtres mots du nouveau commerce international sont ceux de fluidité et de remise en cause, « il n’y a plus de positions acquises » et « le capitalisme moderne est devenu à la fois plus efficace et plus stressant » (195). Toute la problématique consiste donc à prendre la mesure du phénomène pour y instiller davantage de régulation et de réciprocité, la question étant de savoir si l’OMC est en capacité ou non de le faire, et quelles sont les nouvelles règles à mettre alors en place.
5. Mieux prendre en compte les enjeux économiques de la normalisation
Tout d’abord une précision s’impose, notre pays est régulièrement pointé du doigt pour la prolifération des normes administratives, sanitaires ou environnementales. À titre d’illustration, pas moins de 400 000 textes réglementaires ou circulaires encadrent l’action des élus locaux et par conséquent des entreprises répondant à la commande publique (196).Il s’agit là d’un vrai sujet qui entrave nos possibilités de développement. Faisant l’objet d’une prise de conscience récente comme en témoigne la création en 2008 de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) et la nomination d’un commissaire à la simplification(197). Le gouvernement a également lancé dès le début 2013 un programme de simplification des démarches administratives et de l’environnement réglementaire des entreprises.
Une autre problématique récurrente concerne la transposition en droit français des textes communautaires qui a pris ces dernières années une importance considérable. Les Directives européennes comportent des dispositions affectées d’une intensité normative variable selon qu’elles sont d’harmonisation maximale, il s’agit alors d’une véritable obligation de conformité, ou plutôt d’une simple obligation de compatibilité. Or notre pays fait partie de ceux qui procèdent régulièrement à une sur-transposition de ces textes en renforçant certaines obligations ou en étendant le champ d’application. Cette tendance, qualifiée de « gold plating », est critiquée à la fois par le Commission européenne elle-même et par les entreprises (198). À cet égard, la multiplication des projets de loi « portant diverses propositions ... » a largement contribué à renforcer la complexité du droit applicable aux entreprises.
Mais le cœur des préoccupations de cette mission nécessite de décrire ici les enjeux d'une autre forme de normalisation, celle qui recouvre la détermination par les industriels des normes-produits qui structurent les marchés et les échanges économiques. Lors de son audition, M. Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR, a d’ailleurs insisté sur « la différence entre la norme réglementaire qui interdit, parfois qualifiée à bon droit d’absurde, et la norme volontaire, qui correspond à une pratique volontaire. (199)» Ainsi, l’utilisation de feuilles de papier de format A4 – ou 21/29,7 – découle d’une norme ISO au même titre que le CD ROM. On considère qu’il existe environ 30.000 normes de ce type en vigueur actuellement dans notre pays(200).
Afin d’être facilement diffusable, une innovation technologique ne peut se passer de normalisation. L’apport de la normalisation est certes difficilement quantifiable, mais les exemples de batailles industrielles destinées à imposer un standard d’enregistrement vidéo, de diffusion audio ou une norme comptable sont nombreux. Dans son récent rapport (201) consacré à ce sujet, Mme Claude Revel souligne que « l’influence sur les règles et normes internationales, c'est-à-dire sur les règles du jeu économique, est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des États. »
Le développement de normes internationales participe de l’expansion du commerce international, selon Pascal Lamy, « les réseaux de production mondialisés dépendent à bien des égards des normes internationales. Sans elles, le modèle de production « Fabriqué dans le monde » serait certainement moins répandu qu’il ne l’est aujourd’hui. (202)». Dans l’optique de l’OMC, les normes font partie des mesures non tarifaires, les MNT, qui doivent être réduites voire supprimées si elles constituent une restriction non nécessaire au commerce. Deux accords clés de l’OMC, l’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) et l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) encouragent les États à utiliser les normes internationales, notamment produites par l'organisation internationale de normalisation (International Organization for Standardization), ou ISO, pour ne pas instaurer de telles restrictions.
Ces accords comportent également une présomption, certes réfragable mais néanmoins d’une portée non négligeable, consistant à dire que si les pays membres fondent leurs mesures sur des normes internationales pertinentes, ils sont présumés être en conformité avec les règles de l’OMC.
En France, comme l’a indiqué M. Olivier Peyrat (AFNOR), « il y a vingt-cinq ans, les normes sur lesquelles nous travaillions étaient « franco-françaises » : les Français faisaient des normes pour les Français. C’est désormais l’inverse : 90 % des normes travaillées avec AFNOR sont des normes d’essence européenne ou internationale. (203)»
Il ne semble pas exagéré de dire que les enjeux autour de la définition et de la maîtrise des normes constituent parmi les gisements de productivité et d’efficience les plus importants pour un pays comme la France qui dispose d’une importante culture sur ces questions, l’AFNOR a été créée en 1926, et d’un vivier d’ingénieurs de haut niveau. Or, selon le récent rapport de Mme Claude Revel, « contrairement à l’Allemagne ou au Royaume-Uni, les responsables d’entreprises françaises ne se sont pas dans l’ensemble saisis au plus haut niveau de ces sujets, se reposant sur l’État. » (204)
Pourtant l’implication sur le terrain des normes a des implications économiques directes ainsi que l’a souligné M. Olivier Peyrat :
« Réduction des coûts, car qui dit normalisation dit économies d’échelle, encouragement de la formation des intervenants, c’est-à-dire de ceux qui aident l’entreprise à produire, des jeunes qui entrent dans l’entreprise, des sous-traitants, clients et installateurs… On mesure là les bénéfices liés à une meilleure utilisation de l’information disponible ou à une meilleure exploitation du stock d’informations disponibles. La codification de l’information permet un libre partage de celle-ci. Avec l’effet de halo qui entoure la norme, nous sommes dans une logique d’optimisation des coûts. (205) »
Selon les études conduites en 2009 par l’AFNOR et en 2010 et 2011 par ses homologues allemande et britannique, la normalisation contribuerait directement à la croissance de l’économie. En moyenne annuelle, cette contribution s’établirait à 0,8 % sur la période 1950-2007 ce qui est loin d’être négligeable. Bien entendu cette contribution résulte d’un effort continu car la normalisation est un processus de long terme. Comme l’a indiqué M. Olivier Peyrat, « le travail sur une norme internationale peut prendre trois ou quatre ans ; une intervention politique lors de l’étape finale ne sert à rien car toutes les options ont déjà été discutées. Il faut donc s’impliquer dans la durée en faisant preuve de cohésion et de cohérence. Contrairement à nous, nos amis Allemands savent s’en tenir collectivement et définitivement à une position unique. (206)»
Le titre du rapport de Mme Claude Revel a d’ailleurs valeur d’impératif catégorique, il faut développer une influence normative internationale stratégique pour la France. La concurrence pour participer aux enceintes de décision se fait de plus en plus ouverte, ainsi le président du CETIM, M. Philippe Choderlos de Laclos (CETIM), a-t-il déclaré devant la mission que « s’agissant de la mécanique, la normalisation s’opère au niveau de l’ISO, organisme au sein duquel les Allemands contrôlent 130 commissions, comme les Américains ; les Français, 70, et les Chinois 45 au lieu de 3 ou 4 il y a cinq ans. Aujourd’hui, ces derniers sont donc candidats à tous les postes ; ils ont compris qu’accéder à la présidence ou au secrétariat d’un comité technique, c’est détenir le pouvoir. Il est clair que nous ne devons pas négliger ce débat. (207)». Il est donc impérieux de développer la présence française dans les instances internationales car en matière de normalisation, comme dans beaucoup d’autres, les Français sont souvent supplantés par les anglo-saxons. Nous sommes pénalisés par une pratique insuffisante de l’anglais et une préférence pour les interventions ex-cathedra du personnel politique au détriment d’une forme de lobbying plus soutenu et plus offensif. Un défaut de pragmatisme qui se trouve sanctionné par une influence réduite.
Il faut insister sur les rapports entre innovation, normalisation et propriété intellectuelle. Certains disent que la norme nuit à l’innovation. Il n'en est rien : la norme volontaire est utile à l’innovation. Dans certains cas, c’est précisément grâce à la norme que l’innovation peut être développée de manière industrielle. M. Olivier Peyrat a notamment présenté la relation entre norme et propriété intellectuelle :
« Deux approches sont ici possibles. La propriété intellectuelle – le fait d’avoir un brevet – vous rend propriétaire exclusif d’une innovation, moyennant quoi vous la remettez dans le domaine public au terme du brevet. C’est l’échange qui a été trouvé par la société : le partage de l’innovation en contrepartie d’un monopole temporaire. La normalisation correspond à l’inverse : tout le monde peut faire ce qui est dans la norme. Lorsque les partenaires travaillent sur des normes au plan européen ou international, si des titulaires de brevets laissent ceux-ci « embarquer » dans la norme, ils doivent s’engager à accorder une licence à tous ceux qui la demanderont. Autrement dit, ils échangent une stratégie « d’épicerie fine » – celle du brevet – contre une stratégie de très grande distribution, en cherchant la valorisation maximale. Imaginons que sur un produit, un institut Fraunhofer ait développé un brevet, qui est embarqué par ce produit, et qu’il y ait quelques centimes d’euro dans chacun des téléphones qui font venir, par exemple, du Bluetooth. La propriété intellectuelle a été développée une fois, en partenariat, par exemple, entre un groupe d’entreprises et un institut Fraunhofer ; les Allemands sont capables de faire « embarquer » la norme, et prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent ; d’une certaine manière, ils se transforment en bureau d’études européen ou mondial, et ils sont prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent, sur la base du brevet que leur technologie et leurs moyens d’investissement auront permis de développer. Nous avons là des mécanismes très puissants et très vertueux. ». On mesure bien là la puissance de la normalisation et son aspect « winner takes all » au fait qu’il ne peut y avoir durablement deux normes concurrentes sur un même segment de marché ; la standardisation et les économies d’échelle imposant le choix d’une norme au dépend des autres. C’est ce qu’a souligné M. Olivier Peyrat (AFNOR),en indiquant que « les véritables enjeux concernent en fait la normalisation verticale – par exemple en matière de santé, d’infrastructures, de smart grids, de carburants propres… La règle du jeu que nous proposons est ici confrontée à celles que proposent nos voisins. Et si la règle du jeu du voisin s’impose, les coûts microéconomiques de mise en conformité augmenteront nécessairement. (208)»
Enfin, au niveau européen, l'extrême attention à la libre concurrence pousse parfois la Commission à confondre concertation sur les normes futures à développer entre acteurs économiques européens et recherche de constitution de cartels. Cette crainte exacerbée afin de permettre à des acteurs non-européens d'être présents sur notre marché intérieur mériterait d'être pour le moins atténuée !
C.— LA TROP FAIBLE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES : UN HANDICAP POUR LUTTER A ARMES ÉGALES AVEC LES AUTRES ZONES ÉCONOMIQUES
1. Les défaillances de la protection aux frontières
Cette absence de protection – soulignée là aussi par M. Louis Gallois dans son rapport, (« il faut mettre en place le principe de réciprocité : ceux qui exportent chez nous doivent appliquer les règles que nous nous imposons pour exporter chez eux, qu’il s’agisse du domaine social, de l’environnement, de la santé, de la sécurité ou de la propriété intellectuelle. De même, un pays dans lequel on ne peut pas acheter des entreprises ne devrait pas pouvoir en acheter chez nous ») a largement été mentionnée par les interlocuteurs de la mission qui y voient un handicap majeur, qu’il s’agisse de normes ou de taxes. Cette constatation fait l’objet d’un consensus total, d’autant que les cas cités sont innombrables.
M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) juge indispensable de « faire mieux respecter les règles européennes à nos frontières. De plus en plus de cerises consommées en Europe sont produites en Turquie, alors que des produits phytosanitaires utilisés dans ce pays sont interdits dans l’Union. Pourtant les contrôles restent centrés sur les produits français ou européens, et ignorent les produits d’importation ».
Autre secteur, même difficulté : M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) rapporte qu’« une entreprise mexicaine qui souhaite vendre ses produits en Europe paiera des droits d’entrée à hauteur de 1,7 % en moyenne. À l’inverse, une entreprise française acquittera, au Mexique, des droits de douane de 32 % ».
Des dirigeants d’entreprises de taille mondiale ont fait le même constat. M. Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën avait réclamé, lors d’une audition en juillet dernier (209), que les accords envisagés avec le Japon et l’Inde soient soumis à une véritable étude d’impact, précisant qu’il s’est vendu sur le marché européen 438 767 véhicules d’origine sud-coréenne, alors que, dans le même temps, l’Europe n’a exporté en Corée que 78 762 véhicules.
De même, M. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint Gobain (210) avait fait remarquer que les États-Unis ont rapidement taxé à 30 % les panneaux photovoltaïques chinois, alors que l’Union européenne n’a rien fait.
En matière de télécommunications, M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, s’est déclaré « inquiet de voir qu’Alcatel ne bénéficie pas d’une protection européenne équivalente à celle dont se sont dotés les États-Unis face aux équipementiers chinois ».
M. Morvan Burel (SUD) a dénoncé la non réciprocité des accords de libre échange, qui n’ont jamais fait l’objet « ni d’une évaluation, ni d’une consultation démocratique ». Par exemple, « l’accord signé en 2010 avec la Corée du Sud s’est traduit par des conséquences mesurables quant à la pénétration du marché européen, mais il reste impossible aux automobiles européennes de pénétrer le marché coréen ».
M. Joseph Touvenel (CFTC) s’est élevé également contre l’entrée en Europe des produits qui échappent aux normes écologiques que nous imposons à nos industriels et qui augmentent leurs coûts de production : « l’Europe fait preuve d’une faiblesse coupable ». Ce déséquilibre lui fait dire que « si l’Europe n’est pas capable d’obtenir que les règles du jeu de la mondialisation soient respectées par tous, elle sera le dindon de la farce ».
De ce fait, M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, proclame que « nous sommes les idiots du village global », faisant allusion à ces « pays émergents sans vergogne » qui rient « avec le reste du monde » de la « naïveté » européenne (211) ».
M. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC doute pour sa part que la réciprocité soit souhaitable dans tous les cas (212) : elle ne serait peut-être pas bien accueillie dans le domaine agricole avec l’Australie et la Nouvelle Zélande. Il lui semble que « désormais, l’horizon ne peut plus être que de réduire les différences entre les normes et les standards ».
Devant le Parlement européen, le 6 février dernier, M. François Hollande a mis l’accent sur les défaillances de la protection aux frontières : « l’Europe s’honore d’être un grand marché, mais elle le défend mal, face aux concurrences déloyales ».
Dans ce domaine également, les exemples abondent, notamment dans l’agriculture. M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a souligné que « le coût horaire brut d’un salarié de l’agriculture rémunéré au niveau du SMIC est de 10,82 euros en France, de 6 euros en Allemagne, de 7,37 euros en Belgique et de 7,80 euros en Espagne ». L’exemple de la filière des fruits et légumes, qui subit une forte concurrence de la part de l’Allemagne, est marquant : « entre 1996 et 2010, la France a perdu environ 50 % de surface de production pour l’asperge, 25 % pour la carotte et 39 % pour la fraise, alors que durant la même période, l’Allemagne augmenté ces mêmes surfaces, respectivement de 73 %, de 30 % et de 64 % » et de préciser : « aujourd’hui, on peut faire venir en Allemagne, en vertu d’une convention signée il y a deux ans avec ces deux pays, des salariés bulgares ou romains qui sont employés en l’absence de tout contrat pour des périodes de six mois, sans cesse renouvelées ». En conclusion, dans cette filière, « tout ce qui tient au coût du travail nous met progressivement hors-jeu dans la compétition internationale ».
M. Emmanuel Commault, directeur général de Coperl Arc atlantique, coopérative du secteur porcin, livre un diagnostic similaire : « le coût de la main-d’œuvre est trois fois moins élevé en Allemagne qu’en France. Cet écart a un impact sur la production qui décroît de 2 à 3 % par an en France, alors qu’elle progresse de 5 % en moyenne annuelle depuis une décennie en Allemagne. Aujourd’hui, l’existence de cette industrie de la viande – qui emploie 50 000 personnes en France – est menacée ». Ces écarts tiennent à l’emploi en Allemagne de travailleurs européens moins payés : « tandis que nous payons un salarié français 22 euros de l’heure, charges comprises, nos concurrents allemands paient un Roumain, un Ukrainien ou un Balte 7 euros de l’heure ».
« Nous nous heurtons non pas à un excès, mais à un manque d’Europe », souligne M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). « En 2003-2004, l’Allemagne a décidé de déréguler le marché du travail. À 200 kilomètres de chez moi, un producteur de mirabelles allemand peut embaucher du personnel pour seulement 4 ou 5 euros l’heure…il peut même employer pendant 180 jours, sans aucune contrainte administrative, des personnes d’origine bulgare ou roumaine ». Ces distorsions l’amènent à penser qu’« il faudrait …commencer par mettre en place des règles sociales communes, au moins à l’intérieur de la zone euro. Si les pays ont été capables d’adopter une monnaie commune, je comprends mal qu’ils ne puissent établir un socle social européen, afin d’éviter les distorsions. On peut imaginer un salaire minimum général ou interne à chaque branche ».
De même, M. Emmanuel Commault conclut : « si nous n’avançons pas sur la question d’une Europe sociale, nous serons incapables de maintenir les emplois de la filière agro-alimentaire française ».
Les syndicats ont également dénoncé l’absence de mesures d’harmonisation dans le domaine social ou dans celui du droit du travail, quel que soit le secteur.
« L’alignement permanent sur le « moins-disant » social ne nous parait rien d’autre qu’une politique suicidaire » a déclaré M. Morvan Burel, SUD). M. Pascal Pavageau (FO) a jugé indispensable de revoir la directive européenne relative au détachement de travailleurs, pour combattre le dumping social. (213)
Votre rapporteur s’associe à cette revendication. Droit fondamental de l’Union européenne, la mobilité des travailleurs en son sein ne doit pas conduire à des distorsions de concurrence choquantes.
La directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, entrée en vigueur en 1999 s’applique dans le cas d’une prestation de services transnationale effectuée par une entreprise dans un autre État membre que celui où elle exerce habituellement son activité. L’employeur doit, dans ce cas, garantir à son salarié l’application des règles de protection sociale mis en œuvre sur le territoire de l’État membre où est exécutée la prestation : les normes applicables concernent le salaire minimum, la durée du travail, la durée minimale des congés payés, la santé et la sécurité au travail.
Ces règles doivent être fixées au sein de l’État d’accueil par voie législative ou réglementaire, ou par des conventions collectives ou sentences arbitrales (si celles-ci sont décrétées d’application générale).
Une déclaration doit intervenir au début du détachement, sans que cela ne soit nettement fixé par la directive : cette imprécision, en limitant la mise en œuvre de contrôles, peut favoriser un certain nombre d’abus.
Elle a également donné lieu à des arrêts de la Cour de justice européenne qui a davantage mis l’accent sur les libertés économiques que sur la pertinence de l’application des conventions collectives(214).
Il s’avère donc indispensable de réfléchir à une nouvelle directive garantissant mieux les droits des travailleurs concernés. Le Conseil économique et social européen (CESE) a appelé la Commission à clarifier certaines dispositions prévues dans la directive et, dans un avis adopté le 19 septembre dernier, a souhaité que les États – membres adoptent des conditions d’emploi minimales.
Outre ces distorsions de concurrence internes, l’Europe doit en outre réfléchir aux conséquences de la mondialisation.
Selon M. Joseph Touvenel (CFTC), « Il faut que la mondialisation ait un socle social » : en effet, il est « moralement et économiquement suicidaire d’accepter comme nous le faisons de commercer avec des pays qui ne respectent aucune norme sociale et font travailler les enfants ».
« Le dialogue social est un peu en berne », déplore M. Emmanuel Mermet (CFDT) : « la Confédération européenne des syndicats a insisté à plusieurs reprises sur les risques que les politiques d’austérité faisaient peser sur la croissance et l’emploi. Elle a proposé un contrat social en faveur de la solidarité et de la coopération en Europe, qui porte notamment sur le soutien et la promotion du dialogue social européen. Les nouvelles ne sont guère bonnes de ce côté, puisqu’aucun accord sur la révision de la directive sur le temps de travail n’a été obtenu ». Il faut que les normes soient prises en compte dans les accords internationaux de libre-échange, notamment celles de l’Organisation internationale du travail.
Non seulement l’Europe n’a pas eu de politique sociale très développée, mais, comme l’a souligné devant la mission M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, « l’écart se creuse en raison du dumping des pays d’Europe du sud, à commencer par l’Espagne et l’Italie, qui, pour remettre en ordre leurs comptes publics, ont adopté des mesures de déflation, lesquelles ont encore intensifié la compétition entre les pays de la zone euro. Elles montrent aussi à quel point la question du coût du travail est devenue centrale ».
À propos des salariés détachés par leur pays d’origine, M. Arnaud Montebourg a indiqué avoir sonné l’alarme au plan européen : « les cas d’illégalité sont nombreux : être payé au SMIC polonais ou tchèque en France est illégal…nous avons fait le choix de combattre ces pratiques illégales et nous demandons à nos partenaires de faire de même et de pousser à la hausse des salaires partout en Europe ».
Devant les députés européens, le Président de la République a mis l’accent sur la solidarité qui doit être mise en œuvre et impose, en particulier, d’« ouvrir le chantier du salaire minimum ».
3. Le risque accru d’un cavalier seul allemand
Déjà, en octobre 2010, l’OFCE publiait un article « Allemagne : cavalier seul » (215), déplorant qu’au pragmatisme qui avait prévalu dans la gestion de la crise en 2008 et 2009 – avec la mise en œuvre de plans de relance - succède le dogme de la vertu de l’équilibre budgétaire : « avec cette stratégie de sortie de crise, l’Allemagne refuse de jouer véritablement la locomotive de la zone euro en proposant un schéma de croissance inadapté à l’ensemble des pays membres, ce qui ne fera qu’accroître l’écart du niveau de PIB par habitant ».
En janvier 2012, un rapport de l’Organisation internationale du travail (216) avait dénoncé la politique allemande de compétitivité par les salaires en y voyant la cause structurelle de la crise de la zone euro. La baisse des coûts unitaires de main-d’œuvre en Allemagne par rapport à ceux des concurrents durant la décennie écoulée a entraîné des pressions sur la croissance de ces économies, avec des conséquences néfastes pour leurs finances publiques. De surcroît, les pays en crise ne pouvaient pas exporter pour pallier l’insuffisance de leur demande intérieure, faute d’augmentation de la demande en Allemagne. Ces problèmes sont l’héritage du passé, quand des politiques mises en œuvre lors de la réunification du pays ont provoqué une forte hausse du chômage, contre laquelle on a lutté ensuite par des politiques salariales déflationnistes.
M. Louis Gallois a refusé de faire de l’industrie allemande un modèle dans la mesure où la pauvreté s’est développée en Allemagne – deux millions de salariés ont un salaire inférieur ou égal à 4 euros de l’heure, ajoutant : « le marché intérieur est le lieu où s’affrontent des économies qui sont inégalement compétitives et il ne doit pas devenir une mécanique au service des plus forts ».
Les interlocuteurs de la mission se sont également élevés contre le prétendu « modèle allemand » dénonçant le rôle de « cavalier seul » joué par l’Allemagne.
M. Arnaud Montebourg a souligné que les salaires allemands devaient remonter pour faire cesser la désinflation compétitive « si les Allemands ne font rien, ils risquent de précipiter l’Europe dans la récession et eux avec ».
M. Jean-Luc Haas, (CFE-CGC) dénonce la compétitivité allemande qui « est due à une diminution phénoménale en dix ans du coût du travail en Allemagne, à l’origine d’une augmentation significative du taux de pauvreté dans ce pays », ce qui conduit d’ailleurs à un débat dans ce pays sur l’instauration d’un salaire minimum. En écho, M. Morvan Burel (SUD) ajoute que les mesures prises par le gouvernement Schröder ont généré de l’austérité, une déflation salariale et un creusement des inégalités.
Pour M. Christian Saint-Étienne, Mme Angela Merkel nous exhorte d’adopter le modèle allemand « dans le cadre d’une gouvernance punitive qui est en train de se mettre en place. Le bloc France-Italie-Espagne-Portugal, dont le PIB représente plus de 50 % de celui de la zone euro risque en effet de subir trois années de croissance nulle, pour se rapprocher le plus possible du modèle allemand… le rebond allemand s’est en partie fait grâce à l’effondrement français. La stratégie allemande nous a coûté 0,4 point de croissance par an pendant 10 ans car, comme l’Allemagne, qui constituait notre plus gros marché, a gelé les salaires, nous n’avons pas pu continuer à lui vendre nos produits ». Il a conclu à la nécessité d’«une fédéralisation autour d’un noyau dur ». Toutefois, le redressement français serait un préalable à cette éventuelle fédération, et si elle se constitue, il estime que ce sera non au sein de l’Union européenne, mais plutôt entre huit ou neuf États : « à cet égard, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a ouvert la voie ». Ce noyau dur deviendrait la deuxième puissance économique mondiale. C'était d'ailleurs aussi un enjeu du débat en 2005 sur le Traité constitutionnel européen qui comportait une approche restrictive de ce type de coopération renforcée.
Devant le Parlement européen, M. François Hollande n’a pas exposé la même vision que Mme Angela Merkel ; refusant que le désendettement et l’amélioration de la compétitivité ne condamnent l’Europe « à l’austérité sans fin », il a prôné une politique « adaptée aux situations nationales ». Envisageant une nouvelle architecture de l’Union, il a « plaidé pour une Europe différenciée…ça ne serait pas une Europe à deux vitesses, qui deviendrait d’ailleurs vite une Europe inégale, ou une Europe divisée, ce n’est pas davantage une Europe à la carte. Non, l’Europe différenciée, c’est une Europe où les États, pas toujours les mêmes, décident d’aller de l’avant, d’engager de nouveaux projets, de dégager des financements, d’harmoniser leurs politiques, au-delà du socle substantiel, qui doit demeurer, des compétences communes ».
Le chemin sera certainement long avant d’atteindre un tel objectif, mais votre rapporteur ne doute pas que ce soit celui qui doive être poursuivi.
4. L’impact des politiques de redressement des comptes publics
Selon deux économistes du FMI, MM. Olivier Blanchard (chef économiste) et Daniel Leigh, l’utilisation par cette institution d’un mauvais coefficient de calcul a débouché sur une sous-estimation des effets négatifs de l’austérité en Europe. Ce coefficient lie l’évolution des dépenses publiques aux taux de croissance de l’économie. En fait, l’impact de l’austérité serait de deux à trois fois plus important que prévu. M. Paul Krugmann, lauréat en 2008 de la récompense usuellement appelée prix Nobel d’économie, a fustigé les dirigeants européens, qui ont créé des souffrances dignes de la crise de 1929.
De fait, la directrice générale du FMI, Mme Christine Lagarde, a appelé les Européens à prendre plus de temps, collectivement, pour réduire leurs déficits, après avoir reconnu que l’effet des plans d’austérité sur la croissance était plus fort que ce que le FMI avait anticipé il y a trois ou quatre ans.
Le président de la Banque centrale européenne (BCE), M. Mario Draghi, a déploré que, même si l’année 2012 avait été celle de la relance de l’euro, des progrès semblables n’eussent pas été réalisés du côté de l’économie réelle.
Faisant de la relance le grand sujet du premier semestre 2013, M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, plaide pour que la France et l’Allemagne discutent d’un juste équilibre à trouver entre la poursuite des efforts structurels à moyen terme et le soutien de la croissance à court terme.
Cependant, le 8 février 2013, de longues négociations ont débouché sur un accord prévoyant, pour la première fois, une programmation budgétaire européenne en baisse, d’un montant de 960 milliards d’euros de crédits d’engagements entre 2014 et 2020, contre 994 milliards entre 2007 et 2013. Les coupes les plus importantes concernent les grands travaux d’infrastructures ; les projets d’avenir font également les frais de la rigueur.
Il ne faut toutefois pas oublier l’importance des restes à liquider (RAL) concernant la période 2007-2013 qui vient compléter cette analyse. Les restes à liquider sont les engagements qui n’ont pas encore donné lieu à paiements, en raison du caractère pluriannuel de la plupart des programmes européens. L’accroissement de ces restes se poursuit : le rapport annuel de la commission européenne sur la gestion budgétaire et financière concernant l’exercice 2011 souligne que le RAL représentait à la fin de cette année, 194,4 milliards d’euros (en augmentation de 7% par rapport à l’année précédente), et les dernières estimations de la Commission européenne font apparaître un montant de 207,3 milliards d’euros à la fin de 2013. Elle estime que celui-ci est un facteur de rigidité pour le prochain cadre financier pluriannuel, puisque 18% de l’enveloppe des paiements 2014-2020 devraient y être consacrés.
Le Parlement européen ont néanmoins très massivement désapprouvé ce projet de budget le 13 mars dernier – démarche que votre rapporteur approuve pleinement –, rejetant le manque d’ambition de celui-ci pour soutenir la compétitivité de l’industrie européenne. Outre un relèvement des plafonds de dépenses prévus, les eurodéputés ont notamment réclamé une plus grande flexibilité des règles budgétaires afin de pouvoir déplacer les crédits non employés d’une rubrique à une autre.
5. Les problèmes de la zone euro : les conséquences d’un euro « fort » mais « cher »
Un euro originellement surévalué dans une union marquée par des divergences ?
Il est fréquemment affirmé que l’Allemagne a été et demeure grandement bénéficiaire de la mise en place de l’euro. L’idée que ce pays aurait ainsi fait payer aux autres membres de l’union monétaire une partie du coût de sa réunification peut être avancée. Mais, vouloir trouver ainsi une explication majeure à la crise de la croissance en Europe ne résiste guère à la chronologie et aux orientations de politique économique et budgétaire arrêtées par l’Allemagne, au lendemain de sa réunification d’ailleurs intervenue près d’une décennie avant la mise en œuvre de l’euro.
L’euro « fort » a, en fait, naturellement succédé au mark « fort ».
Initialement, la réunification allemande a pu effectivement contribuer à renforcer le Deutsche Mark (DM) du fait des importants besoins de financement ainsi créés et qui ont été accompagnés par le rapatriement de capitaux détenus à l’étranger. L’appréciation du DM face au dollar mais aussi aux autres monnaies européennes s’est accentuée lorsque la Bundesbank a relevé ses taux d’intérêt pour contrer des pressions inflationnistes liées à la réunification. Ses partenaires qui avaient soumis leur monnaie à un régime de parités fixes (avec d’étroites marges de fluctuation) dans ce qui constituait alors le système monétaire européen (SME) ont dû, à leur tour, relever leurs taux d’intérêt ce qui a pénalisé, un temps, leur croissance.
Certains considèrent que l’union monétaire allemande décidée le 1er juillet 1990, soit huit mois après la chute du Mur, porterait une responsabilité initiale avec la parité de change accordée au mark est allemand vis-à-vis du mark de l’Ouest (217). Un accord avait même été conclu avec les syndicats, en 1991, afin que les salaires de l’Est soient alignés au terme de 5 ans. Cet accord, d’ailleurs dénoncé dès 1993, traduisait une double inquiétude à l’égard de délocalisations d’activités vers l’ex-RDA et d’un afflux de travailleurs est-allemands dans les Länder de l’Ouest. Si la hausse des salaires a vite été enclenchée notamment dans les trois années suivant la réunification, le rattrapage n’est toujours pas achevé puisque la rémunération moyenne à l’Est en 2009 représentait 80 % de celle constatée à l’Ouest. Dans un premier temps, le pouvoir d’achat des Allemands de l’Est a pu être conforté, mais une chute de la production et de l’emploi est néanmoins intervenue dans l’industrie du fait des importants écarts de productivité entre les deux parties du pays. En fait, la modernisation de l’appareil productif est-allemand et la mise à niveau de sa compétitivité résultent des efforts consentis, année après année, par les contribuables, en conséquence de deux pactes nationaux successivement mis en œuvre : « Solidarpakt 1 » entre 1995 et 2005 puis « Solidarpakt 2 » qui sera effectif jusqu’en 2019. Depuis 1991, un impôt spécifique existe (le « Solidaritätzuschlag ») : le montant de l’impôt sur les revenus des personnes et des entreprises a ainsi été majoré de 5,5 %. En outre, l’État fédéral a consenti d’importantes subventions et une péréquation financière entre Länder, toujours active, a été décidée principalement au bénéfice de l’Est.
Dès 1996, l’Allemagne a pris des mesures pour réduire son déficit budgétaire, soulager les tensions inflationnistes et rétablir le solde de sa balance courante mise à mal par la réunification. Ce programme a ouvert une période de modération salariale, y compris par un ralentissement significatif de l’augmentation des traitements du secteur public, dans le but de pouvoir satisfaire aux exigences du Traité de Maastricht mais aussi de mieux préparer l’adoption d’une monnaie unique en 1999.
Le 31 décembre 1998, les États participants à la zone euro ont retenu une parité entre leurs monnaies fixant à 1,1665 dollar la valeur de l’euro.
Il convient de rappeler que de sa création à la fin de l’année 2000, l’euro s’est déprécié d’environ 20 % (son cours historiquement le plus bas étant de 0,823 dollar, le 28 octobre 2000). Postérieurement, l’euro s’est tendanciellement apprécié de 70 % sur la période 2001-2008 pour franchir le cap d’1,40 dollar à l’automne 2007 puis atteindre 1,50 dollar au mois de février 2008, c’est-à-dire au plus fort de la crise américaine qui a agi par effet de contagion.
Ce renchérissement de la monnaie unique n’a évidemment pas été sans conséquence sur la compétitivité des pays de la zone euro. En France, la productivité demeurant plus élevée que dans d’autres pays, le rebond de l’euro ne s’est pas traduit immédiatement par une perte de compétitivité, l’adoption des 35 heures ayant même été partiellement compensée par une certaine modération salariale. Globalement, l’appréciation de l’euro n’en a pas moins déstabilisé les positions commerciales à l’intérieur de la zone, car une telle appréciation a notamment eu pour effet de détourner une partie de la demande des pays membres vers les pays non membres.
Une stratégie anticipatrice de réduction des coûts a permis à l’Allemagne de contrebalancer l’appréciation de l’euro. Les entreprises allemandes qui bénéficient d’ailleurs d’une élasticité-prix plus favorable de leurs produits en offrant une gamme « qualitative », n’ont pas eu à réduire leurs marges autant que leurs homologues en Europe. Elles ont renforcé leurs positions au sein de la zone euro tout en parvenant à stabiliser leurs positions sur les autres grands marchés. Pour leur part, les entreprises françaises ont été contraintes de comprimer fortement leurs marges afin de maintenir une compétitivité-prix compatible mais au détriment de l’investissement et de l’innovation. Cette course à la sauvegarde de la compétitivité a probablement eu pour effet d’éliminer certaines entreprises des activités exportatrices, particulièrement des PME-PMI. En témoigne la baisse continue du nombre des entreprises exportatrices : les statistiques douanières sur les déclarations des entreprises ayant accompli dans l’année au moins une activité d’exportation montrent que la France a perdu 14 600 exportateurs sur la période 2000 à 2011. (218)
L’euro « fort » n’affecte pas seulement les PME-PMI mais évidemment les grands groupes dont l’essentiel de la production est facturé en dollar. L’exemple le plus souvent cité est celui d’Airbus, d’ailleurs majoritairement contrôlé par l’Allemagne et la France, qui a été amené à créer, principalement en raison des « surcoûts » monétaires, une implantation d’assemblage aux États-Unis ; une part importante de ses clients relevant de la « zone dollar » de même qu’un grand nombre de ses fournisseurs. M. Louis Gallois qui a été président exécutif EADS, la maison-mère d’Airbus, a constamment souligné que le taux de change de l’euro était en partie responsable d’une perte de compétitivité. En 2008, confronté à l’envolée de l’euro, M. Gallois avait dû intensifier un plan d’économies dit « Power 8 », en précisant que chaque fois que le dollar perdait 10 cents contre l’euro, EADS perdait 1 milliard d’euros ; la faiblesse du dollar gommant mécaniquement les efforts de productivité d’Airbus. Cet exemple a été maintes fois repris en citation depuis lors. Quatre années plus tard, M. Gallois a rappelé, à l’occasion de la présentation de son rapport sur la compétitivité que le taux de change « acceptable » de l’euro devrait durablement se situer entre 1,15 et 1,2 dollar.
Les propos tenus au cours de son audition par M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques illustrent parfaitement la situation. Le taux de change de l’euro renchérit considérablement le prix du travail. Il ajoute toutefois :
« Une baisse du cours de l’euro ne serait pas indolore : les consommateurs y perdraient du pouvoir d’achat – ils trouvent leur compte au cours élevé de l’euro, et c’est peut-être pour cela que l’on ne se plaint pas trop - et notre facture énergétique augmenterait. Malgré les problèmes qu’elle pose, notamment pour nos finances publiques, il est donc plus urgent que jamais d’accélérer la transition énergétique : nous ne pouvons pas espérer une réindustrialisation que si le cours de l’euro baisse, et cette baisse ne se fera sans trop de pertes de pouvoir d’achat et sans trop de difficultés de tous ordres que si nous importons moins de pétrole et moins de gaz ».
En l’état, la zone euro ne peut évidemment être considérée comme une zone monétaire optimale. Elle souffre, depuis l’origine, de la divergence des politiques économiques, budgétaires et fiscales entre ses membres. Les disparités macroéconomiques entre participants, qui constituent l’héritage de déséquilibres passés, risquent encore de s’aggraver du fait des mesures d’austérité que sont contraints d’arrêter dans l’urgence certains pays membres. Même en agissant de façon plus affirmée sur les taux d’intérêt et le change, ce qui est indispensable, la Banque centrale européenne (BCE) ne pourra tout régler par ses seules interventions. Les ajustements actuellement en cours dans les pays les plus fragilisés par les déficits et la dette creusent les écarts de performance économique. Toutefois, cette lacune pourrait être en partie comblée par une cohérence enfin marquée des politiques budgétaires et fiscales, première étape d’un fédéralisme économique.
Or, il n’en est rien. La volonté politique fait défaut. Le sauvetage de l’Irlande, un temps nommé le « Tigre celtique », en témoigne. Ce pays a connu entre 1997 et 2007 une croissance exceptionnellement élevée (7 % en moyenne). L’excès d’endettement, l’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) et l’explosion d’une bulle immobilière ont mis à mal l’ensemble de son système financier, rapidement atteint par contagion à la suite de la crise américaine des subprimes. Le renflouement de l’État (le déficit budgétaire irlandais représentait, en 2010, 32,3 % de son PIB) et la recapitalisation des banques ont nécessité des apports en prêts très importants (85 milliards d’euros) de la part du FMI et de l’Union européenne. Ces apports ont été décidés à la fin de l’année 2010(219). En contrepartie d’un tel effort, aucun accord n’a pu être dégagé pour demander à l’Irlande de relever, même à terme, son taux d’impôt sur les sociétés fixé à 12,5 % et de revoir son régime de faible taxation des dividendes, voire d’exonération dans certains cas. Cette abstention permet à un membre de la zone euro de maintenir un dumping fiscal : il profite particulièrement à de grandes entreprises américaines qui localisent leur siège en Irlande pour des activités qu’elles exercent majoritairement dans les autres pays européens !
Il est d’ailleurs intéressant de relever que c’est à l’initiative de l’OCDE, une organisation de 34 membres au sein de laquelle les États-Unis ou encore le Japon ont pourtant des rôles importants, qu’une réflexion contre les dérives de l’optimisation fiscale et l’érosion des bases d’imposition des groupes internationalisés a été récemment engagée, et non dans le cadre de l’Eurogroupe. À ce jour, la zone euro s’est en effet abstenue de se saisir de ces questions essentielles auxquelles le G20 semble, à son tour, vouloir apporter de premières réponses.
Une flexibilité du marché du travail en Allemagne au service unique du développement économique
Le trait caractéristique de la politique économique allemande est d’avoir conduit sur plus de deux décennies l’effort de la réunification tout en décidant, chaque fois que nécessaire, des mesures correctives et ciblées. Cette stratégie soutenue par une aptitude à la négociation collective sur des réformes relatives à l’emploi qui ont d’ailleurs succédé à de premières décisions de modération salariale a permis à l’Allemagne d’être mieux préparée que ses partenaires à l’adoption de l’euro. Les préoccupations concernant la compétitivité-prix ont été anticipées en comparaison des autres membres de la zone euro. Les modes de négociations salariales ont évolué, dès la fin des années 1990. Ainsi, le secteur de la chimie a mis en place, à partir de 1998 et avec l’accord des partenaires sociaux, un « corridor » d’évolution salariale permettant de réduire de 10 % le nombre d’heures travaillées et les salaires en fonction de l’activité. Plus généralement, de nombreux secteurs ont négocié à la baisse les éléments variables de la rémunération ou en ont indexé l’évolution en fonction des profits de l’entreprise, comme cela a été le cas dans le secteur bancaire.
À partir de 2004, certaines entreprises ont réintroduit la semaine de 39 heures, sans augmentation des salaires, alors qu’elles avaient quelques années auparavant adopté un régime de travail de 35 heures pour mieux absorber les creux d’activités.
Enfin, l’Allemagne a augmenté, à compter de 2007, de 3 points son taux normal de TVA (le portant à 19 % alors que son taux réduit restait fixé à 7 %), en diminuant ses cotisations sociales.
L’Allemagne a ainsi pu accumuler des excédents commerciaux indépendamment du niveau de l’euro. Elle a également su conjuguer des réformes structurelles internes avec l’avantage de voisinage que lui confère la géographie en lui permettant de refondre assez largement son processus de production industrielle. Par la délocalisation d’une partie de ses fabrications dans des pays d’Europe de l’Est, elle génère d’abord des flux d’importations concernant une production qu’elle contrôle puis l’exporte revêtue du label « made in Germany » (220).
La plus importante des réformes structurelles conduites par l’Allemagne concerne son marché du travail.
Il s’agit d’une stratégie de reconquête de la compétitivité mise à mal par la réunification visant à abaisser les coûts salariaux mais aussi de la protection sociale, en dépit de positions industrielles extérieures demeurées fortes. Sur la base d’un rapport demandé à M. Peter Hartz, ancien chef du personnel du groupe Volskwagen, le Chancelier Schöder qui avait rompu avec les principes keynésiens une année après son accession au pouvoir en 1998, a engagé des réformes encore plus profondes dans le cadre de l’« Agenda 2010 », dès le début de son second mandat et en dépit d’une majorité parlementaire étroite.
L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans une logique de flexibilité accrue de l’emploi. Mais ce plan se distingue toutefois d’autres mesures prises par la Suède et le Royaume-Uni, où elles ont été théorisées par le programme du New Labour, car le travail demeure régi dans le cadre de la loi et non pas aux seuls niveaux de la branche voire de l’entreprise, bien qu’il n’existe pas en Allemagne un salaire minimum interprofessionnel comparable au Smic. En fait, les réformes dites « Hartz » ont voulu rétablir la situation des finances publiques et sociales de l’Allemagne, difficilement maîtrisables du fait de l’extension de l’économie sociale de marché à sa partie Est et contrer les effets de l’euro « fort » qui a succédé au mark « fort ».
Entre 2002 et 2005, quatre grands textes (les lois Hartz I à IV) ont modifié le cadre législatif du marché de l’emploi :
Plus particulièrement, la loi Hartz IV, entrée en vigueur en 2005, a considérablement modifié le système des allocations chômage en réduisant à la fois la durée maximale d’indemnisation, quelles que soient les durées de cotisations, et le montant de l’allocation qui, au-delà d’une année, devient forfaitaire : ce montant est, le cas échéant, complété par des aides tenant compte de la situation de famille et du logement mais aussi modulé en fonction de l’épargne et du patrimoine du bénéficiaire. Ce système soumet les demandeurs d’emploi de la catégorie « Hartz IV » à des contrôles d’autant plus rigoureux que pèse désormais sur les chômeurs de longue durée l’obligation d’accepter un travail même peu rémunéré, sauf à voir l’allocation réduite voire supprimée. Les organismes à but non lucratif ont ainsi pu créer des « Jobs à 1 euro » (exonérés de cotisations sociales) pour lesquels des salariés sont rémunérés entre 1 et 2 euros par heure en complément de leur allocation chômage.
Les réformes « Hartz » ont rapidement eu un effet sur l’emploi : entre 2006 et 2008, le nombre des personnes sans emploi depuis plus d’une année a diminué de 35 % et la durée moyenne des vacances de postes a enregistré un reflux. Dans le même temps, la part des emplois à temps partiel a dépassé en Allemagne la moyenne constatée dans la zone euro (19,6 % en 2009, selon Eurostat) pour atteindre le quart des emplois au total. La part des « mini jobs » dépassait 13,5 % de l’emploi total dès 2007. Le taux d’emploi des seniors a également progressé pour atteindre 57 %de la classe d’âge des 55-64 ans, en dépassant ainsi l’objectif du Traité de Lisbonne fixé en 2007 à 50 % (la moyenne des pays de la zone euro était de 46 %en 2009).
S’agissant de l’emploi des jeunes et des femmes, les résultats restent plus que nuancés. En effet, si le taux de chômage des moins de 25 ans qui avait atteint un point bas au milieu de l’année 2008 (9,3 %) reste très inférieur à celui de l’ensemble de la zone euro (près de 20 % en 2009), une remontée traduit certaines difficultés dans l’accès à l’emploi. Le système de l’apprentissage présenté comme une spécificité allemande et souvent loué pour son efficacité est dorénavant parfois délaissé par les jeunes eux-mêmes qui ne privilégient plus ce cursus au moment où le secteur tertiaire a une importance croissante dans l’économie allemande. Par ailleurs, la forte spécialisation à laquelle conduit l’apprentissage peut constituer un handicap de mobilité et de conversion professionnelles en périodes de difficultés économiques. Pour leur part, les entreprises arbitrent dorénavant souvent aux dépens des charges d’apprentissage car le droit du travail les autorise à plus de souplesse dans l’ajustement des effectifs les plus jeunes qui, en outre, sont régis par un régime spécifique de leur période d’essai pouvant aller jusqu’à deux années ! Enfin, le taux d’emploi des femmes dont 85 % sont employées dans les services, reste inférieur à celui constaté dans l’ensemble la zone euro (66,2 % contre 75,3 %). Elles occupent d’ailleurs en Allemagne près de 80 % des emplois à temps partiel.
Mais l’Allemagne est confrontée à un défi démographique dont il reste difficile d’apprécier aujourd’hui toutes les conséquences, pour elle-même comme pour ses principaux partenaires L’accroissement constaté du taux d’activité compensera encore pendant quelques années la diminution de la population ; le report de l’âge de départ à la retraite à 67 ans ne pouvant constituer qu’un palliatif temporaire au choc de la sortie du marché du travail des générations du « babyboom ». Certains interlocuteurs de la mission d’information ont toutefois relativisé l’impact de cette situation. Ils ont insisté sur l’attractivité allemande pour s’attacher une immigration dynamique, en prenant pour exemple un mouvement déjà engagé auprès de jeunes espagnols ou grecs justifiant de qualifications supérieures.
Dans un livre récent, M. Guillaume Duval (221), relativise le caractère supposé positif des remises en cause du modèle social ainsi réalisées. Cet auteur souligne la montée de la pauvreté et des inégalités en rappelant que les mesures « restrictives », notamment budgétaires, prises entre 1997 et 2002, n’avaient pas été sans conséquences sur la croissance du PIB allemand (inférieure sur la période à celle de la France : 8,6 % contre 13,8 %) et la création d’emplois (1,1 million de postes créés contre 1,9 million en France).
Sinon totalement préparée à la brutalité de la crise de 2007-2008, l’Allemagne s’est néanmoins trouvée à ce moment plus robuste que les autres pays de la zone euro. Sa capacité de résistance résultait sans doute, en partie, de mesures arrêtées bien antérieurement et sur la durée. De plus, son économie a l'opportunité de correspondre aux besoins des pays émergents, tant du point de vue des attentes importantes en volume de secteurs économiques en forte expansion (nécessité de machines outils performantes par exemple) que des attentes de leurs nouvelles classes dirigeantes (tels que des véhicules haut de gamme).
La part des salaires dans la valeur ajoutée de ce pays est passée de 67,9 % en 1993 à 57,6 % en 2007. De même, le taux de marge des entreprises (rapport de l’excédent brut d’exploitation sur la valeur ajoutée) atteignait 41,9 % en 2007, alors qu’il n’était que de 31,8 % en 1993.
Pour autant, l’Allemagne a-t-elle mis en œuvre une stratégie de désinflation compétitive parfois même qualifiée de « non coopérative » ?
Cette stratégie lui a, en effet, permis de faire face à l’appréciation de l’euro mais en pesant sur les performances commerciales de ses partenaires naturels : ses principaux gains de parts de marché ayant été enregistrés au sein même de la zone euro. Si un tel jugement fait fi des efforts demandés à l’ensemble de la population allemande, il amène néanmoins à s’interroger sur l’absence de convergence des politiques économiques au sein de la zone euro. Les choix allemands de politique de l’emploi ne peuvent être cependant considérés comme la mise en œuvre d’un dumping. Mais une compression durable des salaires qui offre d’indéniables atouts de compétitivité à l’exportation, notamment en direction de pays voisins, peut effectivement avoir pour conséquence d’assécher la consommation, au point de compromettre durablement la croissance d’un ensemble économique (la zone euro) dans lequel les interpénétrations sont importantes.
Toutefois, l’Allemagne semble pouvoir renouer avec une dynamique de croissance. Pour la troisième année consécutive, les salaires réels y ont enregistré, en 2012, une augmentation (+ 0,6 %), selon l’Office fédéral de la statistique. Désormais, l’Allemagne pourra bénéficier d’un rebond de croissance en raison d’une remise à niveau de ses facteurs de production : entre 2002 et 2008, le coût unitaire du travail (hors inflation) n’augmentait dans ce pays que d’un peu plus de 2 %, alors qu’il progressait sur la période de 15 % pour l’ensemble de l’Union européenne, et de façon la plus marquée en Italie et en Espagne.
Les conséquences des situations italienne et espagnole, notamment pour la France
Il a toujours paru tentant d’établir certaines analogies entre les situations économiques de l’Italie et de l’Espagne souvent considérées comme représentatives des pays du Sud de l’Europe voire des « pays Club Med » selon une qualification péjorative ayant émergé outre-Rhin, il y a plus d’une décennie. Or, ces pays, qui ont en commun d’être des partenaires commerciaux de première importance pour la France, ont des histoires économiques sensiblement différentes.
L’Italie est d’abord un pays industriel qui exporte des produits finis de qualité et a su établir dans certains secteurs une réputation de savoir-faire et d’innovation : la production manufacturière occupe une part plus importante dans l’activité totale du pays qu’en Espagne mais aussi qu’en France, ce qui reste peu connu. Si l’Italie a effectivement en commun avec l’Espagne de fortes disparités régionales dans ses activités, la tradition industrielle et marchande y est plus solidement ancrée. Le développement économique de l’Espagne est plus récent. Au cours des trois dernières décennies, il a été principalement fondé sur les services et une financiarisation ou bancarisation massive qui a abondamment soutenu l’émergence d’infrastructures nouvelles et plus spécialement le secteur de la construction.
L’Espagne et l’Italie ont cependant chacune un marché du travail « dual » qui se singularise par de fortes disparités sectorielles entre grandes entreprises ou institutions publiques assurant aux salariés d’assez larges garanties matérielles et nombre de petites entreprises caractérisées par la disparité de leur productivité, sans omettre l’importance d’un secteur informel qui apporte un soutien souvent irremplaçable à l’activité de certaines régions. Dans ces contextes, les marchés nationaux du travail se sont traditionnellement accordés dans un « mix » conjuguant, d’une part, protection voire corporatisme et, d’autre part, flexibilité de fait.
Face à la crise, les deux pays ont d’abord établi des programmes d’économies budgétaires et de lutte contre la fraude fiscale qui concernent également les régions et les municipalités aux modes de gestion considérés dispendieux ; l’Italie décidant même de réduire le nombre de ses entités provinciales. Par ailleurs, une profonde réforme du marché du travail italien, adoptée par le Parlement en juin 2012, a notamment assoupli les règles de licenciement dans les grandes entreprises en échange d’une amélioration de la protection sociale dans les petites entreprises. Mais le gouvernement Monti a surtout agi sur le système des retraites en repoussant l’âge de départ, en abolissant la retraite dite « d’ancienneté » qui prévalait et ouvrait un droit au départ à 60 ans en contrepartie de 36 années d’ancienneté tout en mettant en œuvre des processus de désindexation.
En Espagne, l’année 2012 aura été marquée par une remise en cause encore plus profonde des droits acquis, notamment sous la pression de l’OCDE, avec une réduction des indemnités de licenciement, la possibilité pour les entreprises en difficulté de baisser les salaires sans consultation préalable, l’extension à une année de la période d’essai pour certains contrats à durée indéterminée et l’abandon de toute autorisation administrative préalable à la mise en œuvre de plans sociaux. Les résultats de ces mesures récentes ne peuvent encore être évalués dans un pays où le chômage concerne plus du quart de la population active et toujours la moitié des jeunes de moins de 25 ans. Il semble toutefois que ce démantèlement de règles pourtant établies du droit du travail a eu un premier résultat. Non sur l’emploi mais au sein les marchés financiers qui, depuis l’automne 2012, considèrent à nouveau attractive la dette espagnole du fait de taux d’intérêt nécessairement supérieurs à ceux des autres grands pays de la zone euro. Cet attrait qui est, en outre, renforcé par la garantie résultant de la décision de rachat de dettes publiques par la BCE, s’est manifesté par un retour des investisseurs étrangers à l’occasion des émissions d’emprunts du Trésor espagnol.
Néanmoins, rien n’indique qu’une flexibilité à ce point accrue du marché du travail permette un rétablissement rapide de la situation économique.
La participation à la zone euro a interdit aux membres de l’union monétaire de procéder aux « dévaluations compétitives » auxquelles ils avaient recours, notamment de façon très traditionnelle en Italie, en tant qu’instrument de relance du commerce extérieur. La croissance économique du pays s’en est trouvée durablement affaiblie et les échanges de l’Italie avec ses partenaires européens longtemps équilibrés ont enregistré des déficits postérieurement aux dernières dévaluations des années 1992/1995. Au contraire, l’Espagne a pu longtemps continuer à enregistrer une progression de son solde commercial « intra zone euro » en bénéficiant d’une croissance dopée par le boom des activités immobilières, du moins jusqu’à 2007. Si la crise a eu des effets particulièrement sévères en Italie et en Espagne, c’est en raison d’une envolée salariale conjuguée à une insuffisance de gains de productivité sur la période 2000 à 2007 (*voir tableau à insérer) et de la croissance de l’endettement, peut-être plus problématique en Espagne qu’en Italie dont la position nette débitrice est plus faible (part de l’endettement détenue par des investisseurs étrangers). Disposant d’actifs réels conséquents (immobiliers et fonciers) dont les valeurs ont été plus faiblement affectées par la crise qu’en Espagne, les ménages italiens se trouvent dans une situation moins vulnérable, car ils supportent des niveaux d’endettement parmi les moins élevés d’Europe en pourcentage de leurs revenus. Leurs engagements financiers qui représentent au total 48 % du PIB de l’Italie restent effectivement parmi les plus faibles de la zone euro, alors qu’ils s’établissent à 90 % en Espagne, 70 % en France et en Grèce et à 65 % en Allemagne. En outre, l’Italie a régulièrement dégagé un excèdent budgétaire primaire (recettes totales moins charges de la dette) : ce n’est qu’en 2009, au cœur de la crise, que le déficit budgétaire a représenté 0,7 % du PIB, bien moins que le déficit moyen de 3,5 % des pays de la zone euro dans leur ensemble pour cette même année.
En fait, l’émergence de la zone euro a eu un effet délétère en faisant bénéficier tous les pays membres, du moins jusqu’à la crise, de taux d’intérêt bas et trop peu discriminants en fonction des situations économiques, à l’évidence contrastées, avec pour certains pays des taux d’inflation toujours très supérieurs à la moyenne de la zone.
Ce qui s’est trop durablement apparenté à une « facilité de caisse » accordée par les marchés aux pays emprunteurs, pourtant en situation divergente d’un point de vue financier, a évidemment contribué à l’accumulation de la dette par les pays du Sud. Une dette dont la gestion leur est devenue impossible. Car postérieurement à la faillite de Lehman Brothers, les marchés ont radicalement changé d’attitude en exigeant des taux prohibitifs à court terme des mêmes pays qu’ils avaient abondamment servis ! Cette facilité originelle de la zone euro s’est traduite par une trop longue période d’expansion du crédit au cours de laquelle des taux réels très bas ont contribué à alimenter le déficit extérieur et la bulle immobilière qui, en Espagne mais aussi en Irlande, a attiré des capitaux étrangers dans le cadre d’un système administratif et fiscal délibérément attractif. Elle a donc longtemps retardé la mise en œuvre d’un rattrapage positif au moyen de réformes structurelles que l’Italie et l’Espagne sont tardivement contraintes de réaliser « dos au mur ». La dette publique italienne dépasse 120 % du PIB !
Pour indispensables qu’elles soient, les réformes conduites depuis deux ans et dans l’urgence par les gouvernements espagnol et italien ont des conséquences sur leurs partenaires de la zone euro. La France subit ainsi dans ses relations commerciales l’agressivité de véritables « chocs de compétitivité » brutalement déclenchés. Le contexte déflationniste créé au sein des marchés intérieurs de deux de ses principaux partenaires (baisse des rémunérations, effondrement de la demande en maints domaines et atonie de l’investissement) a d’ores et déjà atteint nos exportations. Dans le même temps, les entreprises italiennes se montrent à nouveau très présentes à l’exportation en bénéficiant de nouveaux avantages de coûts et cela en dépit d’un profond « credit crunch » national qui handicape leurs financements. Ce rebond commercial illustre bien la souplesse du tissu industriel italien dont la réactivité a toujours été une caractéristique majeure. Néanmoins, une spirale de crise par insuffisance de la croissance dans une partie significative de la zone euro menace toujours.
Il convient de garder à l’esprit que l’Italie et l’Espagne forment avec l’Allemagne et la France le « noyau économique » de la zone euro. À elles seules ces quatre économies représentent près de 80 %du total de la production de la zone. De fait, que les économies de la Grèce, de Chypre ou encore du Portugal se trouvent en situation de faible corrélation avec ce noyau central reste secondaire pour l’ensemble de la zone, du moins en termes de croissance. Cette situation s’avère néanmoins cruciale en termes de garantie de solvabilité internationale car décider de soutenir en ce sens ces pays exige un accord entre les grands acteurs de la zone, donc une cohérence de leur situation économique et de leur action.
6. Le retour de la contrainte extérieure
La mise en place de l’Euro au 1er janvier 2002 visait notamment à s’affranchir de la contrainte extérieure(222). À l’époque, la politique « du franc fort » se traduisait par des taux d’intérêt élevés, prix payé par la France pour rester arrimée au Deutschemark, qui pénalisait déjà la croissance française. Avec l’introduction d’une monnaie unique, l’euro devait permettre à la France de supprimer la « prime de risque » liée au franc fort et de stimuler la croissance. La contrainte extérieure devait être allégée.
Plus de dix ans après sa création, force est de constater que l’euro n’a pas permis à la France d’échapper à la contrainte extérieure, même si la concurrence internationale exacerbée liée à la mondialisation, conjuguée aux contraintes liées à la crise des dettes souveraines notamment dans les pays de la zone euro, ont également joué un rôle important dans cette évolution.
Bien au contraire, l’économie française connaît, au travers de la perte de sa compétitivité soulignée par le rapport Gallois et par le Pacte national pour la croissance, un retour de la contrainte extérieure. Ce défaut de compétitivité se traduit, en effet, par une balance commerciale et un solde courant en dégradation constante.
Le solde de la balance commerciale connaît une dégradation forte depuis 2002, passant d’un excédent de 3,5 milliards d’euros en 2002 à des déficits « record » de 74 milliards d’euros en 2011 et de 67 milliards d’euros en 2012.
Ni la facture énergétique, ni l’euro cher n’expliquent en totalité cette détérioration. Elle est imputable, pour partie, aux faiblesses structurelles de l’offre française à l’exportation. Ce décrochage à l’exportation s’explique en effet essentiellement par le manque de compétitivité de ses produits, qu’il s’agisse de leur compétitivité « prix » ou de leur compétitivité « hors prix »(223).
C’est pourquoi les parts de marché des exportations françaises dans le commerce international sont en baisse de 36 % depuis 2000 selon le Pacte national pour la croissance. Hors facteur monétaire, les exportations françaises décrochent également au sein de la zone euro, leur part de marché étant passée de 12,7 % en 2000 à 9,3 % en 2011 selon le rapport Gallois.
En tout état de cause, la montée en puissance des pays émergents dans le commerce international tend mécaniquement à réduire les parts de marché françaises dans le total des exportations mondiales. Il n’en demeure pas moins que la France n’arrive plus à répondre de manière satisfaisante à la demande mondiale qui lui est adressée. Les débouchés effectifs des produits français croissent donc moins vite que la demande mondiale à laquelle il lui est donné de répondre.
Croissance moyenne annuelle des exportations
( % par an, 2000-2010, valeur nominale)
Source : Nations unies. Comtrade, analyses McKinsey
Le déficit commercial est à l’origine de la dégradation continue de la balance des paiements courants (224) observée depuis 1999. Depuis 2005, la France enregistre un déficit courant. Celui-ci a atteint 38,9 milliards d’euros en 2011 (225) (1.9 % du PIB). Cette dégradation du solde de la balance des paiements courants engendre un manque de liquidité et accentue le besoin de financement de la nation.
Dans son rapport sur l’État et le financement de l’économie(226), la Cour des comptes souligne le besoin de financement (227) qui résulte de la dégradation continue de la balance des paiements courants. Ce besoin de financement s’élève à 51 milliards d’euros en 2011 (soit 2.6 % du PIB).
Avec les charges liées au vieillissement de la population (financement des retraites, accroissement des dépenses de santé et de dépendance), le besoin de financement de la nation s’accroît.
La voie d’un endettement accru n’étant plus soutenable compte tenu du niveau atteint par la dette française (1 818,1 milliards en 2012, soit 89,9 % du PIB), le besoin de financement de la Nation impose de résorber le déficit de la balance courante, voire de générer un excédent de la balance des paiements courants.
La Commission européenne l’a effectivement souligné dans son rapport du 30 mai 2012 sur les mécanismes d’alerte visant à prévenir de nouvelles crises dans la zone euro. Selon la Commission, « la lecture des indicateurs montre que les principaux défis sont liés à la position extérieure ».
La contrainte extérieure est devenue telle qu’elle impose désormais de revoir les objectifs de pilotage du niveau de la monnaie commune pour associer à la nécessaire maîtrise de l'inflation d’autres objectifs liés à la croissance et à l'emploi, à l'instar de ce que pratiquent d'autres Banques centrales. Pour la France, il est nécessaire de viser une remontée de la balance commerciale vers des excédents sur la durée afin de rééquilibrer notre balance des paiements. Nous devons donc réapprendre à exporter plus et mieux. L’enjeu est de retrouver au plus tôt une économie suffisamment compétitive pour atteindre cet objectif.
Les travaux menés par la mission d’information tendent à souligner une insuffisante prise de conscience du défaut de compétitivité de l’économie française et de la nécessité de renouer avec un excédent courant. Au-delà des experts et du monde de l’entreprise, l’opinion doit savoir ce qu’il est en est et ce qui pourrait résulter d’un statu quo qui contraindrait inévitablement notre pays à perdre son rang, y compris au sein de l’Union européenne.
III.— LES PARIS DE L’INDUSTRIE, DE L’INNOVATION, DE LA MOBILISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL : DES LEVIERS A ACTIONNER POUR ENDIGUER LA PERTE DE COMPÉTITIVITÉ LIÉE AUX COÛTS DE PRODUCTION
A.— LE RENOUVEAU DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE
Avec la perte de plus de 2 millions (228) d’emplois industriels en 30 ans, dont 750 000 (229) sur les dix dernières années, la question se pose de savoir si l’industrie française a encore un avenir ou si la désindustrialisation a atteint un point de non-retour.
M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, a relevé, lors de son audition (230) par la mission, que « la désindustrialisation a été accélérée par la crise et [la France approche], pour certaines branches et pour certains territoires, du point de non-retour, quand il n’est pas déjà atteint ».
Les fermetures d’usines et les suppressions d’emplois industriels s’accélèrent en France.
Depuis 2009, la France a subi la fermeture de plus de 1 000 usines, pour seulement 700 ouvertures, et ce mouvement s’accélère depuis 2012, année qui enregistre une augmentation du rythme des fermetures d’usines de 42 % (231). L’industrie manufacturière a perdu 120 000 emplois depuis 2009, dont 24 000 pour la seule année 2012. Au total, depuis 2009, la France compte 384 sites industriels de moins, ce qui en fait un des pays d’Europe ayant connu une des plus fortes désindustrialisations.
Le délitement du tissu industriel français s’aggrave, alors que dans le même temps les États-Unis, l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe regagnent du terrain sur le plan industriel.
Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion que non seulement la désindustrialisation française n’est pas une fatalité, mais que la réindustrialisation est possible et indispensable.
1. L’industrie est au centre de toute économie compétitive
La désindustrialisation française n’est pas simplement la résultante de contraintes économiques. Elle est également le résultat d’un choix culturel.
En misant sur les services, la société française a cru, à tort, être entrée dans une ère « post-industrielle », où l’emploi industriel aurait perdu sa valeur. La stratégie des années 80 et 90 d’une croissance reposant presque exclusivement sur les services fut sans nul doute une erreur collective.
M. Christian Saint-Étienne, professeur au Conservatoire national des arts et métiers a clairement analysé cette dérive lors de son audition (232) par la mission :
« À partir de 1993, face aux difficultés économiques de leur pays, les Allemands élaborent le Standort Deutschland, se donnent pour objectif de redevenir un site industriel compétitif [ ]. À l’époque, tout le monde [en France] explique l’on est entré dans une ère postindustrielle et post-travail [ ]. Les Français, [ ], se convainquent collectivement – la gauche comme la droite, et avec le soutien du monde intellectuel – que le monde est entré dans l’ère post-industrielle, post-travail. En 1996, le livre de Jeremy Rifkin intitulé « La Fin du travail » est traduit en français et il se vend mieux chez nous qu’aux États-Unis.
[ ] Nous définissons donc une stratégie d’accélération de notre entrée dans cette nouvelle ère [ ]. Supérieure à 70 % dans l’économie française [ ], la part des services dans notre économie conforte encore cette vision. Dès lors, et pendant quatorze ans, nous qui avions une grande tradition industrielle avons laissé chuter notre industrie. Nous n’avons plus traité les fermetures d’usines que sous l’angle social et non plus stratégique, d’aucuns les considérant même comme un moyen de prendre de l’avance sur les Allemands ! [ ]. C’est en comprenant comment la France s’est elle-même convaincue de son entrée dans le monde post-industriel post-travail que nous pourrons nous en sortir. Nous daterons sans doute du rapport Gallois le changement de cap, mais nous n’en sommes qu’au tout début ».
L’industrie joue un rôle central dans la création de richesse d’un pays. Comme l’a indiqué M. Christian Saint-Étienne : « sans industrie, il n’y a ni exportations, ni innovation privée ».
En effet, l’industrie tire les exportations : les produits manufacturés représentent plus de 80 % des exportations mondiales de biens et services. Sans base industrielle, il n’y a presque pas d’exportations. Or, la promotion des exportations de biens est incontournable pour restaurer la balance courante d’un pays et échapper à la contrainte extérieure.
L’industrie tire l’innovation : près de 85 % des dépenses de recherche et de développement (R&D) au niveau mondial sont réalisées dans l’industrie. Sans base industrielle, il n’y a donc pas d’innovation. Un pays fortement désindustrialisé cesse d’innover et, à supposer qu’il innove, son faible tissu industriel appauvrit le processus d’innovation.
L’industrie tire enfin le secteur des services aux entreprises : elle est nécessaire à ses emplois, l’industrie et les services associés représentant 45 % de l’ensemble du secteur marchand en France. Sans base industrielle, les services à valeur ajoutée sont menacés.
Faute d’une industrie puissante, la France serait condamnée au déclin économique. Il est donc vital de réhabiliter la politique industrielle et de mener une politique volontariste dans ce domaine.
La comparaison France Allemagne :
un vieux thème suscitant bien des commentaires
« Comme tous les pays européens occidentaux, la France ne peut vivre que par la supériorité technique. Par suite, la solution spécifique consiste à former des hommes dans des professions ou qualifications où ils font défaut dans le monde ou risquent de faire défaut. ... L’industrie doit rester longtemps encore, la grande pourvoyeuse d’emplois et cela dans les branches les plus avancées. »
« Dans les deux branches d’avant-garde types, chimie et construction électrique, la supériorité appartient à l’Allemagne (4 % et 4,6 % de sa population industrielle, contre 3,4 % et 3,1 % à la France) ».
« Et pourquoi serait-il impossible à la France d’étendre son industrie ? Les Allemands vendent 10 fois plus que nous en produits d’équipement, ces produits nobles qui procurent à un pays richesse et emplois. ...
Elle exporte (1957) 55 % de matières premières et 34 % de produits fabriqués, alors que pour l’Allemagne, les proportions respectives sont 19 % et 75 % ! ».
« Nous exportons aux États-Unis, en machines-outils, 2 fois et 1/2 moins que la Suède, 4 fois moins que l’Italie, 7 fois moins que l’Angleterre et que la Suisse et 15 fois moins que l’Allemagne. Les voilà les emplois ! Ils attendent les jeunes ».
Ces quelques lignes sous la plume du démographe et économiste Alfred Sauvy ont été écrites en ... 1959. Elles sont extraites de son livre « La montée des jeunes » publié quelques mois avant qu’il ne participe aux travaux du Comité Rueff-Armand dont les conclusions ont marqué une rupture dans l’approche de la politique économique qui prévalait jusqu’alors.
Dans le même chapitre où ont été relevées les citations précédentes, Alfred Sauvy énonçait d’ailleurs deux principes dont la portée reste probante à plus d’un demi-siècle de distance :
« Les questions de prix de revient, de rentabilité financière, ne font que traduire des défauts de structure ».
« La balance des comptes est le terrain de la vérité; c’est le confluent de toutes les faiblesses, une sorte de jugement dernier ».
2. Une première réponse : le rapport Gallois et le CICE
Publié le 5 novembre 2012, le rapport de Louis Gallois, intitulé « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » formule 22 propositions.
L’une d’entre elles est de « créer un choc de compétitivité en transférant une partie significative des charges sociales jusqu’à 3,5 SMIC – de l’ordre de 30 milliards d’euros, soit 1,5% du PIB – vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique ». Il suggère de transférer cette somme (répartie en 20 milliards de cotisations patronales et 10 milliards de cotisations salariales), vers la fiscalité (taux intermédiaires de TVA, fiscalité écologique, niches fiscales, CSG) et la réduction de la dépense publique.
Le but est « d’apporter un ballon d’oxygène aux entreprises pour l’investissement et d’amorcer la montée en gamme ».
Le gouvernement a reconnu qu’« il est nécessaire de redonner aux entreprises les moyens d’un repositionnement offensif durable dans la concurrence international » (233) mais a choisi une approche quelque peu différente en mettant en place le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).
Le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)
Prévu à hauteur de 20 milliards d’euros, il sera financé par 10 milliards d’économies dans les dépenses publiques et 10 milliards par la restructuration du taux de TVA et la fiscalité écologique. Cet allègement sera mis en œuvre sur 3 ans, pour un montant de 10 milliards d'euros dès la première année et de 5 milliards supplémentaires chacune des deux années suivantes. Il portera sur les salaires compris entre 1 et 2,5 fois le SMIC.
Le CICE bénéficiera à l’ensemble des entreprises employant des salariés, imposées à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu d’après leur bénéfice réel, quel que soit le mode d’exploitation, et quel que soit le secteur d’activité. En bénéficieront également les entreprises dont le bénéfice est exonéré transitoirement, en vertu de certains dispositifs d’aménagement du territoire ou d’encouragement à la création ou à l’innovation (entreprises nouvelles, jeunes entreprises innovantes), ainsi que les coopératives et les organismes HLM (234).
Le CICE portera sur l’ensemble des rémunérations versées aux salariés au cours d’une année civile qui n’excèdent pas 2,5 fois le SMIC calculées sur la base de la durée légale de travail, augmentée le cas échéant des heures complémentaires ou supplémentaires.
Le taux du crédit d’impôt sera de 4% pour les rémunérations versées en 2013, puis 6% à compter de 2014. Il pourra être comptabilisé dans les comptes de 2013 de manière à améliorer le résultat des entreprises ; il ne constituera pas un produit imposable, ni à l’impôt sur les sociétés, ni à la CVAE.
La créance de CICE pourra être cédée à un établissement de crédit.
Le CICE ayant pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises à travers notamment des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés et de reconstitution de leur fonds de roulement, l’entreprise devra retracer dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément à ces objectifs. Elle ne pourra ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations de ses dirigeants.
Le dispositif concernera 85% des emplois dans tous les secteurs et 83% dans l’industrie (235).
Ce dispositif qui est une mesure fondamentale pour stimuler la confiance, a néanmoins suscité des interrogations de la part des interlocuteurs de la mission.
Pour sa part, M. Louis Gallois a approuvé le dispositif retenu, car le crédit d’impôt, calculé à partir des résultats de 2013 et payé en 2014, n’aura aucun impact fiscal en 2013. En outre, les 20 milliards de réduction de cotisations sociales constituent un avantage net, alors que le transfert qu’il proposait ne tenait pas compte de l’éventuelle augmentation des bénéfices et de l’impôt sur les sociétés qu’il pourrait induire dans certaines sociétés. Le montant qu’il indiquait « était donc un montant brut, même si la différence n’aurait pas été nécessairement très importante, dans la mesure où une marge plus importante peut se traduire par des emplois plus nombreux, un surcroît d’investissement ou une baisse des prix, et donc n’avoir aucun effet sur les bénéfices ».
a) Certains interlocuteurs de la mission ont mis en doute l’efficacité du CICE ou en ont même dénoncé le principe
M. Philippe Askenazy met en doute l’efficacité du système et analyse la baisse du coût du travail ainsi proposée comme une dévaluation interne. Il constate aujourd’hui « la coexistence du versement de dividendes record et la difficulté structurelle que rencontrent certains secteurs à dégager des marges suffisantes, à laquelle s’ajoute un choc macroéconomique global ». Il en conclut que « toute mesure qui viserait à améliorer, par des crédits d’impôt ou des réductions de cotisations, les marges des entreprises risque donc de se traduire par des augmentations de dividendes sans investissements supplémentaires » et suggère plutôt de baisser le taux de l’impôt sur les sociétés, compte tenu du dumping fiscal existant actuellement en Europe et de la capacité des grandes entreprises faire faire circuler les profits d’un pays à l’autre, réduisant ainsi la base fiscale .
Alors que Mme Isabelle Martin (CFDT) a dit comprendre la logique du CICE, même si ce choix n’était pas celui de sa centrale, et que M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC) l’a jugé positif, il a vivement été dénoncé par d’autres syndicats qui se sont élevés contre le principe même d’un crédit d’impôt. Pour M. Morvan Burel (SUD), il aura pour effet immédiat de provoquer des baisses de ressources de l’État et des organismes de sécurité sociale. M. Pascal Pavageau (FO) a déploré que sa mise ne place n’ait donné lieu à aucune discussion entre le gouvernement et les confédérations syndicales, alors que le Premier ministre s’y était engagé et assuré qu’il n’existera aucun lien a priori entre ce crédit d’impôt et le niveau des salaires dans l’entreprise. M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) a critiqué le CICE qui s’inscrit dans un objectif de réduction du coût du travail, qui est « un nouveau cadeau fait aux employeurs » et coûtera cher à la collectivité.
b) Nombre de personnalités auditionnées ont salué l’opportunité et la qualité du dispositif...
« Le CICE ne doit en aucun cas être considéré comme un cadeau fait aux entreprises » ont affirmé M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques, M. Olivier Duha, Président de CroissancePlus, ainsi que M. Thierry le Hénaff, président directeur général du groupe chimique Arkema, une entreprise de taille mondiale, et membre de l’Association française des entreprises privées (AFEP), pour qui il s’agit d’une mesure positive, car trop d’entreprises sont en grande difficulté. D’autres personnalités auditionnées ont également salué la mise en place de cette mesure, comme M. Gilles Benhamou, président directeur général du groupe Asteel Flash, qui a calculé que les cotisations sociales en seraient réduites non pas de 6%, mais de 9%, M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT), pour qui le CICE a le mérite de monter en puissance en deux ans seulement, si bien que 20 milliards d’euros seront perçus dès 2014, tout en s’ajoutant aux allègements de cotisations sociales. M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato, a jugé essentiel que ce crédit d’impôt soit considéré, dans le cadre des normes comptables internationales IFRS, non comme une réduction d’impôt, mais comme une diminution du coût horaire du travail, qui est un critère déterminant dans la décision de groupes étrangers en France.
M. Jean-François Roubaud (CGPME) a qualifié le crédit d’impôt de « ballon d’oxygène » pour les PME, à la fois industrielles et de services, ce qui bénéficiera d’une certaine façon doublement aux premières puisqu’elles sont également consommatrices de services.
Pour M. Christian Saint Etienne, il s’agit d’un mécanisme bien conçu et à un bon rythme, mais qui doit être complété par un effort supplémentaire de 20 à 30 milliards d’euros à fournir immédiatement.
M. Patrick Artus juge que le Pacte gouvernemental va dans la bonne direction puisque « pour la première fois depuis les chocs pétroliers des années 70, la France s’engage dans une politique économique de soutien à la production alors qu’elle avait jusque-là privilégié la consommation » et que « les aides à la consommation n’[avaient] fait qu’accroître les importations » (236).
c) …mais un dispositif qui resterait en l’état insuffisant
Certains interlocuteurs jugent qu'il serait insuffisant à la fois d’un point de vue macro-économique et micro-économique.
M. Patrick Artus met en garde : « il ne faut pas …attendre des résultats spectaculaires des mesures récemment adoptées. D’abord parce qu’elles sont de faible ampleur. En 2013, elles annuleront les hausses d’impôt sur les entreprises décidées par ailleurs…mais il ne faut pas en escompter une relance des investissements et de l’emploi : aujourd’hui les entreprises françaises détruisent des capacités de production et n’expriment par conséquent aucun besoin d’investissement. On évitera surtout des dépôts de bilan ».
M. Olivier Duha a estimé que le CICE, fixé à 20 milliards d’euros, ne compenserait même pas l’accroissement de 30 milliards d’euros de la pression fiscale pesant sur les entreprises mis en œuvre par les dernières lois de finances. Pour M. Pierre Gattaz, « l’explosion des charges sociales » conduit à un écart global de 70 milliards d’euros avec l’Allemagne ; un important fossé restera à combler malgré le crédit d’impôt pour améliorer sensiblement la compétitivité des entreprises.
M. Yves L’Epine, directeur général du groupe Guerbet a jugé le mécanisme intéressant ; mais il permettra à peine de compenser l’alourdissement des cotisations sociales décidé au cours des derniers mois, si bien que, selon lui, son impact net en termes de compétitivité sera faible, voire quasiment nul. De même, pour M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), « on nous redistribue l’impôt qu’on nous a prélevé » et le Pacte ne dégagera que 20 milliards, « quand nous en attendions 80 ».
Certains chefs d’entreprises, avant même de connaître toutes les modalités d’application du CICE ont légitimement cherché à évaluer l’impact du CICE pour des entreprises de tailles et de secteurs très différents. Pour M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable de l’industrie du poisson à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale), le gain escompté ne dépassera pas 0,3%. M. Thierry Le Hénaff souligne que pour son entreprise, le CICE correspondra à un gain de 7 millions d’euros, à comparer aux 12 millions de taxes et contributions sociales supplémentaires qu’il faudra acquitter à la suite des mesures nouvelles prises depuis juillet dernier. Pour M. Antonio da Silva, président de La Ferronnerie Roncquoise, le montant du CICE ne représentera, pour 2013, que 4% d’un salaire annuel à temps complet, dans la limite de 2,5 SMIC : la première année, pour un SMIC à temps plein, l’entreprise recevra 57 euros par mois. Quant aux sociétés qui ne font plus de bénéfices, elles ne pourront plus être remboursées que dans trois ans : « plus les entreprises connaissent de difficultés, moins le CICE est opérant », ce qui l’amène à conclure : « le CICE est un mirage ».
d) ...avec un champ d’application trop large
M. Gilles Benhamou (Asteel flash) a formulé une réserve : contrairement à ce que préconisait le rapport Gallois, les mesures ont un champ d’application tellement large que leur impact sur la relance de la compétitivité risque d’être insuffisamment significatif ; pour obtenir un effet de levier plus important, il aurait fallu concentrer les aides sur les entreprises compétitives. M. Jean-Marie Poirot (UNSA) l’a jugé insuffisamment centré sur l’industrie. Pour M. Jérôme Frantz (FIM), il devrait concerner les entreprises soumises à la concurrence internationale.
e) … et un effet différé dans le temps
Lorsque M. Louis Gallois a proposé dans son rapport une réduction des cotisations sociales, proposition à laquelle le gouvernement a préféré le CICE, il a préconisé une mise en place sur une année, voire sur deux ans si les contraintes l’imposent, sans aller au-delà de deux ans, « sinon on courrait un risque de dilution ». Il a toutefois reconnu que dans le contexte économique actuel, il était difficile d’aller plus vite. Il a estimé que la charge serait reportée sur 2014, 2015 et partiellement sur 2016, en évitant l’année 2013, l’année la plus difficile, où le saut budgétaire sera le plus important.
Plusieurs chefs d’entreprises ont regretté un délai trop long : M. Vincent Moulin Wright (GFI) a souhaité que le CICE entre en vigueur dès 2013 ; M. Jean-François Hug a déploré qu’il ne porte que sur deux ou trois ans et que l’économie pour les entreprises en soit différée dans le temps. Quant à M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques juridiques et fiscales de la CGPME, il a fait remarquer que le système fiscal français étant déclaratif, ce n’est qu’au deuxième trimestre 2014 que les entreprises pourront déterminer l’assiette du crédit d’impôt, le problème étant plus aigu pour celles dont l’exercice comptable est décalé par rapport à l’année civile : les TPE et les plus petites des PME ont donc peu de chances de bénéficier du CICE dès 2013.
f) Un dispositif compliqué et peu lisible ?
Plusieurs députés appartenant à la mission ont fait valoir que telles étaient les critiques venant des entrepreneurs de leur circonscription. M. Jean-François Hug l’a jugé également complexe. A l’opposé, M. Thierry Le Hénaff l’a déclaré simple et lisible, de même que M. Haas.
Votre rapporteur remarque qu'à ce titre le gouvernement a mis en place un site internet explicatif qui permet aux chefs d'entreprise de simuler le montant du crédit d'impôt qu'il pourra obtenir.
M. Louis Gallois avait proposé que le transfert des cotisations sociales puisse avoir lieu jusqu’à 3,5 fois le SMIC : « dans ces conditions, 35% de l’avantage crée irait directement vers l’industrie et les services à haute valeur ajoutée associés (237). » Pour l’instauration du CICE, le gouvernement a retenu le seuil de 2 ,5 SMIC seulement. Au cours de son audition, M. Louis Gallois a justifié son choix de 3,5 pour favoriser la compétitivité dans l’industrie ; le gouvernement a retenu 2,5 parce qu’il cherche plutôt un effet sur l’emploi.
Faut-il aider les bas salaires ou les salaires plus élevés ? La philosophie n’est pas la même ; le tout est de savoir quel est l’objectif visé, l’emploi ou la compétitivité.
M. Patrick Artus a ainsi livré son analyse : « le CICE résulte d’un compromis entre deux objectifs très différents : d’une part, poursuivre la baisse des charges sur les bas salaires afin de créer des emplois pour des jeunes non qualifiés ; d’autre part, fournir des marges à l’industrie pour qu’elle puisse se moderniser. Le premier, en favorisant l’emploi dans les services à la personne, dans la distribution, dans l’artisanat, tous secteurs sans grand potentiel de croissance, contribue à faire descendre en gamme l’économie française. Poursuivre efficacement le deuxième aurait nécessité un CICE beaucoup plus ambitieux. En effet, si l’on compare nos coûts salariaux avec ceux des autres pays européens, c’est pour les jeunes ingénieurs et les techniciens supérieurs qu’on constate l’écart le plus important – il serait de l’ordre de 30% avec l’Allemagne. C’est pourquoi Louis Gallois proposait initialement que le CICE jouât jusqu’à 3,5 SMIC. Ne pas l’avoir écouté est une erreur au détriment de la localisation des industries en France ».
Il ajoute que les salaires dans le secteur des services à l’industrie étant plus élevés que dans celui des services aux particuliers, le CICE ne pourra profiter à nombre d’entre eux en raison de la fixation du seuil à 2,5 SMIC seulement.
L’économiste M. Pierre Cahuc a fait valoir que les effets d’un allègement du coût du travail sur les salaires et l’emploi étaient très variables selon qu’il s’agit du salaire minimum ou de salaires plus élevés : « si vous voulez créer des emplois, il faut cibler les bas salaires ». En effet, « c’est au niveau du salaire minimum que la baisse du coût du travail est un levier efficace…au dessus du salaire minimum, une baisse des charges favorise l’augmentation des salaires beaucoup plus que l’emploi. Les salaires sont liés à la structure du marché du travail. Si l’on veut améliorer durablement la compétitivité des entreprises françaises, il faut modifier les conditions de formation des salaires, qui sont désormais mal adaptés aux contraintes des entreprises ».
Au contraire, M. Stéphane Carcillo a trouvé « hors de question d’alléger le coût du travail à hauteur de 1 400 euros bruts pour un salarié qui gagne 5 000 euros par mois ».
Les chefs d’entreprise se sont prononcés généralement pour un seuil porté à au moins 3 SMIC.
Comme l’a fait remarquer M. Jérôme Frantz (Fédération des industries mécaniques), la Corée du Sud, qui fabriquait des produits bas de gamme il y a 25 ans « a décidé d’arrêter du jour au lendemain les aides aux bas salaires pour aider les salaires qualifiés. En vingt ans, les Coréens ont monté une industrie qui force le respect dans nombre de secteurs ». De même, M. Pierre Gattaz (GFI) aurait été favorable à un seuil de 3,5 SMIC afin de faciliter l’embauche de techniciens et d’ingénieurs qui, depuis des années, ont tendance à déserter l’industrie au profit des services et du secteur financier. M. Vincent Moulin Wright a précisé au nom du GFI, qu’à défaut d’un élargissement à 3,5 SMIC, on pourrait, tout au moins, considérer que son assiette soit constituée des salaires bruts « chargés » pour ne pas avantager les services au détriment de l’industrie.
Selon M. Lionel Baud, président du syndicat national de décolletage (SNDEC), le seuil aurait dû être de 3,5 SMIC, car le seuil choisi ne cible pas suffisamment l’industrie.
M. Le Hénaff a déploré que plus de la moitié des salariés de son entreprise, hautement qualifiés, ne puisse entrer dans le calcul du CICE, et demandé que cette mesure soit ajustée aux industries délocalisables et inclue dans ses modalités de calcul les salaires allant jusqu’à 3 SMIC.
M. Yves L’Epine a fait remarquer que, pour un seuil fixé à 2,5 SMIC, un chef d’entreprise aura tendance à ne pas augmenter le salaire de ceux de ses collaborateurs qui ont un revenu équivalent à 2,49 fois le SMIC : « pour éviter qu’ils ne partent dans une autre entreprise, ce plafond doit s’appliquer au salaire uniquement, et non à la rémunération globale. Ainsi, pour conserver le bénéfice du CICE, le chef d’entreprise maintiendra le salaire de ses collaborateurs sous le plafond, mais il augmentera la partie variable de la réglementation. Il apparaît en outre indispensable que le seuil soit linéaire et non dégressif afin de privilégier les entreprises industrielles dont les salaires sont plutôt situés entre 2 et 3 fois le SMIC, surtout si ces entreprises ont fait l’effort de produire du haut de gamme. Si le plafond devait être porté à 3,5 SMIC dans l’avenir, nul n’ignore que cette hausse serait compensée par une dégressivité du taux de crédit d’impôt. Cela favoriserait les entreprises produisant du haut de gamme qui pourraient gagner des parts de marché au niveau international ».
M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC), qui aurait préféré que soit retenu le seuil de 3,5 SMIC afin d’embrasser la population active de l’ensemble du tissu industriel, a proposé d’appliquer le principe marginaliste, comme dans notre système fiscal : pour les rémunérations supérieures à 3,5 SMIC, l’employeur devrait pouvoir bénéficier du CICE sur la partie supérieure ou égale à 2,5 SMIC.
M. Vincent Moulin Wright a prôné également une sortie en biseau, non entre 2 et 2,5 SMIC, mais entre 2,5 et 3 SMIC.
Les économistes et les chefs d’entreprises se rejoignant, M. Gilbert Cette a mis en garde contre les effets de seuil : si, dès qu’ils dépassent 2,5 SMIC, les salariés ne sont plus éligibles au crédit d’impôt, des conséquences négatives risquent d’apparaître, car, pour l’euro de salaire mensuel net en plus, le travail augmentera mécaniquement de 200 euros. Il est donc favorable à un système inspiré de celui des impôts : jusqu’à 2 ou 2,5 SMIC, on est éligible, au-dessus, on ne l’est pas, ce qui signifie que celui qui gagne dix fois le SMIC serait éligible pour une partie, certes faible, du salaire.
L’un des syndicalistes reçus par la mission, M. Jean-Marie Poirot (UNSA), a également estimé que le CICE renforçait trop les allègements sur le coût du travail non ou peu qualifié.
Votre rapporteur considère que ces remarques et observations sur le seuil du CICE fixé à 2,5 fois le SMIC méritent l’attention dans la mesure où les plus bas salaires bénéficient déjà – hors CICE – de 20 milliards d’allègement de cotisations jusqu’à 1,6 SMIC. N’aurait-il pas été préférable de « décaler » en partie le barème des salaires concernés par le CICE, afin de cibler plutôt – par exemple – les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC, d’autant que l’élargissement de l’aide en direction de salariés plus qualifiés ne serait pas très coûteux, puisque 90% des salaires, dans le secteur industriel, sont inférieurs à 2,5 SMIC.
Il se demande en outre si le dispositif qui bénéficiera aux entreprises dès 2013, leur permettra de valoriser leur bilan auprès des banques, sachant que les crédits bancaires sont soumis à des faisceaux de conditions renforcées dans l’optique des nouvelles normes prudentielles dites de Bâle III.
Concernant le ciblage du dispositif, Votre Rapporteur fait remarquer que, d'après M. Mathieu Plane (OFCE) (238), « le CICE abaisserait en moyenne de 2,6 % le coût du travail du secteur marchand : l’impact sectoriel le plus fort de la mesure sur le coût du travail serait dans la construction (-3,0 %), l’industrie (-2,8 %) et les services marchands (-2,4 %). (….) Le CICE représente 1,8 % de la valeur ajoutée des entreprises industrielles, 1,9 % de la valeur ajoutée de la construction et 1,3 % de celle des services marchands. Globalement, le CICE pèse pour 1,4 % dans la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand. » Sur 20 milliards d’euros, ce dernier chiffre la répartition sectorielle à 4,4 milliards pour l’industrie, 2,2 milliards pour la construction et 13,4 milliards pour les services marchands : « L’industrie récupérerait donc 22 % de l’enveloppe globale, soit plus que son poids dans la valeur ajoutée qui n’est que de 17 %. Si cette mesure a vocation à relancer l’industrie en France, en revanche ce secteur n’est pas le premier bénéficiaire du dispositif en valeur absolue mais reste, avec la construction, celui qui y est relativement le mieux exposé en raison de sa structure salariale. De plus, l’industrie peut bénéficier des effets induits liés à la baisse des prix des consommations intermédiaires conséquente à la diminution des coûts de production dans d’autres secteurs. »
h) Le débat sur les conditionnalités et l’information des salariés
Dès l’annonce du Pacte pour la compétitivité, a été posé le problème des conditions d’attribution du CICE, certains jugeant qu’il était inacceptable que de telles aides soient accordées sans contreparties et qu’elles puissent être redistribuées sous forme de dividendes plutôt qu’être redirigées vers l’investissement. M. Louis Gallois ne s’est pas déclaré favorable à la conditionnalité car « il faut éviter la complexité ou les effets pervers », même si le débat lui a paru légitime.
Le débat s’est poursuivi avec acuité tout au long des auditions que la mission a menées.
Certains chefs d’entreprise se sont élevés avec vigueur contre tout contrôle. L’AFEP, représentée par sa directrice Mme Stéphanie Robert, a espéré que cet outil ne serait pas soumis à un certain nombre de critères, tels que les investissements ou la non-distribution de dividendes, car « cela empêcherait d’anticiper la comptabilisation de la créance qu’il représente dans les comptes et, partant, le priverait de son efficacité ». M. Jean-François Roubaud (CGPME) a fait savoir qu’introduire des contreparties importantes à l’octroi du CICE serait contre-productif, car on ne peut demander à une petite entreprise d’en détailler la ventilation ; l’exigence de contreparties vérifiables dès 2013 poserait un problème de comptabilisation et rendrait impossible le préfinancement. M. Olivier Duha a déploré « une suspicion permanente [qui] pèse sur les chefs d’entreprises », ajoutant : « pour certains d’entre eux, c’est une question de survie. D’autres le réinvestiront dans l’innovation ou encore diminueront le prix de leur produit final pour redevenir compétitifs. D’autres enfin verseront peut-être des dividendes à leurs actionnaires, mais, sans ces financeurs, il n’y a pas d’entreprise et il n’est pas répréhensible de les rémunérer davantage afin de les conserver et d’éviter qu’ils n’aillent fiancer, à la place, des entreprises allemandes, britanniques ou italiennes ».
À l’inverse, les syndicats ont demandé une évaluation de ce dispositif. Mme Isabelle Martin (CFDT) a estimé que l’enjeu était de s’assurer que les marges ainsi dégagées iraient bien à l’investissement productif et à l’emploi et non aux dividendes. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2012, signé par les organisations patronales et trois syndicats, prévoit que les instances représentatives du personnel devront être consultées sur l’affectation du crédit d’impôt. M. Pascal Pavageau (FO) s’est interrogé sur la façon dont l’État pourra effectivement contrôler que le dispositif servira bien à développer l’activité de l’entreprise, à investir et à améliorer l’outil de travail et des conditions de travail. M. Jean-Marie Poirot (UNSA) a souhaité qu’au sein de l’entreprise soit mis à la disposition des représentants des salariés des outils d’analyse sur la performance économique de l’entreprise et sur l’efficience des choix opérés quant à sa gouvernance, son modèle économique et sa stratégie ; il a également souhaité que soit garanti un certain droit de regard aux services de l’État, mais « la situation générale des finances publiques et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ne permet hélas pas d’envisager de leur confier de nouvelles missions sans leur donner de moyens supplémentaires ».
Le dispositif mis en place prévoit que l’entreprise devra retracer dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément à ces objectifs. Elle ne pourra ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations de ses dirigeants.
En avril 2013, le gouvernement se réunira en séminaire pour dresser un premier bilan de la mise en examen du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi et, notamment, du CICE.
Il sera alors utile d'envisager les effets macroéconomiques de la mesure qui ne seront sans doute pas immédiats. M. Mathieu Plane (OFCE) (239) indique que, entre les avantages du CICE (aide à l'emploi, baisse des prix liés à la baisse des coûts de production engendrant des gains de compétitivité, amélioration des marges des entreprises donnant lieu à de possibles investissements) et ses inconvénients liés à son financement (hausse de la TVA, réduction de la dépense publique et fiscalité écologique), les effets seront différents à court et moyen terme : après un effet légèrement récessif entre 2014 et 2016, le CICE « devrait permettre de créer, cinq ans après sa mise en place, environ 150 000 emplois faisant baisser le taux de chômage de 0,6 point et il générerait 0,1 point de PIB en 2018 ».
3. Réhabiliter la politique industrielle
Face au risque de « décrochage » de la France dans la mondialisation, il convient de mener une politique industrielle volontariste et de définir quel doit être en conséquence le rôle de l’État.
Le renouveau du libéralisme à partir des années 1980 a déconsidéré - temporairement – le fait même de penser à définir toute politique industrielle. Celle-ci était perçue comme un frein au libre jeu des forces du marché, voire comme une entrave au développement économique. Cette perception se traduisait au mieux par un scepticisme à l’égard de la politique industrielle, voire par son rejet, cette dernière étant souvent associée à un État « interventionniste » et jugé moins efficace que les choix des marchés.
Un consensus s’est alors fait jour pour promouvoir des politiques « horizontales » en faveur de la compétitivité des entreprises et de l’attractivité des territoires. Le rôle de l’État a été circonscrit à celui d’un « facilitateur », soutenant l’activité des entreprises.
Force est toutefois de constater les difficultés économiques actuelles des pays comme la Grande-Bretagne, l’Espagne ou la France qui, ayant renoncé à défendre ou à promouvoir leur industrie en optant consciemment ou non pour une économie de services, ont fait respectivement le choix d’une spécialisation dans la finance, l’immobilier et la tertiarisation.
Face au déclin de son industrie et au retour de la contrainte extérieure, la France n’a d’autres choix que de rattraper le retard accumulé en matière industrielle. Cet objectif appelle un renouveau du rôle de l’État.
i ● Définir la vision à long terme de l’industrie française
A l’heure de la mondialisation des échanges, promouvoir le rôle de l’État dans le domaine de la politique industrielle ne peut pas être synonyme du retour à un État planificateur sous sa forme passée des années 1960 ou 1970, qui, par le biais de « grands programmes », aurait la maîtrise de l’appareil productif national.
Ce constat ne doit pas pour autant être synonyme d’impuissance : il est possible de promouvoir un État stratège, chargé de définir une vision à long terme de notre économie et de sa spécialisation et de mettre en œuvre cette stratégie.
Or, force est de constater que devant les difficultés économiques actuelles et la montée du chômage qu’il s’efforce d’endiguer, l’État en France n’est pas en situation de défendre une vision à long terme de l’économie. Pire, à l’exception de la politique mise en œuvre pour redresser notre commerce extérieur, il a semblé trop souvent comme embourbé dans le court terme, sans vision stratégique d’ensemble. Comment, dans ces conditions, la France pourrait-elle échapper à une forme de pessimisme ambiant qui nuit à notre développement ?
Certes, des réflexions existent à moyen terme, comme en témoigne l’étude de 2011 sur les « technologies-clés 2015 » menée par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie pour identifier, de manière prospective, les principales technologies stratégiques (240), pour l’industrie française à l’horizon de cinq à dix ans. Mais l’État ne mène pas l’analyse jusqu’au bout en définissant, avec les industriels, les priorités stratégiques de long terme.
Néanmoins, la mise en place en 2012 d’un ministère du redressement productif, ayant notamment la charge des questions industrielles témoigne d’un début de prise de conscience. Lors de son audition (241) par la mission, M. Arnaud Montebourg, a ainsi rappelé que « s’agissant du moyen et long terme, l’État avait déserté le terrain industriel depuis des années. Sans ministère de l’industrie autonome, les titulaires étaient subordonnés aux intérêts de leur tutelle. Il n’y avait donc plus personne pour porter la contradiction et défendre les enjeux industriels face au ministère de l’environnement, à celui de l’économie ou de l’agriculture. Ce gouvernement a recréé les conditions d’un véritable débat public ».
Afin de reconstruire un appareil productif français et de promouvoir une politique cohérente en la matière, la mission en appelle à une vision du rôle de l’État comme stratège, en capacité d’initier ou d’encourager des stratégies cohérentes, notamment de filières.
Il s’agit de définir, sur le long terme, quelles doivent être la vision et la place de la France dans un monde globalisé et hyper concurrentiel. Cette vision de long terme consiste à définir les priorités nationales à horizon de vingt ans, à décliner sur le moyen terme les politiques nécessaires pour y parvenir – une trajectoire cohérente – et à décider des mesures de court terme applicables.
Cette remise à plat est désormais urgente, comme en témoignent la dégradation de la compétitivité de notre industrie et la détérioration de la balance de notre commerce extérieur.
Comme l’a souligné M. Stephan Bourcieu, directeur général de l’ESC Dijon-Bourgogne et enseignant-chercheur en management stratégique, dans un article de février 2012 intitulé « l’État peut-il agir en stratège ? », « l’État français ne semble pas avoir de vision de la France à long terme : la crise et les enjeux de sauvegarde de l’emploi, la sanction des urnes et la pression des médias font que le politique a tendance à se focaliser sur des questions de court terme […] ».
Ce diagnostic est également partagé par M. Augustin de Romanet, ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans un ouvrage intitulé « Non aux Trente Douloureuses » : « la priorité, c’est de dresser une feuille de route pour une génération. Où veut-on être dans 20 ans ? ».
M. Christian Saint-Étienne n’a pas dit autre chose lors de son audition (242) : « C’est donc la reconstruction de nos capacités d’ingénierie en électronique qui sera au cœur de notre redémarrage industriel et la réponse à la crise industrielle réside dans la reconstitution d’une fonction d’État stratège. Dans les années 1950-1960, l’État dépensait très peu mais était extrêmement stratège et volontariste. J’en appelle donc à un amaigrissement massif des dépenses publiques couplé à une consolidation extrêmement forte, volontariste et stratégique de notre État devenu le plus lourd et le plus « court-termiste » d’Europe ».
Concrètement, une vision à long terme de la France devrait être celle d’une économie de la connaissance, privilégiant des filières d’avenir, définies en concertation avec les industriels en fonction des avantages comparatifs de la France et des marchés porteurs.
Elles pourraient être les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et du numérique, les matériaux et les transports du futur, les nouvelles énergies et les industries liées aux énergies renouvelables, la santé et les biosciences – ces quatre secteurs constituant actuellement le front de la recherche technologique.
Certes des efforts sont faits en la matière. Une stratégie nationale de recherche et d’innovation (S.N.R.I.) a été définie (243) pour la période 2009-2012 et a servi à orienter le programme des investissements d’avenir. Toutefois, il ne s’agit pas d’une stratégie de long terme ; elle est portée par le seul ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et non par le ministère de l’économie et des finances et le Gouvernement tout entier ; il s’agit d’un exercice de prospective scientifique, qui n’oriente ni l’effort public de recherche, ni le crédit impôt innovation, ni les crédits budgétaires. Pire, la nomenclature de la LOLF, conçue avant la SNRI, ne permet pas de flécher les crédits destinés aux priorités définies par ce biais.
En fonction d’une vision de long terme, il convient ensuite de définir une trajectoire, c’est-à-dire des orientations structurantes accompagnées d’arbitrages, sans doute difficiles dans un contexte budgétaire sous contrainte, sur le choix des allocations de ressources.
Une politique industrielle « offensive » est déjà pour partie en œuvre en France – mais sans stratégie globale –, au travers des mesures en faveur de l’innovation et de la recherche (pôles de compétitivité, crédit d’impôt recherche, investissements d’avenir), de la promotion de nos exportations, du soutien aux PME et des ETI, mesures sur lesquelles la mission avancera des propositions. Mais cette trajectoire n’est pas au service d’une vision claire et partagée, si bien que ces efforts perdent de leurs significations.
L’organisation industrielle de l’aéronautique, le GIFAS, s’est doté en 2008 d’un Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC). Suite à des engagements pris lors du « Grenelle de l’Environnement », il regroupe sous l'impulsion de la DGAC et du GIFAS, l’ensemble des acteurs français du secteur du transport aérien : l’industrie aéronautique, les compagnies aériennes, les aéroports, l'ONERA, les institutionnels et ministères concernés. Il s’inscrit dans une volonté de mise en cohérence des efforts de recherche et d’innovation notamment face aux contraintes grandissantes du développement durable. Il a établi une Feuille de route technologique pour la recherche aéronautique, base de la mise en œuvre d’une stratégie de recherche ambitieuse et coordonnée autour d’objectifs de maîtrise de l’empreinte environnementale du transport aérien, à l’horizon 2020. Cette stratégie donne des lignes directrices à la recherche et au développement pour les prochaines années, avec pour certains programmes un soutien public affirmé, susceptible de permettre au secteur de garder une avance technologique dans un domaine créateur d’emplois en France. Cette stratégie concertée pourrait avoir valeur d’exemple pour d’autres filières.
La définition d’une trajectoire sous-tend également une capacité de prospective économique et industrielle – actuellement inexistante – et donc d’anticipation des chocs. Un État stratège doit aussi savoir anticiper les filières qui risquent d’être en perte de vitesse, notamment celles qui seront affectées à court ou moyen terme par la concurrence internationale, au travers d’aides à la modernisation quand cela est envisageable ou bien à la reconversion quand cela est nécessaire, en ayant la capacité de protéger les salariés concernés et de les former vers de nouveaux secteurs. Autrement dit, mener une politique industrielle stratégique suppose également de protéger les salariés des chocs de la mondialisation.
Il ne s’agit pas là d’une vision utopique du rôle de l’État. En orientant la stratégie des conglomérats nippons – les Keiretsu –, le METI (Ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie, ex-MITI) japonais met déjà à l’œuvre cette politique, avec à la clé des succès. En dépit d’un endettement record et d’un coût du travail très élevé, l’économie japonaise a pu enregistrer avant l’accident de Fukushima des excédents commerciaux, qui témoignent d’un bon positionnement stratégique. De même, l’Allemagne a su au début des années 2000 décider d’une nouvelle stratégie économique en vue de son redressement industriel, avec les succès que l’on sait en termes de balance commerciale.
S’agissant des instruments susceptibles de promouvoir le rôle de l’État comme stratège, le récent rapport (244) de Mme Yannick Moreau remis au Premier ministre préconise la création d’un Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) qui se substituerait au Centre d’analyse stratégique (CAS). Cette proposition a été reprise par le Président de la République en janvier dernier qui en a annoncé la mise en place prochainement. Il serait rattaché directement au Premier ministre et comprendrait notamment dans son réseau le Conseil d’analyse économique (CAE) et le Conseil national de l’industrie (CNI). Mme Yannick Moreau a suggéré que le CGSP puisse avoir comme thèmes possibles de travail le fait de « renforcer la France dans la mondialisation », de « repenser notre appareil productif dans la troisième révolution industrielle » ou encore de « stimuler l’innovation technique et sociale dans le secteur agro-alimentaire ».
Au vu de des travaux de la mission, cette évolution des outils de l’État correspond pleinement aux nécessités actuelles, à condition de faire de ce nouvel organisme un maillon essentiel de la décision publique et de l’évaluation des politiques menées. Néanmoins, pour éviter la juxtaposition d’avis sur des sujets identiques, il sera nécessaire de trouver la bonne articulation avec, d’un côté, le Conseil économique, social et environnemental pour ce qui concerne l’association voulue des acteurs sociaux aux travaux du CGSP, et, de l’autre, avec la Cour des Comptes, compte-tenu de sa responsabilité dans l’évaluation des politiques publiques.
Concernant le sujet de la mission, votre rapporteur propose que le futur CGSP mette en place, de manière spécifique et permanente, une Commission pour l’innovation économique et la compétitivité (CIEC), à laquelle le Parlement sera associé. Celle-ci envisagera les réponses à apporter pour une reconquête industrielle de la France dans le cadre de l’économie mondialisée et d’un nécessaire nouveau modèle de croissance, dégagera les stratégies et le niveau d’intervention les plus pertinents pour l’action du nouvel État stratège et coordonnera les travaux du CNI.
Dans la même logique, afin que le Parlement ne soit pas seulement destinataire de rapports mais acteur de cette démarche essentielle d’un nouvel État stratège pour le développement économique et l’emploi, votre rapporteur suggère que, sous des modalités à définir, le CGSP puisse être sollicité par le Parlement pour renforcer puissamment sa mission essentielle – mais encore trop peu effective - de contrôle efficace de l’action publique. Le Parlement pourrait ainsi être en capacité d’engager à son initiative des études d’impact sur le développement économique concernant des dispositions législatives ou réglementaires, existantes ou à venir.
C’est d’ailleurs le sens d’une des propositions du rapport Gallois, qui préconise que « toute nouvelle disposition législative ou réglementaire significative, toute nouvelle politique lancée par l’État [soit] accompagnée d’un document précisant son impact sur la compétitivité industrielle et les moyens d’en réduire les effets négatifs éventuels. »
ii ● Valoriser les filières industrielles
C’est dans la définition et la structuration des filières industrielles que le rôle de stratège de l’État est appelé à s’exercer, en concertation avec les industriels.
La structuration des filières industrielles françaises a été lancée en 2009.
Les États généraux de l’industrie (octobre 2009 – février 2010) se sont en effet traduits par l’installation, en 2010, de la Conférence nationale de l’industrie (245), réunissant industriels et partenaires sociaux, et par la structuration des filières industrielles françaises (246) autour de douze comités stratégiques de filières et de quatre groupes de travail transversaux (247).
Ces instances ont permis de dresser, pour chacune des douze filières industrielles identifiées, un diagnostic partagé par l’ensemble des acteurs identifiant les forces, les faiblesses, les menaces et les opportunités de chacune de ces filières et définissant une feuille de route pour en améliorer la compétitivité.
La mise en place des comités stratégiques de filières a ainsi permis de construire un dialogue constructif entre les acteurs d’une même filière et, devenant un lieu de concertation, d’introduire un début de pilotage des filières qui manquait en France.
La mission juge opportune l’intervention de l’État dans la structuration des filières industrielles françaises, face aux politiques mises en œuvre par nos concurrents.
Comme l’a rappelé, au cours de son audition (248) par la mission, M. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), « il faut donc arrêter de dire qu’on n’a pas besoin de réflexion à long terme, de plan, de conseil national ou de ministère de l’industrie. […] J’estime que des décisions régaliennes importantes sont nécessaires. Les Coréens ont développé en trente ans dix filières superbes, les Chinois se sont dotés d’une machine de guerre terriblement efficace et aux États-Unis, l’adoption de la National Strategy for Homeland Security s’est soldée par un investissement annuel de 4 milliards de dollars en recherche et développement ! ».
Il convient toutefois de relever que l’intervention de l’État dans la définition des filières ne fait pas l’unanimité.
Ainsi, M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, a fait valoir, au cours de son audition (249) qu’il était « par principe, très méfiant vis-à-vis des politiques par filières. Les facteurs qui concourent au succès du secteur industriel sont extrêmement divers ! En Allemagne, les filières s’organisent d’ailleurs elles-mêmes, sur le plan social en particulier, mais plus généralement aussi, et c’est sans doute une des choses que ce pays fait bien. Je ne suis pas sûr qu’un nouveau Plan calcul soit la solution miracle pour redresser notre industrie. Il vaudrait mieux que l’État s’occupe plus efficacement d’éducation, de cadre général ».
Cette appréciation corrobore la nécessité d’un pilotage fin et au bon niveau de l’intervention de l’État, entre les rôles d’acteur ou de facilitateur.
Par ailleurs, la mission partage le diagnostic du rapport Gallois sur l’apport des comités stratégiques de filières. Ce dernier a en effet souligné qu’ils « sont des lieux d’élaboration et de stratégies communes et de dialogue social. Ils permettent à tous les acteurs de s’exprimer et de définir ensemble les orientations des filières. Ils jouent donc un rôle essentiel dans l’émergence de ces dernières ». Leur rôle pourrait nécessiter de les doter de moyens d’analyse et d’expertise et de renforcer leur gouvernance.
Devant la mission, M. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), a également confirmé que la conférence nationale de l’industrie constituait « un cadre où État, patronat et salariés peuvent réfléchir ensemble à l’avenir ».
Toutefois, plusieurs interrogations demeurent.
Ø Quelle cohérence entre la vision à long terme de l’industrie française et la politique des filières ?
La structuration de l’industrie française en filières doit être cohérente avec la vision à long terme que la mission appelle de ses vœux. Ce travail-là reste à élaborer.
Au sein des douze filières déjà identifiées, quelles sont celles qui seront au cœur de l’industrie française dans 20 ans ? Quelles sont celles qui devront faire l’objet d’avancées technologiques, de restructurations profondes, voire d’abandons ?
Quelles filières privilégier ? Comment hiérarchiser les filières entre elles au regard des leviers de développement possibles, de leur potentiel de croissance et de création d’emplois ?
Pour quels débouchés ? La politique des filières industrielles devrait être cohérente avec la stratégie mise en œuvre dans le domaine du commerce extérieur.
Ce travail d’analyse prospective devrait relever des missions prioritaires de Commission pour l’innovation économique et la compétitivité, en collaboration avec les comités stratégiques de filière.
Devant la mission, M. Pierre Gattaz (GFI) a souligné qu’il convenait de « constituer de nouvelles filières et prendre pied sur de nouveaux marchés. D’abord, comme les Allemands l’ont déjà compris, il faudra équiper les pays émergents : Chine, Inde, Russie, Amérique latine… Il y a donc un avenir pour nous ! En second lieu, de nouveaux besoins se font régulièrement jour dans nos propres sociétés – énergie, santé, mobilité, sécurité, développement durable, efficacité énergétique, chimie verte… Pour y répondre, il faut des infrastructures numériques très haut débit et des infrastructures électriques intelligentes, les smart grids. Ce sont là aussi des opportunités gigantesques ! [….] Il faut par conséquent rapprocher l’État, les entrepreneurs, les salariés, les chercheurs, et choisir cinq ou dix filières sur lesquelles nous pourrons prendre des positions fortes ».
Nos concurrents industriels ne restent pas inactifs, notamment la Chine et la Corée, pour structurer leur offre au regard de l’évolution de la demande mondiale et des nouveaux marchés.
Ø Des filières pour quel pilotage ?
Lors de son audition (250) par la mission, M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, a évoqué la stratégie défensive et offensive mise en œuvre dans chacune des filières.
Au titre de la politique défensive, le ministre a évoqué les « fonds de recapitalisation, donc de modernisation des équipements industriels », mis en œuvre dans chacune des filières avec l’aide de la BPI.
Au titre de la politique offensive, le ministre a indiqué « [procéder] à des choix technologiques en concertation. […] En ce qui me concerne, je réunis les professionnels, les partenaires sociaux, les pôles de compétitivité et je leur fais choisir les orientations et les options technologiques. Les décisions ne sont pas prises par des ministres dans la solitude de leur bureau, ou par des hauts fonctionnaires aussi talentueux soient-ils. La décision vient d’en bas et le politique l’appuie grâce à son leadership ».
Prenant l’exemple de l’automobile, le ministre a détaillé les choix technologiques en cours, visant à définir de nouveaux débouchés : « Dans une guerre, qu’elle soit économique ou pas, la stratégie enseigne de renforcer les points forts. Ainsi, face aux difficultés de la filière automobile, nous développons une stratégie d’endiguement pour préserver nos outils et nos savoir-faire, mais sans exclure l’innovation technologique. Le Premier ministre a fixé le cap du véhicule à 2 litres. Pour la première fois, nous avons réuni les deux constructeurs et les quatre grands équipementiers que sont Plastic Omnium, Valeo, Michelin et Faurecia, pour procéder ensemble à des choix : hydrogène, ou pas ; hybridation chez Peugeot, qui occupe la deuxième place sur ce créneau sur le marché européen – je rappelle que Toyota construit ses « Yaris » hybrides en France –, et tout électrique chez Renault qui a pris de l’avance dans ce domaine en repoussant à 120 kilomètres les limites de l’autonomie ».
Cet exemple souligne que des choix stratégiques sont à effectuer au sein de chaque filière, afin de préparer l’avenir et de les piloter à moyen terme.
Il serait sans doute souhaitable de mettre mieux en avant ces stratégies peu connues du grand public. Le récent train « Industrie et Innovation » qui parcourt la France afin de populariser les performances de certaines de nos filières va dans le sens souhaité. Ce mouvement mérite sans doute d’être amplifié pour montrer que nos réussites industrielles sont souvent liées à un écosystème favorable et consciemment entretenu entre acteurs différents au sein d’une même filière.
Ø Accentuer le dialogue des différents acteurs d’une filière
Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion qu’il convient d’accentuer encore le dialogue entre les acteurs d’une même filière.
Évoquant (251) devant la mission la filière automobile, M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC), a jugé que « toutes les mesures de cette nature sont bienvenues. Il est indispensable que, dans chaque filière, tous les acteurs – clients, fournisseurs – soient représentés et puissent se parler. Dans le secteur automobile, les discussions ne doivent pas se résumer à des échanges entre les constructeurs et les fournisseurs de rang 1 ; elles doivent impliquer le réseau des fournisseurs dans son ensemble. Il convient que tous réfléchissent ensemble à la stratégie de la filière. Beaucoup d’efforts restent à faire dans ce domaine. L’absence de véritables filières constitue un handicap important pour la France par rapport à ses concurrents ».
Le rapport Gallois a souligné, pour sa part, la nécessité pour les grands groupes de s’impliquer encore davantage, au travers de « Chartes », dans la structuration et la compétitivité des filières industrielles.
C’est la raison pour laquelle le Pacte national pour la croissance propose la mise en place de « contrats de filière », dans le cadre du CNI, afin que les différents acteurs d’une même filière nouent des engagements réciproques en matière d’innovation, d’investissement et d’emploi.
La mission approuve pleinement cette démarche.
b) Renforcer le financement de nos entreprises, notamment en faveur des PME
Ø La création de la Banque publique d’investissement (BPI)
Face à la crise financière et les difficultés d’accès au crédit que votre Rapporteur a précédemment décrit, le Gouvernement a réagi en suppléant aux mécanismes de marché (investissements du FSI et de la CDC entreprises, prêts de long terme et dispositifs de garantie d’OSEO), mais sans compenser le recul des financements privés.
Une nouvelle étape a été franchie avec la création (252) de la Banque publique d’investissement (BPI) au 1er janvier 2013. Selon l’expression employée par le ministre de l’Économie et des finances, M. Pierre Moscovici (253), la BPI sera « le bras armé » du Pacte national pour la croissance, en devenant « le guichet unique » de financement des entreprises, et prioritairement des PME et des ETI. La BPI doit permettre ainsi d’éviter toute pénurie de crédit (le « credit crunch »).
La création de la BPI est également une réponse à la financiarisation croissante de l’économie qui conduit le secteur bancaire à privilégier les opérations de marché spéculatives au détriment du financement de l’économie réelle, voire à de possibles pillages technologiques par des groupes étrangers (254).
Regroupant, dans une même structure, les activités exercées par Oséo, le FSI et CDC entreprises, la BPI servira de guichet unique pour financer les PME et ETI. Ses interventions prendront la forme de prêts bancaires et de fonds propres, permettant ainsi de contrecarrer les carences de financement du secteur privé. Elle est chargée d’accompagner, sur le long terme, la croissance des entreprises et ce, à chaque étape de leur développement (création, croissance, internationalisation). À ce titre, la BPI leur offrira « un bouquet de services », distribuant, au travers d’un « guichet unique » l’ensemble des outils de soutien et de conseils financiers nécessaires à la croissance des entreprises. De nouveaux services sont prévus, notamment un dispositif de trésorerie.
Disposant de plus de 60 milliards d’euros de ressources (255), la BPI devrait permettre de mobiliser, en jouant un rôle de levier, une « puissance de feu » de plus de 200 milliards d’euros de financement au service des entreprises. La BPI a vocation à donner les moyens aux entreprises pour innover, se développer et exporter. Son action sera relayée au niveau des territoires. La BPI a ainsi vocation à devenir la banque du tissu économique des territoires, en accompagnant au plus près du terrain, les projets porteurs de développement. Au travers d’antennes régionales, la BPI sera puissamment ancrée dans les territoires.
La création de la BPI a été saluée par les personnalités entendues par la mission. M. Vincent Moulin Wright, directeur général du GFI, a appelé de ses vœux (256) que la BPI desserre « un peu l’étau » lié aux difficultés d’accès au financement bancaire. M. Christian de Boissieu, professeur d’économie (Paris I - Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a fait valoir (257) que « Oséo enregistre de bons résultats depuis quelques années et la mise en place de la Banque publique d’investissement (BPI) pourra aussi contribuer à ce financement [….] ».
Si la mesure va clairement dans le bon sens, plusieurs questions restent en suspens : l’effet de levier jouera-t-il suffisamment pour répondre à l’ampleur des besoins de financement ? M. Christian de Boissieu résume ainsi le défi : « La capacité de financement de la BPI sera de 40 milliards d’euros, chiffre que l’on peut espérer doubler avec des cofinancements privés. Compte tenu de la faiblesse des marges de manœuvre, tout est bon à prendre. Espérons que la BPI saura engendrer des synergies, sans casser les dynamiques à l’œuvre avant sa création ».
Il convient également de savoir quelle sera l’articulation entre le niveau national et régional. M. Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall et président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), s’est ainsi interrogé (258): « Quel sera le rôle des régions ? Il est important que les entreprises trouvent des interlocuteurs à ce niveau, mais attention aux clientélismes locaux et aux dérives politiques ! La fâcheuse expérience des sociétés de développement régional (SDR), qui s’est soldée par un gouffre financier, doit nous inciter à contrôler de près les investissements ».
Les défis à relever par la BPI sont immenses. Sa création suscite espoirs et attentes. Sa réussite dépendra de sa capacité à répondre, sur le terrain, en concertation avec les régions, aux besoins concrets et disparates des PME. A cette fin, la mission recommande que les PME soient représentées au sein du conseil d’administration de la BPI, afin de faire valoir leurs besoins et leurs spécificités.
Mais il ne faut pas tout attendre de la BPI. Celle-ci a une capacité d’action limitée, qui sera centrée, qui plus est, sur les entreprises « qui ont le moteur , mais pas le carburant ». Elle n’aura donc pas vocation à compenser les effets d’un euro surévalué, ni à venir en aide aux entreprises structurellement déficitaires.
Au-delà de la création opportune de la BPI, les travaux de la mission ont permis de souligner la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises françaises, en favorisant les placements en actions et en soutenant le capital-risque.
Ø Renforcer les fonds propres des entreprises françaises
À cette fin, il conviendrait en premier lieu de créer une Bourse dédiée aux PME, afin de leur donner accès au marché financier. Avec les accords « Bâle III », il sera de plus en plus difficile pour les banques de les financer.
Actuellement, le secteur bancaire finance le secteur productif à hauteur de 70 % et les marchés financiers pour 30 %. Seules 0,3 % des entreprises sont cotées si bien qu’en 2011, la France ne comptait que 562 PME et ETI cotées sur le marché (259). Le total de la capitalisation des PME et ETI cotées représente moins que la capitalisation de la première grande valeur française. Le rapport Rameix-Giami de 2011 a souligné, à cet égard, l’inadaptation du marché Nyse-Euronext pour les PME.
Cette situation s’explique notamment par les contraintes de coût, de publicité et de normes comptables applicables aux sociétés cotées. Comme l’a souligné M. Pierre Gattaz, (GFI) lors de son audition par la mission (260), une introduction en Bourse génère « des dépenses supplémentaires, en rapports obligatoires, en honoraires d’analystes financiers, en frais de communication divers… […]. En outre, cela contraint à une totale transparence vis-à-vis des concurrents qui, quand il s’agit par exemple d’entreprises familiales allemandes, ne livrent rien de leurs affaires et de leur stratégie. Enfin, une fois entré en bourse, on peut difficilement s’en retirer : il suffit qu’un actionnaire « flottant » détenant plus de 5 % du capital fasse preuve de mauvaise volonté pour que vous en restiez prisonnier ».
Annoncée par le Gouvernement, dans le cadre du Pacte national pour la croissance, pour le 1er semestre 2013, cette bourse permettrait de lever les fonds en actions et en obligations indispensables à la croissance des PME.
Il serait ainsi nécessaire de s’appuyer sur des technologies de pointe de façon à réduire les coûts de cotation, d’alléger les exigences requises lors des introductions en Bourse et pour les publications de comptes et de faciliter les sorties pour les entreprises cotées.
Afin de « susciter la participation d’autres financements privés », selon l’expression utilisée par M. Antoine Colboc, coprésident de la commission Création & Financement de CroissancePlus et senior advisor chez Omnes Capital, lors de son audition (261) par la mission, il convient de prendre des mesures permettant d’orienter l’épargne des particuliers vers des investissements de long terme, en faveur du secteur industriel.
L’économie réelle a en effet besoin, à l’image des entreprises allemandes, d’un financement stable, reposant sur une vision de long terme. Il faut donc encourager l’épargne des Français vers l’industrie, ce qui permettra d’éviter la pression de fonds d’investissement parfois plus soucieux de rentabilité à court terme que de stratégie industrielle de long terme.
Un nouveau « PEA-PME » est annoncé par le Gouvernement dans le cadre du Pacte national pour la croissance pour le 1er semestre 2013. Afin de garantir son attractivité, pourquoi ne pas doubler son plafond avec, comme contrepartie, une exonération fiscale liée à la durée de détention des titres (par opposition à l’exonération actuelle, induite par la date d’ouverture du PEA) ? Cette mesure encouragerait la détention d’actions sur le long terme et contribuerait à atténuer la volatilité des placements des investisseurs à la recherche d’une rentabilité de court terme.
Dans le même but, pourquoi ne pas chercher également à orienter l’un des placements privilégiés des Français – l’assurance-vie – vers le financement des entreprises via une modification de la durée d’exonération fiscale ? Cette mesure est prônée par le rapport Gallois.
L’assurance-vie est actuellement un support trop liquide pour contribuer efficacement au financement des PME. Le droit de rachat permanent du souscripteur constitue une contrainte de gestion lourde pour l’assureur, qui le conduit à investir dans des titres sûrs et liquides, comme de la dette publique.
Afin de renverser cette tendance, pourquoi ne pas encadrer les droits de rachats des contrats souscrits dans le cadre d’une assurance-vie, quelle que soit la nature du contrat, et porter de 8 à 12 ans la durée de détention ouvrant droit à exonération fiscale pour les contrats en euros, afin de rendre ceux-ci moins attractifs et d’encourager l’assureur à se porter vers des investissements plus productifs et de long terme ?
À l’instar de ce que propose le rapport Gallois, pour contribuer au développement des contrats souscrits en unités de compte, la durée de détention dans ce cas de figure pourrait être maintenue à 8 ans, afin de leur conférer un avantage fiscal vis-à-vis des contrats en euros, moyennant une information accrue des souscripteurs compte tenu des risques inhérents aux contrats en unités de compte, dont les rendements sont nécessairement plus soumis aux aléas boursiers.
Cette mesure permettrait de renforcer les fonds propres des entreprises tout en compensant le retrait des compagnies d’assurance du marché des actions induites par les nouvelles règles prudentielles européennes dites « Solvency II (262)».
c) Stimuler l’emploi en favorisant le développement des PME et des ETI
Avec plus de 2 millions de créations entre 2009 et 2012, la France est, de loin, le premier pays créateur d’entreprises au sein de l’Union européenne. La France est ainsi « contrairement aux idées reçues une terre d’émergence de PME innovantes » selon l’expression du rapport Gallois.
Ce constat encourageant doit être, toutefois, tempéré à l’aune d’une triple défaillance : le taux de pérennité des entreprises nouvellement créées est faible - la moitié d’entre elles disparaissant au bout de 5 ans -, la création d’entreprises s’accompagne rarement d’embauche de salariés et les entreprises nouvellement créées ont du mal à croître, qui plus est sans se faire racheter.
i● Un déficit en entreprises de croissance
Dans un rapport (263) de 2006, le Conseil d’analyse économique soulignait le déficit français en PME employant entre 20 et 500 salariés, et notamment celles – les « gazelles » – qui en raison de leur capacité d’innovation ont une croissance deux à trois fois plus rapide que la moyenne des PME.
En 2005, le nombre de « gazelles » était évalué à 4 000. En 2012, elles seraient de l’ordre de 2 000 en y incluant les entreprises à forte croissance de plus de 10 salariés, contre 11 000 au Royaume-Uni.
Ces fameuses « gazelles » sont au cœur des processus de créations d’emplois, de recherche et de croissance. Elles se distinguent en effet des autres PME pérennes par un taux annuel de création d’emplois très élevé (18 % contre 7 %). La croissance des gazelles est généralement très concentrée dans le temps. Au cours de leur année de plus forte croissance par exemple, les gazelles doublent de taille, et ce, même en période de faible conjoncture. Leur croissance est due à la fois à une forte croissance interne fondée sur des innovations, et à une forte croissance externe assise sur des rachats d’entreprises.
Les gazelles sont également une source décisive de gains de productivité, notamment en raison des effets indirects d’incitation à l’innovation qu’elles exercent sur leurs concurrents. En ce sens, les gazelles jouent un rôle de catalyseur en matière d’innovations.
Selon les auteurs de l’étude, le développement des gazelles se heurte en France à « un univers social et règlementaires » moins favorable que dans les autres États membres de l’Union européenne. Les PME innovantes françaises seraient handicapées par des cotisations et des contraintes trop fortes.
Les jeunes entreprises innovantes sont également confrontées à des difficultés de financement aux différents stades de leur développement.
Ce problème de financement se pose en phase de départ (le coût moyen de financement de départ d’une entreprise de croissance se situe autour de 300 000 euros) et lors du franchissement de la « vallée de la mort », expression désignant le passage entre le projet de recherche et sa concrétisation commerciale. Il se rencontre ensuite pour assurer la pérennité des entreprises concernées, ce qui explique que les entreprises innovantes grandissent en France moins vite qu’ailleurs : sur leurs sept premières années d’existence, l’effectif des entreprises françaises croit de 7%, contre 226% aux États-Unis, 32% en Italie, 22% en Allemagne (264).
C’est la raison pour laquelle, lors de son audition (265) par la mission, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, a souhaité que les pouvoirs publics se « [concentrent sur le financement] des start-up, des entreprises innovantes et des créateurs ».
La création de la BPI précédemment évoquée, vise précisément à répondre à ces difficultés, en devenant « la » banque des PME, chargée d’accompagner sur le long terme leur croissance.
Le rapport Hayat « Pour un New Deal entrepreneurial – Créer des entreprises de croissance » d’octobre 2012 préconise, pour sa part, une série de mesures destinées à « créer des entreprises de croissance » en France. Selon son auteur, il est en effet possible de doubler leur nombre d’ici à 5 ans – objectif repris dans le cadre du Pacte national pour la croissance –, afin de créer ainsi 200 000 emplois supplémentaires par an.
Soucieux d’orienter l’action publique vers l’entrepreneuriat de croissance, le rapport Hayat préconise notamment de populariser l’entrepreneuriat auprès du grand public et des jeunes, d’inciter fiscalement l’entrepreneur à la prise de risque et à mettre en place un « small business act » français en faveur des PME.
A l’instar du « small business act » américain de 1953 en faveur des PME, cette initiative législative rassemblerait l’ensemble des mesures prises en faveur des PME. Le rapport Hayat préconise notamment de concentrer les politiques d’achats des grands groupes – privés comme publics – sur les PME, afin que 50 % de ces achats leur soient affectés. S’agissant de la commande publique, cette mesure nécessite, toutefois, une révision de la directive sur les marchés publics, sur laquelle votre Rapporteur reviendra.
La mission est également favorable à l’idée d’un « small business act » français, qui regrouperait l’ensemble des mesures visant à stimuler l’activité des PME et tout particulièrement des PME de croissance. Votre rapporteur encourage donc les actions initiées en ce sens par le gouvernement dans le cadre du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi et réaffirmée à l'occasion du Conseil interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) tenu en décembre 2012 qui visent à simplifier les démarches pour les entreprises, et notamment le projet « Dites-le nous en une seule fois ». Au vu des attentes fortes entendues dans le cadre de la mission, votre rapporteur souhaite que, avant la fin 2013, des résultats concrets puissent être ressentis par les entrepreneurs dans leur réalité de terrain.
ii● un nombre insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire (ETI)
La France souffre ainsi d’un déficit ETI (266), alors que celles-ci, en raison de leur capacité d’innovation et de leur ouverture internationale, jouent un rôle essentiel dans l’activité économique. Les ETI sont en effet suffisamment grandes pour exporter et suffisamment petites pour innover !
Lors de son audition (267) par la mission, M. Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), a évalué le nombre d’ETI en France à « 4 500, contre 12 500 en Allemagne, mais, sur ce nombre, il y en a moins de mille qui soient des ETI industrielles patrimoniales, contre 5 000 à 6 000 Outre-Rhin ».
Le nombre d’ETI en France serait trois fois moins élevé qu’en Allemagne et deux fois moins élevé qu’en Angleterre. Le rapport Gallois estime ainsi qu’il faudrait au minimum doubler le nombre d’ETI en France pour être aux standards européens.
Le COE-Rexecode a mené, en 2011, une étude (268) approfondie sur l’origine des divergences de compétitivité entre la France et l’Allemagne. Sur la base d’une analyse comparative reposant sur l’année 2007, cette étude souligne les différences de composition du tissu industriel entre les deux pays.
Celles-ci sont particulièrement sensibles pour les grosses PME (50 à 249 salariés) et pour les ETI de petite taille (250 à 999 salariés), dont le nombre est plus de deux fois supérieur en Allemagne. Par ailleurs, la taille moyenne des entreprises industrielles allemandes est systématiquement supérieure à celle de leurs homologues françaises, quelle que soit la taille de l’entreprise.
Le résultat de cette étude aboutit à la conclusion que l’industrie française compterait 400 000 salariés de plus si l’on appliquait la taille moyenne des entreprises françaises – pourtant systématiquement inférieure à celle des entreprises allemandes – à la structure de l’industrie allemande.
Cette comparaison met en lumière la densité du tissu industriel allemand, qui repose sur des entreprises moyennes, souvent familiales, particulièrement solides sur le plan financier, dynamiques et pérennes. Il s’agit là de l’une des forces du Mittelstand allemand. Les entreprises du Mittelstand constituent la principale force de frappe de l’industrie allemande.
M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique, a ainsi résumé la situation dans laquelle se trouve l’industrie française lors de son audition (269) par la mission : « Notre pays est porté par de grands champions nationaux alors que l’Allemagne et d’autres pays ont réussi à tisser un réseau d’entreprises de taille intermédiaire et exportatrices ».
Néanmoins, sur ce sujet comme sur tant d’autres, il ne faudrait pas idéaliser ou chercher simplement à reproduire un « modèle » allemand qui reste à définir précisément, comme cela a été mis récemment en lumière par Mme Jacqueline Hénard (270) ou encore par M. Guillaume Duval (271) dans leurs ouvrages respectifs. L’Allemagne peine d’ailleurs elle-même à dupliquer ses réussites indéniables dans les territoires de l’ex-RDA. De plus, si le Mittelstand peut être aujourd’hui envié, il ne faut pas oublier qu’il était considéré comme un handicap il y a 20 ans. Ensuite, son succès actuel est fortement lié à l’organisation séculaire décentralisée, au rôle économique décisif des Länder ainsi qu’à un réseau de formation par alternance de haut niveau. Enfin, le vrai succès des ETI allemandes vient aussi d’une forte spécialisation, là aussi ancienne, dans la production de biens d’équipement indispensables au fonctionnement de l’économie des pays anciennement industrialisés comme au décollage des pays émergents (BRICS).
Cette dernière constatation ne doit pas nous exonérer de progresser tant les causes du déficit français en ETI sont anciennes et connues. Elles ont été rappelées par le rapport Gallois : « les raisons pour lesquelles les PME françaises grandissent trop rarement pour devenir des véritables ETI sont multiples : d’abord le manque de fonds propres, mais aussi les obstacles juridiques et fiscaux (fiscalité de la transmission d’entreprises et des plus-values, seuils fiscaux et sociaux multiples), le manque de soutien des donneurs d’ordre parfois tentés d’ailleurs de les racheter, la crainte des entrepreneurs de prendre les risques associés au grossissement de leurs entreprises (embauches de personnel, perte de contrôle si une ouverture du capital est nécessaire, capacité à gérer…), l’attirance de certains jeunes entrepreneurs pour les gains associés à la vente de leur entreprise…. ».
Lors de son audition (272) par la mission, M. E.M Mouhoud, professeur d’économie à l’Université de Paris-Dauphine/CNRS, a également souligné le rôle joué en France par les rachats d’entreprises : « si nos PME n’atteignent pas une taille critique, c’est essentiellement en raison du phénomène de rachats d’entreprises ! ».
Les solutions au déficit d’ETI en France ont été identifiées. Elles ont fait l’objet d’analyses poussées dans le cadre du rapport de Mme Françoise Vilain présenté au nom du Conseil économique et social en 2008 (273) et de celui de M. Bruno Retailleau, remis au Premier ministre en 2010 (274).
L’enjeu est désormais de mettre en œuvre les mesures qui sont à la fois les plus efficaces et compatibles avec les contraintes pesant sur nos finances publiques.
Les travaux de la mission conduisent à privilégier les axes suivants :
Ø Campagne de communication visant à valoriser les capacités créatrices et d’innovation des entreprises
Il est frappant de constater le décalage entre la France et les pays limitrophes sur le rôle de l’entreprise. En Allemagne, l’entreprise est perçue comme créatrice de richesses, si bien qu’il existe un consensus national pour assurer sa pérennité.
Lors de son audition (275) par la mission, M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, a ainsi souligné que « le consensus national autour de la compétitivité des entreprises est une caractéristique culturelle allemande. Pour les Allemands, l’entreprise est un outil fragile que tous les acteurs doivent contribuer à protéger et à aider, en évitant notamment de freiner son développement. Au contraire, le consensus français porte sur le maintien du pouvoir d’achat. [….]. L’Allemagne et la France sont donc à front renversé puisqu’aux yeux des Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé et de la pérennité de l’entreprise, ainsi que de sa compétitivité, notamment à l’exportation ».
S'il est là aussi illusoire de vouloir copier un modèle allemand qui s'appuie sur des fondements très anciens – les Français ne deviendront jamais des Allemands parlant notre langue ! -, il est nécessaire de rééquilibrer la priorité trop souvent donnée dans notre pays au consommateur plutôt qu’à l’entrepreneur en démontrant que leurs intérêts réels et raisonnés peuvent se rencontrer. Tout en se gardant d’un excès inverse tout autant nuisible à notre compétitivité, il est nécessaire de réaffirmer que c'est bien au niveau des ETI et des PMI, créatrices de richesses, que se joue la bataille de l’emploi et de l’innovation.
La France ne pourra sortir de la crise actuelle qu’à la condition de revaloriser le rôle des PME et des ETI. Un consensus national doit s'établir sur cette question, afin que les mesures en leur faveur s’inscrivent dans la durée.
Ø Évaluer l’impact des mesures législatives à l’aune de leurs effets en termes de création de richesses
Le consensus national allemand sur l’entreprise créatrice de richesses explique que la réglementation, au sens large du terme, soit systématiquement évaluée et adoptée à l’aune de son impact positif sur la croissance des entreprises.
Lors de son audition (276) par la mission, M. Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), a relevé que « le modèle allemand […] est intéressant parce que tout est mesuré dans ce pays à l’aune du développement de l’emploi ».
M. Pierre Gattaz a appelé de ses vœux un environnement réglementaire, stable dans la durée, et favorable à la création et à la transmission des entreprises : « Si la France pouvait enfin mesurer l’importance d’un environnement favorable au développement économique, ce serait merveilleux. Nous souhaiterions ainsi une réglementation sociale, fiscale, environnementale simplifiée et surtout stabilisée. Il est facile de modifier la législation fiscale tous les six mois, mais les investissements dans l’industrie se font à échéance de vingt ou trente ans. Constituer une entreprise patrimoniale prend des décennies ; […..]. Nous avons impérieusement besoin d’un environnement réglementaire propice à la transformation de nos PME en entreprises de taille intermédiaire, dont nous manquons, mais aussi à la création d’entreprises en France plutôt qu’ailleurs ».
Dans un souci d’efficacité, ne pourrait-on pas compléter les études d’impact jointes à tout projet législatif en évaluant systématiquement ses retombées en termes de création de richesses et d’emploi ? Cela irait dans le sens de la mesure envisagée par le Gouvernement, le « Test PME », qui doit permettre de vérifier les conséquences de nouveaux dispositifs réglementaires ou législatifs sur ce type d’entreprises.
Ø Améliorer la législation en faveur de la transmission des entreprises
Depuis la loi Dutreil, les pouvoirs publics ont multiplié les dispositifs pour améliorer les transmissions d’entreprises. La stabilité recherchée par les entrepreneurs a conduit le Gouvernement à ne pas modifier le dispositif existant.
Toutefois, la transmission familiale des entreprises continue de poser problème en France, notamment lors du passage de la deuxième à la troisième génération. La multiplicité des dispositifs déroute souvent les chefs d’entreprise. La valorisation des sociétés, en recul, est également un frein. La proposition du rapport Gallois de modifier l’évaluation d’une société cotée en cas de transmission est, à cet égard, opportune.
Devant ces obstacles, il est souvent plus simple de vendre l’entreprise familiale.
Confrontée à un problème identique – de 2011 à 2016, plus de 22 500 entreprises sont concernées -, l’Allemagne a pris les devants dès 2009 avec une loi sur les successions extrêmement poussée, qui met en place des allègements fiscaux pour les transmissions familiales dès lors que l’héritier conserve, sous certaines conditions, l’entreprise pendant une certaine durée.
Lors de son audition (277), M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France, a rappelé que l’Allemagne « en ce qui concerne la transmission des PME, [a] introduit avec quelque succès une réduction de l’assiette d’imposition à hauteur de 85 %, voire 100 %, si l’héritier conserve l’entreprise pendant sept ou dix ans ». Ces allègements fiscaux jouent un rôle essentiel dans la transmission familiale des ETI allemandes.
Par ce biais, la transmission d’une entreprise familiale allemande au capital de 2.7 millions d’euros peut être transmise sans droit de succession. Cette législation, certes inégalitaire, a donné pour priorité le maintien de l’emploi et donc la sauvegarde de l’entreprise.
À cette législation, s’ajoute la notion de « fondation », qui permet d’éviter les divisions des familles après plusieurs générations en y regroupant le capital d’une entreprise.
M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, a précisé, lors de son audition (278) par la mission, le rôle joué par les fondations : « En ce qui concerne les fondations, il s’agit d’une formule allemande originale qui permet de loger les actifs de l’entreprise afin d’organiser sa succession, y compris lorsque les enfants ne souhaitent pas en reprendre la gestion. [….]. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle vertueux dont la France pourrait s’inspirer, notamment pour venir en aide aux nombreuses PME dont les fondateurs parvenus à l’âge de la retraite restent sans successeur ».
La législation allemande se traduit par des résultats marquants en matière de transmission d’entreprises. M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, a en effet souligné, lors de son audition par la mission (279), qu’« en Allemagne, 50 % des transmissions d’entreprise s’effectuent au sein de la famille, contre seulement 10 % en France [….] ».
Ne pourrait-on pas s’inspirer en France de cet exemple ? Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion que le renforcement du tissu industriel français passe par un renforcement de la législation en faveur de la transmission des entreprises.
iii● Rénover la relation entre donneurs d’ordre et sous-traitants
Malgré des progrès récents – Pacte PME (280) en 2010, Charte des relations inter-entreprises en 2009, nomination d’un médiateur des relations inter-entreprises et de la sous-traitance en 2010, Label Relations fournisseurs responsables en 2012 –, la relation entre donneurs d’ordre et sous-traitants reste, en France, déséquilibrée, au risque de pénaliser les fournisseurs et la compétitivité de notre tissu industriel.
Sous la pression de la crise et de la mondialisation, qui toutes deux accentuent la compétition, les donneurs d’ordre ont cherché à réduire leurs coûts, quitte à faire peser sur leurs fournisseurs cette contrainte. En France, cette situation a exacerbé les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Certains sous-traitants ont ainsi pu avoir le sentiment de servir de variables d’ajustement face aux fluctuations d’activité des donneurs d’ordre. Mais cette stratégie du « cost-killing » détruit progressivement les PME sous-traitantes, dont les marges sont progressivement rognées et tue à petit feu notre tissu industriel.
Les travaux de la mission ont permis de mettre en exergue le fait que les donneurs d’ordre tendent à négliger l’établissement d’une relation stratégique de long terme avec leurs sous-traitants. De ce fait, les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants sont trop souvent tendues, gouvernées par l’intérêt particulier des parties en position de force et selon une logique de court terme.
M. Dominique Seux, rédacteur en chef des Échos, a ainsi rappelé, lors de son audition (281) par la mission « que les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants sont […] difficiles dans notre pays, contrairement à ce qui se passe en Suisse, en Allemagne ou en Belgique : les prix finissent par constituer la variable d’ajustement quasi unique. On peut le reprocher aux donneurs d’ordre, mais il faut tout de même s’interroger sur cette spécificité française ».
Pourtant, l’établissement de relations étroites entre clients et fournisseurs, entre grands groupes et PME, est une des clés du succès de l’industrie allemande. Il est désormais clair qu’un tissu industriel compétitif nécessite un écosystème structuré et dynamique, ce qui passe nécessairement par des relations contractuelles équilibrées et partenariales.
La France gagnerait à reprendre certaines manières de faire développées outre-Rhin, en structurant en filières les entreprises d’un même secteur dans une logique partenariale « gagnant-gagnant » de long terme. Les donneurs d’ordre et sous-traitants doivent devenir des « co-traitants », qui organisent dans la concertation leurs relations.
L’objectif est de construire des relations interentreprises qui ne soient plus le simple résultat des attentes des donneurs d’ordre, mais correspondent à un compromis entre l’ensemble des acteurs d’une filière donnée. Cette évolution, autant juridique qu’économique et culturelle, est une des conditions pour construire un tissu industriel compétitif.
À cette fin, il convient d’encourager le développement de « bonnes pratiques » au sein des filières industrielles.
Le rapport Gallois préconise ainsi que les grands groupes s’engagent, au travers de « chartes », à mener des actions de long terme de nature à renforcer les liens avec leurs fournisseurs, à inscrire dans le long terme leur stratégie d’achat et ainsi à structurer leur filière pour en renforcer la compétitivité. Les comités de filière, issus de la Conférence nationale de l’industrie, pourraient être chargés d’impulser cette politique.
Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi du Gouvernement va également dans le même sens, en préconisant la mise en place de contrats de filières entre les entreprises, afin de créer des « solidarités partenariales » entre les grands groupes et les PME.
La mission se félicite de cette évolution, nécessaire au redressement de notre tissu productif.
Il conviendrait également de simplifier le droit applicable aux relations interentreprises industrielles, afin de le rendre plus lisible et plus compréhensible. Celui-ci est le résultat d’une longue sédimentation, dont les textes les plus anciens remontent à 1804 !
S’inspirant de la législation italienne, le médiateur des relations interentreprises industrielles propose ainsi, dans son rapport (282) de 2010, une loi-cadre qui fixerait les grands principes de ces relations, afin de lutter contre les mauvaises pratiques encore trop souvent observées. Selon le médiateur, « une telle loi apporterait une contribution décisive à la mise en place des filières stratégiques. Elle pourrait même conduire à la mise en place de conseils des relations interentreprises dans chaque branche ».
iv● Favoriser l’accès des PME à la commande publique
Comme l’a souligné M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, lors de son audition (283) par la mission, « 18 % du PIB européen provient de la commande publique ».
En France, selon les données du rapport Hayat précité, les achats publics représentent 81 milliards (284) d’euros, dont 35% sont attribués aux PME. La part revenant aux PME s’élève à 20% pour les commandes de l’État et à 40% pour celles des collectivités locales.
La passation des marchés publics est régie, en France, par le code des marchés publics. Celui-ci transpose en droit interne la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.
Dans le but d’assurer « l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics », le code des marchés publics repose sur trois principes, édictés à l’article 1er :
– liberté d’accès à la commande publique ;
– égalité de traitement des candidats ;
– transparence des procédures.
Ces trois critères sont la transposition simplifiée de ceux édictés au considérant 2 (285) de la directive précitée.
Les travaux de la mission permettent de souligner que la pratique, en France, du code des marchés publics répond davantage à un souci de concurrence qu’à la volonté de stimuler la croissance intérieure.
La première critique concerne l’absence de protection des marchés publics de l’Union européenne vis-à-vis de concurrents de pays tiers. Concrètement, l’Europe ne prévoit aucune disposition pour protéger ses marchés publics du dumping social et environnemental.
La directive 2004/18/CE précitée est en cours de renégociation. Il a été envisagé des dispositions permettant d’exclure les offres présentées en réponse à des appels d’offre communautaires qui ne respecteraient pas les normes intérieures sociales et environnementales ou équivalentes. Las, en raison de l’opposition des pays anglo-saxons et du nord de l’Europe, cette proposition ne devrait pas être mise en place, malgré le soutien de la France et celui du Parlement européen.
Autrement dit, au nom du principe de la libre concurrence, l’Europe ne sait pas actuellement protéger ses marchés publics d’une concurrence déloyale et ne s’en donne pas les moyens.
La deuxième critique repose sur l’absence de prise en compte de l’impact économique sur le plan local des offres à un marché public.
Alors que la commande publique opère dans un monde concurrentiel, les règles imposées dans l’Union européenne sont plus strictes, interdisant toute disposition concernant « le contenu local » des offres.
À l’inverse, aux États-Unis, la loi fédérale de « Buy American Act » impose que « toutes les marchandises destinées à l’usage public doivent être produites aux États-Unis et toutes les marchandises manufacturées doivent être fabriquées aux États-Unis, à partir de produits américains ».
Au cours de son audition par la mission (286), M. Gilles Benhamou, président-directeur général du groupe Asteel Flash, numéro 2 en Europe du manufacturing électronique, a ainsi fait part de son expérience des marchés publics à l’international, son groupe étant présent dans huit pays – France, Chine, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, République Tchèque, Tunisie et Mexique.
Il a souligné que les pays asiatiques recouraient à des clauses de « local contain » dans le cadre de leurs marchés publics, obligeant ainsi les industriels français à s’y implanter, alors qu’en Europe, au contraire, la commande publique ne favorise pas la fourniture locale : « L’une de nos préoccupations essentielles est relative aux distorsions en matière d’approche des marchés, qui existent entre notamment les Américains, les Chinois et les Français. Si nos industriels français développent tous leurs marchés dans des pays étrangers qui imposent eux-mêmes des règles significatives de « local contain », comment voulez-vous, à terme, avoir une industrie en France ? Quels que soient nos efforts en matière de prix ou de réduction de salaire, rien n’y fera si une telle distorsion subsiste. On ne créera pas d’emplois si l’on n’a pas de marchés en France. Même nos radars civils sont implémentés en Malaisie ! »
M. Gilles Benhamou a souligné que beaucoup de pays n’hésitent pas à favoriser les entreprises situées sur le sol en introduisant des contraintes de production locale : « lorsque les autorités chinoises accordent une licence pour fabriquer des véhicules en Chine, elles spécifient que 60 % de l’équipement doit être fabriqué sur leur territoire (287). Tous les constructeurs étrangers concourent selon les mêmes règles et doivent se conformer à cette spécification du marché public ».
Fort de son expérience sur les marchés publics européens, M. Philippe Robert, président-directeur général de La Générale du granit, entreprise familiale et leader français dans le domaine des roches ornementales dures, a déploré que l’appréciation des offres ne prenne pas en compte l’impact, en termes de croissance et d’emploi, sur le tissu économique local : « Dans notre secteur, les emplois sont durables et ne sont pas susceptibles d’être délocalisés. Or, nos clients sont avant tout des collectivités territoriales. La richesse que nous redistribuons […] représente 53 % de celle que nous créons. On comprend mal, dans ces conditions, que des collectivités achètent moins cher à un concurrent étranger au risque de faire perdre cette richesse à l’économie locale, voire d’être confrontées à des suppressions d’emplois. […] On demande aux entreprises d’être citoyennes, mais c’est aux collectivités de montrer l’exemple ! »
La question se pose donc de savoir s’il serait possible, dans le respect du principe du libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats, d’introduire des clauses de « production locale », afin de favoriser l’emploi.
La réponse à cette question est fondamentale si l’on veut mener une politique volontariste en termes de marchés publics, afin de favoriser l’emploi au sein des territoires.
Pour M. Gilles Benhamou, la réponse est assurément positive : « Recourir à des spécifications ne constitue en rien une mesure anticoncurrentielle : c’est définir la manière dont on souhaite qu’un produit soit fabriqué. Ainsi, une collectivité publique qui préciserait, dans un cahier des charges, que 70 % d’un produit doit contribuer à créer de la richesse sur son territoire ne contreviendrait pas pour autant à la réglementation européenne. Toutes les entreprises en concurrence, qu’elles soient françaises ou étrangères, seraient soumises aux mêmes règles et devraient répondre à cette exigence définie par le commanditaire ».
La question est toutefois complexe.
Le code des marchés publics impose de juger les offres - et seulement les offres - à l’exclusion de leur impact sur le tissu économique local. Un marché public est en effet attribué à « l’offre économiquement la plus avantageuse », ce critère étant apprécié soit sur la base de son seul prix, soit sur la base de son « rapport qualité-prix » évalué en tenant compte de « critères (288) non discriminatoires et liés à l’objet du marché » (article 53 du code des marchés publics).
Au nom du principe de « non-discrimination » - ostensible ou dissimulée - en raison de la nationalité et de celui d’égalité de traitement entre candidats, la « préférence locale » est strictement interdite dans l’attribution des marchés publics de l’Union européenne (289). Elle serait passible de poursuites pénales pour délit de favoritisme.
Le droit des marchés publics ne permet donc pas de retenir des critères de sélection des offres liés à l’origine ou à l’implantation géographique des candidats.
Une éventuelle refonte du code des marchés publics n’y changerait rien : il s’agit là de veiller au respect d’un principe – celui de la non-discrimination en raison de la nationalité – à l’origine même de la construction européenne.
Toutefois, il devrait être possible de juger les offres en tenant compte de leurs performances en matière de protection de l’environnement, sous réserve d’une modification en ce sens de l’article 53 du code des marchés publics.
Au titre de l’évaluation d’une offre, le pouvoir adjudicateur a la faculté de tenir compte de « ses performances en matière de protection de l’environnement » et par conséquent de l’empreinte carbone d’une offre.
Cette solution permettrait de conférer un avantage comparatif aux offres émanant de prestataires établis dans l’Union européenne et soumis à ce titre au respect de normes environnementales strictes.
Selon les informations réunies par votre Rapporteur, les négociations en cours sur la révision de la directive 2004/18 viseraient à tenir compte « du cycle de vie du produit » et par ce biais de son empreinte carbone. Cette nouvelle approche doit être vigoureusement soutenue par la France.
Cette solution est toutefois complexe à mettre en œuvre pour les collectivités locales.
Le critère du bilan carbone doit être lié à l’objet du marché et ne doit pas conduire à introduire des discriminations entre candidats. Il implique un exercice de précision de la part des collectivités locales : compte tenu de la multiplicité des méthodes de comptabilisation du bilan des émissions à effet de serre, l’utilisation d’un critère lié « au bilan carbone » d’une offre suppose que le pouvoir adjudicateur indique les éléments essentiels du bilan carbone à fournir, ou bien qu’il mentionne une méthode d’élaboration de ce bilan à suivre impérativement. L’objectif est que les critères de sélection soient déterminés avec précision, afin de respecter le principe d’égalité de traitement des candidats.
Sans doute conviendra-t-il de modifier l’article 53 du code des marchés publics pour indiquer explicitement que l’empreinte carbone relève des critères permettant d’évaluer les offres.
Il serait donc souhaitable que le Ministère de l’économie et des finances publie un guide des bonnes pratiques, afin d’indiquer comment tenir compte de critères environnementaux dans l’appréciation des offres, dans le but de faire jouer pleinement le principe de concurrence dans des conditions équitables.
D’ailleurs, la loi "Le Texier" n°99-478 adoptée en mai 1999 par l’Assemblée nationale et le Sénat - sur proposition du Parlement des enfants - demande notamment aux collectivités publiques et aux établissements scolaires de veiller à ne pas acheter de produits fabriqués par des enfants. Cette introduction réussie de critères sociaux dans les achats publics pourrait sans doute être élargie et amplifiée.
La troisième critique souligne la complexité du code des marchés publics pour les PME. Or, les commandes publiques représentent des sommes considérables, évaluées (290) à 60 milliards d’euros pour l’État et à 20 milliards pour les collectivités locales.
Sur le plan juridique, plusieurs dispositifs ont été introduits pour faciliter l’accès de PME aux marchés publics.
Le code des marchés publics prévoit ainsi la faculté de passer des marchés allotis et a introduit l’obligation de rendre compte des marchés passés auprès des PME. La constitution de groupements conjoints a été facilitée.
Une plateforme a été ouverte en 2008 pour consulter les annonces de marchés publics et y répondre.
Un médiateur des marchés publics a été nommé en décembre 2012 et un guide des bonnes pratiques destiné à faciliter l’accès des TPE et PME aux marchés publics a été publié à la même période par le ministère de l’économie et des finances.
La loi LME a instauré un dispositif expérimental, pour cinq ans, afin d’inciter l’acheteur public à traiter de manière préférentielle les PME innovantes ou à leur réserver une part de leurs marchés publics de R&D.
Le rapport Gallois propose d’approfondir ce mécanisme, en orientant une partie des achats de l’État vers les innovations ou les prototypes élaborés par les PME. Dans le cadre du Pacte national pour la croissance, le Gouvernement s’est engagé à donner suite à cette proposition : un dispositif de suivi de l’objectif de 2 % des achats publics de l’État effectués auprès des entreprises de croissance innovantes d’ici 2020 sera finalisé à cette fin au 1er trimestre 2013 ; un guide sur l’achat public innovant et une charte destinée à promouvoir l’achat public innovant seront élaborés.
Ces mesures vont dans le bon sens. Mais ne témoignent-elles pas également des difficultés des PME à accéder à la commande publique ?
Les travaux menés par la mission plaident en faveur de ce diagnostic.
Au cours de son audition par la mission (291), M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a souligné « la complexité de la réglementation et de l’environnement administratif ».
Il est vrai que les pièces exigées lors de la candidature, ainsi que celles exigées du candidat retenu, fixées aux articles 44 à 46 du code des marchés publics, sont parfois lourdes pour des petites structures.
Afin d’alléger les formalités administratives des PME, une proposition consisterait à déployer une plateforme unique, sur laquelle les candidats viendraient déposer, selon une durée restant à déterminer, les documents liés à leur candidature, à charge pour les pouvoirs adjudicateurs de venir retirer les documents ad-hoc.
M. Jean-François Roubaud a ainsi indiqué à la mission que la CGPME « travaille sur la mise en place du « coffre-fort électronique » et du principe « only once », une fois pour toutes, qui permettrait à l’entreprise de ne pas soumettre la même information aux administrations plusieurs fois. Pour l’heure, à chaque fois qu’une entreprise répond à un appel d’offres public, elle doit fournir des pièces identiques, le volume du dossier et la perte de temps qu’implique sa constitution pouvant se révéler rédhibitoires pour le chef d’une TPE ».
Le Ministère de l’économie et des finances ne pourrait-il pas élaborer une telle plateforme ?
Dans l’attente de cette mesure, le rapport de M. Jean-Luc Warsmann de 2011 relatif à la simplification du droit au service de la croissance et de l’emploi recommandait que la périodicité de fourniture des pièces susmentionnées passe de 6 mois à 1 an. Cette mesure irait dans le sens d’une simplification des procédures de passation et d’exécution des marchés publics.
d) Stimuler la recherche et l’innovation
i● Les pôles de compétitivité
Mis en œuvre en 2004, à la suite du rapport de M. Christian Blanc « Pour un écosystème de la croissance », les pôles de compétitivité visent à rassembler des entreprises, des centres de recherche et des organismes d’enseignement supérieur autour d’une stratégie commune de développement, en soutenant des projets collaboratifs d’innovations, développés en partenariat public-privé.
Les pôles de compétitivité constituent l’un des outils les plus efficaces pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et lutter contre la désindustrialisation en favorisant l’émergence d’activités à fort contenu technologique.
Ils jouent un rôle décisif pour rapprocher la recherche publique de l’industrie et pour renforcer les liens entre recherche publique et recherche privée. L’objectif est ainsi de lutter contre le découplage entre des zones d’investissement en Recherche & Développement et les zones de production, auquel la mondialisation conduit, cela en favorisant l’émergence d’écosystèmes d’innovation et de croissance, favorables aux PME innovantes.
À ce titre, les pôles de compétitivité constituent un exemple réussi de « coopétition », des entreprises unissant leurs forces dans une démarche coopérative – en l’espèce en matière de recherche et d’innovation – pour faire face à la compétition. Comme l’a souligné (292) le groupe de travail « Entreprendre à gauche », « la compétitivité seule ne suffit plus car nous vivons dans une économie complexe dans laquelle la circulation de l'information et les interactions jouent un rôle essentiel. Dans ce contexte, et face à l'hyperlibéralisme et la loi du plus fort, se développe un nouveau modèle, celui de la "coopétition", c'est à dire la coopération nécessaire pour faire face à la compétition ».
Les pôles de compétitivité sont ainsi devenus des acteurs majeurs de l’innovation en France, débouchant sur de premières retombées économiques prometteuses.
M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), a ainsi estimé, lors de son audition (293) par la mission, que « les pôles de compétitivité ont joué un rôle très positif en confortant les collectivités territoriales dans des politiques d’innovation et de R&D, et en rapprochant la recherche et le pôle développement des entreprises ».
À ce jour, la France compte 71 pôles de compétitivité, dont 7 pôles mondiaux et 11 à vocation mondiale.
Une évaluation des pôles de compétitivité a été menée par le groupe Bearing Point en juin 2012.
Celle-ci fait apparaître que les pôles de compétitivité se sont durablement inscrits dans le paysage français de l’innovation. Ainsi, entre 2008 et 2011, 3 748 projets ont été financés au sein des pôles, donnant lieu à 977 dépôts de brevets et à la création de 93 start-up.
Les pôles de compétitivité ont été un instrument efficace pour créer des synergies entre l’industrie, la recherche et l’enseignement supérieur.
Néanmoins, ils ne sont toutefois pas exempts de critiques.
Les travaux de la mission font ainsi apparaître que le nombre de pôles de compétitivité est sans doute excessif et inadapté face à la concurrence internationale.
M. Philippe Choderlos de Laclos, (CETIM), a constaté, lors de son audition (294) par la mission, que « de nombreux pôles de compétitivité ont vu le jour alors qu’aucun n’a été supprimé. Avons-nous vraiment les moyens d’une telle pratique ? »
M. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence (OFCE), a ainsi fait valoir lors de son audition (295) par la mission que « les pôles de compétitivité […] [sont] beaucoup trop. Dans ma seule région, en plus des pôles nationaux, vingt-cinq pôles locaux ont été créés, ce qui pose le problème du mode de gouvernance […] ».
Cette analyse est partagée par l’Institut de l’Entreprise, qui fait valoir, dans une étude de décembre 2012, que l’Allemagne ne compte que 15 clusters d’excellence et la Finlande 6. A l’inverse, en France, sur les 71 pôles de compétitivité, 62 se partagent 50% des financements disponibles, ce qui reflète un saupoudrage certain des financements nationaux. Ce saupoudrage serait à l’origine des performances décevantes des pôles de compétitivité en termes d’innovation (296), un quart seulement des projets suivis par les pôles débouchant sur une innovation effective. L’Institut de l’Entreprise conclut à la nécessité de réduire le nombre de pôles à une quinzaine, en les concentrant sur les secteurs à forts potentiels.
Cette analyse semble confortée par celle du cabinet Bearing Point, qui fait valoir que le paysage français de l’innovation est devenu peu lisible et que la distinction entre, d’une part, les pôles de compétitivité mondiaux ou à vocation mondiale et, d’autre part, les autres pôles est devenue obsolète et doit être révisée. Toutefois, tout en étant plus prudent, le cabinet Bearing Point estime que sur les 71 pôles de compétitivité, 20 sont « très performants » et 16 « moins performants ».
Tout se passe comme si ces pôles étaient tiraillés entre leurs ambitions en termes de compétitivité et celles en termes d’aménagement du territoire. Le Gouvernement ayant appelé, dans le cadre du Pacte national pour la croissance, à donner la priorité à la montée en gamme des entreprises, cet objectif appelle sans doute une clarification du rôle des pôles de compétitivité.
Dans ce contexte, il convient d’encourager le regroupement de pôles et de simplifier leur gouvernance. De plus, si leur bilan démontre que leur champ d’action n’est pas d’intérêt national, il serait bon qu’un autre dispositif leur soit appliqué et qu’alors l’acquis de leur action soit transféré aux conseils régionaux qui en auraient le suivi.
Ces évolutions devront être mises en œuvre avec souplesse. Le rapporteur relève, à cet égard, qu’actuellement toute modification du périmètre d’un pôle relève d’un décret en Conseil d’État et se révèle donc lourde. Il serait donc utile que les procédures de rectification des périmètres des pôles de compétitivité soient allégées, que celles-ci relèvent du droit commun (extension de zone) ou d’une mesure de regroupement de pôles.
L’Institut de l’Entreprise fait également valoir que l’action des pôles de compétitivité n’est pas assez orientée vers la mise sur le marché de l’innovation, alors que la France accuse un retard en innovation « aval ». Selon l’Institut, 23% des entreprises françaises ont recours à l’innovation non technologique (marketing, design, techniques de commercialisation) contre 47% en Allemagne. Il est vrai qu’à l’origine les pôles de compétitivité ont davantage été conçus dans une optique de R&D plus que de mise sur le marché.
Ce diagnostic est partagé par le cabinet Bearing Point, qui indique que « l’action des pôles de compétitivité [est] plus orientée sur le soutien aux projets de R&D que sur la mise sur le marché des innovations ».
Les travaux de la mission aboutissent à une conclusion identique. M. Philippe Choderlos de Laclos, (CETIM), a souligné, lors de son audition, (297) qu’il convient d’« aider l’innovation, et non la recherche. […]. Les aides accordées via le Fonds unique interministériel (FUI) et les pôles de compétitivité sont trop orientées vers les centres de recherche, au détriment des entreprises. Nous faisons de la recherche, pas de l’innovation. Pour faire de l’innovation, il faut des sujets plus en aval ».
Cette question est problématique pour l’avenir. Comme l’a relevé M. Jean-Luc Gaffard, (OFCE) lors de son audition, « les coûts de l’investissement sont très importants et augmentent systématiquement […]. Mais ces coûts ne doivent pas être réduits aux seuls coûts de R & D, ils englobent les coûts de marketing et d’exploration des nouveaux marchés, qui augmentent eux-mêmes sans cesse ».
Les pôles de compétitivité doivent donc impérativement renforcer leur offre en matière de commercialisation, de design et de marketing, afin d’obtenir des retombées économiques accrues. Cette orientation complémentaire doit dorénavant être requise par l’État.
Telle semble être l’orientation du Gouvernement, qui, en janvier 2013, a prôné, au titre de la troisième phase des pôles de compétitivité, que ceux-ci soient davantage tournés vers les débouchés économiques, en accompagnant les entreprises de la recherche jusqu’à la commercialisation de leurs produits. A cette fin, le Gouvernement a annoncé, dans le cadre du Pacte national pour la croissance, que les contrats d’objectifs 2013-2015 des pôles devront être orientés vers des projets ou des prototypes destinés in fine au marché. Ils seront évalués sur la base de leurs retombées économiques et celles-ci conditionneront le soutien de l’État.
Le rôle des PME au sein des pôles est également sujet à controverse. Comme le relève le cabinet Bearing Point, les PME représentent près de 80 % des entreprises membres. L’Institut de l’Entreprise considère que, de ce fait, les grands groupes ne sont pas assez impliqués dans les pôles de compétitivité alors qu’ils jouent un rôle majeur dans le développement économique.
À l’inverse, d’aucuns considèrent que les pôles de compétitivité ont vocation à accompagner le développement économique des PME et s’inquiètent des évolutions en cours.
M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), a constaté, lors de son audition (298) par la mission, que « les seuils des projets éligibles aux pôles de compétitivité ont été remontés. Il faut désormais un projet à un million d’euros. Mais un million d’euros, c’est trop cher pour une PME. Bref, on a écarté les PME de tous les projets aidés dans le cadre du FUI (299) ».
Le cabinet Bearing Point a également fait valoir que les projets de R&D de taille intermédiaire, souvent portés par des PME, rencontrent des difficultés pour obtenir des financements publics.
Compte tenu du manque de PME et d’ETI innovantes en France, la mission considère que les pôles de compétitivité doivent conforter le développement économique de ces entreprises, qui jouent un rôle moteur en termes de croissance et d’emploi, et contribuer à renforcer leurs liens avec les grands groupes nationaux. L’objectif est donc bien que les pôles de compétitivité deviennent « des usines à croissance » des PME et ETI.
ii● Le crédit impôt recherche (CIR) et le crédit impôt innovation (CII)
Ø Le crédit d’impôt recherche
Le crédit impôt recherche (CIR) représente l’instrument le plus important (300) de l’État en termes d’aide à la recherche et à l’innovation pour les entreprises. Il représente à lui seul le quart de l’effort budgétaire en faveur de la recherche.
Simplifié en 2008, le CIR permet aux entreprises de bénéficier d’une déduction fiscale pour leurs opérations de recherche (301). Le CIR concerne aussi bien la recherche appliquée que les développements expérimentaux. Le CIR représente une dépense fiscale de 5 milliards d’euros en 2011. Plus de 18 000 entreprises recourent à ce dispositif.
Les travaux de la mission ont permis de mettre en exergue que le CIR a fait preuve d’une efficacité remarquable pour stimuler l’effort de R&D des entreprises françaises, qui le plébiscitent, et renforcer l’attractivité de la France dans ce secteur. Le CIR s’est révélé très incitatif pour la recherche privée : pour un euro investi, la dépense induite en termes de R&D par l’entreprise serait de l’ordre de 2,6 euros (302).
Il constitue, par conséquent, un élément décisif dans les décisions d’implantation et de maintien des centres de recherche en France. Il permettrait (303) ainsi de réduire d’un tiers le coût d’un chercheur en France.
Comme l’ont souligné les travaux de la Conférence nationale de l’industrie, le CIR a également permis d’amortir l’impact de la crise sur l’effort de R&D des entreprises.
Le CIR n’est toutefois pas exempt de critiques.
Ainsi, en volume, il a davantage bénéficié aux groupes – notamment ceux intégrés fiscalement - qu’aux PME isolées, pourtant plus fragiles en termes de situation financière et d’innovation. La mise en place du CII, réservé aux PME, devrait permettre de résorber cette situation.
Il aurait également peu d’effet sur la recherche partenariale et pourrait perturber la carrière des jeunes chercheurs. Enfin, il est indéniable que le CIR crée des effets d’aubaine et des comportements d’optimisation fiscale.
Ces critiques ont été particulièrement développées par M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris, lors de son audition (304) par la mission, qui souligne le risque d’interactions contre-productives entre la recherche publique et la recherche privée : « En effet, certains laboratoires de recherche publics obtiennent aujourd’hui assez facilement des commandes de la part de laboratoires privés qui externalisent leur recherche pour profiter du fait que le crédit d’impôt recherche est doublé lorsque la recherche est confiée à une entité publique. Paradoxalement, cette politique peut avoir pour effet une diminution de l’effort de recherche global : des fonctionnaires, qui reçoivent moins de crédits de la part des organismes publics dont ils dépendent, effectuent des recherches sous-traitées par le secteur privé, lequel réduit son propre effort de recherche. Cette dynamique est particulièrement visible dans le secteur des sciences de la vie, où certaines grandes entreprises licencient leurs chercheurs et signent des contrats de plus en plus nombreux avec des laboratoires publics. Au total, le capital humain et la capacité de recherche diminuent ».
Les travaux de la mission aboutissent toutefois à la conclusion que la pérennité du CIR est essentielle. Même si ses effets ne se feront sentir qu’à moyen terme, le CIR est l’un des moyens les plus efficaces pour améliorer la compétitivité de l’économie française.
On assiste en effet actuellement, dans le monde, à un découplage géographique des zones de production et d’investissement en R&D. Il convient donc d’éviter à tout prix une délocalisation des centres de R&D. Le CIR étant l’instrument le plus efficace pour pérenniser et stimuler l’effort de recherche en France, il doit être « sanctuarisé » au cours des cinq prochaines années, au titre de la stabilité de l’environnement réglementaire des entreprises.
Il en est de même pour le nouveau crédit d’impôt à l’innovation (CII), dont le succès éventuel ne doit pas conduire à remettre en cause le CIR ou les aides aux entreprises innovantes.
Cette « sanctuarisation » ne doit toutefois pas faire obstacle à une évaluation quant aux effets réels du CIR sur l’économie. Celle-ci pourrait avoir lieu en 2015, pour déboucher, si nécessaire, sur un réaménagement du CIR en 2017.
Elle pourrait être l’occasion de réfléchir alors à un CIR spécifiquement renforcé pour les PME, évoqué par M. Christian de Boissieu : « [Le CIR] profite plus aux grandes entreprises qu’aux PME. C’est logique, puisque le crédit d’impôt est proportionnel aux dépenses de R&D effectuées. Je ne suis pas hostile à l’idée de rendre le CIR plus sélectif, à condition d’avoir bien en tête les inconvénients potentiels des politiques trop sélectives. […] La sélectivité permet de cibler les mesures, mais elle suscite des contournements. […]. En théorie, je suis plutôt favorable à un CIR à plusieurs vitesses, peut-être renforcé pour les PME. Nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France. Augmenter leur nombre et renforcer le CIR au bénéfice des PME ne pourrait qu’avoir des résultats positifs à terme. […] ».
Par ailleurs, le contrôle du CIR doit être amélioré. Comme le note la Cour des comptes dans son rapport de 2011, le contrôle de l’assiette du CIR est délicat en raison des difficultés de définition des opérations éligibles. En réalité, ces difficultés se traduisent par le fait qu’un contrôle (305) sur deux donne lieu à rectification, comme l’a souligné M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM) lors de son audition (306) par la mission.
Dans le souci là encore de stabiliser l’environnement réglementaire des entreprises, il conviendrait, au vu des rectifications effectuées, de clarifier les instructions ministérielles définissant l’assiette éligible au CIR.
Enfin, les délais de traitement du CIR doivent être réduits. Lorsque le CIR n’est pas imputé sur l’impôt dû, il débouche sur une créance vis-à-vis de l’État. Or, il n’existe aucun délai légal de traitement en matière de remboursement de créance. Par ailleurs, en cas de demande de remboursement immédiat de ladite créance, cette demande peut se traduire par des contrôles approfondis, qui concernent aussi bien les aspects fiscaux que scientifiques et techniques du dossier. Autant dire que les demandes de remboursement immédiat d’une créance du CIR ne se traduisent pas systématiquement par le versement de la créance en question !
Comme le préconise le Pacte national pour la croissance, il est donc urgent de mettre en place un préfinancement du CIR, en ciblant en priorité les entreprises subissant des difficultés de trésorerie.
Ø Le crédit d’impôt à l’innovation
Dans le prolongement du CIR, la loi de finances pour 2013 a mis en place un crédit d’impôt à l’innovation en faveur des PME. Cette décision s’inscrit dans une démarche plus générale visant à favoriser la compétitivité des PME innovantes et à stimuler leur potentiel d’innovation.
Cette mesure comble une lacune majeure de notre dispositif d’aide à l’innovation, le secteur privé seul ayant tendance à ne pas soutenir la recherche jusqu’au stade du prototype industriel en raison de son coût. Or, c’est le passage du laboratoire à l’usine qui de nos jours emporte un avantage décisif en matière de compétitivité.
Le CII se traduira par un soutien fiscal aux dépenses de prototypes ou d’installations pilotes de nouveaux produits (307), à l’exclusion des dépenses de marketing.
Le CII est bien plus modeste sur le plan des soutiens financiers qu’il apporte aux entreprises éligibles, qui ne pourront déclarer plus de 400 000 euros de dépenses d’innovations et bénéficier d’une exonération qu’à hauteur de 20 % de leurs dépenses. Autrement dit, le CII est plafonné à 80 000 euros par entreprise et par an.
Mais cette novation constitue un progrès. Il soutient les parties « aval » de la recherche. Pour la première fois, la loi définit ce qu’est un produit ou un bien incorporel éligible : le bénéfice du CCI ira à des innovations qui ne doivent évidemment pas être à disposition immédiatement sur le marché. Elle se distingue donc de l’ «existant » par ses apports en termes techniques, de conception, d’ergonomie, voire de fonctionnalité. Le prototype ou l’installation pilote préfigurant un nouveau produit ou système est ainsi concerné.
Conçu pour soutenir les PME et PMI, le CII marque une nouvelle étape décisive pour renforcer les compétences utiles à l’innovation et lever les freins actuels pour que l’entrepreneuriat aboutisse à des innovations.
Il conviendra d’en évaluer le dispositif au terme de sa première et deuxième année de mise en œuvre, d’en préciser sans doute encore de façon plus fine son articulation avec le CIR qui, déjà, prenait partiellement en compte la notion de prototype.
En l’état, le CII traduit une volonté de soutenir l’accompagnement vers le marché des efforts de recherche appliquée des entreprises. En cela, il est extrêmement important de tout faire pour en assurer le développement et d’abord d’informer les entreprises des modalités de son utilisation.
e) Encourager les exportations en facilitant l’internationalisation des entreprises
Avec une croissance en berne sur le plan national et européen, la France doit trouver sa place dans la mondialisation, afin de tirer profit du dynamisme du commerce international. Au cours des prochaines années, avec une consommation et des investissements intérieurs en panne et une conjoncture européenne déprimée, le moteur de la croissance française risque de reposer exclusivement sur le dynamisme des exportations hors zone euro.
Le Pacte national pour la croissance a rappelé les piètres performances de la France en matière de commerce extérieur : « la part de marché des exportations françaises dans le commerce international a reculé de 36 % depuis 2000, de 5,1 % à 3,3 %, contre un recul de moins de 10 % pour l’Allemagne ou l’Espagne. Le déficit des échanges de marchandises hors énergie […] n’a cessé de croître depuis 2007 pour atteindre plus de 25 milliards d’euros en 2011 […] ».
En 2012, le déficit commercial français s’élève à 67 milliards, contre 74 milliards en 2011. Le déficit hors énergies est toutefois en baisse sensible, passant de 29 milliards d’euros en 2011 à 15 milliards d’euros en 2012.
Au-delà du défaut de compétitivité de son économie, il est vrai que la France souffre de difficultés structurelles en matière d’exportations.
La France possède en effet un nombre trop faible d’entreprises exportatrices.
Sur un total de 3,9 millions d’entreprises, la France compte 117 170 entreprises exportatrices en 2011, contre 131 000 en 2000. Ce chiffre est certes en augmentation (119 000 entreprises exportatrices en 2012), mais reste sensiblement inférieur aux performances de nos voisins européens. A titre de comparaison, l’Allemagne comptait 400 000 entreprises exportatrices en 2011 et l’Italie 200 000.
Le tissu exportateur de la France est faible et fragile.
Ce sont les grands groupes qui font la force du commerce extérieur français : 1 % des exportateurs représentent à eux seuls 70 % de nos exportations, selon Henri Baissas (308), directeur des opérations d’Ubifrance.
En revanche, les PME exportatrices ne sont pas assez nombreuses – leur nombre est passé de 120 000 en 2002 à 95 000 en 2012 – tout comme le nombre d’ETI exportatrices (309), dont manque cruellement le tissu industriel français. En comparaison, l’Allemagne dispose de quatre fois plus de PME exportatrices !
La France souffre également d’un taux de disparition des entreprises exportatrices considérable : sur 10 entreprises qui exportent en année N, il n’en reste que 3 en année (N + 3). Le taux de disparition des entreprises exportatrices se concentre sur les PME indépendantes primo-exportatrices.
Ce bilan débouche sur un constat : pour augmenter ses exportations, la France doit encourager le développement à l’international de ses PME et faire croître le nombre de ses ETI, qui ont la masse critique nécessaire pour se tourner vers l’international.
Enfin, la présence française est trop timide auprès des pays émergents, pourtant en forte croissance. Ils ne représentent que 20 % de nos exportations.
L‘industrie française, a beaucoup souffert de la crise financière de 2008 parce que très dépendante, notamment pour l’automobile, des marchés méditerranéens touchés par une violente contraction de leur consommation. L’insuffisante diversification vers des débouchés internationaux (Turquie, BRICS,…) s’est fait brutalement ressentir, alors que des concurrents étrangers moins touchés par la crise investissent fortement sur les marchés les plus dynamiques (ASEAN, Inde, Pakistan,…) dont l’importance démographique recèle des possibilités de croissance considérables. La France y est souvent peu présente sauf par exception (Eurocopter notamment).
Par ailleurs, comme votre rapporteur l’a précédemment souligné, la France ne valorise pas suffisamment ses atouts en Afrique alors que ce continent représente connaît un taux de croissance élevé et représente un intérêt stratégique de poids dans le commerce international, comme l’ont parfaitement identifié la Chine et la Turquie.
Le commerce extérieur français est en crise depuis 2003. Mais il était excédentaire auparavant. Le déficit commercial français n’est donc pas une fatalité. Malgré l’euro « fort », il est possible redresser notre balance commerciale, comme en témoigne l’exemple allemand.
A cette fin, le Gouvernement a fixé un objectif ambitieux – le retour à l’équilibre commercial, hors énergie, d’ici 2017 – et définit une stratégie présentée par Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, lors de son audition (310) par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.
L’objectif est que la France trouve enfin sa place dans la mondialisation et tire profit du dynamisme des zones en forte expansion économique. Des emplois sont à la clé : 1 milliard d’euros de plus à l’exportation crée 10 000 emplois en France.
Mme Nicole Bricq a notamment évoqué les axes suivants :
i● Structurer l’offre française pour répondre à la demande mondiale
Avec 50 % des exportations françaises réalisées dans la zone euro et 60 % au sein de l’Union européenne, l’Europe demeure le 1er débouché de la France. Toutefois, l’atonie de la croissance en Europe impose de trouver des relais de croissance auprès des marchés lointains, en forte expansion. A titre d’exemple, la Chine devrait connaître en 2013 une croissance de 8 % et l’Afrique de 5 %.
La demande mondiale est portée par 47 pays en forte croissance, qui concentrent à eux seuls 80 % des importations mondiales.
Afin d’être en mesure de répondre à cette demande, l’offre française en matière d’exportation est désormais structurée autour de quatre grandes familles intégrées (« mieux se nourrir », « mieux vivre en ville », « mieux se soigner » et « mieux communiquer »), susceptibles de répondre au dynamisme de la demande internationale.
La cartographie famille / pays prioritaires permettra de rendre plus efficace l’offre commerciale française et de répondre à des besoins porteurs et identifiés. Ainsi, à titre d’illustration, la Chine absorbera, d’ici 2022, le tiers de la croissance du commerce agroalimentaire mondial, soit 30 milliards sur 100 milliards d’euros. Il convient que la filière agroalimentaire française soit positionnée pour y répondre.
ii● La rationalisation et la personnalisation des soutiens à l’exportation
Pour aller à l’exportation, les entreprises doivent être solides en fonds propres et en trésorerie. Il faut donc que la puissance publique puisse les soutenir et les accompagner à l’international dans la durée.
Ce sera le rôle de la BPI, qui sera dotée d’un volet international et servira de guichet unique pour accéder à l’ensemble des soutiens financiers à l’exportation. Cette mesure permettra de démocratiser, au bénéfice des PME et ETI, l’accès à ces mesures de soutien. La BPI sera dotée de 150 millions d’euros pour soutenir l’internationalisation des PME et des ETI.
Devant la multiplicité et la complexité des dispositifs de soutien financier à l’exportation, ceux-ci seront simplifiés et rationalisés – ce lourd chantier ayant débuté dès 2008.
Les financements d’aide à l’exportation feront également l’objet d’une amélioration sensible, afin de se caler sur les meilleures pratiques observées auprès de nos concurrents, comme le recommandait le rapport Gallois (311). Ces mesures, pour partie votées dans le cadre du collectif budgétaire de fin 2012, permettront d’offrir des conditions de financement compétitives, de nature à remporter des marchés à l’exportation.
Le Pacte national pour la croissance prévoit enfin la mise en place, dès 2013, d’un mécanisme de « prêteur direct », comme il en existe déjà en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, en Suède et en Finlande, afin d’enrayer le repli des banques françaises des activités de financement export.
Mais surtout, l’agence Ubifrance d’accompagnement des entreprises à l’étranger devra mettre en place, dès 2013, un suivi personnalisé des entreprises à l’exportation, en accompagnant, dans la durée et de manière personnalisée, 250 ETI et PME de croissance en 2013, 600 en 2014 et 1 000 en 2015. Il s’agit désormais de s’adapter aux besoins des entreprises, en leur proposant un appui sur et non pas l’inverse !
iii● La mise en place d’un écosystème régional favorable aux entreprises exportatrices
Forte de leur connaissance du tissu productif et de leurs compétences en matière de développement économique et d’innovation – appelées à se renforcer avec l’acte III de la décentralisation –, les régions doivent devenir les « pilotes à l’exportation ».
Conformément à l’accord de partenariat conclu avec l’État le 18 septembre dernier, les régions seront dotées, dès 2013, de plans régionaux d’internationalisation des entreprises, intégrés aux schémas régionaux de développement économique et d’innovation.
Les régions auront pour rôle de détecter et de sélectionner les PME de croissance et les ETI ayant le potentiel de développement le plus solide à l’exportation – toutes ne sont pas aptes à exporter. Elles organiseront sur le territoire le dispositif d’appui à l’exportation en liaisons avec l’ensemble des acteurs concernés.
La BPI prendra alors le relais pour les financer et les accompagner à l’exportation. Au travers du guichet unique de la BPI, Ubifrance disposera alors d’un réseau régional pour proposer des services de conseil et d’accompagnement à l’exportation (312).
Au titre de cet accord, les régions se sont engagées à faire progresser le nombre de PME et ETI exportatrices supplémentaires de 10 000, en ciblant les entreprises innovantes. Cet engagement est assorti de deux autres : l’implantation à l’international doit être durable et associée à une augmentation du chiffre d’affaires réalisé à l’exportation.
L’objectif est ici de rapprocher le décideur au plus près de l’entreprise, pour favoriser l’émergence d’un écosystème favorable à l’exportation.
iv● Des actions en faveur du portage des PME et ETI par les grands groupes demeurent indispensables
Les travaux de la mission ont permis de souligner à quel point l’accompagnement des PME à l’exportation est un facteur essentiel à leur succès. Or, en France, les PME se sentent insuffisamment soutenues – même si la situation commence à évoluer.
La France accuse, à cet égard, un retard important en termes de portage de ses PME comparativement à l’Italie et à l’Allemagne. Une grosse entreprise allemande qui exporte et s’installe à l’étranger est aujourd’hui systématiquement entourée de son tissu de PME allemandes.
M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, a rappelé, au cours de son audition (313) par la mission, que « […..] l’Allemand […..] chasse en meute. Ainsi, quand Volkswagen part en Chine, il emmène tous ses sous-traitants avec lui. C’est aussi un gage de sécurité : bien que très entreprenants et disposés à s’implanter à l’étranger, les Allemands préfèrent, par crainte de l’inconnu, éviter de faire appel à un sous-traitant local. Les grands groupes français n’ont pas joué ce rôle d’ « aspirateur à l’exportation » vis-à-vis des PME. Des changements s’opèrent, mais ils sont progressifs et lents ».
M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA, a également souligné au cours de son audition (314) par la mission, le retard français : « Quant à la capacité à exporter, il suffit pour la mesurer d’observer, dans les salons internationaux, le nombre d’entreprises allemandes, mais aussi italiennes, qui se regroupent. Je l’ai constaté au sein de mon groupe, les Italiens, même lorsqu’ils investissent en Chine ou en Inde, appliquent intuitivement une sorte de préférence nationale en travaillant avec des entreprises italiennes, même si ce phénomène est moins marqué qu’en Allemagne. Les entreprises françaises ne me paraissent guère pratiquer ce type de portage […] ».
De nombreux exemples témoignent de la réussite des expériences de portage. Il s’agit d’une relation « gagnant-gagnant » : l’entreprise gagne en crédibilité et en savoir-faire à l’exportation tandis que le grand groupe consolide ses projets grâce à la qualité de ses sous-traitants.
Lors de son audition (315) par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, a cité de nombreux exemples en la matière :
« J’ai accompagné il y a quelques semaines le Premier ministre à Singapour où nous avons visité le chantier d’un des plus grands complexes sportifs au monde. C’est parce que Bouygues, qui en est le maître d’œuvre, a emmené avec lui Delta Dore, une ETI, que cette entreprise a pu remporter le marché dans sa spécialité (le chaud et le froid) et pourra ensuite se développer sur d’autres marchés internationaux ».
« [….] J’ai rencontré récemment en Bretagne une ETI qui s’apprête à construire la plus grosse unité de production de yaourts du monde aux États-Unis, après y avoir été introduite par Danone ».
« En Chine, la semaine dernière, sur le site de l’EPR de Taishan, j’ai réuni les grands du nucléaire (Areva, Alstom, EDF) avec les représentants d’un groupement de quatre-vingt-cinq PME, dotées d’un savoir-faire exceptionnel en robinetterie ou mécanique et mobilisées sur ce chantier immense. Portées sur ce chantier par Areva et EDF, elles peuvent désormais développer leur activité dans d’autres secteurs que le nucléaire ».
Les progrès existent donc, mais ils sont encore insuffisants. Une PME qui décide d’exporter n’a pas droit à l’erreur. C’est pourquoi le soutien et l’expérience d’un grand groupe sont indispensables.
M. Jean-Noël de Galzain, président-directeur général de Wallix, éditeur de logiciels de sécurité informatique, a ainsi rappelé lors de son audition (316) par l’Assemblée nationale que « pour mieux exporter, nous avons besoin d’avoir des bases solides, donc des marchés, ce qui suppose la confiance de nos grandes entreprises privées et publiques, qui détiennent ces marchés. Pour que nos chefs d’entreprise puissent entamer sereinement une démarche d’export, il faut qu’ils aient systématiquement accès à des marchés auprès des grandes entreprises. Les principaux donneurs d’ordres doivent jouer le jeu. J’ai pu vérifier que leurs dirigeants en avaient la volonté, mais il y a, semble-t-il, un blocage au niveau des achats. Je profite donc de l’occasion qui m’est offerte pour rappeler [….] qu’il faut que les grandes entreprises nous aident et qu’elles nous emmènent dans leurs déplacements à l’étranger, afin de nous permettre de développer nos offres. Nous en avons un besoin impératif ».
Au vu de ses travaux, la mission considère que l’internationalisation des PME et ETI, sur laquelle la France accuse un retard certain, nécessite, au-delà des mesures préconisées par le Pacte national pour la croissance, d’encourager le développement du portage par les grands groupes.
f) Un management des entreprises insuffisamment ouvert et diversifié
Les politiques de soutien au développement des PME et des ETI et à leur internationalisation ne pourront réussir que si la France parvient à faire évoluer son modèle de management des entreprises, encore trop souvent conservateur et peu tourné vers l’international. L’élite économique est caractérisée par une certaine endogamie de dirigeants issus de quelques grands établissements prestigieux. Contrairement à l’Allemagne, où les dirigeants industriels peuvent sortir des écoles d’ingénieurs ou de la promotion interne (Jürgen Schrempp devenu patron de Daimler après avoir été apprenti), en France, les PDG sont presque exclusivement issus de quelques grandes écoles (X, Ponts, ENA...) et se cooptent parfois même entre eux. Rares sont les profils atypiques qui permettent d’ouvrir vraiment le débat dans les conseils d’administration. La France compte peu d’entrepreneurs iconoclastes comme l’a été Antoine Riboud, fondateur et ancien Président de Danone. Le succès d’entreprises fondées par des personnalités atypiques comme Xavier Niel (Iliad et Free), Jacques-Antoine Granjon (Venteprivée.com) n’est pas comparable à la réussite de Steve Jobs (Apple) ou de Larry Page / Sergei Brin (Google).
Les salariés ont jusqu’à très récemment eux aussi été tenus en marge de la gouvernance d’entreprise, alors qu’ils sont particulièrement intéressés par une vision de long terme. Tel est aussi le regret des collectivités locales (317). Le mode de recrutement des élites françaises, qui donne peu de place aux ingénieurs en comparaison de l’Allemagne voire des États-Unis, peut aussi être un des facteurs des relations déséquilibrées entre donneurs d’ordre et sous-traitants.
Contrairement aux États-Unis qui favorisent, surtout depuis la crise, le recrutement de femmes au sein des conseils d’administration, le déséquilibre entre les hommes et les femmes à ce niveau de responsabilité reste criant en France. La loi n°2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises impose un minimum de nominations de 20 % de femmes d’ici 2014 et 40 % en 2017.
La France a peu intégré les « minorités visibles » aux réseaux de responsabilités et d’influences français. Le polytechnicien Tidjane Thiam n’est pas devenu PDG en France, mais chez l’assureur britannique Prudential ! Aux niveaux intermédiaires et dans le managérat, la diversité en entreprise repose encore sur des démarches volontaires et non sûr une perception généralisée de son bénéfice pour l’entreprise. Nombre de jeunes diplômés s’expatrient faute de voir les compétences reconnues pour cause de discriminations ou de préjugés (318) ou acceptent des emplois peu qualifiés.
Le caractère conservateur du management français se fait également lourdement sentir en termes d’internationalisation. Une des clés du succès de L’Oréal est sans doute d’avoir su intégrer depuis longtemps une grande variété de profils dans ses directions pour mieux comprendre les enjeux commerciaux des peaux ou cheveux autres qu’européens. Ce groupe recrute, il est vrai, dans tous les pays où il est implanté, mais sait aussi valoriser les compétences multiculturelles dans son recrutement et ses ressources humaines en France.
A contrario, on peut s’interroger sur le point de savoir si les choix managériaux du groupe PSA n’ont pas joué un rôle dans ses réticences, et désormais ses retards, à s’internationaliser. Fort de son expérience indo-britannique, Philippe Varin a su donner une vraie priorité au marché chinois (319), qu’il visite régulièrement, quand le développement international conduit par Jean-Martin Folz est resté inabouti ; l’absence de personnes capables de sentir les enjeux et les exigences d’une internationalisation réussie a pu contribuer à cet état de fait qui n’est pas unique en France. En se privant d’allonger significativement ses séries à l’étranger, le groupe PSA garde des coûts de conception dans le prix de vente final supérieur à certains de ses concurrents. Cet exemple contraste avec Carlos Ghosn, Président du groupe Renault, détenteur d’une triple nationalité parlant sept langues, au cursus professionnel transcontinental, qui a engagé l’internationalisation du groupe dès 1999 au travers de l’alliance avec Nissan.
Les entreprises françaises ont un management trop endogamique et conservateur, avec encore trop de services des ressources humaines trop homogènes ce qui nuit à sa créativité et à l’appréhension de certains enjeux. De même, les pouvoirs publics tireraient profit à mieux favoriser la diversification des profils variés et des parcours internationaux en leur sein et dans les entreprises publiques.
On le voit la politique industrielle de la France est largement à repenser : rôle de l’État à repenser, aides aux entreprises mieux ciblées, favoriser le développement des PME et des ETI, notamment dans les relations de sous-traitance et d’accès à la commande publique, favoriser la recherche et l’innovation, faciliter les dynamiques à l’exportation, diversifier le management des entreprises. Si ce chantier est important, nous n’avons surtout pas le choix pour rebâtir une système économique appuyé sur une industrie compétitive en France comme à l’étranger.
4. Une politique industrielle à construire au niveau communautaire
Avec le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951, l’Europe s’est construite historiquement au travers d’une politique industrielle commune. L’échec de la mise en place de la Communauté de l’énergie atomique prévue par le traité Euratom de 1957 a toutefois sonné le glas de l’interventionnisme industriel européen. Les États membres se sont alors repliés sur des projets communs à caractère intergouvernemental, tels qu’Ariane ou Airbus, selon des formats et des modèles coopératifs distincts.
Les années 1980 et 1990 ont ensuite été marquées, au travers de l’Acte unique de 1986, puis du Traité de Maastricht de 1992 (320), par la primauté donnée à la réalisation du marché unique et de la monnaie unique. Sur ces bases, l’ouverture et l’intégration des économies, menées conjointement avec la libéralisation des marchés, devaient seules dynamiser la croissance en Europe.
Il est, à cet égard, révélateur que le Traité de Maastricht ne parle de politique industrielle que par allusions ponctuelles. Son article 130 énonce une simple orientation générale, en souhaitant que les États membres veillent « à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie … soient assurées » (c’est bien le moins !). Les actions de la Commission et des États membres sont définies de manière excessivement générales, leurs actions devant viser à « accélérer l’adaptation de l’industrie aux changements structurels » ou à « encourager un environnement favorable à l’initiative et au développement des entreprises ».
En tout état de cause, les Traités restent au stade de la concertation entre États membres et reposent sur des objectifs généraux, qui, à eux seuls, ne constituent pas une politique industrielle.
L’Europe du consommateur l’a emporté en fait sur l’Europe de la production. La primauté a donc été donnée à la politique communautaire de la concurrence, au détriment d’une politique industrielle active, jugée obsolète. Le leitmotiv de la Commission et de ses grandes directions est : « offrir avant tout au consommateur le meilleur service possible au meilleur prix ! ».
L’Union européenne s’est ainsi dotée progressivement d’une politique de la concurrence (321) de plus en plus rigoureuse et exigeante, mais sans contrepoids. Elle vise à protéger les intérêts des consommateurs, fût-ce au détriment des intérêts stratégiques de l’Europe. La priorité a alors été donnée à la lutte contre les abus de position dominante et les ententes illicites.
Comme le souligne fort justement le rapport Gallois, la politique communautaire de la concurrence « domine toutes les politiques européennes » alors qu’elle « souffre de deux faiblesses » : « elle intègre mal la dimension de la compétition mondiale à laquelle l’industrie européenne est confrontée » et repose sur des critères essentiellement juridiques, qui « prennent mal en compte la dimension économique » de cette politique.
Avec la stratégie de Lisbonne en 2000, sa révision en 2005 puis la stratégie définie en 2010 relative à l’« Europe 2020 », une prise de conscience s’est néanmoins faite jour sur la nécessité de répondre aux défis de la mondialisation, marquant ainsi un certain retour de la question industrielle à l’échelon européen, mais bien tardif. Il s’agissait alors de combler le déficit européen en matière d’éducation, de recherche et d’innovation, de répondre aux défis environnementaux et de doter l’Europe d’une stratégie de compétitivité face à la mondialisation. Mais dans cette perspective, les « vieilles industries » ont été souvent méconnues sinon abandonnées et donc livrées à leur sort !
Force est de constater l’échec de cette orientation. Aucun projet ni aucun champion industriel n’émerge, à de très rares exceptions. La Commission européenne se contente de fixer des objectifs aux États membres, mais sans introduire de nouveaux financements ou de nouveaux leviers communautaires. Aucune politique industrielle « active » n’existe véritablement,
Ce n’est que le 10 octobre 2012 que la Commission a enfin énoncé ce qui devrait instituer sa nouvelle stratégie industrielle avec pour objectif désormais déclaré d’inverser le processus de désindustrialisation en faisant « repasser » l’industrie manufacturière de 15,6 % à 20 % du PIB européen en 2020. Certes, mais avec quels moyens ? L’innovation bien sûr mais qui ne serait pas d’accord avec cette vision conjuguée à la politique des filières. Mais l’enjeu est de faire émerger de vrais « champions européens ».
Or, face aux ambitions de conquête des pays émergents et aux conséquences de la crise, l’Europe a besoin d’une véritable stratégie industrielle. À défaut, elle court le risque de se voir marginalisée face aux États-Unis et à l’Asie.
Lors de son audition (322) par la mission d’information, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, a souligné l’impact de la révolution énergétique conduite par les États-Unis sur leur économie, fruit d’une stratégie de réindustrialisation : « La baisse du coût de l’énergie aux États-Unis est un phénomène considérable, comparable en ampleur au début de l’exploitation du charbon dans le Royaume-Uni des années 1820. [….] Il faut donc s’attendre à une réindustrialisation massive de l’Amérique du nord grâce à une énergie à faible coût, qui plus est écologiquement vertueuse. Ce sera le produit d’une stratégie mûrie depuis vingt ans et en faveur de laquelle l’économie des États-Unis a déjà fortement investi pour obtenir à terme son indépendance énergétique ».
Conjuguée à leur avance technologique et aux effets d’entraînement de leurs investissements militaires – l’essor d’Internet n’aurait pas été possible sans l’investissement initial du Pentagone dans le projet ARPANET dès les années 60 -, cette stratégie devrait permettre aux États-Unis de réduire leurs coûts de production et de se réindustrialiser massivement, y compris dans des régions qui ont lourdement souffert du déclin d’anciennes industries.
Il en est de même pour les pays émergents d’Asie, dont l’essor économique est le fruit d’une stratégie volontariste de long terme.
C’est notamment le cas de la Chine : s’il y a un pays au monde qui mène une politique industrielle active, c’est bien la Chine ! Celle-ci explique en grande partie la croissance économique que connaît la Chine depuis 2000 : en moyenne 10% par an. Son 11ème plan quinquennal (2006-2010) a ainsi identifié onze industries stratégiques, portant notamment sur les industries de hautes technologies, les industries d’équipements et les technologies de l’information. Un 12ème plan quinquennal (2011-2015) met l’accent sur la croissance innovante : technologies de l’information de nouvelle génération, industries d’équipement haut de gamme (trains à grande vitesse), les matériaux de pointe, la biotechnologie et l’énergie alternative et protectrice de l’environnement.
Le développement industriel de la Chine ne doit rien au hasard : il procède d’une volonté étatique et non d’une logique de marché. La Chine mène une politique d’investissements massifs dans les secteurs identifiés comme stratégiques, contrôle la politique d’ouverture aux investissements étrangers via des « joint-ventures ». Elle leur impose des transferts technologiques, protège le cas échéant ses industries nationales en limitant ou fermant l’accès de son marché. Dans le même temps, elle mène une politique intensive de recherche et d’innovation afin d’accélérer le rattrapage technologique chinois.
Le 12ème plan quinquennal de la Chine - 2011-2015
Le 12ème plan quinquennal chinois met l’accent sur la hausse du pouvoir d’achat, guidée par le rééquilibrage de la croissance chinoise – avec un objectif de croissance annuelle de 7 % en moyenne – ainsi que sur les industries et technologies liées au développement durable.
Concrètement, ce rééquilibrage doit passer par :
– le développement de la consommation et des services. La part des services dans le PIB doit passer de 43 % à 47 % (objectif non contraignant) ;
– un accent sur le bien-être des individus : salaires, éducation, santé avec un objectif (non contraignant) de porter de 73,5 à 74,5 ans l’espérance de vie ;
– des objectifs contraignants en matière de lutte contre le changement climatique : réduction des émissions de CO2 (-17 % par unité de PIB), augmentation de la part des énergies non-fossiles dans le mix énergétique (11,4 % en 2015 contre 8,3 % en 2010) – et aussi des approches plus conceptuelles comme la promotion de l’« économie circulaire ».
Le plan insiste sur l’innovation et la recherche et prévoit une augmentation des dépenses de R&D de 1,75 à 2,2 % PIB (non contraignant – un objectif de 2 % en 2010 n'a pas été atteint lors du 11ème plan).
Sept industries émergentes stratégiques, qui bénéficieront de soutiens spécifiques et dont la valeur ajoutée cumulée (5 % aujourd’hui) devra atteindre 8 % en 2015 et 15 % en 2020 ont été identifiées :
– Technologies liées aux énergies propres
– Technologies de l’information de nouvelle génération
– Biotechnologies
– Fabrication d’équipements haut de gamme (aéronautique, ferroviaire…)
– Énergies alternatives
– Nouveaux matériaux
– Véhicules à énergie propre
Source : Le nouvel impératif industriel, Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, Mission innovation et production en Europe, mai 2012.
Il en est de même pour la Corée du Sud, dont le développement repose tout autant sur une politique industrielle associant étroitement l’État stratège et les grandes entreprises. Cette concertation débouche sur la définition de domaines prioritaires, la mise en place de mesures de protectionnisme « déguisées » pour permettre l’essor de champions nationaux et une politique active de recherche et développement articulée autour de partenariats publics-privés.
Face à la concurrence des États-Unis et des nouveaux pays émergents, l’Europe doit mener elle aussi une ambitieuse politique industrielle. Partout dans le monde, l’interventionnisme public est actif. Pourquoi ne serait-ce pas le cas en Europe ? Il convient de garder à l’esprit qu’une industrie dynamique nécessite une politique industrielle volontariste. Celle-ci viendra ainsi pondérer la priorité donnée en Europe à la monnaie et à la concurrence.
Il ne doit pas s’agir pour chaque État membre de jouer sa partition : seule l’Europe possède désormais la taille critique pour mener une politique efficace. Pour autant, il ne peut s’agir de contourner le principe de subsidiarité en confiant au niveau communautaire des responsabilités que l’Union européenne exercerait moins efficacement que ses membres.
Pour peser dans la mondialisation, l’Europe doit renouer avec une ambition industrielle collective et rompre avec son immobilisme en la matière depuis les années 2000 (323).
À cette fin, il conviendrait en premier lieu d’identifier les enjeux industriels qui revêtent une importance stratégique pour l’Europe, soit pour des raisons d’indépendance (défense, transition énergique, aérospatiale), soit pour des raisons purement économiques liées à leurs effets d’entraînement sur la croissance de demain (NTIC, biotechnologies, nanotechnologies, transport durable), afin de définir de grands projets d’innovation industrielle.
L’Europe concentrerait son effort sur des projets stratégiques porteurs, en se donnant les moyens d’interventions communes au même titre que ses concurrents américains et asiatiques (recherche, infrastructures). Ces grands projets d’avenir incarneraient l’Europe de l’industrie. Ils pourraient être financés par un grand emprunt européen, ainsi que par la Banque européenne d’investissement (BEI) qui doit être un instrument de soutien puissant.
Un exemple est revenu au cours des travaux de la mission : celui de l’énergie photovoltaïque. Est-il cohérent d’assister à la destruction de 14 500 emplois (324) en France dans cette filière alors qu’il serait possible, pour reprendre les propos (325) de Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini, d’ « orienter la dépense vers la recherche et le développement […..] pour mettre au point des cellules photovoltaïques à meilleur rendement et développer une technologie française ou européenne de génération 2 » ? Au lieu de quoi, l’Europe achète en masse des panneaux photovoltaïques de qualité très moyenne à la Chine.
Pour M. Pascal Pavageau (326), secrétaire confédéral chargé du secteur économique de Force Ouvrière, « cet exemple montre aussi que s’il existait dans le domaine des panneaux photovoltaïques une coopération européenne du type de celle qui a donné naissance à EADS, […], une capacité de production européenne réelle pourrait être au service d’une politique publique que partagent les Vingt-Sept sur les plans environnemental et énergétique ».
Le projet d’une Europe de l’industrie peut encore sembler utopique à certains voire hors de portée. Pourtant, à l’heure où les financements publics sont contraints, quel sens y-a-t-il à gaspiller des efforts dans des voies strictement nationales en dupliquant les dépenses de recherche et en multipliant les prises de risque industriel alors que la mutualisation permet d’accroître l’efficacité des projets ? Comme le montrent les exemples des industries aéronautiques et spatiales, c’est en s’alliant que les États membres ont su conquérir des avantages compétitifs décisifs et affronter la concurrence internationale.
En deuxième lieu, la politique communautaire de la concurrence devrait être assouplie au bénéfice des enjeux industriels.
Actuellement, la direction générale de la concurrence et les services juridiques de la Commission européenne partent systématiquement du principe qu’une position dominante entraîne mécaniquement un abus de position dominante. Ils empêchent ainsi l’émergence de groupes de taille mondiale. Ainsi, hormis EADS en 2000 et Air-France-KLM en 2004, aucun grand groupe industriel européen n’a ainsi émergé depuis 2000.
Pourtant, la promotion de champions nationaux est menée activement par les concurrents de l’Union européenne. La Chine s’efforce ainsi de favoriser un ou deux champions nationaux par secteur. On citera à titre d’illustration : Lenovo pour les ordinateurs, Huawei pour les équipements de télécommunications, l’opérateur China Mobile … Il en est de même pour la Corée-du Sud, qui favorise la concentration de grands groupes industriels nationaux.
Il conviendrait donc d’adopter une approche européenne plus pragmatique concernant la constitution de champions communautaires si l’Union européenne entend rivaliser avec ses concurrents internationaux. La question des rapprochements d’entreprises devrait faire l’objet de « task forces » internes à la Commission européenne entre les directions générales de la concurrence et celle de l’entreprenariat et de l’industrie, qu’il serait judicieux de rebaptiser en direction de la politique industrielle, afin de marquer le volontarisme de l’Union européenne en la matière. Le rapprochement d’entreprises au sein de l’Union européenne nécessite également une inflexion des politiques nationales, qui tendent souvent à faire le choix d’un patriotisme économique exclusif, quitte à attiser les rivalités vis-à-vis des autres États membres (327).
Cette inflexion de la politique communautaire de la concurrence devrait également concerner l’encadrement des aides d’État, qui semble beaucoup plus contraignant en Europe que chez tous ses concurrents internationaux. Cet assouplissement pourrait être notamment autorisé en cas de crise exceptionnelle nécessitant des mesures temporaires de soutien (automobile) ou des mesures de modernisation (sidérurgie).
On rappellera, à cet égard, que la France a accordé 7,8 milliards d’aides, essentiellement sous forme de prêts lors de la récente crise automobile, contre 17 milliards de dollars aux États-Unis, auxquels s’ajoutent 25 milliards de dollars d’aides au développement des voitures électriques. Ce que font les États-Unis, pourquoi l’Europe s’autolimiterait-elle à le faire alors que des aides peuvent utilement permettre à des secteurs viables économiquement d’échapper à la faillite ?
Comme le résume fort justement Louis Gallois, « la politique de la concurrence doit être davantage mise au service de l’industrie européenne et de sa compétitivité ».
Afin de stimuler ses industries, l’Europe doit, en troisième lieu, retrouver le réalisme, d’abord en ce qui concerne ses protections aux frontières.
L’Europe ne peut pas imposer à ses entreprises des standards écologiques et sociaux, auxquels échappent les produits importés du reste du monde. Il conviendrait donc de taxer en conséquence les importations ne respectant pas les standards minimaux en la matière, afin de rétablir un équilibre de la concurrence.
Dans le même esprit, une réciprocité doit être exigée concernant l’ouverture des marchés publics des pays tiers, mais aussi le respect de la propriété industrielle et le contrôle des investissements étrangers dans les secteurs considérés comme stratégiques.
Cette exigence doit être portée en premier lieu à la Commission européenne, trop souvent prête à sacrifier les industriels de l’Europe à l’aune du libre-échange.
En témoigne l’accord signé avec la Corée en 2010, visant à supprimer 98% des droits de douane sur les produits industriels et agricoles échangés entre les parties dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de l’accord, prévue au 1er juillet 2011. La nature des échanges entre l’Union européenne et la Corée souligne la volonté de la Commission d’ouvrir ses marchés aux produits coréens dans le domaine industriel en contrepartie de l’accès pour les États membres au marché des services sud-coréens.
Certes, une étude semble indiquer que l’accord de libre-échange permettra de doubler le commerce bilatéral entre les deux zones (actuellement de 54 milliards d’euros) au cours des vingt prochaines années. Mais à l’heure où le secteur de l’automobile subit une crise profonde de surproduction, cet accord était-il opportun ? Cet accord n’est pas clairement porté par l’affirmation d’une politique industrielle communautaire, comme si les services pouvaient à eux seuls assurer la croissance de l’économie européenne. C’est un exemple de plus en faveur de la création d’une direction générale de la politique industrielle à vocation stratégique au sein de la Commission européenne.
Néanmoins, l’Union européenne a la possibilité de s’appuyer sur la force de son marché. Il lui revient de ne pas poursuivre la baisse, voire le démantèlement, de ses tarifs douaniers sans que l’on puisse déclencher, le cas échéant, des clauses de sauvegarde. La France a obtenu ce point de haute lutte dans les négociations commerciales entre l’Union européenne et le Japon. Il convient également que tout accord commercial futur donne lieu à une étude d’impact sur le potentiel d’emplois qu’il serait susceptible de créer en Europe. En aval, chaque accord commercial conclu par l’Union doit pouvoir faire l’objet d’une étape d’évaluation à 2, 4 puis 6 ans. Il ne s’agit pas pour l’Union de promouvoir en permanence le « libre » échange mais bien de s’assurer que toutes les grandes zones commerciales acceptent le « juste » échange. L’Union a déjà trop tardé. La dimension et la diversité de son marché intérieur lui permettent pourtant de peser en ce sens et de faire savoir à ses partenaires qu’elle met en pratique une volonté sans faille.
B.— LA RÉNOVATION DE LA FORMATION, DE L’APPROCHE ET DU CADRE SOCIAL DU TRAVAIL ET POUR UNE REFONDATION DU FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE
1. L’éducation, la formation professionnelle, le contrat de génération
a) La formation initiale : le manque d’ingénieurs, de techniciens et la fuite des « cerveaux » à l’étranger
Le maintien de nos talents en France apparaît tout à fait important à la mission. M. Christian de Boissieu a constaté que nombre de nos chercheurs qui partaient à l’étranger ne revenaient pas ; c’est le cas, par exemple, de certains économistes. Rendre le système attractif et aborder la question de leur rémunération exige des mesures difficiles à mettre en œuvre en période de crise : « il faut reposer la question de l’attractivité de la France pour la matière grise ».
Il convient en outre de rapprocher l’entreprise et l’université tout en maintenant leur rôle respectif, et de vaincre « la méfiance presque culturelle entre ces deux mondes » : les pôles de compétitivité ont permis de progresser dans cette voie, même si leur bilan reste nuancé. Resserrer encore davantage les liens passe par la multiplication des chaires industrielles ; beaucoup ont été créées, mais surtout dans les grandes écoles : « j’appelle donc les entreprises à rééquilibrer leur politique de chaires en faveur des universités, même si les laboratoires d’excellence et les IDEX (328) ont permis -enfin - de multiplier les passerelles entre grandes écoles et universités ».
Votre rapporteur s’inquiète de ce que les métiers scientifiques sont beaucoup moins attractifs qu’autrefois : nombre de bacheliers, y compris scientifiques, ne poursuivent pas dans cette voie, ce qui nous pose problème vis-à-vis de l’Allemagne, mais aussi de la Chine ou de l’Inde, où le nombre d’ingénieurs formés est très supérieur avec ce qu’il peut être en France.
Le constat de M. Vincent Chriqui n’est pas différent : « l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies de l’industrie représente 25% de nos formations supérieures, contre environ 50% en Chine et 75% à Singapour ».
De surcroît, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur n’est pas très élevée en France (tableau 18). Il convient donc de combattre l’échec scolaire et de faire progresser de nouveau le nombre d’étudiants pour que notre pays maintienne son niveau.
Quant à la formation initiale technique, elle est également insuffisante. Or, celle-ci est à relier au faible niveau de robotisation de nos entreprises souligné par plusieurs intervenants, dont M. Jean-Camille Uring, Président du syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) : il y avait l’année dernière 34 500 robots en France, contre 62 000 en Italie et 157 000 en Allemagne, soit 122 robots pour 10 000 emplois industriels en France, 159 en Italie, et 261 en Allemagne. Dans ce contexte, la question de la formation est centrale ; or il est difficile de recruter des collaborateurs qualifiés : « nous ne pouvons que regretter que les lycées professionnels ferment chaque année des sections industrielles ». Votre rapporteur juge en effet essentiel que l’Education nationale sauvegarde des formations professionnelles répondant à des besoins avérés et se donne pour ambition d’y attirer plus de jeunes en formation plutôt que les fermer de manière parfois précipitée pour de seules raisons comptables.
M. Vincent Schramm, directeur général du SYMOP, a mis l’accent sur les efforts entrepris pour informer, attirer non seulement les jeunes, mais leurs familles, vers les métiers de l’industrie, notamment par la participation à des « Salons », tels que le Salon européen de l’éducation, afin de remédier au problème d’image dont souffre l’industrie. La Fédération des industries métallurgiques (FIM) a signé avec l’ONISEP une convention de partenariat qui vise à améliorer l’information sur les métiers de l’industrie.
Tout en déplorant que l’enseignement technique et professionnel ne bénéficie pas toujours en France de la priorité qu’il mérite, M. Louis Gallois a proposé lors de son audition par la Commission des affaires économiques que « les entreprises soient associées à la gouvernance de l’enseignement technique et professionnel, soit au niveau des établissements, en étant représentées au conseil d’administration, soit au niveau régional, en participant à l’élaboration des cartes de formation, soit au niveau national ». Il a également proposé dans son Pacte de doubler le nombre de formations en alternance sur la durée du quinquennat.
Toutefois, il convient de noter que chaque année des milliers de jeunes inscrits dans ces filières abandonnent leurs études faute d’entreprise d’accueil. Cette situation contribue aussi à des difficultés de recrutement - et donc de fonctionnement – de certains centres de formation. Aussi, dans un contexte économique dégradé et pour sortir la volonté de développer l’apprentissage d’un vœu pieu souvent répété dans notre pays, votre rapporteur recommande de faire renforcer l’accompagnement des élèves entrant dans une formation par alternance afin de leur donner, dès le début, le plus de chances de succès et ne pas altérer l’attractivité de cette voie.
Quel que soit le secteur d’activité, il faudrait développer l’apprentissage pour les jeunes sans diplôme, et les incitations pour les entreprises, ainsi que le préconise M. Stéphane Carcillo, ce qui suppose des centres de formation coordonnés avec des structures de suivi local. Mais l’apprentissage pourrait aussi être une voie de réussite (329), y compris pour des études supérieures. Les filières d’apprentissage dans le supérieur restent mal connues.
b) La formation tout au long de la vie
- la nécessité d’une perpétuelle adaptation
La formation continue tout au long de la vie s’avère de plus en plus cruciale : ainsi que l’indique M. Pierre Gattaz, la mondialisation produit des à-coups extrêmement brutaux ; ne pas condamner les ouvriers au chômage de longue durée implique qu’« ils aient été formés tout au long de leur vie professionnelle, qu’ils aient amélioré leur qualification, peut-être même qu’ils aient eu l’expérience d’autres métiers : la formation continue est tout à fait cruciale pour garantir cette employabilité ».
« La cœxistence d’un niveau élevé de chômage et d’un grand nombre d’offres d’emploi non pourvues est un défi lancé à notre système de formation initiale » a déclaré M. Vincent Chriqui, directeur général du centre d’analyse stratégique. En effet, certains secteurs souffrent d’une pénurie de main–d’œuvre, selon M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (CGPME) : c’est le cas de l’hôtellerie-restauration, ou des secteurs industriels techniques (tourneurs-fraiseurs, découpe de verre, filière bois,…), ou des experts comptables. Selon le « référentiel métiers » de Pôle emploi, 250 000 offres d’emplois sont restées non pourvues pendant plus d’un an. Il faut effectivement une adéquation entre l’appareil de formation et les besoins de notre économie.
- la part de l’entreprise dans la formation
L’entreprise doit être partie prenante de la formation : en Allemagne, comme l’a indiqué M. Jörn Bousselmi au nom de la Chambre de commerce franco-allemande, les entreprises décident elles-mêmes du contenu de la formation : celle-ci est alors généralement mise en place par les chambres de commerce et validée a posteriori par l’État. L’initiative part ainsi de la base vers le sommet.
M. Olivier Duha (CroissancePlus) a estimé que lorsqu’une entreprise se portait bien, il relevait de la responsabilité de ses dirigeants d’assurer « une capacité de rebond » pour ses salariés en investissant dans leur formation, ce qui permet d’anticiper d’éventuelles difficultés pour eux-mêmes comme pour l’entreprise.
Par ailleurs, la préparation opérationnelle à l’emploi découle d’un accord entre partenaires sociaux, comme l’a précisé le président de la CGPME, M. Jean-François Roubaud : Pôle emploi identifie une offre d’emploi non pourvue, puis cherche un demandeur d’emploi dont les compétences potentielles paraissent correspondre au poste et lui propose une formation adaptée, à l’issue de laquelle plus de 85% des intéressés sont embauchés. Cette formule mériterait une vraie promotion ; malheureusement, les agents de Pôle emploi sont souvent trop surchargés en nombre de demandeurs à suivre pour avoir la possibilité de la développer.
– une réforme du système actuel
Il a semblé à M. Louis Gallois « sain » d’effectuer un audit du dispositif afin d’en mesurer l’efficacité. Il a plaidé pour un dispositif beaucoup plus orienté vers l’employabilité des salariés, et notamment des salariés non qualifiés des PME, qui en bénéficient le moins, alors qu’actuellement, la durée des formations se réduit, ce qui indique qu’elles sont de plus en plus orientées vers l’adaptation au poste de travail. Il a donc prôné le développement des formations qualifiantes et diplômantes et de celles donnant lieu à des validations des acquis de l’expérience (VAE). Il a également suggéré un compte individuel de formation, attaché à la personne et « crédité » soit au début de la vie active, soit chaque année.
Cette analyse est partagée par M. Stéphane Carcillo pour qui les marges de manœuvre en termes d’efficacité et d’évaluation sont énormes. Plusieurs questions doivent être étudiées : il n’est pas facile pour les demandeurs d’emploi de trouver une formation adéquate, ce ne sont pas toujours les personnes qui en ont le plus besoin qui sont formées et la qualité des formations dispensées n’est pas évaluée, ce qui est une vraie lacune. Une réforme profonde de la formation professionnelle est indispensable, celle de 2009 n’ayant permis que très peu d’avancées (330).
M. Pierre Cahuc a dénoncé ce qu’il considère être une bureaucratisation du système de formation professionnelle, il a suggéré ainsi que les personnes en formation en paient une partie, comme le font les cadres en Allemagne. Une autre piste lui semble être la mutualisation du système de formation, qui passe aujourd’hui par les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), d’où des transactions coûteuses. Il a également plaidé pour la mise en œuvre d’autres sources de financement de ceux-ci, comme le propose d’ailleurs un rapport de l’Institut Montaigne de 2011 qui met l’accent sur le fait que la formation professionnelle est inégalitaire et insuffisamment ciblée (le tableau 19, issu du rapport de 2011 des partenaires sociaux, démontre la même inégalité). La formation ne peut jouer un vrai rôle de promotion sociale qu’en proposant des formations longues et coûteuses, alors que les dispositifs indifférenciés de courte durée ne font qu’accroître les inégalités existantes : en 2007, le taux d’accès à la formation professionnelle continue était de 23,4% pour les titulaires d’un CAP ou d’un BEP et de 44,3% pour les diplômés de l’enseignement supérieur. En outre, l’obligation légale de financement nuit à l’efficacité de la dépense de formation en raison de sa rigidité, et entraîne des gaspillages et une utilisation des fonds parfois sans rapport avec ses objectifs. Les salariés contribuent peu, à hauteur de 4%, à la dépense globale de formation (331). De plus, le système se caractérise par une certaine opacité liée également à l’absence de certification ou d’évaluation de la qualité des formations proposées.
Il formule quatre propositions : remplacer progressivement le système « former ou payer » par un système de subventions ; instituer un « chèque -formation » pour les chômeurs ; transférer aux URSSAF la collecte de la cotisation spécifique (332) ; évaluer et certifier les formations.
Votre rapporteur tient à souligner que le budget de la formation professionnelle est très important : il dépasse 31 milliards d’euros par an, plus élevé encore que celui de la Défense nationale. Ce système appelle des évolutions profondes afin d’améliorer la compétitivité « hors coût » des entreprises françaises. Or, il a perçu certaines réponses dilatoires voire une réticence à prendre position des acteurs sociaux auditionnés quant aux améliorations à apporter à un dispositif aussi massif mais aux modalités de mise en œuvre encore trop complexes et mal évaluées.
Toutefois, l’Accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 11 janvier dernier augure certaines avancées, telles que la création d’un compte personnel de formation, semblable à celui que proposait M. Louis Gallois, universel pour toute personne dès son entrée sur le marché du travail, individuel, intégralement transférable (tout au long de sa vie professionnelle), ainsi que l’assouplissement des conditions d’accès des salariés de moins de 30 ans au CIF-CDD. L’articulation de la négociation sur la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et du plan de formation est également un progrès, de même que la création d’un conseil en évolution professionnelle pour tous les salariés, notamment ceux des TPE et PME. Par ailleurs, le gouvernement lancera d’ici peu une concertation entre partenaires sociaux qui doit aboutir à une réforme profonde et attendue en 2013 afin de mieux gérer et de mieux cibler l’utilisation des fonds disponibles.
Dans notre monde aux changements rapides, anticiper le renouvellement des compétences est une nécessité économique et sociale.
Ce contrat, qui faisait partie des engagements de M. François Hollande pendant la campagne présidentielle, vise à permettre l’embauche par les entreprises, en contrat à durée indéterminée, de jeunes, accompagnés par un salarié plus expérimenté, qui sera maintenu dans l’emploi jusqu’à son départ à la retraire. Il s’agit donc d’une forme de tutorat, qui vise à transmettre des savoir-faire et à intégrer durablement les jeunes dans la vie professionnelle. Le faible taux d’emploi des jeunes et des seniors trouve donc une même solution : le contrat de génération doit permettre d’agir pour l’emploi et la qualité du travail. Les dispositions de la loi reprennent le contenu de l’accord national interprofessionnel signé en ce sens par tous les partenaires sociaux le 19 octobre 2012.
Les entreprises de moins de 300 salariés bénéficieront d’une incitation pour mettre en œuvre ce contrat. L’aide de l’État est importante : 4 000 euros par an, soit 12 000 sur 3 ans. Les entreprises petites et moyennes ont la possibilité de bénéficier d’un appui en termes d’ingénierie pour concevoir et mettre en place leur politique de gestion active des âges. Les entreprises de 300 salariés et plus doivent ouvrir une négociation sur le contrat de génération et conclure un accord. A défaut d’accord, ou au terme d’une négociation, l’employeur peut élaborer un plan d’action. En cas d’absence d’accord injustifiée, une pénalité peut être appliquée.
A terme, le contrat de génération devrait être une possibilité offerte à l’intégralité des salariés jeunes et seniors des entreprises de 300 salariés et plus. Quant à l’aide prévue pour les entreprises de moins de 300 salariés, l’objectif est de favoriser 500 000 embauches de jeunes sur 5 ans, associées au maintien d’un salarié senior. En 2016, l’aide incitative devrait représenter un engagement financier de l’État d’environ 880 millions d’euros.
Il devrait de surcroît permettre à certaines petites entreprises de plus facilement trouver un repreneur, en favorisant la transmission à un jeune.
2. Fluidification du marché du travail et protection des salariés : deux enjeux conciliables ?
« Il faut nous habituer à vivre dans un monde sans croissance…dans ce contexte peu réjouissant, ceux qui tireront le mieux leur épingle du jeu seront les plus flexibles, les plus agiles et les plus rapides », ainsi M. Guy Maugis (Bosch France) perçoit-il les années à venir. Pour M. Olivier Duha, (CroissancePlus) « ce ne sont plus les gros qui mangent les petits, mais les rapides qui dévorent les lents ». La constatation de M. Dominique Seux du quotidien Les Échos est encore plus alarmante : « nous sommes frappés de la vitesse à laquelle le monde change, de la rapidité avec laquelle l’Occident perd le monopole de la puissance économique ».
Ces diagnostics font écho à celui de M. Louis Gallois qui souligne à la fin de son rapport que, « dans cet environnement international de plus en plus compétitif, la capacité d’adaptation, la réactivité deviennent décisives. En même temps, l’industrie a besoin de plus d’intelligence collective, de plus de capacité à partager, à anticiper. Les chefs d’entreprises demandent légitimement de la reconnaissance, de la visibilité sur l’avenir et de la stabilité, mais aussi de la souplesse ; leurs personnels souhaitent être reconnus comme des acteurs majeurs de l’entreprise, être associés aux stratégies, et, bien sûr, être mieux sécurisés dans un monde qui exige d’eux toujours plus de mobilité et de capacité d’adaptation ».
Il existe aujourd’hui un lien souvent polémique entre protection de l'emploi et ce qui est vu comme une rigidité du marché du travail. Certains économistes et chefs d'entreprise auditionnés considèrent que la première entraînerait la seconde. Comme sur d’autres sujets, cette causalité est loin d'être partagée par tous.
Pour mesurer le niveau de protection de l’emploi, l’OCDE prend en compte non seulement la protection assurée par le CDI, mais également le degré de recours au CDD ou le régime du licenciement économique : cet index révèle que la France figure dans le premier tiers des pays de l’OCDE par son niveau de protection de l’emploi. Malgré tout, notamment depuis la mise en place de la rupture conventionnelle – 1 million de ruptures homologuées depuis 2008 -, ce seul index peut apparaître comme insuffisant pour mesurer le degré de protection de l’emploi.
M. Pierre Cahuc relève ce qu’il considère être une ambiguïté de la situation française : « il faut protéger l’emploi, ou plus exactement les salariés, en les aidant à trouver un emploi adapté à l’évolution de la structure productive. Or, paradoxalement, l’emploi est mal protégé en France. En effet, les entreprises n’utilisent pratiquement plus le licenciement économique, lui préférant les plans de départ volontaires ou les licenciements pour motif personnel à grande échelle…une telle évolution…se traduit par une explosion du nombre des embauches en CDD, qui a augmenté de dix points en dix ans ». La procédure régime du licenciement économique est de surcroît d’une complexité redoutable pour les entreprises. En Allemagne, le juge ne contrôle pas la validité des licenciements au regard des performances économiques des entreprises.
M. Gilbert Cette lui fait écho : « notre droit du travail est le plus complexe de tous les pays industrialisés, le plus difficile à prendre en charge par les partenaires sociaux, qui sont précisément censés s’assurer de sa bonne mise en œuvre dans les entreprises, et le moins protecteur, en raison de sa complexité. ». Sa thèse est de faciliter la conclusion de compromis via les accords collectifs, forcément majoritaires depuis la loi du 20 août 2008 : « ces compromis mordraient à la fois sur la réglementation et sur l’autonomie du contrat de travail…l’accord collectif [pourrait] déroger à de multiples dispositions du code du travail, hormis celles qui constituent le cœur du droit du travail – toutes celles qui relèvent de l’ordre public social et du droit international, dont le droit communautaire…de la même façon, l’accord collectif pourrait mordre sur l’autonomie du contrat de travail », comme en Allemagne.
Les entrepreneurs auditionnés partagent ces analyses et il n’est pas possible de les citer tous. Pour M. Olivier Duha : « les entrepreneurs ont peur d’embaucher, car cela représente un investissement difficilement réversible. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est une procédure lourde, complexe et longue – entre 9 et 18 mois. Son coût est élevé : dans mon entreprise, il s’élève à 40 000 euros par salarié, ce qui représente 8,5 ans de contrat par employé. Vecteur de rigidité, le PSE ». M. Christian Poyau ajoute qu’en France, le licenciement d’un cadre coûte 6 à 9 mois de son salaire, alors qu’en Allemagne, le coût, fixe et donc connu à l’avance, est de 4 ou 5 mois. M. Olivier Duha a plaidé pour « un contrat de travail unique assorti de droits progressifs et d’un barème d’indemnités de chômage tenu à jour sur le fondement de critères sociaux et d’ancienneté [qui] permettrait au employeurs de bénéficier de plus de souplesse tout en assurant la protection des salariés ». Cet assouplissement doit aller de pair avec une formation tout au long de la vie : « si les salariés savent qu’ils retrouveront un emploi parce qu’ils sont formés, leur crainte – légitime – du licenciement en sera atténuée. Inversement, si le licenciement devient plus facile pour l’entreprise et cesse de représenter pour elle un risque juridique majeur, elle redoutera moins d’embaucher. Il faut faire reculer simultanément ces deux peurs qui nous paralysent collectivement depuis des années ».
M. Yves L’Epine (groupe Guerbet)va dans le même sens : « nous aurons un frein tant que nous n’assouplirons pas le marché du travail ».
Selon M. Jérôme Frantz (FIM), « la stratification du marché du travail est catastrophique, alors que l’un des enjeux majeurs de notre pays sera de transférer les compétences des secteurs qui ne marchent pas vers ceux qui avancent ».
L’analyse est la même quelle que soit la taille de l’entreprise : M. Jean-François Roubaud (CGPME) prône également l’assouplissement des CDI pour les rendre plus attractifs.
Pour M. Pierre Gattaz (GFI), qui réclame également plus de flexisécurité, il convient en particulier d’assouplir et de simplifier le recours au chômage partiel, comme cela est le cas en Allemagne ; mais chaque entreprise étant un cas particulier, c’est à ce niveau qu’il faut agir, ou, tout au plus, celui de la branche. Ces mesures sont indissociables d’un discours de vérité en cas de difficultés, en appelant à la responsabilité collective, tout en ouvrant la perspective d’un retour à meilleure fortune.
Quant à la complexité du droit du travail, M. Gilles Benhamou (groupe Asteel Flash) « défie n’importe quel député d’arriver à établir un bulletin de salaire tellement c’est compliqué ! », mettant l’accent sur le travail que cela représente pour des entreprises qui, de surcroît, se voient appliquer des pénalités « après six mois passés à procéder à des vérifications ».
Ces prises de position très tranchées sont loin de faire l'unanimité. Les organisations syndicales ont un avis partagé sur la rigidité du marché du travail et sur l’accord qui vient d’être signé par trois d’entre elles.
L’ANI du 11 janvier dernier prévoit qu’en cas de graves difficultés conjoncturelles rencontrées par une entreprise, il sera possible de conclure des accords d’entreprise de maintien dans l’emploi permettant, pour une durée limitée dans le temps, de trouver un nouvel équilibre dans l’arbitrage global temps de travail/salaire/emploi, au bénéfice de l’emploi. Ces accords, qui ne pourront pas déroger aux éléments de l’ordre public social, seront des accords majoritaires conclus pour une durée maximale de deux ans. En outre, devant l’urgence de la situation, et le besoin des entreprises, le recours à l’activité partielle sera possible en s’inspirant du modèle allemand, qui a su mieux préserver les capacités de l’industrie. Cela implique une modification des règles relatives au licenciement économique.
Mme Isabelle Martin (CFDT), dont la centrale vient de signer l’accord, a jugé inadapté de parler de rigidité du marché du travail : « nous avons au contraire à faire face à une hyper-flexibilité sauvage – que nous avons cherché à encadrer ». M. Joseph Thouvenel (CFTC) a salué l’accord signé le 11 janvier dernier. Il est prévu une sanction pénale pour l’employeur qui n’a pas respecté les termes de l’accord : « cette sécurisation des salariés est un progrès ».
M. Pascal Pavageau (FO) a estimé que la notion de compétitivité est un prétexte à l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le droit du travail ; dénonçant l’élaboration du droit « dans un esprit quelque peu anglo-saxon », au niveau de l’entreprise, il a réaffirmé l’attachement de sa centrale aux accords interprofessionnels ou de branche au niveau national : « c’est donc la logique même du texte que nous contestons ». Pour M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT), la défense des droits sociaux des travailleurs et des représentants des salariés est fondamentale et « le projet d’accord sur la sécurisation de l’emploi est loin d’être à la hauteur de ces enjeux ». Mme Catherine Lebrun (SUD) a considéré que l’ANI du 11 janvier 2013 portait en germe une vraie régression sociale : « cet accord est une attaque contre la notion même de contrat de travail ». Quant à l’engagement de maintenir pour deux ans dans leur emploi les salariés auxquels s’appliquent les ajustements, elle a considéré qu’il s’agissait d’un « jeu de dupes », car il est précisé dans l’accord que si la situation économique change, cet engagement pourra être revu. « Voilà trente ans que nous ne cessons d’introduire des mesures de flexibilité…au bout du compte, le chômage et les licenciements continuent à augmenter ! ».
Votre rapporteur souligne que les volontés d’une fluidification renforcée du marché du travail s’appuient surtout sur une demande de prévisibilité pour les employeurs, notamment au moment de l’embauche d’un nouveau salarié, cela afin de pouvoir s’adapter au mieux aux aléas économiques. Cette demande de prévisibilité peut alors rencontrer le besoin de sécurité d’un salarié soumis à des évolutions professionnelles si les garde-fous à une flexibilité débridée sont effectifs. Suivant le terme défendu par Bernard Gazier, économiste et professeur émérite de l’Université Paris 1, c’est en fait une « mobilité protégée » – plus qu’une flexisécurité dans laquelle chacun lit ce qu’il voudrait voir écrit – qui doit être recherchée par le dialogue social et encouragée par les pouvoirs publics.
3. La nécessaire amélioration du dialogue social, outil de la compétitivité des entreprises et du pays
● Contrairement à ce qui précède, l'amélioration nécessaire du dialogue social a été soulignée unanimement. Néanmoins, celle-ci dépend de conditions qu'il reste à définir.
Ainsi que l’a souligné M. Stéphane Carcillo, les partenaires sociaux jugent le dialogue social extrêmement mauvais. L’enquête sur les relations entre employeurs et employés menée par le World Economic Forum dans 142 pays a montré que la France se situait à la 133e place (333).
La difficulté du dialogue traduit une différence de mentalité. « En France, pour évoquer les relations, souvent conflictuelles, au sein des entreprises, on oppose le patron au travailleur » souligne M. Wolgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France « alors qu’en Allemagne, on parle de l’entrepreneur et du collaborateur. Cette différence sémantique est très importante : en effet, en Allemagne, un entrepreneur entreprend un projet et un collaborateur y participe en travaillant aux côtés de l’entrepreneur, alors qu’en France un vrai fossé existe entre le patron et le travailleur ».
Remédier à cette situation est une responsabilité partagée. La désunion syndicale en France n’encourage certes pas au dialogue social. Mais, attendre des organisations syndicales qu’elles s’inscrivent dans une politique contractuelle dans l’entreprise nécessite pour les dirigeants, d’accepter enfin la légitimité des représentants des salariés d’être associés à la gouvernance de l’entreprise, et, pour ceux des PME, la légitimité même de l’existence d’une représentation syndicale.
Comme l’ont fait remarquer de très nombreux interlocuteurs, dont M. Pierre Cahuc, le taux de syndicalisation des salariés en France est le plus faible de tous les pays de l’OCDE, de l’ordre de 7%. Plusieurs pistes pourraient être étudiées selon lui pour le développer : « la limitation de la durée des mandats des représentants syndicaux (334), la transparence financière – en la matière, la loi du 20 août 2008 constitue une première avancée, l’incitation des salariés à participer à l’action syndicale…un levier consisterait à instaurer un crédit d’impôt (335)…il faudrait également que les syndicats développent des services spécifiques….le fait de pouvoir bénéficier de certaines caractéristiques des accords collectifs lorsqu’on est syndiqué est une piste à laquelle il faudrait réfléchir ».
M. Wolgang Ebbecke a noté que les modalités du dialogue différaient beaucoup dans les deux pays. En Allemagne, un seul syndicat négocie face à une association ou un groupe représentant le patronat et chacun peut négocier au sein de sa société suivant ses besoins, car les ouvriers et les employés, que la cogestion met au fait de la situation de l’entreprise, parlent et décident en conséquence. En France, les syndicats peuvent être cinq ou plus à négocier et il est beaucoup plus difficile à l’employeur de pratiquer une cogestion.
Les syndicats en Allemagne
La loi sur les conventions collectives ne reconnaît de capacité de négocier qu’aux syndicats, sans pour autant définir de règles concernant leur représentativité. Celle-ci résulte de la combinaison de critères issus de la jurisprudence : la capacité de négocier est réservée aux organisations respectueuses des principes démocratiques, librement constituées, établies à un niveau supérieur à celui de l’entreprise, financièrement indépendantes de l’État, des Eglises, des partis politiques et des employeurs, ayant un nombre significatif d’adhérents et prêtes à mener un conflit du travail.
Ils sont organisés en fédérations professionnelles par branches branche. Il existe donc un syndicat pour l’ensemble des salariés de la métallurgie, un autre pour ceux de l’industrie chimique, etc. L’adhésion n’est pas liée à l’activité exercée dans l’entreprise : dans le cas d’un constructeur automobile, sont affiliés à IG Metall aussi bien les techniciens, que les agents commerciaux et les employés du service du personnel.
La majorité des syndicats sont regroupés au sein de la puissante Confédération des syndicats allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund, DGB) qui compte plus de 6 millions d’adhérents et revendique 80% des salariés syndiqués. Toutefois, seulement 17% des salariés sont syndiqués, contre 40% en 1990 : les syndicats dans l’industrie restent puissants, alors que ceux du secteur des services sont très faibles. Leur rôle reste toutefois important dans l’économie allemande.
● La représentation des salariés a été prise en compte par l’ANI et prévue dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise (conseil d’administration ou conseil de surveillance) : leur participation avec voix délibérative doit être assurée dans les entreprises d’au moins 10 000 salariés à l’échelle mondiale ou 5 000 en France. Le nombre de représentants des salariés sera au moins égal à deux dans les entreprises dont le nombre d’administrateurs est supérieur à 12 et à un dans les autres cas.
Pour M. Jean-Marie Poirot, l’UNSA relève l’intérêt de l’accord sur la sécurisation de l’emploi, notamment dans le domaine de l’information des salariés et en matière de consultation des instances représentatives des personnels auxquelles il ouvre les organes de gouvernance.
M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) a estimé totalement insuffisante cette représentation. Il a en effet fait remarquer que les entreprises de plus de 5000 salariés ne sont qu’au nombre de 229. En outre, deux administrateurs ne suffisent pas pour peser sur les choix de l’entreprise.
Pour M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, le management à la française, autoritaire et hiérarchique est une spécificité qui coûte très cher à l’entreprise : «l’accord interprofessionnel du 11 janvier aborde un peu le problème, mais il faut changer beaucoup plus profondément qu’il ne le prévoit : il faut systématiser la structure à conseils de surveillance et directoires, il faut donner comme en Allemagne la moitié des postes aux salariés dans les conseils d’administration et des pouvoirs très étendus aux comités d’entreprise. En Allemagne, l’accord du comité d’entreprise est indispensable pour toute restructuration ».
M. Bernard Gazier rappelle à cet titre l’utilité du dialogue social : « Des salariés bien formés et sûrs d’eux-mêmes, capables de retrouver un poste en cas de licenciements sont davantage en mesure de négocier que ceux qui protestent au pied du mur et dans le désespoir. La protestation des gens humiliés et sans perspective doit être entendue, mais la protestation de ceux qui ont pu discuter, étudier la productivité, les investissements, la situation économique de l’entreprise est plus efficace. On sait qu’on peut bouger, mais d’abord on négocie les solutions de préservation de l’emploi ». (336)
Votre rapporteur s’inscrit fortement dans la nécessité de favoriser une meilleure représentativité des acteurs sociaux. Cela implique, du côté des salariés, d’aider à l’accroissement du nombre de syndiqués et à la participation lors des élections professionnelles. Cela permettra aux organisations syndicales d’être aussi représentatives que possible et de voir leur position confortée dans le dialogue social et dans l’association aux décisions de l’entreprise, ce qui peut être également un atout du point de vue de l’entrepreneur. Par ailleurs, les nouvelles règles de représentativité syndicale issues de la loi du 20 août 2008 entreront en vigueur en 2013 et permettront de faire évoluer une situation figée.
Du côté des organisations patronales, une meilleure représentativité devrait aussi enfin passer par la prise en compte des 200 000 organismes (entreprises, coopératives, mutuelles…) du secteur de l’économie sociale et solidaire qui emploient plus de de 2 millions de salariés, organismes qui ne sont de fait pas représentés lors des négociations.
● Quant au niveau le plus utile pour les négociations sociales, les avis restent partagés.
M. Patrick Artus suggère de se rapprocher du modèle allemand ou scandinave, pour y inclure, outre les salariés en CDI, les chômeurs et les salariés en CDD ou encore les intérimaires : « une négociation très décentralisée – par usine ou par établissement – favorise les syndicats d’« insiders », alors qu’une négociation par branche est plus propice à une démarche macro-économique visant à ramener au travail les chômeurs. Le modèle allemand de négociation par branche semble donc supérieur au modèle français, très décentralisé ».
M. Luc Barbier, président de la fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) s’est prononcé en faveur des accords de branche.
M. Olivier Duha s’est dit « très favorable à la cogestion, au rapprochement des salariés et le monde entrepreneurial et du capital, ainsi qu’au renforcement de la participation des représentants des salariés à nos prises de décision de management. » Il a également souhaité qu’un accord signé par la majorité des salariés d’une entreprise puisse prévaloir sur le Code du travail. Votre rapporteur souligne que cette dernière disposition, sans limite aucune, mettrait tout simplement fin au droit du travail en France.
En revanche, M. Pascal Pavageau (FO) a dénoncé (à propos du CICE). « toute logique de cogestion ou de co-orientation du choix : il n’est pas du rôle des élus représentants des salariés d’indiquer la destination ou les conditions d’attribution de l’argent public. Ils ont en revanche un rôle de garde-fou à jouer pour veiller à ce que ce dernier ne serve pas à payer le déménageur qui délocalisera les activités de l’entreprise vers l’Europe de l’est ».
La signature de l’ANI du 11 janvier dernier peut probablement ouvrir une nouvelle voie. En plus des éléments évoqués par les différents intervenants, notamment la formation, il entend permettre aux salariés de mieux sécuriser les parcours professionnels, tels que la création de droits rechargeables à l’assurance chômage, de la majoration de la cotisation d’assurance chômage des contrats à durée déterminée, la création d’un droit à une période de mobilité externe volontaire avec droit de retour et l’encadrement des contrats à temps partiel qui devra avoir une durée minimale de travail de 24 heures par semaine. La prise en charge à parité de la couverture complémentaire des frais de santé est généralisée. La majoration de la cotisation d’assurance chômage des contrats à durée déterminée permettra de limiter les recours de plus en plus abusifs à cette forme de contrat. Enfin, le contrat de travail intermittent sera expérimenté.
L’accord vise aussi un renforcement de l’information due aux salariés sur les perspectives et les choix stratégiques de l’entreprise pour améliorer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences : une base de données unique sera mise en place dans l’entreprise regroupant les données existantes ; consultable à tout moment aussi bien par les IRP et les délégués syndicaux que par l’employeur, elle portera sur les 3 années à venir. La négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences sera articulée avec le plan de formation. La participation des salariés avec voix délibérative dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise dans les entreprises d’au moins 10 000 salariés à l’échelle mondiale ou 5 000 en France est une avancée. Leur nombre sera égal à deux si le nombre d’administrateurs est supérieur à 12 et à un dans les autres cas. Rappelons que M. Louis Gallois préconisait dans son rapport d’introduire dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 5 000 salariés, au moins 4 représentants des salariés, sans dépasser le tiers des membres, avec voix délibérative, y compris dans les comités des conseils.
Cet accord est présenté par les organisations signataires comme « équilibré », car selon elles, il renforce certains droits mais en donnant plus de souplesse aux entreprises : des leviers d’adaptation rapide à un monde en mutation et très concurrentiel. L’accord majoritaire d’entreprise devient la référence.
Il revient ensuite au Parlement de traduire dans le droit le contenu de cet accord. L’avancée certaine que constitue la nouvelle dynamique d’une démocratie sociale confortée doit trouver un équilibre avec les responsabilités propres à la démocratie politique. Ne devant se contenter d’être des greffiers législatifs, les parlementaires devront trouver les moyens de jouer pleinement leur rôle, sans déjouer celui qu’ils veulent voir jouer aux partenaires sociaux. Il convient notamment de mettre de la couleur dans les « zones blanches » de l’accord et de décrire notamment les garanties de recours possibles, les limites que peut aménager l’État pour que l’esprit de l’accord soit respecté sur le terrain et dans les faits, les moyens que l’État lui-même se donnera pour valider ou non le déroulement des procédures, les conditions de l’application des mesures différées dans le temps, sans oublier les modalités d’évaluation des nouveaux dispositifs afin de voir leurs retombées en termes de création ou de maintien de l’emploi.
Ce nouveau temps de la démocratie sociale et la manière dont l’articulation avec la démocratie politique sera ou non trouvée serviront de référence pour les nombreux sujets à venir que notre pays devra traiter pour construire le « Nouveau modèle français » défendu par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault (337).
Cette étape va rapidement être suivie d’un projet de loi sur la gouvernance des entreprises qui sera soumis prochainement au Parlement, qui veillera sans doute à introduire des mesures visant à permettre aux salariés de siéger dans les conseils d’administration, de mettre fin à certains comportements de dirigeants d’entreprises en matières de rémunérations, et de protéger les entreprises contre les OPA hostiles.
4. Un nouveau financement de la protection sociale
a) Lien entre cotisations sociales et compétitivité des entreprises à travers le débat sur le financement de la protection sociale
La France présente fait reposer le financement de notre protection sociale majoritairement sur les salaires. Le rapport du Haut Conseil de la protection sociale du 31 octobre 2012 intitulé « État des lieux du financement de la protection sociale en France » évoque, à propos des ressources de la protection sociale, « un processus de diversification en cours », soulignant que le financement « repose largement sur les revenus d’activité, et pour plus d’un tiers sur les cotisations sociales acquittées par les employeurs » et que « plus des trois quarts des ressources perçues par le système de protection sociale sont assis sur les revenus du travail ».
Or, le débat que peut poser ce mode de financement est souvent utilisé pour réintroduire celui sur la compétitivité des entreprises, en considérant d'abord les cotisations sociales comme une « charge », alors que la cotisation est redistribuée.
Au cours de son audition, M. Louis Gallois a fait remarquer que le plan du gouvernement instaurant le CICE n’avait pas abordé le problème du transfert des charges « si bien qu’une question reste posée, celle de savoir qui doit assumer le coût de certaines prestations relevant de la solidarité nationale, comme les allocations familiales ou une partie de la sécurité sociale…la solidarité nationale doit être financée par la fiscalité, et non par le travail, pour ne pas pénaliser l’emploi ».
Depuis, le projet de loi de finances rectificative, adopté le 20 décembre 2012, modifie à partir de 2014 les taux de TVA : le taux de 5,5% est passé à 5%, le taux intermédiaire de 7 à 10% et le taux normal de 19,6 à 20%.
La mission s’est interrogée sur le transfert du financement de la protection sociale.
Elle a constaté au préalable que les cultures variaient profondément d’un pays à l’autre. Comme l’a souligné M. Guy Maugis, « le consensus national autour de la compétitivité des entreprises est une caractéristique culturelle allemande. Pour les Allemands, l’entreprise est un outil fragile que tous les acteurs doivent contribuer à protéger et à aider, en évitant notamment de freiner son développement. Au contraire, le consensus français porte sur le maintien du pouvoir d’achat. Pour les Français, c’est l’entreprise qui doit être taxée ».
Il convient également de remarquer qu'une fois encore, aucun moyen envisagé (hausse de la TVA et/ou de la CSG) ne recueille l'unanimité des économistes et des chefs d'entreprise, y compris en leur sein.
b) La compensation par la hausse de la TVA et de la CSG ?
Pour M. Christian de Boissieu, qui se prononce en faveur de la hausse des deux contributions – TVA et CSG –, la vitesse de basculement est aussi importante que son ciblage en hausse sur l’une ou l’autre. Afin de ne pas trop peser sur la croissance, il préfèrerait cependant « une transition graduelle plutôt qu’un choc ». En conclusion, « je serais plutôt partisan d’une combinaison d’une hausse du taux de la TVA et de celui de la CSG par une démarche graduelle, l’important étant d’afficher un cap, et pas nécessairement de créer un choc ». Estimant que la France disposait alors d’une certaine marge pour augmenter la TVA dans la mesure où, aujourd’hui, elle est en dessous de la moyenne européenne, puisque nos partenaires ont augmenté leurs taux depuis 3 ans, il préconisait une hausse d’un point de TVA : « avec un passage de 19,6% à 20,6%, l’effet inflationniste reste gérable, et le taux normal comparable à celui en vigueur chez nos partenaires. Un point de TVA représente 6 à 7 milliards d’euros de recettes supplémentaires, et un point de CSG environ 11 milliards. Une hausse d’un point de la TVA et de la CSG rapporterait donc près de 20 milliards de recettes supplémentaires, toutes choses égales par ailleurs ».
La plupart des chefs d’entreprises ou de leurs représentants réclament le financement d’une partie de la protection sociale par l’impôt, sans toutefois choisir entre la TVA et la CSG. M. Pierre Gattaz (GFI) propose de transférer une partie des cotisations sociales pesant sur les entreprises vers les deux ; il en est de même pour M. Antonio da Silva, président de La Ferronnerie Roncquoise, pour M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato, pour M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, qui a rappelé avoir déjà proposé cette piste voici plusieurs années.
c) La compensation par la hausse de la TVA ?
M. Denis Ferrand directeur général de COE-Rexecode s’est montré favorable à un transfert des charges vers la TVA plutôt que vers la CSG, afin de stimuler le pouvoir d’achat, du moins à moyen terme. Quant à la taxe carbone, il en écarte l’usage pour financer la protection sociale, car elle présente l’inconvénient de devoir être augmentée de façon continue pour maintenir la même recette si elle produit les effets escomptés.
Au nom de la FNSEA, M. Xavier Beulin, prône une « TVA-emploi » afin « d’abaisser à la fois les charges, et donc de nous rendre plus compétitifs et de transférer sur des produits importés – majoritairement taxés au taux de 19,6% - une part des coûts de notre modèle social ».
M. Jérôme Frantz (FIM), propose la hausse de la TVA plutôt que celle de la CSG : transférer une partie de cotisations sur la TVA reviendrait à taxer les importations : « il convient de refermer, dans une certaine mesure, le marché européen ». L’augmentation de la TVA ne devrait pas trop peser sur le consommateur : « en Allemagne, où le gouvernement a transféré une partie des charges sociales sur la TVA, les entreprises ont restauré leurs marges et donc baissé leurs prix : il n’y a eu aucune incidence sur le consommateur ». Tel est également l’argument de M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC), qui propose une cotisation sociale sur la consommation. D’après le rapport de la Conférence nationale de l’industrie piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman et la quantification réalisée par l’Ecole Centrale de Paris et par le Trésor, des travaux cités par les interlocuteurs de la mission, le passage, en Allemagne, de 16 à 19% du taux de TVA n’a pas donné lieu à une dérive inflationniste. Ils ont donc estimé que l’élasticité devrait être de 0,2 à 0,3% d’inflation. De son côté, M. Patrick Artus déclarait il y a quelques temps (338) que les relèvements de la TVA en Allemagne en 2007 ou au Royaume-Uni en 2011 « se sont traduites dans les deux cas par des hausses de prix ». L’avantage de la cotisation sociale sur la consommation est qu’elle fait contribuer les importations au financement de notre protection sociale.
La CFDT reste défavorable à une compensation par la TVA, comme l’a expliqué M. Emmanuel Mermet, « qui entraînerait une hausse des prix et aurait un effet régressif – c’est-à-dire pèserait davantage sur les faibles revenus que sur les hauts revenus ».
Votre rapporteur partage en partie cette crainte : ainsi le financement d’un tiers du coût du CICE par l’ajustement des taux de TVA pourrait avoir des conséquences sur les projets des investisseurs et des bailleurs sociaux, ou encore sur certaines grandes commandes publiques, par exemple dans le domaine des transports ou de la construction.
d) La compensation par la CSG ?
Sur ce moyen également, les avis divergent.
M. Louis Gallois a souligné qu’on ne pourrait faire l’économie de l’utilisation d’un impôt à large assiette : la hausse de certains taux intermédiaires de la TVA, de la fiscalité écologique, de la fiscalité immobilière, du réexamen de certaines niches et de l’éventuelle taxation des transactions financières : « mais, si on ne peut pas faire appel au taux normal de la TVA, la plus grande part devra provenir- probablement de l’ordre de 2/3 du relèvement de la CSG ». L’augmentation de la CSG est pour lui en quelque sorte un « deuxième choix ». Il a ajouté toutefois, au cours de son audition, que la CSG avait un avantage, celui d’être modulable.
Selon M. Gilbert Cette, « l’équité suppose que les protections universelles soient financées par une assiette de financement large » : le financement de la famille pourrait donc à long terme être financé sur une assiette correspondant à l’ensemble des revenus, par exemple la CSG : « en renforçant l’équité, on abaisserait ainsi le coût du travail ».
La CFDT est plutôt favorable à l’utilisation de la CSG, dans l’hypothèse d’un basculement des cotisations sociales qui financent des services dits universels tels que l’assurance maladie ou la politique familiale, « qui présente l’avantage d’être entièrement fléchée vers le financement de la protection sociale » selon M. Emmanuel Mermet « plutôt que vers un outil fondé sur la contribution climat-énergie, dont l’objet est de servir à la transition énergétique et non d’alléger le coût du travail ou les coûts de production ».
Dans sa mission de la consultation de 2012 consacrée à la France (339), le FMI préconise en premier lieu la réduction des dépenses publiques. Elle n’est pas très favorable à la hausse de la CSG qui « n’aurait probablement que des effets temporaires si ce transfert ne s’accompagnait pas de gains de productivité qui permettent aux salaires réels de compenser progressivement la perte de pouvoir d’achat. Elle aurait aussi un effet négatif sur l’investissement en accroissant la pression fiscale sur les revenus du capital. Transférer le cout des allègements de cotisations patronales vers les taxes indirectes (par exemple la TVA, les taxes foncières ou les droits d’accises) dont une part est acquittée par les importations aurait plus d’avantages économiques. Dans ce cas, l’efficacité de la mesure serait strictement liée à un effort de modération salariale, notamment au niveau du SMIC ».
Dans sa conférence de presse du 13 novembre 2012, le Président de la République s’est déclaré hostile à l’augmentation de la CSG qui conduirait à une amputation du pouvoir d’achat des Français, aux effets très récessifs.
La solution ne passerait-elle pas également par une limitation des dépenses sociales ? Telle est la question posée par M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) : « ces dernières représentent aujourd’hui 32% du PIB, contre 29% en Allemagne et 30% dans l’Union européenne ; nous pourrions les rendre plus efficaces, plus économes, en les centrant au nom du devoir de solidarité sur les personnes qui en ont le plus besoin….pouvons-nous reconduire les choix de société que nous avons faits, ou devons-nous concentrer davantage la dépense ? Tel est l’enjeu ».
M. Jean-François Roubaud (CGPME) a préconisé l’instauration d’une flat tax (340) afin d’éviter que la protection sociale ne soit financée uniquement par les cotisations sociales.
Votre rapporteur souligne qu’il n’y a donc pas de « remède miracle » à la situation que nous connaissons. Par ailleurs, le vieillissement de la population, le progrès dans l’utilisation de techniques médicales de pointe et la recherche de financements adéquats pour la prise en charge de la dépendance invitent notamment à avoir une réflexion globale pour un financement équitable de notre protection sociale qui sauvegarde notre système mutualisé tout en n’handicapant pas le développement de notre économie. Par ailleurs, pour des pays comparables, notre système de protection assis sur une répartition collective des ressources a un coût global qui, au final, n’est pas plus important que les systèmes de protection individuelle qui existent dans d’autres pays : la seule différence notable est justement son caractère collectif et, pour la santé, généralisé !
Par contre, il y a aujourd’hui une nécessité de clarifier ce que notre pays considère relever de l’assurance mutualisée d’un côté et de la solidarité nationale de l’autre, et donc ce qui se finance par des cotisations pour la première et par l’impôt pour la seconde. Cette clarification est un préalable à toute évolution de la structuration des financements (341). Plusieurs évolutions ont eu lieu depuis deux décennies qui ont déjà modifié la part des cotisations dans le financement de la protection sociale, notamment par la montée en puissance de la CSG ou l’affectation de ressources liées à la consommation et à la santé publique. Ainsi la part des cotisations finançant la branche maladie est passée de 96% à 49%, de 88% à 65% pour la branche famille. C’est le sens de la réflexion qui doit être menée, à la suite des préconisations qui seront apportées par le Haut conseil du financement de la protection sociale mis en place en septembre 2012.
C.— POUR UNE « NOUVELLE » ÉCONOMIE VERTE ET EN RÉSEAU
1. Les diagnostics convergent : un modèle économique à bout de souffle...et de nouvelles perspectives technologiques
C’est particulièrement dans le sillage de la crise de 2008 qu’est apparu un nouveau sujet de débat, la « croissance verte », dans les forums internationaux, aux Nations–Unies, à l’OCDE, dans les institutions des grands ensembles économiques régionaux (Union européenne, USA, Chine).
L’ère des trente glorieuses est achevée depuis longtemps ; il faut s’attendre pour les années à venir à une croissance molle de longue durée. Comme le souligne un rapport rédigé en décembre 2012 par le « Sustainable Europ Research Institute » (SERI), de Vienne (342), notre monde est confronté à des défis graves et pluriels et les remèdes traditionnels des politiques de croissance échouent ; parallèlement, l’environnement naturel de la planète pâtira de dégradations irréversibles. Au cours des dernières années, l’innovation s’est peu intéressée aux moyens de réduire l’impact de la croissance sur l’environnement.
Le rapport du Conseil économique pour le développement durable « croissance verte » de 2009 pose un diagnostic également pessimiste : le processus de croissance des deux dernières décennies a reposé sur l’essor des nouvelles technologies de l’information et sur le développement d’une économie fondée sur l’immatériel et le capitalisme actionnarial mondialisé. Ce modèle est désormais épuisé.
De même, M. Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, déclarait en 2011 que, « si nous ne voulons pas voir s’interrompre la progression du niveau de vie que nous connaissons depuis 50 ans, il nous faut trouver de nouveaux moyens de produire et de consommer. Et même redéfinir ce que nous entendons par le " progrès" ».
L’économiste Jeremy Rifkin, promoteur de « La troisième révolution industrielle », estime que, dans un avenir proche « la réussite des entreprises aura plus à voir avec le coût de l’énergie qu’avec le coût du travail ». À l’instar des progrès engendrés dans le passé par l’association d’une nouvelle source d’énergie et d’un progrès technologique en matière de communication - le charbon et la machine à vapeur liés à l’imprimerie au XIXème siècle, puis l’électricité avec la radio, la télévision accompagnant l’ère du pétrole, de l’automobile et de la consommation de masse au XXème siècle - il défend un nouveau modèle de croissance où les énergies renouvelables associées au développement d’internet permettraient une croissance soutenable et partagée horizontalement. Loin d’être une seule vue de l’esprit, plusieurs collectivités territoriales dont la Région Nord-Pas de Calais s’engagent dans cette voie. Cette vision pourrait constituer un nouvel élan porté conjointement par la France et l’Allemagne pour une dynamique européenne enfin ranimée.
Le meilleur exemple concret de cette démarche est l’intérêt que suscitent les imprimantes 3D qui annoncent, selon Chris Anderson, ancien rédacteur en chef de la revue Wired, une ère où chacun pourra développer ses propres objets (selon le précepte « Faites-le vous-même ») (343). La fabrication de 10 000 objets différents et adaptés pourrait prendre le dessus sur une production de masse de 10 000 objets semblables. Le procédé technique n’est pas nouveau – la stéréolithographie a près de 30 ans – et M. Georges Taillandier, président de l’Association française de prototypage rapide (AFPR), indique que « la nouveauté n’est pas la technologie, mais la multiplication de ses applications grâce au numérique et à internet ». Plusieurs industriels investissent déjà ce procédé pour fabriquer des produits finis et non plus seulement des prototypes comme par le passé, comme Boeing, Airbus ou encore Jeff Bezos, l’un des fondateurs d’Amazon. Le Président des États-Unis, Barack Obama, voit également dans ce type de procédé une opportunité pour la relocalisation de la production dans son pays.
2. La « croissance verte » facteur de progrès et d’emplois
La « croissance verte » doit désormais être considérée comme un véritable objectif. Le rapport du Substainable Europe Research Institute (SERI) met l’accent sur la hausse de la productivité de la main d’œuvre, si bien que moins de personnes suffisent pour produire le même résultat ; un accroissement de la productivité des ressources et de l’efficacité énergétique peut contribuer à une productivité du capital. Il souligne que de nombreuses opportunités peuvent être saisies sur des marchés en pleine croissance, telles que l’agriculture biologique, l’énergie renouvelable, et l’écotourisme ; d’autres possibilités apparaissent dans la gestion des déchets, la chimie verte et les produits à base biologique.
Ce rapport en conclut qu’« une économie plus verte ne génère pas seulement de la croissance, notamment en termes de capital naturel, mais elle produit également une croissance plus importante du PIB et du PIB par habitant ». La transition vers une économie verte crée de nouveaux emplois qui, peu à peu, excèdent les pertes d’emploi dans l’économie traditionnelle.
L’OCDE estime également que le verdissement de la croissance s’accompagnera de créations d’emplois, en particulier dans des activités émergentes innovantes et vertes. Cela nécessitera le reclassement des salariés entre les secteurs et entreprises en déclin et ceux en expansion, notamment ceux qui remplacent les activités polluantes par d’autres plus propres.
Elle propose des incitations à une plus grande efficience dans l’utilisation des ressources et actifs naturels, en développant l’innovation, la création de nouveaux marchés par la stimulation de la demande de technologies et de biens et services verts. Elle en conclut que ces actions conduiront à la restauration de la confiance des investisseurs par l’amélioration de la prévisibilité et de la stabilité de l’action des pouvoirs publics face aux grands problèmes d’environnement, ainsi qu’à un meilleur équilibre macro-économique grâce au réexamen de la composition et de l’efficience des dépenses publiques et à un accroissement des recettes par le biais de la tarification de la pollution.
Selon le Conseil économique pour le développement durable, « la triple crise écologique, économique et financière à laquelle nos économies sont confrontées impose de repenser le contenu de la croissance…en termes d’innovation, l’enjeu [est l’]…innovation de rupture pour permettre la transition vers un nouveau modèle de croissance verte ». Il note que « sur les 2 800 milliards de dollars consacrés à la relance mondiale depuis fin 2008, 15% sont consacrés à des investissements verts ventilés en trois grands postes : les économies d’énergie, la gestion de l’eau, le traitement des déchets et techniques de dépollution et le développement des énergies sobres en carbone ».
Le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), qui représente 200 multinationales et 7 000 milliards de dollars de revenus, estime dans sa profession de foi « Vision 2050 » que les opportunités dans les seuls domaines des ressources naturelles, de la santé et de l’éducation représenteraient autour d’un millier de milliards de dollars en 2020 et jusqu’à 4,5% du PIB mondial. L’Organisation internationale du travail (OIT), quant à elle, prévoit que le verdissement de l’économie devrait rapporter entre 15 et 60 millions d’emplois dans le monde.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), dans son rapport de février 2011, conclut qu’il n’y aura pas de croissance si l’économie n’est pas verte. Il envisage un investissement de 1 300 milliards de dollars par an entre 2010 et 2050 répartis en 10 secteurs (344). Il conclut que la croissance resterait sur la période identique à celle d’un statu quo optimiste « tout en évitant d’importants inconvénients tels que les effets du changement climatique, une plus grande rareté de l’eau et la perte de services environnementaux ».
En fait, les prévisions varient considérablement, faute notamment de pouvoir chiffrer le rapport entre les emplois créés et les emplois détruits par cette évolution.
3. Les pistes à choisir et les logiques à développer
Pour M. Louis Gallois, le développement de l’industrie verte est une des trois priorités qu’il a suggéré de fixer pour le Commissariat général à l’investissement.
M. Albert Merlin, vice-président de l’Institut Prospective, recherches et études appliquées à la justice et à l’économie souligne (345) qu’aujourd’hui, il s’agit d’inventer une révolution industrielle avec des investissements que l’on ne sait pas vraiment chiffrer. Il propose donc de privilégier le dosage secteur par secteur, moins risqué sur le plan financier : par exemple, l’économie d’énergie par l’isolation, dont les logements anciens, au nombre de 33 millions, offrent un marché considérable, avec des travaux créateurs d’emplois dans un délai rapide. Moyen de rendre du pouvoir d’achat aux ménages en réduisant leurs dépenses contraintes, cette question est donc doublement un facteur de compétitivité de notre pays.
Le Président de la République vient d’ailleurs de rappeler l’objectif de rénover 500 000 logements, dont 120 000 logements sociaux d’ici à la fin 2017, afin d’atteindre une diminution de 38% de consommation d’énergie en 2020. Le gouvernement devrait utiliser le crédit d’impôt développement durable et le prêt à taux zéro, mais en les ajustant pour éviter les effets d’aubaine, le tout à budget constant. Une troisième aide, financée sur les investissements d’avenir, sera créée afin de permettre aux ménages précaires de rénover leur logement, en complément des autres aides. Elle sera mise en œuvre pendant deux ans, à l’issue desquels sera mis au point, en 2015, un mécanisme de tiers financement (346). Pour faciliter les démarches des particuliers, un guichet unique de la rénovation énergétique sera mis en œuvre d’ici à l’été 2013 sur tour le territoire.
Votre rapporteur salue également l’objectif que le Premier ministre a fixé aux constructeurs automobiles, à l’occasion de la conférence environnementale de septembre 2012, et qu’il a qualifié d’« ambitieux » : mettre au point des véhicules consommant deux litres aux 100 kilomètres d’ici 10 ans, soit un niveau 4 fois plus faible que la moyenne du parc automobile actuel. Le but est de développer et de structurer une filière industrielle, de promouvoir l’efficacité énergétique et d’accorder une très large place à l’innovation technologique.
Dans le même ordre d’idée, on peut citer la filière prometteuse des biocarburants (micro algues,…) qui pourraient être utilisées dans l’aéronautique (347), ou encore les biotechnologies développées pour le traitement des eaux usées.
Plus globalement, le verdissement de l’économie peut permettre de retrouver une certaine forme de croissance. Il comprend des processus et fonctionnements économiques qui contribuent à « verdir » aussi bien l’industrie que les services :
– l’écoconception qui consiste, dès l’élaboration d’un produit, à chercher à réduire l’ensemble de ses impacts environnementaux tout au long de son cycle de vie ;
– l’écologie industrielle, qui consiste à organiser les différents types de relations entre acteurs économiques d’un territoire donné pour que les déchets des uns soient des ressources pour d’autres. Par exemple, certains déchets d’une usine de traitement peuvent alimenter une usine de méthanisation qui elle-même fournira en biogaz des véhicules ;
– l’économie de fonctionnalité, dans laquelle l’usage prédomine sur la propriété et qui, ainsi, vend des services plutôt que des biens (à l’exemple de Velib’ ou d’Autolib’...) que des services (développement du cloud computing) ;
– la réparation des biens, la réutilisation de leurs composants et le recyclage des matériaux qui les composent.
Il ne s’agit pas de théorie, mais de pratiques existantes à encourager : Renault vante l’écoconception de ses modèles comme étant depuis plusieurs années un avantage compétitif ; Michelin qui, dans l’attente d’avancées technologiques afin de pouvoir réutiliser du caoutchouc recyclé pour produire des pneumatiques neufs, les vend aux industriels du ciment pour remplacer les besoins en charbon.
Les quelques exemples où des stratégies de territoire d’une écologie industrielle ont tenté d’être mis en place en France ont montré les obstacles qui existaient, qu’ils soient réglementaires (attentes de plusieurs années pour avoir des autorisations) ou économiques avec des réticences liées au partage d’informations entre partenaires industriels potentiels.
Votre rapporteur considère que la transition écologique de notre appareil productif est une source de rebond économique déterminante pour l’avenir. L’État doit engager cette dynamique et favoriser la prise de conscience des entrepreneurs, notamment dans le cadre de la Responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Cela demande une stratégie forte de structuration des filières concernées, de l’écoconception au recyclage, dans lesquelles la France a d’ores et déjà des atouts et des savoirs faire qui convient de développer et de valoriser.
Source de compétitivité pour nos entreprises et notre pays, il s’agit de développer une économie de la sobriété choisie : nous devons ainsi passer d’une culture de la rédemption en matière de développement durable à une dynamique portée par la conviction de l’intérêt économique que sous-tend ce nouveau paradigme de croissance.
4. Le nécessaire effort de recherche
Pour réaliser des progrès décisifs, l’innovation est fondamentale dans le verdissement de l’économie, car il faut briser la dépendance à l’égard des manières de faire établies. Or, nombre de coûts environnementaux induits par certaines activités ne sont pas répertoriés dans le prix du produit, mais reportés sur la collectivité. Il convient d’internaliser ces coûts afin de responsabiliser les consommateurs comme les producteurs. De plus, certaines technologies nouvelles peuvent avoir des difficultés à trouver un avantage compétitif par rapport à celles qui existent déjà. L’évolution inéluctable des coûts des matières premières qui, à ce moment, inversera sans doute ce rapport donnera en outre une avance considérable en termes de compétitivité à ceux qui auront su l’anticiper.
Le verdissement de la croissance impose en outre de mettre en place des infrastructures de réseau adaptées aux technologies de nouvelles générations, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des transports, de l’eau, et des communications.
De plus, un État stratège en la matière pourrait engager notre pays dans quelques secteurs d’avenir avec des projets structurants. On pourrait citer comme exemple le secteur du vivant avec l’industrie pharmaceutique, la microtechnique et la microtechnologie, une industrie mécanique à faible consommation d’énergie carbonée, l’économie du numérique pour l’audiovisuel et la culture.
La faible capacité montrée par les pays européens à coordonner leurs efforts et bénéficier des complémentarités entre leurs politiques de recherche et développement est à déplorer, malgré la stratégie « Europe 2020 » qui affiche l’ambition de promouvoir une économie « plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive ». Il est urgent d’envisager la mise en place d’une véritable filière européenne des industries vertes.
Comme on le voit, la compétitivité, l’évolution des coûts de production dépendent avant tout du retour de l’industrie dans notre vision collective d’un modèle économique national. Si une économie compétitive ne peut s’exonérer d’une réflexion sur une maîtrise raisonnée des coûts salariaux, notre avenir s’écrit avant tout en termes de recherche et d’innovation, de structuration de filières industrielles alliant la force des grandes entreprises et la souplesse de PME et d’ETI performants. C’est une réforme de l’État faisant de cet acteur incontournable un facilitateur économique porté par une vision de long terme et des choix structurants.
Notre avenir économique, c’est aussi un dialogue social innovant permettant un rapport gagnant/gagnant entre entrepreneurs et salariés, refusant la précarité et la concurrence stérile. C’est reconnaître l’apport que tous les citoyens peuvent amener à notre pays en luttant contre toutes les formes de discrimination qui nous privent de talents et de compétences. C’est encore une qualité de vie mêlant des systèmes d’éducation, de santé, de transports et de logement répondant efficacement aux besoins de tous et au meilleur coût. C’est aussi un système de protection sociale qui ne freine pas l’emploi.
Notre avenir, c’est une adaptation précoce aux évolutions en cours en étant l’exemple d’un mix énergétique soutenable et performant, d’une économie verte et en réseau nous donnant l’avantage compétitif du lendemain déjà si proche. Notre avenir, c’est aussi une Europe enfin réorientée au service du développement partagé. Notre avenir, c’est enfin penser notre développement en lien avec celui du continent africain – chacun pouvant être le levier de la croissance économique de l’autre -, en s’appuyant notamment sur la francophonie qui est aussi un atout économique à préserver.
Demain est donc bien un présent à mettre en ordre, un avenir à permettre.
La commission a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 27 mars 2013.
M. Bernard Accoyer, président. Nous allons examiner, ce matin, le rapport et les propositions qui résultent du travail de notre collègue Daniel Goldberg, au moment où notre pays connaît une situation économique et sociale d’une extrême gravité, en tout cas jamais connue de longue date. Je pense évidemment aux destructions d’emplois qui génèrent tant de drames humains. Avant que nous en débâtions, je tiens à souligner, à titre personnel, qu’une crise d’une telle gravité nous appelle à transcender nos clivages face à des problèmes d’une considérable portée. La question de la compétitivité de notre économie est bien réelle et, en conséquence, le sérieux des travaux que nous avons conduits exige que nous exprimions de la façon la plus collective possible des propositions précises.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je tiens tout d’abord à souligner l’excellent état d’esprit qui a présidé aux quelque 39 heures d’audition que nous avons menées dans le cadre de cette mission d’information. J’ajoute que nous avons tenu une réunion sur le plan du rapport qui a permis d’échanger à ce sujet.
Je partage tout à fait le sentiment quant à la gravité de la situation que vient d’exprimer le Président de la mission, c’est d’ailleurs pourquoi j’ai fait figurer en exergue du rapport la citation d’Antoine de Saint Exupéry : « L'avenir n'est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n'as point à le prévoir mais à le permettre ».
Le rapport fait le constat du décrochage économique de notre pays et tente d’identifier les moyens d’un redressement. Il se veut le plus factuel possible et a l’ambition de reprendre l’ensemble des points de vue qui ont été exprimés à l’occasion des travaux de la mission. La première partie pose le constat du « décrochage » et analyse les différentes composantes des coûts de production. Sont ainsi présentés le prix du travail, les coûts de l’énergie, de la logistique ou encore de l’immobilier et le logement dont Louis Gallois a récemment regretté de ne pas lui avoir consacré un développement dans son rapport. Les charges liées au logement constituent en effet une part très significative des dépenses contraintes des ménages. Au-delà, le rapport dresse le constat de la dégradation de la situation financière des entreprises et par conséquent du déficit d’investissements, par exemple en matière de robotisation, et de moyens consacrés à la recherche privée. Ainsi s’est créé un cercle vicieux de la compétitivité qui mêle aussi bien les aspects « coût » que « hors coût » pour aboutir à l’image du « sandwich » décrite par M. Patrick Artus.
La deuxième partie du rapport décrit un certain nombre de phénomènes tels que la désindustrialisation, une production trop centrée sur le moyen de gamme, un réel déficit d’innovation sans oublier les délocalisations, qui indiquent que la France s’est assoupie face à la nouvelle donne de l’économie mondialisée. Pour ne pas être « la Belle endormie », le rapport détaille les tendances à suivre et à amplifier que sont la colocalisation, la création de la valeur ajoutée d’un produit sur notre territoire comme l’a fait l’Allemagne avec les pays de l’Est. Il pointe également le fait que la réglementation européenne fait souvent obstacle à la mise en place des projets de grande ampleur permettant de disposer de la taille critique sur les différents marchés.
Enfin la troisième partie correspond à une série d’orientations, elles-mêmes déclinées en propositions, afin de réorganiser la production de biens et de services dans le sens d’une plus grande efficacité. Il en va ainsi de l’orientation que j’ai finalement choisie de placer en tête et qui concerne la mise en œuvre d’un véritable État-stratège en faveur d’une politique industrielle innovante. La création dans le cadre du futur Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), d’une commission pour l’innovation économique et la compétitivité (CIEC), spécifique et permanente et à laquelle le Parlement sera associé, va dans le même sens. Il convient également, à mes yeux, de favoriser la montée en gamme de notre industrie par l’innovation et la robotisation et de populariser le « Fabriqué en France » comme synonyme de qualité et d’envisager l’extension des Indications géographiques protégées (IGP) aux produits manufacturés.
Il est également important, et c’est l’orientation n°4 que je propose, que l’État se dote des capacités d’anticiper en matière d’aménagement aussi bien sur le plan de la logistique que des transports. Cette capacité à l’anticipation est particulièrement nécessaire dans la situation de baisse des dépenses publiques que nous connaissons. Il apparaît également nécessaire de fusionner certains pôles de compétitivité pour renforcer leur efficacité et de conforter le développement économique des PME par les pôles existants. Il convient de sanctuariser le crédit impôt recherche (CIR) jusqu’en 2017, tout en engageant son évaluation d’ici 2015 pour mesurer ses effets réels sur l’économie et envisager pour la suite un CIR renforcé en faveur des PME.
L’amélioration de la compétitivité de l’économie française repose pour une large part sur les PME et les ETI. Cela passe par un accès facilité au crédit, la réforme de l’assurance-vie, la création d’une bourse dédiée et la représentation des PME au conseil d’administration de la Banque publique d’investissement. Dans le même sens, le rapport propose d’adopter un small business act français afin de regrouper l’ensemble des mesures visant à stimuler l’activité des PME, d’améliorer la législation sur les transmissions d’entreprises et de lutter contre le rachat d’entreprises par les donneurs d’ordre dans le but de favoriser l’apparition de nouvelles ETI. Dans le même ordre d’idée, les relations interentreprises doivent être améliorées et la gouvernance des entreprises doit valoriser comme facteurs accrus de compétitivité la diversité de la société française et les parcours non conventionnels.
Le rapport formule, en outre, des propositions très concrètes en matière de marchés publics, en faisant évoluer la rédaction de l’article 53 du code afin de prendre en compte les performances des offres en matière de protection de l'environnement sur la base de leur empreinte carbone et en demandant aussi la publication d’un guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics. Il convient également de favoriser l’investissement des entreprises en matière de définition des normes-produit, de renforcer la réglementation sociale à l’échelon européen, d’appliquer le droit de l’État membre quand des travailleurs détachés y effectuent une prestation et d’instaurer un plancher européen pour les salaires minimum nationaux dits « de récolte » en vigueur pour les contrats courts applicables aux activités agricoles et de transformation agroalimentaires.
Selon moi il est absolument nécessaire de relancer la construction massive de logements socialement accessibles au plus grand nombre et la rénovation du parc existant afin de réduire la part trop lourde des dépenses contraintes dans le budget des ménages, car cela handicape aussi notre compétitivité. On peut également réfléchir à une modification du seuil du CICE en déclarant éligibles, sous une forme à définir, les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC qui sont plus nombreux dans l’industrie. La question du financement de la protection sociale, qui va faire l’objet de débats au sein du Haut conseil, n’est pas oubliée puisque le rapport préconise de différencier ce qui relève de l’assurance mutualisée d’un côté et de la solidarité nationale de l’autre. Les questions de la formation, initiale ou continue, font également l’objet de propositions. Il faut, tout d’abord, des mesures concrètes pour favoriser l’apprentissage, il faut également que le débat à venir autour de la formation professionnelle permette d’améliorer un dispositif à la fois coûteux, quelque 40 milliards d’euros par an, et qui échoue dans sa fonction puisque les salariés les moins qualifiés sont ceux qui en bénéficie le moins.
L’échelon européen n’est pas oublié, il faut notamment permettre l’émergence de champions communautaires susceptibles de rivaliser avec leurs concurrents internationaux, en assouplissant si besoin les règles internes de la concurrence. Il n’est pas certains que des groupes comme Airbus ou EADS pourraient voir le jour dans les conditions réglementaires actuelles ! Ainsi, il est nécessaire de les assouplir, de les réviser, pour développer une véritable industrie européenne. J’ajoute qu’il est tout autant nécessaire de lutter contre les dérives de l’optimisation fiscale de certains grands groupes.
À l’international, j’ai déjà dit que l’exemple de la collaboration entre l’Allemagne et ses voisins d’Europe de l’Est est intéressant et que nous devons nous en inspirer. J’invite donc à parier sur la colocalisation pour mener une nouvelle stratégie de croissance réciproque avec le continent africain et notamment le pourtour méditerranéen. Enfin, c’est l’évolution même du modèle de croissance qu’il nous revient de mieux prendre en compte et faire de la transition écologique une source de rebond économique. Il faut optimiser l’efficacité énergétique des réseaux existants en utilisant les technologies informatiques, les smart grids, pour améliorer la maîtrise de la production, de la distribution et de la consommation. J’ajoute qu’il faut aider les industries électro-intensives, mais aussi réfléchir à l’écologie industrielle qui passe par l’écoconception ou l’industrie du recyclage.
En conclusion, c’est bien parce que nous sommes face aux difficultés qu’il convient de se doter d’une stratégie ambitieuse et offensive afin de susciter le rebond de notre économie.
M. Laurent Furst. Je regrette que des délais de distribution trop courts ne m’aient pas permis de prendre connaissance du rapport avant cette réunion. La présentation du rapporteur contient des éléments intéressants, mais il est particulièrement regrettable que la logique qui vient d’être saluée à propos des auditions et du travail des membres de la mission n’ait pas été menée à son terme, ce qui aboutit à une sorte de « crash » du rapport.
Celui-ci ne traite pas véritablement de la problématique fondamentale, à savoir les coûts de production. Les orientations proposées ne vont pas au cœur du sujet. Celui-ci concerne les comparaisons relatives au partage de la valeur ajoutée entre la France et l’Allemagne ; les prélèvements fiscaux et sociaux réduisent le taux de marge des entreprises françaises. Il est historiquement faible dans notre pays et atteint aujourd’hui son plus bas niveau.. Le rapport est à côté du problème car il ne précise pas comment faire remonter le taux de marge.
M. Olivier Carré. Je déplore de ne retrouver que partiellement dans les orientations du rapporteur les analyses ou encore les propositions des personnalités auditionnées. .Il y a ainsi une différence entre ce qui nous a été dit et ce que nous entendons, du moins à la lecture du rapport. Le tiers des 25 premières recommandations du rapporteur aurait même pour effet d’augmenter les coûts de production, ce qui est grave pour la compétitivité des entreprises : par exemple, certaines d’entre elles entraîneraient un accroissement des normes. Les propositions relatives à la croissance sobre font fi de la transition énergétique en cours aux États-Unis qui augmente la compétitivité de cette grande économie, comme l’a souligné devant la mission M. Patrick Artus. Il n’est pas non plus mentionné que le taux de productivité élevé de l’économie française s’explique par le fait que ne sont employés que les salariés les plus employables, comme l’a notamment rappelé M. Pierre Cahuc, alors que les jeunes de moins de 25 ans sont laissés sur le côté de la route. Il n’est d’ailleurs pas indiqué que le niveau du SMIC pourrait être un obstacle à l’entrée des jeunes sur le marché du travail. À mon sens, il aurait fallu diminuer les a priori pour parvenir à une lecture nouvelle des problèmes de l’économie française. Il y avait plus de pistes à explorer, certes plus dérangeantes, pour tous les partis, d’ailleurs. Le rôle des parlementaires est de tirer des conclusions à partir des analyses qu’ils ont entendues, afin d’en tirer de nouveaux axes.
Mme Marie-Anne Chapdeleine. Je tiens à remercier le rapporteur M. Daniel Goldberg d’avoir permis d’aborder en profondeur la question des coûts de production en dépassant la problématique habituelle du poids des cotisations dans les salaires. La mission qui s’achève révèle un problème principal : la difficulté, en l’état actuel des choses, de formuler un diagnostic global sur la compétitivité de l’économie française et de ses entreprises, et plus encore, celle de proposer un remède miraculeux et immédiat à leurs difficultés. Gagner en compétitivité n’est plus ni moins que de déterminer la meilleure manière d’apporter de la valeur ajoutée, c’est-à-dire de travailler en particulier sur la compétitivité hors coût.
Au-delà des gains de productivité et des questions de compétitivité, on ne peut faire l’économie d’une réflexion et d’une action sur le pilotage stratégique des politiques industrielles, sur le renforcement des régions comme échelon décisif donc favorable à la cohérence d’une politique d’accompagnement des entreprises. De même, le travail de lisibilité des dispositifs de soutien à l’innovation et des processus de réglementation est une nécessité pour renforcer la réactivité des acteurs de notre économie.
Si l’on ajoute à cela le maintien d’un haut niveau de protection sociale, l’augmentation de la qualité de nos infrastructures, l’espace francophone encore si peu mis en valeur et la perspective d’un cadre européen harmonisant la fiscalité des entreprises, l’économie française peut être compétitive sans l’être au détriment des salariés.
Les propos tenus lors des nombreuses auditions me confortent dans l’opinion qu’il s’agit d’une condition fondamentale du développement de notre modèle économique et social. Il n’y a pas d’incompatibilité entre sécurisation des entreprises d’une part et des salariés de l’autre, comme le montre le récent Accord national interprofessionnel (ANI). Les orientations proposées vont en ce sens, à charge à nous et aux partenaires sociaux de les porter.
Mme Jeanine Dubié. Je tiens à souligner que la notion de « fabriqué en France » sera abordée dans le projet de loi sur la consommation dont le Parlement aura bientôt à connaître. Par ailleurs, on évoque l’accueil des talents étrangers, c’est bien mais encore faudrait-il garder les nôtres !
M. Laurent Grandguillaume. Les débats ont été très intéressants et je salue le travail collectif de la mission. Le rapport fait le point sur tous les éléments des coûts de production et propose une analyse objective ainsi qu’une grille de réflexion nouvelle à mettre en œuvre pour conduire le redressement économique de notre pays. Il met en valeur le travail parlementaire.
M. Olivier Véran. Au terme de travaux ayant duré plusieurs mois, ce rapport, très attendu, est à la hauteur des espoirs portés par l’intitulé de la mission. Il tient compte des particularismes de chaque grande catégorie productive, industrie et services. Il ne se borne pas à analyser la compétitivité « coûts », mais aborde aussi les problèmes liés à la formation, à l’innovation, à la recherche. Avant-hier, dans ma circonscription, j’ai présenté à 40 chefs d’entreprises la politique du gouvernement avec le Pacte national de compétitivité, le contrat de génération, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la Banque publique d’investissement ; s’y ajoutera désormais un nouvel arsenal avec les propositions de ce rapport : le renforcement de l’efficacité des pôles de compétitivité, le transfert du pilotage en régions, la montée en gamme des produits français, la promotion des filières industrielles. Je voterai ce rapport avec enthousiasme.
M. Claude Sturni. Je ne découvre que ce matin le rapport et je suis effectivement déçu. Je suis en revanche d’accord avec la suggestion du rapporteur pour changer l’ordre des orientations, car il faut changer notre regard sur l’économie de la France et la considérer comme un pays où les industries ont de l’avenir. L’orientation « pour un nouvel État stratège d’une politique industrielle innovante » me pose problème dans la mesure où il ne faut pas négliger ni décourager les entreprises qui n’appartiennent pas aux filières d’avenir mais qui se battent jour après jour. L’orientation « pour un État mobilisateur du développement économique et de l’emploi en France » me convient mieux. Il ne faut pas laisser à penser qu’il existe de bonnes industries et de moins bonnes. S’il est possible de compléter le rapport, je suis prêt à faire des propositions.
M. Jean-Charles Taugourdeau. Je suis tout autant déçu par le rapport. Les conclusions ne reflètent pas la diversité des analyses des auditions. Parmi les coûts de production, il aurait fallu insister sur les normes, comme le Président de la République l’a rappelé à Dijon, en particulier sur les normes dites environnementales. Le temps, c’est de l’argent : il convient donc de réduire les délais administratifs, comme l’a également souhaité le Président de la République.
C’est l’activité privée qui crée la richesse. Elle finance donc tout en France, même les dépenses de solidarité ; il est donc impératif de revoir le fonctionnement de l’État : chaque emploi au sein de l’État doit apporter de la valeur ajoutée, en termes financiers ou d’amélioration des services. Il est urgent de ne pas alourdir le fonctionnement de l’État : la création de 60 000 postes ne se justifie pas.
M. Jean Grellier. Je salue le travail de la mission. La comparaison avec la mission de la précédente législature à laquelle vous faisiez allusion, M. le Président, montre que nos débats restent les mêmes. Il faut jouer sur plusieurs leviers en même temps : il est donc nécessaire de définir une chronologie pour « prioriser » la mise en œuvre des orientations. Les comités stratégiques de filières devraient avoir un rôle déterminant. En ce qui concerne les pôles de compétitivité, quand faudra-t-il agir pour les restructurer et donner la priorité aux PME ?
M. Christophe Borgel. Je crois qu’il faut chercher à dépasser les débats partisans. Par exemple, des choix devront être faits concernant la transition énergétique. Ils peuvent avoir un impact sur les coûts de production, mais l’enjeu est tel que des choix de cette nature doivent pouvoir être assumés politiquement. Autrement dit, le débat sur les coûts de production n’empêche pas les choix politiques.
Je voudrais insister sur trois points, qui me paraissent d’une importance majeure.
Tout d’abord, l’accent mis sur l’innovation et les secteurs d’avenir ne doit pas nous interdire d’accompagner les secteurs moins innovants et souvent en plus grande difficulté du fait de leur retard en termes de montée en gamme.
Ensuite, concernant les pôles de compétitivité, je soutiens les propositions du rapporteur visant à mieux distinguer ceux d’entre eux qui ont une vocation mondiale et européenne et ceux à vocation plutôt régionale.
Enfin, s’agissant des PME, on ne peut nier qu’il existe en France, contrairement à l’Allemagne, un problème de fond entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Les responsables « achats » des grands groupes, parfois contre l’idée de leurs collègues de la fabrication, recherchent systématiquement à opérer sur les sous-traitants des économies de « bout de ficelle » qui ne devraient pas être. À ce problème, s’ajoutent les difficultés à faire passer les PME dans la catégorie des ETI. Faute de quoi, beaucoup de PME, dans l’impossibilité de se développer, sont souvent rachetées par leurs donneurs d’ordre. Il faut donc tout faire pour favoriser l’émergence d’ETI en France.
En conclusion, le rapport examiné ce matin est un travail à la fois sérieux et solide. Il apporte des réponses concrètes aux difficultés que nous rencontrons.
M. Thierry Mandon. Ce rapport s’inscrit dans des réflexions entamées de longue date par l’Assemblée nationale, afin que les parlementaires partagent un même diagnostic sur les coûts de production en France. Pour que la Nation relève la tête, il est indispensable que ce diagnostic soit fait de façon collective et donc qu’il soit partagé par les différents groupes de notre assemblée.
Les travaux réalisés sur ce thème sous la précédente législature n’ont pu être approuvés et publiés. Le présent rapport est donc l’occasion d’établir ce diagnostic et d’affirmer qu’il existe bel et bien un problème de coût de production en France. Toutefois, nos difficultés actuelles ne se résument évidemment pas à ce seul problème. L’issue réside dans la promotion de l’innovation qui doit innerver toute décision politique et dans un changement culturel de nos rapports vis-à-vis de la croissance et de l’entrepreneuriat.
Le rapport de la mission constitue précisément un socle minimum sur lequel les parlementaires peuvent se retrouver pour établir un diagnostic que personnellement je vous invite à partager.
Les orientations présentées par le rapporteur sont de nature diverses. Elles sont, pour certaines, des vœux de long terme, c’est effectivement le cas de la plupart des propositions à destination de l’Union européenne, mais elles représentent aussi des choix opérationnels concrets qui portent sur le tissu industriel, soit même des propositions susceptibles de nourrir des travaux en cours.
Pour ma part, je vous proposerai de les amender sur un seul point : au nom de la stabilité du cadre juridique et notamment fiscal, les parlementaires ne pourraient-ils pas s’appliquer une autodiscipline afin d’éviter tout amendement qui aboutirait à rendre toujours plus complexe notre droit ? Dans certains États, comme aux Pays-Bas, il existe des systèmes de filtrage préalable qui analysent les conséquences de tel ou tel amendement.
M. Jean-René Marsac. Je souhaite souligner la qualité du rapport, pour sa rigueur et la façon dont il rend compte des opinions parfois contradictoires des uns et des autres. Les intervenants auprès de la mission d’information sont entrés dans des débats qui allaient bien au-delà des seuls coûts de production : en cela, le rapport reflète bien la diversité et la pertinence des personnalités auditionnées.
Pour ma part, je souhaiterais mettre en exergue quatre points.
Il convient tout d’abord d’ouvrir un débat, que lance d’ailleurs le rapport, sur la question des cotisations sociales et du financement de notre système de protection sociale. Son poids est tel que les entreprises de main-d’œuvre se sentent pénalisées.
Par ailleurs, il convient de poursuivre les efforts pour l’accès individuel à la formation. C’est une condition indispensable pour assurer la mobilité professionnelle et pouvoir passer d’une filière à une autre.
Ensuite, la question des marchés publics a été longuement abordée par les chefs d’entreprise auditionnés. Il s’agissait donc d’apporter des réponses concrètes aux problèmes soulevés. À ce titre, la proposition avancée par le rapporteur d’utiliser l’empreinte carbone comme critère d’attribution d’un marché me semble excellente, en ce qu’elle permet de favoriser les entreprises de proximité.
Enfin, le rapport devrait donner un mode opératoire quant aux suites qui lui seront données, sachant que chaque orientation nécessiterait sans doute, à elle seule, un travail approfondi.
M. Éric Alauzet. Je vais formuler six observations.
En premier lieu, la fiscalité écologique peut être un élément décisif pour alléger le coût du travail. Des travaux sont actuellement en cours pour renforcer la contribution des énergies fossiles. Je tiens d’ailleurs à rappeler que le financement du CICE repose, pour un tiers, sur la fiscalité écologique. Celle-ci est une piste susceptible de permettre aux entreprises françaises de gagner en compétitivité.
En second lieu, les propositions relatives à l’harmonisation fiscale en Europe mériteraient, à elles seules, un chapitre dans le rapport, au regard de l’importance des enjeux.
En troisième lieu, les propositions portant sur l’économie verte et en réseaux devraient, selon moi, se situer au même niveau hiérarchique que celles consacrées à l’État-stratège. Elles ont en effet vocation à innerver l’ensemble de notre économie.
Quatrième point concernant les coûts du logement : je souhaiterais évoquer les coûts d’usage du logement et notamment des charges locatives qui forment un second loyer et qui pèsent lourdement sur les ménages. Il faut d’urgence mener une politique de rénovation thermique.
Cinquième point : s’agissant du CICE, avant toute modification de la cible actuelle, il convient de mesurer l’impact de la mesure sur l’emploi. Au vu de cette première évaluation, il conviendra – et seulement alors – de mesurer l’impact que pourrait avoir toute modification portant sur le niveau des salaires compris dans le système du CICE.
Sixième point : l’utilisation que font les États-Unis du gaz de schiste est tout sauf une transition énergétique, laquelle consiste à fonder le développement économique sur les énergies décarbonnées.
M. Bernard Accoyer, président. Comment ne pourrions-nous pas être d’accord pour dépasser certains clivages partisans, alors que, chaque jour, notre pays compte 1000 chômeurs de plus. L’urgence de la situation appelle des propositions les plus opérationnelles possibles. Si c’est effectivement ce qui fait défaut à ce rapport, je crois nécessaire de poursuivre la réflexion en trouvant un moyen de prolonger notre travail sur les coûts de production et sur la compétitivité de notre économie. Je vais voir avec le Président de l’Assemblée nationale comment pourrait-on mettre en place un cadre propice à ce travail nécessairement collectif et afin qu’il soit en rapport avec la gravité des sujets qu’il nous revient d’analyser encore plus profondément.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je dois dire que si aux yeux de certains membres de la mission le seul moyen d’améliorer la compétitivité de nos entreprises consiste à baisser les coûts, nous ne serons pas à la hauteur du défi qui est devant nous. C’est parce que les enjeux sont complexes que j’ai voulu faire un état des lieux le plus complet possible, une sorte de socle commun qui puisse nous rassembler. Je n’ai d’ailleurs pas mentionné le CICE car selon moi ce rapport ne doit pas être un catalogue des mesures prises par le Gouvernement pour améliorer la situation de notre économie. Je ne conteste pas par ailleurs le fait que les cotisations sociales représentent un poids important pour les entreprises. Ce sujet est abordé dans une des orientations proposées dans le rapport et il s’agit selon moi d’un sujet majeur.
Cela étant, il me semble que les questions de formation, initiale et professionnelle, sont essentielles. Il faut former des salariés par l’apprentissage et pas seulement les salariés les moins qualifiés. Là encore nous pouvons prendre exemple avec ce qui se passe en Allemagne où l’accès aux fonctions les plus élevées dans l’entreprise peut se faire via l’apprentissage. En ce qui concerne la formation professionnelle, il est clair que les milliards d’euros qui lui sont consacrés ne le sont pas de manière efficace, c’est pourquoi je plaide pour la construction d’un cadre de certification des actions de formation afin d’atteindre les publics les moins mobiles professionnellement. J’indique à cette occasion que je préfère parler de « mobilité protégée » plutôt que de « flexi-sécurité ».
En ce qui concerne les différentes industries, pour moi les industries d’avenir ne se résument pas aux industries du futur. Il est tout à fait possible de construire des filières industrielles d’avenir à partir des industries présentes, à condition toutefois de se tourner vers l’innovation, la qualité et l’internationalisation. Il me semble par exemple que l’industrie automobile peut constituer une industrie d’avenir, à condition de ne pas louper son internationalisation comme cela a été le cas pour PSA.
Je suis tout à fait d’accord avec l’idée de plusieurs intervenants de faire agir différents leviers et d’établir un ordre de priorité entre les propositions qui ne peuvent toutes, à l’évidence, être mises en œuvre dans le court terme. Je crois qu’avec les sujets de la réforme de la commande publique ou les délais de paiement nous sommes bien dans la problématique des coûts de production. Il en va de même pour les mesures de nature à faciliter le rebond des PME et éviter qu’elles soient phagocytées par leurs donneurs d’ordre.
Je pense également que la stabilité des règles est nécessaire et que l’évaluation est également fondamentale. La commission permanente pour l’innovation économique et la compétitivité constitue une structure qui pourra aider les parlementaires face à des choix ayant un impact économique. Je n’ai pas mentionné à cet égard le « test PME » qui existe d’ores et déjà.
Je peux évidemment comprendre que certains membres de la mission éprouvent une certaine déception mais j’ai tenté pour ma part de répondre aux préoccupations qui sont ressorties des auditions. Il n’est pas contestable que les délais d’examen du rapport n’ont pas permis à chacun de faire valoir ses propositions C’est pourquoi je vous propose de faire figurer dans le rapport les commentaires et autres propositions que vous souhaitez. Je conclus en vous indiquant que j’ai favorablement répondu du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) qui souhaitait organiser à l’Assemblée nationale la remise de ses labels « Productivez ! ». Cette manifestation se tiendra le 10 avril prochain à 18h dans la salle Colbert, vous y êtes bien entendu conviés.
Au terme de ces échanges, la mission d’information a adopté le rapport et les propositions présentés par le rapporteur, autorisant ainsi leur publication. Les membres de la mission appartenant aux groupes UMP et UDI ont voté contre.
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UMP
Les députés du groupe UMP ayant participé à cette mission ont souhaité apporter une contribution au rapport afin de préciser leur position.
Ils rappellent que les travaux de la mission se sont déroulés de manière sérieuse et sereine, voire cordiale, avec l’ensemble des députés membres de la mission, en particulier avec le Rapporteur.
Si les constats révélés lors des auditions sont partagés, les députés UMP ne sont pas en phase avec les propositions émises.
Le coût du travail horaire en France est le 2ème de la zone Euro (348). Il a depuis 12 ans augmenté plus vite que les gains de productivité. La compétitivité coût et la compétitivité hors coût ne font qu’un. En effet, le coût du travail en France a réduit pour la plupart des PME les marges, au point qu’elles survivent souvent difficilement, sans les moyens de développer la R&D, ni l’amélioration de gamme et les innovations. Autrement dit, les PME françaises offrent des produits trop chers par rapport à leur niveau de gamme et perdent des parts de marché, ce qui explique la baisse de nos exportations.
Les propositions, pour nombre d’entre elles, ne sont pas dans le champ de la mission, qui ciblait précisément les coûts de production, ou ne reflètent pas les suggestions émises lors des auditions. Agir sur les coûts de production doit permettre incontestablement de donner de l’oxygène aux entreprises dont les marges sont laminées par le poids des charges, de renforcer le marché du travail dont le cadre est trop rigide, et donc de garantir l’emploi. Tels sont les objectifs prioritaires et urgents qu’il convient de ne pas perdre de vue.
Certes, les vingt-cinq orientations dégagées sont, pour la plupart, sérieuses et s’inscrivent d’ailleurs souvent dans la continuité du rapport de Louis Gallois, « Pacte pour la compétitivité de l’économie française », remis le 5 novembre 2012 au Premier ministre, mais elles ne visent pas directement les coûts de production. Ainsi, si la baisse des dépenses contraintes des ménages (orientation n°2) est un objectif partagé par les députés UMP, car il est essentiel d’agir sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens, cette orientation est hors du champ d’application de la mission. De même, affirmer que l’Etat doit être stratège d’une politique industrielle innovante en dégageant une vision à long terme de l’industrie française (orientation n°7) ou anticipateur en matière d’aménagement (orientation n°10) n’apportent rien à la question précise des coûts de production. L’enjeu réel de la mission, sur lequel étaient d’accord les députés UMP, est donc perdu de vue. Pire, plusieurs de ces propositions se traduiraient par un surenchérissement des coûts directs ou indirects (augmentation des normes et durcissement réglementaire) alors que les entreprises et les économistes auditionnés sont unanimes pour recommander de les alléger.
Alors que la gravité de la situation économique et de l’emploi impose de prendre des mesures concrètes et significatives, les députés UMP regrettent que ces orientations soient trop générales et éloignées des recommandations des personnes auditionnées. Elles ne permettent pas d’apporter de solutions immédiates et rapides au redressement de notre économie.
Réduire les coûts de production en France, les plus élevés de la zone euro, pour impulser de l’énergie au sein de notre économie et du marché de l’emploi, c’est améliorer la situation des entreprises, c’est se donner les moyens d’une économie compétitive. Cette mission aurait pu être l’occasion de procéder, sans tabou et avec courage, à des propositions nouvelles comme sur le temps de travail, la situation du marché du travail des jeunes, la simplification des normes, la suppression des seuils sociaux, ou encore sur le juste niveau du financement de la protection sociale par les entreprises. Seul un constat dépassionné donnerait ainsi les moyens de créer le choc de compétitivité attendu depuis la restitution du rapport Gallois.
Il n’est pas ici question de refaire le travail de la mission, mais il nous a paru essentiel de préciser notre vision et de regretter que ce long et intéressant travail n’ait finalement pas permis de déboucher sur des propositions adaptées à l’urgence de la situation.
Il convient avec la volonté de dépasser les idéologies de poursuivre le travail afin que l’Assemblée nationale apporte sa contribution à la lutte indispensable contre le décrochage économique de la France.
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UDI
Depuis plusieurs années, nos entreprises françaises font face à de nombreuses difficultés dans un contexte de compétition internationale toujours plus accrue. Le constat de leur déficit de compétitivité semble faire consensus au-delà des clivages politiques traditionnels puisqu’il a conduit l’Assemblée nationale à créer une mission d’information sur les coûts de production.
La crise économique de 2008 n’a fait qu’accentuer les écarts de compétitivité de la France vis-à-vis de ses partenaires commerciaux. La mise en place de cette mission d’information et sa réussite semblaient donc primordiales pour réorienter les politiques économiques françaises et mieux cerner les attentes entreprises et des entrepreneurs français vis-à-vis de nos politiques publiques.
Nous partageons certaines propositions du rapporteur, notamment en ce qui concerne la promotion des cursus technologiques et d’apprentissage, insuffisamment valorisés en France alors même qu’ils offrent de réelles perspectives d’avenir et de professionnalisation pour les futurs actifs de demain ;la convergence des salaires européens, notamment dans le milieu agricole, comme le demande depuis plusieurs années le groupe centriste à travers le dépôts de nombreuses propositions de loi ; la mise en place d’une IGP (Indication Géographique Protégée) sur les produits manufacturés issus du savoir-faire français qui permettrait une véritable reconnaissance du patrimoine industriel français et la création d’un label qualité qui valorisera nos entreprises sur les marchés internationaux…
Cependant, le rapport de la mission d’information ne répond pas, selon nous, à toutes les problématiques évoquées pendant les différents cycles d’auditions par les intervenants des milieux professionnels et syndicaux.
Sur la question de la formation, nous appelons le Gouvernement, en lien avec les régions et les partenaires sociaux, à mettre en œuvre un véritable plan de formation qui constitue à nos yeux, l’axe fondamental pour relancer notre économie et permettre l’adaptation du marché du travail à la réalité de la situation de l’emploi : réforme de la gouvernance de la formation professionnelle, réorientation des moyens vers les personnes les plus éloignées de l’emploi et plan massif d’apprentissage à destination de nos jeunes nous semblent constituer un triptyque indispensable au succès de ce plan que nous appelons de nos vœux.
La sécurisation et la diversification des parcours professionnels constituent également des notions qu’il convient de valoriser compte-tenu des évolutions récentes des marchés de l’emploi. Le décloisonnement des branches professionnelles mais aussi, du secteur public et du secteur privé à travers la facilitation des passerelles entre deux mondes qui se connaissent peu, contribuerait à « dérigidifier » notre économie, et à apporter des perspectives professionnelles diverses, tant aux agents publics qu’aux salariés du privé.
Nous regrettons que le rapport n’aborde pas la question pourtant centrale du temps du travail hebdomadaire à travers une étude comparée des législations sociales de nos principaux partenaires et concurrents économiques. Il aurait pourtant été intéressant de s’appuyer sur les études de l’OCDE qui montrent clairement que la France est l’un des pays où le nombre d’heure travaillé par habitant en 2009 est l’un des plus faibles à l’échelle planétaire (616 heures travaillées par habitant, contre 684 en Allemagne, 768 au Royaume-Uni, 804 aux Etats-Unis et 850 au Japon). Elles montrent également que le temps de travail hebdomadaire a un impact évident sur la création de richesses de l’économie nationale.
Sur ce sujet, la mission aurait pu émettre des pistes de réflexion visant à conférer davantage de souplesse dans l’application du temps de travail, à l’issue d’un dialogue social approfondi et décliné branche par branche, entreprise par entreprise, afin de l’adapter en fonction des spécificités de chaque secteur d’activité,
Par ailleurs, le poids des charges qui pèse sur le travail doit impérativement être allégé, à l’heure où la France détient la 4ème place en Europe et la 2ème place dans la zone euro en termes de coût horaire du travail.
Nous continuons à considérer que le transfert des charges de la production vers la consommation constituait une condition nécessaire au dynamisme économique de notre pays. La taxation des produits en lieu et place de la taxation des outils de production, des charges sociales et donc des salaires, permettrait de toucher aussi bien les productions nationales que les importations étrangères. C’était tout l’esprit de la TVA compétitivité abrogée par le Gouvernement actuel.
En ce sens, les préconisations contenues dans le rapport de M. Louis GALLOIS nous offraient une opportunité quasi historique de tous nous retrouver sur cet impératif économique que représente la baisse des charges pesant sur le travail. Nous restons convaincus qu’une baisse immédiate de ces charges à hauteur de 30 milliards d’euros dès l’année 2013 aurait eu des effets déjà perceptibles sur la compétitivité de nos forces productives.
Nous déplorons donc que, malgré l’explosion du chômage et la situation critique de la compétitivité de la France, le Gouvernement ait préféré attendre 2014 pour aider, timidement, nos entreprises, à hauteur de 10 milliards d’euros, puis 5 milliards d’euros en 2015 et 2016, avec la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mécanisme peu compréhensible qui est loin du « choc de compétitivité » prôné par les chefs d’entreprises du pays.
Autre impératif essentiel à nos yeux, la question des normes qui entravent trop souvent le développement de nos entreprises et compromettent leur compétitivité. Il faut impérativement alléger la surrèglementation française afin de donner les moyens à nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens et internationaux. La simplification administrative dont également aller dans ce sens afin de faciliter l’installation des porteurs de projets qui souhaiteraient investir en France.
Enfin, la question de la compétitivité de nos entreprises ne peut s’aborder hors du cadre européen. Trop souvent présentée comme une menace, nous tenons à réaffirmer ici que l’Europe constitue une chance et une source d’innombrables d’opportunités pour le développement de nos entreprises nationales, Elle restera une chance si elle parvient à se départir de la naïveté dont elle fait trop souvent fait preuve dans ses échanges commerciaux avec le reste du monde.
Le rôle de la France est d’influer sur le destin des entreprises européennes, à travers la mise en place d’un véritable gouvernement économique de la zone euro, capable d’imposer la réciprocité et de justes accords de libre-échange dans le cadre d’un commerce international équitable.
Elle doit continuer d’œuvrer pour une harmonisation des politiques économiques, sociales, fiscales et environnementales qui permettront d’éviter les distorsions de concurrence entre Etat-membres.
Le défi de la compétitivité de nos entreprises constitue le principal défi qui nous est posé en ce début de 21ème siècle. Il ne pourra être relevé que si nos politiques publiques s’inscrivent dans une démarche pragmatique, exemptes de toute vision dogmatique de l’économie et perpétuellement à l’écoute de nos forces productives.
Efficacité économique au service de l’homme, telle a été l’approche privilégiée par l’UDI dans le cadre de cette mission d’information.
Faire le pari de l’industrie, de l’innovation et de la mobilisation
Orientation n° 1 : Pour un nouvel État stratège d’une politique industrielle innovante ● Dégager une vision à long terme de l’industrie française portée par une économie de la connaissance et qui privilégie, en concertation avec les industriels, des filières d’avenir, définies en fonction des avantages comparatifs de la France et des marchés porteurs. On peut citer par exemple : les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les matériaux et transports, les énergies renouvelables, la santé et les bio-sciences. ● Doter les comités stratégiques de filières de moyens d’expertise et renforcer leur gouvernance. ● Réformer le mode de financement actuel des centres techniques industriels (CTI) afin de le sécuriser et de simplifier, dans le but de conforter la compétitivité de l'industrie et l'innovation. |
Orientation n° 2 : Inclure l’innovation économique et la compétitivité à tous les moments de la décision au niveau national ● Créer une Commission pour l’innovation économique et la compétitivité (CIEC), de manière spécifique, permanente et à laquelle le Parlement sera associé, dans le cadre du futur Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Ses objectifs consisteront à : envisager les réponses à apporter pour une reconquête industrielle de la France dans le cadre de l’économie mondialisée, engager une analyse prospective des filières industrielles dans le cadre du nécessaire nouveau modèle de croissance, dégager les stratégies et le niveau d’intervention les plus pertinents pour l’action de l’État, développer les stratégies de colocalisation, analyser objectivement les phénomènes et les flux de délocalisation et de relocalisation, et coordonner les travaux du Conseil national de l’industrie. ● Permettre au Parlement de solliciter le CIEC pour engager à son initiative des études d’impact sur le développement économique concernant des dispositions législatives ou réglementaires, existantes ou à venir. |
Orientation n° 3 : Pour un État mobilisateur du développement économique et de l’emploi en France ● Favoriser la montée en gamme de notre industrie par l’innovation et la robotisation : engagement national massif en faveur de la filière robotique, installation de nouvelles machines ou de nouveaux automatismes dans les entreprises. ● Populariser le « Fabriqué en France » comme synonyme de qualité et envisager l’extension des Indications géographiques protégées (IGP) aux produits manufacturés. ● Faire mesurer aux entreprises le coût d’une possible délocalisation de leur production et les gains estimés d’une relocalisation (qualité, transport, logistique, réactivité). |
Orientation n° 4 : Pour un État de nouveau anticipateur en matière d’aménagement ● Mettre en place un plan logistique national avec des volets ferroviaire, portuaire et fluvial cohérents ; évaluer l’impact économique pour les territoires et les transporteurs de l’éco-taxe poids lourds. ● Favoriser des réseaux performants de transports collectifs de voyageurs pour le déplacement des salariés, le développement des activités de tourisme ainsi que des foires et salons, en lien avec les régions. ● Évaluer le plus en amont possible les conséquences pour les territoires de la diminution de la dépense publique et leurs possibilités de rebond. |
Recherche-Innovation
Orientation n° 5 : Recentrer l’action des pôles de compétitivité ● Fusionner certains pôles de compétitivité pour renforcer leur efficacité, simplifier leur gouvernance et mieux orienter leurs activités vers des retombées économiques accrues ; envisager des évolutions plus souples des périmètres géographiques des pôles. ● Transférer aux régions le pilotage des pôles dont le champ d’action n’est pas d’intérêt national. ● Conforter le développement économique des PME par les pôles existants et les activités de commercialisation, de design et de marketing. |
Orientation n° 6 : Pour une efficacité des aides fiscales à la R&D et au développement économique ● Sanctuariser le Crédit impôt recherche (CIR) jusqu’en 2017, tout en engageant son évaluation d’ici 2015 pour mesurer ses effets réels sur l’économie et envisager pour la suite un CIR renforcé en faveur des PME. ● Clarifier les instructions ministérielles définissant l’assiette éligible au CIR, afin de réduire difficultés d’interprétation de ses modalités. ● Évaluer au bout de deux ans le Crédit d’impôt à l’innovation (CII) créé par la loi de finances pour 2013, afin de préciser son articulation avec le CIR. ● Réorienter la fiscalité des entreprises pour favoriser l’investissement. |
Conforter le rôle économique des PME et les ETI
Orientation n° 7 : Engager les placements financiers au service de l’économie réelle ● Créer un PEA-PME au plafond attractif liant l’exonération fiscale à la durée longue de détention des titres, cela afin d’accroître leurs fonds propres. ● Conférer un avantage fiscal aux contrats des assurances vie en unités de compte, en portant de 8 à 12 ans la durée de détention minimale permettant l’exonération des contrats en euros. ● Mettre en place en 2013 une Bourse PME afin d’adapter à ce type d’entreprise les exigences demandées aux entreprises cotées. ● Permettre la représentation des PME au conseil d’administration de la Banque publique d’investissement afin que celle-ci leur soit particulièrement utile. |
Orientation n° 8 : Appuyer notre redressement industriel sur l’essor des PME et des ETI ● Adopter un small business act français afin de regrouper l’ensemble des mesures visant à stimuler l’activité des PME et tout particulièrement des PME de croissance, et notamment la valorisation de leurs produits auprès des grands groupes pour leur politique d’achats. ● Améliorer la législation sur les transmissions d’entreprises par des allègements fiscaux liés à la durée de conservation de l’entreprise transmise. ● S’engager spécifiquement pour le développement des ETI, en particulier en luttant contre le rachat d’entreprises par les donneurs d’ordre. |
Orientation n° 9 : Pour des relations interentreprises équitables ● Établir dans une loi-cadre les principes devant régir les relations interentreprises, afin de lutter contre des pratiques abusives encore observées notamment entre la grande distribution et ses fournisseurs, de simplifier le droit applicable et de mettre en place une instance spécifique de la médiation des relations inter-entreprises. ● Structurer en filières les entreprises d’un même secteur dans une logique gagnant/gagnant de long terme, notamment par des contrats de filières ainsi qu’un positionnement réciproque en termes de co-traitants pour les donneurs d’ordre et les sous-traitants. ● Réduire les délais de paiement effectifs par des sanctions administratives et des contrôles efficaces, et envisager la réduction des délais légaux, à raison d’un jour par an, voire engager le projet d’une dématérialisation totale des factures. |
Gouvernance et conduite des entreprises
Orientation n° 10 : Faire de notre diversité une force économique ● Valoriser comme facteurs accrus de compétitivité la diversité de la société française et les parcours non-conventionnels, les promouvoir dans les organes de direction des entreprises et la gestion des ressources humaines à tous les niveaux dans le but d’une meilleure approche des marchés, notamment à l’international. ● Renforcer la lutte contre toutes les discriminations à l’embauche et dans le déroulement de carrière par des procédures de ressources humaines évaluées de manière indépendante et obligatoirement décrites dans les réponses aux appels d'offres des marchés publics. |
Orientation n° 11 : Améliorer le dialogue social comme outil ● Assurer une gouvernance plus partenariale des entreprises et une meilleure représentativité des partenaires sociaux : conforter partout le rôle des représentants des salariés, favoriser la participation aux élections professionnelles, prendre en compte le secteur de l'économie sociale et solidaire dans la représentativité des organisations d'employeurs, informer en amont les salariés des choix stratégiques de l'entreprise. |
Pour des régulations utiles à notre économie
Orientation n° 12 : Pour des marchés publics les plus utiles possible ● Soutenir fortement une évolution la directive européenne 2004/18/CE afin de pouvoir tenir compte de normes sociales et environnementales au niveau communautaire, et notamment du cycle de vie du produit. ● Modifier l'article 53 du code des marchés publics afin de prendre en compte les performances des offres en matière de protection de l'environnement sur la base de leur empreinte carbone et engager les pouvoirs adjudicateurs à définir l’objet de leurs marchés publics en liaison explicite avec leur impact environnemental. ● Obtenir que les institutions publiques fassent évoluer la pondération des critères de leur décision finale en rehaussant celui visant à l'insertion professionnelle des personnes en difficulté ; évaluer systématiquement la possibilité d'inscrire les efforts en recherche et développement dans les autres critères justifiés par l'objet du marché. ● Publier un guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics, indiquant aux pouvoirs adjudicateurs comment faire jouer des conditions équitables pour les offres de nos entreprises, dans le cadre du principe de concurrence. ● Déployer une plateforme unique de dépôt des pièces administratives liées aux candidatures afin d’alléger les formalités des PME, cela pour une durée restant à déterminer, en laissant aux pouvoirs adjudicateurs la charge de retirer ces documents ad-hoc, et porter, en cours d’exécution du marché, la périodicité de fourniture de ces pièces de 6 mois à 1 an. ● Évaluer le dispositif en faveur des PME innovantes mis en place dans la LME et engager rapidement l'orientation des achats de l’État vers les entreprises innovantes de croissance. |
Orientation n° 13 : Défendre nos positions dans l’établissement des règles économiques ● Promouvoir un réflexe AFNOR dans les PME et les PMI en les sensibilisant aux gains de temps et de sûreté liés à la connaissance des normes existantes et à la nécessité de s’inscrire le plus tôt possible dans une démarche de normalisation de leurs produits. ● Rompre avec la sur-transposition du droit communautaire par la mise en pratique d’une méthode de transposition « sèche » des directives européennes. |
Salaires et emploi
Orientation n° 14 : Faire converger les salaires et les droits en Europe
● Renforcer l’application du droit de l’État membre où les travailleurs détachés effectuent leur prestation.
● Instaurer un plancher européen pour les salaires minimum nationaux dits « de récolte » en vigueur pour les contrats courts applicables aux activités agricoles et de transformation agroalimentaires. Favoriser un règlement européen sur les conditions d’hébergement des salariés agricoles temporaires sur les exploitations pour interdire les hébergements indignes.
● Encourager l’instauration d’un salaire minimum interprofessionnel en Allemagne, étape indispensable pour une convergence européenne progressive ultérieure.
Orientation n° 15 : Baisser les dépenses contraintes des ménages
● Relancer durablement la construction massive de logements socialement accessibles au plus grand nombre et la rénovation du parc existant afin de réduire la part trop lourde des dépenses contraintes dans le budget des ménages qui handicape notre compétitivité.
● Mobiliser l’ensemble du foncier disponible dans les zones tendues, public comme privé, en facilitant aussi, quand cela est nécessaire, l’immobilier d’entreprise.
Orientation n° 16 : Encourager le travail qualifié et les savoir-faire
● Valoriser les compétences des jeunes et les savoir-faire des seniors afin d’augmenter notre compétitivité globale.
● Envisager une modification du seuil du CICE en déclarant éligibles, sous une forme à définir, les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC, ces niveaux de salaires correspondant à des emplois facteurs de compétitivité.
Orientation n° 17 : Clarifier les ressources de la protection sociale
● Différencier ce qui relève de l’assurance mutualisée d’un côté et de la solidarité nationale de l’autre, et donc ce qui se finance par des cotisations pour la première et par l’impôt pour la seconde, préalable à toute évolution de la structuration des financements.
Formation initiale et continue
Orientation n° 18 : Encourager les formations initiales technologiques et scientifiques ● Encourager l’inscription des bacheliers dans les cursus scientifiques et technologiques, courts et longs, par des campagnes d’information et de sensibilisation positives sur le savoir-faire français, les métiers d’avenir et nos filières dynamiques ; associer les entreprises au positionnement des filières technologiques et professionnelles. ● Renforcer l’accompagnement des candidats à l’apprentissage par des structures de suivi locales et des incitations fermes pour développer des entreprises d’accueil. |
Orientation n° 19 : Réorienter la formation professionnelle et adapter
les actions pour l’emploi
● Rendre effectif le droit à la formation professionnelle des salariés les moins qualifiés et articuler l’offre de formation avec les missions de Pôle emploi dont les effectifs devraient être renforcés en conséquence.
● Construire un cadre de certification des actions de formation, établir une programmation afin de réactualiser leurs contenus et de définir des modalités objectives d’évaluation.
● Dans le cadre d’une nouvelle étape de la décentralisation, conforter l’échelon régional comme cadre privilégié des actions dans le domaine de l’emploi et de la formation professionnelle, y compris pour les aides et cofinancements européens.
● Favoriser une structuration au niveau adéquat des directions de Pôle Emploi en rapport avec les échelons efficaces de l’action économique (Conseils régionaux / EPCI), ce qui incitera à de meilleurs partenariats.
Pour une Union européenne forte et industrielle
Orientation n° 20 : Construire une réelle politique industrielle communautaire ● Définir les enjeux industriels qui revêtent une importance stratégique financés notamment par un grand emprunt et par la BEI ; lancer de grands projets européens d’innovation industrielle. ● Permettre l’émergence de champions communautaires susceptibles de rivaliser avec leurs concurrents internationaux, en assouplissant si besoin les règles internes de la concurrence. ● Rendre moins contraignant l’encadrement des aides d’État en cas de crise exceptionnelle nécessitant des mesures temporaires de soutien ou des mesures de modernisation ; de manière générale, faire que les règles de concurrence favorisent surtout le développement de l’industrie européenne. ● Revoir la politique de l’euro cher dénuée d’objectifs de croissance et d’emploi. ● Lutter contre les dérives de l’optimisation fiscale des grands groupes à l’intérieur des frontières de l’Europe. |
Orientation n° 21 : Pour un juste échange de progrès économique, social et environnemental ● Mettre en place des standards minimums sanitaires, écologiques et sociaux, reporter sur le produit importé la charge de la preuve de leur respect et taxer les produits importés qui y contreviennent. ● Exiger la réciprocité et le respect de la propriété intellectuelle lors de la conclusion d’accords bilatéraux de libre-échange ; contrôler les investissements étrangers dans les secteurs considérés comme stratégiques. ● Obtenir une forte réactivité de la Commission européenne pour prendre des mesures de protection, en cas de dumping, relatif ou non à un accord de libre-échange. ● Évaluer régulièrement chaque accord de libre-échange en regard de la situation des barrières non-tarifaires et du degré d’ouverture des marchés publics du pays tiers, avec des sanctions prévues pouvant aller jusqu’à la suspension de l’accord. ● Procéder, pour tout accord commercial futur, à une étude d'impact sur ses conséquences pour l’emploi en Europe. |
Renouveler notre approche du commerce international
Orientation n° 22 : Parier sur la colocalisation pour mener une nouvelle stratégie de croissance réciproque avec le continent africain ● Diversifier nos débouchés et conforter l’assise exportatrice de nos entreprises par une stratégie gagnant/gagnant d’implantation sur les marchés africains et méditerranéens, à la croissance soutenue, en s’appuyant notamment sur un nouveau rôle économique majeur pour la francophonie. ● Engager des partenariats scientifiques et industriels euro-méditerranéens dans des filières potentiellement riches en emplois. ● Faire de la France un lieu d'accueil des talents étrangers, notamment dans notre système universitaire (programme Erasmus dans l'espace de la francophonie). |
Orientation n° 23 : Mieux organiser nos entreprises pour répondre aux besoins les plus porteurs du commerce international ● Stimuler le portage des PME et ETI par les grands groupes, afin d’encourager l’internationalisation de celles-ci. ● Encourager les entreprises exportatrices par des écosystèmes au niveau des régions françaises, une structuration de l’offre commerciale priorisant certains pays et une personnalisation des soutiens dans la durée et par une diplomatie économique volontaire. ● Adapter les chiffres des échanges commerciaux bilatéraux à la fragmentation de la chaîne de production afin de disposer d’une mesure plus précise du processus de création de la valeur ajoutée. |
Un nouveau modèle choisi de croissance sobre
Orientation n° 24 : Pour une nouvelle économie verte et en réseau ● Faire de la transition écologique une source de rebond économique : généralisation en France de l’écoconception, de l’écologie industrielle de l’économie de la fonctionnalité et des actions de recyclage dans des stratégies de territoires affirmées. ● Engager un nouveau modèle de croissance européen, porté par la France et l’Allemagne, qui met en avant les énergies renouvelables et le numérique, dans le cadre de programmes européens de recherche et d’innovation des industries vertes. ● Internaliser les coûts environnementaux dans le prix des produits. |
Orientation ° 25 : Viser l'excellence énergétique environnementale ● Optimiser l’efficacité énergétique des réseaux existants en utilisant les technologies informatiques pour améliorer la maîtrise de la production, de la distribution et de la consommation (smart grids (349)). ● Dans le cadre d’une révision souhaitable de la législation sur l’énergie et la transition énergétique, accorder aux industries électro-intensives des conditions contractuelles d’approvisionnement et de tarif au moins équivalentes à celles consenties aux activités comparables dans les pays de l’Union européenne et notamment en Allemagne. ● Accroître l'interconnexion européenne pour améliorer la part des énergies renouvelables dans les réseaux, conformément aux engagements de l’Union européenne à l’horizon 2020 (réduire de 20 % les émissions de gaz à effets de serre et incorporer au moins 20 % de sources d’énergie renouvelable à la consommation finale). ● Dans le cadre de la réglementation actuelle, permettre des recherches sur de possibles techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour les hydrocarbures non conventionnels, sans attendre un nouvel eldorado énergétique qui nous exonérerait de la nécessaire transition écologique. |
Annexe n° 1
Niveau et évolution du coût de l’heure de travail
(En euros)
Dans l’ensemble de l’industrie et des services marchands | ||||||
2000 |
2004 |
2008 |
2e trim. 2012 |
2e trim. 2012 |
2e trim. 2012 | |
Zone Euro (1) |
20,8 |
24,4 |
26,1 |
28,2 |
35,7 |
0,8 |
Allemagne |
26,3 |
27,8 |
29,3 |
31,4 |
19,2 |
0,8 |
Espagne |
14,2 |
16,3 |
18,9 |
20,8 |
46,0 |
0,8 |
France |
24,4 |
28,7 |
32,2 |
35,1 |
43,7 |
1,5 |
Italie |
19,0 |
22,8 |
24,9 |
27,3 |
43,9 |
0,8 |
Pays-Bas |
23,0 |
27,2 |
29,2 |
31,0 |
34,8 |
0,1 |
Dans l’industrie manufacturière | ||||||
Zone Euro (1) |
21,9 |
25,6 |
27,7 |
30,3 |
38,3 |
2,1 |
Allemagne |
28,5 |
30,8 |
33,4 |
36,2 |
27,2 |
2,1 |
Espagne |
15,1 |
17,4 |
20,3 |
22,4 |
48,3 |
2,9 |
France |
24,0 |
29,3 |
33,2 |
36,8 |
53,4 |
2,2 |
Italie |
18,3 |
22,2 |
24,0 |
27,2 |
48,7 |
2,5 |
Pays-Bas |
24,1 |
28,1 |
30,3 |
32,5 |
34,8 |
1,5 |
(1) Zone euro à 11 en 2000, à 13 en 2004 et à 17 depuis 2008.
Source : Eurostat, enquêtes ECMOSS prolongées depuis 2008 par les indices trimestriels de coût de l’heure de travail.
Tableau publié par COE Rexecode dans « Document de travail » N° 38 (novembre 2012).
Annexe n° 2
Annexe n° 3
Annexe n° 4
Annexe n° 5
Annexe n° 6
Évolution du coût salarial unitaire dans quelques pays européens
Annexe n° 7
Annexe n° 8
La divergence entre coût salarial et salaire
Annexe n° 9
La part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée
Annexe n° 10
Part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée
Annexe n° 11
Coût horaire du travail au niveau du salaire minimum 2010
Source : OCDE
Annexe n° 12
Annexe n° 13
Salaires minima
Annexe n° 14
Proportion des personnes employées à plein temps
recevant le salaire minimum
Source : Eurostat (thème « marché du travail »)
Annexe n° 15
Annexe n° 16
Évolution de la productivité dans différents pays européens
Annexe n° 17
Annexe n° 18
Taux de prélèvements obligatoires des entreprises (TPOE)
Annexe N° 19
Annexe N° 20
Annexe N° 21
Annexe N° 22
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Économistes
– M. El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie (Université de Paris Dauphine/CNRS)
– MM. Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l’innovation et la concurrence, et Christophe Blot, directeur-adjoint du département de l’analyse et de la prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
– M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS)
– M. Christian de Boissieu, professeur d’économie (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF)
– M. Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode
– MM. Pierre Cahuc, professeur à l’École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE) au Center for Economic Research (Londres) et à l’Institute for the Study of Labor (Bonn), et Stéphane Carcillo, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po (Paris)
– M. Christian Saint-Etienne, professeur titulaire de la Chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au CNAM
– M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris
– M. Gilbert Cette, professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II
– M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis
Organisations professionnelles
– MM. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe Fives, président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), Patrick Iltis, directeur général de Staübli holding France, et Vincent Schramm, directeur général du SYMOP
– MM. Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), et Vincent Moulin Wright, Directeur général du GFI
– MM. Olivier Duha, président de CroissancePlus, Christian Poyau, ancien président de CroissancePlus, Antoine Colboc, coprésident de la commission « Création & financement » de CroissancePlus, François Bergerault, coprésident de la commission « Croissance responsable » de CroissancePlus
– Association française des entreprises privées (AFEP), représentée par M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema, M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema, Mme Stéphanie Robert, directrice de l’AFEP et M. Olivier Chemla, chef économiste
– MM. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, Secrétaire général, et Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales
– MM. Xavier Beulin, président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) et Patrick Ferrère, directeur général
– MM. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), et Patrick Bouchez, président de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France (Union TLF)
Personnalités qualifiées
– MM. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » des Échos, éditorialiste économique à France Inter, et Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques
– Mme Colette Lewiner, conseillère « énergie » du président de Capgemini
– MM. Christophe Mathieu, président du réseau des Centres techniques industriels (CTI), Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR, et Alain Costes, directeur d’AFNOR Normalisation
– MM. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, Jörn Bousselmi, directeur général de la Chambre de commerce franco-allemande, Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France, Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA, Stefano di Lullo, président de l’activité gestion du risque cardiaque de Sorin SpA, Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France, et Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France
Gouvernement
– M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif
Tables rondes
- Entrepreneurs
M. Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl Arc atlantique ; M. Gilles Benhamou, président-directeur général d’ Asteel Flash ; M. Matthieu Labbé, secrétaire général du Syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) ; M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato ; M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC) ; M. Jérôme Akmouche, directeur du SNDEC ; M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT) ; M. François Pénard, directeur des affaires sociales de l’UIT ; M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable « Industrie du poisson » à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale) ; M. Yves l’Épine, directeur général du groupe Guerbet ; M. David Warlin, responsable des affaires publiques du groupe Guerbet ; M. Philippe Robert, président-directeur général de la Générale du Granit ; M. Mathieu Coquelin, directeur de la Société de confection du Coglais ; M. Jacques Royer, président du groupe Royer ; M. Antonio Da Silva, président de la Ferronnerie roncquoise ; M. Jérôme Frantz, directeur général de Frantz Electrolyse, vice-président de l’Institut de recherche en propriété industrielle (IRPI) et président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) ; M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) ; Mme Irène de Bretteville, COOP de France
- Organisations syndicales de salariés
Confédération française démocratique du travail (CFDT), représentée par Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles et M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste ; Force ouvrière (FO), représentée par M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique, et M. Philippe Guimard, assistant confédéral ; Confédération générale du travail (CGT), représentée par M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques ; Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Joseph Thouvenel, vice-président ; Confédération générale des cadres (CFE-CGC), représentée par M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie-logement-développement durable, et M. Kévin Gaillardet, chargé d’études économiques ; Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), représentée par M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, et M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’Industrie de l’UNSA ; Union syndicale Solidaires (SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques), représentée par Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales ; M. Morvan Burel, membre de la commission économique de Solidaires.
Audition, ouverte à la presse, de M. E. M. Mouhoud, Professeur d’économie
(Université de Paris Dauphine/CNRS)
(Séance du jeudi 11 octobre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Notre mission d’information entame aujourd’hui le cycle de ses auditions en recevant des économistes. Nous accueillons pour commencer le professeur Mouhoud. Je vous invite, dès à présent, chers collègues, à faire connaître les noms des personnalités qu’il vous semblerait intéressant d’auditionner. Nous devrons ensuite cibler nos choix en fonction de l’objet de la mission d’information, à savoir les coûts de production en France.
Je suis donc heureux d’accueillir le professeur Mouhoud, qui a consacré une grande partie de ses travaux de recherche non seulement aux délocalisations, mais aussi aux perspectives de relocalisation. Son parcours universitaire ne l’a pas empêché de passer par le Commissariat général du Plan (Centre d’analyse stratégique) comme conseiller scientifique et membre du Conseil scientifique de la DATAR, ce qui présente évidemment un intérêt pour qui réfléchit aux conséquences des délocalisations et des relocalisations.
Je vous cède maintenant la parole, monsieur Mouhoud, pour nous livrer votre analyse de la conjoncture, dégager ses grandes tendances, et nous apporter je l’espère des nouvelles positives.
M. E.M Mouhoud, professeur d’économie à l’Université de Paris-Dauphine/CNRS. Je suis très honoré de l’occasion qui m’est offerte de vous livrer quelques éléments de réflexion sur les questions de relocalisation, et de délocalisation des activités et, plus généralement, de la compétitivité industrielle. Sachant qu’il m’a été demandé de centrer mon propos sur les logiques qui sont aujourd’hui à l’œuvre en France en matière de restructurations, mon intervention s’articulera en trois temps. Après un préambule dégageant les différentes logiques de délocalisation qui sont à l’œuvre, je vous décrirai ces logiques, qui sont liées aux différences de coût de main-d’œuvre et de production. J’évoquerai enfin les relocalisations et les perspectives de réindustrialisation, qu’il est important de ne pas confondre, de même d’ailleurs que la délocalisation et la désindustrialisation.
J’ai rédigé il y a une vingtaine d’années une thèse sur l’impact du progrès technique sur les avantages comparatifs. J’avais donc commencé à travailler sur les questions de relocalisation et de recomposition des processus de production dans les pays industrialisés. J’ai également exercé durant une quinzaine d’années les fonctions de conseiller scientifique au Commissariat général du Plan, où j’ai travaillé sur la stratégie de l’État en direction des régions et la vulnérabilité des territoires. Plus récemment, j’ai rédigé un rapport pour la DATAR sur l’économie des services et le développement des territoires.
Il convient de distinguer les différentes logiques de délocalisation qui sont à l’œuvre. En effet, il règne une certaine confusion en la matière, alors que les deux grandes logiques dont je vais vous parler n’ont pas du tout les mêmes effets. Certains investissements à l’étranger sont liés aux différences de croissance et de demande. Il s’agit le plus souvent d’investissements directs, dont l’objectif est la conquête de marchés. La plupart des restructurations auxquelles nous faisons face aujourd’hui dans l’industrie automobile ou l’industrie manufacturière plus généralement, sont liées à l’atonie de la demande dans les pays européens. Les groupes sont alors tentés de rechercher de nouveaux marchés, principalement dans les pays à forte croissance et les pays émergents. Dans la mesure où il est coûteux pour les entreprises d’exporter lorsqu’il s’agit d’activités industrielles relativement pondéreuses, elles préfèrent investir à l’étranger en procédant à des fusions-acquisitions, en rachetant des entreprises existantes, ou en s’assurant le contrôle de la production – comme l’a fait Renault avec Nissan au Japon. Leur principale motivation tient non pas à une différence des coûts de production, mais à stratégie de conquête de marchés en raison de la faiblesse de la demande en Europe et au déplacement du centre de gravité de la croissance vers l’Asie. La majorité des restructurations en cours obéissent à cette logique.
La seconde logique est plus inquiétante, car elle remet directement en cause l’activité sur notre territoire. Je veux parler des délocalisations qui sont motivées par les différences de coût de main-d’œuvre. Il s’agit ici d’envoyer des composants pour faire assembler des biens de consommation dans des pays à bas salaires. Cela concerne des secteurs comme le textile, l’habillement, le cuir ou la chaussure. Une fois assemblé dans les pays à bas salaires, le produit final revient ensuite en France. Cette logique verticale est inverse de la précédente : on fragmente la chaîne de production.
Les deux logiques sont donc extrêmement différentes. Les restructurations en cours en France dans des secteurs comme l’automobile ont longtemps été favorables à l’économie nationale : les investissements directs permettaient de tirer les exportations et de créer des emplois, surtout en période de croissance. Mais aujourd’hui, l’atonie de la demande et la faible croissance en Europe font que l’on a affaire à des stratégies d’investissement pour des motifs d’accès aux marchés, qui se traduisent désormais par un déplacement de la production et de l’emploi. Ce phénomène est tout à fait nouveau : depuis 2008, les groupes multinationaux (dont ceux du CAC 40) ont créé plus d’emplois dans les pays émergents que dans les pays industriels pour la simple raison que les marchés se trouvent là-bas. Or, l’essentiel des délocalisations pour des motifs d’accès aux marchés s’opèrent par des fusions-acquisitions, ce qui conduit aussi à délocaliser la recherche et développement (R&D), au risque d’une dilution de nos avantages comparatifs à long terme.
Contrairement aux précédentes, les délocalisations liées aux différences de coût de main-d’œuvre ne passent pas par des investissements à l’étranger. Il s’agit simplement de sous-traiter des opérations intensives en travail non qualifié à des entreprises implantées en Chine ou encore dans le bassin méditerranéen. Ces délocalisations ne se mesurent pas par des investissements directs. Si tel était le cas, seuls 5% des investissements directs français à l’étranger s’expliqueraient par des différences de coût de production. L’essentiel passe par de la sous-traitance internationale, par la voie d’accords entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Il ne s’agit pas d’investissements directs, mais ce sont tout de même des délocalisations puisqu’on substitue à l’assemblage en France, un assemblage au Maroc, en Tunisie, en Chine ou en Inde.
Ces délocalisations se mesurent à partir des statistiques du commerce international, notamment celles des importations de biens contenant des exportations préalables de composants et de biens finis destinés à la consommation finale des ménages. Si l’on considère l’ensemble de la production manufacturière, ce phénomène de délocalisation reste relativement marginal. Il frappe néanmoins lourdement certains territoires très spécialisés dans des secteurs soumis à la concurrence des pays à bas salaires.
Disons-le sans ambages, les politiques publiques mises en œuvre depuis trente ans ne sont pas adaptées à ces phénomènes de délocalisation. Elles passent presque toujours par des aides aux entreprises en difficulté, alors que les stratégies auxquelles obéissent les délocalisations verticales sont assez hétérogènes. Il est intéressant de connaître ces dernières pour comprendre en quoi les politiques publiques y sont souvent inadaptées.
Trois logiques très typées peuvent expliquer pourquoi les entreprises sont conduites à délocaliser une partie du processus de production pour réimporter le produit final.
La première est une logique défensive. Elle s’observe aussi bien dans le secteur des biens de consommation comme le textile-habillement, le cuir, la chaussure ou le jouet, que dans celui des services depuis le développement des technologies de l’information et de la communication, qui rendent possible la délocalisation des activités de services aux entreprises tels que les centres d’appel ou la saisie informatique. Pour maintenir notre compétitivité dans ces secteurs, autrement dit continuer à fabriquer des biens qui incorporent beaucoup de main- d’œuvre à bon marché, une solution est de délocaliser dans les pays à bas salaires. Réimporter le produit final pour être consommé en France permet à l’entreprise de diminuer ses prix afin de rester dans la course de la compétitivité. Ainsi ces entreprises délocalisent, réimportent le produit final, baissent leurs coûts de production, alignent leurs prix de vente sur les coûts de production tout en maintenant leurs marges, et regagnent ainsi en compétitivité. C’est ce que j’appelle la délocalisation compétitive ou défensive, qui est pratiquée par environ 30% de nos entreprises, en particulier des PME.
Une deuxième logique concerne les entreprises qui développent des comportements de marge. Même si nos enquêtes montrent que le phénomène est problématique dans le cas français, il n’est pas propre à notre pays : il peut également être observé aux États-Unis ou dans d’autres pays industrialisés. Les entreprises – notamment les grands distributeurs, qui sont les champions de cette logique – délocalisent l’ensemble de leur processus de production. Le produit revient ensuite pour être consommé en France. L’entreprise aligne cependant le prix de vente final non pas sur le coût de production du pays de délocalisation, comme dans la logique défensive, mais sur le coût de production français. Le différentiel entre le coût de production du pays à bas salaires et le coût de production français passe essentiellement dans la marge. Il s’agit d’entreprises qui investissent dans la marque ou la logistique. Aucune aide publique ne les incitera à revenir en France, car ce comportement leur permet de concilier une stratégie de sous-traitance internationale, ou outsourcing, et une rapidité de réponse à la demande. Leur avantage compétitif réside souvent moins dans le produit vendu que dans la marque, le marketing et la logistique. Environ 40% des entreprises de biens de consommation qui délocalisent adoptent ce type de comportement, ce qui justifie une réflexion spécifique.
Contrairement aux précédentes, la troisième logique n’est pas toujours liée aux coûts de main-d’œuvre. Il s’agit des délocalisations forcées. Comme vous le savez, les technologies ne sont pas les mêmes à l’amont et à l’aval des filières de production. Prenons l’exemple du textile : l’amont – filature, tissage – est totalement automatisé depuis 1979. C’est donc une industrie capitalistique, qui est plus performante en France que dans les pays à bas salaires en termes de coût par unité produite. En revanche, les secteurs de l’aval – habillement, bonneterie – restent complètement manuels, car les activités à matières souples ne sont pas automatisables. Dans l’habillement ou la chaussure, la main-d’œuvre représente ainsi plus de 70% du coût d’assemblage, alors qu’elle est passée de 40% de ce coût en 1979 à 4% en 1982 dans l’industrie des semi-conducteurs, grâce à la robotisation et à l’automatisation – les sources de relocalisation sont donc plus nombreuses dans les secteurs dits « solides » que dans les secteurs à activité souple. Si les technologies ne sont pas les mêmes dans les différents segments de la filière de production, la délocalisation de l’assemblage peut induire une délocalisation de la filière amont – quand bien même celle-ci n’a pas de raison objective d’être – par le seul jeu des effets de demande et d’offre à l’intérieur de la filière. C’est ce que j’appelle les délocalisations forcées. Nous observons d’ailleurs là des problèmes liés aux relations entre distributeurs et fabricants, qui sont une spécificité française. Ce n’est pas un mythe que le secteur des PME est très atomisé dans notre pays. En revanche, les distributeurs sont de grande taille, si bien qu’ils ont un avantage par rapport aux fabricants. Ce déséquilibre très ancien entre distributeurs et fabricants perdure : les premiers ont un pouvoir de marché qui leur permet d’imposer des conditions de livraison et de marge très difficiles. Dès lors, les fabricants sont contraints de délocaliser pour reconquérir les marges qui leur ont été confisquées. Les rapports inégaux entre distributeurs et fabricants concourent donc à expliquer les délocalisations forcées.
Je vous ai dit que les aides publiques n’étaient pas toujours adaptées aux différentes logiques de délocalisation. En effet, elles interviennent ex post, une fois que le choc a eu lieu. Par ailleurs, elles visent surtout les délocalisations défensives.
Avant d’en venir à l’industrie et aux relocalisations en France, permettez-moi de souligner une différence particulièrement intéressante entre l’Allemagne et la France. Patrick Artus évoquera certainement avec vous le débat sur la compétitivité globale. Si nos coûts unitaires globaux sont plus élevés qu’en Allemagne, nos coûts industriels et manufacturiers ne le sont pas, car, dans notre pays, les services ont été fortement externalisés. L’industrie ne représente que 12 % des emplois en France, contre 20 % en Allemagne. Les entreprises françaises ont beaucoup plus externalisé les activités de services, en particulier les services aux entreprises – services de la connaissance, consulting, marketing –, que ne l’ont fait les entreprises allemandes. Une partie de nos emplois se sont donc déplacés de l’industrie vers les services.
La particularité que je souhaitais évoquer est la suivante. Les firmes allemandes délocalisent depuis longtemps la production de morceaux de biens intermédiaires dans les pays d’Europe centrale et orientale, ce qui leur donne un avantage de coût. Elles maîtrisent bien ce processus. Contrairement aux entreprises françaises, qui ont brutalement accéléré les délocalisations à la fin des années 80, les entreprises allemandes pratiquent depuis 1958 une stratégie de division du travail dans les pays d’Europe centrale et orientale : elles ont délocalisé plus et plus tôt que nous, mais principalement les biens intermédiaires. Elles incorporent ainsi dans le bien final des biens fabriqués à des niveaux de productivité et de qualification élevés, mais pour des coûts – en particulier salariaux – plus faibles. Cela leur donne un avantage de en termes de coûts de production.
Le cas français est très différent. Nos entreprises délocalisent plutôt l’assemblage, pour des raisons qui tiennent notamment au différentiel de spécialisation entre la France et l’Allemagne et au rôle des grands distributeurs. Elles ont plutôt tendance à tout sous-traiter dans les pays à bas salaires et à réimporter le produit fini. Cela explique le différentiel de compétitivité. Ce n’est donc pas un mythe que l’Allemagne est plutôt spécialisée dans les biens d’équipement, les biens intermédiaires et les machines-outils, tous biens très sensibles à la croissance mondiale, ce qui donne un fort avantage à ses exportations. Les spécialisations françaises, elles, sont polarisées à la fois sur l’ultra-haute technologie, par exemple l’aérospatiale, et les biens de consommation, mais très peu sur les produits de moyenne technologie et les biens d’équipement. L’intensité de la production en R&D est donc inférieure à ce que l’on peut observer dans d’autres pays industrialisés.
La polarisation de nos spécialisations nous donne un avantage séculaire dans les filières des biens de consommations – textile, habillement, cuir, chaussure, jouet – et dans les services, mais nous confronte directement à la concurrence des pays à bas salaires. Nos entreprises ont délocalisé plus tardivement que les autres, parce que notre industrie était beaucoup plus protégée. Elles ont encaissé d’autant plus fortement les chocs que ceux-ci n’avaient pas été anticipés. Nous savions dès les accords de Marrakech de 1994 que l’accord Multifibres viendrait à échéance en 2005, mais nous avons attendu que le choc touche les territoires spécialisés dans l’habillement et le textile pour agir.
Les relocalisations sont le phénomène inverse des délocalisations verticales. Elles concernent assez peu les secteurs qui ont développé des stratégies d’accès aux marchés. Intéressons-nous par exemple à celui de l’automobile : la crise est liée à la saturation des marchés en Europe. Comme la demande est très faible et que les produits fabriqués ne sont pas adaptés à elle, la tentation est d’aller chercher des marchés ailleurs. Mais il n’y a pas de fatalité : si la croissance reprenait et si les fabricants modifiaient leurs produits pour les adapter à la demande européenne, l’industrie automobile repartirait. Elle n’est en effet pas concernée par les délocalisations verticales vers des régions éloignées géographiquement : il n’y a aucun intérêt à éclater la production pour réimporter le produit final dans un contexte de hausse des coûts du transport et de l’énergie. En revanche, la fragmentation de la chaîne de valeur se fait sur des bases intra-régionales comme c’est le cas du marché unique européen. Les firmes ont tendance à relocaliser les activités pondéreuses en Europe. Dans ce type de secteurs, les coûts de coordination sont très importants. Si les entreprises vont en Asie, c’est pour accéder plus facilement aux marchés. Si la croissance reprend en Europe, on peut donc espérer une reprise de l’industrie automobile ou de l’industrie mécanique.
En revanche, les entreprises sont incitées à compenser le surcoût de production qu’elles vont subir en relocalisant leur production dans des endroits à coûts élevés pour des activités pondéreuses et industrielles et en délocalisant de plus en plus les activités de services, pour lesquelles les coûts de transport et de coordination sont nuls ou quasi nuls. Cette tendance peut déjà être observée : la « délocalisabilité » des activités de services en Europe et dans les pays de l’OCDE est estimée à près de 30% des emplois. Là encore, ce choc sur les services n’est pas anticipé par les politiques publiques.
Les relocalisations qui font suite à une délocalisation verticale sont motivées par trois facteurs. Le premier est l’automatisation de la production. Automatisation de la production et délocalisation dans les pays à bas salaires pour réimporter le bien final sont en effet deux techniques concurrentes. Une entreprise qui réduit la part des coûts salariaux dans les coûts de production grâce à l’automatisation et à la robotisation gagne aussi en compétitivité coût unitaire ; en étant proche des marchés, elle peut faire de petites séries et « coller » mieux à la demande.
Le deuxième facteur d’explication de ces relocalisations tient à l’imperfection des produits finis en provenance des pays de délocalisation, à une époque où la demande est particulièrement versatile. Nous en avons des exemples avec l’entreprise Geneviève Lethu ou encore les Taxis bleus : ces entreprises ont perdu en parts de marché ce qu’elles avaient gagné en termes de coûts de production.
Le troisième facteur est nouveau : il réside dans les coûts de transport et de coordination, qui ont augmenté ces dernières années alors qu’ils avaient diminué sur le siècle.
Compte tenu de ces différents facteurs, les entreprises concernées par la relocalisation appartiennent plutôt aux secteurs des activités industrielles solides. Comme il n’existe pas de robots capables de travailler des matières souples, un secteur comme celui de l’habillement ne peut pas automatiser l’assemblage. Toute une série d’activités vont donc rester délocalisées, mais les Japonais travaillent sur un prototype de robot capable de manipuler des matières souples, qui permettra peut-être de relocaliser un jour dans ces secteurs.
Que penser des aides publiques à la relocalisation ? Au moment de l’instauration de la prime à la relocalisation, j’ai publié une tribune dans le quotidien Le Monde. Mon propos était de mettre en cause non pas le principe de cette prime, mais le fait que la décision d’y affecter 200 millions d’euros ait été prise sans évaluation préalable des effets du crédit d’impôt relocalisation instauré en 2005. Selon nos évaluations, pratiquement aucune entreprise ne l’avait utilisé ! La prime à la relocalisation a eu à peine plus de succès. En réalité, ces aides directes sont moins à même de faire revenir les activités délocalisées que l’environnement dans lequel on produit. On distingue d’ailleurs deux types de relocalisations. Certaines sont pérennes, alors que d’autres ne visent qu’à profiter des aides fiscales et sociales octroyées par l’État ou les collectivités locales : les entreprises repartent sitôt ces avantages arrivés à terme. J’appelle celles-ci les entreprises « tayloriennes flexibles » : très mobiles, elles ne sont pas sensibles aux actifs des territoires. Leurs avantages dépendent non pas des territoires, mais d’elles-mêmes. Ce sont ces entreprises-là qui adoptent le plus fréquemment des comportements de marge.
Certaines entreprises qui ont relocalisé ont en revanche fait revenir leurs sous-traitants, et donc créé des sortes de pôles de compétitivité avant l’heure – bien qu’elles n’aient guère été aidées. Dans certains secteurs, délocaliser fait en effet perdre des avantages d’innovation aux entreprises, en les mettant en position d’être imitées par leurs concurrents. La délocalisation devient alors l’ennemi de l’innovation. Dans ces secteurs où le mode de concurrence dominant est non pas le coût mais l’innovation, délocaliser pour réimporter le produit final induit une déconnexion entre l’innovation et la production en raison des écarts technologiques. Ces entreprises ont en effet besoin de proximité, d’où l’idée des clusters et des pôles de compétitivité.
Ces relocalisations ne recréent pas les emplois perdus du fait des délocalisations : on ne compte qu’un emploi recréé pour dix délocalisés. En revanche, elles créent des emplois indirects, du tissu industriel. Sans être négligeable, cela ne saurait être à l’origine de la réindustrialisation. En termes de politiques publiques, il est donc important de concentrer les aides sur les territoires.
Deux politiques publiques sont à mon avis confondues, ce qui est dangereux pour nos stratégies de réindustrialisation. La première consiste à réindustrialiser et à faire de la compétitivité technologique pour résister à la compétition mondiale : cela passe par une stratégie nationale d’investissement dans la R&D et l’innovation, car nous sommes en retard par rapport à d’autres pays, ainsi que par des stratégies d’attractivité. La deuxième stratégie, censée répondre aux délocalisations verticales, se fonde sur l’idée qu’il est possible d’aider certains secteurs en difficulté à revenir. Je pense que ce qui a été fait jusqu’à présent est peu efficace. En revanche, il y a place pour une stratégie d’anticipation des chocs et de polarisation des aides publiques non plus sur les entreprises, mais sur les personnes et les territoires. Les personnes mises au chômage du fait des restructurations se retrouvent « verrouillées » sur place tandis que de nombreuses zones d’emplois se trouvent en difficulté de recrutement. Il n’y a pas de véritable mobilité du travail car les personnes peu qualifiées ont besoin de formation. Il faut distinguer la stratégie de compétitivité technologique, qui n’est pas nécessairement une stratégie d’emploi, et la stratégie d’emploi et de lutte contre la vulnérabilité des personnes sur les territoires, qui passe par la création d’un véritable Observatoire d’anticipation des chocs et la définition de stratégies d’anticipation secteur par secteur.
J’achèverai mon propos en rappelant que la question des services est sous-estimée dans ce débat. Nous pensons toujours que les services sont tirés par l’industrie. Or la situation a évolué. Les services de la connaissance représentent aujourd’hui 12% de nos emplois. Nous l’avons dit, ils ont été externalisés de l’industrie vers les services bien davantage qu’en Allemagne. Ce sont des activités attractives pour les activités industrielles, qui se répartissent sur nos territoires de manière dispersée et donnent ainsi leurs chances à de nombreuses villes moyennes, par exemple en Bretagne. Notre rapport pour la DATAR, qui s’intitule justement Économie des services et développement des territoires, définit une nouvelle typologie des services. Nous avons mesuré la vulnérabilité et les performances des territoires à un niveau très fin, celui des zones d’emploi. Nous avons ainsi constaté que l’on exagère les vulnérabilités de certains territoires dont les performances dans les services n’ont jamais été prises en considération, tandis que l’on sous-estime les forces de territoires spécialisés dans des services facilement « délocalisables ».
M. Laurent Furst. Permettez-moi d’abord un commentaire relatif à la méthodologie de nos travaux. Avant d’aborder l’analyse du phénomène des délocalisations, il aurait été intéressant de mesurer son ampleur à partir de l’évolution de la balance commerciale et de la balance des paiements de notre pays et de ses échanges avec ses principaux partenaires. Nous avons en effet tendance à parler des délocalisations comme un tout. Alors que les résultats de notre commerce extérieur avec nos proches voisins se sont considérablement dégradés, nous parlons principalement des délocalisations vers les pays à bas coûts. Qu’il me soit permis de rappeler que le commerce extérieur de la zone euro est à l’équilibre, tandis que celui de la France est très déficitaire, ce qui tend à indiquer qu’elle souffre de problèmes spécifiques. Ce n’est pourtant pas dans cette direction que s’orientent nos travaux – d’où l’intérêt de procéder à une analyse statistique avant d’entrer plus avant dans les explications.
L’économie de ma région – l’Alsace – est complètement ouverte sur l’Allemagne. C’est avec un certain amusement que je constate que pour la France d’aujourd’hui, l’Allemagne est devenue l’ultime référence. Je ne nie évidemment pas qu’elle soit un poids lourd en Europe, mais il y a d’autres pays qui réussissent. Je pense par exemple à l’industrie de l’Italie du nord, dont la réussite est exemplaire, ou encore aux Pays-Bas. L’Allemagne a une tradition, une culture et un système de prélèvements obligatoires qui sont différents des nôtres. Notre complexe vis-à-vis de ce pays nous éclaire mal sur nos propres problèmes et sur les solutions qu’il convient de leur apporter. Élargissons donc notre champ d’analyse !
Enfin, nous avons tendance à concentrer l’analyse sur le coût du travail. Certes, la situation de notre pays est particulière : les salaires ne sont pas très élevés, mais le poids des charges sociales est tel que les coûts salariaux sont très élevés. On oublie néanmoins un peu facilement que, pour prendre leurs décisions d’investissement, les industriels tiennent compte non seulement des prélèvements sociaux, mais aussi des prélèvements fiscaux : le taux de l’impôt sur les sociétés est donc un élément important, de même que l’environnement législatif et le climat social.
M. le président Bernard Accoyer. C’est toute la difficulté de notre mission. Le sujet que nous a assigné la Conférence des présidents – les coûts de production en France – est un peu court. J’ignore les raisons qui ont conduit à ne pas retenir plutôt la compétitivité. Le professeur Mouhoud a d’ailleurs usé presque exclusivement de ce terme, et non de celui des « coûts de production ». Les deux sont bien sûr liés, mais il y a là une difficulté qu’il faudra surmonter lors de la rédaction du rapport ; il serait en effet un peu dommage de restreindre notre analyse. J’avais lancé, à la fin de la dernière Législature, une mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale, mais la proximité des échéances électorales ne lui a pas permis d’adopter son rapport. Profitons cette fois-ci du fait que nous sommes en début de Législature pour dire les choses telles qu’elles sont.
M. Thierry Benoit. Professeur, vous avez « décortiqué » les phénomènes de délocalisation de nos activités. Je suis élu des Marches de Bretagne, territoire qui a perdu en quarante ans la plupart de ses industries dans le textile, la chaussure, la cristallerie ou le granit – même s’il compte encore 40 % d’emplois industriels. J’observe que vous avez peu abordé les conditions, notamment sociales, de fabrication. Vous n’avez pas non plus évoqué la baisse de la qualité des produits mis sur le marché en France. Le pouvoir des distributeurs concourt-il à expliquer que les Européens, et notamment les Français, se soient accoutumés à des qualités médiocres ? Je fais l’effort d’acheter local ; les commerçants chez qui je me fournis connaissent leur métier, mais force est de reconnaître qu’ils sont souvent contraints de vendre des produits d’une qualité plutôt moyenne.
J’aurais également aimé que vous abordiez le sujet de la traçabilité des produits. J’ai beau connaître leur marque et scruter les étiquettes, je ne sais ni d’où viennent mes chaussures, mon costume, ma chemise ou ma cravate, ni comment ils sont fabriqués. N’est-ce pas se mentir que fermer les yeux sur les conditions de production, parfois déplorables, des biens que nos entreprises font fabriquer à l’étranger ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les rapports entre commerçants, consommateurs, centrales d’achat et grande distribution ?
M. Laurent Grandguillaume. Vous avez évoqué la question du coût du travail, mais il n’est pas possible de la traiter sans se référer à la valeur et à la richesse ainsi créées. Depuis les années 2000, les marges ont augmenté de plus de 50% en Allemagne alors que, pendant la même période, elles ont diminué chez nous de 30%. Se pose également la question des coûts cachés, des coûts de l’énergie et des transports.
Les problématiques, de même que les logiques en termes de coûts et d’impacts sur l’activité, diffèrent selon les secteurs, conditionnant ainsi d’éventuelles délocalisations. La création d’énergie éolienne, par exemple, n’est pas aisément « délocalisable » et si elle n’est pas impactée par le coût du travail, elle l’est en revanche par le respect des mises aux normes.
Ne convient-il donc pas d’affiner les analyses sans se focaliser sur le seul coût du travail, notamment en s’interrogeant sur l’amélioration globale des performances et des marges des entreprises ?
M. Marc Le Fur. Je me félicite que vous ayez évoqué la question des services, trop souvent oubliée par des médias qui ont tendance à mettre particulièrement en avant les problèmes industriels.
Je m’apprête à défendre une proposition de loi sur les centres d’appel et les analyses que j’ai réalisées à cette occasion m’ont littéralement terrorisé. A ce jour, ces centres emploient 275 000 personnes en France - 70 000 emplois étant externalisés dans notre pays même –, et l’on dénombre l’équivalent de 60 000 emplois à l’étranger, essentiellement assurés par des entreprises françaises en quelque sorte installées en « off-shore ». Ces centres sont en l’occurrence moins chers, la qualité des personnels y est comparable à celle des personnels français et, de surcroît, ils ne connaissent pas les problèmes de délai, de coût et de risque liés à la livraison d’un bien. Je crains donc que tous ces emplois ne partent à l’étranger puisqu’il n’existe aucune raison objective pour que tel ne soit pas le cas.
Ma modeste proposition de loi consiste à imaginer une sorte de « made in France » dans le domaine des services afin de susciter un minimum de patriotisme économique mais, je le répète, je suis très inquiet : c’est tout de suite qu’il nous faut réagir !
M. Olivier Carré. Vous avez comparé les chaînes de production française et allemande. Le fait qu’en Allemagne, dans les services en amont, les salaires ne soient pas comparables avec ceux en vigueur chez nous, ne constitue-t-il pas un élément essentiel contribuant à expliquer les taux de chômage respectifs de nos deux pays ?
Vous avez également eu raison d’évoquer les problèmes des territoires. Nombre d’entre eux ont mené des stratégies spécifiques de développement économique ; d’autres ne l’ont pas fait pour des raisons de gouvernance ou de choix politiques, qu’ils soient gérés par la droite ou par la gauche. Comment homogénéiser et stabiliser de telles situations ? Quels outils font-ils défaut ? Quels sont ceux qui sont peu utiles ?
Enfin, le différentiel entre exportations et productions locales entre la France et l’Allemagne s’explique par le tissu industriel. Notre pays possède en effet de très grandes sociétés – celles, grossièrement, du CAC 40 – qui sont souvent des leaders mondiaux dans leur catégorie et dont la vision de marché est globale. Leurs centres de production internes ou sous-traités sont plutôt proches du consommateur. Ces sociétés ont donc tendance à délocaliser, mais elles ont aussi la taille critique leur permettant d’exporter et d’absorber des coûts inhérents à la conquête de leurs marchés. L’autre partie de notre tissu industriel éprouve quant à elle des difficultés de développement pour des raisons d’organisation et de coûts propres : le fameux échelon des entreprises de taille intermédiaire (ETI), en effet, nous fait défaut. Cela constitue-t-il, selon vous, un élément d’explication aux problèmes que nous rencontrons ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous avez souligné les différences de logiques en matière d’exportation d’emplois, respectivement peu et fort qualifiés, entre la France et l’Allemagne. Comment faire en sorte qu’il en soit autrement chez nous ? Sachant que nous ne pourrons pas concurrencer le coût du travail en vigueur dans certains pays, nous devons en effet nous montrer plus compétitifs afin d’attirer et de maintenir les emplois les plus qualifiés en France.
De plus, notre tissu industriel pâtit de sa structure, avec des PME trop petites et des relations problématiques entre distributeurs et fabricants. Quelles actions pourrions-nous donc mener afin de favoriser une meilleure synergie de nos PME ?
Monsieur le président Accoyer, j’ai été à l’origine de la réflexion sur les coûts de production en France qui a notamment permis d’entendre peu avant l’été M. Jean-Louis Beffa et M. Louis Schweitzer devant la commission des affaires économiques. Si une précédente mission sur la compétitivité à laquelle vous avez fait allusion n’a pu en effet être menée jusqu’à son terme, il m’a néanmoins semblé utile de chercher à déterminer les éléments constitutifs du coût d’un produit vendu en France, y compris par rapport aux différentes logiques que M. Mouhoud vient de détailler. A partir de ce diagnostic incluant le coût du travail, l’énergie, le transport, la recherche et développement, la logistique, l’organisation et les nécessaires marges, nous devrions parvenir à un consensus – je l’espère en tant que rapporteur – avant d’être à même d’évaluer nos coûts de production par rapport à d’autres pays. Mieux sérier ce sujet devrait nous permettre d’avancer.
Il existe deux types de confrontations internationales, intra et extra européennes, investissements à l’étranger et délocalisations verticales. Pensez-vous qu’une action sur les normes sociales et environnementales dans le cadre des logiques qui sont à l’œuvre au sein de l’Union européenne et qui régissent aussi nos relations avec le Maghreb permettrait de peser sur les stratégies industrielles ?
Enfin, la stabilité de l’environnement des entreprises sur la longue durée à travers, par exemple, des réseaux de transports de qualité ou des facilités en termes d’accès bancaires témoigne, hors la seule question du coût du travail, que d’autres éléments conditionnent la pérennité du développement industriel des entreprises ou des services qu’elles proposent.
Mme Annick Le Loch. Pourriez-vous, monsieur le professeur, compléter vos propos concernant le comportement de marge ? Vous avez dit que les grands distributeurs en sont les « champions », mais selon l’Observatoire des prix et des marges qui, certes, ne concerne que le secteur alimentaire, les marges sont extrêmement faibles.
Mme Marie-Line Reynaud. Les chefs d’entreprise n’expliquent pas les délocalisations et les relocalisations par la seule raison de la masse salariale : souvent ils évoquent également la question de l’investissement immobilier.
Par ailleurs, vous n’avez guère parlé de leur éthique. Or, certains d’entre eux décident de rester en France et de travailler avec les collectivités locales en organisant des formations et en créant ainsi de la valeur ajoutée. Dans ma région, ce produit de luxe qu’est le Cognac est exporté à hauteur de plus de 90% et d’autres grandes entreprises de luxe viennent s’installer, contribuant ainsi à créer des emplois sur nos territoires grâce au maintien des savoir-faire.
Ces deux points me semblent particulièrement importants.
M. Claude Sturni. J’ai passé près de vingt-deux ans dans un groupe industriel américain implanté en Alsace. Pendant que je dirigeais cette filiale, des centaines d’emplois ont été créés dans cette région suite à des délocalisations depuis les États-Unis vers la France. Qu’en est-il de notre capacité à attirer des entreprises dans notre pays ? Même si les marchés sont matures, des entrepreneurs ont en effet envie de se lancer. Pensez-vous que la France a perdu des atouts ? Les coûts de production, dans ce contexte, constituent-ils encore un élément important d’attractivité ?
Mme Corinne Erhel. Dans le domaine des services et, principalement, dans le secteur des télécommunications – téléphonie mobile et Internet -, les délocalisations touchent plus particulièrement la « gestion clients ». Comme vous l’avez dit, il importe de disposer d’une étude d’impact afin d’anticiper un certain nombre de chocs. Nous savons fort bien, par exemple, que la volonté de développer un modèle à bas coût peut avoir des conséquences sur l’ensemble d’une filière et qu’il faut tenir compte à la fois de l’intérêt légitime du consommateur et de l’impact, en termes d’emplois, des décisions qui sont prises. Quel peut-être le rôle des pouvoirs publics dans l’anticipation d’un équilibre entre ces deux exigences ? Que pensez-vous des études réalisées par certains de vos collègues sur les modèles à bas coût dans ce secteur ? J’insiste : lorsque l’on prend une décision susceptible de modifier les modèles économiques, l’impact sur l’ensemble de la filière – sur les prestataires de premier et de second rangs, et pas uniquement sur les donneurs d’ordre – survient avec un « effet retard » qui doit être anticipé. S’il est difficile de relocaliser une activité, il est en revanche indispensable d’anticiper les chocs éventuels d’une politique en termes d’emplois. Elue des Côtes-d’Armor, je sais combien les conséquences peuvent être lourdes si tel n’est pas le cas.
M. Christophe Borgel. Notre mission est certes consacrée à la question des coûts de production, mais nos échanges montrent combien celle de la compétitivité, à laquelle nous sommes confrontés dans nos territoires, lui est connexe.
Elle aurait effectivement tout à gagner à mieux cerner la question des coûts de production afin de la clarifier et, vraisemblablement, de dépasser ainsi des oppositions parfois fallacieuses tant les problèmes diffèrent en fonction des secteurs économiques. Quelle est la part, dans les industries ou les services, de tel ou tel aspect des coûts de production ? Ne pensez-vous pas qu’il en est de même s’agissant du coût du travail ?
M. le professeur E.M. Mouhoud. Je vous remercie pour vos questions et vos remarques.
J’ai axé mon propos, comme vous me l’aviez demandé, sur les différentes logiques de délocalisations, la compétitivité étant un problème différent. Il importe, en effet, de dissocier ces logiques de celles concernant les pertes de parts de marché.
Si l’on s’intéresse à ces dernières, je suis d’accord avec vous : il faut tenir compte des asymétries au sein de la zone euro. Dans le cadre du Commissariat au Plan, j’ai commis en 1997 un rapport intitulé « La convergence perverse » montrant l’insuffisance de la seule convergence nominale. En effet, à la différence de l’Allemagne et des pays de la « zone Mark », l’Italie, l’Espagne, ainsi que la France – compte tenu de sa spécialisation –, connaissent une situation difficile par rapport au taux de change de l’euro : des spécialisations différentes suscitent des réactions différentes face aux chocs de change.
La compétitivité coût est plutôt satisfaisante sur le plan manufacturier ; la compétitivité globale coût, quant à elle, ne l’est pas puisqu’elle inclut les services qui, par rapport à l’Allemagne, sont plus chers chez nous. Pour quelle raison ? J’ai émis l’hypothèse du transfert des activités de service de l’industrie vers les services, lequel a engendré des coûts supplémentaires qui sont liés non pas nécessairement au coût du travail, mais aux coûts d’intermédiations. Je le répète : on compte 12 % des emplois dans les services de la connaissance dont une part non négligeable a été externalisée depuis l’industrie vers les services. La moitié de nos pertes de parts de marché s’explique par une compétitivité moins bonne que celle de l’Allemagne, mais il s’agit plutôt d’une compétitivité hors-prix, nos efforts d’innovation et la qualité de nos produits étant moins satisfaisants, que ce soit dans l’automobile ou dans d’autres secteurs. Nous souffrons donc d’un manque d’adaptation. Cela dit, nous n’avons pas intérêt à tout mélanger sous peine de confusion. Il convient plutôt de décomposer l’ensemble des phénomènes par secteurs et par zones d’emploi.
Paradoxe qui peut sembler incroyable : comme l’a montré l’INSEE à partir de bases de données géo-localisées d’établissements, les délocalisations verticales motivées par des différences de coût de main-d’œuvre comptent presque pour rien dans les destructions d’emplois globales puisque seul un emploi détruit sur 300 est concerné, l’essentiel des pertes résultant des progrès techniques, des gains de productivité, des restructurations et de l’augmentation de la demande de services. En revanche, il est vrai que 20 % des zones d’emplois françaises sont presque entièrement impactées par ces délocalisations verticales. Il est donc dommageable que les politiques publiques ne tiennent pas compte du non-ajustement entre ces chocs locaux et les aspects globaux. En France, la mobilité du travail est inexistante. Les salariés qui perdent leur emploi sur un site ne bougent pas.
C’est au niveau des territoires que les paradoxes se révèlent le mieux. Contrairement à ce qu’énonce la théorie économique, les chocs locaux ne sont pas compensés par les ajustements globaux. Finalement, la mondialisation a du bon, mais les ajustements doivent se faire ! À ce jour, 40 % de nos 340 zones d’emplois connaissent des difficultés de recrutement et 20 % sont dans une situation dramatique de verrouillage, avec des poches résiduelles de chômage. En 2005, le ministre de l’industrie, M. Thierry Breton avait pris une bonne mesure, mais hélas insuffisante, en instituant une prime de mobilité de 1 000 euros pour les salariés qui avaient perdu leur emploi après une restructuration. Nous savons que la mobilité ne se décrète pas, mais qu’elle implique des investissements dans le « capital » humain, la formation, la qualification, le logement.
Je suis d’accord : le coût du travail n’est pas seul en cause comme le montre l’étude des trois logiques de délocalisation. La carte des 340 zones d’emploi et de leur spécialisation dans les services montre qu’après avoir connu un choc industriel certaines d’entre elles ont regagné des activités dans les services – je songe aux centres d’appel en particulier –, mais comme elles sont « mono-spécialisées », elles subiront le prochain choc. Je le répète : la question de la mondialisation et des chocs sur l’emploi qu’elle induit est devenue extrêmement compliquée. Les économistes ne peuvent plus prétendre que son impact sur l’emploi est faible en se bornant au plan macro-économique, puisque cet impact est énorme sur le plan local. De surcroît, le coût social est considérable.
Par ailleurs, les emplois industriels ne basculent pas nécessairement vers les services. Jadis, nous pensions que ces derniers étaient non échangeables et non « délocalisables », or, ce n’est pas le cas pour la plupart d’entre eux. La compensation intersectorielle est des plus limitées.
Enfin, si toutes les entreprises jouaient le jeu de la délocalisation défensive de compétitivité, les effets seraient positifs sur la compétitivité globale. Or, les baisses de prix attendues des délocalisations ne se produisent pas pour les raisons de traçabilité que vous avez évoquées, mais pas uniquement. Notre déficit industriel continue donc de se dégrader.
Trois types de compensations sont donc en crise, mais celles-ci ne sont pas manifestes si l’on se borne à étudier les différences de coût de production. Il convient de sérier ce problème et d’y ajouter ceux du coût du capital, des immobilisations, des biens intermédiaires – de ce point de vue-là, nous avons évalué à 20% l’avantage dont bénéficient les firmes allemandes grâce aux importations en provenance des pays d’Europe centrale et orientale.
S’agissant de la compétitivité hors coûts et de la qualité des produits, nous rencontrons de vraies difficultés. En moyenne, les marges ont baissé dans l’ensemble de l’industrie manufacturière, mais si l’on affine les analyses secteur par secteur, les comportements de marge sont patents. Il suffit de s’intéresser à la confection des jeans. Le problème de la traçabilité se pose, en effet, en raison de la suppression, en 1987, de l’obligation de mentionner le « made in » dans le secteur du textile et de l’habillement. Certaines délocalisations sont maquillées et ne se voient pas.
Je reviens à la comparaison avec l’Allemagne, même si vous avez raison de souligner qu’il existe d’autres modèles productifs efficaces.
M. le président Bernard Accoyer. Il n’en est pas moins vrai que c’est aussi notre premier partenaire.
M. le professeur E.M. Mouhoud. Et qu’elle a bénéficié de la moitié des parts de marché que nous avons perdues.
À la différence de l’Allemagne, donc, nos distributeurs sont excellents.
M. le président Bernard Accoyer. C’est d’ailleurs ce qui nous a pénalisés.
M. le professeur E.M. Mouhoud. En effet ! Il n’est pas question de réduire la taille de ces entreprises, mais leur stratégie de délocalisation diffère de celle des fabricants : elle consiste non pas à délocaliser la fabrication de pièces avant de les faire revenir ou à importer des biens intermédiaires pour les assembler sur place, mais à sous-traiter l’ensemble des processus en vendant ensuite les produits comme s’ils avaient été fabriqués en France avec une stratégie de maquillage de marges.
De plus, la taille des PME nuit à la qualité des produits. Dans l’industrie lourde, le problème essentiel est celui de l’innovation, alors que dans l’industrie légère – où les barrières à l’entrée sont extrêmement faibles, mais où la compétition est importante sur le plan des prix et de la qualité – les stratégies de marques jouent un rôle fondamental. D’où l’importance de la question de la traçabilité. Une commission a été chargée de réfléchir à la garantie « made in France », mais cela ne suffit pas : il faut rétablir la loi visant à garantir la traçabilité de l’ensemble des éléments d’un produit afin d’éviter ces comportements de « free riding », de « passager clandestin », consistant à faire passer pour produit français un patchwork issu de sous-traitance internationale tous azimuts.
Comme cela ne se mesure pas par l’investissement direct, j’ai accompli un travail de grande ampleur dont les résultats figurent dans Changement technique et division internationale du travail, ouvrage paru aux Editions Economica. Je me suis intéressé à la nomenclature des activités de biens et de services. A partir d’une nomenclature en 600 produits en équilibre ressources-emplois (production, emploi, consommations intermédiaires, commerce extérieur) il a été possible d’en calculer les contenus dans les importations globales, en valeur ajoutée. Cela a permis de mettre en évidence l’hétérogénéité très forte de l’ampleur de la délocalisation dans les différentes branches de l’industrie.
Les enjeux concernant les PME sont donc importants, en ce qui concerne tant les banques de développement que leur taille – des propositions ont d’ailleurs été faites à ce propos. Si les entreprises françaises délocalisent tous les processus de production et réimportent le produit final dans le cadre de délocalisations verticales alors que leurs homologues, en Allemagne, contrôlent mieux le processus – elles ont procédé à des délocalisations bien avant –, c’est parce que la taille des entreprises distributrices et fabricantes est relativement comparable dans ce dernier pays. Cela, bien entendu, ne se décrète pas ; c’est lié à une histoire. Que ces entreprises soient de taille comparable les a poussées à coopérer. En Allemagne, un accord tacite a ainsi été passé entre les fabricants et les distributeurs afin que les seconds se fournissent à plus de 60% auprès des premiers, ce qui n’a pas été possible en France.
Et si nos PME n’atteignent pas une taille critique, c’est essentiellement en raison du phénomène de rachats d’entreprises.
M. le président Bernard Accoyer. Et de la fiscalité !
M. le professeur E.M. Mouhoud. Ce n’est pas nécessairement lié à leurs capacités financières.
Les regroupements d’intérêts d’entreprises, par exemple en faisant jouer un rôle de coordination aux centres techniques, sont également importants.
Je reviens un instant sur les comportements de marge : le moins que l’on puisse faire est de ne pas systématiquement utiliser les aides publiques pour attirer les entreprises. De considérables cadeaux fiscaux ou, dans certaines collectivités, en termes d’immobilisation ont été si bien consentis que des entreprises se sont servies avant de repartir. Pour les territoires, les questions fondamentales sont celles de la formation, de la qualification et de la logistique.
S’agissant des services, je vous renvoie à l’ouvrage publié en 2010 et intitulé Économie des services et développement des territoires. En France, 75% des emplois sont dans les services, 12 % dans l’industrie, 7 % dans la construction et 4% dans l’agro-alimentaire. Sur ces 75 %, 35% sont dans les services non marchands, environ 45% dans les services marchands (30 % dans les services de logistique – issus de l’industrie et qui y demeurent très liés –, 12 % dans les services de la connaissance – R&D, innovation, consulting, marketing… – et 25 % dans le reste des services aux ménages). Environ 50% des activités de service sont intrinsèquement liées à l’industrie, dont 5 à 10 % sont des services supports très fragiles, « délocalisables » à merci. De surcroît, il n’y a pas de délais et il est désormais possible de fragmenter la chaîne de valeur pour de nombreuses activités de services. Nous savons où se produiront les chocs à venir. Une première moitié des zones d’emploi concernant les services n’est pas associée à d’autres activités, à la différence de la seconde qui est de ce fait relativement solide – c’est le cas dans les grandes agglomérations comme Lyon ou Paris, ainsi que dans des villes de taille moyenne.
Nous avons également montré dans le rapport en question que la fragilité ou la performance des territoires et des zones d’emploi s’explique par de très fortes complémentarités entre la spécialisation industrielle, celle des services et celle des services collectifs, dont 80 % sont des services publics. Dans les zones d’emploi qui parviennent à maintenir ou à développer des activités intégrant aussi de tels services, il faut prendre garde aux rationalisations budgétaires qui visent ces derniers.
Compte tenu de cette situation, on peut envisager une délocalisation de 5 à 10 % des emplois de services. Des services plus élaborés comme la R&D et l’innovation partent également, mais l’Ile-de-France continue néanmoins à être la première région d’Europe accueillant des investissements directs dans ce domaine.
Les investissements directs à l’étranger étant réalisés par l’intermédiaire de fusions-acquisitions, les délocalisations de R&D sont partiellement artificielles. En effet, le rachat d’une activité à l’étranger intègre la R&D et est comptabilisé comme un investissement direct dans la R&D à l’étranger.
De tels mouvements expliquent également les déplacements des centres de gravité de production depuis la France vers les pays émergeants en particulier. Depuis 2008, les grands groupes mondiaux ont ainsi créé plus d’emplois dans ces derniers que dans les pays industrialisés, en raison de la différence non pas des coûts mais de la demande.
Il est un peu plus difficile de délocaliser des services dans l’économie de la connaissance en raison de la possible imperfection du service final. Une société d’assurance qui a voulu délocaliser 400 emplois de gestionnaires de contrats est ainsi revenue sur sa décision lorsqu’elle s’est avisée qu’elle perdrait des parts de marché en raison de la mauvaise qualité des services qui seraient rendus à distance.
Enfin, sans doute serait-il utile de mettre en place un dispositif permettant de recueillir systématiquement des données statistiques sur la composition des coûts de production tout le long de la chaîne de valeur. Celles dont nous disposons, qu’il est d’ailleurs assez difficile d’obtenir tant elles sont stratégiques, résultent d’enquêtes réalisées seulement auprès d’échantillons d’entreprises.
Quoi qu’il en soit, nous observons qu’il existe deux types de secteurs. Ceux pour lesquels les coûts comptent : je songe à la production de biens de consommation pour lesquels les barrières à l’entrée sont très faibles – il faut bien sûr maîtriser les coûts par unité produite en favorisant l’innovation de procédés, veiller à la qualité, à la différenciation (innovation de produits) et à la traçabilité des produits, éventuellement à leur estampille « made in France ». Pour ceux dans lesquels l’innovation constitue le mode de concurrence dominant (électronique, informatique, téléphonie mobile), les baisses de coût, en l’occurrence, sont consécutives aux innovations et aux économies d’échelle. Ce n’est pas parce que le coût du travail est élevé que l’on ne parvient pas à fabriquer des biens nouveaux.
Nous devons avoir une vision à la fois sectorielle et géographique des problèmes – je songe aux zones d’emploi – afin de formuler des préconisations économiques qui rompent avec le passé et de pouvoir agir avant et non pas après les chocs économiques.
M. le président Bernard Accoyer. Je vous remercie, monsieur le professeur, de vos interventions, extrêmement fructueuses pour notre mission.
——fpfp——
Audition ouverte à la presse, de MM. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence et Christophe Blot, Directeur-adjoint du département de l’Analyse et de la Prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
(Séance du jeudi 11 octobre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous recevons deux économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une institution réputée qui a été fondée il y a plus de trente ans. L’OFCE est remarquable par la diversité de ses domaines d’étude. Les facteurs d’innovation, tels qu’analysés au sein du département que dirige M. Gaffard, représentent bien un élément décisif de la compétitivité dont il faut tenir compte dans le coût de production. Pour ce qui concerne l’analyse et la prévision qui relèvent plus particulièrement du département de M. Blot, nous cherchons d’abord à disposer de données actualisées. Mais votre audition, Messieurs, devra plus généralement nourrir les travaux préparatoires à notre rapport. L’objet de notre mission d’information, les coûts de production en France, recoupe de très nombreuses questions, irréductibles au problème du coût salarial : les procédures administratives, les contraintes normatives et législatives, les conditions dans lesquelles les salariés sont amenés à se loger et à se déplacer, les territoires, la fiscalité des personnes, l’investissement, des entreprises, la modernisation des appareils de production. Ces facteurs, nous essaierons d’en dresser l’inventaire.
Je vous remercie à nouveau d’avoir répondu à notre invitation et je vous cède la parole.
M. Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l’innovation et la concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Les coûts de production ne sont pas réductibles au seul coût du travail et notamment aux charges sociales. Votre mission d’information est certainement motivée par la situation délicate de notre pays, dont le déficit commercial croissant atteste de l’existence d’un réel problème de compétitivité. Ce problème est directement lié à l’industrie, en particulier manufacturière. Le thème de la ré-industrialisation, dont on parle beaucoup en France, s’est d’ailleurs aussi invité dans la campagne électorale américaine. De fait, l’industrie manufacturière, qui représente plus de 70 % des exportations et plus de 80 % de la recherche-développement, est au cœur de la croissance. L’enjeu des coûts de production est donc essentiel, en particulier dans ce secteur, mais leur maîtrise ne dépend pas uniquement du fonctionnement de l’entreprise ni de la réglementation qui s’y applique.
Pour l’expliquer, je soulignerai cinq points. Premièrement, les coûts de production ne se limitent pas aux coûts d’utilisation d’une capacité de production. Il faut y ajouter les coûts de construction de cette capacité, autrement dit des coûts d’investissement incluant coûts de R & D et coûts de marketing. Or, quand une entreprise innove, les coûts d’investissement rapportés au produit, y compris les coûts de R & D, sont sans cesse plus élevés. C’est la condition pour que les coûts de production au sens strict soient eux décroissants ou pour que le client ait un attachement au produit qui permet de ne pas être excessivement exposé à une concurrence en prix. La maîtrise nécessaire des coûts suppose d’optimiser la chaîne de valeur, c’est-à-dire de trouver l’équilibre entre la hausse des coûts d’investissement et la baisse recherchée des coûts de fonctionnement.
Deuxièmement, la maîtrise des coûts repose sur la division du travail, qui se traduit de plus en plus par la fragmentation internationale de la production et la constitution d’entreprises en réseau ou de réseaux d’entreprises. Ainsi, la fragmentation des processus de production, consistant à externaliser dans les pays à bas coûts salariaux et fortes compétences techniques la production des biens intermédiaires (y compris des biens de moyen ou haut niveau technologique) ensuite importés en tant que composants des biens finals produits, permet de renforcer la compétitivité de ces derniers, de conserver le cœur de l’activité (notamment la R & D et le design des produits), de maintenir et de développer l’emploi industriel domestique et de stimuler les exportations. Cette fragmentation de la production, qu’elle soit nationale ou internationale, est essentielle à la compétitivité. Nous en reparlerons à propos des entreprises allemandes. Un autre exemple est fourni par l’iPhone d’Apple, entreprise dont la performance repose sur l’extraordinaire fragmentation internationale du processus de production, qui a d’ailleurs nourri plusieurs controverses outre-Atlantique.
La constitution de réseaux est primordiale. Elle répond au besoin de coopération y compris entre entreprises concurrentes. L’objectif réellement poursuivi est de sécuriser les relations entre les différents acteurs du processus d’innovation afin de rendre compatibles investissements concurrents comme complémentaires, éviter que les premiers soient trop élevés, impliquant des excédents de capacité et les seconds insuffisants, créant des goulots d’étranglement. Créer un tissu productif efficace implique de la part des grandes entreprises industrielles (ou de la grande distribution) de nouer avec les PME placées en amont de leur activité des relations stables impliquant de ne pas leur imposer de baisses de prix indues, et de partager avec elles les coûts d’investissement rendus nécessaires par l’innovation. Ces réseaux peuvent contrevenir au droit commun de la concurrence. Ils concernent aussi bien l’industrie manufacturière que la grande distribution. S’agissant de cette dernière il est intéressant de noter que les accords de prix avec les producteurs du domaine agro-alimentaire, en cours de discussion, pourraient devenir déterminants de l’avenir du tissu de petites et moyennes entreprises de ce secteur en France.
Troisièmement, la maîtrise des coûts par les entreprises requiert souvent que soient aussi réalisés des investissements publics, qu’il s’agisse d’infrastructures, de projets structurants, ou de programmes de développement de technologies génériques. Ces investissements sont complémentaires des investissements privés et, à ce titre, en favorisent la mise en œuvre.
Quatrièmement, il existe une étroite dépendance entre des exigences de court terme et de moyen ou long terme en matière de coût. On l’aura compris l’enjeu véritable est une compétitivité à moyen et long terme exigeant des investissements dont il faut calibrer la taille pour en maîtriser le coût. Peu importe, à la limite, que cette compétitivité soit une compétitivité prix ou hors prix. Cependant, l’exigence de moyen et long terme ne saurait faire oublier les contraintes immédiates. Un manque de compétitivité courante, prix ou hors prix, se traduira par une chute des taux de marge, laquelle fera obstacle à la réalisation des investissements nécessaires pour restaurer à terme cette compétitivité prix ou hors prix.
Cinquième et dernier point : la maîtrise des coûts est indissociable de celle de la demande. Les entreprises cherchent naturellement à être compétitives en baissant leurs coûts et leurs prix pour accroître leurs parts de marché. Au niveau global, les choses sont différentes. Les mesures en faveur de la compétitivité des entreprises qui pèseraient sur le pouvoir d’achat pourraient être de peu d’effet sur leurs performances en raison d’une baisse induite de la demande des ménages. Le Nobel d’économie Paul Krugman le dit depuis longtemps, la compétitivité d’une nation n’est pas celle d’une entreprise. Le commerce international peut et doit être un jeu à somme positive : les revenus des uns servent à acheter les produits des autres. L’enjeu est pour chaque pays d’importer des biens moins chers afin d’affecter les ressources ainsi dégagées à ce qu’il sait le mieux faire. Mais il existe un risque que les déficits et les excédents commerciaux deviennent structurels, comme on le verra à propos de la France et de l’Allemagne.
Quel diagnostic peut-on formuler s’agissant de l’industrie française prise dans son ensemble ? Elle souffre d’un retard relatif tant en matière d’innovation (mesurée en l’occurrence par le ratio des dépenses privées de R&D) qu’en matière d’internationalisation, de la faiblesse relative de la coopération entre entreprises au sein d’écosystèmes de production, de la diminution des taux de marge.
Que peut-on faire pour combler ce retard et réagir à ces faiblesses ? Les objectifs découlent du diagnostic. Il faut rétablir les taux de marge, renforcer les écosystèmes locaux de production alliant entreprises, enseignement supérieur et recherche, petites et grandes entreprises, entreprises et institutions financières, renforcer la dimension internationale des activités. Les moyens sont ceux conjoints de la politique industrielle, de la politique de la concurrence, de la politique commerciale, de la politique budgétaire.
La thèse, aujourd’hui privilégiée, est que la hausse relative du coût du travail a contraint les entreprises à réduire leurs marges pour se maintenir sur les marchés au détriment des dépenses de R & D. Il deviendrait alors opportun de réduire ce coût en modifiant le mode de financement de la protection sociale. L’accent reste ainsi mis sur le poids des charges sociales au risque d’ignorer la complexité du problème de maîtrise des coûts.
Maîtriser les coûts c’est maîtriser le temps. Les entreprises doivent disposer du temps nécessaire pour construire une capacité de production compétitive et donc ne pas être dominées par des exigences de rentabilité à court terme. Le soutien des activités de coopération au sein de pôles de compétitivité, l’extension du crédit d’impôt recherche, la reconnaissance d’accords verticaux, un financement pérenne reposant sur des relations de proximité entre entreprises et institutions financières sont autant de facteurs favorables dans cette recherche de la maîtrise du temps.
Le gouvernement doit également disposer de temps dans sa gestion des contraintes budgétaires et de la dette publique. Il lui appartient d’éviter que la contrainte de demande contrevienne à l’effort de rétablissement des marges. La réforme du financement de la protection sociale doit être pensée dans le cadre d’une stratégie budgétaire globale faisant la part des contraintes d’offre et de demande. Sur ce dernier point, on peut, en effet, redouter que le transfert de la protection sociale vers de nouveaux modes de financement impliquant les ménages ne réduise encore la demande, ce qui annulerait son effet positif sur la compétitivité. Mme Laurence Parisot a d’ailleurs récemment signalé pour le Medef ce type de risque.
M. Christophe Blot, directeur adjoint du département de l’analyse et de la prévision de l’OFCE. La compétitivité – à laquelle renvoie immédiatement, sans s’y réduire, l’analyse des coûts de production – engage les relations commerciales avec les autres pays, au premier rang desquels l’Allemagne, premier partenaire de la France et son concurrent sur tous les marchés où nos entreprises sont présentes. Or, on considère souvent l’Allemagne comme très compétitive hors prix alors que la France souffrirait d’un déficit de compétitivité hors prix. Quels sont donc les ressorts de la compétitivité allemande et quelles leçons pouvons-nous en tirer ? Il ne s’agit pas ici de procéder à une énième comparaison franco-allemande, mais bien d’éclairer et d’illustrer par l’exemple allemand les sources de la compétitivité et de la maîtrise des coûts.
Parmi les facteurs de la compétitivité allemande, certains sont structurels alors que d’autres ont évolué favorablement au cours des dix ou quinze dernières années. On en dénombre principalement trois. Premièrement, l’internationalisation des entreprises et de l’économie en général. Depuis la fin des années 1990, la part des exportations dans le PIB a fortement augmenté en Allemagne, beaucoup plus que dans d’autres pays dont la France, pour atteindre aujourd’hui 50 %. Mais l’ouverture de l’économie implique également le développement des importations, à commencer par les consommations intermédiaires importées : l’intégration internationale du processus de production est plus marquée, ainsi que sa fragmentation. Selon plusieurs études, cette part croissante des consommations intermédiaires importées résulte notamment de l’externalisation vers des pays à moindres coûts salariaux, ce qui contribue à la segmentation du processus de production. L’Allemagne a pu tirer un grand profit de l’élargissement de l’Union européenne vers les pays de l’Est : il lui a été ainsi ouvert un marché, cela a densifié son réseau de fournisseurs et lui a fourni une main-d’œuvre dont les salaires sont plus faibles mais dont le niveau de qualification et la productivité restent élevés. Cette réorganisation de la production dans différents secteurs a contribué à optimiser les coûts de production. Sa situation géographique ne permettait pas à la France de bénéficier de la même évolution.
Deuxième facteur structurel de compétitivité : la mise en réseau des entreprises, utile pour capter des parts de marché, structurer les coûts et diffuser l’innovation. En Allemagne, le tissu de production est plus dense, associant de grandes entreprises et de petites et moyennes entreprises – elles-mêmes généralement plus grandes qu’en France. Cette interconnexion permet de réaliser des économies d’échelle et de maîtriser les coûts de production grâce à la proximité d’un réseau de fournisseurs. En outre, elle n’est pas sans effet sur les contraintes de financement pesant sur les entreprises, qui peuvent entraver leur développement et réduire leur capacité à exporter.
Le troisième facteur, régulièrement mis en avant, est la maîtrise des coûts salariaux, qui ont connu en Allemagne une baisse relative assez marquée à la fin des années 1990 et tout au long des années 2000. Selon une étude publiée, cette année, par l’INSEE, entre 1996 et 2008, les coûts du travail dans l’industrie manufacturière ont progressé en moyenne de 2 % en Allemagne quand ils croissaient de 3,4 % en France. Dans le secteur des services marchands, l’écart est encore plus marqué puisque la hausse moyenne au cours de la même période a été de 3,2 % en France, contre 1,2 % en Allemagne. Précisons que c’est l’Allemagne qui s’est écartée de la France plutôt que l’inverse. Comment l’expliquer ?
Le principal élément d’explication tient à la place du dialogue social en Allemagne. La maîtrise des coûts résulte pour une part d’accords passés avec les partenaires sociaux, par entreprise ou par secteur, de la fin des années 1990 à la fin des années 2000, alors que le taux de chômage était relativement élevé – y compris au milieu de ces mêmes années 2000, période au cours de laquelle il avait baissé en France.
Ensuite, la maîtrise des coûts salariaux repose sur celle des charges sociales. Les réformes Hartz ont contribué à réduire le coût du travail en Allemagne, notamment en durcissant les conditions d’accès à la protection sociale afin d’inciter les chômeurs à retrouver plus vite un emploi, fût-il moins bien rémunéré que le précédent. S’y ajoute la volonté de créer ou de développer un secteur de travail faiblement rémunéré – 400 à 800 euros mensuels –, où les cotisations sociales sont réduites.
Si l’on affine l’analyse, on constate cependant que dans les grandes entreprises du secteur industriel, le coût du travail reste plus élevé en Allemagne qu’en France, mais que ce n’est pas le cas dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, ni dans les services.
Les réformes Hartz ont entraîné, à partir de 2003, un bouleversement du modèle social allemand, dont la maîtrise des coûts de production est elle-même indissociable. Si l’internationalisation réduit les coûts de production par le biais des consommations intermédiaires, cette réduction découle également des pressions qui s’exercent sur les petites entreprises ainsi que de l’externalisation d’une part des activités, dont les services. Au total, les prix allemands à l’exportation n’ont pas baissé mais les entreprises en ont profité pour accroître leurs marges, ce qui a bénéficié à l’investissement.
À côté de ces différents facteurs, la TVA sociale, instaurée en 2007, n’intervient qu’en fin de processus et ne joue en définitive qu’un rôle plutôt marginal.
Quelles leçons tirer de ces observations ? La première est l’importance du dialogue social : l’évolution du coût du travail dépend essentiellement de celle des salaires, qui peuvent faire l’objet d’une négociation avec les partenaires sociaux. Entre 1992 et 2010, le taux apparent de cotisation « employeurs » en France a perdu près de six points.
M. Olivier Carré. Mais il faut inclure la CSG : globalement, le montant des cotisations sociales a augmenté.
M. Christophe Blot. Dans ce contexte, il appartient à l’État de veiller à ce que le dialogue social se déroule bien et soit équilibré.
Ensuite, pouvons-nous nous inspirer de l’internationalisation des entreprises allemandes ? Les entreprises françaises ont développé une stratégie internationale qui se distingue de l’approche allemande et qui porte elle aussi ses fruits : elles réalisent des investissements directs à l’étranger et en tirent des dividendes assez élevés – 1,9 % du PIB en 2011 – dont une grande partie est réinvestie. Une stratégie à l’allemande est-elle souhaitable, et est-elle même possible ? L’Union pour la Méditerranée pourrait-elle jouer le même rôle que l’élargissement à l’Est pour l’Allemagne ?
L’innovation s’est développée en Allemagne au cours des années 2000. Alors que les deux pays consacraient auparavant le même pourcentage de leur PIB aux dépenses de recherche-développement, l’Allemagne a continué d’accroître son effort tandis que la France stabilisait le sien. En la matière, l’interconnexion des entreprises est essentielle, de même que l’articulation entre secteurs public et privé. La recherche et l’innovation peuvent s’appuyer en France sur plusieurs outils – les pôles de compétitivité, le crédit d’impôt-recherche, Oséo, Ubifrance, la future Banque publique d’investissement (BPI) – qu’il faudrait peut-être adapter et assurément faire agir en synergie.
Enfin, l’on ne peut faire abstraction du contexte macroéconomique. Or l’économie, en France et chez la plupart de ses partenaires de la zone euro, souffre de la faiblesse de la demande, qui résulte en partie des efforts de consolidation budgétaire. L’Allemagne fait encore exception, mais elle est de plus en plus concernée par la restriction de la demande extérieure, et sa demande intérieure est freinée par des facteurs plus structurels.
En outre, l’exemple allemand le montre, les mesures destinées à relancer la croissance mettent du temps à porter leurs fruits. Entre 1999 et 2006, alors même que l’Allemagne gagne en compétitivité, la croissance moyenne du PIB par tête est sensiblement la même dans les deux pays. La compétitivité n’est pas tout : c’est l’un des moyens de la croissance, laquelle reste l’essentiel. Alors qu’au cours des années 2000 la croissance était forte dans le monde et dans la zone euro, les réformes structurelles en cours pèsent aujourd’hui sur une demande déjà très affaiblie, et devraient limiter les effets attendus d’un choc de compétitivité. Ainsi, l’Irlande, pays très ouvert, qui a beaucoup réduit ses coûts de production dès le début de la crise, n’est toujours pas sortie de la récession, parce que la demande intérieure et de ses partenaires commerciaux est atone.
En somme, une croissance durable s’appuiera sur la recherche et l’innovation, qui amélioreront la productivité. La maîtrise des coûts sera probablement secondaire, mais la compétitivité sera accrue.
M. Laurent Furst. Merci, Messieurs, pour ces deux approches très intéressantes.
Dire que c’est la consolidation des politiques budgétaires et des comptes publics qui fait stagner l’Europe, c’est faire fi de l’évolution du taux d’endettement des entreprises et des ménages. De l’agrégat de ces trois facteurs dépendra la capacité des États à rebondir. La dette publique n’est que l’un des aspects du problème.
Selon l’INSEE, le taux de marge des entreprises françaises est tombé à 28,6 %, son plus bas niveau depuis vingt-cinq ans, contre 34,4 % en Allemagne et 38,3 % en moyenne dans la zone euro. On peut bien parler d’avenir, mais il faut dégager de l’argent aujourd’hui pour construire les produits de demain et investir en France. C’est le problème principal.
D’autre part, la part des charges et impôts payés par les entreprises dans le PIB est nettement plus élevée en France qu’en Allemagne. Le problème n’est pas le niveau des salaires, qui est bas pour nombre de nos concitoyens, mais le coût salarial par unité de production : les salaires sont « onéreux » parce qu’ils sont lourdement taxés.
M. Thierry Benoit. Pour ma part, si je vous suis, Messieurs, en ce qui concerne la fragmentation de la production, notamment celle de la production industrielle dans le monde, votre explication de la différence de compétitivité entre la France et l’Allemagne me laisse plus dubitatif. Sur les possibilités qui ont été offertes à l’Allemagne par l’explosion du bloc de l’Est et le redimensionnement consécutif de l’Union européenne, comme sur l’atonie du marché européen, nous sommes d’accord. Il est tout autant exact que le dialogue social est indispensable à la vie de l’entreprise et à ses performances. Mais pensez-vous vraiment que c’est par le dialogue social, source de maîtrise des salaires et des cotisations, que l’on rendra aux entreprises françaises leur compétitivité ?
M. Claude Sturni. Le lien entre recherche-développement et production, variable selon les secteurs, est manifeste dans ce que l’on appelle les filières d’avenir. Sur les 40 derniers médicaments mis sur le marché, aucune molécule n’a été développée en France. Si, dans l’industrie pharmaceutique ou dans le secteur des biotechnologies, nous ne développons pas les produits chez nous, nous ne produirons jamais chez nous. Des difficultés sont donc à prévoir au cours des quinze années à venir. Qu’en pensez-vous ?
M. Olivier Carré. En prenant aussi en considération les coûts implicites, que l’OFCE a souvent étudiés dans le passé, on pourrait utilement compléter votre comparaison intra-européenne. Quelle est la place de la France de ce point de vue, notamment eu égard à l’environnement normatif et législatif ?
Ensuite, on ne cesse de comparer la France et l’Allemagne, mais les Français sont les Français et les Allemands sont les Allemands – comme nous l’avait dit, je crois, Patrick Artus lors de son audition devant une précédente mission d’information. À partir des années 1990, les suites de la chute du Mur et l’intégration de l’Allemagne de l’Est ont fait l’objet d’une réflexion poussée qui a beaucoup compté dans les choix ultérieurs du chancelier Schröder. C’est particulièrement vrai des discussions salariales, qui – quoi que l’on en pense au fond – ont rendu les bas salaires admissibles en Allemagne. Il s’agissait donc d’une décision parfaitement consciente. Les circonstances ne sont pas les mêmes en France aujourd’hui : il existe un consensus, à droite comme à gauche, pour ne pas toucher aux salaires. De quels autres moyens disposons-nous pour parvenir à une dynamique économique aussi intégrée ? Vous avez évoqué le Sud, Monsieur Blot, mais il est assez balkanisé et l’on a vu combien il pouvait être difficile d’associer à une telle démarche des pays instables – voyez la Syrie – alors même que la stabilité est la clé de l’économie.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. En ce qui concerne le financement des entreprises, constate-t-on des différences, notamment à l’international, dans la manière dont les banques soutiennent l’innovation ou simplement la bonne marche de l’entreprise ?
À propos des réseaux d’entreprises, où s’arrête l’« écosystème local », où commence l’externalisation ? À mon sens, il y a une limite à ne pas franchir. Si la coopération entre des entreprises de taille différente est une bonne chose, l’externalisation de plusieurs fonctions qui sont partie intégrante de la chaîne de production n’est-elle pas problématique ?
Monsieur Gaffard, vous avez mentionné la filière agroalimentaire, ce qui est rare lorsque l’on aborde le sujet qui nous occupe. Pourriez-vous développer ce point ?
S’agissant des salaires, les uns parlent de charges quand les autres préfèrent parler de cotisations ; les uns parlent de coût du travail, les autres de salaire différé. Quoi qu’il en soit, le mode de négociation qui a permis d’aller vers des accords sur les salaires en Allemagne n’est-il pas singulièrement absent en France ? Cette absence n’est-elle pas liée au mode de gouvernance de nos entreprises, en particulier de nos grands groupes ?
M. le président Bernard Accoyer. Pour enchaîner sur ce qu’a dit notre rapporteur, le caractère frontal des relations sociales en France n’est-il pas aussi un élément qui pèse sur les coûts de production ? Quand on ajoute la rigidité, les nombreuses dispositions, la judiciarisation, les seuils et j’en passe, on voit bien que la nature des relations sociales en France n’est pas propice à alléger quoi que ce soit.
M. Jean-Luc Gaffard. En premier lieu, quand il est question de dialogue social, il ne faut jamais oublier l’essentiel : les salaires sont un coût mais aussi une demande. Un système qui fonctionne permet d’obtenir des gains de productivité qui sont largement distribués aux salariés : c’est ce qu’un certain Henry Ford avait compris il y a plus d’un siècle. Mais que se passe-t-il en cas de difficultés ?
S’agissant de la pratique des entreprises en Allemagne, elles ont géré la crise en recourant largement au chômage partiel, dans le cadre du dialogue social. Face à des diminutions supposément conjoncturelles des commandes, elles ont gardé leurs salariés sous contrat et ainsi maintenu le capital humain, l’État venant en suppléance combler en grande partie la baisse de salaire. Cela fait une grande différence avec des licenciements purs et simples conduisant à la perte de capital humain.
Le dialogue social ainsi conçu et utilisé permet de maîtriser le temps, celui de la demande et celui de l’investissement. S’il est utilisé systématiquement pour diminuer la part des salaires dans le revenu global, c’est la demande globale qui est atteinte avec au bout du compte le risque de dépression. La difficulté vient sans doute du fait que l’Allemagne joue sur les deux tableaux et compte sur la demande externe pour compenser l’insuffisance de demande interne. Aujourd’hui, l’Allemagne investit trop vis-à-vis de la consommation domestique alors que la France consomme trop vis-à-vis de ce qu’elle investit. C’est une situation structurelle délicate à gérer qui fait de votre sujet aujourd’hui une question sans solution simple.
Les coûts de l’investissement sont très importants et augmentent systématiquement, son temps de gestation est de plus en plus long. Mais ces coûts ne doivent pas être réduits aux seuls coûts de R & D, ils englobent les coûts de marketing et d’exploration des nouveaux marchés, qui augmentent eux-mêmes sans cesse. Une décision de fragmenter une production et d’implanter une usine en Chine ou en Slovaquie coûte extrêmement cher, non seulement en activités matérielles mais aussi en activités immatérielles.
C’est bien pourquoi la stratégie de l’entreprise, avec les réseaux qu’elle mettra en place, est déterminante. De ce point de vue, il y a une étroite complémentarité entre la proximité géographique, les relations fortes de coopération entre entreprises locales, et la capacité d’externaliser des activités et de fragmenter internationalement la production. Cela ne signifie pas qu’il existe une sorte de kit qui fonctionne à tout coup et assure une réussite systématique, mais il ne faut sûrement pas opposer le développement de réseaux locaux et l’internationalisation. Ce sont deux aspects qui vont ensemble, l’industrie allemande l’a très largement prouvé.
L’agroalimentaire est un exemple typique de secteur impliqué dont l’activité est structurée par des relations de réseaux. Dans une interview récente, le responsable d’une entreprise de la grande distribution évoquait les discussions en cours sur les accords de prix entre la grande distribution et les producteurs de l’agroalimentaire. J’ai été frappé par l’explication qu’il donnait de la réaction de la grande distribution face à la chute de ses marges due à la chute de la demande. Elle consiste à baisser les prix quasiment au niveau du prix de revente à perte pour les grandes marques, qui sont davantage attractives pour les clients, et à augmenter, en contrepartie, les marges sur les marques de distributeurs et les petits producteurs. Cette stratégie fait fi de la pérennité du tissu productif et fait courir à la petite production agroalimentaire le risque de payer les pots cassés de cette chute de la demande. C’est un cas typique de relations non coopératives qui intervient dans un contexte où l’agroalimentaire est un secteur particulièrement concerné par la baisse de compétitivité de la France vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ce secteur, en effet, les services marchands jouent un rôle extrêmement important et les PME, qui ont vu leurs coûts du travail relativement abaissés en Allemagne, sont très importantes.
L’Allemagne a développé des stratégies industrielles extrêmement efficaces qui méritent parfois d’être imitées, mais elle a joué essentiellement sur la capacité globale d’exportation en pesant sur la demande intérieure. Tant que ce problème ne sera pas résolu, je crains qu’il n’y ait pas de vraie solution. Aussi faut-il s’inquiéter de l’écart croissant de performance entre la France et l’Allemagne, qui fait que nos intérêts économiques commencent à ne plus être les mêmes. Il n’y a pas de solution crédible à se tourner vers les pays du sud. La France est, de quelque manière, prise en étau. Il ne faut pas oublier que l’Italie conserve un excédent commercial significatif dans le domaine industriel, que l’Espagne détient un avantage dont témoigne le choix récent de PSA de conserver son unité de production à Madrid. La solution réside dans des formes renouvelées de coopération entre la France et l’Allemagne, même s’il est difficile d’expliquer aux Allemands qu’ils doivent augmenter leurs salaires et leurs prix pour rendre nos entreprises plus compétitives.
Sans doute faudra-t-il réfléchir sur la manière d’infléchir les stratégies industrielles en France. Certains aspects de la désindustrialisation ont été le résultat d’erreurs stratégiques manifestes. Il y a vingt ans, Siemens et la Compagnie générale d’électricité étaient des entreprises comparables : l’ex-CGE, rebaptisée un temps Alcatel Alstom, a choisi de s’orienter vers le secteur des télécoms ; Siemens, l’a au contraire abandonné pour se recentrer sur ses métiers de base. Aujourd’hui, le résultat est clair : conserver son cœur industriel et ne pas chercher à entrer dans des activités pour lesquelles on ne dispose pas des compétences foncières est la stratégie gagnante.
M. le président Bernard Accoyer. Pierre Suard a construit et ultérieurement Serge Tchuruk a détruit.
M. Jean-Luc Gaffard. M. Tchuruk disait vouloir faire une entreprise sans usines !
À moyen et long terme, les erreurs de stratégie industrielle peuvent coûter très cher. Or, on ne peut pas les corriger du jour au lendemain.
S’agissant du rapport de la France à l’Allemagne et du tournant stratégique pris par celle-ci dans les années 2000, il ne faut se garder d’oublier que l’Europe vit, depuis des décennies, en croissance faible. L’Allemagne a fait un énorme effort de reconstruction des lander de l’Est, en faisant le choix, pour ainsi dire dicté par l’état des relations européennes, d’une politique budgétaire expansionniste et d’une politique monétaire très restrictive qui a fait monter fortement les taux d’intérêt et a cassé l’investissement technologique, aussi bien en Allemagne qu’en France. Au début des années 2000, une fois absorbés en partie les coûts de la réunification, l’Allemagne s’est consacrée à retrouver ses marges d’exportation, dans un contexte de croissance faible, en partie à travers des mesures industrielles dont il faut s’inspirer, mais aussi en affaiblissant sa demande interne.
M. Olivier Carré. Nous n’avons pas les mêmes données démographiques.
M. Jean-Luc Gaffard. Le vieillissement de l’Allemagne va lui poser, demain, de sérieux problèmes. C’est probablement la question qui doit permettre d’ouvrir une négociation stratégique entre la France et l’Allemagne.
M. Olivier Carré. C’est notre point fort. Si on ne le négocie pas, nos enfants iront travailler en Allemagne.
M. Jean-Luc Gaffard. Ce qu’elle espère, d’ailleurs.
M. Olivier Carré. L’Espagne perd déjà ses jeunes ouvriers qualifiés.
M. Laurent Furst. Dieu sait que je connais l’Allemagne : j’installe des entreprises allemandes dans mon bassin d’emploi, je vais discuter à Munich avec Osram qui est précisément une filiale de Siemens et se trouve actuellement en vente. La ville jumelée avec ma commune est bavaroise, je parle un peu allemand. Néanmoins, je trouve incroyable cette véritable obnubilation des Français pour l’Allemagne alors que bien d’autres pays ont trouvé des moyens de s’en sortir. L’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède ont montré des chemins, même si l’Allemagne donne le rythme aujourd’hui en Europe. Or, elle a une histoire très particulière avec la problématique de l’Europe de l’Est, et il est intéressant de constater que la dette publique allemande correspond à peu près à ce qui a été investi par l’Ouest à l’Est. L’Allemagne sait être rigoureuse et unie sur des objectifs essentiels, elle a été beaucoup marquée par son histoire contemporaine, qui a eu des incidences sur son économie et sa culture. Du reste, cette dernière est en train de changer : l’augmentation des coûts salariaux est une réalité aujourd’hui dans l’industrie allemande qui connaît un phénomène de rattrapage ainsi qu’une attente très forte des partenaires sociaux.
Aujourd’hui, le commerce extérieur européen est à l’équilibre ou bénéficiaire mais la France est très déficitaire. Voilà pourquoi nous avons aussi intérêt à regarder de près les quatre pays que j’ai cités, plus quelques autres, et à ne pas nous focaliser seulement sur ce qui serait un « modèle allemand ».
M. Christophe Blot. Il n’y a pas, de notre part, d’obsession allemande. Mais nous voyons dans l’Allemagne un élément de comparaison intéressant dans la mesure où nos économies sont proches, que nous sommes partenaires privilégiés et que les deux pays ont des tailles similaires. Comme, de surcroît, on retrouvait de multiples facteurs de maîtrise des coûts et de gestion de la compétitivité en Allemagne, on pouvait penser en tirer certaines leçons. Évidemment, le poids de l’histoire joue un rôle important et on ne peut pas s’attendre à faire la même chose alors que les circonstances sont différentes. L’importance et la force du dialogue social ne peuvent pas être transposées telles que – et si quelques changements peuvent intervenir, ils ne se décrètent pas. Certains éléments relevés ne peuvent donc pas être retenus parce qu’ils appartiennent à un contexte particulier. Néanmoins, ils peuvent permettre de comprendre et ouvrir des pistes.
M. Claude Sturni. En Allemagne, certains coûts de production sont rassemblés, comme les achats de matières premières ou de produits alimentaires, puis répartis sur toute une filière, ce qui allège le coût de revient des producteurs. Nous, nous ne sommes pas capables de le faire.
M. le président Bernard Accoyer. Il y a aussi la question des normes environnementales.
M. Laurent Furst. Alors qu’ils sont quasiment en situation de plein-emploi, ils ont aussi introduit des salaires à 400 euros, avec lesquels ils paient des gens qu’ils font venir de l’Est. En France, on ne peut pas le faire.
M. le président Bernard Accoyer. Si la distorsion entre la France et l’Allemagne s’aggrave, nous courons le risque d’une domination de notre appareil productif. Nous avons des pépites industrielles sur lesquelles les Allemands lorgnent avec envie.
M. Jean-Luc Gaffard. L’un des grands problèmes de la France, c’est que les PME qui réussissent disparaissent. Elles sont systématiquement rachetées. C’est une grande différence avec l’Allemagne. J’ai l’exemple d’une entreprise de haute technologie actuellement implantée à Sophia Antipolis, petite start-up au départ, employant aujourd’hui 3 700 personnes dans le monde. Quand son patron a essayé d’acheter une entreprise allemande, il s’est aperçu que la succession par un ingénieur maison était prévue de longue date et que, l’entreprise n’étant pas cotée en bourse, il n’avait aucune possibilité de la racheter. En Allemagne, il y a une réelle préoccupation de préserver le tissu des PME à travers tout un ensemble de comportements, de normes, de réglementations.
M. Olivier Carré. Et une fiscalité adaptée à l’entrepreneur.
M. Jean-Luc Gaffard. Si le succès du crédit d’impôt recherche est indéniable en France, il est tout de même nettement moindre au niveau des PME parce qu’il est impossible pour ces entreprises de répondre aux exigences administratives. Comment, par exemple, vérifier que la personne désignée comme faisant de la recherche fait vraiment de la recherche à 80 % ou 50 %. Pour résoudre cette difficulté, le crédit d’impôt devrait aller au-delà de la R & D.
Les pôles de compétitivité ont fait l’objet de gros efforts mais il y en a beaucoup trop. Dans ma seule région, en plus des pôles nationaux, vingt-cinq pôles locaux ont été créés, ce qui pose le problème du mode de gouvernance – encore assurée, de façon typiquement française, par l’administration sous l’influence d’intérêts électoraux immédiats.
S’il est difficile de proposer une réponse globale au déficit de croissance en Europe, il est, en revanche possible et nécessaire de proposer un certain nombre de règles et de normes susceptibles d’infléchir les stratégies industrielles.
M. le président Bernard Accoyer. Nous devons vraiment réfléchir au problème de la transmission et de la reprise des entreprises, ainsi qu’aux rachats en avalanche d’entreprises françaises par des étrangers. C’est le sort qu’ont connu la plupart des pépites de mon département, telles que Salomon ou Entremont. La dernière filiale de Renault a été rachetée par des Japonais. Si cet aspect n’intervient pas directement dans les coûts de production, il est lié à la problématique de la production tout court. Lorsque le centre de décision est à l’étranger, la logique n’est évidemment plus la même.
Dans les entreprises familiales, les responsables subissent une véritable usure. Face aux contraintes, aux tensions, à la pression, la famille est parfois découragée de poursuivre. La fiscalité de la transmission du patrimoine est un autre élément dissuasif. Lorsqu’il n’y a aucun intérêt à continuer, autant placer son argent dans l’immobilier, quitte à devenir une économie spéculative et non plus de production.
M. Jean-Luc Gaffard. C’est ce qui se passe.
M. le président Bernard Accoyer. Les dernières évolutions de la fiscalité me paraissent aller à l’encontre de l’intérêt comme de la pérennité du tissu industriel, de sa capacité à investir et du maintien dans le patrimoine national d’entreprises familiales détenues par des compatriotes. Pourtant, on le voit bien, notamment en Allemagne, le capitalisme familial est décisif. En ce qui concerne le niveau du taux marginal de l’impôt sur le revenu, comment voulez-vous qu’un vendeur de centrales nucléaires, de TGV ou de Rafale demeure localisé dans des entreprises françaises où, de ce fait, on va lui prendre, par la fiscalité, ce qu’on ne lui prend dans aucun autre pays au monde ? Sans faire de polémique politicienne, c’est la réalité d’aujourd’hui.
En la matière, il faut vite revenir au bon sens. Un réexamen de la fiscalité s’impose, même si ça ne concerne pas directement les coûts de production. Mais avant même de s’interroger sur ces coûts, ne faut-il pas s’assurer qu’on produise en France ? Pour cela, il faut investir dans le pays et y maintenir les investissements. Un nouveau débat s’ouvre aujourd’hui sur la pertinence d’inclure les œuvres d’art dans la taxation du patrimoine. Je dis, moi, depuis toujours, pourquoi y avoir mis les entreprises qui produisent en France ?
M. Olivier Carré. J’ai retenu de vos interventions, Messieurs, que, dans les économies modernes, la nécessité d’investir rend mécaniquement le coût de l’investissement de plus en plus élevé, et cela logiquement puisqu’on est dans une dynamique de rendements décroissants. Or, depuis dix ou quinze ans, des éléments de fiscalité, de normes et autres venant s’ajouter sans cesse, l’entreprise finit par subir une double peine : la baisse mécanique de la productivité et celle de la compétitivité qu’on ne peut pas compenser. L’effet de diffusion de l’innovation dans le reste du monde rattrape et fait que la spécificité normative supplémentaire condamne l’investissement dans le pays développé.
Au niveau des politiques publiques, cela justifie la nécessité de mettre en place un environnement business friendly. Ça nous ramène aux collectivités, par exemple, qui, de façon inégale sur le territoire, adoptent pour certaines cette attitude et d’autres pas. À partir de là, mécaniquement, on a un surenchérissement du coût de l’investissement simplement dû à l’environnement économique. Cet aspect me paraît fondamental pour éclairer la nécessité pour l’environnement administratif au sens le plus large d’être vraiment light sur l’entreprise elle-même.
Cela éclaire aussi le débat sur le transfert ou non des entreprises vers les ménages du coût de la protection sociale. Le vrai sujet de fond à considérer est simple : c’est l’entreprise qui génère la valeur ajoutée. Lui demander d’assurer ce financement handicape sa capacité à décider, à répondre aux différents chocs qu’elle reçoit de l’extérieur c’est-à-dire de son environnement concurrentiel. Cela affaiblit le tissu productif et donc l’emploi.
Ce qui pourrait peut-être apparaître comme des banalités économiques me semble de nature à remettre de l’ordre dans les décisions à prendre. Le fait que ce soit l’entreprise qui ait le plus de capacité à décider de son allocation me paraît plus efficace pour l’ensemble de la collectivité que lorsque c’est le ménage. Aujourd’hui, on en est là.
M. Daniel Goldberg. La solution doit passer par une plus forte intégration au niveau européen d’un certain nombre de normes. De ce point de vue, nous n’avons pas beaucoup avancé, au cours des vingt dernières années, dans la construction d’un modèle européen qui permette à la fois de ne pas trop se livrer une concurrence totale à l’intérieur même de nos frontières, en particulier entre les pays fondateurs ouest-européens, et de pouvoir peser plus et collectivement vis-à-vis de l’extérieur.
Il faut aussi savoir comment, dans cet environnement, nous disposons ou non de la capacité de maintenir le compromis social établi il y a maintenant un demi-siècle, par lequel le pays dans son ensemble participait à tous les aspects de notre vie, tant celui du travail que celui du social.
M. Thierry Benoit. Puisque nous sommes au début des auditions, je voudrais prolonger le propos du président Accoyer. Il me paraît indispensable d’inclure dans notre mission un volet « transmission des entreprises ». Il n’est pas normal que des décideurs français soient obligés d’imaginer des solutions à l’extérieur du pays pour transmettre l’entreprise, l’outil de production. Dans certains cas, c’est ainsi que cela se passe. On l’a dit, cela se traduit par un transfert des centres de décision et, indirectement, par une perte de souveraineté à la fois pour l’entreprise et pour le patrimoine national. Je n’irai pas jusqu’à préconiser le protectionnisme, mais j’ai travaillé vingt ans dans une entreprise familiale, dont l’outil de production est devenu « la proie » d’actionnaires étrangers. Elle avait tellement grossi, depuis un demi-siècle, qu’elle était devenue difficile à transmettre dans un cadre familial mais aussi national.
M. Olivier Carré. Un point encore, concernant le poids de la loi nationale par rapport aux transpositions de directives dans notre droit. Souvent, l’administration propose des modifications qui conduisent à alourdir sensiblement la directive et, finalement, à nous doter de notre propre réglementation qui handicape les entreprises. À la sortie, on se retrouve avec des distorsions de concurrence alors que, dans un environnement européen intégré, on devrait avoir la même règle stricte pour tous. Il y a là un travail à mener en interne, une réflexion politique, au sens plein du terme.
M. le président Bernard Accoyer. Nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui. Je remercie M. Jean-Luc Gaffard et M. Christophe Blot d’avoir participé à la première journée de nos auditions.
Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS)
(Séance du jeudi 18 octobre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Avant vous, Monsieur le directeur général du Centre d’analyse stratégique, nos interlocuteurs ont pointé la baisse de notre compétitivité, allant jusqu’à parler d’un délitement du tissu industriel français, que semblent confirmer les chiffres en notre possession. Quelle vision globale avez-vous de ce phénomène ? Disposez-vous de données comparatives permettant de nous situer notamment par rapport à nos partenaires de la zone euro ? Comment expliquer la dégradation de notre position à l’exportation ? Quelles sont ses conséquences sur la balance commerciale ? Comment peut-on créer un véritable choc de compétitivité, ou du moins agir afin d’améliorer celle-ci ?
M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique. J’évoquerai les coûts de production dans une perspective internationale, avant de présenter succinctement deux études que nous venons de réaliser.
Dans notre pays, le coût horaire moyen d’une heure de travail effectif se situait en 2008 – la situation ayant peu évolué depuis lors – à 31,80 euros, soit un niveau significativement supérieur à celui de la zone euro. Il est plus élevé en Belgique et au Danemark, mais inférieur en Allemagne et encore plus faible en Italie ou en Espagne.
En ce qui concerne l’évolution du coût salarial unitaire, le coût salarial rapporté à la production, la France se trouve dans une situation intermédiaire entre l’Espagne ou l’Italie, et l’Allemagne qui, ces dernières années, a réalisé des progrès considérables. La productivité allemande a subi un choc après la réunification, avant de se redresser progressivement pour passer au premier plan de l’Europe. La situation de la France s’est fortement dégradée pendant la même période.
Comparons à présent salaire « superbrut », soit le total versé par l’entreprise pour chaque salarié, et productivité. À la fin des années 70, le salaire « superbrut » progresse plus fortement que la productivité, ce qui entraîne un coût pour les entreprises. La courbe s’inverse ensuite. La situation est stable pendant les années 90, où le ralentissement des gains de productivité s’accompagne d’une certaine modération salariale. Entre 1983 et 1989, le salaire net évolue peu ou de manière négative, même quand le salaire « superbrut » augmente assez fortement, car la hausse est absorbée par la protection sociale : autrement dit, les gains de productivité ne profitent à la rémunération directe des salariés car ils sont intégralement absorbés par la hausse du coût de la protection sociale. Le phénomène n’est pas propre à la France mais la France est particulièrement touchée.
Depuis 1995, la productivité de l’Espagne ou de l’Italie, inférieure à la moyenne européenne, n’a pas rattrapé celle des autres pays. C’est le cœur des difficultés qui ont produit la crise européenne. On escomptait que, grâce à l’Union, la productivité des États convergerait permettant une convergence des salaires sans aggravation des écarts de compétitivité. Or l’Allemagne ayant fait preuve de plus de modération salariale que les pays dits méditerranéens, les écarts de compétitivité se sont creusés. Un important décrochage s’est produit en 2008 et 2009. Pendant la crise économique, la plupart des pays, à l’exception de l’Espagne, ont imité la politique de rétention de main-d’œuvre pratiquée par l’Allemagne qui n’a pas hésité pas à conserver les emplois même quand la production plongeait. Cette stratégie, qui fait fléchir la compétitivité pendant la crise économique, peut être rentable à long terme, la présence de salariés qualifiés permettant à l’entreprise de repartir du bon pied après la crise.
En France, la part de la rémunération du travail qui entre dans la valeur ajoutée est relativement stable, mais son niveau élevé, qui favorise les salariés, limite la capacité des entreprises à constituer des marges susceptibles, en particulier, de permettre un niveau élevé d’investissement. En Allemagne, sa diminution, entre 1995 et 2010, a permis aux entreprises de renforcer leur compétitivité.
Dans notre pays, les coûts salariaux unitaires, stables dans l’industrie, ont connu une hausse constante dans le secteur marchand. Tandis que l’Allemagne les a maîtrisés dans tous les secteurs, nous les avons laissé augmenter, notamment dans les services ou la construction. Ils pèsent sur la compétitivité globale, puisque l’industrie a de plus en plus recours aux services de conseil, de maintenance ou d’informatique.
La différence entre coût « superbrut » et salaire versé est particulièrement élevée en France, du fait de l’importance des charges sociales. La stratégie ciblant les allégements de charges sur les bas salaires a profité aux services plus qu’à l’industrie dans la mesure où celle-ci compte plus d’emplois relativement qualifiés ou très qualifiés et verse des salaires plus élevés. Ce décrochage n’a pas été constaté en Allemagne. A vrai dire ce n’était pas le seul ni même le principal objectif des allégements de charges : ils ont peu favorisé la compétitivité industrielle, mais ils avaient pour objectif de ramener vers l’emploi des personnes peu qualifiées, particulièrement sensibles à la rémunération.
J’en viens aux deux études du Centre d’analyse stratégique auxquelles j’ai fait allusion.
La première concerne les salaires et les politiques salariales.
Bien que, depuis 1982, la France connaisse une certaine modération salariale et un resserrement de l’éventail des rémunérations, on constate de nouvelles disparités liées à la croissance rapide des hauts salaires et à la progression de nouvelles formes d’emploi, comme le temps partiel ou les contrats autres que les CDI. Les politiques de rémunération s’individualisent, notamment par le biais des primes individuelles, les établissements faisant le choix d’une plus grande souplesse en matière salariale.
Le système français est dual. Les pouvoirs publics interviennent dans la formation des bas salaires par le biais du SMIC et des mesures réduisant le coût du travail peu qualifié, comme la prime pour l’emploi (PPE), le revenu de solidarité active (RSA) ou les baisses de charges sur les bas salaires. Parallèlement, la place du dialogue social est réduite, la négociation collective dans l’entreprise se développant plus que la négociation de branche, ce qui favorise l’individualisation des salaires.
Le Centre d’analyse stratégique a proposé qu’on instaure un point d’étape annuel, comme il en existe dans d’autres pays. Un rendez-vous national inscrit dans le cadre d’une discussion macroéconomique permettrait aux partenaires sociaux de concilier la négociation salariale et le souci de la compétitivité.
La seconde étude porte sur l’ajustement de l’emploi et des heures travaillées pendant la crise. Les pays ont réagi très différemment au choc économique, qui s’est traduit par une baisse de la demande entraînant une chute de la valeur ajoutée. Au Royaume-Uni, le choc été compensé presque parfaitement par une baisse de l’emploi de même ampleur. En Espagne, surtout dans le secteur de la construction, il a été surcompensé, ce qui a entraîné des gains de productivité : la crise a joué le rôle d’un signal qui a permis de réduire les sureffectifs. En Allemagne, il a été sous-compensé, les entreprises préférant conserver leurs salariés pour mener une stratégie de long terme et en utilisant de manière massive le chômage partiel. La France a également choisi de préserver l’emploi, mais elle a recouru dans une moindre mesure au chômage partiel. De plus, l’Allemagne, qui fabrique des produits différenciés, a pu augmenter ses prix, ce qui lui a permis de s’ajuster dans de meilleures conditions que la France.
M. Jean Grellier. Pouvez-vous analyser, pour chaque filière, la part des charges salariales et celle des coûts de production incluant notamment des déterminants comme le transport et encore le coût de l’énergie ?
M. Vincent Chriqui. On peut adopter une vision d’ensemble ou descendre à un niveau plus fin. J’ai distingué l’industrie et les services pour souligner que le coût de ceux-ci pèse sur l’ensemble de l’économie.
Le coût de l’énergie est relativement bas en France grâce au nucléaire. En Allemagne, il augmentera à mesure que s’accomplira la transition énergétique, qui modifiera la compétitivité de certains secteurs. Si l’on cherche à descendre vers une analyse secteur par secteur les chiffres existent naturellement pour chacun d’eux, mais ils ne permettent pas de réfléchir globalement à une politique publique qui jouerait sur le coût du travail pour favoriser la compétitivité.
M. Thierry Benoit. L’OCDE l’a montré : le nombre d’heures travaillées par habitant, qui est faible en France, pèse sur notre productivité. Depuis dix ans, la réduction du temps de travail hebdomadaire est « un serpent de mer ». Le Parlement ne devrait-il pas ouvrir le débat ? La qualité du travail des Français n’est pas en cause ; ce qui compte c’est la performance de notre pays par rapport à ses voisins. Avez-vous analysé celle de la sphère publique et de la sphère privée ? En Suède, le code du travail a décloisonné les statuts des secteurs public et privé, permettant le passage de l’un à l’autre. Cet exemple est-il de nature à alimenter notre débat sur la compétitivité ?
M. Vincent Chriqui. Ces questions appelleraient des réponses plus longues que celles que je vais vous donner.
Il est facile de trouver des chiffres pour évaluer l’incidence de la durée du travail sur la productivité. En France, cette durée est relativement faible par rapport à la moyenne mondiale, voire européenne, mais la productivité horaire est élevée. Les deux éléments sont liés : dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible.
Si la faible durée hebdomadaire du travail est un handicap pour les entreprises, on ne peut l’augmenter qu’en préservant le dialogue social et en évitant une hausse systématique des salaires, qui favoriserait le pouvoir d’achat mais nuirait à la compétitivité. Un partage entre les entreprises et les salariés est envisageable dans le cadre d’une évolution négociée. Cela se produit dans certaines entreprises, mais de manière encore trop ponctuelle.
Il est très difficile de mesurer la productivité du secteur public. Dans les comptes nationaux, on identifie de manière un peu simpliste sa production à son coût sans tenir compte de la performance. En France, le niveau de l’emploi public est supérieur à la moyenne, ce qui laisse supposer que des gains de productivité sont encore possibles, mais il faut considérer les chiffres secteur par secteur pour avoir une véritable analyse de la performance.
Nos charges salariales intègrent de manière importante le point fiscal et social versé à l’État et à la sécurité sociale.
La réussite de l’Allemagne tient en grande partie à ce qu’elle apporte de la valeur ajoutée à des biens d’Europe centrale et orientale en conservant la partie la plus intensive de la production, comme l’assemblage, en main-d’œuvre qualifiée. Du coup, elle parvient à baisser ses coûts en conservant des salaires assez élevés. Cela dit, au fur et à mesure que les pays d’Europe centrale ou orientale convergeront, ses coûts augmenteront, réduisant d’autant son avantage concurrentiel.
En France, au lieu de trouver des fournisseurs dans différents pays, nous préférons implanter des usines ailleurs. Ces délocalisations peuvent être critiquées mais il faut savoir que dans la majorité des cas elles visent surtout à servir d’autres marchés, notamment celui des grands pays émergents où se réalise désormais l’essentiel de la croissance.
M. Marc Goua. Il est essentiel d’examiner la productivité de chaque filière et la façon dont on vend. Nos entreprises ont peu de logistique à l’exportation, ce qui les pénalise. En outre, elles travaillent souvent dans des domaines à faible valeur ajoutée.
M. Vincent Chriqui. La France est présente dans différents secteurs avec des produits très différenciés, ce qui lui permet de fixer les prix. On distingue en effet les price makers, proposant un produit que les gens acceptent de payer plus cher, comme une BMW, et les price takers, qui ne vendront des biens standards, par exemple des agrafes, que s’ils les offrent à un prix moins élevé que leurs concurrents. L’Allemagne réussit mieux que la France à proposer des produits différenciés de haute qualité et à organiser des filières à l’exportation performantes.
On ne peut pas dissocier la compétitivité hors prix de la constitution des coûts. Si les Allemands ont su faire preuve d’innovation technologique et se positionner sur les marchés, c’est parce que, depuis dix ans, ils préservent leurs marges, ce qui leur permet d’investir plus que nous dans la recherche et développement, en soignant la qualité et le design des produits. À terme, l’avantage coût se traduit aussi dans la compétitivité hors prix.
M. Laurent Furst. Vous avez souligné qu’en France, le coût salarial entre pour beaucoup dans la valeur ajoutée. Pour autant, cela ne signifie pas que le salaire net est trop élevé. Depuis vingt ans, nos marges sont plus faibles que celles de nos concurrents. Un chiffre permet de mesurer la capacité des entreprises à investir, à innover et à créer un outil productif : il y a 150 000 automates programmables dans l’industrie allemande contre 35 000 en France. Quand le taux de marge est faible, il n’y a pas de dynamique.
J’ai interrogé un jour le dirigeant d’une entreprise où travaille une soixantaine de personnes. Pour 100 euros nets perçus par le salarié, l’entreprise verse 107 euros de charges et impôts divers.
J’ai, par ailleurs, eu accès à un indice non public utilisé par un groupe européen employant 400 000 personnes dans le monde, qui agrège la totalité des coûts dans les pays où ce groupe est présent. Ainsi, le pays où le coût de production est le plus élevé est l’Allemagne, avec un indice 100, contre 98 pour la France et 73 pour les États-Unis. Quand un groupe investit dans un marché très ouvert, il se demande où il obtiendra un produit de qualité à moindre coût, fiscalité comprise, car la dynamique d’un système économique ne se mesure pas uniquement à l’aune du coût salarial.
M. Vincent Chriqui. Je souscris à votre analyse, sauf sur le rapport entre le salaire « toutes charges comprises » et le salaire net, qui est supérieur à 1,7. J’ajoute que la très grande majorité de nos 35 000 machines-outils a sans doute été fabriquée en Allemagne... La question du coin fiscal et social est essentielle pour la compétitivité des entreprises et pour les salariés. Pendant les Trente Glorieuses, où l’on gagnait cinq à sept points de productivité par an, on pouvait en consacrer deux à protection sociale et trois au salaire net. Aujourd’hui, où la France est à la frontière technologique et où la croissance tendancielle est de 2 % à 3 % par an, la dérive des coûts de la protection sociale absorbe une grande part de la richesse créée et la maîtrise des charges salariales globales se fait au prix d’une quasi-stagnation du salaire net, ce qui n’est pas une solution acceptable pour les salariés. La meilleure réforme en faveur de la compétitivité c’est la réforme des retraites, ou toute autre réforme permettant à long terme de maîtriser les coûts sociaux.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je préfère parler du prix du travail, plutôt que de son coût. Les cotisations sociales acquittées par les entreprises servent à engager des dépenses utiles à notre pays. Elles ont même pu être considérées comme un salaire différé pour les salariés. Si le système actuel devait être modifié, un autre mode de financement de la protection sociale devrait être mis en place qui handicaperait peut-être, lui aussi, la compétitivité des entreprises.
En quoi les politiques françaises d’incitation à l’innovation et à la transposition de la recherche et développement (R&D) dans l’économie diffèrent-elles de celles conduites en Allemagne, voire dans d’autres pays européens ? Quelle est l’efficacité des aides publiques ? Atteignent-elles les objectifs qui leur sont fixés ? Quel est, par exemple, le bilan de l’action des pôles de compétitivité qui ont été récemment créés et dont l’organisation a pu faire l’objet d’interrogations ?
La qualité des produits fabriqués en France comporte deux dimensions : la qualité réelle et celle de l’image. Disposez-vous d’études sur ce sujet ?
Enfin, un consensus existe sur la nécessité d’aider prioritairement les PME. Ces entreprises sont les vecteurs principaux du redressement et de l’innovation. Quelle stratégie a été menée à l’étranger pour les soutenir ?
M. Vincent Chriqui. Si la protection sociale n’était plus financée comme elle l’est actuellement, elle devrait l’être par d’autres moyens, c’est vrai. Ainsi, des dispositifs individualisés remplaceraient des mutualisés, ce qui ne serait pas forcément mieux. Mais d’un autre côté, tout système repose sur des arbitrages dont beaucoup sont implicites. Une situation où la protection sociale s’accroît, mais où la progression des salaires nets est faible, voire nulle, résulte d’un arbitrage qui pourrait être différent si les Français avaient le choix. Il n’est pas certain que l’on se console de voir les salaires stagner en se disant que ses droits à la retraite progressent.
Le niveau des dépenses de R&D rapportées au PIB en France est au-dessus de la moyenne européenne, mais reste bien inférieur à celui en vigueur dans les pays nordiques, les plus performants en la matière. La part des dépenses de R&D engagées dans le public est supérieure à celle constatée dans d’autres pays. Les défis que la France doit relever sont donc le développement de la R&D dans le secteur privé et l’amélioration du partage de la R&D entre les sphères publique et privée. Le CAS a publié une étude sur les politiques de soutien à l’innovation dans différents pays. Il en ressort que la France a adopté une stratégie mixte en définissant les secteurs à aider, jugés cruciaux pour la croissance future – ce sont les dépenses d’avenir –, tout en appuyant la R&D et l’innovation dans les entreprises par des dispositifs généraux – le crédit impôt recherche (CIR) est de cette nature. Le précédent Gouvernement a mené ces deux politiques : des moyens ont été dégagés, malgré la crise financière, pour les dépenses d’avenir et le CIR a été maintenu à un niveau très élevé, ce qui permet à la France d’être un pays accueillant pour les investissements dans la R&D. Ces dispositifs peuvent toujours être améliorés et il serait opportun de les mutualiser, au moins en partie, à l’échelle européenne.
L’économie française occupe des positions ciblées et excelle dans certains domaines de haute technologie – l’aéronautique, l’aérospatial, l’agroalimentaire, la pharmacie –, alors que l’Allemagne est présente sur de nombreux secteurs de moyenne technologie grâce notamment à des entreprises de taille moyenne. La France accuse un retard, non en matière de « made in France », car des biens de très grande qualité sont produits, mais s’agissant de la capacité à se différencier et à développer des politiques de marque, ce qui suppose des marges pour le financement d’activités de design ou de R&D.
Notre pays est porté par de grands champions nationaux alors que l’Allemagne et d’autres pays ont réussi à tisser un réseau d’entreprises de taille intermédiaire et exportatrices. Avec les pôles de compétitivité et les dépenses d’avenir, nous essayons d’irriguer un tissu, car il faut éviter une concentration des aides sur les grandes entreprises. L’expérience allemande nous enseigne que la formation est primordiale. Le système français repose sur les grandes écoles au détriment de la formation professionnelle. Or, le cursus dans ces écoles conduit aux grandes entreprises multinationales. En Allemagne, le choix d’une voie professionnelle garantit l’obtention d’un emploi et cette formation comprend une part importante effectuée en alternance, souvent dans une PME qui bénéficiera ensuite d’une main-d’œuvre qualifiée. Des enseignements doivent être tirés de cette méthode.
M. Olivier Véran. Les Français travaillent un peu moins longtemps que leurs voisins, mais plus efficacement ; ils sont donc compétitifs, ce qui est une bonne nouvelle.
Comment évolue la part des biens à forte valeur ajoutée dans la production française globale ? Si leur proportion diminue, est-ce dû à un problème de coût, de formation, de stratégie, de concurrence internationale ? Les coûts de production évoluent-ils lorsque la part de la production à forte valeur ajoutée varie ? L’enjeu réside-t-il dans la réduction de ces coûts ou dans l’acceptation de leur niveau pour permettre la production de biens à forte valeur ajoutée et le renforcement d’un modèle hautement compétitif ?
M. Vincent Chriqui. Les salariés français sont très productifs, et nous pouvons tous nous en réjouir. Mais attention, la productivité est mesurée par un ratio : la production rapportée au nombre d’heures travaillées. Ce ratio peut être amélioré par la performance de ceux qui travaillent ou par la mise à l’écart d’une partie de la population active, celle ayant une productivité plus faible et qui se trouve au chômage ou à temps partiel. Les États-Unis ont une productivité horaire comparable à celle de la France mais en situation économique normale, presque tout le monde occupe un emploi même les personnes dont la productivité est faible. Il est très positif d’avoir une productivité horaire du travail élevée, mais ce résultat ne doit pas être obtenu par l’exclusion des travailleurs les moins productifs.
La France est mieux positionnée sur les emplois de haute valeur ajoutée que l’Allemagne. Des champions mondiaux sont ainsi spécialisés dans des secteurs de haute technologie. L’Allemagne est davantage orientée vers un modèle reposant sur une grande performance dans de nombreux domaines de technologie intermédiaire. Le défi, pour la production française, est donc non pas de monter en gamme vers la forte valeur ajoutée, mais de fabriquer des biens différenciés et performants dans tous les secteurs, y compris ceux de moyenne valeur ajoutée. La conception de produits différenciés, reconnus et mieux vendus, est indépendante du coût de production. Néanmoins, atteindre cet objectif nécessite des investissements, et donc des marges.
M. le président Bernard Accoyer. Constater que le salarié français serait plus productif que les autres alors qu’il travaille moins longtemps doit alimenter une réflexion sur le temps de présence sur le lieu de travail. Le Français travaille certes moins longtemps, mais il subit une pression plus forte durant son temps de travail. Avec les 35 heures, les RTT et les durées de congés, la France est le pays où le temps passé en dehors du lieu de travail est le plus élevé au monde. Cette situation permet-elle à la disponibilité intellectuelle, à l’inventivité et à l’imagination des salariés de s’épanouir ? Au-delà de nos divergences politiques, cette question doit être posée du fait de l’infléchissement de notre productivité depuis une dizaine d’années.
Quel est le coût des contraintes législatives et normatives qui sont particulièrement lourdes en France ? L’actuel déplafonnement de certaines cotisations sociales alourdit le coût d’une main-d’œuvre qualifiée déjà rare dans certaines filières et dans certaines régions.
Pourquoi, alors que nous avons un tissu de moyennes ou petites entreprises très inventives, le développement, l’industrialisation et la commercialisation se font-ils de plus en plus à l’étranger ? Enfin, quelles sont les solutions pour diminuer les coûts de production en France ?
M. Vincent Chriqui. Si l’on veut diminuer la durée de travail hebdomadaire sans dégrader la compétitivité, les conditions de travail peuvent bien sûr changer sensiblement. C’est une question d’équilibre. Les Sud-Coréens n’ont pratiquement pas de limite en matière de temps de travail, ce qui n’est pas l’idéal pour développer la productivité et l’inventivité. La France se situe à l’autre extrémité du spectre.
Le coût des contraintes législatives et normatives est très difficile à évaluer, même si l’OCDE a développé un indice synthétique sur ce sujet. La France n’est pas très bien classée sans que sa position soit alarmante. Notre pays pâtit surtout d’une mauvaise image, comme le révèle le tableau sur l’attractivité que le CAS élabore avec l’Agence française des investissements internationaux – l’AFII. Cette perception est d’autant plus regrettable que la France est bien considérée pour la qualification de sa main-d’œuvre, ses infrastructures et sa situation géographique au cœur de l’Europe.
La coexistence d’un niveau élevé de chômage et d’un grand nombre d’offres d’emploi non pourvues est un défi lancé à notre système de formation initiale, à notre capacité de permettre aux demandeurs d’emploi d’accéder aux secteurs où des besoins ne sont pas satisfaits et à notre faculté de rendre attractifs des domaines qui sont moins considérés.
Comme je le disais, la France a laissé dériver ses coûts, notamment dans les services, et c’est préoccupant pour la compétitivité de l’industrie qui s’appuie de plus en plus sur ces services.
Favoriser l’émergence d’un Mittelstand est une tâche difficile. La formation professionnelle effectuée en alternance dans les entreprises est un élément important. Les PME françaises pâtissent d’un manque de ressources humaines capables de développer l’exportation et la montée en gamme ; dans cette optique, certaines fonctions pourraient être mutualisées et des liens tissés entre grandes et moyennes entreprises. Les entreprises françaises ont du mal à grandir. Une fois qu’elles atteignent une certaine taille, elles sont rachetées par un grand groupe car nous n’avons pas la capacité qu’on les Allemands de faire vivre un capitalisme de taille intermédiaire reposant sur des investisseurs ou des familles. Ce phénomène a certes des origines culturelles, mais il tient aussi à un environnement économique et fiscal.
Pour réduire les coûts de production, il convient de maîtriser les dépenses sociales. À ce titre, basculer une partie des charges sociales sur des ressources fiscales est une idée intéressante. Nous sommes dans le cadre d’une politique d’ensemble, car on ne peut séparer la question des charges des entreprises de la capacité de celles-ci à être innovantes, performantes. Même si beaucoup a été fait au cours des cinq dernières années pour soutenir la R&D et l’innovation, il faut aider les entreprises à reconstituer leurs marges.
M. Laurent Furst. La productivité horaire des salariés français est élevée parce que de nombreux emplois ont été supprimés du circuit productif. Ainsi, notre système de distribution d’essence est le plus automatisé au monde et le nombre de salariés dans l’hôtellerie est le plus faible du monde. En outre, depuis l’adoption de certaines mesures, les salariés subissent effectivement une forte pression pour produire beaucoup dans un temps restreint.
Cela dit, le problème principal de l’économie française n’est-il pas la faiblesse du taux de marge des entreprises ?
M. Vincent Chriqui. La question du taux de marge est importante. Reconstituer la capacité des entreprises à être innovantes, à produire des biens différenciés, à accroître leurs dépenses de R&D et à être performantes à l’export passe en partie par l’augmentation de leurs marges. Par ailleurs, le soutien public à l’innovation et l’amélioration de la formation initiale et professionnelle concourent également au développement des entreprises, ce qui aura, à terme, un effet sur les marges.
M. Olivier Véran. Lorsque des forums pour l’emploi sont organisés, les étudiants ne se pressent pas sur les stands des filières industrielles bien que les conditions de travail et de sécurité à l’usine se soient grandement améliorées. L’émission de télévision « Top Chef » a eu un tel impact sur l’attractivité des métiers de cuisine que l’on manque maintenant de... serveurs ! Peut-être faudrait-il imaginer un « Top Chimie » ou un « Top Usine » pour inciter les jeunes à s’orienter vers les filières industrielles ! La promotion de notre outil industriel pose question. Le niveau de salaire – souvent satisfaisant aujourd’hui dans l’industrie française – est l’un des éléments de cette promotion. Il est temps d’agir, car certaines filières commencent à être désertées. La formation initiale doit être adaptée très tôt aux besoins pratiques des industriels et la formation continue doit être en conséquence repensée. Je suis convaincu que c’est très important pour les coûts de production.
M. Vincent Chriqui. L’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies de l’industrie représente 25 % de nos formations supérieures, contre environ 50 % en Chine et 75 % à Singapour. Nos formations initiales doivent donc être adaptées. Par ailleurs, certains métiers de l’hôtellerie et de la restauration sont parmi ceux où il est le plus difficile de pourvoir les offres d’emploi alors que ces métiers ne requièrent pas de hautes qualifications et pourraient constituer une solution pour de nombreux demandeurs d’emploi. L’industrie pâtit d’une image qui ne correspond plus à la réalité ; les évolutions y sont aujourd’hui rapides et nombreuses. Les métiers industriels sont de plus de plus qualifiés et donc de mieux en mieux rémunérés. Un effort de promotion des filières industrielles auprès des jeunes est donc nécessaire.
M. le président Bernard Accoyer. Ne convient-il pas d’inclure, dans le coût de la production en France, celui des 35 heures, soit quelque 20 milliards d’euros par an de charges supplémentaires induites par les exonérations de cotisations et l’augmentation du nombre de fonctionnaires ?
Par ailleurs, le gaz de schiste va occasionner une baisse très forte des coûts de production aux États-Unis, qui vont rapidement se rapprocher des niveaux chinois. Un nouveau terrain de compétition internationale pesant sur les coûts de production n’est-il pas en train de s’ouvrir ?
M. Vincent Chriqui. Le coût des 35 heures est naturellement intégré dans celui du travail. Il est difficile de l’évaluer, mais il existe et il est élevé. Le passage aux 35 heures peut s’analyser comme un choc de compétitivité négatif puisqu’il s’agit de faire moins travailler les salariés avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État, mais supporté in fine par les entreprises. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur ce point.
Quant aux gaz de schiste, ils représentent en effet une révolution énergétique majeure. Les États-Unis vont devenir exportateurs de gaz après en avoir été les premiers importateurs. La baisse des prix mondiaux du gaz va profiter à tout le monde. En revanche, seuls les pays producteurs de gaz de schiste vont percevoir une recette liée à l’exportation. La France conserve, grâce à la filière nucléaire, un prix de l’énergie relativement compétitif même si la facture liée aux énergies fossiles est considérable. Le choix de l’Allemagne de sortir du nucléaire oblige ce pays à plus utiliser non seulement les énergies fossiles, ce qui lui permet de profiter de la baisse du prix du gaz, mais aussi les énergies renouvelables qui, pour l’instant, sont beaucoup plus chères. Au total, cela devrait se traduire par une forte augmentation du prix de l’électricité, ce qui aura un impact sur la compétitivité des entreprises allemandes.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cela dit, les États-Unis sont confrontés à un problème d’accès à l’eau, notamment dans les zones où la fracturation hydraulique est utilisée pour l’extraction du gaz de schiste. Le prix du mètre cube d’eau a augmenté pour les particuliers et les professionnels, ce qui induit des conséquences économiques - notamment pour les agriculteurs. Il faut donc appréhender la question du gaz de schiste dans son ensemble.
M. Vincent Chriqui. Ce que vous décrivez, monsieur le rapporteur, correspond au fonctionnement du marché : si de l’eau est nécessaire à l’exploitation du gaz de schiste, son prix augmente et celui du gaz baisse. Cependant, il s’agit d’une technologie nouvelle et elle va certainement évoluer, et en particulier devenir plus économe en ressources.
M. Thierry Benoit. Le choix de la réduction du temps de travail fait par la France il y a une quinzaine d’années a totalement bouleversé le rapport de la population française avec la valeur travail. Nous connaissons tous des entreprises et des filières qui offrent des emplois ainsi que des personnes qui sont plutôt attirées par la fonction publique pour la sécurité de l’emploi. Il faut travailler à décloisonner la sphère publique et la sphère privée, et à sécuriser les parcours professionnels. Ainsi, les jeunes pourront être attirés par une filière qui fournira, elle aussi, sécurité et apaisement. C’est nécessaire, car les salariés français sont certes très productifs, mais à quel prix ?
M. le président Bernard Accoyer. Il nous reste à vous remercier, Monsieur Chriqui, pour vos informations dont nous allons faire sans aucun doute le meilleur usage.
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian de Boissieu, Professeur d’économie (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF)
(Séance du jeudi 18 octobre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous recevons, à présent, Monsieur Christian de Boissieu, professeur d’économie à Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers. Il a beaucoup travaillé sur le financement des économies européennes. Souvent consulté au titre d’expert, il a notamment participé aux travaux de la mission Attali sur la libération des conditions de la croissance française. Vous pourrez donc décliner vos réflexions et réponses à nos questions sur les coûts de production en France.
M. Christian de Boissieu, professeur d’économie (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers. Succédant à d’autres intervenants, je reprendrai à ma manière des éléments qui ont sans doute déjà été formulés. Je souhaiterais aborder cinq aspects.
Le premier problème est d’ordre statistique lorsqu’on compare différents coûts de production et, qui plus est, que ces comparaisons sont effectuées avec des pays situés hors de la zone euro, tels que le Royaume Uni ou les États-Unis, du fait de l’intervention des taux de change. Il nous faut en effet raisonner en nous fondant sur le coût total de production et non sur le seul coût salarial. Ce coût total inclut notamment celui de l’énergie – comme l’illustrent le cas de l’Allemagne ou le débat sur les gaz de schiste –, mais également les charges financières des entreprises, qui varient selon leur taille et leur secteur d’activité – même si l’on a tendance à occulter ce débat sous prétexte que les taux d’intérêt à court et long termes sont bas, sans tenir compte des spreads payés par les emprunteurs jugés « risqués ». Les économistes s’accordent d’ailleurs sur le fait que le taux de marge moyen des entreprises françaises a plutôt eu tendance à diminuer, s’élevant désormais à 27-28 %, contre 31 à 32 % auparavant.
En deuxième lieu, la compétitivité-prix, qui dépend en grande partie du coût salarial unitaire c’est-à-dire du rapport entre salaire et productivité du travail, joue également un rôle non négligeable. Ainsi la perte de compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000, qu’illustre le décalage entre le déficit extérieur structurel de la première et l’excédent structurel de la seconde, s’explique-t-elle à la fois par l’évolution des coûts salariaux (le numérateur du ratio) dans ces deux pays – l’Allemagne ayant en effet mené une politique salariale très sévère afin de tirer les conséquences de sa réunification – et par celle de leurs gains de productivité du travail (le dénominateur) – la France étant certes bien classée en termes de niveau de productivité du travail, mais pas spécialement en termes de gains de productivité. De même, depuis l’entrée de la Grèce dans la zone euro, les écarts de coûts salariaux unitaires qui existaient entre ce pays et l’Allemagne se sont accrus au cours de la dernière décennie. Alors que l’on pensait que la monnaie unique allait par son existence même rapprocher nos économies réelles, elle en a au contraire accentué les divergences.
Le troisième point a trait à la compétitivité « hors prix », parfois citée pour amoindrir l’importance de la compétitivité-prix alors que nous devons nous appuyer simultanément sur ces deux composantes. Le Centre d’observation économique de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, que j’ai dirigé pendant une vingtaine d’années, a montré dans une enquête relative à l’image hors prix des produits français auprès de certains importateurs étrangers qu’en la matière, depuis vingt à vingt-cinq ans, la France a comblé une partie de son retard face à l’Allemagne. Les entreprises allemandes conservent cependant une avance pouvant expliquer pourquoi elles sont moins sensibles que leurs homologues français au taux de change, et en l’occurrence à la surévaluation de l’euro. Plus généralement, en Europe, les différentiels de compétitivité « hors prix » sont tels que les pays européens sont inégalement sensibles aux taux de change, d’où la difficulté de définir un point de vue européen sur le taux de change idéal.
Mon quatrième point concerne encore plus précisément les taux de change. Si les entreprises françaises doivent faire des efforts pour accroître leur compétitivité et regagner des parts de marché, l’objectif pour la France est non pas d’afficher un excédent extérieur, mais plutôt de ne pas se maintenir pendant des décennies en situation de déficit extérieur structurel non soutenable à long terme. Or, si jamais nous sortons progressivement de la crise de la zone euro mais que les Américains, ravis de la sous-évaluation du dollar, continuent à jouer la guerre des monnaies pour améliorer leur compétitivité, nos efforts en ce domaine risquent d’être ruinés par un taux de change défavorable. L’épée de Damoclès de la baisse possible du dollar pourrait en effet s’abattre sur nous en 2013-2014. Dès lors, la question sera posée à M. Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), et aux autorités européennes, de savoir si la zone euro se dotera jamais d’une politique de change.
Enfin, cinquième et dernier point, au-delà de l’enjeu du basculement d’une partie des charges sociales vers de nouveaux modes de financement – la vitesse de basculement me paraissant à cet égard aussi importante que celle de son ciblage sur une hausse de la TVA ou de la CSG –, l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises dépend d’autres éléments structurels, tels que le mode de financement de nos dépenses d’avenir en faveur de la recherche-développement et de l’innovation et l’amélioration de la compétitivité de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. En effet, tout en restant keynésien, j’estime que l’économiste le plus important pour nos politiques publiques à venir est Schumpeter, économiste autrichien qui affirmait que les ressorts du capitalisme résident dans l’innovation, tant s’agissant des nouvelles technologies, de la montée en gamme des produits qu’en matière d’organisation. Cela explique d’ailleurs pourquoi 22 des 35 milliards d’euros du Grand emprunt ont été consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche. On ne peut cependant pas recourir au Grand emprunt tous les ans. Dès lors, dans le contexte financier actuel – fort difficile du fait de la pression qui s’exercera sur les budgets publics au cours des quatre ou cinq ans à venir ainsi que sur les banques privées du fait des nouvelles règles prudentielles définies lors des accords de Bâle III – il faut se demander comment attirer davantage de l’épargne des ménages, encore abondante en France, pour financer ces dépenses d’avenir.
M. Laurent Furst. Le coût de l’électricité est certes en train d’augmenter en Allemagne, mais dans la mesure où la très grande industrie allemande s’approvisionne sur le marché européen de l’énergie, elle ne sera guère affectée par cette hausse.
En outre, si le financement des dépenses d’avenir doit, en très grande partie, être assuré par les entreprises elles-mêmes, celles-ci sont cependant confrontées à plusieurs handicaps. Tout d’abord, leur taux de marge est particulièrement faible depuis vingt-cinq ans. Ensuite, leur taux d’endettement a considérablement augmenté au cours des cinq dernières années. Dès lors, comment pourront-elles y parvenir au lieu de perdre des parts de marché ?
Enfin, l’essentiel du champ concurrentiel de nos entreprises se trouve à l’abri des variations de taux de change puisque plus de 60 % du commerce extérieur français se fait dans la zone euro.
M. Christian de Boissieu. J’ai parlé du taux de change entre l’euro et le dollar, mais j’aurais également pu évoquer la livre sterling, car si le Royaume Uni est notre deuxième partenaire commercial, ne joue-t-il pas aussi le jeu de la guerre des monnaies ?
En outre, même si chaque pays européen réalise 70 % de ses échanges extérieurs au sein de la zone euro, les 30 % restants sont importants, étant donné les faibles marges de manœuvre dont nous disposons.
Quant au taux de marge, il est constant lorsque les salaires réels varient comme la productivité du travail. Pour remonter ce taux, il nous faut investir dans l’innovation afin d’accélérer nos gains de productivité – ce qui n’exclut nullement une augmentation des salaires réels, à condition qu’elle soit moins importante que celle de nos gains de productivité. Les effets de ces gains mettront néanmoins un peu de temps à se faire sentir.
Enfin, vous m’interrogez à la fois sur l’accès des entreprises au financement et sur le coût de celui-ci. Oséo enregistre de bons résultats depuis quelques années et la mise en place de la Banque publique d’investissement (BPI) pourra aussi contribuer à ce financement – mais dans des proportions insuffisantes eu égard aux besoins. Dans un contexte mondial qui demeurera ouvert et concurrentiel, les entreprises françaises qui, quel que soit leur secteur d’activité, sont toutes « preneuses de prix » (price takers) ne devraient pas trop compter sur la constitution d’un pouvoir de marché pour reconstituer leurs marges ; elles devraient plutôt envisager une politique de gains de productivité et d’économies. Votre question sous-tend d’ailleurs celle de la politique fiscale à adopter. Or, le groupe animé par Didier Migaud, qui a travaillé sur les questions de convergence fiscale franco-allemande, a jugé qu’il était difficile de comparer le taux d’imposition sur les sociétés de la France, qui s’élève à 33 %, à celui, plus faible, de l’Allemagne, dans la mesure où les taxes locales des deux pays sont différentes.
M. Thierry Benoit. Vous vous êtes demandé vers quelles sources et à quelle vitesse le basculement du financement de la protection sociale devait s’opérer et vous avez de la sorte effleuré la question que je qualifie de « TVA sociale ». Préconisez-vous un choc de 3 à 4 points de TVA, soit le basculement de 30 à 40 milliards d’euros de taxe sur la production vers la taxe sur la consommation, afin d’assujettir notamment à l’impôt des produits qui sont manufacturés en Asie mais dans des conditions éthiques et sociales fort discutables ?
M. Christian de Boissieu. Je m’efforce d’être pragmatique sur cette question complexe. Comme vous le savez, l’Allemagne a fait un peu de TVA sociale. Mais celle-ci n’a représenté qu’un point sur les trois points de hausse de la TVA décidés en 2005. Les deux autres points ont servi à réduire le déficit public. À l’époque, l’Allemagne avait une marge pour le faire étant donné son bas niveau de TVA au départ. Pour notre part, nous nous sommes recréé une marge de fait, dans la mesure où nos partenaires ont augmenté leurs taux moyens de TVA pour réduire leurs déficits. Il y a trois ans, la France se situait plutôt dans le haut de la fourchette, avec un taux de 19,6 %. Aujourd’hui, avec le même taux nous sommes en dessous de la moyenne européenne. Intuitivement, car je n’ai pas fait tourner de modèles, je suis de ceux qui défendent une hausse d’un point de la TVA dans la perspective du basculement du financement de la protection sociale. Avec un passage de 19,6 % à 20,6 %, l’effet inflationniste reste gérable, et le taux normal comparable à celui en vigueur chez nos partenaires. Un point de TVA représente 6 à 7 milliards d’euros de recettes supplémentaires, et un point de CSG environ 11 milliards. Une hausse d’un point de la TVA et de la CSG rapporterait donc près de 20 milliards de recettes supplémentaires – toutes choses égales par ailleurs bien sûr, car il ne faut jamais sous-estimer les réactions des comportements privés face à des mesures de politique économique.
Certes, une hausse du taux de la TVA ou de la CSG risque de peser sur la consommation, qui représente 60 % de la demande et du PIB. Ne tuons donc pas le moteur qui est encore allumé... Dans la mesure où nous traversons une passe économique difficile, je vois plutôt ce basculement comme un objectif vers lequel nous devons tendre en privilégiant plutôt une transition graduelle qu’un choc. Un basculement de 30 ou 40 milliards d’euros du jour au lendemain risque d’avoir un effet négatif pour les ménages. En pesant sur la consommation, on rendrait alors encore plus aléatoire l’investissement des entreprises, qui dépend en partie de la demande anticipée par elles.
Je serais donc plutôt partisan d’une combinaison de hausse du taux de la TVA et de celui de la CSG par une démarche graduelle, l’important étant d’afficher un cap, et pas nécessairement de créer un choc.
M. Olivier Véran. Je vous remercie pour cette présentation très intéressante, Professeur. Je retiens de votre dernière réponse que vous plaidez davantage pour une trajectoire de compétitivité que pour un choc de compétitivité, ce qui s’inscrit pleinement dans la démarche du Gouvernement.
Vous avez parlé de la capacité à financer nos dépenses d’avenir, et notamment de l’enjeu que constitue la recherche pour la compétitivité. Nous avons à cet égard deux raisons de nous réjouir. Le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est en hausse, ce qui est un message politique fort. Les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui se tiennent en ce moment, à l’initiative de la ministre, Mme Geneviève Fioraso, devraient permettre d’aboutir à des propositions concrètes et ambitieuses. Nous continuerons également à soutenir la recherche des entreprises, notamment par le crédit impôt recherche (CIR).
Par ailleurs, il faut repenser l’interaction entre les entreprises et les instituts de formation. Les objectifs de la formation initiale doivent être adaptés, afin de mieux répondre aux impératifs du monde de l’entreprise. Il faut rendre les jeunes diplômés aptes à répondre aux besoins des entreprises, donc à s’insérer plus rapidement sur le marché du travail. Cela aura nécessairement un impact sur les coûts de production. Comment se situe la France dans ce domaine ?
Il faut également renforcer la formation continue ou formation tout au long de la vie. Comment se situe notre pays en termes de qualité et d’adaptation de son appareil de formation continue des salariés aux besoins des entreprises ?
M. Claude Sturni. Je vous félicite, à mon tour, pour la qualité de votre exposé, Monsieur de Boissieu.
Vous avez évoqué les capacités de recherche comme un élément important pour l’avenir. Qu’est-ce qui pourrait faire en sorte qu’un chercheur, aussi bien formé soit-il, ait envie de rester en France ? Comment faire pour que les talents ne quittent pas notre pays ?
Par ailleurs, dans leurs choix de localisation des sites de recherche et développement (R&D), les grands groupes industriels arbitrent en fonction de la proximité d’un site de production – tout au moins d’un site de production appliquée ou de production pilote. Le défi que nous avons à relever consiste donc à conserver nos sites de production et à les faire « monter en gamme » pour attirer des activités de R&D aux alentours. Pour ma part, je pense qu’il faut un choc de compétitivité, car notre pays dispose encore de peu de temps pour remporter cette bataille de la compétitivité. Dès lors, devons-nous privilégier les transferts ou allègements de charges sur les seuls sites de production, donc seulement certains types d’allègements, ou sur l’ensemble de la grille salariale ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous avez insisté à plusieurs reprises, en particulier dans le cinquième et dernier point de votre exposé, sur la nécessité de l’innovation, ainsi que sur l’importance d’attirer des fonds, notamment privés, pour la R&D.
Le dispositif d’aide publique à la recherche et à l’innovation dans les entreprises vous paraît-il totalement adapté ? Je pense en particulier au CIR, et d’abord au ciblage des entreprises bénéficiaires. Les PME innovantes ne disposent pas toujours des compétences nécessaires pour répondre aux appels d’offres permettant de bénéficier du dispositif. De ce fait, elles peuvent être désavantagées. Le CIR a été réformé en 2008. Avant la réforme, on ne pouvait bénéficier pleinement du crédit d’impôt qu’avec un flux de R&D suffisant. Aujourd’hui, on en bénéficie à plein dès le premier euro investi. Mais ce dispositif – dont nul ne songe à remettre la philosophie en cause – n’appelle-t-il pas néanmoins certaines interrogations dans sa pratique ?
Par ailleurs, l’organisation en filières des entreprises n’est-elle pas un peu déficiente en France, en particulier par rapport à l’Allemagne ?
Que peut faire la puissance publique pour améliorer la gouvernance et l’efficience des pôles de compétitivité ?
Quels liens concrets la future Banque publique d’investissement (BPI), dont la création a été entérinée hier en Conseil des ministres, devra-t-elle, selon vous, entretenir avec le tissu local et l’organisation territoriale des filières économiques ?
Je voudrais également aborder les questions de R&D et d’innovation à l’échelle européenne. La France est relativement absente des lieux où se définissent les normes européennes en termes de brevets, si bien que nos entreprises peinent à se qualifier et à répondre à certains appels d’offres : les normes en vigueur avantagent plutôt l’économie allemande et les économies nordiques.
Enfin, vous êtes longuement intervenu sur les taux de change. Au niveau de la zone euro, vous estimez que la Banque centrale européenne (BCE) devrait prendre des responsabilités. À l’intérieur de la zone euro, on ne peut plus parler de taux de change ; néanmoins, on peut tout de même parler de compétition. Dès lors, ne faut-il pas s’interroger sur une convergence différente de nos économies ? Hors Union européenne, vous avez évoqué les relations entre l’euro et le dollar. Mais la question du lien entre taux de change et compétitivité se pose aussi vis-à-vis des pays émergents. À cet égard, l’accord intervenu avec la Corée du Sud qui impacte notamment le secteur automobile aboutit pour le moins à faciliter l’entrée chez nous des produits de ce pays…
M. le président Bernard Accoyer. Mes questions seront directement liées au cœur de notre sujet, à savoir les coûts de production en France. Elles se posent sans doute en amont des problèmes de taux de change.
Je m’interroge non seulement sur les coûts salariaux, les charges fiscales, les répercussions directes et indirectes des 35 heures, l’augmentation du nombre des agents publics dans les administrations et dans la fonction publique hospitalière, mais aussi sur les charges sociales, les déplafonnements auxquels nous assistons et donc le poids plus important des charges sur la main-d’œuvre qualifiée, dont nous avons besoin pour assurer la production dans des gammes précises de produits. Il n’est pas interdit de rappeler que les mesures prises actuellement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013 et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS, ne vont guère dans le sens de la baisse des coûts salariaux.
Il faut aussi s’interroger sur le coût des contraintes législatives et normatives et de leur instabilité, qui atteint son paroxysme dans le domaine fiscal et dans le droit du travail, ainsi que sur le coût de la rareté de la main-d’œuvre qualifiée dans certaines filières et dans certaines régions françaises.
Que dire par ailleurs de l’évolution du coût de l’énergie ? Des différentiels sont en train d’apparaître en raison de notre choix de réduire la part du nucléaire et de notre refus de nous orienter vers la recherche puis l’éventuelle exploitation des gaz de schiste, qui vont pourtant conduire à une baisse considérable – et à court terme – des coûts de production aux États-Unis.
Je m’interroge aussi sur les conséquences sur les coûts de production en France des difficultés d’accès au financement, avec les derniers avatars que nous avons connus en matière de fiscalité des investissements, et le problème de l’accès au crédit.
J’évoquerai pour finir le regroupement d’Oséo, du Fonds stratégique d’investissement (FSI) et d’une filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le but de créer un nouvel établissement public avec tous les coûts de mise en œuvre et de fonctionnement que cela va entraîner.
Ces différents éléments vont-ils tous dans le sens d’une baisse des coûts de production en France ?
M. Christian de Boissieu. Plusieurs questions concernent l’enseignement supérieur et la recherche. Je ne nie pas ce qui se passe, mais il y a aussi quelques juges arbitres. En France, la part de la R&D dans le PIB s’élève à environ 2,2 %. Si cette part est inférieure dans certains pays, elle est plus importante dans les pays scandinaves ou aux États-Unis. Nous rejoignons ici un débat qui est un peu la toile de fond de vos travaux. L’Europe a eu la bonne idée de l’agenda de Lisbonne en 2000, mais elle n’en a rien fait. Bref, elle a posé le problème sans le traiter.
Si la R&D publique représente, en France, 1 % du PIB, ce qui est conforme à l’objectif fixé à Lisbonne et à Barcelone, la R&D privée n’en représente que 1,2 %, soit bien moins que l’objectif de 2 % qui avait été fixé. La question centrale est donc de savoir comment inciter les entreprises privées à faire plus de R&D si elles ne le font pas spontanément.
Je suis bien sûr favorable au CIR. Dans un contexte de recherche d’économies et de réduction du nombre des niches fiscales, je sacrifierais même volontiers d’autres niches pour le renforcer. La dépense fiscale correspondante représente aujourd’hui entre 3 et 4 milliards d’euros par an. Le dispositif fonctionne bien. Reste le problème soulevé par le rapporteur : il profite plus aux grandes entreprises qu’aux PME. C’est logique, puisque le crédit d’impôt est proportionnel aux dépenses de R&D effectuées. Je ne suis pas hostile à l’idée de rendre le CIR plus sélectif, à condition d’avoir bien en tête les inconvénients potentiels des politiques trop sélectives. J’ai eu l’occasion de les mesurer comme étudiant, puis comme jeune économiste, qu’il s’agisse de l’encadrement du crédit, qui était une politique monétaire sélective, ou des politiques industrielles des années 60, 70 et 80. La sélectivité permet de cibler les mesures, mais elle suscite des contournements. Il faut donc bien réfléchir. En théorie, je suis plutôt favorable à un CIR à plusieurs vitesses, peut-être renforcé pour les PME. Nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France. Augmenter leur nombre et renforcer le CIR au bénéfice des PME ne pourrait qu’avoir des résultats positifs à terme. Néanmoins, il ne faut pas trop compliquer le dispositif fiscal. Il revient au politique d’arbitrer entre les avantages d’une sélectivité mesurée et bien ciblée, et les inconvénients de la complexité fiscale.
J’en viens au problème de la formation, qui est lié à la question de Monsieur Sturni sur les moyens à mettre en œuvre pour garder nos talents en France.
En tant que professeur d’université, j’ai apprécié l’exercice que nous a imposé le grand emprunt sur le terrain. Les laboratoires d’excellence, les initiatives d’excellence (IDEX) et tout le reste ont contribué à faire bouger de manière irréversible un système qui ne bouge pas facilement. Il ne faut pas revenir sur les avancées que constituent l’autonomie des universités et la concentration des moyens.
En matière de formation initiale, nous avons donc fait des progrès qui restent à poursuivre. En revanche, il y a lieu de s’interroger sur la formation continue. Notre système de formation professionnelle coûte entre 30 et 40 milliards d’euros par an, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l’investissement consenti. Bien que je ne me sois livré à aucune étude comparative de l’ensemble des systèmes de formation professionnelle européens, Monsieur Véran, j’ai le sentiment que le nôtre est particulièrement inefficace. Il est marqué par des problèmes de gouvernance, de déperdition et de « tuyauterie ». C’est donc un important chantier à ouvrir.
J’enseigne la matière « Banque et finance » à l’université et je constate que la crise financière mondiale n’a pas découragé les vocations : beaucoup de nos meilleurs étudiants s’orientent encore vers la finance et les activités de marché. Certaines déviances n’ont pas été corrigées par la crise. J’ai une autre inquiétude : nombre de nos chercheurs qui partent à l’étranger ne reviennent pas. Je pense par exemple à certains économistes français, parmi les meilleurs, qui s’exilent aux États-Unis. Il faut donc rendre le système plus attractif, ce qui exige des mesures particulièrement difficiles à mettre en œuvre en période de vaches maigres pour les budgets publics. Comment aborder la question de la rémunération des chercheurs ? Comment faire en sorte que les meilleurs esprits ne s’orientent pas tous vers la finance et l’administration, et que notre système d’enseignement supérieur et de recherche conserve dans son giron de futurs prix Nobel et de futures médailles Fields ? Certes, la France reste le deuxième pays couronné en mathématiques, après les États-Unis et devant la Russie, et le prix Nobel de physique revient cette année encore à l’un de nos compatriotes. Mais n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Je reste inquiet : il faut reposer la question de l’attractivité de la France pour la « matière grise ».
M. Claude Sturni. Je pense surtout à la recherche privée : c’est là que nous avons le plus de chemin à parcourir.
M. Christian de Boissieu. Reconnaissons tout de même qu’un certain nombre de nos prix Nobel de physique ont travaillé en liaison avec des entreprises privées.
Comment rapprocher l’entreprise et l’université ? C’est un vrai sujet, car il subsiste une méfiance presque culturelle entre ces deux mondes. Le milieu universitaire a tendance à penser qu’il se compromet en s’acoquinant avec l’entreprise. De leur côté, les entreprises considèrent souvent les universitaires comme des rêveurs éloignés des réalités. Les pôles de compétitivité nous ont permis de progresser dans la voie du rapprochement, mais leur bilan reste nuancé.
M. le président Bernard Accoyer. Cela dépend des pôles : certains enregistrent d’excellents résultats.
M. Christian de Boissieu. En effet. Il ne s’agit donc pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, mais il faut resserrer encore davantage les liens entre l’enseignement supérieur et la recherche et l’entreprise ; c’est très important pour une politique de compétitivité. Cela passe notamment par la multiplication des chaires. Beaucoup ont été créées, mais principalement dans les grandes écoles. Le processus a été plus tardif dans les universités. J’appelle donc les entreprises à rééquilibrer leur politique de chaires en faveur des universités, même si les laboratoires d’excellence et les IDEX ont permis – enfin – de multiplier les passerelles entre grandes écoles et universités.
Monsieur Sturni a également évoqué la localisation de la recherche. La délocalisation des centres de recherche est un problème encore plus grave que celle des sièges sociaux. Quand telle ou telle grande entreprise installe son centre de recherche à Bangalore ou ailleurs, il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme. La question de la relocalisation est ici une question centrale.
Vous avez évoqué la problématique des filières, Monsieur le rapporteur. Vue sous l’angle des stratégies industrielles, celle-ci ne se pose plus dans les mêmes termes que durant la période pompidolienne ou giscardienne. Il est certes important d’avoir une approche en termes de filières, car nous assistons dans le monde d’aujourd’hui à une décomposition territoriale de la chaîne de valeur ; mais d’une certaine façon, le concept de chaîne de valeur est devenu plus intéressant que celui de filière. En me montrant son portable acheté en Chine, un Chinois me disait il y a peu que 80% de ses intrants avaient été fabriqués hors de Chine. Bref, cette approche des filières doit être réactualisée par rapport à ce qu’elle était dans les années 70 ou 80.
La France n’est pas assez présente dans les organismes où se joue la concurrence au niveau de la labellisation ou des brevets. Sans doute faut-il faire une politique d’entrisme – je reconnais que ce n’est pas facile. La question des normes est importante, car celles-ci ne sont rien d’autre que la forme moderne du protectionnisme. Officiellement, nous n’assistons pas au retour du protectionnisme. Mais beaucoup de pays, telle la Chine, protègent leur marché domestique en sous-évaluant largement leur devise. J’en ai parlé à propos des taux de change. On peut aussi arrêter les biens et services à l’importation sur l’argument de normes et de standards. C’est pourquoi chacun y va de ses normes. On le voit dans le débat franco-allemand, mais plus encore dans les relations commerciales entre pays avancés et pays émergents ou en développement. Nous payons là le prix de la faiblesse de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Certes, l’Organe de règlement des différends (ORD) fonctionne. Mais sur la partie OMC proprement dite, nous sommes au point mort depuis trois ans.
L’un d’entre vous le rappelait à propos des taux de change, la Chine, pourtant membre de l’OMC, ne respecte pas les règles du jeu. La question de la réciprocité revient dès lors dans le débat. Même si l’OMC est actuellement faible, il est important que nous exigions cette réciprocité dans nos relations bilatérales avec les pays émergents, qui sont en train de nous rattraper plus vite que prévu en matière de technologie, d’innovation et d’éducation.
En ce qui concerne les 35 heures, Monsieur le président, je suis en grande partie d’accord avec vous. Sans rouvrir le débat sur le fond, nous pouvons nous retrouver sur le constat que la méthode choisie n’a pas été la bonne. Pour ma part, j’ai surtout contesté à l’époque la manière uniforme et homogène dont la mesure était mise en œuvre, avec toutes les conséquences que vous avez rappelées.
Un grand nombre de facteurs pèsent sur la compétitivité de nos entreprises. Vous avez parlé des administrations publiques. La réforme non seulement de l’État, mais aussi des collectivités locales, est l’un des sujets de la rentrée – y compris pour nous observateurs. Nous ouvrons aujourd’hui ce débat, en même temps que celui sur la réduction des dépenses publiques. Jusque-là, nous n’avions fait qu’effleurer la question de la maîtrise des dépenses locales : les efforts exigés dans le cadre de la LOLF et de la RGPP ne s’appliquent qu’au budget de l’État. Je sais qu’il est question de réorienter la RGPP, mais il est clair qu’il faut l’étendre à d’autres budgets que celui de l’État.
J’en viens à l’énergie. Je l’ai dit au début de mon exposé, il ne faut pas raisonner sur les seuls coûts salariaux. Les différences de coût de l’énergie, qui reflètent des différences de mix énergétiques, jouent un rôle important : elles introduisent des distorsions. Or, la politique européenne de l’énergie est aujourd’hui très faible. Il ne s’est en effet rien passé depuis décembre 2008 et l’objectif des « trois fois vingt ». Que peut signifier le marché unique dans un tel contexte ?
Je terminerai sur la BPI, qui va regrouper trois entités. Pour résumer ma pensée, je dirai qu’il faut espérer que « 1+1+1 » fasse plus que « 3 ». Rien n’est joué d’avance, et je me garderai de tout procès d’intention : soyons pragmatiques. Le problème central pour la BPI va être de trouver un bon équilibre entre le plan national et le plan local. Votre appréciation est un peu sévère en ce qui concerne ce dernier, Monsieur le rapporteur : le FSI a déjà des antennes régionales ; Oséo met en œuvre une politique régionale. Espérons que la BPI poursuive en ce sens.
M. le président Bernard Accoyer.... Sans interventions politiques.
M. Christian de Boissieu. C’est précisément à cela que je pensais en parlant d’équilibre entre le plan national et le plan local.
La capacité de financement de la BPI sera de 40 milliards d’euros, chiffre que l’on peut espérer doubler avec des cofinancements privés. Compte tenu de la faiblesse des marges de manœuvre, tout est bon à prendre. Espérons que la BPI saura engendrer des synergies, sans casser les dynamiques à l’œuvre avant sa création.
M. le président Bernard Accoyer. Il nous reste à vous remercier, Monsieur le professeur. Votre excellent exposé et vos réponses très exhaustives nourriront utilement notre rapport.
Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Ferrand, Directeur général de
COE-Rexecode
(Séance du jeudi 25 octobre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous accueillons, ce matin, M. Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode et deux économistes qui travaillent avec lui. Cet institut a pris ce nom en 2006, après sa fusion avec la structure d’analyse économique de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, mais il existe depuis plus d’un demi-siècle. Au contact des acteurs économiques, cet institut prend position sur des sujets sensibles tels que la durée du travail, les coûts de la protection sociale ou encore les règles de concurrence. Il maintient une veille conjoncturelle permanente et ses analyses sont notamment soutenues par des comparaisons avec les différents pays comparables au nôtre. Les prévisions de COE-Rexecode font ainsi régulièrement état de l’évolution préoccupante de l’emploi en France : il y a quelques semaines, l’institut annonçait un taux de chômage de 10,5 % pour 2013.
La semaine dernière, le Professeur Christian de Boissieu, s’est notamment référé, devant la Mission, à des enquêtes conduites par COE-Rexecode, année après année, sur la perception exprimée par les importateurs étrangers sur les produits français. Cette donnée concerne directement la compétitivité « hors prix », qui relève du champ de nos travaux, mais nous ne saurions évacuer, comme certains sont aujourd’hui tentés de le faire, la compétitivité coûts. La compétitivité est en effet à apprécier globalement, sans en négliger certains éléments.
À la veille de la publication du rapport Gallois, vos analyses sur les questions abordées dans ce travail ne manqueront pas de nous intéresser, Monsieur Ferrand.
M. Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode. Depuis une dizaine d’années, COE-Rexecode s’efforce de promouvoir dans le débat économique l’enjeu de la compétitivité du site de production français. Quelques illustrations simples montreront l’affaiblissement régulier de nos performances à l’exportation, par rapport à celles de la plupart des pays européens – et non pas seulement par rapport à celles de l’Allemagne. Je m’efforcerai aussi de soutenir sur le sujet un raisonnement global, dans lequel l’opposition entre compétitivité coûts et compétitivité hors coûts semble vaine tant les deux sont indissociablement liées. De fait, la trajectoire de coûts conditionne l’amélioration de la compétitivité hors coûts, définie comme l’amélioration de la qualité des produits, des services associés et de l’organisation du process de production.
Je présenterai également une analyse macroéconomique des données relatives à la formation du coût de production en France, ainsi que les résultats de l’enquête qualitative que vous avez évoquée et qui est réalisée annuellement depuis vingt ans par COE-Rexecode auprès des importateurs européens, que nous interrogeons sur leur perception de la qualité et du prix des produits français par rapport à ceux des produits allemands, américains ou japonais. La définition même d’un produit « français » ou « allemand » renvoie certes à des représentations qui pourraient faire l’objet de longs débats – pourquoi, par exemple, un véhicule Porsche Cayenne, dont la fabrication incorpore 90 % d’intrants produits hors d’Allemagne, est-elle universellement perçue comme un produit allemand ? –, mais des faisceaux concordants ne s’en dégagent pas moins de cette enquête, montrant que les handicaps de la compétitivité coûts peuvent empêcher de franchir des seuils de qualité.
Pour ce qui est tout d’abord de l’évolution des exportations françaises par rapport à celles de la zone euro depuis 2000, on observe que leur part, qui était de 16,8 % en 1998 – son précédent point haut –, est désormais de 12,6 %. Si, par pure hypothèse, cette part était restée inchangée, le chiffre d’affaires à l’exportation serait supérieur de 150 milliards d’euros à ce qu’il est aujourd’hui, ce qui correspond, compte tenu du rapport entre importations et exportations – de l’ordre de 50 % –, à un déficit approchant 80 milliards d’euros, soit de 4 points de PIB.
Nos exportations ont donc enregistré un recul par rapport à celles de l’Allemagne, mais aussi par rapport à celles des autres pays de la zone euro, dans des proportions à peu près équivalentes.
Pour ce qui est de la structure des coûts de production de l’ensemble de l’économie, on observe que, pour produire 100 euros, l’économie utilise 60 euros de consommations intermédiaires : la valeur ajoutée représente donc 40 euros. Cette proportion est pratiquement identique en France et en Allemagne.
En France, les 40 euros de valeur ajoutée se décomposent en 27 euros de rémunération des salariés, 1,30 euro d’impôt sur les produits et 12 euros d’excédent brut d’exploitation (EBE). En Allemagne, la rémunération des salariés représente 25 euros et l’excédent brut d’exploitation s’élève à 17 euros.
Le coût du capital, c’est-à-dire la rémunération des apporteurs extérieurs de capitaux, banques et actionnaires, correspond à la somme des intérêts et dividendes, qui est de 3,90 euros en France et de 8,20 euros en Allemagne – où ce montant comprend probablement aussi des provisions pour retraites. Reste donc une capacité d’autofinancement de 6,40 euros en France et de 8,30 euros en Allemagne.
Pour l’industrie prise isolément, le poids des consommations intermédiaires est plus élevé que pour l’économie prise dans son ensemble et la valeur ajoutée est donc moins élevée. Elle s’établit, pour une production de 100 euros, à 29 euros en Allemagne et à 24,70 euros en France. Quant à l’excédent brut d’exploitation, il était en 2007, dernière année pour laquelle la comparaison est possible, de 9,50 euros pour l’Allemagne et de 6,90 euros en France – où il est tombé à 6 euros en 2010.
L’analyse de l’évolution du coût du travail doit tenir compte de ce qu’est ce coût dans le secteur des services. En effet, la consommation intermédiaire de services représentant 17 % de la valeur de la production dans l’industrie, et la valeur de la production de ces services étant composée à 40 % par le coût salarial, l’évolution de ce dernier influence pour 8 points les prix de production de l’industrie.
Venons-en aux divergences qui, sur les dernières années, se sont traduites par l’écart de compétitivité observé entre la France et l’Allemagne.
Le poids des consommations intermédiaires de l’industrie a connu une évolution relativement parallèle entre les deux pays. Il en est de même du « sourcing », l’approvisionnement auprès de pays à plus faibles niveaux de salaires pour les principaux produits utilisés notamment en tant que consommations intermédiaires par l’industrie, progressant cependant de 4,6 points en Allemagne contre 6,6 points en France entre 2000 et 2010 – ce qui contredit d’ailleurs une croyance assez répandue.
La part de la rémunération du capital, c’est-à-dire de la somme des intérêts et dividendes nets, restée stable en Allemagne, a progressé en France de 0,6 point dans l’ensemble de la production des sociétés non financières entre 2000 et 2010.
L’essentiel de la différence entre les deux pays s’explique cependant par la rémunération du travail. La part de la rémunération des salariés dans la valeur de la production a en effet augmenté d’un point par rapport à 2000 en France, alors qu’elle a diminué de 3,4 points en Allemagne. Si l’on ne considère que l’industrie, on observe un recul de la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée de 0,6 point en France et de 5 points en Allemagne, soit un écart de 4,4 points entre les deux pays.
La part des achats de services dans la production industrielle a progressé de 2,6 points en France entre 2000 et 2007 et a reculé de 1,5 point en Allemagne. Or, je le rappelle, le poids des rémunérations est plus important dans ce secteur que dans l’industrie.
Enfin, la part de l’excédent brut d’exploitation dans la production de l’industrie a diminué de 2,2 points en France et augmenté de 2,2 points en Allemagne : le poids des résultats dans la valeur de la production, qui était un peu plus important en France qu’en Allemagne en 2000, est désormais beaucoup plus fort en Allemagne.
Les divergences les plus marquantes sont donc liées au coût du travail, directement ou, via les services incorporés, indirectement.
Dans l’industrie manufacturière, ce coût est quasi identique en France et en Allemagne – pour une heure de travail, il y était respectivement de 36,8 et de 36,20 euros au deuxième trimestre 2012. Entre 2000 et 2012, il a augmenté de 53,4 % en France et de 27,2 % en Allemagne, la moyenne s’établissant à 38,3 % dans l’ensemble de la zone euro.
Pour l’ensemble de l’économie, ce coût horaire est plus élevé en France – 35,10 euros – que dans l’ensemble de la zone euro – 28,20 euros – et en Allemagne – 31,40 euros –, mais l’évolution a été proche de celle qu’on constate pour l’industrie manufacturière : la progression a été de 43,7 % en France et de seulement 19,2 % outre-Rhin.
M. Laurent Furst. S’agit-il bien de l’heure effectivement travaillée ?
M. Denis Ferrand. Il s’agit du coût horaire mesuré par Eurostat, qui nous fournit les données sur lesquelles nous travaillons. Nous avons besoin d’un outil statistique aussi juste que possible, mais les données d’Eurostat, établies sur la base d’une enquête menée auprès des ménages, ne comptabilisent pas ceux qui n’ont pas travaillé durant la semaine sur laquelle porte cette enquête, ce qui majore le nombre d’heures travaillées. Nous souhaiterions qu’Eurostat, qui possède toutes les données nécessaires, prenne en compte dans ses résultats les absences, pour congé ou pour toute autre raison. À défaut, nous continuons à travailler avec les données imparfaites qui nous sont fournies.
Rien n’interdit, au demeurant, que le coût de l’heure de travail évolue plus vite dans un pays que chez ses partenaires, pour peu que ce soit compensé par des gains de productivité supérieurs. Or les niveaux de productivité par heure travaillée dans l’industrie évoluent en France à un rythme sensiblement parallèle à celui qu’on observe pour la zone euro, pour la zone euro hors Allemagne ou pour l’Allemagne. L’évolution de la productivité n’explique donc pas que l’augmentation du coût horaire du travail soit plus élevée en France qu’en Allemagne.
Le coût salarial unitaire – c’est-à-dire le coût de la rémunération des salariés par unité de valeur ajoutée de l’industrie manufacturière –, accuse par conséquent en France une dérive progressive par rapport à l’Allemagne, mais non par rapport aux autres pays de la zone euro. Toutefois, les efforts violents consentis en Espagne se traduisent ces dernières années par une réduction de l’écart de coût salarial unitaire entre la France et les pays du sud de l’Europe. Après avoir fortement perdu en compétitivité par rapport à l’Allemagne, ne risquons-nous pas désormais d’enregistrer le même recul par rapport à ces pays ? Ayant posé la question, il faut aussitôt tempérer l’inquiétude : la compétitivité n’est pas seulement affaire de coûts et l’Espagne va manquer des investissements qui lui permettraient une montée en gamme. Il n’empêche : les conditions de la compétitivité coûts s’améliorent en Espagne – ainsi qu’en Irlande – par rapport à la France.
Cette évolution relative des coûts trouve sa sanction dans l’évolution de l’excédent brut d’exploitation. Si l’on prend pour base 100 la situation en 2000, on observe que le rapport entre l’excédent brut d’exploitation dégagé par l’industrie française et celui de l’industrie allemande, qui était un rapport de 2 à 3, est aujourd’hui un rapport de moins de 1 à 3 : notre capacité d’investissement relative s’en trouve amenuisée. Ainsi, les dépenses de recherche et développement (R&D) financées par les entreprises allemandes sont certes supérieures en part du PIB – 1,9 % contre 1,2 % chez nous –, mais le taux d’effort est pratiquement identique, à 0,5 point près, lorsque ces dépenses sont rapportées à l’excédent brut d’exploitation.
Nous menons chaque année auprès des importateurs européens une enquête, consacrée alternativement aux biens d’équipement et intermédiaires et aux biens de consommation, afin de connaître leur perception du prix et de la qualité des produits français et des produits de divers autres pays. Notre dernière enquête, qui porte sur les biens de consommation, sera publiée prochainement et fait déjà apparaître des conclusions comparables à celles que l’on peut tirer des données relatives aux biens d’équipement et intermédiaires pour les dix dernières années.
En 1995, la qualité des produits français était jugée inférieure à celle des produits allemands, mais il en allait de même pour le prix. Ceux-ci étant jugés moins élevés que les prix des produits allemands. En 2011, on observe une convergence des niveaux de qualité perçus, mais les prix des produits allemands sont désormais jugés moins élevés que ceux des produits français. La dégradation de la situation est spécialement marquée pour les biens d’équipement mécanique : de 1995 à 2011, l’avantage relatif en termes de prix a disparu sans qu’il y ait un rapprochement très sensible de la qualité perçue.
Ces observations dessinent un « cercle vicieux de la rupture de compétitivité ». Des écarts structurels de compétitivité existent, qui tiennent à la différence de taille des entreprises, à l’absence en France d’un réseau comparable à celui des instituts Fraunhofer et à la différence de culture industrielle entre les deux pays. Les prix moins élevés des produits industriels français permettaient jusqu’à présent de minimiser l’effet de ces handicaps structurels, mais les divergences entre les règles de fonctionnement du marché du travail ont creusé l’écart. De fait, les politiques économiques diamétralement opposées adoptées par les deux pays au cours des dix dernières années se sont traduites par une meilleure profitabilité de l’activité en Allemagne, alors que les entreprises françaises voyaient leurs marges s’amenuiser et se montraient incapables de réaliser les mêmes efforts de R&D et d’investissement que leurs homologues outre-Rhin. Quels qu’aient pu être les efforts individuels, c’est la masse qui a fondu. Cette atrophie de la base industrielle, qui empêche de monter en gamme, fige les conditions de prix et de coûts et empêche ainsi une amélioration de la compétitivité globale.
Enfin, pour faire justice de l’idée d’une paupérisation allemande qui aurait accompagné une restauration de la compétitivité menée à marche forcée, il vaut la peine d’examiner l’évolution de la consommation par habitant dans les deux pays – car, faute de meilleur indicateur, le niveau de consommation mesure un niveau de satisfaction qui est, somme toute, la finalité ultime de l’économie. Dans les années 2000, la consommation par habitant en France s’est rapprochée de celle de l’Allemagne, mais cette convergence s’est faite au prix d’une dégradation des marges et d’un déficit public plus important et on observe depuis quatre ans une accélération de la consommation privée en Allemagne par rapport à sa tendance sur la période 1999-2007, tandis que la courbe décline au contraire en France. Cette divergence des trajectoires de consommation privée s’explique, au bout du compte, par la divergence des trajectoires de compétitivité des deux pays.
M. Laurent Furst. Compte tenu des différences considérables entre la démographie de la France et celle de l’Allemagne, les chiffres que vous présentez gagneraient à être croisés avec des éléments démographiques.
Disposant d’importantes capacités de production largement sous-utilisées, certains pays d’Europe du sud ont accompli de grands efforts en matière de coûts, qui se traduisent déjà par les prémices d’un rétablissement de leur commerce extérieur. À terme, l’industrie française ne risque-t-elle pas de se heurter plus puissamment encore à leur concurrence ?
M. Thierry Benoit. Disposez-vous de données permettant de comparer, entre la France et les autres pays de l’Union européenne, le nombre d’heures effectivement travaillées par habitant ?
En second lieu, connaissez-vous le nombre de jours non travaillés du fait de la réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail décidée en France voilà une dizaine d’années – et qui est très diversement appliquée selon les entreprises et selon qu’on se situe dans le secteur public ou dans le secteur privé ?
Enfin, il y a une trentaine d’années, l’âge de l’ouverture des droits à la retraite a été avancé de 65 à 60 ans : ce choix, qui s’est traduit par une diminution du nombre d’heures travaillées et par une contraction des cotisations sociales, a-t-il été préjudiciable à la compétitivité ? Il conviendrait d’expliquer objectivement à nos concitoyens les conséquences de tels choix de société afin qu’ils puissent les faire, le cas échéant, en toute connaissance de cause. Je souhaiterais également que les parlementaires puissent, au terme des travaux de la mission d’information, avoir un débat serein sur ces questions afin de permettre à nos dirigeants de faire de bons choix pour la compétitivité de nos entreprises.
M. Jean Grellier. Les chiffres que vous nous avez présentés concernent l’ensemble de l’économie ou de l’industrie. Disposez-vous de données encore plus précises par filière ?
M. Denis Ferrand. Il est un peu tôt pour savoir si la progression sensible des exportations espagnoles « siphonnera » les exportations françaises. Une chose est sûre : le financement des exportations suppose un accès au crédit, et c’est là un point de grippage pour les pays d’Europe du sud. Ainsi, selon une enquête semestrielle de la Banque de France, plus de 50% des PME italiennes et près de 40% des PME espagnoles déclarent ne pas avoir un accès au crédit à la hauteur de leurs demandes, contre 15% des entreprises françaises.
À court terme, l’économie espagnole peut connaître un regain de compétitivité en termes de coûts. Les choix auxquels procède la filière automobile conduisent à s’interroger : pourquoi PSA privilégie-t-il Madrid plutôt qu’Aulnay, pourquoi Ford quitte-t-il Genk pour Valence ? Le coût du travail entre-t-il en jeu ? Pour l’heure, je n’ai aucun élément de réponse à cette question.
M. Jean Grellier. Toyota se développe en France.
M. Denis Ferrand. En effet, tous ne font pas les mêmes choix.
M. Laurent Furst. C’est l’arbre qui cache la forêt !
M. Denis Ferrand. Quoi qu’il en soit, les pays du sud de l’Europe vont-ils à moyen terme développer l’investissement pour monter en gamme ? Il est trop tôt pour le dire. Mais, si tel était le cas, la consolidation de l’appareil productif s’allierait à une évolution favorable des coûts pour menacer la compétitivité française à moyen terme.
S’agissant de la durée du travail, je vous renvoie à une étude que nous avons réalisée au début de cette année pour comparer son évolution en France, en Allemagne et dans les autres pays de la zone euro. Il en ressort qu’entre 1999 et 2010, la durée effective annuelle moyenne de travail des salariés à temps plein – compte tenu des périodes d’absence, donc – a baissé de 14 % en France quand elle augmentait de 6 % en Allemagne. Pour les salariés à temps partiel, l’écart est à peu près du même ordre.
La durée du travail par habitant me semble devoir être appréciée sur toute la vie professionnelle. Ainsi calculée, elle atteindrait, selon les travaux conduits sur le sujet par le Professeur Michel Godet, quelque 70 000 heures en France. Je n’ai pas l’équivalent pour l’Allemagne.
Notre perte de compétitivité par rapport au reste de la zone euro a été parfaitement homogène dans toutes les filières industrielles entre 1999 et 2007. Elle l’a été un peu moins entre 2007 et 2011, période où le rythme de croissance des exportations a légèrement dépassé celui de la zone euro dans quelques secteurs, comme l’aéronautique et l’industrie pharmaceutique – mais sans compenser, loin s’en faut, le recul généralisé caractérisant la période précédente. Cela étant, l’approche par filière paraît aujourd’hui bienvenue pour identifier les avantages comparatifs que conserve notre économie et sur lesquels la reconquête industrielle pourrait s’appuyer. Outre les deux secteurs que je viens de citer, on les trouve dans l’industrie du luxe ainsi que dans l’agroalimentaire, filière où la qualité et le prix des produits placent la France au premier rang selon les importateurs de biens de consommation.
M. Jean-René Marsac. Comment expliquer l’évolution comparée de la consommation par habitant en France et en Allemagne – convergence jusqu’en 2007, puis divergence au profit de l’Allemagne après cette date ?
Mme Annick Le Loch. Comment dépasser les constats pour résoudre les difficultés structurelles et conjoncturelles de notre économie ? On dit que le coût du travail est trop élevé en France, mais les différentes mesures prises au cours des dix dernières années ont manifestement échoué. On dit qu’il faut un « choc de compétitivité », on parle de TVA sociale, mais ne sera-ce pas au détriment des finances de l’État et des finances sociales qui, jusqu’ici, ont tout de même bénéficié du niveau des salaires ?
Il est exact que certaines PME de la filière agroalimentaire sont assez compétitives, même si la hausse des prix des matières premières les met en difficulté. Comment parviennent-elles à s’imposer sur un marché ouvert et à satisfaire les attentes des consommateurs ? Comment les aider à accroître leurs marges pour ensuite investir ? En baissant les salaires ? Non : l’on ne peut pas dire que les salariés français, notamment dans l’industrie agroalimentaire, soient trop payés, même si les rémunérations s’avéraient inférieures en Allemagne. En jouant sur la durée du travail ? Mais il est déjà très pénible de travailler trente-cinq heures dans un abattoir, comme dans les autres postes de la filière.
Que faut-il donc faire pour remettre notre économie en marche ? Dites-le nous !
M. Denis Ferrand. En ce qui concerne l’évolution de la consommation par tête, le moment de convergence, entre 1999 et 2007, correspond à la période de forte maîtrise des salaires en Allemagne. Entre 2000 et 2012, la rémunération des salariés a augmenté de 19 % en Allemagne contre 40 % environ en France.
En revanche, cette évolution comparée ne s’explique pas par la démographie, car si celle-ci était plus dynamique en France entre 1999 et 2007, l’écart de trajectoire démographique avec l’Allemagne est à peu près identique entre 1999 et 2007 et entre 2007 et 2011.
M. Olivier Carré. Il convient de prendre en considération, sans polémiquer, l’effet économique du passage aux trente-cinq heures. Ce choix de société, que l’on peut intellectuellement défendre, revient néanmoins à distribuer l’essentiel des gains de productivité sous forme de temps pour les salariés, et non sous forme de salaires ou de marges comme dans les autres pays. Il s’agit là d’un « modèle » tout à fait spécifique. Cet effacement de la dimension marchande des gains complique l’appréciation statistique alors que ce processus est essentiel du point de vue de la valeur et des coûts de production : était-il raisonnable de diminuer le nombre d’heures travaillées de 11 % alors que la baisse était comprise entre 3 et 6 % ailleurs ? N’est-ce pas la spécificité de ce modèle qui handicape aujourd’hui notre compétitivité ?
M. le président Bernard Accoyer. Dans le même esprit d’apaisement, je nuancerai ce propos en le limitant aux trente-cinq heures « généralisées ». Notre collègue Mme Le Loch a rappelé à juste titre que les tâches et la pénibilité n’étaient pas comparables dans tous les secteurs.
M. Olivier Carré. Vous avez raison.
M. Laurent Furst. Mme Le Loch a posé la question la plus intéressante : que faire pour s’en sortir ? Car si la tendance se poursuit, si notre économie échoue, c’est notre modèle social qui va s’effondrer – notre système de retraite, de santé, tout ce qui nous tient à cœur et qui contribue à la qualité de vie dans notre pays.
Dans votre remarquable exposé, Monsieur Ferrand, vous n’avez pas parlé du taux de marge, sinon de manière indirecte en mentionnant le coût des facteurs de production. Pourtant, le taux de marge des entreprises françaises s’est considérablement dégradé depuis vingt-cinq ans, jusqu’à devenir l’un des plus faibles d’Europe. Comment l’améliorer pour permettre aux entreprises d’investir, s’il est vrai que, comme le disait Helmut Schmidt, les bénéfices d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cet axiome est-il encore d’actualité alors qu’une mondialisation incontrôlée a bouleversé les échanges commerciaux ? L’affirmation peut être juste globalement, mais reste-t-elle vraie au niveau local ? Ainsi, dans l’industrie automobile, les sites français pâtissent d’investissements réalisés à l’autre bout de la planète, dont ils sont nécessairement tributaires du fait des effets d’échelle, des choix en recherche et développement, de la stratégie globale d’entreprise, des accords internationaux – même si personne n’imaginait que des automobiles assemblées à Aulnay-sous-Bois allaient désormais l’être au Brésil ou en Chine.
La durée du travail en France mérite une étude précise et dépassionnée. Un quotidien qui consacrait ce matin deux pages au sujet la situait notamment par rapport au maximum légal européen de quarante-huit heures hebdomadaires. Mais le passage aux trente-cinq heures n’a pas seulement donné plus de temps aux salariés, Monsieur Carré : il a aussi développé la consommation et l’emploi. En outre, la durée hebdomadaire du travail ne suffit pas à rendre compte du nombre d’heures travaillées au cours de la vie. Celui-ci est affecté également par l’entrée trop tardive sur le marché du travail de nos jeunes, même qualifiés, et a fortiori des 150 000 d’entre eux qui quittent chaque année le système scolaire sans qualification, ainsi que par notre taux d’emploi des seniors, l’un des plus faibles d’Europe.
N’y a-t-il pas au fondement de nos difficultés un problème de gouvernance ? Gouvernance des entreprises, d’abord : l’inadaptation de celles-ci n’est-elle pas due à l’absence de fluidité du dialogue social en France ? Gouvernance des filières, ensuite : ne pourrait-elle être améliorée, sous l’impulsion des pouvoirs publics, grâce aux pôles de compétitivité ou par un progrès dans les relations entre entreprises-mères et sous-traitants ?
S’agissant enfin du secteur bancaire, les règles prudentielles dites de Bâle III, sans doute nécessaires pour éviter l’emballement d’une économie financiarisée, ne risquent-elles pas d’entraver le développement de nos entreprises ? Quel regard portez-vous, Monsieur Ferrand, sur les relations entre banques et entreprises et sur le rôle du Médiateur du crédit ?
M. le président Bernard Accoyer. J’aimerais que nous recentrions le débat sur la question des coûts de production. En voulant parler de tout, on ne parlera sérieusement de rien. Reconnaissons par-delà nos clivages que la situation s’est dramatiquement dégradée en douze ans et que cette tendance ne laisse rien augurer de bon pour l’avenir. Le coût du travail horaire en France est aujourd’hui de 15 % plus élevé que chez nos voisins allemands alors qu’il était inférieur à celui de l’Allemagne et du reste de la zone euro il y a douze ans. Les charges sociales, avec leur spécificité française, sont responsables à 40 % du coût du travail. Le financement de la protection sociale, dont nous sommes tous légitimement fiers, est presque exclusivement issu de la production. Or s’il est normal que cette dernière finance totalement la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale et, pour l’essentiel, sa branche vieillesse et le reste de sa branche maladie, absolument rien ne justifie qu’elle finance également la branche famille.
La durée du travail, qui en détermine directement le coût horaire, est aussi tributaire de la durée de la vie, qui augmente de trois mois par an !
Nous devons poser un diagnostic. Que s’est-il passé en douze ans ? En quoi la France s’est-elle écartée de l’Allemagne et des autres pays de la zone euro ? On peut accuser les banques ou je ne sais quel phénomène extérieur – il n’est pas difficile de « noyer le poisson » –, mais ayons le courage, quelles que soient nos appartenances politiques, d’imputer ce changement à la durée et au coût horaire du travail. Nous sommes en début de législature et, même si ce n’est pas l’intérêt de nos formations politiques, nous devons dépasser nos préjugés pour prendre les problèmes à bras-le-corps. Ceux d’entre nous qui auront eu ce courage en seront assurément récompensés par les Français.
M. Denis Ferrand. Les documents que je vous ai présentés le montrent : ce qui est déterminant, ce sont les évolutions relatives du coût du travail. C’est donc à ce niveau qu’il faut agir aujourd’hui pour sortir du cercle vicieux. Depuis douze ans, je présente la courbe du recul de nos parts de marché, que rien, aujourd’hui encore, ne semble pouvoir infléchir. Mais l’Allemagne, qui a choisi la compétitivité, en a été récompensée par la progression de son pouvoir d’achat non dans l’immédiat, mais à moyen terme.
Il faut donc agir sur les coûts salariaux – c’est-à-dire sur les charges, puisqu’il n’est pas question de toucher aux salaires. Voilà ce qui, à court terme, nous permettra de sortir de cette trajectoire mortifère. Mais cela suppose aussi une combinaison de mesures. Une politique de compétitivité, c’est une politique qui se fonde sur nos avantages comparatifs. Le coût n’en est pas le seul levier : c’est évidemment l’innovation qui créera les conditions de la compétitivité à moyen et long termes.
Les investissements d’avenir, la jeune entreprise innovante, les pôles de compétitivité seront donc des outils déterminants, surtout ceux qui possèdent une dimension territoriale, gage d’une dynamique locale vertueuse. C’est essentiel : comme le montre l’essai récemment publié par Laurent Davezies et intitulé La Crise qui vient, aux fractures que l’on pressent dans la société s’ajoute une fracture territoriale entre les territoires très compétitifs et ceux qui connaissent une perte de compétitivité. Car si, de ce point de vue, les différents secteurs ont été logés à la même enseigne, il n’en va pas de même des territoires.
En outre, l’innovation ne portera ses fruits qu’à condition que la base industrielle ait été préservée. Or, pour s’en assurer, il faut agir à court terme, sur les coûts salariaux.
Plus généralement, monsieur le rapporteur, vous avez raison d’interroger la forme que prend en France la négociation collective, liée aux règles de notre marché du travail. L’enjeu de la compétitivité ne va pas de soi pour nos concitoyens, il faudra le leur faire accepter. Mais ils y sont sans doute mieux préparés aujourd’hui, l’idée du délitement ayant pénétré les esprits. Il semble donc possible d’assumer des choix décisifs au nom de la compétitivité à moyen terme.
C’est aussi en ces termes que l’on peut expliquer l’écart qui s’est installé entre la France et l’Allemagne. Pourquoi les Allemands ont-ils fait le choix de la compétitivité en 2000 ? À l’époque, ce n’est pas la France qui était menacée de perdre son triple A : c’était l’Allemagne ! Et ce n’était pas en France, mais en Allemagne que la situation des entreprises s’était dégradée. Il n’y avait pas d’autre moyen de retrouver une bonne santé économique, laquelle n’a d’autre objectif que la maximisation de la consommation par tête. Les Allemands se sont donc attelés à cette tâche qui faisait l’objet d’un consensus et qui a porté ses fruits. La compétitivité, c’est une affaire de choix collectif. Malheureusement, nous n’avons pas voulu choisir, ou plutôt nous avons choisi de distribuer la richesse avant de l’avoir créée.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. L’Allemagne recourt plus volontiers que la France au chômage partiel au lieu de licencier ou de faire appel au travail intérimaire, ce qui revient à répartir la rémunération entre l’État et l’entreprise. Cela contribue-t-il à expliquer les différences que vous avez exposées ?
M. le président Bernard Accoyer. En Allemagne, on parle, non de chômage partiel, mais de travail partiel, ce qui est révélateur d’un certain état d’esprit.
M. Denis Ferrand. L’allure de la courbe de l’excédent brut d’exploitation en Allemagne témoigne du recours au chômage partiel en 2008, au plus fort de la crise. Face à ce choc conjoncturel d’une brutalité inouïe – par opposition à la récession larvée que l’on connaît aujourd’hui –, les Allemands n’ont pas voulu se défaire des compétences industrielles qu’ils avaient eu du mal à recruter en 2006 et 2007. Le chômage partiel, qui répartit la charge entre l’État, les salariés et les entreprises, leur a permis de disposer de la main-d’œuvre nécessaire pour tirer profit du rebond de 2010-2011, après quoi il s’est très rapidement résorbé. Le nombre de travailleurs partiels en Allemagne est ainsi passé de 50 000 en 2008, avant la récession, à 1,4 million au printemps 2009, puis à 200 000 dans la période récente.
Monsieur Furst, si je n’ai pas parlé du taux de marge, c’est parce que la masse de marge me semble plus révélatrice. En effet, le taux de marge est rapporté non à la production mais à la valeur ajoutée : lorsque celle-ci diminue davantage en France qu’en Allemagne, même si le taux baisse, il ne rend pas compte du double effet négatif sur la répartition de la valeur ajoutée et sur la masse de valeur ajoutée dégagée.
M. le président Bernard Accoyer. En ce qui concerne le « chômage partiel », rappelons que la récession a été beaucoup plus marquée en Allemagne qu’en France, ce qui ne fait que confirmer l’intérêt de la flexibilité.
M. Laurent Furst. Comment le poids de l’industrie française dans l’Union européenne par rapport à l’industrie allemande, en termes d’emploi et de valeur ajoutée, a-t-il évolué et quel est-il aujourd’hui ?
M. le rapporteur. Notre président nous ayant demandé de ne pas noyer le poisson, j’irai droit au but : n’est-ce pas l’Allemagne qui s’est écartée – délibérément – des autres pays européens, notamment de la zone euro, en matière de prix du travail ? D’autre part, vous évoquez des mesures de court terme touchant le coût du travail : qu’impliqueraient-elles, très concrètement, en masse – on parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros –, pour l’organisation de l’économie française, pour le financement de la protection sociale ? Ne risque-t-on pas de tuer le malade alors même que nous souffrons déjà d’un retard de consommation ?
M. Denis Ferrand. La valeur ajoutée de l’industrie française représente aujourd’hui moins de 10 % du PIB en valeur, contre 15 % environ en 2000. De 60 % de la valeur ajoutée allemande en 2000, elle est passée à 35 % environ en 2010-2011. L’évolution est sensiblement la même – de deux tiers à un tiers – que pour la masse de l’excédent brut d’exploitation.
En effet, monsieur le rapporteur, l’Allemagne a fait un choix qui ne s’inscrivait pas dans une politique européenne globale. Elle est d’ailleurs le seul pays développé à avoir conservé sa part dans les exportations mondiales de 2000 à 2010. On peut résumer cette politique ainsi : pour être efficace, l’économie allemande doit être insérée dans le commerce mondial.
Quel peut être le réceptacle du transfert de charges dont j’ai parlé ? La TVA ; la CSG ; éventuellement la taxe carbone ; les dépenses, notamment sociales. Ces dernières représentent aujourd’hui 32 % du PIB, contre 29 % en Allemagne et 30 % dans l’Union européenne ; nous pourrions les rendre plus efficaces, plus économes, en les centrant au nom du devoir de solidarité sur les personnes qui en ont le plus besoin.
M. le président Bernard Accoyer. La branche vieillesse est la plus coûteuse. Cela s’explique par l’âge de départ à la retraite.
M. Denis Ferrand. Pouvons-nous reconduire les choix de société que nous avons faits, ou devons-nous concentrer davantage la dépense ? Tel est l’enjeu.
Il ressort des différents scénarios que nous avons étudiés au titre de notre contribution au rapport Besson que le moyen le plus efficace de restaurer les conditions de la compétitivité afin de stimuler le pouvoir d’achat à moyen terme, donc la consommation, consiste à transférer les charges vers la TVA plutôt que vers la CSG. La taxe carbone présente un inconvénient : si elle produit les effets escomptés, son assiette s’atrophiera de sorte qu’il faudra l’augmenter continûment pour maintenir la même recette.
M. Jean Grellier. Au lieu de transférer vers la TVA ou vers la CSG les cotisations familiales aujourd’hui prélevées sur le salaire, pourquoi ne pas les répartir, sous la forme d’une péréquation, sur l’ensemble du volume produit dans le pays ? À cette fin, l’on pourrait envisager de fixer un plancher et un plafond de cotisations en fonction du chiffre d’affaires. Cette mesure aurait l’avantage de faire contribuer à la solidarité nationale les entreprises qui importent ou qui délocalisent.
M. le président Bernard Accoyer. Voulez-vous parler du chiffre d’affaires des entreprises qui produisent ou de celles qui distribuent ?
M. Jean Grellier. Toutes les entreprises seraient mises à contribution par l’intermédiaire des charges sur les salaires, y compris celles qui importent et distribuent, et non plus seulement celles qui produisent, qui se développent, qui font de la recherche et qui innovent.
M. Denis Ferrand. Monsieur Grellier, votre proposition évoque la contribution sur la valeur ajoutée proposée en 2005-2006. Le risque, par-delà le rééquilibrage entre ces différents secteurs, est de reprendre globalement aux entreprises, par le prélèvement sur la valeur ajoutée donc sur l’excédent brut d’exploitation, ce que l’on cherchait à leur rendre en allégeant les charges sociales. Or l’objectif du transfert de charges n’est-il pas de restaurer les conditions de la profitabilité de l’activité, c’est-à-dire les marges, pour stimuler l’investissement ?
M. le président Bernard Accoyer. Le secteur de la distribution a joué un rôle important dans la mutation économique et sociale de notre pays : en achetant des biens de plus en plus loin et de moins en moins cher, ses entreprises ont capté les marges de la production en France. Selon vous, peut-elle constituer une base des prélèvements sociaux ?
M. Denis Ferrand. Que ce soit par un prélèvement sur la distribution, par la TVA ou par la CSG, c’est le consommateur qui paie. Dès lors, mieux vaut à mon sens procéder de manière directe et immédiatement perceptible, par la TVA.
M. Olivier Carré. Ne négligeons pas non plus le risque que les distributeurs soient « court-circuités » par la vente sur Internet, dont la fiscalité n’est pas claire.
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur Ferrand, nous vous remercions pour cette audition qui a vivement intéressé les membres de la mission d’information.
Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Beulin, Président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA)
(Séance du jeudi 25 octobre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous sommes heureux d’accueillir M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de M. Patrick Ferrère, directeur général, et de Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement.
Le secteur agricole est l’une des premières activités en France pour son poids économique, mesuré tant en part du PIB qu’en nombre d’emplois directs et indirects. Confrontée à une concurrence, toujours essentiellement européenne, qui bénéficie de normes et de coûts salariaux souvent plus avantageux, la France ne se bat pas toujours à armes égales. Si elle a pu garder une position forte à l’exportation dans le domaine agricole et agroalimentaire, celle-ci s’est dégradée depuis les années 1980, notre voisin allemand nous dépassant dans nombre de filières. Il reste que nos échanges dans ce secteur, en incluant évidemment les activités agroalimentaires, dégagent un excédent de quelque onze milliards d’euros, alors que notre balance commerciale est déficitaire de 70 milliards d’euros …
Nous sommes donc impatients de vous entendre, Monsieur le président, sur les coûts de production des filières que vous représentez mais aussi sur des thèmes voisins comme celui des négociations en cours avec la grande distribution, un sujet qui préoccupe la Mission.
M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Nous sommes heureux d’être associés à vos travaux. En matière de compétitivité – sujet particulièrement crucial pour l’agriculture –, il faut pouvoir apprécier l’impact des différents paramètres sur l’ensemble d’une filière, de la production à la distribution. Vous avez rappelé, monsieur le président, l’importance de notre secteur en France : selon l’INSEE, la production agricole, l’agrofourniture, l’agroalimentaire et les principaux services qui y sont directement rattachés représentent environ 15 % des emplois de notre pays, soit 3,5 millions d’emplois. Ceux-ci se trouvent pour l’essentiel, y compris dans le secteur agroalimentaire, dans des PME ou dans de très petites entreprises (TPE) : au stade de la production, ce sont les 350 000 à 400 000 exploitations dites professionnelles ; au stade de la transformation, ce sont, à côté des quelque vingt ou vingt-cinq entreprises de taille internationale, leaders sur leurs marchés – on peut penser à Lactalis, à Bonduelle, ou encore à Danone… – et de 300 entreprises de taille intermédiaire (ETI) environ, un peu plus de 10 000 PME ou TPE.
J’insisterai sur trois éléments dont dépend particulièrement notre compétitivité : le coût du travail et, plus précisément les charges qui pèsent sur les salaires, la fiscalité et les règles de la concurrence.
Une comparaison avec nos voisins européens immédiats montrera l’ampleur des écarts en matière de coûts de production. Le coût horaire brut d’un salarié de l’agriculture rémunéré au niveau du SMIC est de 10,82 euros en France, de 6 euros en Allemagne, de 7,37 euros en Belgique et de 7,80 euros en Espagne.
Si l’on prend l’exemple de la filière porcine, les producteurs français sont sans doute, du point de vue technique, les plus performants d’Europe mais si l’on considère les choses au moment où leurs produits arrivent dans la grande distribution, ils se retrouvent parmi les derniers. Entre-temps, plusieurs éléments sont venus gonfler leurs coûts de revient, en particulier les cotisations sociales versées par les deux secteurs qui concentrent l’essentiel des emplois de la filière : l’abattage et la découpe.
L’exemple de la filière des fruits et légumes – concentrant, avec la viticulture et l’horticulture, l’essentiel des 1,7 million d’emplois relevant de l’amont de la filière, du versant production – est également parlant. Depuis une dizaine d’années, cette filière subit une forte concurrence de la part de l’Allemagne. Entre 1996 et 2010, la France a ainsi perdu environ 50 % de surface de production pour l’asperge, 25 % pour la carotte et 39 % pour la fraise, alors que durant la même période, l’Allemagne a augmenté ces mêmes surfaces, respectivement de 73 %, de 30 % et de 64 %.
Jusqu’en 2012, nous bénéficiions d’une exonération de cotisations patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels. C’est avec regret que nous constatons que le projet de loi de finances pour 2013 ampute cette exonération de 20 %. Les 950 000 contrats de travailleurs occasionnels signés chaque année en France ne portent pas sur des emplois précaires : ce sont des emplois saisonniers, couvrant entre six et neuf mois dans l’année, généralement hors période hivernale. Les rémunérations auxquelles ils donnent lieu sont le plus souvent bien supérieures au SMIC : de 50 %, voire de 100 %, grâce à la prime de précarité de 10 % et à un nombre d’heures supplémentaires compris entre quatre et six par semaine. À cet égard, il est particulièrement dommage que le plafond de l’exonération complète soit désormais abaissé à 1,25 SMIC. Nous craignons deux conséquences directes : le retour du travail au noir et l’arrivée de prestataires offrant les services de salariés d’Afrique du Nord, d’Amérique latine ou d’Europe centrale et orientale, payés à l’heure – dans ce cas, il n’y aura même pas versement de cotisation, en tout cas en France ! Cette réduction d’exonération est une lourde erreur.
Nous avions également espéré que le projet de loi de finances pour 2013 confirmerait la décision, prise par le précédent gouvernement, de réduire d’un euro par heure travaillée les cotisations pour les salariés permanents relevant de la Mutualité sociale agricole (MSA). On nous affirme que cette mesure a été refusée par la Commission européenne ; pour ma part, je n’ai rien lu sur le sujet et j’aimerais avoir de plus amples informations. Toujours est-il que la ressource qui devait servir à cet allégement du coût du travail agricole – 210 millions d’euros financés par la taxe sur les sodas et par la taxe sur le gazole utilisé en agriculture et dans les travaux publics – a bien été prélevée en 2012 et figure dans le projet de loi de finances pour 2013. Ce serait en faire bon usage que de l’affecter à une mesure de soutien à l’emploi et je regrette que ce ne soit plus le cas.
Nous sommes conscients de devoir agir dans un cadre européen et c’est donc à ce niveau que nous travaillons à l’instauration d’un salaire minimum en agriculture, ou en tout cas d’un minimum social européen. Aujourd’hui, en Allemagne, il n’existe ni conventions collectives, ni contrats de travail, ni SMIC ! On peut ainsi y faire venir, en vertu d’une convention signée il y a deux ans avec ces deux pays, des salariés bulgares ou roumains qui sont employés en l’absence de tout contrat pour des périodes de six mois, sans cesse renouvelées. Cette situation n’est pas tenable dans le cadre d’un marché unique.
Nous sommes également très favorables à la « TVA-emploi », sujet auquel nous avions réfléchi depuis plusieurs années avec des économistes. Cette mesure réaliste nous semblait permettre à la fois d’abaisser nos charges, donc de nous rendre plus compétitifs, et de transférer sur des produits importés – majoritairement taxés au taux de 19,6 % – une part des coûts de notre modèle social. Le taux réduit de 5,5 % ou de 7 % appliqué aux produits de consommation courante, notamment alimentaires, éviterait par ailleurs de fragiliser le pouvoir d’achat de nos concitoyens. En revanche, malgré un probable effet bénéfique à court terme sur les charges qui pèsent sur les salaires, nous doutons de l’efficacité globale d’une CSG fonctionnant en circuit fermé au sein de notre économie.
Pour résumer, dans la filière des fruits et légumes, dans l’horticulture et dans la viticulture, tout ce qui tient au coût du travail nous met progressivement hors-jeu dans la compétition internationale. Mais il en va de même pour les entreprises de transformation des filières animales, en particulier pour la volaille ou le porc : en une douzaine d’années, nous avons perdu quelque 20 % de notre potentiel productif. Les entreprises d’abattage, de charcuterie et de salaisonnerie du grand Ouest français se trouvent aujourd’hui en situation très délicate et la situation du groupe Doux pourrait préfigurer ce que vivront nombre d’entre elles dans les mois et les années à venir.
En matière fiscale aussi, les écarts sont importants au sein de l’Union. À 42,5 % du PIB, le niveau des prélèvements obligatoires en France était en 2010 l’un des plus élevés des Vingt-Sept et nous en supportons notre part. Nous souhaitons donc une révision des dispositifs réservés aux agriculteurs, notamment la dotation pour investissements (DPI) et la dotation pour aléas (DPA). Pour éviter que les éleveurs ne se retrouvent en difficulté lors des mauvaises années – comme l’année 2011 marquée par la sécheresse –, il faut leur permettre de « pousser » devant eux six à neuf mois de stocks, assujettis à une fiscalité adaptée. Il faut également prendre en compte, outre les risques climatiques et sanitaires, les risques de marché liés à la volatilité des prix agricoles, en faisant bénéficier les exploitations imposées sur leur bénéfice réel d’une gestion fiscale interannuelle. Il ne s’agit pas de les affranchir de l’impôt, mais de lisser des fluctuations de prix devenues insupportables. Depuis 2007, nous avons déjà connu deux vagues d’augmentation et de chute des prix sur les marchés ; ces mesures sont donc plus que nécessaires.
À titre de comparaison, en Belgique, le forfait fiscal agricole n’est pas plafonné, l’agriculteur pouvant choisir entre le système forfaitaire et une déclaration au bénéfice réel ; au Danemark, les taux d’amortissement atteignent 30 % ; en Allemagne, il existe trois dispositifs différents de DPI avec des montants plus élevés qu’en France.
Par souci d’objectivité, il faut toutefois signaler un point positif pour la France, dont nous espérons le maintien : une fiscalité sur les carburants agricoles parmi les plus attractives d’Europe. Sur les 42,84 centimes d’euros par litre de taxe intérieure de consommation (TIC) appliquée au gazole, nous ne payons aujourd’hui que quelque trois centimes. Pour une exploitation agricole moyenne consommant entre 100 et 120 litres de carburant à l’hectare, l’avantage compétitif atteint environ quarante euros par hectare, ce qui est loin d’être négligeable.
Enfin, quelques mots sur le droit de la concurrence et sur nos relations avec nos partenaires de la distribution. Intéressés par l’instauration de la négociabilité des tarifs et des conditions de vente, tout comme par la formalisation de ses contreparties, nous étions favorables à la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008. Si nous revendiquons aujourd’hui l’application de cette loi – qui n’a jamais fait l’objet d’un décret –, c’est que les distributeurs ont du mal à respecter la négociabilité ; on constate que certains contrats sont aujourd’hui vierges et avec une concurrence exacerbée entre les enseignes.
M. Olivier Carré. S’agirait-il de véritables cartels ?
M. Xavier Beulin. Je n’irai pas jusque-là, mais on nous explique que la « guéguerre » entre enseignes génère des pertes de marge, qu’il faut bien répercuter sur quelqu’un. En l’occurrence, c’est sur le fournisseur.
M. Olivier Carré. Combien de centrales d’achat y a-t-il ?
M. Xavier Beulin. Neuf ou dix, mais cinq seulement « font » le marché car elles réalisent 85 % de la mise en rayon des produits alimentaires.
Nous demandons que l’État réaffirme la primauté des conditions générales de vente – une des préconisations qui figurait dans le rapport de vos collègues Mme Vautrin et M. Gaubert – et rappelle que la convention unique qui lie un fournisseur au distributeur est de douze mois glissants, sans aucune rétroactivité.
Nous souhaitons aussi l’adoption, en parallèle, de règles pour prendre en compte la volatilité des prix des matières premières. Depuis deux ans, nous travaillons à un indicateur qui permette de suivre les tendances des marchés, notamment pour les filières animales – porc, volaille et bovins. Géré par le ministère de l’agriculture, il permettrait de repérer le moment où les prix des matières premières sortent d’une fourchette de fluctuation prédéfinie, pour autoriser une renégociation des conditions générales de vente. Aujourd’hui à l’essai, ce dispositif qui a bien fonctionné pour la volaille, moins bien pour les autres espèces, peut devenir l’une des solutions à ce problème de volatilité.
La relative stabilité des prix que nous avons connue pendant quarante ans est bien terminée : en septembre, sur les cotations qui font le marché, nous avons ainsi vécu par deux fois en l’espace d’une seule journée des amplitudes de prix supérieures à ce que nous connaissions sur une année entière avant 2007-2008. Les difficultés que ce nouvel état de choses engendre pour l’amont agricole et pour les entreprises de transformation, exigent des adaptations.
Nous souhaitons enfin faire évoluer le droit de la concurrence, en premier lieu afin de mieux définir l’abus de position dominante. Un groupe coopératif de Normandie, Agrial, leader en France pour le cidre de grande consommation, a récemment repris un autre groupe, Elle-et-Vire, qui a également une activité cidricole. Au prétexte que les deux cumulés contrôleraient plus de 50 % du marché national, Agrial s’est vu contraint de céder la partie cidre du groupe Elle-et-Vire. Nous voudrions que dans de tels cas, l’Autorité de la concurrence apprécie non les valeurs absolues, mais des abus réels qui seraient constatés sur le marché, en l’occurrence peu sensible, le cidre n’étant pas un produit de très grande consommation.
Nous appelons également votre attention sur l’appréciation quelque peu restrictive faite par l’Autorité de la concurrence sur les périmètres à prendre en compte dans ces affaires. Son président, M. Bruno Lasserre, nous explique régulièrement que plus le produit est élaboré, plus le périmètre pertinent est restreint : le blé relèverait ainsi du marché mondial, le yaourt aromatisé du marché local ! Pour notre part, nous considérons plutôt le marché par grands bassins, voire au niveau de l’Union européenne, et nous souhaitons une évolution sur ce sujet. Il y a en effet contradiction entre le législateur qui encourage les producteurs à concevoir des formes organisées de mise en marché, et un droit de la concurrence qui remet implicitement en cause ces formes d’organisation. D’une façon générale, nous souhaitons établir des rapports plus équitables et plus équilibrés à la fois avec les industriels et avec les distributeurs, afin d’éviter le déséquilibre entre une très forte concentration à un bout de la filière et une très forte atomisation à l’autre.
Mme Corinne Erhel. Élue des Côtes-d’Armor, je connais plus particulièrement la situation de la filière légumière locale. Si plusieurs sociétés y proposent en effet les services de salariés d’origine étrangère – en général polonais ou roumains –, ces derniers sont surtout recrutés pour la culture et la récolte de légumes de plein champ, un secteur malheureusement qui peine à attirer la main-d’œuvre. Le problème est moindre pour les cultures sous serres, beaucoup ayant été fait pour y améliorer les conditions de travail. Le parallèle est évident avec le secteur du bâtiment où sévit le même type de sociétés. Il faudrait donc développer la formation et améliorer l’attractivité des emplois concernés.
Dans cette même filière légumière, la maîtrise des coûts de l’énergie devrait également permettre de retrouver de la compétitivité. Pour la production sous serres, collectivités et professionnels devraient ainsi faire des propositions afin de développer le recours au gaz naturel et aux pompes à chaleur. La compétitivité du secteur suppose enfin de soutenir l’innovation, qu’il s’agisse de l’amélioration variétale ou du marketing.
Si, à court terme, la course aux prix de vente les plus bas peut paraître avantager le consommateur, à long terme elle est destructrice pour la filière, dans l’agriculture comme d’ailleurs elle l’est déjà dans un tout autre secteur, celui les télécommunications. J’ai donc toujours été réservée à l’égard des publicités comparatives qui mettent en avant des prix plus bas que chez les concurrents, et le fait qu’une grande enseigne nationale – que vous aurez reconnue – joue principalement sur ce registre me paraît dangereux.
M. Olivier Carré. Outre les problèmes qui viennent d’être évoqués, j’ai été sensible à la question des relations avec l’Europe. Alors que les directives européennes s’appliquent, en principe, de façon identique à tous les États membres au sein d’un marché unique, nous avons tendance en France à les « agrémenter » d’ajouts lorsque nous les transposons. Si l’initiative de ces transpositions appartient aux gouvernements, en tant que législateurs nous devons mieux veiller à avoir malgré tout le dernier mot ! Nous devrions donc exiger – sous réserve de quelques exceptions locales – une transposition « sèche » qui permette à des professions comme les vôtres d’affronter à armes égales leurs concurrents des autres pays européens. Les arboriculteurs de ma circonscription m’ont ainsi expliqué comment, à partir d’une même directive, s’imposent en France des normes phytosanitaires auxquelles échappent les Pays-Bas, où un cerisier peut alors produire 40 à 50 % de fruits de plus que chez nous. Les textes d’origine ont beau être les mêmes, leur application varie selon les pays, et nous devrions effectivement nous préoccuper d’une harmonisation en la matière.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Quel est votre avis sur l’état actuel du marché unique agricole, et sur les distorsions de normes ou de concurrence qu’il tolère ? À quel niveau de la Commission européenne ces questions sont-elles d’abord traitées ? Est-ce qu’elles dépendent du portefeuille de l’agriculture, de celui de la concurrence ou de celui du marché intérieur et des services ? À vous entendre, votre secteur est en difficulté dans le cadre actuel, celui d’une concurrence prétendument « libre et non faussée » – et en tout cas complètement ouverte. Probablement conviendrait-il, au sein de l’Union, de se préoccuper des différences entre législations sociales, en particulier des écarts entre les salaires minimums pratiqués ici et là.
Élu de la Seine-Saint-Denis, département sans doute assez peu agricole, je me placerai plutôt du point de vue du consommateur. La qualité des produits français est indéniable, mais il me semble qu’elle pourrait être mieux reconnue, d’abord en affichant plus clairement la provenance : le consommateur ne sait pas toujours ce qu’il achète.
De même, au moment où la question de la confiance à l’égard des produits issus de l’agriculture se pose de plus en plus, il me semble que nos producteurs auraient une carte à jouer pour se distinguer de leurs concurrents étrangers : certaines normes, certaines gammes de produits sont bien connues des professionnels, mais beaucoup moins des consommateurs. Ne faudrait-il pas y remédier ? Bien sûr, tout le monde ne peut pas acheter des œufs de poules élevées en plein air selon les normes de l’agriculture biologique, en raison de leur coût, mais il faudrait à tout le moins que les consommateurs sachent à quoi correspondent les écarts de prix.
Enfin, les consommateurs se défient souvent des intermédiaires. En témoigne le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, les AMAP. Certes, il s’agit d’un marché de niche, mais les gens qui disposent du temps et de l’argent nécessaires pour s’y fournir expriment ainsi leur volonté de se rapprocher des producteurs et de contribuer à la viabilité des exploitations. Cela montre que la relation entre producteurs et consommateurs de produits agricoles pourrait être resserrée, au bénéfice des entreprises françaises.
M. Thierry Benoit. Nous devons réaffirmer notre soutien, au niveau national comme au niveau régional, à une agriculture de production. Cela implique de définir pour elle un cadre professionnel précis. Or de nombreuses installations ont lieu hors de tout cadre clairement défini. Je n’ai rien contre l’agriculture « bucolique » ou « de loisirs», voire une agriculture de niche, mais nous devons avant tout soutenir une agriculture professionnelle.
Or une agriculture professionnelle est une agriculture dont les outils de production sont compétitifs. C’est pourquoi je souhaite l’adoption, au niveau national, de dispositions permettant de poursuivre la modernisation des bâtiments d’élevage et, au niveau européen, de mesures de rééquilibrage en faveur des aides à l’élevage.
Comment réagir au véritable dumping social pratiqué par certains pays et à l’importation de main-d’œuvre à bas coût ? À court terme, il faut à tout prix préserver les dispositifs actuels d’exonération de cotisations sociales, pour le travail temporaire comme pour le travail permanent, et ce aussi longtemps que la France n’aura pas fait le choix d’un financement pérenne de sa protection sociale, conformément aux engagements pris par l’ancien gouvernement.
Dans votre introduction, vous avez d’emblée fait le lien entre l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Cela est effectivement essentiel, car nous allons vivre un nouveau cycle de redimensionnement de cette industrie dont je mesure très bien l’impact dans nos régions. Le phénomène s’est produit dans le lait il y a une trentaine d’années ; aujourd’hui, il gagne les abattoirs, comme le prouvent les mouvements actuels dans les secteurs privé et coopératif. Il y a là un vrai défi. Nous devons anticiper ce redimensionnement afin de permettre à nos industries agroalimentaires d’être compétitives aux niveaux européen et international.
Un autre problème tient à ce que, les centrales d’achat étant peu nombreuses mais puissantes dans notre pays, les Français sont très exposés au discours de la grande distribution, et finissent par croire que les légumes, la viande ou les produits laitiers ne valent, en fait, pas grand-chose et qu’ils pourront toujours être mis sur le marché à bas prix. Ce n’est pas sans conséquence pour nos agriculteurs et rend d’autant plus difficiles leurs négociations avec ces mêmes distributeurs.
Enfin, il nous faut ensemble travailler à introduire plus de transparence dans les circuits de distribution. C’est aussi une des conditions pour améliorer la compétitivité et réduire les coûts de production en agriculture.
M. Jean Grellier. La loi de modernisation de l’agriculture (LMA) offrait deux outils majeurs pour gérer le problème des coûts de production et de la répartition des marges. Elle a tout d’abord introduit, spécialement à destination de la filière laitière, la notion de contractualisation. Elle a d’autre part créé un Observatoire des prix et des marges. Quel bilan dressez-vous sur ces deux points, sachant que la contractualisation en particulier se heurte aujourd’hui à des difficultés ?
M. le président Bernard Accoyer. Je rappelle que cette mission d’information porte spécifiquement sur les coûts de production en France – même si je reconnais qu’il est difficile de faire abstraction d’autres facteurs.
Je vous indique, Monsieur le président Beulin, que Daniel Golberg et moi-même avons pris l’initiative d’écrire au Premier ministre afin d’appeler directement son attention sur l’importance des négociations en cours entre distributeurs et producteurs. La crise actuelle est en effet de nature à aggraver la pression exercée par les premiers sur les seconds …
M. Xavier Beulin. La chance de la France est d’avoir une agriculture très diversifiée, qui répond elle-même à une demande très diversifiée. C’est pourquoi j’insiste toujours pour qu’on cesse d’opposer agriculture biologique et agriculture conventionnelle, circuits de proximité et filières longues, éleveurs et céréaliers, etc. Cela n’a pas de sens, car la survie de notre agriculture dépend de sa capacité à s’adapter à une demande très variée. Le pire serait de constater, dans une dizaine d’années, que notre pays s’est « céréalisé » aux dépens de la production de légumes ou de l’élevage. C’est pourtant la tendance actuelle.
Nous observons sur le terrain un phénomène nouveau : la décision de cesser une production – en particulier une production animale – n’est plus nécessairement prise pour des raisons économiques, même si celles-ci pèsent fortement, mais à cause des contraintes réglementaires. Dans ce domaine, en effet, les strates se superposent : directive-cadre sur l’eau, directive « Nitrates », cartographie des zones vulnérables, normes de production, exigences en matière de stockage des effluents, etc.
Ainsi l’extension des zones vulnérables et le cinquième programme d’action de la directive « Nitrates » pourraient entraîner des situations ubuesques. Par exemple – et disant cela, je n’exagère nullement –, un éleveur « tout à l’herbe » pourrait se voir contraint d’exporter une partie de ses effluents chez un voisin et d’acheter des engrais minéraux pour fertiliser ses prairies. Ce serait un non-sens absolu !
M. le président Bernard Accoyer. Ces contraintes sont-elles d’origine communautaire ou nationale ?
M. Xavier Beulin. Elles sont d’origine communautaire, mais notre pays tend à les alourdir encore. Surtout, chaque État membre n’hésite pas à négocier les dispositions qui lui seront applicables de sorte que les normes fixant le taux maximal d’azote à l’hectare, par exemple, varient d’un pays à l’autre. Or, même si ce n’est pas le cas dans tous les domaines, notre pays se distingue plutôt en faisant du zèle.
Ainsi le seuil à partir duquel un élevage passe du régime de la déclaration à celui de l’autorisation est deux fois plus bas en France que chez la plupart de ses voisins. Nous, nous demandons simplement l’application des normes européennes. Il ne s’agit pas d’en appeler au gigantisme ! Trois producteurs de porcs désireux de rassembler leurs exploitations pour gagner en efficacité, pour faciliter leurs investissements ou pour renforcer la sécurité de leurs systèmes, sont aujourd’hui dans l’impossibilité de le faire tant la procédure requise pour les installations classées est contraignante, longue et coûteuse : il faut une enquête publique qui dure au moins deux ans et coûte 20 000 euros.
Autre exemple : alors qu’en Allemagne, il existe plus de 6 000 unités de méthanisation produisant du gaz à partir d’effluents ou de sous-produits, en France, même si leur nombre augmente, on peut les compter sur les doigts des deux mains. Cela tient pour beaucoup aux délais d’instruction des permis de construire : six à neuf mois de l’autre côté du Rhin, vingt-quatre à trente-six mois en France ! Une telle lourdeur ne peut que peser sur la compétitivité.
J’en viens à la relation entre producteurs et consommateurs. Il y a une dizaine d’années, un ménage français moyen consacrait à peu près 16 % de ses ressources à son alimentation. En 2011, cette part est tombée à 11 %, les matières premières d’origine agricole ne comptant que pour 4 % : le reste correspond à du service – emballage, marketing, transport, réfrigération, etc. Sachant que, de surcroît, le prix de ces matières premières peut varier de 25 à 30 % dans une même année, il y a de quoi s’inquiéter pour la viabilité des activités agricoles, de production comme de transformation. Pouvons-nous nous résigner à ce que le contenant ait plus de valeur que le contenu ?
La forte concentration à l’aval de la filière agricole pose un autre problème, faute d’une plus grande maturité dans les relations entre production et distribution. J’aspire donc à la création d’un cadre et d’outils communs, et la création de l’Observatoire des prix et des marges et la mise en place d’indicateurs constituent un pas dans ce sens. Le premier, qui a sa légitimité, permet de disposer d’informations objectives. Son fonctionnement n’est pas encore parfait, mais il a beaucoup évolué depuis deux ans. Le responsable de l’Observatoire, M. Philippe Chalmin a accompli avec ses équipes un travail important pour déterminer comment se décomposent les prix d’un bout à l’autre de la filière et, quand cela est possible, comment se décomposent les marges.
Quant aux indicateurs, ils permettent de reconstituer – notamment dans une filière animale – la formation des coûts de revient, ce qui devrait à terme nous aider à fonder une nouvelle relation entre producteurs et industriels, et entre industriels et distributeurs.
Mais tout cela suppose d’utiliser effectivement les outils issus de la loi de modernisation de l’économie, en particulier la possibilité de revenir à la table des négociations en cas de décrochement, dans un sens ou dans l’autre, entre l’évolution des prix agricoles et celle des prix de l’alimentation. Certes, quand les premiers baissent, les distributeurs ne tardent pas à exiger de nouvelles négociations, mais dans le cas contraire, les choses sont plus compliquées…
L’emploi agricole a fortement évolué. Tout d’abord, tous les partenaires sociaux s’accordent à reconnaître que le dialogue social dans le secteur est de qualité, ce qui s’explique par la grande proximité entre le chef d’exploitation et son ou ses salariés. Le rapport de confiance, en particulier, est souvent plus fort qu’ailleurs.
Ensuite, nous travaillons depuis plusieurs années à améliorer nos relations partenariales, en particulier en matière de prévoyance et de formation. Nous venons de lancer une nouvelle campagne en vue d’améliorer l’image des métiers de l’agriculture dans l’opinion. On ne peut nier que la pénibilité demeure, mais 93 % des jeunes scolarisés dans l’enseignement agricole trouvent un travail à la sortie et, quand nous avons signé, en 2010 et 2011, entre 3 500 et 4 000 contrats de réinsertion professionnelle destinés à des publics en grande difficulté, la moitié des bénéficiaires ont obtenu un contrat à durée indéterminée après une formation en entreprise et en centre de formation. Le contact avec la terre, avec les animaux et avec la nature constitue en effet un puissant adjuvant à la réinsertion sociale. J’ajoute que près de 70 000 emplois sont à pourvoir dans la filière. L’emploi agricole est peut-être encore méconnu, mais il représente donc un vrai potentiel.
J’ai évoqué le problème qui se pose à propos des installations classées, ainsi que celui des normes sociales, sanitaires, phytosanitaires, environnementales : la tendance de la France à aller en la matière au-delà de ce qu’exige l’Union est incontestable. Mais surtout, il est des domaines dans lesquels il faudrait renoncer à certaines postures. Ainsi, alors que nous n’avons pas investi dans la maîtrise de la ressource en eau depuis dix à quinze ans, certains tendent à assimiler irrigation et intensification de la production, alors que pour nous, l’irrigation est la garantie de la pérennité des exploitations. Nous l’avons vu à nouveau en 2011 : notre incapacité à stocker l’eau au moment où elle tombe nous place dans des situations intenables. À l’issue de la dernière réunion du Comité de sécurité alimentaire de la FAO, notre ministre M. Stéphane Le Foll et ses homologues espagnol et italien ont publié la semaine dernière un communiqué sur la politique agricole commune dont un passage rappelait la nécessité d’une politique d’investissement ambitieuse pour améliorer l’efficacité des systèmes d’irrigation, en particulier grâce à l’aménagement de retenues de substitution. Pourtant, le lendemain, sa collègue Mme Delphine Batho signait un courrier demandant aux directeurs des agences de l’eau de suspendre toute forme de soutien à la création de ces mêmes retenues, au motif qu’une nouvelle mission parlementaire était lancée sur le sujet – comme si les étagères ne croulaient pas déjà sous les rapports consacrés à cette question ! Cette mission devant rendre ses conclusions au printemps prochain, cela signifie que l’on ne fera rien cette année alors que les projets en attente sont nombreux, notamment dans l’Ouest. L’incompréhension est donc totale.
Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Mais le projet de décret élaboré sous la précédente législature, qui fixait à 350 000 mètres cubes d’eau le seuil en deçà duquel une simple déclaration est suffisante pour constituer une réserve d’eau, a été abandonné : nous sommes revenus à la case départ. Non seulement de telles décisions irritent le monde agricole, mais elles font partie des facteurs qui compromettent notre compétitivité.
J’ai évoqué la diversité du monde agricole. Nous nous faisons bien entendu les promoteurs de formes d’agriculture telles que l’agriculture biologique, les circuits courts – dont l’importance croît dans les milieux périurbains –, ainsi que des notions de proximité ou de produit premium. Mais n’oublions pas que les produits alimentaires sous signe de qualité – agriculture biologique comprise – représentent moins de 25 % de la demande. Avec la crise, cette proportion tend même à descendre en dessous de 20 %. Quant à l’agriculture de proximité, elle couvre la distribution de moins de 15 % des produits alimentaires – et encore, à condition de retenir une définition large de la proximité. Rien de cela n’est négligeable, certes, et ces secteurs sont sans doute appelés à progresser, mais on voit bien la nécessité d’accorder toute notre attention à une autre agriculture, meilleur marché, répondant à des besoins plus quotidiens même si elle est également de qualité : les circuits traditionnels de distribution et ce que l’on appelle pudiquement l’agriculture conventionnelle restent, qu’on le veuille ou non, le cœur de métier. Or les facteurs de compétitivité sont essentiels dans ce secteur.
Il est vrai cependant, Madame Erhel, que l’innovation est un facteur de différenciation. Mais elle doit se traduire dans le prix, et l’augmentation de la valeur ajoutée doit aussi bénéficier à ceux qui la mettent en œuvre.
Monsieur Grellier, la contractualisation est un sujet sur lequel nous avions beaucoup insisté lors de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture, car nous y voyions un des grands moyens de structurer la production pour plus d’efficacité. Le ministre a sans doute raison de vouloir améliorer le contenu des contrats qui nous lieront avec l’aval de la filière mais, pour l’heure, nous ne savons pas si les cinq – ou neuf – centrales d’achat de France vont accepter d’entrer elles aussi dans ce schéma. Or une contractualisation ne peut être efficace et durable que si elle concerne l’ensemble de la filière.
Aujourd’hui, le cours de la production porcine est fixé dans une proportion de 90 voire de 95 % au cadran de Plérin en Bretagne. Or celui-ci ne reflète pas les conditions ou les coûts de production en amont, mais simplement l’état du marché résultant de l’offre et de la demande. Si, demain, nous voulons améliorer la situation dans ce secteur, il faudra se tourner vers un autre modèle – par exemple vers celui du marché à terme à livraison différée – prenant en compte les coûts de revient, intégrant une contractualisation menée jusqu’au niveau de la distribution et garantissant la réciprocité des engagements entre producteur, collecteur, transformateur et distributeur. Ce qui n’est certainement pas le cas aujourd’hui.
Un autre exemple intéressant est celui de la production laitière. Deux des grandes entreprises du secteur, l’une coopérative, l’autre privée, ont décidé en octobre de baisser le prix du lait de cinq à dix centimes par litre. Une troisième, Danone, a publié un communiqué pour annoncer qu’elle ne s’alignerait pas, en raison des engagements qu’elle avait pris antérieurement avec ses fournisseurs. On voit là tout l’intérêt de la contractualisation, dès lors qu’elle est fondée sur des critères objectifs et transparents. Pour notre part, nous y croyons. Cela peut fonctionner, sous réserve, je le répète, d’une réciprocité des engagements.
De même, nous travaillons à tisser entre filières végétales et animales des liens destinés à limiter les effets de la volatilité des prix agricoles. L’objectif est de mettre en place une contractualisation entre, par exemple, des coopératives de collecte céréalière et des fabricants d’aliments pour bétail, de façon à écrêter les écarts, à la hausse ou à la baisse, par rapport à un « tunnel » de prix. C’est un travail difficile et de longue haleine, mais il doit être mené à bien pour éviter les excès auxquels le marché est confronté.
Nous n’attendons pas tout de la puissance publique, nous prenons notre part de responsabilité et la contractualisation est un bon exemple de ce qui peut être accompli, de manière volontariste, par les seuls acteurs privés. Cette semaine, nous venons ainsi d’adopter le principe d’une cotisation volontaire de deux euros par tonne, payée par les producteurs de céréales et d’oléagineux et dont le produit, par effet de levier, permettra de financer des investissements pouvant concourir à une meilleure compétitivité dans les filières animales. Il s’agit là d’une première. La cotisation sera prélevée le 31 mai 2013 sur la récolte de 2012. La recette attendue est de 100 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable. Le dispositif n’a pas été facile à élaborer, mais nous souhaitons qu’il s’applique dans la durée. Ainsi, chaque fois que le prix des céréales sur le marché atteindra un niveau élevé, comme c’est le cas en ce moment, nous pourrons l’activer de façon à exercer une action contra cyclique au bénéfice du monde de l’élevage.
M. le président Bernard Accoyer. Je vous remercie pour cet état des lieux de la filière agricole, qui devait en effet également concerner les activités de transformation. Cependant, alors que dans les autres secteurs économiques, l’Europe s’est construite en s’intéressant aux consommateurs, le secteur agricole a la particularité d’être quasiment le seul dont elle a œuvré à renforcer la production. Malheureusement, ce succès est aujourd’hui menacé.
Pour en revenir au thème de la mission d’information, je retiendrai, dans ce que nous avons entendu, deux idées principales. La première est que les coûts de production conduisent certains à faire venir des prestataires de main-d’œuvre de l’étranger, ce qui d’une part aggrave le chômage en France, et d’autre part n’apporte aucune contribution au financement de l’État ou de la protection sociale. La seconde est que les quelques grands distributeurs qui, au terme de restructurations, ont atteint une position monopolistique peuvent arbitrer en défaveur des produits français, en raison du coût de la production dans notre pays.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Cahuc, Professeur à l’École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE) au Center for Economic Research (Londres) et à l’Institute for the Study of Labor (Bonn) et M. Stéphane Carcillo, Maître de conférences à l’université de Paris 1, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po (Paris)
(Séance du jeudi 8 novembre 2012)
M. Laurent Furst, président. Mesdames, messieurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Accoyer, en déplacement à l’étranger.
Nous allons entendre aujourd’hui M. Pierre Cahuc et M. Stéphane Carcillo, économistes qui étudient le marché du travail, la structure de l’emploi et le dialogue social. Vos connaissances sur le coût du travail nous intéressent au plus haut point, messieurs, surtout si elles nous permettent de rompre avec certaines idées reçues. Vous avez, dans une toute récente tribune publiée dans le quotidien économique Les Échos, plaidé en faveur d’un allégement de charges sociales concentré sur les salaires ne dépassant pas 1,6 SMIC. C’est sur l’ensemble de ces points que nous aimerions vous entendre.
M. Pierre Cahuc, professeur à l’École Polytechnique, directeur du Laboratoire de macroéconomie du Centre de recherche en économie et statistique – CREST –, chercheur au Centre for Economic Research – Londres – et à l’Institute for the Study of Labor – Bonn. Le CREST est un centre de recherche de l’INSEE chapeautant plusieurs laboratoires qui ont pour dénominateur commun une approche quantitative de la recherche dans des domaines tels que l’économie ou la sociologie.
Nous voudrions aborder les sujets de la compétitivité, du coût du travail ou de l’emploi d’une façon un peu différente de celle qui s’exprime dans maints travaux récents, notamment dans le rapport Gallois, essentiellement centrés sur l’industrie. Depuis un an, on se focalise sur la destruction de l’emploi industriel, qui est certes très impressionnante depuis 1975, mais qui n’est pas propre à la France puisque la désindustrialisation affecte les économies de tous les pays riches. Ce qui est le plus préoccupant dans la situation française, c’est le chômage structurel qui sévit dans notre pays depuis une trentaine d’années.
Notre exposé s’articulera autour de deux parties. Nous exposerons d’abord quelles sont les sources des problèmes du marché du travail en France, avant de proposer des solutions et de dégager des priorités. De notre point de vue, le rapport Gallois fait une part beaucoup trop importante à la désindustrialisation : les problèmes de l’économie française, et notamment du marché de l’emploi, dépassent largement ceux de l’industrie.
M. Stéphane Carcillo, maître de conférences à l’université de Paris 1. Notre marché du travail se caractérise par un déficit d’emplois affectant prioritairement certains groupes spécifiques. Depuis trente ans, le taux de chômage en France oscille autour de 10 %. Le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes employées et la population en âge de travailler, y est de près de 65 %, soit de dix points inférieur à ce qu’il est dans les pays les plus performants de l’OCDE, ce qui est très conséquent.
L’écart est encore plus impressionnant si on limite la comparaison à certains groupes. Si la France est en très bonne position pour le taux d’emploi des 25-54 ans, le différentiel passe en effet à vingt points pour la tranche des 55-64 ans, avec un taux d’emploi de 40 % seulement, contre 60 % dans les pays les plus performants en termes d’emploi. Chez les 15-24 ans, l’écart est de trente points par rapport aux pays les plus performants, puisque le taux d’emploi des jeunes est de 30 % en France, contre 60 % dans ces pays, soit du simple au double, ce qui est énorme. Ces chiffres nous permettent de constater que les seniors et les jeunes ne sont pas assez employés dans notre économie, ce qui pose toutes sortes de problèmes, notamment sociaux, cette partie de la population ne contribuant ni à la production de richesses ni au financement de nos politiques publiques.
Nous allons tenter de dégager quelques pistes d’explication dans la multiplicité des causes pointées depuis longtemps par la recherche. D’abord, la durée du travail, que la mise en œuvre des 35 heures a fortement fait diminuer, est plus faible en France que dans d’autres pays.
M. Pierre Cahuc. Cela dit, ce n’est pas l’explication essentielle de nos mauvaises performances en termes d’emploi ou de compétitivité. Une modification de la durée du travail pourrait donner des marges de manœuvre aux entreprises, mais ce n’est pas le cœur du problème. Les difficultés d’intégration des jeunes au marché du travail ou la faible employabilité des seniors n’ont pas grand-chose à voir avec cette question.
M. Stéphane Carcillo. On peut également évoquer l’évolution du coût du travail en France, en comparaison notamment avec ce qu’il est en Allemagne. De 1994 à 2010, l’évolution du coût horaire du travail est assez proche en France et en Allemagne, sinon que la progression est un peu plus vive en France depuis les années 2000. Il est actuellement de 33 euros, contre 30 euros en Allemagne.
En réalité, le différentiel avec l’Allemagne n’est pas homogène dans tous les secteurs d’activité. Le coût du travail dans l’industrie est légèrement supérieur en Allemagne, ce qui peut traduire des différences de productivité. En revanche, le coût du travail dans les services est nettement plus élevé en France. C’est là un point très important, étant donné que les services pèsent dans les coûts de production des autres entreprises, notamment dans l’industrie. Ainsi, en Allemagne, la consommation de services représente 60 % de la valeur ajoutée des entreprises du secteur manufacturier. D’où l’importance du coût du travail dans le secteur des services pour la viabilité des autres secteurs de production.
De ce point de vue, la France connaît une situation assez extrême, puisque le coût du travail au niveau des bas salaires est structurant pour son marché de l’emploi. Nous sommes l’un des pays de l’OCDE où le coût du travail au niveau du salaire minimum est le plus élevé, en tenant compte de toutes les exemptions : ce coût est d’environ 80 % plus élevé en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE et 70 % plus élevé qu’aux États-Unis. Si l’on excepte le Luxembourg, dont l’économie est très spécifique, la France se situe juste derrière les Pays-Bas et l’Australie, pays qui prévoient des exceptions au salaire minimum, les jeunes étant parfois payés à un taux beaucoup plus bas.
M. Pierre Cahuc. Si nous préférons insister sur la comparaison des salaires minima, c’est qu’il faut être extrêmement prudent en matière de comparaison de coûts du travail. En effet, les salaires dépendent de la productivité et s’ils sont plus élevés dans l’industrie allemande, c’est en partie parce que la productivité des salariés y est plus élevée : le niveau élevé des salaires traduit la bonne santé de l’industrie manufacturière en Allemagne. Si les salaires sont élevés en Allemagne, c’est que l’industrie manufacturière s’y porte bien.
La comparaison des coûts planchers est plus significative parce qu’elle ne dépend pas directement de la productivité des salariés dans les pays où le salaire minimum est fixé par la loi, et non pas négocié. En outre, le niveau du salaire minimum légal est une référence et il a des répercussions sur l’ensemble des salaires. Enfin, il n’y a pas en France d’exception au salaire minimum au-delà de dix-huit ans, à la différence de ce qui se passe dans la plupart des pays équivalents, où sont prévues des exemptions selon l’âge. Au Royaume-Uni, par exemple, le salaire minimum est de 20 % moins élevé pour les salariés de dix-huit à vingt ans. La France se caractérise par un salaire minimum non seulement relativement élevé, mais applicable à l’ensemble de la population, donc plus contraignant que dans la plupart des pays équivalents. C’est une caractéristique très importante du système français, qui peut expliquer le taux de chômage des jeunes et des personnes les moins qualifiées : ceux-ci sont très difficilement employables à un tel niveau, leur productivité étant souvent faible au regard d’un coût du travail relativement élevé. Il y a de fortes chances qu’une personne sans diplôme et sans qualification ne soit pas beaucoup plus productive en France qu’en Espagne, par exemple, où le niveau du salaire minimum est deux fois plus faible.
M. Stéphane Carcillo. L’analyse des différentiels de coûts est également importante quand on connaît le poids du salaire minimum dans le secteur des services.
Le coût du travail en France est à ce niveau en dépit des 20 milliards d’euros d’allègements généraux sur les bas salaires, qui profitent essentiellement au SMIC puisque 90 % bénéficient à des salariés payés moins de 1,3 SMIC.
Pour mesurer la prégnance du salaire minimum dans l’ensemble des salaires en France, il faut savoir qu’il y représente plus de 60 % du salaire médian, qui est d’environ 1 700 euros nets par mois. Cela signifie qu’un nombre considérable de salariés français sont au SMIC, et que le salaire minimum est contraignant pour les entreprises. Si tel n’était pas le cas, il y aurait plus de salariés payés au-dessus du salaire minimum. Celui-ci pèse plus dans l’économie française que dans celle des autres pays de l’OCDE – je pense notamment à l’Australie et aux Pays-Bas, où le salaire minimum est pourtant plus élevé.
M. Pierre Cahuc. Pour vous donner un ordre de grandeur, je dirai que la moitié des salariés, ce qui est considérable, gagne entre 1 et 1,5 SMIC, soit un peu moins de 1 700 euros, alors que le salaire moyen est d’environ 2 000 euros nets. À un moment où l’on parle d’étaler les allégements de charges jusqu’à 2,5 SMIC, il est important de savoir que 85 % des salariés gagnent moins de 2,5 SMIC. Les salariés qui peuvent gagner 1,5 SMIC connaissent un faible taux de chômage, de l’ordre de 5 % en moyenne. C’est au bas de l’échelle des salaires que le chômage frappe le plus, notamment chez les jeunes. C’est là un mécanisme qu’il faut absolument connaître pour comprendre comment fonctionne le marché du travail et pour savoir où faire porter l’effort en priorité. Si on veut lutter contre le chômage, il faut concentrer les allégements de coût du travail sur les personnes qui présentent le plus grand risque de chômage, c’est-à-dire celles qui sont payées au SMIC, les jeunes notamment.
M. Stéphane Carcillo. Nous nous contentons ici d’analyser le SMIC sous l’angle du coût du travail, en écartant la question de l’opportunité d’un salaire minimum.
Par ailleurs, la France présente également la spécificité de faire peser le financement de la protection sociale sur les salaires. De ce fait, les prélèvements obligatoires sur les revenus du travail atteignent un niveau très élevé en France par rapport aux autres pays de l’OCDE : en 2010, un couple avec deux enfants touchant un salaire moyen supportait plus de 40 % de prélèvements. Toute variation de ces prélèvements, qu’il s’agisse de la TVA, des charges, tant patronales que salariales, ou de l’impôt sur le revenu, influe sur l’évolution du salaire net et in fine sur le pouvoir d’achat des salariés. Plus on les augmente, plus le pouvoir d’achat des salariés se réduit. Quant aux entreprises, pour préserver leur productivité, elles vont chercher à diminuer le salaire net afin de compenser l’augmentation directe du coût du travail, qu’elles ne peuvent pas répercuter sur le salaire minimum, d’où une nouvelle baisse du pouvoir d’achat.
M. Pierre Cahuc. Même si cela peut paraître une évidence triviale, il ne me semble pas inutile de rappeler, dans le contexte actuel, que toute hausse des prélèvements se répercute sur le pouvoir d’achat. Inversement, tout allègement des charges sociales augmente théoriquement le pouvoir d’achat, si du moins les salaires s’ajustent. Ainsi, on peut s’attendre à ce qu’un allégement des cotisations employeurs ouvre une marge de négociation collective des salaires à la hausse, du moins pour les salaires de 1,5 à 3 SMIC, le salaire minimum étant fixé une fois pour toutes. De ce fait, tout allégement de charges à ce niveau provoque des effets relativement limités sur l’emploi. En un mot, les effets d’un allégement du coût du travail sur les salaires et l’emploi sont très variables selon qu’il s’agit du salaire minimum ou de salaires plus élevés. Cette différence est essentielle dans le débat actuel.
M. Stéphane Carcillo. Parmi les facteurs qui pèsent sur le coût du travail au sens large figure la protection de l’emploi.
Pour mesurer le niveau de protection de l’emploi, l’OCDE prend en compte non seulement la protection assurée par le CDI, mais également le degré de recours au CDD ou le régime du licenciement économique. Cet index révèle que la France figure dans le premier tiers des pays de l’OCDE par son niveau de protection de l’emploi. Or un niveau de protection élevé pèse sur le coût du travail, les employeurs anticipant, lors de l’embauche, le moment de la séparation, quelle que soit sa forme. Plus le coût de la séparation est élevé, plus il pèse sur les embauches. En France, il est effectivement plus élevé en moyenne, notamment du fait du licenciement économique.
M. Pierre Cahuc. Il faut protéger l’emploi, ou plus exactement les salariés, en les aidant à trouver un emploi adapté à l’évolution de la structure productive. Or, paradoxalement l’emploi est mal protégé en France. En effet, les entreprises n’utilisent pratiquement plus le licenciement économique, lui préférant les plans de départs volontaires ou les licenciements pour motif personnel à grande échelle. Aujourd’hui, tous les mois, 15 000 personnes entrent dans le chômage à la suite d’un licenciement économique, soit deux fois moins qu’à la fin des années 90, période de forte croissance. Une telle évolution est extrêmement inégalitaire, car elle avantage les salariés relativement bien payés travaillant dans les plus grandes entreprises. Elle est extrêmement préjudiciable pour l’écrasante majorité des salariés, bloque la structure productive française et se traduit par une explosion du nombre des embauches en CDD, qui a augmenté de dix points en dix ans.
M. Stéphane Carcillo. Aujourd’hui près de 90 % des embauches se font en CDD, ce qui est énorme.
M. Pierre Cahuc. Ce marché du travail fonctionne extrêmement mal. Il génère du chômage surtout pour les jeunes, qui n’arrivent pas à construire leur carrière professionnelle en raison d’un contexte d’emploi trop instable, et pour les seniors, dont il entrave le retour à l’emploi. Il faut arriver à casser cette logique par une réforme du licenciement économique qui concilie protection du salarié, clarté et sécurité juridique. Comme vous le savez, la réglementation actuelle repose sur des distinguos subtils entre sauvegarde et amélioration de la compétitivité et elle impose des obligations de reclassement extrêmement complexes. L’insécurité juridique née de cette complexité est très coûteuse, non seulement pour les entreprises, mais également pour les salariés, engagés dans des procédures à l’issue incertaine.
M. Stéphane Carcillo. L’exemple de l’Espagne est significatif : le niveau de protection de l’emploi y est plus élevé que chez nous et le recours au CDD y est encore plus massif – c’est le corollaire. Le taux de chômage des jeunes y est de 55 %, contre 25 % chez nous. Cela montre bien qu’une stricte protection de l’emploi, loin de protéger les plus fragiles, augmente leur taux de chômage, en incitant les entreprises à les recruter sur des contrats très courts, avec un fort taux de rotation.
M. Pierre Cahuc. Vous nous objecterez peut-être le niveau élevé de la protection de l’emploi en Allemagne., mais il y a une grande différence avec la France. Outre que le régime du licenciement économique est, en France, d’une complexité redoutable pour les entreprises, le juge allemand ne contrôle pas la validité des licenciements au regard des performances économiques des entreprises. En outre, depuis dix ans, c’est surtout dans le secteur des services que l’Allemagne crée des emplois, extrêmement flexibles et mal payés – entre six et dix euros de l’heure – puisqu’il n’y a pas de salaire minimum.
M. Stéphane Carcillo. Par ailleurs, malgré le recul de l’âge légal en 2010, l’âge de départ en retraite reste plus bas en France que dans les autres pays de l’OCDE, ce qui pèse considérablement sur le taux d’emploi des seniors entre 55 et 64 ans ; les entreprises n’ont pas envie d’investir dans l’embauche de salariés susceptibles de partir en retraite au bout de quelques années.
Le niveau des prestations chômage en France peut également peser sur la situation de l’emploi. En effet, le taux de remplacement du salaire d’activité au cours des deux premières années de chômage est de 67 % en France, ce qui est extrêmement élevé. S’il permet aux salariés de bénéficier de bonnes conditions pour retrouver un emploi bien rémunéré, il pèse également sur les salaires d’embauche. Ce n’est pas forcément un problème en soi, comme le montre l’exemple du Danemark ou de la Norvège, qui concilie un taux de remplacement plus élevé qu’en France avec un faible taux de chômage. Dans ce domaine, c’est l’accompagnement des demandeurs d’emploi, voire l’incitation à la reprise d’emploi, qui fait la différence.
Nous voudrions enfin souligner le rôle de la qualité des relations au travail. L’enquête sur les relations entre employeurs et employés menée par le World Economic Forum dans 142 pays a montré que la France se situait à la cent trente-troisième place, ce qui est extrêmement inquiétant ! Cela révèle l’état dramatique du dialogue social en France.
M. Pierre Cahuc. Certes, ce sont les employeurs qui répondent à la question : « Comment qualifieriez-vous les relations entre employeurs et employés dans votre pays ? ». Mais toutes les enquêtes internationales convergent sur ce point : en France, les partenaires sociaux jugent le dialogue social extrêmement mauvais. Si nous avons retenu l’enquête du World Economic Forum, c’est en raison du nombre extrêmement élevé de pays représentés. Ce résultat est d’autant plus impressionnant que la situation perdure depuis une vingtaine d’années. Il s’agit bien d’un problème central pour l’économie française.
Que faire ? Pour l’économie française, pour son marché du travail et plus généralement sa compétitivité, la priorité doit être l’insertion, d’une manière ou d’une autre, des jeunes et des personnes à bas salaires dans le marché du travail. On peut imaginer d’autres solutions que la baisse du salaire minimum, par exemple la baisse des charges : c’est le choix qu’a fait la France depuis un certain temps. Mais c’est au niveau du salaire minimum que la baisse du coût du travail est un levier efficace. Si 20 milliards d’allégements de charges permettent de créer entre 500 000 et 900 000 emplois, c’est parce qu’ils sont concentrés sur les bas salaires, entre 1 et 1,3 SMIC. Au-dessus du salaire minimum, une baisse des charges favorise l’augmentation des salaires beaucoup plus que l’emploi. Les salaires sont liés à la structure du marché du travail. Si on veut améliorer durablement la compétitivité des entreprises françaises, il faut modifier les conditions de formation des salaires, qui sont désormais mal adaptés aux contraintes des entreprises.
La très mauvaise qualité des relations sociales en France est une autre source essentielle de dysfonctionnement du marché du travail. Nous pensons qu’elle est le résultat du fonctionnement actuel du paritarisme français, dont l’influence est extrêmement importante sur la formation des salaires via la négociation collective. Les représentants des salariés sont trop déconnectés des réalités des entreprises et des contraintes quotidiennes qui pèsent sur les salariés. Le rapport de Nicolas Perruchot est très instructif à cet égard, bien qu’il n’ait pas été diffusé de façon officielle. Améliorer le fonctionnement du marché du travail français suppose donc de réformer en profondeur le fonctionnement du paritarisme, afin notamment de décentraliser les négociations collectives, pour que les salaires soient plus adaptés aux contraintes des entreprises. Redonner corps à la négociation collective au niveau de l’entreprise devrait être une des priorités du quinquennat, car c’est le problème de fond du marché du travail français.
M. Laurent Furst, président. Il faut bien prendre garde à parler de coûts du travail élevés, et non de salaires élevés : on ne peut pas dire que percevoir 1,5 SMIC, cela représente un salaire élevé.
M. Olivier Véran. Vous nous dites que le taux d’emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans est nettement plus faible en France que dans les autres pays de l’OCDE. Les retraités sont-ils considérés comme non employés, auquel cas l’âge de départ à la retraite influe énormément sur ce résultat ?
M. Stéphane Carcillo. Le nombre d’années passées à la retraite dépend de l’âge normal de départ en retraite et de l’espérance de vie. Les Français vivent longtemps, mais partent plus tôt à la retraite. La France est donc l’un des pays qui finance le plus grand nombre d’années à partir de l’âge de départ en retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité, d’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi. Au final, l’âge normal de départ à la retraite influence énormément le taux d’emploi des seniors, mais ce n’est qu’une variable de l’équation.
M. Olivier Véran. À mon sens, cette variable ne peut pas être considérée comme une anomalie pour l’accès des seniors au marché du travail, dans la mesure où l’âge de la retraite est un choix politique.
M. Pierre Cahuc. L’âge légal de la retraite pèse énormément sur le taux d’emploi des seniors. Le choix de la France est une exception de ce point de vue – certains diront une anomalie –, beaucoup de pays de l’OCDE étant passés à soixante-cinq ans, voire soixante-sept ans. Néanmoins, ce n’est qu’une variable. Lorsqu’un senior perd son emploi, il lui est extrêmement difficile d’en retrouver un, d’une part, parce que le système de protection de l’emploi ne favorise pas l’embauche des seniors ; d’autre part, parce que notre service public de l’emploi n’est pour l’instant pas capable d’accompagner de façon efficace les personnes qui perdent leur emploi.
M. Olivier Véran. Le projet français consiste à relancer la compétitivité pour créer des emplois. Pour ce faire, il faut selon moi favoriser la compétitivité « hors coût », pour créer les conditions d’un marché du travail de qualité. Un certain nombre de dispositifs ou de projets en faveur de l’innovation et de la formation sont en cours. Le financement de la compétitivité hors coût implique de réduire le coût de la production, la compétitivité coût pesant directement sur la compétitivité hors coût. Avec l’objectif de tirer notre économie vers le haut, le pacte de compétitivité vise à encourager la juste rémunération d’un travail qualifié, lequel constitue l’une des clés de la compétitivité qualité.
La compétitivité de nos services concourt à celle de l’ensemble de notre économie – vous avez d’ailleurs rappelé le poids des services consommés par l’industrie. Dans ces conditions, la baisse des coûts des services est aussi importante pour la compétitivité de l’industrie que celle du seul coût du travail. À mon sens, cela justifie le large ciblage qui a été arbitré du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En effet, en visant l’ensemble de la masse salariale inférieure à 2,5 fois le SMIC, soit environ quatre salariés sur cinq, il touche également les services, qui ne sont pas toujours exposés à la concurrence internationale et où les niveaux de salaire sont plus élevés que dans l’industrie. Je rappelle que 25 % des allègements iront vers l’industrie, alors que celle-ci ne pèse que pour environ 10 % de l’emploi total, et que 40 % des allègements cibleront l’industrie et l’agrégat services de l’industrie.
Enfin, s’agissant de la qualité des relations au travail, les données que vous nous avez présentées sont alarmantes. Les difficultés de dialogue entre les salariés et le patronat, qui sont perceptibles sur le terrain, illustrent l’urgence de réinstaurer un dialogue social en France. La Gouvernement a compris cette priorité, en ouvrant dès cet été une grande conférence sociale.
M. Pierre Cahuc. En tant qu’experts, nous avons les idées très claires. Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Les problèmes d’emploi sont là. Si vous voulez créer des emplois, il faut cibler les bas salaires. Si vous ciblez l’abaissement des charges autour de deux SMIC, vous ne créerez pratiquement pas d’emploi, mais vous redistribuerez du pouvoir d’achat, comme l’a fait la défiscalisation des heures supplémentaires pour les personnes gagnant autour de deux SMIC.
M. Stéphane Carcillo. Certes, pour augmenter notre productivité, il faut améliorer notre dispositif de formation et notre système éducatif, c’est-à-dire jouer sur les aspects de compétitivité hors coût. Mais cela nécessite des réformes dont les résultats ne se feront sentir qu’à long terme.
Or, dans notre pays, 1 million de jeunes sont sans emploi et ne suivent ni études ni formation. Parmi ces jeunes sans diplôme, 500 000 ne recherchent même pas un emploi. Il faudra donc leur offrir un emploi à bas salaire, essentiellement dans le secteur privé – sachant que, d’après les nombreuses évaluations sur le sujet, notamment de la Suède, les emplois aidés dans le secteur public n’aident pas les jeunes à s’en sortir par eux-mêmes. Cela implique, à court terme, de baisser le coût du travail au niveau du salaire minimum : c’est là que la dépense publique sera la plus efficace en termes de création d’emplois.
M. Michel Lefait. À mon sens, la bonne santé d’une entreprise dépend en grande partie du climat social qui y règne. Or, le dialogue social en France fonctionne mal, vous l’avez rappelé, essentiellement en raison du faible taux de syndicalisation des salariés par rapport à d’autres pays. Comment expliquez-vous cette désaffection à l’égard des syndicats, qui est plutôt spécifique à la France ?
Que préconisez-vous en matière de paritarisme, en particulier pour faire en sorte que les syndicats soient plus puissants, fonctionnent différemment, et soient moins dépendants des aides publiques ?
M. Pierre Cahuc. Les difficultés à réformer le marché du travail sont liées à la mauvaise qualité du dialogue social. Notre taux de syndicalisation est le plus faible de tous les pays de l’OCDE, de l’ordre de 7%. En la matière, les recommandations très précises du rapport Perruchot me semblent faire sens, notamment sur la limitation de la durée des mandats des représentants syndicaux, la transparence financière – en la matière la loi du 20 août 2008 constitue une première avancée –, l’incitation des salariés à participer à l’action syndicale. Sur ce dernier point, un levier consisterait à instaurer un crédit d’impôt, car si certaines personnes peuvent déduire deux tiers de leur cotisation syndicale de leur impôt sur le revenu, celles qui travaillent à temps partiel ne le peuvent pas, car elles ne sont généralement pas imposables. Il faudrait également que les syndicats développent des services spécifiques – je pense à l’accompagnement dans l’emploi développé en Belgique où le taux de syndicalisation avoisine les 30 %. Ce sujet devrait être l’une des priorités du quinquennat. Tant que les organismes syndicaux auront une culture aussi éloignée de celle de l’entreprise privée, nous n’arriverons pas à réformer notre marché du travail et à le rendre plus compétitif.
M. Michel Lefait. Dans certains pays, les cotisations chômage ne sont pas obligatoires et sont gérées par les syndicats. Dans d’autres, le bénéfice des conventions collectives est conditionné à l’adhésion à un syndicat. De telles situations augmentent le nombre des adhésions. Qu’en pensez-vous ?
M. Pierre Cahuc. Si les cotisations retraite n’étaient pas obligatoires, beaucoup de personnes ne cotiseraient pas et se retrouveraient en grande difficulté à terme. Pour l’assurance chômage, le danger est le même.
Le fait de pouvoir bénéficier de certaines caractéristiques des accords collectifs lorsqu’on est syndiqué est une piste à laquelle il faut réfléchir. Certains syndicats y sont ouverts. Les discussions sur les accords de compétitivité peuvent permettre la réflexion sur ce sujet très important. Face au délitement du syndicalisme en France, je ne pense pas que la loi de 2008, qui a réparti différemment les rôles des syndicats, va fondamentalement changer les choses.
L’aspect financier est également très important. Les syndicats devraient avoir des sources de financement directement liées à leurs actions et à la satisfaction de leurs adhérents.
M. Olivier Carré. Dans les pays du Nord, le coût des systèmes de protection est équivalent au nôtre, mais le dialogue social au sein de l’entreprise est de meilleure qualité, ce qui joue beaucoup sur l’autorégulation du marché du travail, me semble-t-il.
Vous n’avez pas parlé de l’augmentation du socle de chômage. Quels sont les dispositifs susceptibles de permettre l’accompagnement des demandeurs d’emploi ? On parle de la redistribution des 30 milliards de la formation professionnelle. Comment modifier la gestion paritaire, qui n’est pas aussi efficace qu’elle le devrait ?
Enfin, le problème du coût de l’entrée des jeunes sur le marché du travail se pose. Or il n’est pas question de remettre en cause le SMIC. Ne faudrait-il pas mieux agir par le biais du crédit d’impôt ?
M. Stéphane Carcillo. Pour aider les demandeurs d’emploi, en particulier les jeunes peu qualifiés, à sortir du chômage, il faut jouer à la fois sur la formation et sur le coût du travail.
Au niveau du SMIC, le coût du travail est allégé entre 26 et 28 points, et les charges patronales restent d’environ 14 points. On peut donc aller plus loin.
Pour la formation, les marges de manœuvre sont énormes en termes d’efficacité et d’évaluation. Il est en effet compliqué pour des demandeurs d’emploi de trouver une formation adéquate, alors que beaucoup d’argent est injecté dans le système. En outre, ce ne sont pas les personnes qui en ont le plus besoin qui sont formées. Enfin, la qualité des formations dispensées n’est pas évaluée ; c’est un vrai sujet. Une réforme profonde de la formation professionnelle est donc indispensable, sachant que celle de 2009 n’a permis que très peu d’avancées.
Mme Corinne Erhel. Que préconisez-vous pour les seniors qui ont perdu leur emploi, par exemple dans l’agroalimentaire, dans le secteur des productions légumières et fruitières, où il leur est difficile de retrouver du travail, et dans les entreprises à dominante technologique, où les mutations sont très rapides ?
M. Pierre Cahuc. Malheureusement, la situation d’un senior qui veut continuer à travailler est conditionnée par l’âge moyen ou légal de départ à la retraite. Dans un monde où l’on pense s’arrêter de travailler à soixante ans, on est presque senior à cinquante ans. Cet horizon a un impact non seulement sur l’âge auquel les salariés peuvent bénéficier d’une pension, mais aussi sur leurs capacités à s’adapter. Au final, les taux d’emploi baissent systématiquement un peu avant l’âge légal de départ à la retraite, car les entreprises veulent un retour sur investissement des formations qu’elles dispensent à leurs salariés.
Mme Corinne Erhel. Les personnes auxquelles je fais allusion ont entre quarante-cinq et cinquante ans. Ce n’est donc pas l’âge de départ à la retraite qui conditionne leur emploi par des entreprises du secteur technologique. Leur problème est plutôt dû à la rapidité des évolutions dans ce secteur.
M. Pierre Cahuc. Je ne nie pas que des problèmes puissent se poser dans votre circonscription, mais globalement, pour ces tranches d’âge, la France n’est pas dans une mauvaise situation : elle se situe même au niveau des pays les plus performants.
Néanmoins, notre système de formation professionnelle fonctionne de manière très bureaucratisée : il n’y a pas de marché. Il serait logique que les gens paient une partie de leur formation, comme dans la plupart des autres pays – c’est le cas des cadres en Allemagne.
Il faudrait aussi mutualiser le système de formation, qui passe aujourd’hui par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), d’où des transactions coûteuses.
Surtout, il faut trouver d’autres sources de financement aux organismes paritaires. Les rapports que nous avons rédigés avec André Zylberberg et Marc Ferracci sur la formation professionnelle, publiés par l’Institut Montaigne, montrent que le problème est lié au financement des organismes paritaires. C’est cette réforme qui fera bouger les lignes.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. M. Louis Gallois a remis lundi au Premier ministre son rapport sur la compétitivité. Pensez-vous que le coût du travail soit la seule raison qui empêche notre pays de sortir de la situation défavorable dans laquelle il se trouve aujourd’hui ?
Monsieur Cahuc, dans l’un de vos ouvrages, vous parlez de « l’autodestruction du modèle social français ». S’agissant des retraites, pensez-vous que la France vit au-dessus de ses moyens ?
En France, ce sont les jeunes et les seniors qui rencontrent le plus de difficultés à accéder au marché du travail, nous expliquez-vous, à la différence des principaux pays qui nous entourent. Vous préconisez des emplois à bas salaires pour les jeunes. Mais quelle qualité d’emploi offrent les autres pays ?
Le marché du travail présente-t-il des différences suivant la taille des entreprises – grands groupes, PMI, etc ?
Vous avez souligné l’impact des effets de seuil et préconisez de concentrer les aides au niveau d’une à une fois et demie le SMIC. L’existence d’un salaire minimum dans notre pays pose-t-elle problème, notamment pour les plus jeunes et les seniors ?
La solution ne consisterait-elle pas, au moins au niveau du marché intérieur européen, en une forme de dumping social ?
Enfin, le rapport Perruchot n’existe pas. La commission d’enquête parlementaire ne l’ayant pas adopté, il n’a pas été publié. Nous ne pouvons donc pas le citer.
M. Pierre Cahuc. Le débat s’est focalisé sur le thème de la compétitivité en raison du lobbying très efficace de la grande industrie qui espère récupérer une partie des baisses de charges sur les bas salaires. Je trouve étonnant qu’un gouvernement de gauche se soit laissé piéger ainsi.
Depuis des années dans ce pays, on évite d’aborder le problème des jeunes, qui ne parviennent pas à intégrer le marché du travail. Pour les jeunes non qualifiés, le problème n’est pas de savoir s’il faut développer des emplois de bonne ou de mauvaise qualité ; il est d’arriver à les insérer dans l’emploi et à les faire progresser dans des carrières, sachant que leur productivité est très faible puisqu’ils n’ont pas de diplôme. Il faut donc agir immédiatement sur le coût du travail.
Stéphane Carcillo l’a souligné : 500 000 jeunes ne cherchent plus d’emploi. Le problème de notre société est là, et la compétitivité s’améliorera si l’on arrive à le résoudre. On ne peut pas laisser autant de jeunes sur le bord de la route. Il faut donc cibler les actions du service public de l’emploi vers ces jeunes, par exemple en donnant davantage de moyens aux missions locales. Il faut également développer la formation en alternance. La priorité est là.
Je rappelle que les jeunes de moins de vingt-cinq ans, en France, n’ont pas accès au RSA, alors qu’ils touchent les minima sociaux dans tous les autres pays européens, exceptés le Luxembourg et l’Espagne. En France, un jeune de vingt ans, sans diplôme et habitant en banlieue n’a aucune perspective. S’il n’est pas pris en charge par ses parents, il se trouve dans une situation catastrophique. Le débat doit donc se concentrer sur ces jeunes – et non sur les personnes de vingt-cinq à cinquante-cinq ans dont le niveau d’emploi est équivalent à celui des autres pays.
M. Stéphane Carcillo. Selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), notre pays n’aura pas les moyens de financer les retraites à l’horizon de 2050. Si des réformes s’imposent, faut-il pour autant faire du dumping social ? Selon nous, la France ne doit ni se rapprocher des pays à très bas coûts ni lâcher les leviers sociaux de protection. Des réformes de structure de nos systèmes de recherche et d’éducation doivent nous permettre de monter en compétence. Elles sont essentielles pour notre avenir et notre capacité à maintenir un bon niveau de retraites, et de protection sociale en général. Mais, à très court terme, il faut traiter les enjeux importants pour éviter l’aggravation de déficits énormes et pour ne pas laisser des centaines de milliers de jeunes sur le bord de la route
L’objectif est double. Il faut agir à long terme pour développer notre compétitivité, notre recherche, notre capacité à être très innovants et très qualifiés. Il faut, dans le même temps et à très court terme, traiter les problèmes sociaux majeurs en ciblant les aides publiques sur les plus fragiles et les plus démunis, autrement dit sur les travailleurs à bas salaires et les demandeurs d’emploi, car c’est là qu’elles sont les plus utiles, comme le démontrent un grand nombre d’études sur le sujet.
M. Laurent Furst, président. L’évolution démographique me semble être un élément important qu’il faut prendre en compte notamment dans les comparaisons entre la France et l’Allemagne.
Lorsque vous parlez d’allégements du coût du travail est-ce sur le SMIC ou jusqu’au SMIC ?
Certes, les jeunes sont dans une situation dramatique au regard de l’emploi, mais la baisse de leur taux de chômage induite par des mesures ciblées ne risque-t-elle pas d’être compensée par une augmentation du chômage chez les personnes plus âgées ?
Enfin, l’amélioration du marché du travail passe par l’augmentation du taux de marge de nos entreprises, qui est nettement insuffisant par rapport à celui des entreprises européennes.
M. Stéphane Carcillo. Il faut évidemment alléger le coût du travail au niveau du SMIC pour les salariés rémunérés au SMIC, et surtout pas pour tous les salariés à hauteur du SMIC. Il est hors de question d’alléger le coût du travail à hauteur de 1 400 euros bruts pour un salarié qui gagne 5 000 euros par mois !
L’idée selon laquelle la hausse du taux d’emploi des jeunes grâce à des mesures ciblées risque de faire baisser celui des seniors est fausse. À court terme, les revenus génèrent de l’emploi ; les emplois en génèrent d’autres, et le stock des emplois dans l’économie n’est pas constant. À plus long terme, ces mesures permettent aux entreprises de créer durablement des emplois pour ces jeunes et d’augmenter le stock total d’emplois. Par conséquent, ce n’est pas parce qu’on donne de l’emploi à certaines catégories qu’on en retire à d’autres.
M. Pierre Cahuc. Le fonctionnement de l’économie est fondé sur des principes simples. En gros, une personne est embauchée si elle est susceptible de rapporter plus qu’elle ne coûte. Les jeunes qui seront embauchés grâce à la baisse des charges sur le coût du travail vont acquérir de l’expérience professionnelle et augmenter leur efficacité ; ils seront de plus en plus productifs et de mieux en mieux payés. Ils permettront ainsi à l’entreprise de se développer et de continuer à embaucher. Globalement, les phénomènes de substitution dont vous faites état sont très peu observés.
Par ailleurs, les marges des entreprises sont très insuffisantes en France à cause de la rigidité des salaires. Ceux-ci s’ajustent très difficilement en raison de l’existence d’un salaire minimum et de l’absence de négociation salariale au niveau de l’entreprise. Les pays qui n’ont pas de salaire minimum légal – comme la Suède et le Danemark, où les distributions de revenus sont les plus égalitaires – ne sont pas pour autant des modèles de libéralisme échevelé : il y existe des minima de branches. Une piste est donc de parvenir à avoir des salaires plus adaptés à la situation économique de chaque branche, voire de chaque entreprise.
À cet égard, l’enjeu est de développer la négociation collective. Si l’on avait un système plus adapté pour les entreprises et les salariés – dans lequel des syndicats puissants représenteraient les salariés au niveau de l’entreprise, ce qui permettrait de choisir des salaires adaptés aux conditions de l’entreprise –, on pourrait se passer de salaire minimum. Mais on en est très loin. Les pays qui s’en sortent bien aujourd’hui n’ont pas de salaire minimum, mais le dialogue social y est extrêmement bien structuré.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Y a-t-il des spécificités pour les femmes, notamment chez les 500 000 jeunes qui ne cherchent pas d’emploi ?
M. Stéphane Carcillo. Pratiquement tous nos graphiques indiquent une moyenne générale. Pour les femmes, il n’y a pas de spécificités sur les sujets du salaire minimum, de l’âge de la retraite, du dialogue social.
M. Pierre Cahuc. En revanche, le taux d’emploi des femmes est plus faible que celui des hommes – y compris malheureusement pour les jeunes femmes, même si elles sont plus diplômées.
Quelle est la proportion de femmes sur les 500 000 jeunes qui ne cherchent pas un emploi ? C’est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre précisément, même si je pense que les femmes sont un peu plus nombreuses que les hommes. Il serait intéressant de se pencher sur le sujet.
M. Frédéric Barbier. Il y a un vrai problème d’emploi des jeunes dans notre pays. Ces jeunes, nous les rencontrons dans nos circonscriptions : ils sont sans formation ; certains d’entre eux ont quitté l’école à la fin de la troisième, parfois même avant. Vous avez évoqué le rôle des missions locales. Quelle organisation territoriale préconisez-vous pour accompagner les jeunes vers l’emploi ?
La France est très mal placée s’agissant des relations sociales dans l’entreprise. Comment expliquez-vous la qualité des relations entre employeurs et salariés en Suisse ? Tient-elle au niveau des relations dans la société suisse elle-même ?
Notre pays compte de grands groupes nationaux et a perdu des PME et des PMI. Ce phénomène est-il de nature à dégrader les relations dans l’entreprise ? A-t-il une incidence sur la relance de l’emploi ?
M. Stéphane Carcillo. L’insuffisance de dispositifs en direction des jeunes s’explique par l’absence de structures au niveau local ou par leur difficulté à fonctionner.
Il existe des missions locales, mais leurs moyens sont trop limités pour leur permettre d’assurer un suivi individualisé des jeunes. Nous avons calculé qu’elles comportent en moyenne un conseiller pour cent jeunes ! Il faut donc donner des moyens humains et financiers aux missions locales. Cela est d’autant plus important que les jeunes sans diplôme et sans emploi ont de multiples problèmes – familiaux, de logement, de déplacement, etc.
Il faut également développer l’apprentissage pour les jeunes sans diplôme et les incitations pour les entreprises. Cela passe par des centres de formation coordonnés avec des structures de suivi au niveau local. Bref, il faut un réseau. Avec 20 milliards – le montant des aides qui seraient octroyées pour des salaires jusqu’à 2,5 fois le SMIC –, on pourrait faire des choses extraordinaires pour les jeunes !
M. Pierre Cahuc. Vous avez raison, monsieur Barbier, en Suisse, la qualité du dialogue social va bien au-delà du fonctionnement de l’entreprise. La fabrique de la défiance , ouvrage que j’ai écrit l’année dernière avec Yann Algan et André Zylberberg, montre, sur la base d’un très grand nombre de travaux, le manque de confiance qui prévaut en France dans les relations sociales en général, mais aussi entre salariés et employeurs, voire entre salariés eux-mêmes. Plusieurs causes, issues de choix de société, alimentent cette défiance. D’abord, le fonctionnement de notre système scolaire, qui met en avant la notation et la concurrence, et non le travail en équipe. Ensuite, le manque de transparence des institutions publiques de la France par rapport aux autres pays de l’OCDE. Enfin, la mauvaise qualité du dialogue social.
Cette défiance se traduit par des problèmes de santé publique : la consommation de médicaments traitant la dépression est très importante en France. La Suisse a choisi des voies très différentes, notamment en ce qui concerne l’enseignement. Ce pays est caractérisé par une forte hétérogénéité entre les cantons : ceux qui ont une culture plus proche de la culture française sont dans une situation intermédiaire. Les travaux de Rafael Lalive, professeur à l’université de Lausanne, sur l’assurance chômage apportent un éclairage intéressant en montrant que les comportements des demandeurs d’emploi sont très différents selon les cantons.
Le premier thème du rapport Gallois concerne le financement des entreprises, qui pose effectivement problème en France. Je ne suis d’ailleurs pas persuadé que la Banque publique d’investissement permette de progresser dans ce domaine. Les effets de seuil sont réels – beaucoup d’obligations légales jouent à partir de dix, vingt et surtout cinquante salariés –, mais je n’y vois pas un élément essentiel. Sur ce thème, des travaux récents ont été produits par l’INSEE. Pour nous, le développement des entreprises est avant tout lié à la qualité du dialogue social, à la confiance mutuelle, domaine dans lequel la situation en France est catastrophique.
M. Laurent Furst, président. Merci, messieurs, pour votre présentation passionnante et vos réponses très instructives.
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Saint-Etienne, Professeur titulaire de la Chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au CNAM
(Séance du jeudi 15 novembre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous auditionnons ce matin M. Christian Saint-Étienne, professeur titulaire de la chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). C’est aussi en sa qualité d’ancien membre du Conseil d’analyse économique (CAE) dont il a démissionné l’été dernier, que nous l’écouterons sur les coûts de production en France, un thème indissociable de la compétitivité de notre économie dans la zone euro et au-delà, et enfin sur le rapport de Louis Gallois ainsi que sur le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi récemment présenté par le Président de la République et le Gouvernement. Cette question est centrale pour l’avenir économique et social du pays, compte tenu de sa situation financière et de la succession de crises dont nous ne sommes pas encore sortis.
M. Christian Saint-Étienne, professeur titulaire de la chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Les coûts de production et la compétitivité sont intimement liés, et il est ridicule d’opposer – comme on l’a entendu lors de la dernière campagne présidentielle – la compétitivité-coût à la compétitivité-hors coût, laquelle exige des entreprises des investissements d’innovation extrêmement lourds qui ne sont possibles qu’une fois qu’elles ont réalisé des bénéfices. Ainsi notre faible compétitivité-coût entraîne-t-elle une dégradation des marges des entreprises qui les empêche d’investir pour demeurer dans la course internationale. Ce sont donc les deux faces d’une même pièce.
Nous sommes certes quelque peu aveuglés par le CAC 40. Cependant, même si les entreprises qui y sont cotées sont déterminantes pour la structuration des filières, elles ne représentent plus l’économie française : les trente-cinq entreprises industrielles figurant au CAC 40 effectuent les deux tiers de leur activité et les trois quarts de leurs profits hors de France. Certaines d’entre elles ont moins de 20 % de leur activité en France et un actionnariat étranger à plus de 50 %. Cela ne signifie pas qu’il faille en perdre le contrôle : bien au contraire, il convient de tout faire pour que ces entreprises gardent l’envie de rester sur notre territoire. À trop les stigmatiser, on risque de les faire fuir et même de déstabiliser les filières à la tête desquelles elles se trouvent.
L’économie française proprement dite compte 400 000 entreprises qui sont essentiellement de très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Et hors CAC 40, la France est aujourd’hui celui des grands pays industriels qui a le secteur productif le moins rentable : si l’on applique le taux de marge de l’Allemagne tel qu’il est mesuré par Eurostat, à la valeur ajoutée française, il manque 105 milliards d’euros d’excédent brut d’exploitation dans nos comptes, soit un tiers en moins. En conséquence, notre taux d’autofinancement n’est que de 60 %, alors qu’il est supérieur à 100 % dans tous les autres pays – une situation absolument dramatique mise en évidence par le rapport Gallois.
Entre 1999 et 2011, l’effondrement a été continu, sous la droite comme sous la gauche. Trois chiffres-clefs résument la situation. Avant de les commenter, je précise qu’étudiant ces sujets depuis une trentaine d’années, je doute même de l’utilité de cette audition et de votre rapport d’information. Notre situation est au-delà du rationnel mais tout le monde s’en moque ! Les Français sont incapables de faire le lien entre leur intérêt personnel et l’intérêt collectif. Seule une gifle colossale pourrait nous réveiller ! J’essaye donc de trouver des expressions qui frappent les esprits.
Évoquons tout d’abord la désindustrialisation massive de la France : entre 1999 et 2011, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le produit intérieur brut (PIB) a diminué de 30 %. En d’autres termes, nous avons défait en douze ans le tiers des acquis des Trente Glorieuses. Si, de nation vaincue et écrasée en 1944, la France est repassée au quatrième rang des puissances industrielles du monde, c’est que par miracle, pendant toute cette période, nous étions tous d’accord pour reconstruire nos infrastructures énergétiques et physiques, conformément à la politique définie par le Conseil national de la Résistance (CNR). Les effets en ont été d’autant plus massifs que, disposant d’excellents ingénieurs, nous avons opté pour un modèle de rattrapage par rapport aux États-Unis. L’État a joué un rôle-clef, nous nous trouvions aussi en économie fermée jusqu’aux années 1980, si bien que, jusqu’en 1974, nous bénéficiions de circuits de financement internes au Trésor : il puisait directement auprès des banques pour financer une grande partie de l’effort d’investissement. À l’époque, tout le monde comprenait la nécessité de reconstruire un système productif compétitif, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Du fait d’un triple échec du politique, des médias et de l’éducation, l’opinion ne perçoit plus le lien entre l’argent perçu et le système productif. Et l’on a beau lui expliquer que le PIB est la somme des valeurs ajoutées des entreprises, et que, sans elles, nous pouvons faire une croix sur notre protection sociale, elle continue à croire que, pour résoudre tous les problèmes, il suffit d’aller chercher quelque part des richesses extraordinaires.
Ensuite, nous perdons massivement des parts de marché au niveau mondial depuis 1998 et de façon quasi constante jusqu’en 2007. La rupture de 1998 a été masquée par la plongée de l’euro qui, étant donné l’hypersensibilité des exportations françaises au taux de change, nous a permis de maintenir à niveau notre commerce extérieur et d’afficher une balance courante et une balance commerciale excédentaires entre 1999 et 2001. Quelque peu freinée de 2007 à 2009, notamment du fait de la contraction du commerce international en 2008-2009, la tendance a repris en 2010 et s’accélère encore aujourd’hui. Nos parts de marché à l’exportation ont reculé de 42 %, soit la plus forte baisse en France depuis la Seconde Guerre mondiale et, en temps de paix, depuis la révolution industrielle. Cette crise colossale menace l’indépendance et l’existence même de notre nation, ainsi que notre capacité à mener une politique internationale : qu’il s’agisse de l’intervention de la France en Libye, qui a coûté 1,2 milliard d’euros ; des 50,3 milliards d’euros généreusement accordés par la France – sur un total européen de 503 milliards, dont 250 déjà déboursés – aux quatre pays européens en difficulté dans la zone euro ; ou encore du déplacement du Président de la République au Laos en vue d’une conférence internationale, toutes ces dépenses ont été financées par emprunt. Un ministre socialiste a d’ailleurs fait remarquer que toute la paie des fonctionnaires est empruntée !
Enfin, notre taux de marge, hors CAC 40, est inférieur d’un tiers non seulement à celui de l’Allemagne, mais aussi de l’Italie, du Royaume Uni, des États-Unis, du Canada, et bientôt de l’Espagne. Depuis dix-huit mois, des trois grands pays du Sud que sont l’Italie, l’Espagne et la France, seule cette dernière n’a pas regagné pas de parts de marché à l’exportation. En Espagne, le coût du travail a tellement diminué que les constructeurs automobiles s’y implantent, comme Ford qui y a délocalisé son usine belge, ou Renault qui y a beaucoup investi. À activité équivalente et dans le même système de production, un salarié « chargé » coûte à Renault 30 000 euros en Espagne contre 50 000 euros en France. L’écart est colossal ! Notre manque de compétitivité est devenu une question stratégique et existentielle.
Or, souvenez-vous, en 1997-1998, c’était l’Allemagne qui, en grande difficulté, s’inquiétait pour son avenir et enviait la France qui, elle, bénéficiait alors d’excédents extérieurs et d’un bilan démographique positif, et dont les entreprises gagnaient de l’argent. Mais nous avons tout démoli en une petite quinzaine d’années.
Que s’est-il passé ? Quelles décisions la France a-t-elle, ou n’a-t-elle pas, prises pour être aux abois quatorze ans plus tard ? À partir de 1993, face aux difficultés économiques de leur pays, les Allemands élaborent le Standard Deutschland, se donnent pour objectif de redevenir un site industriel compétitif et, à cette fin, mettent en oeuvre une politique coordonnée entre employeurs, employés et État. À l’époque, tout le monde chez nous explique que les Allemands n’ont rien compris, que l’on est entré dans une ère postindustrielle et post-travail, qu’ils sont par conséquent en retard d’une guerre et qu’ils se feront écraser.
Les Français, qui vont bien, se convainquent collectivement – la gauche comme la droite, et avec le soutien du monde intellectuel – que le monde est entré dans l’ère post-industrielle, post-travail. En 1996, le livre de Jeremy Rifkin intitulé La Fin du travail est traduit en français et il se vend mieux chez nous nous qu’aux États-Unis. La France est aussi le seul pays à mettre en oeuvre la mesure qu’il préconise. L’auteur est d’ailleurs revenu à la charge avec la troisième révolution industrielle et l’énergie, vendant à très haut prix des services dont je vous conseille vivement de faire l’économie ! Nous définissons donc une stratégie d’accélération de notre entrée dans cette nouvelle ère – stratégie dont les 35 heures ne sont pas la cause mais l’effet. Supérieure à 70 % dans l’économie française et d’environ 80 % dans les principaux pays développés, la part des services dans notre économie conforte encore cette vision.
Dès lors, et pendant quatorze ans, nous qui avions une grande tradition industrielle avons laissé chuter notre industrie. Nous n’avons plus traité les fermetures d’usines que sous l’angle social et non plus stratégique, d’aucuns les considérant même comme un moyen de prendre de l’avance sur les Allemands ! Cela ne signifie pas non plus qu’aucune mesure de politique industrielle n’a été prise. Les gouvernements s’inquiètent à partir de 2005 – Christian Blanc publie un rapport sur le sujet, on crée les pôles de compétitivité, on aménage le crédit d’impôt recherche, on réforme les universités – mais l’on considère qu’il ne s’agit que d’un sujet technique et annexe, intéressant les économistes, les industriels et les spécialistes de la compétitivité, mais non pas d’un problème stratégique et vital.
C’est en comprenant comment la France s’est elle-même convaincue de son entrée dans le monde post-industriel post-travail que nous pourrons nous en sortir. Nous daterons sans doute du rapport Gallois le changement de cap, mais nous n’en sommes qu’au tout début. Or il est très important que les chiffres que j’ai cités et qui figurent dans le rapport Gallois deviennent la doxa parce que c’est dans les dix-huit mois qu’il faut réagir. Nous n’en aurons plus forcément les moyens dans cinq ans.
Quatorze ans plus tard, voici les faits. Selon les statistiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 2011, les produits manufacturés représentaient plus de 80 % des exportations mondiales de produits et services des dix premières puissances commerciales de la planète, parmi lesquelles se trouvent tous nos grands concurrents. Incidemment, aucune d’entre elles n’est exportatrice de produits énergétiques ou de matières premières à titre principal. Si ce chiffre n’avait été que de 50 %, aujourd’hui l’Allemagne serait à terre tandis que la France triompherait. Ensuite, au niveau mondial, 85 % de la recherche-développement des entreprises productives, qui est la clef de l’innovation, est industrielle. Autrement dit, sans industrie, il n’y a ni exportations, ni innovation privée, la condition même de la compétitivité « hors-coût », si importante aux yeux de certains que Louis Gallois et Jean-Marc Ayrault – à qui l’on attribue des malheurs plutôt dus à François Hollande – ont eu au moins le mérite de tenter de dessiller.
De fait, le déficit extérieur est beaucoup plus grave que notre déficit interne – même si le Président de la République a raison de vouloir le réduire en priorité, mais pas par des hausses d’impôt ! – car le double déficit signifie que le déficit public est financé, non par l’épargne française, mais par la finance internationale, dont la France n’a jamais été aussi dépendante.
En résumé, il y a quatorze ou quinze ans, nous nous sommes trompés de vision du monde. Avant même les lois Aubry, la loi Robien sur la réduction du temps de travail dans l’industrie, fut un signe de ce choix, même si le dispositif était plus subtil en raison de son caractère facultatif. Dans le même temps, nous avons également expérimenté une TVA sociale, mais sans le savoir, puisqu’Alain Juppé a augmenté le taux normal de 2 points pour réduire notre déficit – une mesure que j’avais d’ailleurs critiquée, comme tout le monde à l’époque. En contrepartie, il avait diminué de nombreuses cotisations sociales. La France a de fait regagné des parts de marché à l’exportation en 1996-1997, l’impact de la mesure a donc été similaire à celui observé en l’Allemagne en 2007.
Encore une fois, la situation est extrêmement grave ! La France a toutes les capacités nécessaires pour changer de stratégie, mais encore faut-il que le pays se convainque, comme l’ont fait les Allemands et les Néerlandais, que, s’il ne reconstruit pas un système productif compétitif, doté d’un noyau industriel extrêmement puissant, il mourra. Si cette idée traverse les strates de notre système de communication jusqu’à parvenir au cerveau des électeurs, notre environnement en sera peut-être modifié. Cela requiert un énorme effort pour convaincre les journalistes de ce que je viens d’expliquer sans quoi, en l’état actuel des choses, François Hollande et les politiques ne pourront pas suivre la direction indiquée par le rapport Gallois sans chuter dans les sondages.
Mme Michèle Bonneton. Le rapport Gallois indique que le niveau de l’euro par rapport au dollar a un effet déterminant sur notre déficit extérieur. Quant à Jeremy Rifkin, il affirme que la transition énergétique peut être une planche de salut pour notre économie. Qu’en pensez-vous ? Que proposez-vous pour reconstruire le pôle industriel puissant dont nous avons absolument besoin ?
M. Michel Lefait. Nous sommes un certain nombre ici à être convaincus depuis longtemps de la nécessité de remuscler nos industries. Or certains pays émergents sont nos concurrents directs du fait du bas coût de leur main-d’œuvre et de leur spécialisation dans certains secteurs de production. Afin d’atteindre le cap que vous fixez, seule voie de salut pour la reconquête de notre industrie et de notre indépendance nationales, dans quels secteurs devons-nous intensifier nos efforts ?
M. Christian Saint-Étienne. L’euro a joué un rôle parce que, à l’exception de quelques sous-secteurs industriels, notre industrie se situe dans les gammes moyennes et que l’élasticité-prix de nos exportations est très forte, contrairement à celle de l’Allemagne. En 1999-2000, la faiblesse de l’euro a joué en notre faveur. En revanche, lorsque l’euro monte, nous nous trouvons en compétition extrêmement violente avec les pays émergents qui, de surcroît, ont énormément progressé au cours des quatorze dernières années. Pour s’accommoder d’un euro adapté à l’Allemagne, puisque c’est elle qui décide pour l’instant, la France doit massivement remonter en gamme.
Néanmoins, il ne faudrait pas exagérer l’importance du rôle de l’euro. Au cours de la période 1999-2011, nous avons perdu 42 % de nos parts de marché à l’exportation, et 25 % de nos parts de marché à l’intérieur de la zone euro – et ce n’est pas uniquement l’Allemagne qui a récupéré nos marchés, c’est aussi l’Italie et l’Espagne. Le cœur de notre problème de compétitivité réside donc dans nos échanges avec les autres pays de la zone euro. L’effondrement français est interne à la zone car le déficit de la France en dehors de la zone euro s’est plutôt amélioré depuis une dizaine d’années. Notre compétitivité s’est donc beaucoup dégradée non seulement avec l’Allemagne mais aussi avec l’Italie et l’Espagne.
La crise de la zone euro s’explique par l’existence de deux zones euro. L’une regroupe les pays ayant un excédent extérieur, l’autre les pays ayant un déficit extérieur. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée y est beaucoup plus élevée chez les premiers que chez les seconds. La France se trouve dans une situation particulière puisque tout en ayant encore le niveau de vie d’un pays du nord, elle est le pays qui s’est le plus désindustrialisé. Son déficit extérieur considérable ne se réduit pas, ce qui l’apparente à un pays du sud de la zone.
L’activité économique de la zone euro va très vraisemblablement baisser au premier semestre 2013, et la crise s’aggraver, lorsque les effets des décisions prises en Italie, en Espagne et en France se feront pleinement sentir, d’autant que l’économie allemande est en train de ralentir. En 2012, notre activité économique a diminué de 0,2 %. En rythme annuel, l’évolution de l’activité au premier semestre 2013 sera de – 0,4 % ou – 0,5 %. En l’absence de nouveau choc, l’économie redémarrera très doucement à l’été 2013.
Reste le problème de la double zone euro. L’Allemagne traverse une crise sociale significative avec une société qui se segmente entre ceux qui travaillent dans l’économie internationalisée de premier rang, bénéficiant de très bons salaires et de six semaines de congés, d’une part, et ceux dont les salaires s’élèvent de 400 à 600 euros par mois. Il n’en demeure pas moins que le modèle allemand est un succès puisque l’Allemagne a pris le leadership de l’Europe et se trouve en situation d’excédent commercial.
Je rappelle que François Mitterrand avait demandé à Helmut Kohl de partager le mark, et que ce dernier n’avait accepté qu’à la condition de limiter le cercle à la France et au Benelux. De peur de se retrouver en tête-à-tête avec une Allemagne en position de domination, le Président français avait proposé de faire adhérer d’autres pays. L’Allemagne accepta sous réserve qu’ils en soient capables. C’est l’origine des critères de convergence économique, mais les Allemands en oublièrent un, pourtant essentiel : la balance courante, si bien que l’on a admis au sein de la zone euro des pays souffrant de déficits extérieurs considérables.
Le modèle allemand étant une réussite, Mme Merkel nous exhorte de l’adopter, mais dans le cadre d’une gouvernance punitive qui est en train de se mettre en place. Le bloc France-Italie-Espagne-Portugal, dont le PIB représente plus de 50 % de celui de la zone euro, risque en effet de subir trois années de croissance nulle, pour se rapprocher le plus possible du modèle allemand. Or, quand l’Allemagne a mis en place son modèle, l’heure était à la croissance et elle était seule à suivre une telle politique. Elle ne nous fera sûrement pas le cadeau que nous lui avons fait en négligeant la compétitivité de notre propre industrie. Ce fut donc un pas de deux : le rebond allemand s’est fait en partie grâce à l’effondrement français. La stratégie allemande nous a coûté 0,4 point de croissance par an pendant dix ans car, comme l’Allemagne, qui constituait notre plus gros marché, a gelé les salaires, nous n’avons pas pu continuer à lui vendre nos produits.
La crise de l’euro est donc loin d’être terminée, elle peut même rebondir et on pourrait passer d’une double zone euro à deux euros… Je préférerais comme issue la « fédéralisation » autour d’un noyau dur, comme je l’ai préconisé dans mon ouvrage paru en mai dernier, Le Joker européen.
Paradoxalement, les Allemands paraissent plus préoccupés que nous de la situation dans laquelle nous sommes… Même s’ils ne peuvent l’admettre, ils ont commandé un rapport sur notre compétitivité. Dans leur propre intérêt, certains courants réfléchissent à l’Allemagne de 2030. Ils considèrent que l’avenir passe par un noyau fédéral avec la France et trois ou quatre autres pays, de façon à assurer un marché intérieur puissant pour les entreprises allemandes. Encore faudrait-il que la France soit suffisamment forte pour vendre l’idée à l’opinion allemande.
Quant à la transition énergétique, les entreprises allemandes spécialisées dans l’énergie éolienne ou solaire, dont nous étions extrêmement jaloux du succès il y a cinq ans, sont en train de s’effondrer. S’apercevant que la transition énergétique qu’ils envisageaient il y a deux ans est quasiment impossible à mettre en œuvre dans les délais impartis et dans les enveloppes prévues, les Allemands pourraient bien recourir au charbon importé, au gaz de schiste polonais et au gaz russe : une telle sortie du nucléaire ne sera donc pas forcément favorable à une croissance verte.
La France, qui jouit d’une grande tradition industrielle dans ce domaine, doit rester vigilante. Ainsi, les grands acteurs du gaz de schiste aux États-Unis sont français. Si nous avions traité la question du gaz de schiste il y a vingt ou trente ans, à la manière gaullienne et avec le culot qui a rendu possible la construction du Concorde alors que nous sortions écrasés de la Seconde Guerre mondiale, nous aurions cherché des technologies propres pour exploiter une énergie apparemment très abondante. Disposant des meilleurs spécialistes au monde, nous aurions investi 3 milliards d’euros dans un programme d’urgence quinquennal, quitte à abandonner les recherches en cas d’échec. Il serait dangereux de s’interdire une telle avancée.
Comment redevenir compétitifs malgré la présence des pays émergents, la crise de l’euro et le risque de perdre notre autonomie de décision ? Le rapport Gallois était déjà sorti en janvier, puisqu’il reprend mon ouvrage publié à cette date, L’Incohérence française, qui m’a valu deux prix, mais moins de retentissement médiatique... Ayant beaucoup travaillé sur le sujet, mon obsession consiste à faire comprendre la situation à l’opinion. La France a toute l’intelligence nécessaire pour rebondir, une fois qu’elle aura compris…
Combler notre écart de rentabilité suppose que nous diminuions de 50 milliards d’euros les prélèvements obligatoires grevant les entreprises et que les chefs d’entreprises aillent récupérer, à la pointe de la baïonnette, les 50 autres milliards. L’effort doit être partagé. Les prélèvements obligatoires doivent diminuer de 30 milliards d’euros immédiatement, puis de 5 milliards d’euros supplémentaires par an, car cette baisse immédiate ne se produira ses effets que dans trois ans. La situation va tellement se dégrader – les instituts de conjoncture annoncent 40 000 à 50 000 chômeurs de plus par mois – qu’il y aura d’autres « plans Hollande ». Au mois de mai prochain, on risque d’être au bord de la rupture : cela doit être anticipé dès à présent et le Président de la République devrait d’ailleurs se rapprocher de l’opposition afin d’éviter de perdre le contrôle de la situation, au détriment de tous. Le 3 janvier prochain, je publierai un ouvrage intitulé France, État d’urgence, dans lequel j’évoque un certain nombre de solutions.
Le mécanisme proposé par François Hollande, qui s’appuie sur la masse salariale en France et qui rapportera 20 milliards d’euros dans trois ans, doit être conservé car il a été bien conçu et à un bon rythme, à condition que ses contreparties ne soient pas trop nombreuses. Simplement, il est insuffisant et doit être complété par un effort supplémentaire de 20 à 30 milliards d’euros à fournir immédiatement, qui comme a bien fait de le souligner M. Arnaud Montebourg, ne doit pas non plus se faire sans contrepartie.
L’Europe n’est pas solidaire et ne le sera jamais, les Anglais ayant fait inscrire dans le traité de Maastricht le principe de concurrence fiscale et sociale, qui nous menace bien davantage que celle de la Chine ou de l’Inde. Dès lors, appliquer un taux d’imposition sur les sociétés à 20 % sur les bénéfices réinvestis tout en vérifiant, comme le préconise Arnaud Montebourg, que c’est bien en France qu’ils le sont, peut permettre la reconstitution rapide des fonds propres des entreprises et leur redonner les moyens d’investir. Cela nous coûtera 5 à 6 milliards d’euros.
On n’échappera pas non plus à une réforme du financement de la branche famille dont les entreprises supportent actuellement les charges à hauteur de 30 milliards d’euros : ce mécanisme mis en place en 1945 alors que la France était en économie fermée et qu’il n’existait alors d’autre source de financement que les salaires, n’est plus justifié aujourd’hui.
Les socialistes n’aiment pas la TVA, à tort, mais il conviendrait d’y ajouter des mesures portant sur la TVA et la CSG.
Les 30 milliards d’euros supplémentaires à dégager peuvent se décomposer en 5 à 7 milliards d’euros de baisse du taux d’imposition sur les sociétés et de 20 milliards d’euros de baisse de charges immédiate, en contrepartie d’une stratégie globale permettant de porter le nombre d’apprentis de 400 000 à 1,2 million, à un rythme de 100 000 à 150 000 apprentis supplémentaires par an. La France ne compte en effet que 400 000 apprentis ; même si elle ne peut espérer en avoir 2 millions comme en Allemagne, il n’est pas déraisonnable de vouloir tripler leur effectif chez nous.
N’oublions pas, et les travaux de l’INSEE de 2009-2010 l’ont montré, que la crise actuelle est payée par les jeunes. Jamais la dégradation de la situation économique et sociale des moins de 35 ans n’a été aussi forte en France depuis trente ou quarante ans, alors que les plus de 35 ans qui ont un emploi s’en sortent bien. Jusqu’à quand peut-on accentuer un tel divorce ? La stratégie de revitalisation industrielle est donc essentielle à notre compétitivité économique mais aussi sur le plan social, afin d’offrir des emplois aux jeunes. Sinon on risque l’explosion, la vraie : on peut très bien assister à un nouveau mai 1968, non pas gentil comme dans les films, mais extrêmement violent, à la grecque. Cet hiver va donc être tout à fait passionnant car le Gouvernement sera obligé de prendre de nouvelles mesures pour faire face à la situation.
La part de produits manufacturés dans l’industrie est tombée à 10 % de la valeur ajoutée totale en France, contre 16 % en Italie et 22,6 % en Allemagne. Si elle était de 15 %, nous n’aurions plus de déficit extérieur et donc plus de problème. Il nous suffirait de regagner 1 % par an au cours des cinq prochaines années – ce qui serait cohérent avec l’augmentation du nombre d’apprentis de 100 000 à 150 000 par an et demanderait des investissements considérables aux entreprises. Cela supposerait aussi qu’elles disposent des capitaux suffisants. Il s’agit donc d’une stratégie globale, à laquelle gauche et droite doivent se tenir pendant dix ans, comme en 1945.
L’Institut Xerfi, groupe dont je fais partie, réfléchit aux questions industrielles et à ce que sera l’industrie de demain. Si, au sens des statistiques internationales, notre industrie manufacturière représente 10 % de notre PIB, on peut aussi retenir une autre acception, qui intègre toutes les activités à base de processus normés informatisés – ce qui fait voir les choses tout à fait différemment. Selon cette définition, l’industrie représente 40 % du PIB en France et la banque, l’assurance et l’audit en font partie. À cette aune, lorsque l’Europe abandonne toute la normalisation comptable et juridique aux Américains, elle abandonne un cœur du noyau industriel. C’est dans cette perspective qu’il nous faut reconstruire une industrie. La troisième révolution industrielle est portée, non pas par les énergies alternatives, comme l’affirme Rifkin, mais par l’électronique et l’informatique, appliquées à tous les domaines. Il n’y aurait pas de séquençage du génome sans ordinateur, et c’est grâce à des capteurs électroniques que la productivité des forages de gaz de schiste est en train d’être renforcée. Or, aucun des vingt-cinq produits électroniques les plus vendus en France aujourd’hui n’y est fabriqué. Pourtant la France a des atouts, mais elle les laisse partir. Nous sommes très doués dans la production de logiciels mais le monde entier – notamment les Japonais, les Américains, et les Anglais – vient faire son marché chez nous. Il faudrait mettre 30 milliards d’euros sur la table quand la capacité réelle d’investissement de la BPI n’est que de 3 à 4 milliards d’euros par an environ, soit deux à trois fois moins que ce qui serait nécessaire pour protéger toutes nos pépites. La France a pris un retard considérable dans la robotisation bien que certains des acteurs les plus avancés dans le monde soient français, et ils sont en train de se faire racheter par les Japonais, dans l’indifférence générale.
C’est donc la reconstruction de nos capacités d’ingénierie en électronique qui sera au cœur de notre redémarrage industriel et la réponse à la crise industrielle réside dans la reconstitution d’une fonction d’État stratège. Dans les années 1950-1960, l’État dépensait très peu mais était extrêmement stratège et volontariste. J’en appelle donc à un amaigrissement massif des dépenses publiques couplé à une consolidation extrêmement forte, volontariste et stratégique de notre État devenu le plus lourd et le plus « court-termiste » d’Europe. L’objectif est non pas à cinq ou sept ans, mais à six mois. Sinon, on traversera une crise aussi grave que les Espagnols, voire pire, étant donné notre record de dépenses publiques.
Nous nous trouvons à un moment critique et je suis heureux que la gauche ait évolué. Encore faut-il que la droite fasse de même. Au cours des dix années où elle a été au pouvoir, elle a accompagné la baisse décidée avant son arrivée, sans jamais remettre en cause le modèle post-industriel et post-travail mis en place au milieu des années 1990, ni annuler les 35 heures – qu’elle n’a fait que corriger à la marge. Ce modèle était donc partagé par la gauche et la droite.
M. Laurent Furst. Je suis surpris de vous entendre dire qu’il nous faut apporter 20 à 30 milliards d’euros aux entreprises alors que tout l’argent public que nous dépensons a été prélevé sur la richesse et la valeur qu’elles ont créées. Cessons donc de les ponctionner !
M. Thierry Benoit. Monsieur le professeur, vous nous avez expliqué que nos maux sont connus. Or, nous venons de créer une mission d’information dont les conclusions seront dans la continuité des rapports Blanc, Camdessus, Attali et Gallois et... des publications de Christian Saint-Étienne !
Nous avons dilapidé l’héritage du pacte économique et social de l’après-guerre en douze à quatorze ans. Il y a eu un choc au milieu des années 1990 lorsque la France a fait le choix d’une réduction hebdomadaire du temps de travail. Elle a ainsi bouleversé la relation de la société au travail, aux entreprises et à l’industrie. Vous nous avez rappelé que le précédent Gouvernement a modernisé l’État, créé des pôles de compétitivité, élargi le crédit d’impôt recherche, et rénové nos universités, tandis que le Gouvernement qui se met en place propose un crédit d’impôt innovation et une TVA sociale. Ces mesures vont globalement dans la bonne direction s’il y a unité nationale.
Pourtant, en dépit de leur urgence, les allègements de charges de 20 à 30 milliards d’euros, qui sont nécessaires aux entreprises, n’ont toujours pas été annoncés, même à l’issue de la publication du rapport Gallois et des déclarations du Président de la République cette semaine. J’adresse donc ma question au Président de la République et au Premier ministre : quand ?
M. le président Bernard Accoyer. Tout en ayant affirmé le caractère déterminant de l’énergie en parlant des gaz de schiste, vous n’en avez pas évoqué le nucléaire. Pourquoi ?
M. Daniel Goldberg. Le modèle que vous proposez fonctionnerait-il dans l’Union européenne telle qu’elle existe aujourd’hui ? La question essentielle n’est-elle pas celle de la fédéralisation d’un noyau dur d’États, que vous appelez de vos vœux mais qui n’est pas encore, loin s’en faut, réalisée ?
M. Christian Saint-Étienne. Le redressement français est un préalable à une éventuelle fédéralisation européenne.
M. le président Bernard Accoyer. Ayant été à Berlin la semaine dernière, je confirme ce sentiment. Et je suis certain qu’au plus haut niveau, le débat est ouvert entre la Chancelière allemande et notre Président de la République sur ce sujet.
M. Christian Saint-Étienne. Si l’Allemagne se trouvait dans la situation actuelle de la France, et vice-versa, la France ne souhaiterait pas s’allier avec elle. Notre pays est en effet une source d’inquiétude pour tous. Les Allemands, qui ont déjà leurs propres problèmes, ne souhaitent pas payer pour que les Français puissent partir à la retraite à 60 ans quand eux travaillent jusqu’à 67 ans. C’est en tout cas le raisonnement que fait l’homme de la rue. Et si une fédération européenne se constitue, ce sera non au sein de l’Union européenne mais plutôt entre huit ou neuf États – à cet égard, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a ouvert la voie – car cette fédération ne fonctionnera pas si les Anglais continuent à vouloir donner leur avis. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à poser problème.
Quant à la question énergétique, même si l’énergie renouvelable, notamment éolienne et photovoltaïque, s’est effondrée provisoirement, ce secteur doit continuer à être exploré. À un moment donné, les ruptures technologiques seront telles que l’énergie solaire deviendra relativement moins coûteuse. On a pensé à tort pouvoir substituer l’énergie solaire à l’énergie nucléaire en cinq ou dix ans, il faudra plutôt une cinquantaine d’années. Étant moi aussi favorable au développement durable, j’estime qu’on ne pourra exploiter les gaz de schiste que si l’on est capable de le faire proprement. Quant au nucléaire, je suis pour aussi longtemps que sa sûreté progressera car il s’agit d’un secteur dans lequel on est performant. Le rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire a préconisé un effort d’investissement de 10 milliards d’euros à réaliser impérativement. Il ne serait pas gênant de compléter massivement le nucléaire par de l’électricité produite à base de gaz importé des États-Unis.
En tout état de cause, nous avons laissé chuter trop bas le taux de recouvrement de la consommation par la production et il faudrait le relever à 110 à 115 % et conserver une base nucléaire qui assurerait à terme 50 % de notre production électrique. On pourrait produire ou importer du gaz de schiste, à hauteur de 20 % tout en continuant à développer les énergies renouvelables, mais avec une vision de long terme à l’horizon de 2050. Si, aujourd’hui, la fédération se faisait et si un accord européen obligeait les Allemands à ne réaliser leur transition énergétique que d’ici à 2050, ils nous remercieraient car ils sont en train de s’apercevoir que leurs objectifs sont irréalistes.
Pour conclure sur une note optimiste, notre pays est extraordinaire mais il n’a pas compris le problème et ne le comprendra que lorsqu’un million de gens descendront dans la rue pour réclamer une politique industrielle. Si l’on fédéralise un noyau dur autour du Benelux, de l’Allemagne et de l’Autriche, et du bloc constitué de la France, de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal – soit 300 millions d’habitants –, nous serons le seul grand pays libre à disposer d’une balance courante fortement excédentaire par rapport aux États-Unis. Nous deviendrons instantanément la deuxième puissance économique mondiale, la première puissance industrielle et la première puissance commerciale, ce qui changera non seulement la situation économique de l’Europe mais également la géostratégie mondiale et l’avenir de nos enfants. Avec l’apparition d’un véritable acteur européen, il n’y aura plus seulement deux acteurs, les États-Unis et la Chine, mais trois. La fédéralisation d’un noyau dur est donc un point-clef et le travail que vous abordez dans le cadre de votre mission est fondamental puisque c’est du redressement français – qui passe par une reconstruction industrielle au sens moderne – que dépend une éventuelle fédération franco-allemande dans laquelle doivent impérativement être présents les Italiens et les Espagnols, qui sont pour nous de gros concurrents.
Il nous faut agir vite, ensemble et avec une extrême lucidité !
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le professeur, nous vous remercions pour cet exposé particulièrement dense et intéressant qui constitue une contribution décisive à nos travaux.
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Askenazy, Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris
(Séance du jeudi 15 novembre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous accueillons M. Philippe Askenazy, économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur associé à l’École d’économie de Paris, qui a enseigné à l’École normale supérieure et à l’École nationale d’administration.
Monsieur le professeur, on sait que vous vous passionnez pour le partage de la valeur ajoutée et que vous vous montrez critique à l’égard du mécanisme de crédit d’impôt recherche et du mécanisme de crédit d’impôt proposé par le Président de la République à la suite du rapport de M. Louis Gallois. Dans une tribune récemment publiée, vous dénonciez l’« arrosage fiscal aveugle ».
Au terme de votre exposé liminaire, les parlementaires membres de cette mission d’information auront certainement des questions à vous poser.
M. Philippe Askenazy. Merci, monsieur le président, de votre invitation.
Je précise que, si j’ai critiqué le rapport Gallois, je ne me suis pas encore exprimé sur les propositions du Président de la République.
Mes recherches portent plus sur le travail que sur l’emploi : je m’intéresse au changement technologique et organisationnel au sein des entreprises et à l’impact des politiques publiques sur l’emploi puis, en retour, aux effets que ces transformations peuvent avoir sur la décision publique.
Le rapport Gallois replace au centre des débats la question du coût du travail. Malgré les analyses de certains de mes prédécesseurs, il me semble utile et pertinent de comparer la France avec l’Allemagne – ce sont deux grandes économies européennes très diversifiées et interconnectées –, plutôt qu’avec des pays de plus petite taille comme ceux de l’Europe du Nord.
Il faut avant tout avoir présent à l’esprit que les coûts sont fondamentalement relatifs aux types de produits et de services que peut offrir une économie, qui dépendent eux-mêmes des dynamiques d’innovation et des choix stratégiques des entreprises, quelle que soit leur taille.
Pour analyser les succès de l’économie allemande, tournée vers l’exportation, il faut revenir sur une quinzaine d’années d’enchaînement de décisions dynamiques. Une telle analyse peut fournir des leçons susceptibles de nous éviter aujourd’hui des erreurs. Au milieu des années 1990, la France et l’Allemagne affichaient des performances à peu près équivalentes en termes d’exportation et de coûts globaux pour les entreprises. L’Allemagne connaissait une nette inflation salariale, tandis que cette inflation se maintenait en France au niveau où elle se situait depuis le premier choc pétrolier. Dans cette période d’équilibre de la balance commerciale, les entreprises allemandes avaient le sentiment d’une moindre compétitivité par rapport à la France et ont alors décidé de jouer sur deux leviers.
Le premier est celui de l’innovation : les courbes de l’effort de recherche et développement dans les deux pays se coupent en 1995 et la part de la richesse nationale consacrée à cet effort, jusque-là supérieure en France, baisse dans notre pays et augmente à vitesse accélérée en Allemagne, comme dans la plupart des pays européens. Nous n’avons jamais rattrapé ce retard ; le gouffre n’a même jamais cessé de se creuser.
Le deuxième levier a consisté à utiliser pleinement l’avantage géographique que donnait à l’Allemagne la proximité de la nouvelle Europe. Le mode d’organisation des entreprises réclame en effet souvent que les sous-traitants soient situés à proximité de l’établissement où est réalisé l’assemblage – souvent à moins de 24 heures de délai de livraison. Les entreprises allemandes ont donc immédiatement adopté une stratégie consistant à délocaliser vers l’Europe de l’Est les opérations à faible valeur ajoutée pour maintenir en Allemagne les segments à forte valeur ajoutée. Ainsi, bon nombre des coûts intermédiaires sont plus bas pour les entreprises allemandes que pour les entreprises françaises ou espagnoles, et les pays européens qui présentent les plus grands succès à l’exportation dans les deux dernières décennies sont précisément ceux qui sont géographiquement proches des pays de l’Est, qu’il s’agisse de la Finlande, de l’Allemagne, de l’Autriche ou de l’Italie.
Les entreprises françaises, qui ne bénéficiaient pas de ce facteur géographique, ont choisi de baisser la garde dans le domaine de l’innovation. En effet, la politique de réduction du coût du travail qui s’appliquait dans la seconde moitié des années 1990 – avec notamment l’allègement des cotisations sociales mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé – permettait un gain de productivité. Le commerce extérieur français était alors florissant, ce qui laissait croire que l’innovation n’était pas nécessaire.
Dans le même temps, pour financer la réduction du coût du travail, l’État français a réduit certains segments de la dépense publique, sacrifiant notamment la recherche publique au motif que la Guerre froide était terminée. Il a également réduit la formation de nouveaux cerveaux, de telle sorte qu’au début des années 2000, lorsque le gain transitoire lié à l’abaissement du coût du travail a commencé à s’effacer, les entreprises ne disposaient plus d’assez de capital humain formé par l’État. Alors donc que les entreprises françaises se trouvaient dans l’incapacité de relancer l’innovation, l’effort public réalisé dans l’intervalle en Allemagne se traduisait par un nombre accru de docteurs et d’ingénieurs, ce qui lui a permis de mettre à la disposition des entreprises, notamment industrielles, le capital humain nécessaire.
Ce n’est que dans un second temps qu’est intervenue une politique de modération du coût du travail, pour parachever en quelque sorte la remontée de la compétitivité allemande. Les salariés allemands ont accepté une certaine modération salariale, dont il ne faut pas exagérer l’ampleur. Les réformes Schröder ont instauré une flexibilisation du marché du travail surtout dans le secteur des services, avec la création des « minijobs », mais elles n’ont pas touché directement à la rémunération des ouvriers. Les syndicats ont accepté cette politique car elle s’est accompagnée d’une modération de la hausse du coût de la vie. Ainsi, le coût du logement, qui absorbe en France une part très importante du budget des ménages et a connu des augmentations spectaculaires, présente en Allemagne une courbe plate depuis 2000. Et, durant les années Schröder, les prix des produits et services ont augmenté en moyenne annuelle de 0,5 point de moins en Allemagne qu’en France, du fait de la déflation salariale, observable dans la grande distribution comme chez les coiffeurs. Le coût social de ces mesures – un doublement de la part des emplois à bas salaires et des travailleurs pauvres – a été principalement supporté par les femmes, tandis que l’ouvrier allemand de sexe masculin a gagné en pouvoir d’achat.
Une telle évolution a été rendue possible parce que l’organisation de l’économie allemande dans le secteur des services est plus concurrentielle qu’en France : la baisse du coût du travail dans la grande distribution se traduit en Allemagne par une baisse des prix, ce n’est pas le cas en France, du fait des choix politiques opérés dans les années 1990 pour préserver les intérêts de certains grands groupes ou de certaines professions.
La réussite allemande fait ainsi intervenir une dynamique et une multitude de paramètres. Si donc l’État peut jouer aujourd’hui sur certains des éléments de coûts que subissent les entreprises françaises, il doit se garder de jouer à l’apprenti sorcier. Il ne faudrait pas que les décisions qui seront prises impliquent des choix structurants qui, pour un bien à court terme, plomberaient l’économie française pour la décennie suivante. Nous devons disposer d’outils de diagnostic aussi complets que possible et exempts des pressions des lobbies qui prétendent que ce qui est bon pour eux est bon pour la France.
M. Thierry Benoit. Avez-vous des préconisations pour la durée hebdomadaire du temps de travail, qui concerne particulièrement l’industrie ?
M. Philippe Askenazy. Si l’on considère l’évolution sur les vingt dernières années, le temps de travail en France est strictement et banalement dans la moyenne des autres pays européens. Notre pays avait pris en la matière un certain retard, par rapport aux Pays-Bas ou à l’Allemagne où avaient été conclus dans les années 1980 des accords, comme celui de Wassenaar. La France se distingue par le fait que les négociations ont été portées davantage par l’État que par les partenaires sociaux, et la politique française a été mise en œuvre principalement dans les entreprises de grande taille, où nombre de salariés dans des emplois de cadres échappaient à une réduction annuelle de leur temps de travail et où des redéfinitions de la durée du travail (exclusion de pauses) ont été réalisées, de sorte que la réduction réelle du temps de travail a été bien moindre que celle qui a été affichée. La baisse historique de la durée du temps de travail s’est poursuivie dans les années 2000 en Europe, à l’exception de la Suède et de la France à partir de 2003. Au terme du mouvement de balancier intervenu entre les lois Aubry et les mesures prises par les gouvernements Raffarin, la situation française est donc parvenue, je le répète, à la moyenne. L’événement des 35 heures est plutôt la généralisation des baisses de cotisations sociales employeurs « Aubry » par François Fillon, qui est entrée en vigueur en 2005.
Globalement, la politique française s’est donc plutôt caractérisée par une baisse modérée du temps de travail et par une deuxième tranche, massive, d’allègements des cotisations sociales employeur – les réductions « Aubry » et « Fillon » représentant le double de celles auxquelles avait procédé le gouvernement Juppé. On observe donc, quelle que soit la couleur politique des gouvernements successifs, une grande continuité des choix politiques français en la matière et leur approfondissement par les gouvernements Jospin et Raffarin. Les décisions prises aujourd’hui par le gouvernement Ayrault et par le Président de la République s’inscrivent dans cette continuité issue du consensus qui s’est dégagé au début des années 1990, sous l’égide de l’ancien Commissariat au Plan.
M. Michel Destot. Ma question est quelque peu iconoclaste : faut-il, pour aider les entreprises, appliquer des critères universels à l’ensemble du monde économique ? Bien que la culture de notre pays centralisé nous pousse à assimiler la justice à l’égalité de traitement, un plus grand esprit de discernement ne serait-il pas souhaitable ?
M. Philippe Askenazy. La question est complexe. Aujourd’hui, toutes les entreprises, quels que soient leur type ou leur format, subissent le même choc macroéconomique et tendent à être submergées par la stratégie d’austérité qui prévaut globalement en Europe et est aujourd’hui, bien plus que le prix du foncier ou le coût du travail, le principal frein économique. Les chocs globaux appellent des réponses globales.
Une réflexion s’impose sur les secteurs et sur les territoires. De fait, la politique de l’emploi reste très nationale – la formation professionnelle, par exemple, n’est que partiellement déléguée aux régions – et manque de flexibilité, comme le montre notamment le dispositif des emplois aidés, mis en œuvre de Paris, qui applique les mêmes critères à tous les départements. La France, qui est plutôt un grand pays, présente des différences territoriales majeures et l’on ne saurait comparer, par exemple la région Rhône-Alpes – comparable à la Finlande pour la population, le PIB par habitant et le niveau d’innovation et de développement industriel, et voisine de la Suisse et de l’Allemagne – avec la Bretagne. Les politiques françaises de l’emploi et de l’innovation doivent donc donner plus de place aux territoires. Cette approche, qui sera du reste celle de la Banque publique d’investissement (BPI), devrait prévaloir pour toutes les interventions de l’État. Les succès de certaines régions italiennes et de certains Länder allemands tiennent sans doute à l’autonomie dont ils disposent.
M. Laurent Furst. Le temps de travail en France pose question : les Français sont les derniers à entrer sur le marché du travail, travaillent peu quand ils y sont et en sortent les plus jeunes. Le groupe Volkswagen, qui se porte très bien, applique cependant une politique de temps de travail court, tandis qu’Osram ou Siemens ont relevé à 40 heures la durée hebdomadaire du travail pour retrouver de la compétitivité. La vraie question est celle du taux de marge dont disposent les entreprises pour construire l’avenir et du taux d’impôt sur les sociétés (IS) qui leur permet d’être compétitives sur le plan européen.
M. Laurent Grandguillaume. La France est en retard sur d’autres pays en matière de dialogue social. Sans doute faut-il nous doter de plus de flexibilité tout en sécurisant les parcours professionnel. Il faut aussi revivifier la démocratie sociale, notamment territoriale.
Quel est par ailleurs votre sentiment sur la demande exprimée par les entreprises de voir figurer les crédits d’impôt dans les subventions d’exploitation, afin de faciliter leurs négociations avec les banques et d’être plus concurrentielles à l’échelle internationale ?
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le professeur, vous avez présenté les 35 heures comme une mesure aux conséquences plutôt positives et vivement critiqué les exonérations de cotisations sociales patronales Aubry, Juppé et Fillon, ainsi que le crédit d’impôt recherche, que vous avez qualifié dans un article récent d’« arrosage irresponsable ». Que pensez-vous du crédit d’impôt annoncé par le Président de la République dans le cadre de la « trajectoire de compétitivité » ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. L’extension du crédit d’impôt recherche à l’innovation, qui faisait hier l’objet d’un débat dans l’Hémicycle, invite à se demander ce qu’est l’innovation dans l’entreprise. Le rapport consacré par Christian Eckert à ce sujet permet de réfléchir à ce qui relève de l’innovation ou du marketing et aux critères d’une bonne dépense fiscale dans ce domaine. Il conviendra ainsi de s’interroger sur le fléchage le plus approprié pour le crédit d’impôt annoncé par le Gouvernement en matière de taille des entreprises, d’utilité et de contreparties, ainsi que sur les contrôles à mettre en place.
Quant aux baisses du coût du travail, pour lesquelles le rapport Gallois propose de fixer un seuil à 3,5 SMIC, je rappelle que M. Pierre Cahuc nous a indiqué que, si elle s’appliquait au-dessus de 1,6 SMIC, la baisse du coût du travail ne se traduirait pas par des créations d’emplois. Or, le Gouvernement cible un seuil de 2,5 SMIC. Qu’en pensez-vous ?
Comment concevez-vous la BPI, son format, son adaptation au terrain et ses priorités d’action ?
Comment envisagez-vous enfin, en votre qualité de membre du Conseil d’analyse économique, l’adaptation de notre modèle de protection sociale, en particulier pour de la branche famille ?
M. Philippe Askenazy. Je précise tout d’abord que je ne parle pas au nom du Conseil d’analyse économique, qui ne s’est du reste pas encore réuni.
Les allègements de cotisations sociales patronales Juppé ou Aubry ne sont pas une mauvaise chose, mais c’est un choix politique : alors que l’Allemagne a opté pour une déflation salariale qui a créé de la pauvreté laborieuse, la France a choisi de maintenir le salaire minimum et d’opérer des allègements de « charges ». Les allègements Juppé posent problème parce que, dans le même temps, la France a baissé la garde en matière d’innovation. C’est l’articulation entre plusieurs éléments qui peut engendrer des obstacles insurmontables à plus ou moins long terme : il faut donc veiller à adopter aujourd’hui de bonnes politiques.
L’effondrement du taux d’IS, qui a baissé de 20 points au cours de la décennie 2000, est l’une des grandes politiques mises en œuvre en Allemagne. Avec initialement un taux dans la moyenne, la France se trouve désormais dans une fourchette haute, compte tenu à la tendance à la baisse chez nos voisins. Toutefois, l’instauration de crédits d’impôt atténue la hausse du taux apparent et nuit à la lisibilité de la situation, notamment pour ce qui concerne l’évolution des taux de marge.
Gilbert Cette, que vous auditionnerez bientôt et avec qui je suis co-auteur d’un ouvrage consacré au partage de la valeur ajoutée, tiendra potentiellement, à partir des mêmes chiffres, un langage différent du mien. Le constat sur lequel nous sommes d’accord est que la part de la valeur ajoutée des sociétés non financières qui revient au capital se situe actuellement en France dans le bas de sa fourchette historique, soit 1 à 3 points au-dessous de sa moyenne des vingt dernières années. Pour l’industrie, le niveau est inférieur de l’ordre de 10 points à sa tendance historique – il se situe à son niveau habituel pour certains secteurs industriels comme la pharmacie ou la chimie et, pour d’autres comme l’automobile, à des niveaux très bas, comparables à ceux des années 1980, avant la restructuration.
Sans doute les marges sont-elles insuffisantes en France, mais j’observe surtout que le taux de redistribution des dividendes nets des entreprises non financières a atteint en 2011 le chiffre record de 9 %, alors que ce chiffre était historiquement de l’ordre de 4 % et atteignait à peine 5 % voilà dix ans. On retrouve ici un débat vieux comme l’économie, qui évoque celui opposant en 1925 Keynes, alors partisan de la dévaluation de la Livre, et Churchill, pour qui il fallait plutôt s’occuper des secteurs de l’industrie qui connaissaient des difficultés structurelles. La baisse du coût du travail proposée aujourd’hui est une forme de dévaluation interne. Coexistent aujourd’hui le versement de dividendes record et la difficulté structurelle que rencontrent certains secteurs à dégager des marges suffisantes, à laquelle s’ajoute un choc macroéconomique global. Toute mesure qui viserait à améliorer, par des crédits d’impôt ou des réductions de cotisations, les marges des entreprises risque donc de se traduire par une augmentation des dividendes sans investissements supplémentaires.
Il serait potentiellement plus intelligent de baisser le taux d’IS. En effet, on assiste au niveau européen à un dumping fiscal, car les grandes entreprises savent faire circuler les profits d’un pays à l’autre, réduisant ainsi la base fiscale. Ainsi, l’augmentation spectaculaire de 10 points des taux de marge en Allemagne tient pour une part à des multinationales dont les bénéfices ont augmenté dans ce pays alors qu’ils diminuaient ailleurs, au moment même où le taux de marge allemand chutait : les rapatriements permettent d’optimiser la fiscalité en localisant opportunément les profits.
Le deuxième élément qui rend difficile la comparaison des taux de marge est que, dans certains pays, une part du coût du travail figure dans les marges des sociétés non financières. Dans 80 % des entreprises allemandes de taille intermédiaire, la plupart des cadres dirigeants et un grand nombre des principaux ingénieurs ont un statut d’associés, touchant ainsi peu de salaires, mais des dividendes. En France, au cours des dix dernières années, l’augmentation des salaires a en grande partie été absorbée par le « top salariat ». Un travail statistique supposant que l’on dispose à la fois des données fiscales allemandes et françaises reste à mener pour aller au bout du diagnostic. Toujours est-il que si les 1 % de rémunérations les plus élevées n’avaient pas augmenté au cours des quinze dernières années, la part du travail dans les coûts serait inférieure de l’ordre de 2 points à ce qu’elle est actuellement.
Il en va de même pour le dispositif du crédit d’impôt recherche, qui comporte d’importants effets pervers. Il est étonnant que les données qui permettraient de tirer le bilan de ce dispositif dans la forme que lui avait donné la précédente majorité ne soient pas accessibles aux chercheurs, qui doivent pour cela être sous contrat avec le ministère de la recherche et s’engager à ne publier de résultats qu’avec l’aval de ce dernier. Cela peut être une mission du Conseil d’analyse économique d’accéder à ces données pour un traitement public.
Compte tenu des engagements européens pris par la France, une entreprise française peut par exemple sous-traiter des études faisant l’objet du crédit d’impôt recherche à une entreprise norvégienne : il serait intéressant de savoir quels montants le contribuable français consacre au financement de la recherche dans d’autres pays européens.
M. Olivier Carré. Ils figurent dans un rapport parlementaire.
M. Philippe Askenazy. Merci de cette indication. Je consulterai donc ces données même si de mémoire n’est évoqué qu’un chiffre global non ventilé par pays de l’ordre de 100 millions d’euros de CIR – soit tout de même proche de la subvention de l’État à l’Université d’Orléans – et encore pour 2010 alors que les déclarations 2011 ont été déposées mi avril 2012.
Il n’en demeure pas moins que nous n’avons pas accès aux données microéconomiques, qui permettraient d’observer le comportement de chaque entreprise. Au niveau macroéconomique, la recherche et le développement français n’ont pas connu le saut attendu. Un rapport de la Direction du Trésor réalisé juste avant la mise en place du crédit d’impôt recherche prévoyait que ce dispositif créerait une situation très tendue pour les métiers de la recherche et obligerait la France à « importer » des chercheurs du monde entier pour satisfaire les besoins des entreprises. Cela n’a pas été le cas et les entreprises tendent plutôt à optimiser les financements.
Une évaluation de ce dispositif est nécessaire pour en mesurer les effets pervers. En effet, certains laboratoires de recherche publics obtiennent aujourd’hui assez facilement des commandes de la part de laboratoires privés qui externalisent leur recherche pour profiter du fait que le crédit d’impôt recherche est doublé lorsque la recherche est confiée à une entité publique. Paradoxalement, cette politique peut avoir pour effet une diminution de l’effort de recherche global : des fonctionnaires, qui reçoivent moins de crédits de la part des organismes publics dont ils dépendent, effectuent des recherches sous-traitées par le secteur privé, lequel réduit son propre effort de recherche. Cette dynamique est particulièrement visible dans le secteur des sciences de la vie, où certaines grandes entreprises licencient leurs chercheurs et signent des contrats de plus en plus nombreux avec des laboratoires publics. Au total, le capital humain et la capacité de recherche diminuent. Une complémentarité entre recherche publique et recherche privée ne peut se construire par une substitution de l’une par l’autre mais par une montée simultanée des moyens notamment humains, en particulier public vers la recherche fondamentale. Dès lors, compte tenu de son coût – de l’ordre de 4 à 6 milliards d’euros par an – il faut justifier l’utilité du crédit d’impôt recherche d’autant que, à l’échelle macroéconomique, la différence avec nos voisins, et notamment avec l’Allemagne, n’a cessé de se creuser au cours des dernières années.
La question du traitement comptable du crédit d’impôt recherche pose celle de l’accès des entreprises françaises au crédit et des paramètres pris en compte en la matière par les organismes bancaires. La réflexion sur la BPI – organisme qui devra opérer la fusion difficile des deux stratégies différentes que sont les apports en fonds propres et en crédit – doit intégrer ces questions. Ce sont toutefois là des domaines dont je ne suis pas spécialiste.
La question de l’accès au crédit se pose tout particulièrement pour les entreprises exportatrices, car la politique française en la matière a toujours privilégié l’accès aux marchés plutôt que le maintien sur ces marchés. Nous disposons de nombreux outils de diagnostic permettant d’assurer le bon fonctionnement de la BPI, mais il nous faut garder à l’esprit que, si les entreprises sont nombreuses à entrer sur les marchés étrangers, elles sont également nombreuses à en ressortir car bien des opérations sont du type « one-shot ».
On ne peut qu’être favorable au dialogue social territorial, mais la question est de savoir quels outils déployer pour ce dialogue, qui part d’assez bas, avec un taux de syndicalisation très faible. Cette démarche sera longue et il n’existe pas de baguette magique pour améliorer rapidement la situation. Des efforts sont néanmoins possibles sur certains segments. Les pratiques de certains syndicats et de certains employeurs provoquent des blocages néfastes à l’établissement d’un dialogue social. Des travaux récents montrent que, dans leurs entreprises, les délégués syndicaux font souvent l’objet d’une discrimination en termes de salaire ou d’évolution de carrière. Les partenaires sociaux doivent mener une réflexion sur les moyens de renouer des relations de confiance, ainsi que sur la concurrence qu’il conviendrait de développer entre les partenaires sociaux, notamment pour ce qui concerne les organisations patronales, car cette concurrence touche déjà les organisations syndicales de salariés.
Les allègements de cotisations sociales employeur précédemment mises en place se concentraient autour du salaire minimum. De fait, lorsqu’on atteint deux à trois fois le SMIC, celui-ci cesse d’être la référence et l’employeur tient compte du coin fiscal et social, c’est-à-dire de l’ensemble des taxes sur le travail et des cotisations sociales employeur. Dans les pays où, comme en Allemagne, le financement de la branche famille est fiscalisé, l’impôt sur le revenu est plus important mais le coin socio-fiscal pour les ménages est équivalent. Il convient de ne pas trop concentrer les allègements de cotisations au niveau du SMIC, sous peine d’ouvrir une boîte de Pandore et de créer une trappe à bas salaires – les employeurs risquant d’être tentés de ne pas augmenter les salaires si une augmentation d’un euro doit se traduire par deux euros de versements supplémentaires.
Au total, il importe donc de tenir compte de l’ensemble des interactions et du schéma macroéconomique qui accompagnent les choix politiques.
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le professeur, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe Fives, Président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), Patrick Iltis, Directeur général de Staübli holding France et Vincent Schramm, Directeur général du SYMOP
(Séance du jeudi 22 novembre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous poursuivons ce matin les travaux de notre mission en accueillant M. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe Fives – une entreprise devenue, au terme d’une longue et prestigieuse histoire, un spécialiste européen en ingénierie industrielle – et président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP). Il est accompagné de M. Patrick Iltis, directeur général de la société Staübli holding France, spécialisée dans la mécatronique et la construction de robots pour l’industrie, avec lequel M. Uring collabore au sein du SYMOP et de la Fédération des industries mécaniques, et de M. Vincent Schramm, directeur général du SYMOP.
Cette audition sera largement consacrée à la question de la robotique. Comme le souligne le rapport Gallois, la France accuse en effet un retard considérable dans l’équipement de son industrie par ces technologies désormais essentielles à toute stratégie de développement.
M. Jean-Camille Uring, président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP). Notre profession réalise en France 9,7 milliards de chiffre d’affaires et emploie quelque cinquante mille salariés ; elle exporte plus de 50 % de sa production. Créé en 1907, le SYMOP compte aujourd’hui deux cent quarante adhérents, principalement des PME et des ETI, qu’il s’emploie à aider de maintes manières : je me bornerai ici à citer l’initiative « Robot Start PME » qui, si elle est définitivement validée, permettra à partir de l’année prochaine à deux cent cinquante PME d’acquérir leur premier robot, et les actions de promotion du savoir-faire français que nous menons afin de soutenir l’exportation de nos produits.
Les machines et les technologies de production incluent les machines-outils, les machines à bois, les robots, les machines d’emballage et toute une série d’équipements auxiliaires – comme les systèmes de vision ou de mesure – qui permettent d’améliorer les conditions de production. Présents au cœur de la quasi-totalité des secteurs industriels et manufacturiers – l’automobile, l’aéronautique, l’agroalimentaire, la mécanique, etc. –, ces équipements à haut contenu technologique constituent des composants essentiels pour l’efficacité des processus de production et pour la compétitivité des entreprises. D’autre part, l’offre de ces systèmes de production est aujourd’hui totalement mondialisée comme en témoigne notre taux d’exportation supérieur à 50 %.
Les notions de compétitivité coûts et de compétitivité hors coûts sont indissociables. Au regard de la première, le déficit français est aujourd’hui pleinement reconnu et d’autres intervenants ont dû vous éclairer sur cet aspect du problème. Notre intervention sera donc consacrée à la question de la compétitivité hors coûts.
Le rapport Gallois note que « l’industrie française a été conduite à préserver sa compétitivité-prix au détriment de sa compétitivité hors prix ». Une étude réalisée par le Centre d’observation économique et de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (COE-Rexecode), qui croise le « score prix » et le « score qualité » des biens d’équipement mécanique français, italiens, espagnols et allemands montre qu’entre 1995 et 2011, alors que la situation de la France n’évoluait pas, l’Allemagne a réussi à faire très fortement chuter ses prix tout en conservant sur la France un avantage en matière de qualité. Les produits allemands dépassent ainsi désormais les nôtres à la fois en qualité et en prix, ce qui nous désavantage évidemment sur les marchés.
L’amélioration de la compétitivité coûts constitue une priorité, mais elle ne pourra avoir d’effets pérennes que si elle est mise au service de la compétitivité hors coûts. Fort de l’expertise de ses adhérents, le SYMOP doit donc se faire entendre sur cette question en proposant des solutions pour moderniser notre outil industriel.
Aujourd’hui, cette modernisation ne fait l’objet en France que de 28 % des investissements productifs. Avec seulement 6,1 % du PNB consacré à l’investissement en machines, nous sommes parmi les derniers pays de l’OCDE, l’Italie ou l’Allemagne faisant bien mieux avec 9 % et 7,2 % respectivement. La baisse des investissements industriels français de 21 % en 2009 n’a en effet jamais été compensée.
En 1999, l’âge moyen du parc de machines-outils était de dix-sept ans en France, de dix ans en Italie et de neuf ans en Allemagne. Autrement dit, une part notable de nos machines a été financée par le plan Marshall ! De plus, notre taux de robotisation est très faible en comparaison de ce qu’il est chez nos voisins : il y avait l’année dernière 34 500 robots installés en France, 62 000 en Italie et 157 000 en Allemagne, soit 122 robots pour 10 000 emplois industriels en France, 159 en Italie et 261 en Allemagne.
Le niveau de l’appareil productif français laisse donc fortement à désirer, ce qui constitue un handicap lourd sur le marché. Il nous est ainsi difficile de satisfaire aux exigences de qualité et de réactivité de nos clients, mais également de nous adapter à la sophistication et à la personnalisation croissante des nouveaux produits, ainsi qu’à leur évolution incessante. Pour ne prendre qu’un exemple, la durée de vie commerciale d’un nettoyeur haute pression est aujourd’hui de trois ans seulement, contre neuf ans en 1990, ce qui implique, tous les trois ans, une révision de tous les moyens de production. Mais le retard de notre système productif a aussi un coût social, dans la mesure où il fait obstacle à l’amélioration des conditions de travail.
Partant de ce constat, le SYMOP met en avant une série de propositions. Il nous semble avant tout urgent de dresser un état des lieux de l’outil de production en France, pour déterminer dans quels secteurs, dans quelles régions et pour quelles technologies l’obsolescence est la plus manifeste. Le ministère du redressement productif doit réaliser sur ce sujet une étude impartiale pour nous permettre de mener une discussion constructive sur les mesures à prendre.
Il faut ensuite inciter les entreprises à innover. Si nous dépensons en France quelque 32 milliards d’euros en recherche et développement, dix milliards seulement vont aux dépenses d’innovation : installation de nouvelles machines ou de nouveaux logiciels ou composants. Or, dans toute entreprise, l’introduction d’une technologie nouvelle implique bien souvent une révision globale du processus de fabrication et l’acquisition de nouvelles compétences. Et même si cette technologie n’est pas nouvelle absolument, elle n’en doit pas moins être regardée comme une innovation, en particulier pour une PME, et mérite à ce titre une incitation similaire au crédit d’impôt recherche, ou une inscription dans le champ d’application du crédit d’impôt innovation. Cela permettrait de s’assurer qu’une part significative du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), actuellement en préparation, sera bien affectée à la modernisation de l’outil de production.
Une PME manque souvent de ressources et d’expertise interne pour faire évoluer son organisation industrielle, pour optimiser son processus de fabrication et pour se doter des nouvelles compétences nécessaires. Il faut donc un dispositif d’accompagnement afin d’informer chacune des nouvelles solutions disponibles, de l’aider à établir un diagnostic de son outil de production et à définir ses besoins, puis de l’assister dans la modernisation de son parc et dans l’analyse des résultats obtenus. C’est en particulier l’objectif du programme « Robot Start PME », conçu comme je l’ai dit pour accompagner deux cent cinquante PME dans l’acquisition de leur premier robot – le dispositif comporte une assistance à la mise en place de cet équipement ainsi qu’une petite aide à l’investissement.
Enfin, parce que nos technologies s’adressent à la plupart des filières industrielles, les processus de production sont abordés de façon très fragmentée. Une filière dédiée aux technologies de production permettrait de mutualiser les efforts, de faciliter l’appropriation des procédés et des technologies modernes et, enfin, de lancer ou de coordonner des programmes de recherche ambitieux pour rendre nos machines encore plus intelligentes, plus performantes et plus respectueuses de l’environnement.
M. Michel Lefait. Pour le grand public, spécialement pour les représentants des salariés, l’introduction de robots dans les entreprises industrielles est longtemps apparue synonyme d’un recul de l’emploi. Ainsi, lorsqu’il y a vingt-cinq ou trente ans, le PDG fondateur d’une très grande entreprise de ma circonscription, leader mondial dans la fabrication du verre et du cristal, y a fait installer des robots, il s’est ensuite empressé de les renvoyer, craignant de se voir contraint de réduire les effectifs. Cette croyance enracinée dans notre culture n’a été que très récemment remise en cause.
Je partage votre point de vue : la modernisation de notre outil industriel passe par l’introduction de nouvelles technologies, notamment de robots. Les pays émergents s’en sont d’ailleurs rapidement dotés, ce qui a immédiatement pénalisé nos entreprises ; celle que j’ai évoquée a ainsi perdu des parts de marché et, en dix ans, plus de 6 000 de ses 13 000 emplois.
La robotisation constitue ainsi un objectif décisif pour la reconquête de notre compétitivité industrielle. Mais pour changer les mentalités, il faut mener un travail de persuasion auprès de toutes les parties prenantes. Pensez-vous que les nouveaux commissaires au redressement productif nommés dans les régions pourraient compléter les dispositifs que vous préconisez en jouant ce rôle de relais et de pédagogues ?
M. Jean Grellier. Rapporteur pour avis du budget de l’industrie, j’ai pris l’initiative d’auditionner le bureau de la Conférence nationale de l’industrie. Le président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) m’a alors livré un constat similaire au vôtre, notamment pour ce qui est de l’absence de renouvellement de notre parc industriel. Il a même suggéré – à titre symbolique – une sorte de prime à la casse afin d’accélérer ce renouvellement.
Cette prise de conscience de la nécessité de réindustrialiser notre pays pourra-t-elle favoriser une relocalisation de la fabrication des robots et des machines-outils, très peu développée en France ? Si tel était le cas, le renouvellement de notre parc productif pourrait conduire, à moyen terme, au développement d’une nouvelle branche industrielle.
En matière d’accompagnement, les centres techniques industriels, entendus par la commission des affaires économiques, revendiquent d’avoir contribué à une amélioration de la compétitivité hors coûts. Que pensez-vous de leur action dans les territoires ? Comment les faire mieux connaître afin qu’ils jouent tout leur rôle au service de notre tissu industriel ?
M. Olivier Carré. Dès les années 1980, la lecture de La Machine et le chômage de l’économiste Alfred Sauvy m’avait persuadé que les analyses de Malthus devaient être relativisées !
S’agissant de la France, le diagnostic de COE-Rexecode est clair ; mais comment interpréter la chute vertigineuse du score prix de l’Allemagne ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Comment envisagez-vous l’évolution du modèle d’organisation des entreprises et, surtout, celle du travail des salariés confrontés à la mécanisation ? Je me demande en effet si nous avons les formations nécessaires pour remédier à ce déficit d’équipements. Les jeunes et les moins jeunes sont-ils aujourd’hui capables de produire ces machines-outils et de les faire fonctionner ?
Comment les PME pourront-elles amortir ces investissements ? Faut-il organiser des achats collectifs en constituant des groupements d’employeurs ?
Enfin, comment reconvertir un site industriel en cours de fermeture pour le rendre rapidement rentable et fortement compétitif ? Faut-il avoir recours à la robotisation si celle-ci induit une perte d’emplois ? Comment concilier tous ces impératifs ?
M. Jean-René Marsac. Lorsqu’on compare la France et l’Allemagne, on évoque souvent la différence des coûts de la main-d’œuvre et celle des efforts d’investissement, mais jamais le modèle actionnarial des entreprises. Y a-t-il un lien entre la structure du capital et les choix d’investissement ?
Dans la plaquette que vous avez distribuée, vous évoquez la nécessité d’une animation territoriale en matière industrielle. Quel travail faut-il mener au niveau régional et au niveau des bassins d’emplois ?
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur Lefait, qu’est devenue la cristallerie qui a refusé la robotisation ?
M. Michel Lefait. Son PDG, Jacques Durand, a fait après la Libération un voyage aux États-Unis dont il est revenu avec la conviction qu’il fallait mécaniser sa petite verrerie artisanale. Il l’a équipée avec des machines américaines acquises dans le cadre du plan Marshall et, en trente ans, ses effectifs sont passés de 500 à 13 000 salariés. Il a ensuite choisi de renvoyer les robots, pensant qu’ils allaient l’amener à licencier, ou à ne plus créer d’emplois. L’entreprise a depuis pris un retard considérable, perdant 6 000 emplois, alors qu’elle créait trois à quatre cents produits nouveaux chaque année, mettant par exemple au point le cristal mécanique.
M. Jean-Camille Uring. En tant que représentant du seul constructeur français de robots, M. Iltis est le mieux à même d’évoquer la relation entre robotisation et emploi. La société Staübli est un constructeur d’équipements, mais également un producteur de composants hydrauliques ; elle a ainsi une réelle activité de fabrication en France.
M. Patrick Iltis, directeur général de Staübli holding France. Staübli est en effet une entreprise de biens d’équipement – machines textiles et raccords industriels – et « le » fabricant national de robots. L’un d’entre vous a posé une question sur l’opportunité de créer une filière spécifique en France : il faudrait commencer par faire connaître les constructeurs qui existent déjà !
Staübli est un constructeur relativement modeste : nous produisons quelque 2 500 robots par an, dont 300 – soit 15 % – sont installés en France, le reste étant exporté. L’Allemagne reçoit ainsi chaque année plus de mille robots de notre fabrication et le poids de la Chine, notre quatrième marché, est très voisin de celui de la France. Il nous faut prendre conscience que tous les pays industriels ou en voie d’industrialisation robotisent à outrance, tout en créant de l’emploi par ce biais.
En France, nous devons en effet lutter contre l’idée reçue qui associe robots et destruction d’emplois. Un robot peut, certes, se substituer à un emploi très peu qualifié, dont les tâches répétitives engendrent des troubles musculo-squelettiques ; mais il génère des emplois qualifiés à haute valeur ajoutée. Pour un pays comme le nôtre, la robotisation et l’automatisation de l’outil de production constituent la seule chance de maintenir une activité industrielle.
M. Jean-Camille Uring. Pour rester compétitive, notre industrie doit offrir des produits de haute qualité, fabriqués dans des délais conformes aux attentes des clients et à des coûts de production adéquats – étant entendu que nous ne devons nous comparer à ce dernier égard qu’à nos égaux, les autres Européens, les Nord-Américains et les Japonais, car chercher à prendre là l’avantage sur les pays émergents serait s’engager dans un combat perdu d’avance. Pour atteindre ces objectifs, il nous faut automatiser et, plus largement, développer le recours aux nouvelles technologies qui ne cessent d’évoluer, de la soudure laser aux fours à cristal désormais automatisés et numérisés. L’exemple allemand prouve que la qualité de l’outil de production est essentielle pour faire évoluer l’offre.
Je le redis : un robot remplacera des emplois non qualifiés, mais permettra d’en créer d’autres, plus qualifiés, et le système de formation – initiale et continue – doit permettre aux salariés de s’adapter à cette évolution. C’est en combinant expérience et formation que nous arriverons à un compromis qui permettra de maîtriser ces nouveaux outils et de tirer profit de notre environnement actuel.
Un effort considérable de sensibilisation et d’incitation est aujourd’hui indispensable et les commissaires au redressement productif comme les centres techniques ont à cet égard un rôle très important à jouer. Toutes les actions que nous entreprenons – « Robot Start PME » ou « Productivez ! » dont nous vous avons distribué la brochure – sont réalisées en étroite collaboration avec les centres techniques qui nous sont alliés : le Centre technique des industries mécaniques (CETIM), doté d’un maillage territorial de premier plan, l’Institut de soudure, etc. Ces centres, financés par des taxes parafiscales acquittées par les employeurs, assurent la diffusion des nouvelles technologies et offrent une assistance pour l’installation et l’utilisation des nouvelles machines. L’on ne peut donc que regretter la réduction de leurs crédits, décidée avant la récente élection présidentielle. Lorsqu’une PME ou une ETI fait un investissement, il est important que celui-ci soit totalement réussi ; pour cela, la nouvelle machine doit arriver dans un environnement préparé, qu’il s’agisse du processus de fabrication ou de la formation des personnels. Il faut donc intervenir au niveau local, et les commissaires au redressement productif constituent eux aussi des relais précieux à cet égard.
S’agissant des possibilités de relocalisation de la production, il ne faut pas se tromper de débat. Les utilisateurs sont aujourd’hui attentifs aux caractéristiques techniques des produits, mais aussi à la flexibilité de la production et aux délais de livraison. Une récente étude américaine montre que la production de certains biens, même s’ils ne sont pas les plus avancés technologiquement, reste indispensable au bon fonctionnement d’une industrie nationale. Il est donc nécessaire de conserver une partie du tissu industriel correspondant en évitant la délocalisation à outrance, et cela exige de disposer d’un outil de production au meilleur état de l’art.
En tant que constructeur de machines, je souhaite que nous ayons un tissu industriel national dynamique. Pour développer la machine de demain, nous avons en effet besoin de coopérer quotidiennement avec nos utilisateurs, et ces échanges – essentiels à toutes les étapes du processus de fabrication – se feront évidemment bien plus facilement si ces clients se trouvent en France plutôt qu’en Amérique du Sud ou en Chine. L’une des grandes forces de nos confrères et concurrents allemands est précisément d’avoir maintenu l’élaboration des processus de fabrication sur le sol national, ce qui permet aux constructeurs de machines de bénéficier de ce travail en commun quotidien, pour mieux exporter ensuite.
L’étude de COE-Rexecode permet de constater qu’entre 1995 et 2011, la France a légèrement amélioré à la fois son « score prix » et son « score qualité » pour les biens d’équipement mécanique. Quant à l’Allemagne, son score prix – très élevé en 1995 – est aujourd’hui inférieur à celui de la France ; les produits allemands sont donc désormais moins chers que leurs homologues français. En même temps, l’Allemagne a maintenu son avance en termes de qualité. En somme, la France est restée immobile durant les quinze dernières années alors que l’Allemagne, tout en conservant la qualité perçue de ses produits à un niveau quasiment constant, a gagné presque quinze points de « score prix ». On constate aussi, dans la même étude, que le « score prix » de l’Italie s’est dégradé alors que son « score qualité » s’est légèrement amélioré, se rapprochant de celui de la France. L’Espagne suit la même tendance puisque son « score qualité », qui s’était d’abord dégradé, s’est ensuite fortement amélioré.
M. Olivier Carré. Le « score prix » exprime-t-il des prix en valeur absolue ? Ne s’agit-il pas d’un indicateur de prix plutôt que d’un score ?
M. Jean-Camille Uring. En quinze ans, les Allemands ont gagné dix à quinze points sur les prix, en perdant légèrement en qualité. Les données utilisées par COE-Rexecode ont trait, pour être précis, à la perception de la qualité et des prix des produits, mais il s’agit de données importantes pour la compétitivité, comme l’illustre le cas du secteur automobile. Considérez par exemple les voitures « standard », du type des Mégane, 308, Golf ou encore des Audi : à finitions équivalentes, leur coût de revient est à peu près équivalent, mais les allemandes se vendent 20 % plus cher que les autres.
Madame Chapdelaine, la question de la formation est en effet centrale. Il est impératif que le système de formation français maintienne son niveau. Or il nous semble qu’il perd de sa force. Dans le secteur de la construction de machines, qui est encore très actif grâce à la clientèle des pays émergents, l’un des principaux freins à la production est aujourd’hui la difficulté de recruter des collaborateurs qualifiés. Nous ne pouvons que regretter que les lycées professionnels ferment chaque année des sections industrielles.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. À quel niveau de qualification embauchez-vous ?
M. Patrick Iltis. Pour ce qui concerne Staübli holding France, nous embauchons les opérateurs au niveau bac professionnel. Nous recrutons cependant de plus en plus d’opérateurs de machines de niveau bac+2, pour les raisons que M. Uring vient d’évoquer.
L’un de nos principaux problèmes tient à la mauvaise réputation des filières techniques, et surtout des filières de mécanique. Ce sont souvent les élèves en quasi-échec scolaire qui s’y retrouvent alors que nous avons besoin de personnels compétents et très bien formés pour réussir.
M. Olivier Véran. De quels outils disposez-vous pour assurer la promotion de ces filières industrielles – filière mécanique, filière chimie, filières technologiques –, aujourd’hui peu attractives comme en témoigne la désertification des filières de formation et de vos stands d’information dans les forums étudiants ? Comment pourriez-vous améliorer cette promotion ? Informez-vous les filières de formation industrielle sur les besoins concrets qui sont les vôtres ?
M. le rapporteur. J’ai lu avec intérêt l’appel que vous avez publié, avec 76 industriels, dans la Tribune du 30 octobre. Vous y envisagiez en effet la question de la compétitivité sous un angle un peu différent de celui qui est à la mode aujourd’hui.
Vous le disiez tout à l’heure, un robot remplace des emplois non qualifiés, mais il offre aussi l’assurance de maintenir des emplois plus qualifiés. Cela pose la question du modèle de production que nous souhaitons. Allons-nous vers une usine sans ouvriers ? Ce n’est pas votre propos, mais cela a été un débat.
Je souhaite également vous interroger sur la définition des normes. Lors des auditions précédentes, il nous a été dit que les pertes de marchés de nos entreprises s’expliquaient notamment par l’insuffisance de la présence française dans les lieux de décision européens où s’élaborent ces normes. Leur définition serait dès lors plus favorable à d’autres pays – par exemple l’Allemagne – qu’au nôtre.
J’en viens à l’organisation des entreprises. L’organisation interne, la synergie, la mise en œuvre de processus de production « lean », ce concept qui nous vient du Japon, doivent-elles selon vous être développées dans notre pays, ou ne jouent-elles qu’un rôle marginal dans les améliorations à réaliser ?
J’ai bien entendu votre propos sur la nécessité de rattraper notre retard en matière de processus de fabrication. Quelles relations les entreprises que vous représentez entretiennent-elles avec le secteur bancaire ? Qu’attendez-vous de la future Banque publique d’investissement (BPI) ? Avez-vous des exemples de commandes qui n’ont pu aboutir faute de financement ?
Suite au rapport Gallois, le Gouvernement a présenté un Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Quelles mesures sectorielles attendez-vous dans ce cadre, en sus du nouveau crédit d’impôt qui devrait être mis en œuvre rapidement, et dans quels délais ?
Vous avez évoqué les dépenses d’innovation des entreprises. Vous savez que le projet de loi de finances en discussion étend le crédit impôt recherche (CIR) à l’innovation. Comment définiriez-vous celle-ci pour éviter toute dilapidation de l’argent public en faveur d’innovations qui n’en seraient pas ? Quels contrôles pourrions-nous exercer en ce sens ?
Je terminerai par la formation. Nous avons la chance d’avoir des écoles d’ingénieurs dans notre pays. Mais le scientifique de formation que je suis est bien placé pour savoir que les métiers scientifiques sont beaucoup moins attractifs qu’autrefois : nombre de bacheliers scientifiques ne poursuivent pas dans cette voie. Cela nous pose problème vis-à-vis de l’Allemagne, mais aussi de la Chine, où le nombre d’ingénieurs formés est sans commune mesure avec ce qu’il peut être en France.
Selon vous, le nombre de filières de formation professionnelles se réduirait dans votre secteur. Existe-t-il dans notre enseignement supérieur des dispositifs qui vous paraissent adaptés à la « production » des profils que vous recherchez ?
M. Laurent Furst. Notre débat de ce matin me rappelle ceux qui ont eu lieu il y a une vingtaine d’années au Japon sur les « usines sans ouvriers ». Les Japonais se demandaient alors s’ils devaient continuer à produire des télévisions compte tenu de la concurrence de leurs voisins chinois, et s’ils ne devaient pas créer des usines complètement automatisées, pour maîtriser les coûts de production. Cette question pose celle du modèle de production que nous voulons. Elle ne vaut d’ailleurs pas seulement pour l’industrie, mais aussi pour d’autres secteurs économiques : l’hôtellerie française est celle dont la valeur ajoutée incorpore le moins de salaires ; la distribution d’essence en France est la plus automatisée au monde et, dans la banque, beaucoup de tâches suivent la même évolution. Demain, les supermarchés automatiseront peut-être encore plus le passage en caisse, en supprimant du même coup des dizaines de milliers de postes. À court terme, l’automatisation apparaît bien comme la meilleure solution pour maintenir notre compétitivité, mais sur quel modèle de société débouche-t-elle ? La réflexion économique ne doit pas seulement être conduite à l’échelle de l’entreprise, mais aussi à celle de la société.
D’autre part, l’entreprise supporte aussi des coûts sur lesquels l’automatisation n’a pas de prise : je pense au coût salarial de la femme de ménage ou du technicien qui vient entretenir le parc de machines-outils. Or le problème de la compétitivité se pose aussi pour ces éléments du coût de production.
Vous regrettez qu’un certain nombre de secteurs d’activité peinent à recruter des professionnels correctement formés. Serait-il possible d’identifier précisément ces secteurs ? Nous entendons régulièrement ce constat mais nous disposons finalement de peu d’informations.
M. Jean-Camille Uring. Je n’ai pas répondu à la question portant sur les effets éventuels des différences de structure actionnariale entre la France et l’Allemagne. Ce qui importe en l’espèce – et le propos vient du représentant d’un groupe qui vient de fêter son deux centième anniversaire – est que cette structure permette aux industriels de travailler dans la durée, à l’instar du Mittelstand allemand, ces entreprises de taille intermédiaire qui sont le plus souvent aux mains de familles. Il faut aussi que nos entreprises puissent s’ancrer dans leur terroir. Il est en effet plus facile de se mobiliser pour défendre son entreprise lorsque celle-ci est immergée dans un territoire que lorsque les décisions se prennent à mille ou dix mille kilomètres de là. M. Iltis, qui passe comme moi beaucoup de temps dans ses usines, vous le confirmera volontiers : lorsque vous côtoyez tous les jours vos salariés, vos motivations et vos décisions sont souvent bien différentes de celles d’un état-major lointain.
Le Mittelstand est donc un bon modèle, mais il en existe d’autres. L’essentiel est que les organes de décision restent au niveau local.
Venons-en au fabless. À notre sens, une usine ne peut se concevoir sans ouvriers. Malgré les progrès de la technologie, une usine totalement automatisée n’est pas envisageable. Il est même certain, au contraire, que l’évolution de la technologie permet de remettre l’homme au centre des processus, avec ce que nous baptisons un peu pompeusement la « cobotique », ou robotique collaborative. La solution viendra probablement d’une collaboration accrue entre l’homme et la machine, que la technologie et la numérisation favoriseront de plus en plus.
M. Patrick Iltis. Que nous le voulions ou non, nous sommes en compétition avec le reste du monde. Pour maintenir une industrie nationale et des emplois, il nous faut produire dans des usines automatisées, avec des employés qualifiés. La productivité et la compétitivité sont des facteurs de croissance. Or nos entreprises doivent croître, gagner des parts de marché, bref en faire toujours plus : une entreprise qui n’a pas de croissance est une entreprise sur le point de mourir. Ne prenons pas le problème par le mauvais bout !
M. Jean-Camille Uring. Le processus de fabrication doit rester au centre de nos préoccupations. Il est évidemment facile, au vu des niveaux de salaire horaire en France et en Chine, de prendre la décision de délocaliser. Mais, ce faisant, nous perdons une partie de notre savoir-faire et de notre technologie. Aujourd’hui, pour trouver notre place dans l’économie mondiale telle qu’elle est distribuée, nous devons nous concentrer sur les « points clés ». Mais nos concurrents européens ont, je crois, compris mieux que nous que le processus de fabrication faisait partie de ceux qu’il importe de maintenir. Or ce processus ne se conçoit pas sans équipements au meilleur état de l’art. Prenons l’exemple du secteur de l’électronique grand public, qui a été entièrement délocalisé : aujourd’hui, nous n’avons même plus les compétences nécessaires pour imaginer les machines !
Il faut donc maintenir un tissu industriel en Europe, et plus particulièrement en France. C’est ce qui nous permettra de continuer à développer les processus de fabrication et les machines qu’ils exigent, à maintenir cette production sur le territoire national et à faire progresser la qualité de nos produits. Nous devons essayer de nous inscrire dans ce cercle vertueux.
Le débat sur l’usine sans ouvriers – qui a vingt ans – me semble donc clos.
Je laisserai Vincent Schramm vous répondre sur la formation et sur la promotion de nos métiers. Qu’il me soit simplement permis d’observer qu’il ne faut pas seulement agir auprès des jeunes, mais aussi auprès des familles. Je participe régulièrement à des forums pour l’emploi. Nous arrivons souvent à attirer les jeunes grâce à des animations un peu élaborées, mais leurs parents préfèrent à l’évidence les orienter vers les services…
Cela étant, nous devons aussi faire amende honorable. En tant qu’industriels, il nous faut assumer le fait que nous avons restructuré et que cela n’a pas toujours été fait au mieux.
M. Vincent Schramm, directeur général du SYMOP. Je reviens un instant sur la performance du tissu industriel allemand. Dans le cadre des États généraux de l’industrie, la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), qui dépendait alors du ministère de l’industrie, avait commandé une étude sur les raisons de l’efficacité du Mittelstand. L’une des réponses données était que les entreprises allemandes réfléchissent de manière continue à l’amélioration de leurs process de production. Cela leur assure un avantage en termes de prix, mais aussi de qualité et de compétitivité hors coûts.
Pour attirer davantage de jeunes vers nos métiers et maintenir des filières de formation efficaces, nous participons notamment au Salon européen de l’éducation, qui ouvre ses portes aujourd’hui. Nous sommes présents sur le pôle « mécanique » de « L’aventure des métiers », aux côtés d’autres organisations du secteur. Cela nous permet de faire la promotion de notre filière auprès de centaines de milliers de visiteurs.
Sachant que l’industrie souffre d’un problème d’image et d’un manque d’attractivité, cette promotion ne doit pas seulement être assurée auprès des jeunes mais aussi, en effet, auprès des familles. Nous participons donc à d’autres salons professionnels. Nous éditons également des brochures et des « fiches métiers. » Ce travail doit être conduit à notre niveau et à celui de la branche, mais aussi de manière plus globale – pourquoi pas par le ministère du redressement productif ? Il s’agit de convaincre les jeunes, leurs familles, le monde de l’enseignement et les prescripteurs – en particulier les conseillers d’orientation, qui connaissent trop peu les réalités de l’entreprise. La Fédération des industries métallurgiques (FIM), dont le SYMOP est membre, a justement signé cette année avec l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP) une convention de partenariat qui vise à améliorer l’information sur nos métiers.
La FIM a aussi procédé à une enquête pour évaluer les besoins en emplois du secteur mécanique dans les années à venir. Ils s’établiraient à 40 000 chaque année. Il s’agit plutôt d’emplois qualifiés, de niveau bac+2, voire plus. Il est important dès lors de maintenir un lien étroit avec le monde de l’enseignement pour s’assurer que les programmes restent adaptés. Nous constatons malheureusement que les établissements qui dispensent ces formations n’ont pas toujours les moyens d’acquérir les plateformes technologiques leur permettant de montrer à leurs étudiants ce qui se passe réellement en entreprise. Les machines et les logiciels sont souvent un peu dépassés, les commandes numériques ne sont plus à jour… Sachant que le prix des plateaux technologiques rend ces formations coûteuses, la tentation est forte de les fermer lorsqu’on constate que les jeunes y sont peu nombreux. Il faut rompre ce cercle vicieux et faire en sorte que les jeunes retrouvent le chemin de ces formations. Pour cela, les plateaux technologiques doivent être au niveau.
Nous constatons d’ailleurs lors des salons que la filière intéresse les jeunes. C’est bien sûr le cas lorsque nous présentons un robot sur un stand, mais pas seulement. Certes, nous peinons toujours à recruter des soudeurs, car le métier souffre encore d’une image négative, mais c’est devenu un métier « propre », qui fait de plus en plus appel à des technologies modernes, et nous installons donc dans les salons auxquels nous participons des simulateurs afin d’en faire la démonstration.
Pour gagner des parts de marché à l’export, il faut disposer de structures qui nous permettent d’être présents à l’étranger, mais aussi de techniciens itinérants. Or, et Jean-Camille Uring peut en témoigner, il est également très difficile d’en recruter, et pas seulement pour des raisons tenant au niveau de qualification : il y faut des gens disposés à travailler à l’étranger pour de longues périodes. Bref, c’est toute une culture qu’il faut promouvoir pour attirer davantage de jeunes vers nos métiers, et ce sera un travail de longue haleine.
M. Jean-Camille Uring. Nous sommes conscients du problème qui se pose à propos des normes, monsieur le rapporteur. En tant que syndicat, nous nous efforçons de participer aux instances compétentes, nationales aussi bien qu’européennes et internationales, et certains de nos adhérents sont prêts à donner à cette fin du temps de leurs techniciens, de leurs ingénieurs ou de leurs chercheurs. Nous sommes également présents dans ces instances à travers l’Union de normalisation de la mécanique (UNM) et à travers l’Association européenne de la machine-outil, au financement de laquelle nous contribuons.
La question du financement est en effet primordiale : pour améliorer leurs positions sur le marché, les entreprises doivent avoir les moyens de leurs ambitions. En tant que constructeurs de machines, nous avons tous des projets qui ne peuvent se réaliser faute de financement. Or, dans certains secteurs, nous sommes désormais confrontés à des constructeurs étrangers qui fournissent le financement avec la machine, et disposent de ce fait d’un avantage compétitif certain. Dans le secteur de la machine-outil, il existe ainsi des constructeurs japonais ou allemands qui peuvent valider et apporter le financement d’une machine en trois ou quatre jours, alors que pour leurs concurrents français, l’ensemble de ces étapes prendra six, huit, voire douze semaines.
Il est très important d’accompagner et d’encadrer les entreprises dans l’élaboration de leurs projets. L’argent étant le nerf de la guerre, un projet bien mûri est un atout pour l’obtention de financements.
Certes, la définition de l’innovation qui sera retenue pour la mise en œuvre du crédit d’impôt innovation doit être soigneusement pesée pour éviter les effets d’aubaine. Cela étant, il faut pérenniser les efforts en faveur de l’amélioration de notre compétitivité coûts. Il nous semble donc important, pour l’outil productif français, d’inclure dans la définition de l’innovation la mise en œuvre par une entreprise d’une technologie nouvelle pour elle. Celle-ci suppose en effet l’installation d’une nouvelle machine, une évolution du processus de fabrication et l’acquisition de nouvelles compétences. La relation entre les entreprises et les centres techniques est à cet égard essentielle. Ces centres disposent des compétences qui permettent d’informer l’entreprise sur les nouvelles technologies et d’étudier avec elle les conditions de leur mise en œuvre. De par sa position extérieure, le centre technique est aussi l’organisme qui permettra de dire s’il y a ou non effet d’aubaine. Un projet accompagné par un centre technique méritera donc d’être soutenu.
La mise en œuvre d’un nouveau procédé par l’entreprise est du reste assez simple à contrôler : lorsque l’entreprise achète une nouvelle machine, il est facile de vérifier si le processus existait auparavant ou non. Par notre initiative « Robot Start PME », nous aiderons à l’achat du premier robot, non du deuxième car le saut aura alors été fait. Il doit en aller de même pour l’achat de machines à commande numérique ou de procédés d’usinage, par exemple.
Il y a sans doute à travailler sur le lien entre la définition de l’innovation et le rôle des centres techniques, qui doivent permettre aux entreprises de présenter aux organismes de crédit des dossiers clairs et argumentés. La création de la BPI est à cet égard une bonne chose, car elle aidera les entreprises à obtenir la confiance des organismes de crédit.
M. Olivier Carré. À condition qu’elle soit à même de décider rapidement, qu’il s’agisse de l’octroi de la garantie ou de l’octroi du crédit lui-même.
M. Jean-Camille Uring. Bien évidemment.
M. Olivier Carré. Je me permets d’y insister, car nous avons eu un débat à ce sujet hier, en commission des finances, et c’est à cette condition que l’opposition soutient la création de la BPI.
M. Jean-Camille Uring. D’autant que nous ne parlons pas de nouvelles usines, mais de projets qui ne nécessitent que quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros, dans le délai d’un ou deux trimestres, pour un effet sur la productivité de l’entreprise qui se fera rapidement sentir.
M. Vincent Schramm. J’ajouterai un dernier point concernant la robotisation ou l’adoption de nouvelles technologies par une entreprise. L’étude effectuée préalablement au lancement du projet « Robot Start PME » a montré que le conseil aux entreprises pour l’intégration des solutions nouvelles n’était pas suffisamment développé en France. Nous manquons de sociétés ayant l’expertise nécessaire. Or promouvoir l’intégration de ces nouvelles technologies par les entreprises, c’est aussi créer un écosystème, donc de l’emploi, puisque seront développés non seulement des réseaux d’expertise qui conseilleront les entreprises et les accompagneront dans la définition de leurs besoins, mais aussi les réseaux d’intégrateurs qui leur permettront d’incorporer ces technologies dans leurs process de production. Les entreprises en ont besoin : acheter un robot ou une machine à mauvais escient peut être dramatique pour une PME.
Selon l’étude, nous disposions avant la crise de 400 intégrateurs – sans doute moins aujourd’hui. Si vous divisez ce nombre par celui des régions et par celui des applications très diverses qu’il s’agit de mettre en œuvre, vous constatez aisément que l’expertise disponible est insuffisante. Il y a là un enjeu décisif pour la redynamisation de notre tissu industriel.
M. le rapporteur. Je vous remercie tous trois de votre contribution, dont nous tirerons le plus grand bénéfice.
Audition, ouverte à la presse, de MM. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI) et Vincent Moulin Wright, Directeur général du GFI
(Séance du jeudi 22 novembre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous accueillons ce matin MM. Pierre Gattaz et Vincent Moulin Wright, respectivement président et directeur général du Groupe des fédérations industrielles (GFI). Celui-ci rassemble quinze fédérations et trois groupements, représentant 80 % de l’industrie française, à l’origine de 75 % de nos exportations et de 85 % de la recherche privée.
M. Gattaz est également membre du comité exécutif du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et il préside le directoire de Radiall, une entreprise familiale fortement exportatrice, comptant environ 2 000 salariés et faisant donc partie de ces entreprises de taille intermédiaire (ETI) trop rares en France.
Monsieur Gattaz, vous nous commenterez sans doute le rapport de M. Louis Gallois, pour l’élaboration duquel vous avez été consulté, et vous nous donnerez certainement aussi votre sentiment sur le pacte de compétitivité et sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mais nous sommes prêts à vous entendre plus généralement sur tout ce qui touche à cette question de la compétitivité, essentielle pour notre économie.
M. Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI). Je commencerai, si vous le voulez bien, par ce dernier sujet, qui est bien loin de se limiter à la compétitivité-coûts.
En effet, la compétitivité dépend à la fois de facteurs internes et de facteurs externes à l’entreprise. Les premiers, dits aussi facteurs endogènes, sont constitués par l’innovation, par la qualité des produits, en somme par tout ce que nous pouvons maîtriser. Les seconds, facteurs exogènes, renvoient à ce que nous ne maîtrisons pas, ou même subissons : le coût du travail, celui du capital, la fiscalité et les prix des matières premières, dont l’énergie.
L’industrie française a perdu 700 000 emplois au cours des dix dernières années. Elle ne contribue plus que pour 14 ou 15 % à notre produit intérieur brut (PIB), ce qui est un peu plus qu’aux États-Unis, où cette proportion s’établirait à 12 %, mais beaucoup moins qu’en Allemagne, où elle se situe entre 24 et 25 %.
Une grande partie des emplois perdus l’a été dans les services, dont l’industrie est la fois cliente et fournisseuse – c’est d’ailleurs pourquoi il ne faut pas opposer ces deux secteurs. Depuis une vingtaine d’années, nous sous-traitons en effet de nombreuses activités, comme la logistique, le recours aux personnels intérimaires, le transport, l’informatique, la restauration, la maintenance et l’entretien des locaux… Pour un emploi industriel créé, il s’en crée deux ou trois dans ces services dits associés, pour lesquels nous formons des professionnels qui y trouvent de meilleures rémunérations que dans les centres d’appels, par exemple. D’où l’importance de l’industrie en tant que noyau dur d’une économie innovante et exportatrice.
Le rapport Gallois, dont nous saluons la qualité, l’intégrité, la neutralité et le souci d’équilibre entre l’économique et l’humain, insiste à juste titre sur la question des marges qui se pose à notre économie. La marge brute des entreprises, soit le rapport entre valeur ajoutée et chiffre d’affaires, s’établit à 27 % en France, contre 37 % en Allemagne, et n’est même que de 21 % dans l’industrie. Depuis dix à quinze ans, elle n’a cessé de se réduire, ce qui entraîne une contraction de nos capacités à nous autofinancer, à investir et à innover. Dès lors, le tissu industriel ne pouvait que s’atrophier, faute d’oxygène.
Le coût actuel de la main-d’œuvre souffre d’une explosion des charges sociales, qui a conduit à un écart global de 70 milliards d’euros avec l’Allemagne. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, auquel nous sommes bien sûr favorables mais dont le montant a été fixé à 20 milliards, laisse donc un important fossé à combler. D’où une certaine déception du GFI, qui s’attendait plutôt à un allégement des charges sociales d’environ 50 milliards d’euros, au prix d’un transfert à la fois sur la CSG et sur la TVA. Le fait de jouer sur cette dernière aurait en particulier eu l’avantage de renchérir les importations, notamment en provenance des pays asiatiques, cependant que les taux intermédiaires auraient permis une modulation évitant de trop taxer les matières premières.
Ce crédit d’impôt constitue donc un premier pas dans la bonne direction, mais un pas encore insuffisant pour améliorer sensiblement la compétitivité de nos entreprises.
Nos homologues allemands ont su modérer l’évolution des rémunérations, en la contenant en général en deçà de l’inflation. Des accords sociaux en faveur de la compétitivité et de l’emploi ont été conclus en Italie et en Allemagne. Des réductions de salaires ont été pratiquées dans le secteur privé en Espagne, en Italie, au Portugal et en Grèce. Des efforts ont été consentis dans le secteur public au Royaume-Uni, en Espagne et au Portugal.
Nous avons ramené la durée légale du travail de 39 heures hebdomadaires à 35 heures, mais la durée annuelle effective du travail est également plus brève en France que dans les pays comparables. Cependant, nous avons éprouvé tant de mal à mettre en place les 35 heures en 2000 et 2001 que nous ne sommes pas favorables à leur remise en cause : le « détricotage » d’une telle mesure, avec son lot de négociations sociales, soulèverait aujourd’hui plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Mais il est certain qu’on ne travaille pas assez en France.
Se pose en particulier la question de la durée du travail sur l’ensemble d’une carrière professionnelle, avec, à la fois, des arrivées tardives des jeunes sur le marché du travail et des départs en retraite trop précoces. Je n’ai pas de solution à proposer car il s’agit d’une question sensible, mais il faudra s’y pencher un jour ou l’autre.
Pour aller au-delà du CICE, nous proposons de transférer une partie des charges sociales pesant sur les entreprises vers la CSG et la TVA. Nous sommes également favorables à une politique de modération des salaires, dans le secteur public comme dans le secteur privé, et à l’ouverture d’une réflexion sur la durée globale du travail ainsi que sur les régimes de protection sociale, dont il faut améliorer l’efficacité.
Les dépenses publiques doivent être réduites si l’on veut alléger une fiscalité qui tend à s’alourdir un peu plus chaque année. Pour cela, l’expérience des entreprises peut être mise à profit : nous nous attachons en permanence à réduire nos coûts structurels en appliquant les techniques de lean manufacturing et de recherche de la qualité totale inspirées du système de production de Toyota ; nous mobilisons également nos troupes, appelées, elles aussi, à fournir des idées d’économie et de plus grande efficacité. Il faudrait agir de même avec les fonctionnaires. Il ne s’agit nullement de contraindre : cette mobilisation est au contraire facteur de motivation en même temps qu’elle contribue à la formation.
Le coût du capital comprend celui du crédit – le « bas de bilan » – et celui des fonds propres – le « haut de bilan ». Le crédit est devenu plus rare et plus difficile à obtenir depuis la crise des subprimes. Un contrat qui, avant 2007, tenait en une dizaine de pages en comporte aujourd’hui une centaine, tellement les garanties exigées sont lourdes et complexes. Ce sont les PME industrielles qui ressentent le plus ce durcissement. Pour l’ensemble des PME, PMI et ETI, l’encours national de crédit s’est contracté de 50 milliards d’euros depuis 2008 et, entre 2000 et 2010, il est passé de 16 % de la valeur ajoutée à 12 %. L’évolution a été similaire pour les financements « export ». Il en résulte un ralentissement des investissements et de l’innovation, au détriment donc du renouvellement du parc industriel et de la montée en gamme de nos produits.
Or l’industrie française est très faiblement automatisée. Nous manquons de robots : nous n’en avons que 35 000, contre 70 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Je souligne à ce propos que ces pays n’ont pas pour autant perdu des emplois : l’automatisation, dans l’industrie, n’accroît pas le chômage mais elle améliore la fiabilité des fabrications et la qualité des produits, et donc la compétitivité hors coûts. Le fait que nos robots datent des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix ne fait qu’ajouter à nos handicaps.
Quant aux fonds propres, ils font structurellement défaut aux PMI. La collecte de capital risque a chuté de 12 milliards d’euros en 2006 à moins de 6 milliards en 2012.
Pour améliorer le financement de l’industrie, la Banque publique d’investissement (BPI) ne doit surtout pas être une structure trop complexe. Les patrons de PME, accaparés par de multiples tâches, ont besoin de systèmes simples, comme l’est Oséo. Mais beaucoup d’autres questions se posent encore à propos de cette nouvelle banque : peut-on en attendre des financements à court terme ? Quelle sera l’articulation avec Oséo et avec le Fonds stratégique d’investissement (FSI) ? Quelle gouvernance va-t-on mettre en place ? Quel sera le rôle des régions ? Il est important que les entreprises trouvent des interlocuteurs à ce niveau, mais attention aux clientélismes locaux et aux dérives politiques ! La fâcheuse expérience des sociétés de développement régional (SDR), qui s’est soldée par un gouffre financier, doit nous inciter à contrôler de près les investissements.
Il faut également agir sur les délais de paiement dans les filières : autrement dit, appliquer enfin la loi sur la modernisation de l’économie (LME), qui a fixé un délai maximal de 60 jours.
Troisième point : il faut orienter l’épargne à long terme vers l’industrie. Cela exige de ne pas commettre d’erreur, comme on l’a fait en septembre, dans la taxation des plus-values. Nous ne sommes pas contre le fait de taxer la rente et la spéculation financière, mais en envoyant de mauvais signaux aux épargnants, nous allons les détourner d’investir dans les PME.
Enfin, il faut assouplir et simplifier la réglementation bancaire en matière de prêts, car les entreprises sont aujourd’hui enclines à chercher des sources de financement alternatives, parfois à l’étranger.
(M. Laurent Furst, vice-président de la mission d’information, remplace M. Bernard Accoyer à la présidence de la séance.)
Dernier coût imposé de l’extérieur, le prix des matières premières et de l’énergie a beaucoup augmenté au cours des trois dernières années : l’indice du cours des métaux de base est passé de 100 à 250, celui du cours des matières premières agricoles de 70 à 160 cependant que le prix du baril de pétrole grimpait de 30 à 90 euros. La maîtrise du coût de l’électricité, que nous devons à des choix régaliens, nous procure aujourd’hui un avantage de compétitivité, mais la filière nucléaire va coûter de plus en plus cher, essentiellement pour des raisons de maintenance et de sécurisation des installations. Considérons donc soigneusement toutes les sources d’énergie alternatives – dont les gaz de schiste, si l’on parvient à les exploiter proprement – et réfléchissons à toutes les économies possibles afin d’améliorer l’efficacité énergétique. La transition énergétique peut être une chance pour l’industrie française, en suscitant de nouvelles filières autour de nos grandes entreprises du secteur électronique, pour les économies d’énergie dites actives, ou du secteur des matériaux, pour les économies passives. En réglant les problèmes d’environnement, on peut aussi créer des emplois !
Nous disons donc oui aux énergies renouvelables, pourvu que leur développement ne se fasse pas au détriment de l’industrie.
Nous souhaitons d’autre part que soit mobilisé le Conseil national de l’industrie (CNI), issu de la conférence nationale de l’industrie créée par le précédent gouvernement. Il y a là, en effet, un cadre où État, patronat et salariés peuvent réfléchir ensemble à l’avenir. Nous n’attendons rien d’un État colbertiste et de ses plans, mais nous attendons de la puissance publique qu’elle nous aide à définir la stratégie d’une dizaine de filières.
Attention, enfin, à la fiscalité sur les entreprises, qui serait la plus lourde d’Europe à en croire la presse. La compétitivité passe par une fiscalité incitative, et non coercitive ou punitive. Et si nous allons vers une fiscalité écologique, faisons en sorte qu’elle se rapproche du modèle du crédit d’impôt recherche ou du CICE.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Selon vous, l’écart des coûts sociaux entre la France et l’Allemagne est-il dû à la politique de modération salariale pratiquée par nos voisins, ou à ce que vous avez qualifié d’« explosion » des cotisations sociales dans notre pays ?
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, annoncé par le Gouvernement à la suite du rapport Gallois, devrait bénéficier aux différentes filières industrielles dans des proportions variables. Selon le journal Les Échos, les services aux particuliers seraient les premiers gagnants, les services aux entreprises et le secteur industriel arrivant bien loin derrière. Le Parlement devant se saisir bientôt du sujet, quels critères préconiseriez-vous de privilégier pour ce nouvel instrument ?
Selon le SYMOP, que nous avons entendu tout à l’heure, la France aurait pris beaucoup de retard dans la modernisation de son outil industriel. Pourrait-on plus facilement combler ce retard, selon vous, si le coût du travail était abaissé dans des proportions significatives ?
Pensez-vous enfin que la création d’une bourse réservée aux PME serait de nature à faciliter leur financement ?
M. Pierre Gattaz. La comparaison du coût de travail entre la France et l’Allemagne montre une dégradation depuis dix ans en notre défaveur, dans l’industrie et, plus encore, dans les services. Le niveau de nos prélèvements obligatoires est, d’autre part, parmi les plus élevés d’Europe. Pour résumer, nous sommes mauvais en termes relatifs comme en termes absolus ! C’est pourquoi nous sommes heureux de la prise de conscience suscitée par le rapport Gallois.
Nous pâtissons également d’un cours de l’euro trop élevé par rapport au dollar, ce qui n’est bon ni pour nos exportations ni pour nos emplois. Plusieurs secteurs industriels souffrent ainsi par rapport à leurs concurrents américains d’un désavantage compétitif de l’ordre de 20 %. C’est notamment le cas de l’aéronautique : les transactions sur ce marché se font en dollars…
Comme le préconisait le rapport Gallois, nous serions favorables à ce que le CICE s’applique jusqu’à trois fois et demie le SMIC car il faut faciliter l’embauche de techniciens et d’ingénieurs qui, depuis des années, ont tendance à déserter l’industrie au profit des services et du secteur financier.
Il faut enfin distinguer les emplois de services « tactiques », à la personne, qui créent des emplois mais ne suscitent ni innovations ni exportations, des emplois de services « stratégiques », comme l’informatique, qui permettent l’innovation et se traduisent par des exportations de sorte qu’un emploi créé dans ce secteur en génère plusieurs autres ailleurs. Je comprends qu’on encourage les premiers afin de réduire le chômage à court terme mais seuls les seconds le réduisent durablement.
M. Vincent Moulin Wright, directeur général du GFI. Selon les estimations que nous avons réalisées avec l’aide de COE-Rexecode, le CICE profiterait, pour quatre milliards, directement à l’industrie, pour le même montant aux services à l’industrie, auxquels nous recourons de plus en plus, et pour un à deux milliards à nos clients, dont le BTP. Ce serait donc environ la moitié de ces vingt milliards qui irait au monde de l’industrie, entendu au sens large. Ce n’est pas si mal. Cela étant, un ciblage sectoriel se heurterait probablement au droit européen et au veto de Bercy.
Le GFI et le MEDEF ont formulé trois demandes concernant le CICE : faute d’élargir sa fourchette jusqu’à trois fois et demie le SMIC, qu’au moins son assiette soit constituée des salaires bruts « chargés », pour ne pas avantager les services au détriment de l’industrie ; qu’on aménage la sortie en biseau, non comme prévu entre deux fois et deux fois et demie le SMIC, mais entre deux fois et demie et trois fois le SMIC ; enfin, que ce crédit d’impôt puisse entrer en vigueur dès 2013, comme l’ont promis le Président de la République et le Gouvernement, ce qui suppose de ne pas poser des conditions réglementaires interdisant de le porter dans les comptes en créance certaine. Dans le même souci, il faudrait d’ailleurs lever une autre incertitude : où les entreprises devront-elles s’adresser pour obtenir les avances ? La BPI ne disposant pas de guichets, sera-ce auprès des banques commerciales, par délégation, ou auprès du Trésor public ?
M. Pierre Gattaz. La modernisation de notre secteur industriel se mesurera à trois critères : l’innovation sous toutes ses formes, l’excellence opérationnelle et la qualité du service aux clients. Nous devons proposer sur le marché des produits de qualité, robustes, livrés en temps voulu et au juste prix. C’est cela qui a fait le succès des automobiles de la marque Audi, de moyenne gamme il y a trente ans et maintenant de haut de gamme, avec un prix de 15 à 20% supérieur à ceux de la concurrence. La règle se vérifie dans tous les secteurs de l’industrie et, par exemple, pour nos connecteurs : la réputation de la marque en matière de qualité et de délais de livraison, et ce sur l’ensemble de la gamme de produits, est devenue fondamentale.
L’avantage concurrentiel résulte de l’activité des bureaux d’études, mais aussi du travail effectué sur les matériaux. Ainsi, chez Radiall, nous sommes passés en trente ans du bronze à l’acier, puis à l’inox, à l’aluminium, au zamac et, aujourd’hui, au composite, et il nous faut réfléchir demain à ce qui prendra la suite. En France, nos laboratoires et nos pôles de compétitivité permettent d’atteindre l’excellence en puisant dans le vivier de l’innovation dont on ne dispose pas forcément en Chine.
Après le choix du bon matériau, vient son traitement – décolletage, traitement de surface, moulage, etc. –, qui exige des équipements adaptés et des process industriels solides. Les Allemands ne s’y sont pas trompés, et se sont montrés experts à combiner sous-traitance et process intégrés de manière à réduire coûts, délais et stocks, afin d’accroître la qualité des produits.
L’innovation ne doit pas seulement s’appliquer à la production brute, mais aussi à la gestion des ressources humaines, déterminante pour la mobilisation, la motivation et l’épanouissement de tous les salariés : c’est le lean manufacturing que je mentionnais tout à l’heure. Quand on est cher, il faut savoir se mettre en « déséquilibre avant », comme des conquérants à la proue des vaisseaux de la conquête des marchés d’aujourd’hui et de demain. Ainsi fera-t-on communier sous la même espèce l’économique et l’humain.
L’excellence opérationnelle suppose d’investir dans l’automatisation, en particulier sur tous les points où il importe de conserver ses secrets de fabrication. Une chaîne de fabrication en série coûte cher mais cette dépense en vaut la peine quand les débouchés sont assurés pour quelques années : elle garantit le respect de la qualité exigée par le client, conformément à la méthode « six sigma ».
Permettant de conserver et d’accroître des parts de marché, la robotisation ne va pas à l’encontre de l’emploi. Cependant, du fait de la variabilité des volumes de production, on ne peut pas tout automatiser. Il est, par exemple, plus facile d’automatiser la production d’automobiles que celle d’armements et d’avions. La diversité des petites séries n’exige pas les mêmes équipements que les grandes séries : aux automates de volume on préférera alors des automatisations de process hybrides ou mixtes.
La bourse n’est pas forcément une bonne affaire pour les entreprises familiales, qui ne cherchent pas une « surcroissance » de 20 ou 25 % par an mais plutôt un développement dans la durée, grâce à des taux de croissance modérés, de 3 à 10 % par an. Dans ce cas, la présence en bourse ne rapporte pas grand-chose, si ce n’est des dépenses supplémentaires, en rapports obligatoires, en honoraires d’analystes financiers, en frais de communication divers… – de 300 000 à 500 000 euros par an pour Radiall, ce qui est beaucoup rapporté à notre chiffre d’affaires de 220 millions d’euros. En outre, cela contraint à une totale transparence vis-à-vis des concurrents qui, quand il s’agit par exemple d’entreprises familiales allemandes, ne livrent rien de leurs affaires et de leur stratégie. Enfin, une fois entré en bourse, on peut difficilement s’en retirer : il suffit qu’un actionnaire « flottant » détenant plus de 5 % du capital fasse preuve de mauvaise volonté pour que vous en restiez prisonnier.
Pour toutes ces raisons, un nouvel instrument de financement à long terme adapté aux PME ne serait pas superflu, à condition qu’on puisse en sortir aussi facilement qu’on y sera entré. À tout le moins, il conviendrait de fixer, pour la proportion de capital flottant, les mêmes seuils à l’entrée et à la sortie. Pourquoi ne pas envisager aussi des introductions en bourse pour une durée limitée, par exemple de cinq ou dix ans ?
M. Vincent Moulin Wright. Si on parle maintenant de bourse pour les PME, c’est aussi parce qu’on ne veut pas parler des autres leviers de financement qui se sont resserrés. Le premier est le crédit bancaire, auquel elles n’ont pratiquement plus accès, surtout lorsqu’elles sont fragilisées. Espérons que la BPI desserrera un peu l’étau ! Les banquiers essaient de propager l’idée selon laquelle la demande serait inexistante mais, si cette demande s’est tarie, c’est que les entreprises se sont elles-mêmes limitées compte tenu des déficiences de l’offre : volumes trop chiches, taux d’intérêt élevés, durée d’amortissement trop brève, demande de garanties excessives…
À cela s’ajoutent les problèmes de financement en fonds propres : comme l’a dit le président Gattaz, le volume de capital risque a, en France, diminué de moitié.
Du coup, les entreprises s’en remettent à des formules « alternatives » de financement. Elles jouent sur le crédit interentreprises, sur les délais de paiement : les grands groupes n’hésitent pas à presser les PME car l’application de la loi LME, qui n’a jamais été satisfaisante, tend encore à se relâcher. Certaines recourent au marché obligataire, mais il est encore plus fermé aux PMI que la bourse et il faudrait donc envisager de leur en ouvrir l’accès grâce à un cadre légal plus approprié.
M. Laurent Furst, président. Quelle serait pour vous la durée du travail idéale ? Doit-elle être fixée nationalement ou par branche, voire par entreprise ? L’activité économique est cyclique : comment pourrait-on adapter cette durée lorsque le carnet de commandes de l’entreprise se réduit ?
M. Pierre Gattaz. L’entreprise d’aujourd’hui est en quelque sorte prise entre deux tapis roulants : les marchés et les clients, d’une part, et les sciences et les technologies, de l’autre, ne cessent d’évoluer. De plus, elle est confrontée à un environnement mondialisé, producteur de chocs violents : de vraies montagnes russes ! Elle doit donc continuellement s’adapter.
Comment, dans ces conditions, conserver l’emploi en France ? Ce doit être une préoccupation constante : je m’insurge en effet contre l’idée selon laquelle les entreprises auraient pour obsession unique de pouvoir licencier facilement. Former un décolleteur ou un régleur prend cinq ans et investir dans cette formation donne un atout que nous souhaitons bien évidemment conserver. Et puis il s’agit d’êtres humains, de Français… Il faut donc penser tous les matins à ce maintien de l’emploi, mais cela ne suffit pas.
Dans le cas de crises courtes, conjoncturelles, il faut réduire la voilure pour éviter de perdre trop d’argent et donc demander des efforts à tous. La réponse réside par conséquent dans plus de flexisécurité et d’adaptation, locale ou temporaire, en agissant sur trois leviers : l’emploi, la durée du travail et les salaires. Il conviendrait en particulier d’assouplir et de simplifier le recours au chômage partiel, à l’image de ce qui se fait en Allemagne. Mais chaque entreprise est un cas particulier ; c’est donc à ce niveau qu’il faut agir ou, tout au plus, à celui de la branche, en tenant un discours de vérité, en en appelant à la responsabilité collective tout en ouvrant la perspective d’un retour à meilleure fortune : « Nous allons souffrir pendant six mois, un an, mais nous nous en sortirons ! ».
Mais il y a des crises plus graves, qui peuvent entraîner la disparition de tout un marché : ainsi celle des télécommunications, qui a amputé de 40 % le chiffre d’affaires de Radiall. La mondialisation produit souvent de ces à-coups extrêmement brutaux. Licencier est alors inévitable, mais il ne faut pas le faire de façon sauvage. Il ne faut pas condamner nos ouvriers au chômage de longue durée. Cela implique qu’ils aient été formés tout au long de leur vie professionnelle, qu’ils aient amélioré leur qualification, peut-être même qu’ils aient eu l’expérience d’autres métiers : la formation continue est tout à fait cruciale pour garantir cette employabilité.
Si les salariés savent qu’ils retrouveront un emploi parce qu’ils sont formés, leur crainte – légitime – du licenciement en sera atténuée. Inversement, si le licenciement devient plus facile pour l’entreprise et cesse de représenter pour elle un risque juridique majeur, elle redoutera moins d’embaucher. Il faut faire reculer simultanément ces deux peurs qui nous paralysent collectivement depuis des années.
Sur la durée du travail, je n’ai pas de position absolument arrêtée. Il serait bon de l’accroître, non pas pour la porter à 45 ou 50 heures de travail par semaine comme au Mexique ou en Chine, mais pour nous situer dans la moyenne européenne – celle de la plupart de nos concurrents et clients. Je ne sais pas si cette question pourra être abordée dans la négociation en cours entre les partenaires sociaux, qui porte plutôt sur la flexisécurité et sur la sécurisation des parcours professionnels, mais il faudra en tout cas en discuter, de façon sereine et équilibrée.
M. Vincent Moulin Wright. Certes, la réduction de la durée légale du travail à trente-cinq heures constitue toujours pour le patronat une source de regrets, mais elle n’est plus aujourd’hui pour lui le cœur du problème. Et s’il doit y avoir une évolution sur ce point, elle ne doit pas être négociée au niveau national, mais au niveau des branches ou, mieux encore, des entreprises, seules à même de connaître parfaitement leurs propres besoins.
Le vrai problème réside dans la durée effective du travail et plus précisément, parce que la situation n’est pas si dramatique que cela en ce qui concerne la durée effective hebdomadaire – pour les salariés, elle est de trente-neuf heures et demie, avec une productivité élevée –, dans le volume annuel d’heures effectivement travaillées, qui est inférieur de 260 heures à ce qu’il est en Allemagne. C’est là qu’une décision au niveau national pourrait être pertinente : celle qui consisterait à assouplir le régime des heures supplémentaires. Surtout, il serait bon de s’attaquer à cette spécificité française qu’est l’entrée trop tardive sur le marché du travail, suivie d’une sortie trop précoce. On touche dans notre pays son premier salaire entre vingt et vingt-cinq ans, en Allemagne souvent dès dix-sept ou dix-huit ans, grâce à l’apprentissage ; on reçoit ses derniers salaires en France entre cinquante-cinq et soixante-deux ans, en Allemagne entre soixante et soixante-sept ans. C’est donc bien sur le travail des jeunes et l’apprentissage d’une part, sur le travail des seniors d’autre part, que la réflexion doit porter en priorité. La question de la durée légale hebdomadaire n’est, au regard de cela, qu’une question assez politique.
M. Pierre Gattaz. En tout cas, plus généralement, le terroir français doit être propice au développement économique. Les Allemands raisonnent systématiquement en termes de croissance et d’emploi : ainsi, lorsqu’ils ont constaté que leurs apprentis éprouvaient des difficultés pour se rendre au travail, ils ont abaissé à seize ans l’âge minimum requis pour passer son permis de conduire ; parce qu’ils produisent des berlines haut de gamme, ils ont adapté leur fiscalité et leur réglementation en conséquence, pour créer un marché intérieur important – est-il besoin de rappeler qu’il n’y a pas de limite de vitesse sur les autoroutes allemandes ?
Si la France pouvait enfin mesurer l’importance d’un environnement favorable au développement économique, ce serait merveilleux. Nous souhaiterions ainsi une réglementation sociale, fiscale, environnementale simplifiée et surtout stabilisée. Il est facile de modifier la législation fiscale tous les six mois, mais les investissements dans l’industrie se font à échéance de vingt ou trente ans. Constituer une entreprise patrimoniale prend des décennies ; la vendre à un fonds de pension américain, une après-midi seulement, quitte à ce qu’elle soit ensuite fermée tout aussi rapidement de Palo Alto, parce qu’insuffisamment rentable ! Il est bon que le rapport Gallois ait permis d’ouvrir le débat sur ces sujets. Nous avons impérieusement besoin d’un environnement réglementaire propice à la transformation de nos PME en entreprises de taille intermédiaire, dont nous manquons, mais aussi à la création d’entreprises en France plutôt qu’ailleurs.
Nous avons une Formule 1, mais nous sommes debout sur le frein depuis des années : libérons les énergies ! Le modèle allemand comporte bien sûr certains défauts, mais il est intéressant parce que tout est mesuré dans ce pays à l’aune du développement de l’emploi. La durée du travail est une question qu’il nous faudra traiter de plus en plus dans le cadre de l’entreprise et qu’il faudra régler dans les mois à venir si nous voulons relancer notre économie.
M. Laurent Furst, président. Combien d’emplois dépendent de centres de décision situés à l’étranger ?
M. Pierre Gattaz. C’est bien difficile à évaluer ! Ce que je peux dire, c’est que lorsque je suis arrivé chez Radiall en 1992, j’avais une vingtaine de concurrents patrimoniaux en France et une quarantaine en Allemagne. Vingt ans après, toutes ces entreprises françaises ont été vendues, achetées, dépecées, en général par des Américains ; toutes les entreprises allemandes existent encore, et se sont même énormément développées. Le constat est terrible. Que s’est-il passé ?
La France a eu du mal à sortir des Trente Glorieuses ; nous avons, c’est un fait, très mal géré les trente années qui viennent de s’écouler. Certains ont vendu leur entreprise plutôt que d’affronter une conjoncture devenue plus difficile, mais les gouvernements successifs et les décideurs en général ont négligé l’industrie, se laissant séduire par le fabless. L’économie du numérique, Internet, c’est merveilleux, certes, mais cela ne flotte pas dans l’air ! Il faut des réseaux, des faisceaux hertziens, des connecteurs… Cela, on l’a oublié – ce qui m’a tellement meurtri que j’en ai fait un livre, Le printemps des magiciens.
En France, il n’est pas facile d’être patron ! Quand on y réussit, on est armé pour réussir partout, me dit-on… J’insiste donc sur la nécessité d’assurer la sérénité en matière fiscale : notre législation n’a pas su protéger les entreprises patrimoniales. Certes, il faut s’attaquer aux horribles spéculateurs, aux 5 % de brebis galeuses ; mais il aurait fallu encourager les 95 % restants. Au lieu de cela, il y a eu l’ISF, les droits de succession confiscatoires… La loi Dutreil a permis, enfin, la transmission des entreprises dans de bonnes conditions.
On sait que nous n’avons pas assez d’entreprises de taille intermédiaires (ETI), c’est-à-dire d’entreprises employant entre 250 et 5 000 salariés : nous n’en comptons que 4 500, contre 12 500 en Allemagne, mais, sur ce nombre, il y en a moins de mille qui soient des ETI industrielles patrimoniales, contre 5 000 à 6 000 Outre-Rhin. Il faut donc aider les PME à devenir des ETI. Pour la plupart, celles-ci ont leur centre de décision en France, et n’agissent donc pas de la même façon que des directions installées à New York ou à Palo Alto.
Sans qu’il soit pour autant question de sombrer dans un ultra-libéralisme débridé, nous devons prendre en compte les contraintes de la mondialisation. On n’élèvera pas de herses autour de notre pays pour le protéger ! La France peut néanmoins trouver une nouvelle harmonie, mais elle devra pour cela faire confiance à ses entrepreneurs et à leurs salariés.
M. Vincent Moulin Wright. Depuis six mois, le GFI a commencé à mettre en place un observatoire des emplois menacés ; la tâche n’est pas facile, car nous recensons en réalité des situations bien diverses, allant de l’annonce de plans sociaux à la simple menace, voire à la possibilité de tels plans. Il en ressort toutefois une certitude : le chômage continuera d’augmenter en 2013, comme l’a d’ailleurs dit le Président de la République. Les secteurs les plus exposés sont l’automobile, l’ameublement, le textile, et aussi l’agro-alimentaire et la pétrochimie.
Quant à la part de ces emplois dépendant de centres de décision situés à l’étranger, elle est plus difficile encore à évaluer : peut-être un tiers ? En outre, les problèmes peuvent se poser très différemment selon que ces centres sont aux États-Unis, en Chine ou off-shore…
M. Laurent Furst, président. Je ne pensais pas aux seuls licenciements, mais aussi aux nombreuses décisions stratégiques qui influent sur la localisation des entreprises ou qui contribuent à une érosion de l’emploi, hors plans sociaux.
M. Pierre Gattaz. La première urgence pour préserver l’emploi, c’est de s’attaquer au coût du travail : le choc de compétitivité redonnerait un peu d’oxygène aux entreprises et leur rendrait confiance, ce qui leur permettrait ensuite d’innover et d’améliorer la qualité de leurs produits, tous processus qui demandent plus de temps – de six mois à plusieurs années. L’intérêt du rapport Gallois tient certes à la qualité de ses propositions, mais aussi au fait qu’il a permis de parler de ces sujets dans un pays qui n’a pas une forte culture économique.
Compétitivité coûts, compétitivité hors coûts : nous devons ensuite constituer de nouvelles filières et prendre pied sur de nouveaux marchés. D’abord, comme les Allemands l’ont déjà compris, il faudra équiper les pays émergents : Chine, Inde, Russie, Amérique latine… Il y a donc un avenir pour nous ! En second lieu, de nouveaux besoins se font régulièrement jour dans nos propres sociétés – énergie, santé, mobilité, sécurité, développement durable, efficacité énergétique, chimie verte… Pour y répondre, il faut des infrastructures numériques très haut débit et des infrastructures électriques intelligentes, les smart grids. Ce sont là aussi des opportunités gigantesques ! Il faut donc arrêter de dire qu’on n’a pas besoin de réflexion à long terme, de plan, de conseil national ou de ministère de l’industrie. Je ne suis pas bolchevique, vous l’avez compris, mais j’estime que des décisions régaliennes importantes sont nécessaires. Les Coréens ont développé en trente ans dix filières superbes, les Chinois se sont dotés d’une machine de guerre terriblement efficace et aux États-Unis, l’adoption de la National Strategy for Homeland Security s’est soldée par un investissement annuel de 4 milliards de dollars en recherche et développement !
Mais ce n’est pas pour autant que les fonctionnaires de Bercy doivent tout décider : ce sont les entreprises qui savent ce qui est bon pour le pays. Il faut par conséquent rapprocher l’État, les entrepreneurs, les salariés, les chercheurs, et choisir cinq ou dix filières sur lesquelles nous pourrons prendre des positions fortes.
Enfin, il faut encore construire l’Europe.
Voilà de quoi donner un cap à notre pays, et de l’espoir aux Français !
M. Olivier Carré. Il semble que la France, lorsqu’elle transpose les directives européennes, ait tendance à ajouter à la complexité de ces textes, quand le législateur allemand ou néerlandais intervient de façon beaucoup plus modeste. L’explication de cette différence tiendrait notamment à ce que les professionnels de ces pays savent mener des actions de lobbying à Bruxelles tandis que leurs homologues français considéreraient que tout se joue en définitive à Paris, lors de l’élaboration de la loi de transposition, et agiraient en conséquence. C’est en tout cas l’un des éléments, bien identifié, qui font que la France a fini par décrocher par rapport à ses concurrents – et cela ne coûterait rien de nous corriger ! Qu’en pensez-vous ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. La compétition au sein de l’espace économique européen ne peut pas obéir aux mêmes règles que la compétition mondiale. Comment la comprenez-vous ? Quelles synergies pourrait-on envisager au sein de l’Union ?
Vous dites ne pas être bolchevique, mais certaines de vos propositions n’évoquent-elles pas la NEP de l’Union soviétique des années vingt ? (Rires.) Cela étant, vos suggestions en faveur du développement de filières – bien éloignées de ce qui se pratique depuis vingt ans – pourraient faire consensus.
Enfin, qu’attendez-vous du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ?
M. Pierre Gattaz. Sur le rôle du lobbying auprès des instances européennes, monsieur Carré, vous avez tout à fait raison : les entreprises françaises y ont consacré de moins en moins d’efforts, et le travail a été de moins en moins bien fait. Mais c’est aussi un effet de la désindustrialisation.
La norme doit plutôt inciter à innover que décourager et contraindre ; les Allemands en ont pleinement conscience. Les Français ont été moins bons pour édicter des normes qui aident les entreprises au lieu de les brider.
Le rôle des pouvoirs publics est majeur à cet égard, et il serait nécessaire de rapprocher la sphère publique des entreprises. Comme entrepreneur, je souffre de leur défiance mutuelle – défiance que je ne ressens pas à Singapour, aux États-Unis ou en Allemagne. Créer un environnement de confiance est fondamental ! Il serait sans doute bon que les forces vives de la nation, comme on dit, soient mieux représentées au Parlement ; ces deux mondes devraient en tout cas se respecter et se comprendre. On pourrait également imaginer que les élites de la nation, formées dans des écoles prestigieuses, fassent des stages d’une certaine durée dans des PME : cela les conduirait à voir le monde d’un œil différent.
M. Laurent Furst, président. Après la NEP, Mao ! (Sourires.)
M. Pierre Gattaz. Notre pays fait beaucoup de choses très bien ; nos atouts sont nombreux. Notre État a la réputation d’être pesant, mais efficace. Mais vous avez raison en ce qui concerne le poids que font peser les directives telles que nous les transposons : en ce qui concerne l’environnement par exemple, c’est un vrai scandale !
Ce que nous voulons, je crois, c’est une France forte dans une Europe forte. Balayons donc d’abord devant notre porte : nous serons influents à l’extérieur si nous sommes forts chez nous.
L’Europe a beaucoup travaillé pour les consommateurs et pour l’environnement ; elle a péché par oubli de l’emploi, des entreprises, de l’industrie, de la recherche. Tous consommateurs, tous verts, mais tous chômeurs : est-ce ce là notre avenir ?
J’aimerais que l’Europe mène une véritable réflexion économique. « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat », disait Deng Xiaoping. En France, quelle que soit la couleur politique du Gouvernement, il faut faire de l’économie : il n’y aura pas de croissance, pas de social, pas d’environnement, pas d’avenir tout simplement, sans respect des règles de l’économie. Il faut absolument, en toutes circonstances, se poser la question de la création d’emplois : 3 millions de chômeurs, c’est insupportable !
Quant aux filières, je crois effectivement que l’État doit se préoccuper de déterminer quelques domaines où investir, non pas cinquante, mais peut-être une dizaine, cela en se fondant sur une réflexion économique et sur une analyse du marché mondial. Et les retours sur investissement devraient être clairement évalués : dans l’entreprise, si un investissement se révèle non rentable, on l’arrête tout de suite ! Les domaines prometteurs ne font pas défaut : l’aéronautique, la santé, mais aussi le tourisme, domaine dans lequel les États-Unis investissent aujourd’hui massivement.
Cela permettrait de redonner un cap, d’insuffler un nouvel enthousiasme. Que sera la France dans cinq ou dix ans ? Où allons-nous ? C’est l’incertitude sur l’avenir qui est angoissante pour nos concitoyens. Nous faisons beaucoup de choses, mais un peu désordonnées : où est le projet d’ensemble ? Il faut faire au niveau de notre pays ce que nous faisons au niveau de nos entreprises : fixer des perspectives, quitte à demander des efforts. À partir de là, tout suivra : formation, recherche, emploi, voire conquête de positions dominantes !
M. Laurent Furst, président. Merci pour cet acte de foi.
Audition, ouverte à la presse, de M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II
(Séance du jeudi 29 novembre 2012)
M. Laurent Furst, président. Nous accueillons aujourd’hui M. Gilbert Cette, professeur d’économie associé à la faculté de sciences économiques de l’université d’Aix-Marseille II, qui exerce également les fonctions de directeur des études microéconomiques et structurelles de la Banque de France. C’est en votre qualité de chercheur que vous allez nous parler de l’évolution de la situation financière des entreprises, de l’effet de la crise sur l’accès au crédit des PME, et nous faire part de vos analyses sur le coût du travail en France.
M. Gilbert Cette, professeur associé de sciences économiques à l’université d’Aix-Marseille II. Ces questions peuvent être envisagées sous différents angles. Je commencerai par dire quelques mots de la situation financière des entreprises, avant d’évoquer la question du coût salarial. Je finirai mon exposé par quelques mots sur l’accès au crédit.
La situation financière des entreprises se mesure d’abord au taux de marge, soit la part des profits dans la valeur ajoutée. Or, suivant le champ d’étude retenu, cette part s’accroît, se réduit ou reste stable depuis la fin des années quatre-vingt jusqu’à la crise actuelle.
Le diagnostic le plus solide me semble devoir porter sur le champ restreint des sociétés non financières, qui génèrent 60 % du PIB. En tenant compte des incertitudes statistiques et des modifications de la fiscalité qui ont eu lieu durant cette période, on peut considérer que leur taux de marge est relativement stable depuis la fin des années quatre-vingt, avant de connaître un effondrement à partir de 2008.
Si on élargit le champ de l’analyse en y intégrant les sociétés financières, on observe que le taux de marge diminue. C’est qu’il est délicat de mesurer la valeur ajoutée des sociétés financières et la rémunération de leurs salariés, notamment lorsqu’elle se fait sous forme de stock-options. Si on élargit le champ à toutes les entreprises du secteur marchand, le diagnostic est encore différent, puisqu’on constate alors que le taux de marge augmente. La différence s’explique principalement par la prise en compte des entrepreneurs individuels : dans leur cas, il est difficile de distinguer entre la rémunération du travail et celle du capital. Enfin, si on étend le champ de l’étude à l’ensemble de l’économie, en y intégrant les administrations publiques, on constate encore une augmentation de la part des profits.
On voit qu’un indicateur aussi simple que la part des profits dans la valeur ajoutée peut déjà considérablement varier selon le champ auquel on s’intéresse. Le champ d’analyse que nous privilégions, avec Philippe Askenazy et Arnaud Sylvain, dans notre ouvrage sur Le partage de la valeur ajoutée, est celui des sociétés non financières, parce qu’il s’agit du plus fiable sur le plan statistique pour appréhender la part des profits dans la valeur ajoutée.
Les comparaisons des taux de marge dans différents pays sont à prendre avec beaucoup de précautions, une même situation financière des entreprises pouvant se traduire par des taux de marge variables en fonction de l’organisation de la fiscalité. Ces réserves n’affectent cependant pas significativement la validité de la comparaison avec l’Allemagne. Or, avant la crise actuelle, le taux de marge des sociétés non financières allemandes est supérieur de dix points à ce qu’il est en France, et on observe en Allemagne une augmentation continue du taux de marge des sociétés non financières depuis la réunification. La crise a provoqué un effondrement du taux de marge dans les deux pays, qui se rétablit légèrement en 2010 en France et plus fortement en Allemagne.
L’évolution du même indicateur dans d’autres pays montre que la crise y est effacée. Aux États-Unis, le taux de marge s’est totalement rétabli en fin de période, en l’occurrence au cours de l’année 2011, dernière année pour laquelle nous disposons de comptes définitifs. Quant à l’augmentation considérable du taux de marge observée en Espagne à la fin de la période, elle s’explique par la disparition des entreprises espagnoles les plus malades.
Le diagnostic qui doit être posé à partir de l’indicateur du taux de marge est que la situation des sociétés non financières est mauvaise en France. Il faut remonter jusqu’en 1985 pour retrouver ce niveau de taux de marge. La situation est d’autant plus dramatique que toutes les prévisions dont nous disposons indiquent que ce taux continuera de baisser en 2012 et 2013, année où l’on devrait revenir à des niveaux de taux de marge qu’on n’avait pas connus depuis 1983.
Le taux d’épargne (rapport de l’épargne brute à la valeur ajoutée) et le taux d’autofinancement (rapport de l’épargne brute aux dépenses d’investissement) des sociétés, sont d’autres indicateurs de leur situation financière. Rappelons que l’épargne brute est l’excédent brut d’exploitation (soit la valeur ajoutée dont on a retranché toutes les dépenses de personnel) moins la rémunération des actionnaires, c’est-à-dire les dividendes, des prêteurs, sous forme de charges financières, et de l’impôt sur les sociétés. On observe que le taux d’autofinancement s’effondre, pour atteindre, là encore, des niveaux qu’on n’avait pas connus depuis le milieu des années quatre-vingt. Cet effondrement devrait se poursuivre en 2012 et 2013.
On constate par ailleurs que le taux d’épargne des sociétés baisse depuis le début de la décennie 2000. Cela signifie que la forte dégradation de la situation financière des sociétés non financières est bien antérieure à la crise. Cet indicateur fait présager une difficulté croissante à financer l’investissement des entreprises.
Le principal élément du passage du taux de marge au taux d’épargne est la rémunération de la propriété, c’est-à-dire les dividendes et les intérêts versés, ou frais financiers. On observe cette évolution incroyable : les dividendes versés ont triplé depuis le premier choc pétrolier, passant de 3 à 9 points de valeur ajoutée en 2011, cette orientation à la hausse résistant même à la crise actuelle. La rémunération de l’actionnaire a donc augmenté continûment depuis quarante ans.
À l’inverse, le niveau des intérêts versés connaît une baisse marquée dans la décennie quatre-vingt-dix pour se stabiliser ensuite. Cela est dû uniquement à la baisse des taux d’intérêt. En effet, la marche vers l’euro durant cette décennie s’est concrétisée par la disparition des primes de risque pour des pays comme la France ou l’Italie, ce qui a provoqué une baisse très forte des frais financiers, qui passent de 7 points à 2 points de valeur ajoutée.
Du coup, la hausse des dividendes a été contrebalancée par la baisse des frais financiers payés par les sociétés non financières et la rémunération de la propriété a de ce fait connu une orientation à la baisse. Cette situation perdure jusqu’aux années 2000, qui voient une stabilisation des frais financiers, d’où une augmentation des revenus de la propriété (du fait de l’augmentation des dividendes), qui passent de 8 points à 11 points de valeur ajoutée. C’est ce qui explique que le taux d’épargne des sociétés est orienté à la baisse depuis le début de la décennie 2000, alors même que le taux de marge reste stable jusqu’en 2007-2008.
Les taux d’intérêt actuels étant historiquement bas, la baisse des frais financiers est appelée à se poursuivre en 2012-2013, en dépit de la hausse de l’endettement des sociétés non financières. Il faut bien comprendre néanmoins qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui ne durera pas éternellement : les taux d’intérêt sont appelés à augmenter dans le futur, ce qui, compte tenu des taux d’endettement des sociétés non financières, provoquera une hausse des frais financiers qui va plomber encore davantage la situation financière de ces sociétés.
La comparaison du taux d’épargne des sociétés non financières dans les grands pays industriels montre que l’orientation à la baisse de ce taux ne s’observe en Allemagne que depuis la crise. Dans les autres grands pays industrialisés, on n’observe pas cette évolution à la baisse, ou bien les effets de la crise ont été complètement épongés. La situation est donc particulièrement grave en France et est appelée à s’aggraver encore du fait de la hausse des frais financiers et de la faiblesse de la conjoncture au cours des années 2012, 2013, voire 2014.
Si l’on compare, pour l’année 2010, les différents éléments de passage du taux de marge – de 32 % en France en 2010 – au taux d’épargne des sociétés non financières
– dividendes, intérêts versés, impôt sur les sociétés – on s’aperçoit que la part des dividendes n’est pas considérable en France en comparaison des autres pays. Pourtant, comme nous l’avons vu, ceux-ci n’ont pas arrêté d’augmenter dans notre pays, ce qui peut laisser penser que les propriétaires des sociétés non financières « s’en mettent plein les poches » depuis le premier choc pétrolier, plombant, ce faisant, la situation financière de ces sociétés. En réalité, la distribution de dividendes partait de très bas en France, puisqu’elle représentait 2 points de valeur ajoutée au moment du premier choc pétrolier. Même si la rémunération des actionnaires des sociétés non financières françaises ne cesse plus d’augmenter depuis, pour atteindre en 2010 un peu moins de 9 points, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne.
Cette moindre rémunération des actionnaires ne tient pas à une différence dans la structure de financement des entreprises, qui feraient appel davantage à l’emprunt. En effet, la part des intérêts versés ne diffère pas considérablement en France et en Allemagne. Certes, les sociétés non financières recourent plus à l’emprunt en France, mais l’amplitude de l’écart
– les intérêts versés représentent 2,5 points de valeur ajoutée en France, contre 1 point en Allemagne – n’est en rien comparable aux 10 points qui séparent la rémunération des actionnaires dans les deux pays.
La situation financière des sociétés se mesure également au taux d’endettement, soit le stock de dettes en pourcentage de la valeur ajoutée. En 2011, les sociétés non financières sont endettées à hauteur d’environ 130 points en France et de 75 points en Allemagne. Les sociétés non financières américaines sont également moins endettées que les Françaises. En revanche, le taux d’endettement est largement supérieur en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. Cependant, les sociétés non financières espagnoles et italiennes se désendettent rapidement, puisqu’elles ont réduit leur taux d’endettement d’une dizaine de points en période de crise. Cela s’explique, non seulement par la disparition d’entreprises, mais également par un assainissement marqué de la situation financière de ces sociétés.
Il faut noter également que l’écart de taux d’endettement entre la France et l’Allemagne était de 25 points de valeur ajoutée au début de la décennie 2000, et qu’il est désormais de plus de 50 points : alors que les sociétés non financières allemandes se désendettent, les sociétés non financières françaises s’endettent de plus en plus. Cela signifie que ces dernières, partant d’une situation patrimoniale particulièrement dégradée par rapport aux sociétés allemandes, souffriront bien davantage de l’augmentation des taux d’intérêt qui ne manquera pas d’arriver.
Les données de comptabilité nationale que je viens de vous exposer indiquent donc que la situation financière des sociétés non financières françaises est mauvaise. En outre, tous les éléments de prévision dont nous disposons pour les années 2012-2013 ne font qu’aggraver ce diagnostic. Dans un tel contexte, le transfert, via le crédit d’impôt, de 20 milliards d’euros vers les entreprises françaises est bienvenu.
Avant de vous donner quelques éléments relatifs au coût salarial, je voudrais parler de revenu salarial et d’inégalités salariales. Sur ce dernier plan, la situation de la France est singulière, puisqu’elle est le seul pays industrialisé où les écarts salariaux se resserrent, alors qu’ils se creusent dans tous les autres, depuis trois décennies dans les pays anglo-saxons, et depuis une époque plus récente dans les pays du continent européen. La réduction continue des inégalités salariales observée dans notre pays est due à la très forte augmentation du SMIC par rapport au salaire médian depuis le début des années soixante-dix. Depuis cette date, le SMIC a plus vite augmenté que tous les autres indicateurs salariaux – salaire mensuel par tête, salaire mensuel de base ou salaire horaire de base des ouvriers.
Le niveau du SMIC pourrait à lui seul faire l’objet d’une discussion. En tout état de cause, on ne peut pas parler du coût du travail sans poser la question du SMIC. Dans son ultime rapport, qui doit être rendu public la semaine prochaine, l’actuel groupe des experts sur le SMIC, qui a été mis en place il y a quatre ans par le précédent gouvernement et auquel j’appartiens, formule un certain nombre de propositions de réforme du SMIC. Une telle réforme devra faire en sorte que le SMIC plombe moins les comptes des entreprises, sans porter préjudice à une lutte forte et résolue contre la pauvreté.
Si l’on considère l’évolution du coût unitaire du travail dans l’ensemble de l’économie depuis 1999, on voit que, en matière de coûts salariaux, la distance s’est creusée entre la France et l’Allemagne jusqu’à devenir abyssale, puisque l’augmentation du coût unitaire du travail a été de 20 points supérieure en France. Parmi les grands pays de la zone euro, seules l’Espagne et l’Italie ont fait moins bien. Cette différence ne tient pas à de meilleures performances de l’Allemagne en termes de productivité du travail, celle-ci connaissant dans les deux pays une évolution similaire depuis la fin des années quatre-vingt-dix, mais à une modération salariale beaucoup plus forte : d’une bonne quinzaine de points supérieure en Allemagne depuis la fin des années quatre-vingt-dix.
La conséquence en est la dégradation de la compétitivité de la France, comme le montre l’évolution du solde courant des deux pays : le solde courant de l’Allemagne est excédentaire de 6 points de produit intérieur brut, alors que celui de la France est déficitaire de deux points de PIB. Plus grave, on observe une dégradation continue du solde courant de la France depuis la fin des années 1990, où il était excédentaire de 3 points de PIB. L’implosion des économies de l’Italie et de l’Espagne, grands partenaires commerciaux de la France, fait craindre une nouvelle dégradation de notre solde courant dans les prochaines années.
Il faut mentionner ici les conclusions d’une étude de l’INSEE portant sur les différences des coûts unitaires du travail et des salaires dans l’industrie et les services. Cette enquête révèle que, si les coûts salariaux moyens sont les mêmes en France et en Allemagne, le coût du travail dans les services est de 25 % supérieur en France. De ce fait, le coût du travail indirect – c’est-à-dire des services – pour l’industrie manufacturière est beaucoup plus bas en Allemagne. Deuxièmement, l’Allemagne bénéficie de son voisinage avec des pays tels que la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie ou la Hongrie, où le coût du travail est beaucoup plus bas. Cette proximité lui permet de segmenter ses chaînes productives, notamment dans le secteur automobile, délocalisant une partie de la production dans les pays limitrophes tout en conservant sur son sol la plus grande partie de son industrie automobile : l’industrie automobile allemande génère un excédent de 100 milliards d’euros par an, quand l’industrie automobile française, bien que comptant deux constructeurs mondiaux, souffre d’un déficit de 5 milliards d’euros par an. On voit donc que, en réalité, l’Allemagne bénéficie de coûts du travail beaucoup plus bas qu’en France.
Je conclurai en parlant de l’accès au crédit. Dans l’ensemble, les entreprises n’ont pas de problème d’accès au crédit en France. Une étude économique de la Banque de France, réalisée par G. Horny, E. Kremp et P. Sevestre et corroborée par les enquêtes réalisées par la Banque centrale européenne et par Oséo, montre que, même pendant la crise de 2008-2009, il n’y a pas eu de rationnement du crédit accordé aux PME. Il en a été de même pour les grandes entreprises, même si le pourcentage de celles qui n’ont rien obtenu des crédits qu’elles avaient demandé a été un peu plus élevé. Certes, pendant la période avril-septembre 2012, on constate une orientation à la hausse du nombre d’entreprises n’ayant rien obtenu et une orientation à la baisse du nombre de celles qui n’ont obtenu qu’une partie des crédits sollicités. Mais le diagnostic est un peu délicat à établir, puisque, pour les entreprises qui ont obtenu tout ce qu’elles avaient demandé, le niveau reste comparable, à 85 %.
En Allemagne, il n’y a pas de difficultés de financement, mais, dans d’autres pays, comme l’Italie, le pourcentage des entreprises qui n’ont rien obtenu ou qui n’ont obtenu qu’une partie des crédits a considérablement augmenté depuis le début de la crise, alors que le pourcentage de celles qui ont tout obtenu a diminué de quelque 20 points.
M. Olivier Carré. C’est ce qui commence à se passer en France !
M. Gilbert Cette. Certes, l’augmentation du pourcentage des entreprises qui n’ont rien obtenu est plus importante sur la dernière période, mais, pour autant, elle ne paraît pas inquiétante. En Italie, la situation est dramatique. En Espagne, curieusement, nous constatons une certaine stabilité de l’accès au crédit des entreprises. Mais il ne faut pas s’y tromper et négliger l’importance du facteur démographique : l’assainissement de l’économie espagnole prend principalement la forme de disparitions d’entreprises, et en particulier d’entreprises du bâtiment. En 2007, quelque 3 millions de personnes travaillaient dans ce secteur, contre 1,5 million aujourd’hui.
M. Laurent Furst, président. Merci pour cette présentation très complète, qui nous a totalement déprimés. Vous avez clairement indiqué que l’année 2012 était difficile et que l’année 2013 ressemblerait à la précédente.
M. Olivier Carré. Vous avez décrit un impressionnant processus de « smicardisation ». En France, les bas salaires sont concernés par nombre d’aides et d’allègements, et le coût marginal augmente beaucoup plus vite que les salaires, compte tenu des aides qui diminuent à due proportion de la hausse des salaires. À l’heure où l’on est à la recherche de stratégies pour « décoincer » à la fois l’évolution des salaires et le marché de l’emploi, ne faudrait-il pas se pencher sur cette question ?
M. Jean Grellier. Quelle solution recommanderiez-vous aujourd’hui à la puissance publique pour inverser la tendance ? Les décisions qui ont été prises, notamment sur le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), sont-elles suffisantes ? Faut-il des réformes plus importantes ?
Mme Annick Le Loch. Aux États-Unis, dites-vous, la crise est complètement effacée. Pouvez-vous préciser votre propos ?
L’augmentation des taux d’intérêt serait catastrophique. Le scénario est-il plausible à court terme ? Que se passerait-il ? L’économie française s’effondrerait-elle ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Il n’y a pas, dites-vous, de problème d’accès au crédit en France pour les entreprises, et certains, telle la Fédération bancaire française, font état de résultats importants en termes d’encours global des crédits accordés aux PME ou d’investissement total réalisé pour soutenir l’activité. Mais, sur le terrain, les entreprises ne semblent pas partager ce sentiment.
Vous n’avez pas du tout abordé la question des nouvelles normes prudentielles, dites Bâle III. Sont-elles adaptées ? Auront-elles bientôt un effet ?
Le réseau bancaire français présente-t-il une spécificité par rapport à celui des autres pays européens, s’agissant des modalités dont il dispose pour injecter de la liquidité dans les entreprises ?
Je voudrais également savoir si, selon vous, les entreprises, notamment les PME-PMI, souffrent d’une insuffisance particulière de fonds propres.
Quelle serait la façon la plus pertinente de mettre en place le crédit d’impôt compétitivité, que le Gouvernement a décidé d’intégrer dans le projet de loi de finances rectificative pour 2012 ? On peut s’interroger sur le rôle des banques, en tant que préfinanceurs de ce crédit d’impôt pour un certain nombre d’entreprises. Comment pourront-elles intervenir ? Quelles entreprises pourront en bénéficier ?
Les représentants de l’institut COE-Rexecode, que nous avons auditionnés, ont fait valoir que le crédit d’impôt bénéficierait plus massivement aux entreprises de services qu’à l’industrie – non pas forcément aux entreprises de services destinés à l’industrie, mais aux entreprises de services destinés à la personne ou à la grande consommation. Avez-vous un avis sur le sujet ?
Enfin, vous avez signalé que, depuis plusieurs années, un décrochage s’était produit entre la France et l’Allemagne : ce n’est pas que le coût du travail ait augmenté en France, c’est qu’il a diminué en Allemagne. Comment cela se traduit-il concrètement pour l’économie allemande ? L’Allemagne a-t-elle raison de mener une politique de modération salariale très forte, sur des niveaux de revenus par ailleurs différenciés ? La France et les autres pays européens n’ont-ils pas adopté une solution plus pérenne ?
M. Laurent Furst, président. Si le volume des dividendes a augmenté en France, il reste moins élevé que dans les pays qui nous entourent. Notre pays possède autant de grands groupes internationaux que l’Allemagne, dont l’économie est plus puissante que la nôtre. Ces groupes rapatrient peut-être une partie de leurs dividendes et leurs investissements se font davantage à l’international qu’en France. Par ailleurs, nombre de nos entreprises ont été rachetées par des fonds de pension qui ont des exigences de rentabilité ? Cela ne doit-il pas nous amener à modifier notre perception des dividendes ?
Pour parler de la dynamique de l’économie française, on invoque volontiers des indicateurs économiques. Mais d’autres éléments, peut-être tout aussi importants, ne sont presque jamais cités. Ainsi, l’instabilité du droit français est très mal vécue par les chefs d’entreprises allemands, américains ou anglais installés dans notre pays. Il faut aussi penser qu’il peut être difficile d’être un entrepreneur en France, tant à cause des relations sociales qu’en raison de la façon dont le monde de l’entreprise y est perçu et présenté dans les médias. Tous ces éléments, qui ne seront jamais mis en équation, peuvent avoir des conséquences très négatives pour la dynamique de notre économie. Pourriez-vous vous exprimer à ce propos ?
M. Gilbert Cette. À plus de quarante ans, le SMIC est à un tournant de son histoire. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de le réformer et peut-être le moment est-il venu de dépassionner le débat pour adopter une approche réellement économique et sociale de la question. En France, le salaire minimum est plus élevé que dans les autres pays, ce qui plombe la compétitivité de nos entreprises. Cet effet négatif est amorti en bonne partie par des allègements de cotisations, qui représentent plus de 20 milliards d’euros par an, soit plus de deux fois le budget du RSA, mais sans lesquels des centaines de milliers d’emplois disparaîtraient rapidement.
Cependant, le SMIC est un outil totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté. Le premier facteur de pauvreté est le rapport à l’emploi – le fait que les gens travaillent 10 ou 50 heures par semaine, 1 000 ou 1 500 heures par an – et pas le niveau du salaire horaire. Le second facteur de pauvreté est le niveau des charges de famille : ce n’est pas la même chose d’avoir à nourrir une personne ou cinq personnes.
Enfin, le SMIC est homogène. Il est le même dans toutes les régions. Or on ne vit pas de la même façon avec un SMIC dans la Creuse ou à Paris. Il est le même quel que soit l’âge, dans un contexte où les jeunes ont difficilement accès à l’emploi. Le thème du « SMIC jeunes » est pourtant difficile à aborder – prenez l’exemple du contrat d’insertion professionnelle (CIP) en 1993 ou du contrat première embauche (CPE) en 2005.
Peut-être faudra-t-il, un jour, songer à lutter plus efficacement contre la pauvreté. Cela pourrait passer par un SMIC plus bas, en termes relatifs, par rapport au salaire moyen ou au salaire médian. Les ressources que l’on dégagerait alors, par la diminution des allègements de cotisations sociales venant contrebalancer le SMIC pour l’instant élevé, pourraient alors être mobilisées pour des politiques de lutte contre la pauvreté très ciblées selon le revenu et selon les charges de famille, voire selon les régions. C’est une voie à discuter, parmi d’autres bien évidemment.
Les membres du groupe d’experts sur le SMIC et leur président Paul Champsaur reviendront sur ces points en présentant leur rapport aux partenaires sociaux, le 4 décembre prochain.
Certains font remarquer que les revenus de transfert, comme le RSA, ne peuvent être assimilés à des revenus d’activité. Certes, pour lutter contre la pauvreté, les revenus d’activité sont préférables, mais ils sont homogènes, alors que les revenus de transfert peuvent être ciblés. Par ailleurs, ils représentent un moindre inconvénient par rapport à la situation actuelle où nous dépensons 22 milliards d’allègements de cotisations pour compenser le niveau élevé du SMIC.
L’économie française rencontrant un problème structurel de compétitivité, les solutions ne peuvent être que structurelles. Certes, la modération salariale allemande est singulière. De fait, c’est à l’intérieur même de la zone euro – où il n’y a pas de problème de change ni de niveau de la monnaie – qu’apparaissent les déséquilibres. Peut-être les salaires sont-ils un peu trop bas en Allemagne et un peu trop élevés dans notre pays, au regard de ce qui est produit et des performances productives. Autrement dit, en attendant que les effets des réformes structurelles se fassent sentir, nous devons exporter davantage, des produits moins chers et, pour cela, innover.
Pour répondre à notre problème de soldes courants, deux voies complémentaires s’offrent donc à nous : les réformes structurelles et, à moyen terme, une bouffée d’oxygène, car nos entreprises ne pourront pas éternellement rogner sur leurs marges.
Les réformes structurelles, on le sait, passent par le marché du travail et le marché des biens. Dans un pays comme la France, on peut attendre des améliorations considérables d’une réforme du marché des biens : on peut ainsi envisager une dynamisation de la productivité de 0,5 point par an simplement en abaissant les régulations anti-compétitives qui brident les innovations.
Nous avons déjà un peu parlé du marché du travail. Notre droit du travail est le plus complexe de tous les pays industrialisés, le plus difficile à prendre en charge par les partenaires sociaux, qui sont précisément censés s’assurer de sa bonne mise en œuvre dans les entreprises, et le moins protecteur, en raison de sa complexité.
Depuis une dizaine d’années, Jacques Barthélemy et moi-même avons développé la thèse suivante dans plusieurs travaux qui ont été publiés : il est possible d’améliorer non seulement la protection du travailleur, mais aussi la performance économique de notre droit social et de notre droit du travail, en facilitant la conclusion de compromis via des accords collectifs, forcément majoritaires depuis la loi du 20 août 2008. Ces compromis mordraient à la fois sur la réglementation et sur l’autonomie du contrat de travail. Il faut donc s’intéresser à l’articulation des normes.
Nous préconisons que l’accord collectif puisse déroger à de multiples dispositions du code du travail, hormis celles qui constituent le cœur du droit du travail – toutes celles qui relèvent de l’ordre public social et du droit international, dont le droit communautaire. Ceux qui ne seraient pas capables de nouer des compromis se verraient appliquer la totalité du droit du travail.
De la même façon, l’accord collectif pourrait mordre sur l’autonomie du contrat de travail, sans déroger à l’ordre public social ni attenter aux libertés individuelles. L’exemple de l’Allemagne nous montre que la performance de l’accord collectif, quand il mord dans l’autonomie du contrat de travail, est considérable.
Des mesures telles que le choc d’offre, le pacte de compétitivité ou le crédit d’impôt, constituent une réponse transitoire, qui permet d’attendre l’effet bénéfique des réformes structurelles. Le gain que l’on en retirera sera limité dans le temps.
Le crédit d’impôt est une bonne chose, même si l’on peut être surpris que le seuil ait été fixé à 2,5 SMIC. Si, dès qu’ils dépassent 2,5 SMIC, les salariés ne sont plus éligibles au crédit d’impôt, des conséquences négatives risquent d’apparaitre, car, pour 1’euro de salaire mensuel net en plus, le coût du travail augmentera mécaniquement de 200 euros ! Cela concerne, par exemple, les activités de recherche et développement, notamment dans l’industrie. Il ne faut pas négliger les effets de seuil qui peuvent résulter d’un ciblage un peu brutal.
M. Olivier Carré. Y a-t-il davantage de seuils chez nous qu’ailleurs ? En d’autres termes, cette logique des seuils est-elle une spécificité de la culture politique française ?
M. Gilbert Cette. Nous en avons en effet beaucoup.
Sur les effets de seuils, les études sont contradictoires. Il y a encore six mois, la doctrine était que les effets de seuil sociaux pénalisants sur l’emploi – par exemple cinquante salariés pour les comités d’entreprise – étaient assez réduits. Je vous renvoie, notamment à l’étude de l’INSEE publiée dans la revue Économie et Statistique. Néanmoins, une autre étude plus récente, qui établit une comparaison entre la France et les États-Unis, considère au contraire que la France est un pays très pénalisé par les effets de seuil, dont le coût serait de 20 000 à 25 000 emplois.
Les seuils sont inévitables : encore faut-il s’assurer qu’ils sont utiles et qu’ils n’introduisent pas davantage d’inégalités. Par exemple, est-il équitable que les salariés d’une entreprise de plus de cinquante salariés aient davantage de droits, en cas de licenciement collectif, que ceux d’une entreprise de moins de cinquante salariés ?
Le seuil du crédit d’impôt compétitivité, tel qu’il est envisagé, aurait un effet d’une ampleur nouvelle que j’ai déjà évoqué.
M. Laurent Furst, président. C’est un peu ce qui se passe, avec le système des tranches, lorsque nous payons nos impôts.
M. Gilbert Cette. En l’occurrence, il s’agit d’un barème et c’est marginal !
Mme Corinne Erhel. À quel niveau auriez-vous fixé le seuil qui a été retenu à 2,5 SMIC ?
M. Gibert Cette. Les propositions que nous avons pu faire, avec Philippe Aghion, Élie Cohen et d’autres, ne concernaient pas les effets de seuil, mais partaient de la nécessité de lier équité et choc d’offre. L’équité suppose que les protections universelles soient financées par une assiette de financement large. Tout ce qui finance la famille
– prestations familiales, et les 13 points de cotisation maladie qui financent la protection universelle non contributive – pourraient donc, à très long terme, être financés sur une assiette correspondant à l’ensemble des revenus, par exemple par la CSG. En renforçant l’équité, on abaisserait ainsi le coût du travail.
Le choix qui a été fait n’est pas pour nous un optimum de premier rang, mais c’est beaucoup mieux que rien. Le crédit d’impôt permet d’anticiper. Les 20 milliards de transferts correspondent à 28 milliards de réductions de cotisations, puisque le crédit d’impôt n’est pas éligible à l’impôt. Enfin, cela permet de laisser le Haut Conseil du financement de la protection sociale réfléchir sereinement, avant de finaliser ses réflexions sur ces aspects.
Enfin, en ce qui concerne l’effet de seuil, je suis un peu sceptique. Il faudrait au moins le lisser.
M. Olivier Carré. On pourrait ne pas prendre en compte les salariés en tant que tels, mais l’ensemble des salaires jusqu’à un montant qui, mathématiquement, devrait être inférieur à 2,5 fois le SMIC. C’est donc la masse salariale qui servirait d’assiette. Ainsi, il n’y aurait plus d’effet de seuil. Le choix a été fait de mettre en place un crédit d’impôt : ce n’est donc pas un allègement de charges, mais une augmentation de l’autofinancement.
M. Gilbert Cette. Oui, on pourrait faire exactement comme pour les impôts : jusqu’à tel niveau de salaire, 2 SMIC ou 2,5 SMIC, on est éligible ; au-dessus, on ne l’est pas. Cela signifie que celui qui gagne dix fois le SMIC serait éligible pour sa partie de salaire.
M. Olivier Carré. Cela contribuerait à augmenter les bas salaires. Contrairement à ce qui risque de se passer, si un salarié gagnant 1 000 euros était augmenté de 100 euros, le crédit d’impôt s’accroîtrait d’autant – jusqu’à 2,5 fois le SMIC. De toute façon, les augmentations de salaire au-delà de ce seuil, comme les embauches, ne sont pas touchées par le coût du salaire. Économiquement, ce serait donc assez vertueux. Mais cela suppose de dépasser certains clivages que j’ai pu percevoir, hier, en Commission des finances.
M. Laurent Furst, président. Monsieur Cette, je vous remercie pour la qualité de votre intervention et pour vos réponses.
Audition, ouverte à la presse, de MM. Olivier Duha, Christian Poyau, ancien président de Croissance Plus, Antoine Colboc, coprésident de la Commission Création & Financement de CroissancePlus, François Bergerault, coprésident de la Commission Croissance Responsable de CroissancePlus
(Séance du jeudi 29 novembre 2012)
M. Laurent Furst, président. Nous accueillons M. Olivier Duha, qui va nous présenter CroissancePlus et les personnalités appartenant à l’organisation qu’il préside et qui l’accompagnent pour cette audition
Monsieur Duha, comment l’association que vous présidez se positionne-t-elle par rapport aux autres organisations patronales ? Quelle est votre perception de la situation économique de notre pays et des problèmes de compétitivité qu’il rencontre ? Comment accueillez-vous les annonces gouvernementales qui ont été faites à la suite du rapport Gallois ? Quelles sont les mesures que vous souhaiteriez voir inscrites en conséquence dans les textes ? Quelles sont celles que vous ne voudriez surtout pas y voir figurer ?
M. Olivier Duha, président de CroissancePlus. L’association CroissancePlus, née il y a une quinzaine d’années, regroupe 400 entrepreneurs de croissance. Pour en être membre, il faut avoir créé son entreprise et mis en œuvre des outils d’actionnariat salarié afin de partager les fruits de la croissance avec ses collaborateurs.
CroissancePlus est une organisation apolitique qui ne défend qu’une seule cause : la compétitivité de l’environnement réglementaire et le développement des entreprises. Le cadre dans lequel nous évoluons doit nous permettre de croître plus rapidement. Créer une entreprise est une tâche difficile ; les règles fiscales, sociales et juridiques sont un facteur exogène dont l’influence est forte sur notre activité. Notre combat vise à favoriser la naissance et le développement des entreprises.
En 2000, j’ai fondé Webhelp, société de services et de conseils en relation client qui emploie aujourd’hui 10 000 personnes, dont 7 000 à l’étranger.
M. Christian Poyau, président de la fondation Croissance Responsable. Il y a vingt ans, mon associé et moi avons créé Micropole, entreprise très présente dans le domaine du e-commerce – nous nous occupons par exemple du site du Club Med. Au départ, nous avons investi 50 000 francs ; nous employons aujourd’hui 1 300 personnes et réalisons plus de 120 millions d’euros de chiffre d’affaires dont le quart provient de notre activité internationale. La société est cotée sur le marché boursier depuis 2000.
Président de CroissancePlus de 2001 à 2004, je dirige la fondation « Croissance Responsable » dont l’objet est d’organiser des stages dans les entreprises pour les enseignants.
M. Antoine Colboc, membre de CroissancePlus. J’ai créé, il y a douze ans, un fonds d’investissement en capital-risque, longtemps adossé au Crédit lyonnais puis au Crédit agricole et devenu récemment indépendant. Mon métier consiste à financer des entreprises innovantes et possédant un potentiel de croissance, essentiellement par le biais des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) dont je suis un grand partisan. Notre fonds a financé 130 entreprises dans les secteurs les plus en pointe, comme les technologies de l’information et les sciences médicales, en leur apportant 350 millions d’euros en capital, soit près de 3 millions d’euros par projet en moyenne.
Une industrie du financement de l’innovation s’est développée en France depuis dix ans grâce à des outils comme les FCPI qui ont compensé la baisse de l’engagement des banques et des assurances dans ce domaine.
C’est au titre de mon activité, essentielle pour l’expansion de nos entreprises, que j’interviens depuis sept ans chez CroissancePlus.
M. François Bergerault, membre de CroissancePlus. Il y a huit ans, j’ai constitué avec mon frère L’Atelier des Chefs qui dispense des cours de cuisine. Alors que l’on nous conseillait de débuter à l’étranger, nous voulions situer le point de départ de cette aventure en France.
Le chiffre d’affaires de cette société est proche de 15 millions d’euros. L’entreprise emploie 130 salariés en France, à Londres et à Dubaï, notre activité nécessitant beaucoup de main-d’œuvre. Nous souhaitons poursuivre notre développement en France et au Royaume-Uni, et nous implanter en Allemagne, en Espagne et en Italie. Pour ce faire, nous avons besoin de financement.
L’Atelier des Chefs démontre qu’il est encore possible de créer une entreprise reposant sur une idée simple.
M. Olivier Duha. L’environnement réglementaire ne favorise pas la création et le développement des entreprises. Le cabinet Ernst & Young a publié un baromètre sur les conditions dans lesquelles les entrepreneurs agissent dans les pays du G20 : la France se classe au dix-neuvième rang !
Le coût de la production dans notre pays est élevé. Les centres d’appel emploient 300 000 personnes, soit 1 % de la population active ; ce taux est de 2 % en Allemagne et au Royaume-Uni. Une heure de travail d’un opérateur coûte 28 euros en France contre 24 en Allemagne, 21 au Royaume-Uni, entre 19 et 20 euros en Espagne et moins de 15 euros au Maroc et en Tunisie.
Si le prix du travail est plus élevé en France, cela n’est pas dû au salaire net. Certes, le salaire minimum français est le plus élevé d’Europe, mais les grilles salariales allemandes reposent sur des accords de branche dont les planchers sont à peine inférieurs au SMIC. En revanche, ce dernier est indifférencié alors qu’il est progressif au Royaume-Uni – il serait d’ailleurs utile de débattre de sa modulation pour les jeunes de 17 à 24 ans qui sont très touchés par le chômage.
Les charges sociales pesant sur le travail expliquent davantage ce différentiel de coût puisqu’elles constituent la source principale du financement de la protection sociale. Néanmoins, ce poids est amoindri par les allègements Fillon qui portent sur les salaires allant jusqu’à 1,6 fois le SMIC.
Mais c’est d’abord le temps de travail qui justifie le niveau du coût de production en France. Le salaire – charges sociales comprises – correspond à 42,5 heures travaillées par semaine en Allemagne, contre 35 en France. La mise en place des 35 heures a engendré il y a quinze ans une hausse immédiate du coût du travail de 11 % dont les effets dévastateurs n’ont toujours pas été absorbés par les entreprises, notamment dans les secteurs qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre.
Les mesures annoncées par le Premier ministre en matière de compétitivité suscitent de notre part une appréciation mesurée. Le montant consacré à la diminution des charges pesant sur le coût du travail s’avère insuffisant et n’est pas de nature à provoquer un choc de compétitivité. Fixé à 20 milliards d’euros, il ne compensera même pas l’accroissement de 30 milliards d’euros de la pression fiscale pesant sur les entreprises mis en œuvre par les dernières lois de finances initiales et rectificatives. En outre, le calendrier prévoit que ces dispositions seront appliquées entre 2014 et 2016, ce qui n’est pas adapté à l’urgence que requiert la situation des entreprises. Enfin, le crédit d’impôt est assimilable à une niche qui contribue à l’instabilité dans laquelle évoluent les entreprises. L’environnement concurrentiel se transforme en permanence, ce qui rend indispensable la constance de la norme fiscale. Cette absence de permanence de la règle provoque de l’attentisme chez les chefs d’entreprises qui ne vont investir ou réduire leurs prix qu’en 2014, une fois ce crédit d’impôt effectivement perçu.
M. Christian Poyau. Le coût du travail, en Allemagne, une fois prise en compte la durée hebdomadaire d’activité, est 12 % à 15 % inférieur à ce qu’il est en France. Ce handicap existe aussi par rapport à d’autres pays européens.
Cela entraîne des conséquences négatives pour le financement des entreprises. Or, la clef de leur développement réside dans la faculté de drainer des capitaux. La Bourse en constituait une source, mais elle s’est tarie. En effet, les particuliers n’ont aucun intérêt à acquérir des actions de société puisque cet investissement est le plus risqué et le plus taxé. Les PME allemandes ont principalement recours à l’autofinancement ; elles peuvent se le permettre, car leur taux de rentabilité s’établit à 15 % contre 5 % en France.
Mon entreprise s’est récemment implantée en Chine – non pour réimporter en France des produits que nous y produirions, mais pour lancer notre activité sur le marché local. Nous n’avons bénéficié d’aucune aide, même si Ubifrance a organisé des rencontres avec des acteurs locaux. Par manque de capitaux, des entreprises de taille plus modeste ne peuvent développer leur activité internationale.
M. Olivier Duha. La baisse du coût du travail est une question de survie pour certaines entreprises. Beaucoup de PME et de TPE entrent dans cette catégorie, alors que, depuis vingt ans, 82 % des emplois sont créés par des sociétés de moins de 250 salariés.
La concurrence entre les industriels, qui occupent un secteur où l’innovation et la différenciation des produits sont faibles, se focalise sur le prix de vente des biens. La baisse du coût de fabrication est donc cruciale pour leur compétitivité.
Les entreprises qui peuvent se distinguer par le progrès technique ont besoin de capitaux qui dépendent de leur taux de marge. La diminution du coût de production leur permettra d’accroître leur bénéfice et d’investir dans la recherche et le développement, car le profit des entreprises est l’équivalent du pouvoir d’achat des ménages. Or, les taux de marge n’ont cessé de se dégrader depuis douze ans : à l’époque, le rapport entre la marge brute et la valeur ajoutée était de 40 % alors qu’il ne se situe plus qu’à 28 % aujourd’hui ; dans la même période, ce ratio s’est maintenu à 40 % en Allemagne.
M. François Bergerault. Lorsqu’un Atelier des Chefs est ouvert, le délai pour qu’il devienne rentable s’élève à un an. Le chiffre d’affaires réalisé lors des dix premiers mois de cette année se monte à 8 millions d’euros. Les salaires représentent un coût de 3 millions, les charges sociales, 1,3 million, et les impôts, 244 000 euros. À la fin du mois d’octobre, la société perdait 700 000 euros, alors qu’elle avait déjà acquitté plus de 1,5 million d’euros de prélèvements obligatoires. Bien que chaque Atelier soit rentable, cette situation fait peser un risque sur l’entreprise, qui lui coupe l’accès aux circuits de financement. Non innovante, elle ne peut, de surcroît, bénéficier du crédit d’impôt recherche.
Mon implantation au Royaume-Uni m’a permis de constater que le prélèvement global, à la fin du mois d’octobre et donc avant le paiement de l’impôt sur les sociétés, atteignait 3,5 % du chiffre d’affaires au Royaume-Uni alors qu’il dépassait les 19 % en France. Pour une entreprise qui n’est pas ultra-bénéficiaire et ne verse pas de dividendes, un tel taux représente une menace : en l’occurrence, il ne s’agit même pas d’être compétitif par rapport aux Allemands ou aux Chinois, il s’agit simplement de survivre !
M. Antoine Colboc. L’avantage comparatif de la France est de produire des biens et des services à forte valeur ajoutée qui nécessitent de l’innovation. Pour cela, il faut de l’investissement, que permettent d’abord les bénéfices, mais aussi l’endettement et l’apport de capital. Les banques cherchent actuellement à reconstituer leur bilan et ont donc tendance à restreindre les prêts aux entreprises pour leur trésorerie – le canal étant moins tari pour le financement d’acquisition de biens ou de machines. Les obligations constituent un autre vecteur de financement des entreprises, mais il est peu développé en France contrairement à l’Allemagne ; le Gouvernement doit l’encourager, l’un des enjeux résidant dans la possibilité de noter le risque pour les petites entreprises.
Les particuliers sont incités à investir dans les entreprises par le biais d’instruments comme les fonds d’investissement de proximité (FIP) ou les FCPI qui bénéficient d’avantages fiscaux. Mais les ménages placent beaucoup moins leur épargne dans de tels produits aujourd’hui. Le système financier institutionnel – constitué des banques et des assurances – a notamment pour mission de transformer des dépôts à vue liquides en une épargne longue nourrissant les entreprises. Les excès passés de ce secteur ont entraîné un renforcement de la réglementation qui réduit sa capacité d’action. Les entreprises peuvent également réinvestir leurs revenus ou participer à des fonds d’investissement. Ce sont les grandes entreprises de technologie qui contribuent principalement à ces fonds afin d’externaliser leurs dépenses de recherche et de développement. Il s’agit d’une ressource financière que nous proposons de stimuler. Quant à l’État, il ne doit pas se substituer au système financier mais il doit l’accompagner. La création de la Banque publique d’investissement (BPI) soulève un grand espoir. Mais les acteurs publics doivent susciter la participation d’autres financements privés car le système financier ne doit pas être nationalisé.
Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs les députés, la situation du financement de l’investissement des entreprises n’est pas des plus favorables.
M. Olivier Duha. Dans la chaîne de financement, le temps que prennent les grandes entreprises pour payer leurs sous-traitants et leurs fournisseurs est trop long. La loi fixe à soixante jours le délai de paiement. Or seul un tiers des sociétés respecte ce plafond, ce qui contribue à porter le délai moyen à soixante-douze jours. La loi le fixe à trente jours en Allemagne et deux tiers des entreprises ne dépassent pas ce seuil, si bien que le paiement intervient en moyenne au bout de trente-huit jours. En France, un jour de retard dans l’acquittement de la facture représente un manque global de 1 milliard d’euros dans les trésoreries des TPE et des PME, alors même que ce crédit interentreprises est leur première source de financement – il représente plus du double des encours bancaires mobilisés en leur faveur. Une étude conduite par la Commission européenne a montré qu’un quart des défaillances d’entreprises dans l’Union européenne était lié au non-respect des délais de paiement. Lorsqu’un simple contribuable s’acquitte de ses impôts en retard, il subit des pénalités. Lorsqu’il s’agit d’un grand groupe, rien ne se passe. L’État doit se doter d’un organe de contrôle et de sanction pour faire respecter la loi, car les entreprises n’ont pas les moyens de contraindre les mauvais payeurs à honorer leurs dettes.
M. Laurent Furst, président. Mais les grandes entreprises peuvent également connaître des difficultés financières...
M. Olivier Duha. Les sociétés du CAC 40 disposent de 140 milliards d’euros de trésorerie. La loi doit tout d’abord être appliquée ; dans un second temps, il faudra rapprocher le délai légal de paiement du seuil de trente jours.
Une autre spécificité française contrarie le potentiel de croissance de nos entreprises : le droit du travail. Les entrepreneurs ont peur d’embaucher, car cela représente un investissement difficilement réversible. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est une procédure lourde, complexe et longue – entre neuf et dix-huit mois. Son coût est élevé : dans mon entreprise, il s’élève à 40 000 euros par salarié, ce qui représente huit ans et demi de contrat par employé. Vecteur de rigidité, le PSE rend difficile l’ajustement de l’emploi à la conjoncture et incite au recours à l’intérim et aux contrats à durée déterminée qui sont les seuls instruments de flexibilité – néanmoins chers puisque les CDD incluent une prime de 10 % de précarité – de notre droit du travail. C’est un cercle vicieux, car la souplesse renchérit le coût du travail, déjà trop élevé.
Cette situation affecte l’agilité de nos entreprises qui, insérées dans un contexte de concurrence internationale exacerbée, ne peuvent se développer et ne peuvent relever le défi d’une économie où ce ne sont plus « les gros qui mangent les petits » mais « les rapides qui dévorent les lents ». Or seule la croissance de l’activité peut assurer la protection de l’emploi des Français. L’inverse est faux.
M. Christian Poyau. En France, le licenciement d’un cadre coûte six à neuf mois de son salaire alors que, en Allemagne, le coût, fixe et donc connu à l’avance, est de quatre ou cinq mois. L’activité s’est contractée en 2008 et en 2009 : dans mon entreprise, nous avons dû procéder à des licenciements – ce qui n’est jamais agréable –, notamment parce que les syndicats du secteur ont refusé le chômage partiel qui n’a mis que quinze jours à être mis en place en Allemagne. Dans ce pays, les entreprises ont pu conserver leur taux de marge, leurs collaborateurs – l’État ayant compensé une partie de leur manque à gagner – et ont ainsi pu profiter immédiatement de la reprise en 2010, ce qui n’a pas été notre cas.
M. Olivier Duha. Nous devons moderniser notre droit du travail afin de rendre les entreprises plus agiles, tout en ayant le souci de protéger nos salariés. Cessons donc de penser qu’un accroissement de la flexibilité se fera à leur détriment, comme le prétendent les organisations syndicales. Dans les pays d’Europe du Nord, les chefs d’entreprise et les syndicats ne sont pas en opposition. La mise en place d’un contrat de travail unique assorti de droits progressifs et d’un barème d’indemnités de chômage tenu à jour sur le fondement de critères sociaux et d’ancienneté permettrait aux entrepreneurs de bénéficier de plus de souplesse tout en assurant la protection des salariés. Le contrat à durée déterminée et le contrat d’intérim ont désormais pris trop d’importance et une telle précarité nuit à notre société.
Lorsqu’une entreprise va bien, il relève de la responsabilité du chef d’entreprise d’assurer « l’employabilité » de ses salariés en investissant dans leur formation. Un tel investissement permet à celui-ci d’anticiper d’éventuelles difficultés nécessitant des allègements de structure et confère aux salariés formés une véritable capacité de rebond. Mais en période difficile, l’État doit aider les entreprises à être plus réactives. En France, le système fonctionne à l’envers : lorsque la situation est favorable, les collectivités apportent des aides aux entreprises pour les attirer sur leur territoire. Ces aides financières sont disproportionnées et inutiles dans la mesure où une entreprise qui embauche est en bonne santé. En revanche, lorsqu’une entreprise va mal, le système est extrêmement lourd, pénalisant et coûteux. Inversons ce système. Un chef d’entreprise ne licencie jamais par plaisir mais uniquement parce que son entreprise va mal.
Enfin, la France ne parviendra pas à retrouver l’élan de compétitivité attendu si le niveau actuel de nos dépenses publiques n’est pas ramené à celui du reste de la zone euro – dont il s’est fortement éloigné : ce niveau nous empêche de diminuer durablement la pression fiscale pesant sur le travail, les ménages et les entreprises. Lors de sa conférence de presse, le chef de l’État a rappelé que nos dépenses publiques ont augmenté en quelques années de 5 % de PIB, passant de 52 à 57 %. Pour autant, les services publics de santé, d’éducation et de défense ne sont pas meilleurs qu’auparavant. La France doit vivre et faire vivre ses fonctions régaliennes avec un niveau de dépenses comparable à celui de nos voisins : en Allemagne, il est inférieur de 8 points, c’est-à-dire de 170 milliards d’euros. Or les Allemands sont 25 millions de plus que les Français et ne sont ni moins bien soignés ni moins bien protégés. Le niveau structurel de notre dépense publique irradie toute notre économie.
M. Laurent Furst, président. Notre question portait plus précisément sur les compensations nécessaires. Par ailleurs, si l’on vous remettait les clefs du pays, quelles sont les cinq mesures que vous prendriez pour le redresser ?
M. Olivier Duha. La France, qui doit avoir l’ambition de redevenir la locomotive de l’Europe, ne pourra retrouver son rang d’autrefois sans miser sur son appareil productif. Ne comptons pas sur les ressources de nos sous-sols pour enrichir le pays mais sur la capacité de création et d’innovation des entrepreneurs. Créons un écosystème entrepreneurial grâce à un environnement réglementaire favorable. Un chef d’entreprise est un skipper de voilier : s’il ne perd jamais le cap, mieux vaut qu’il ait le vent en poupe plutôt qu’en face de lui.
Quant à l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, c’est sans doute la décision la plus préjudiciable qui ait été prise au cours des six derniers mois. En France, il se crée tous les ans 300 000 entreprises (auto-entrepreneurs exclus). Dix ans plus tard, seules 300 d’entre elles auront réalisé plus de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires tandis que les deux tiers auront complètement disparu. La création d’entreprise est donc un exercice extrêmement risqué. Si l’État ponctionne 60 % de ce que crée un entrepreneur ayant tout quitté pour monter son entreprise – si jamais il y réussit –, ou de ce que son « business angel », financeur de la première heure, l’a aidé à créer, comment voulez-vous que l’on ait envie d’investir dans ce pays ? Quel intérêt l’État a-t-il à contrarier notre potentiel entrepreneurial, sachant que, sans entrepreneur, il n’y aura pas de croissance ?
M. Christian Poyau. Je propose trois mesures.
La première : créer un contrat de travail unique, simple et précis.
La deuxième : réformer le temps de travail. De notre point de vue, les 35 heures ont constitué une erreur monumentale qui, accessoirement, coûte 15 milliards d’euros par an à l’État, celui-ci payant les entreprises pour qu’elles autorisent leurs salariés à moins travailler.
La troisième : faire en sorte que la fiscalité d’investissement soit plus attractive que la fiscalité de placement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
M. François Bergerault. Réconcilions l’entreprise et les Français ! Chaque fois que vous vous adressez à des journalistes ou que vous parlez entre vous, quelle que soit votre sensibilité politique, je vous en prie dites que l’entreprise, c’est bien !
Nous ne sommes pas de grands patrons n’ayant pour ambition que de générer un maximum de profits ou de nous enrichir au détriment de nos salariés. Venez nous rendre visite dans nos entreprises : pas un de mes salariés ne me considère comme un affreux patron et je n’en considère aucun comme un esclave ! Nous avons besoin de créateurs d’entreprises fiers de leurs salariés et de salariés fiers de leurs entrepreneurs.
M. Laurent Furst, président. Vous parlez tous de création d’entreprise mais jamais de reprise alors qu’il s’agit d’un problème majeur au regard de l’âge moyen des dirigeants qui sont propriétaires d’entreprises.
M. Olivier Duha. Si nous n’en avons pas parlé, c’est que les entrepreneurs de CroissancePlus ayant créé leur société sont avant tout des créateurs d’entreprises encore assez jeunes. Vous avez néanmoins raison : les entrepreneurs qui souhaitent céder leur entreprise ne trouvent souvent aucun repreneur, par manque de contact ou d’information. Il conviendrait de créer le « Meetic de la reprise d’entreprise », encore inexistant actuellement.
M. Antoine Colboc. Il s’agit certes de trouver des candidats à la reprise d’entreprise, mais existe-t-il des fonds d’investissement disponibles pour financer de telles opérations ?
Mme Corinne Erhel. Quel est, selon vous, l’impact d’une politique de filière et de régulation dans le secteur des télécommunications ? L’Allemagne a su, mieux que la France, organiser ses filières et les relations entre les grands groupes et les PME.
Depuis 2011-2012, le bouleversement qu’a connu la téléphonie mobile en raison de la baisse des marges des opérateurs s’est-il fait sentir dans vos activités et dans vos relations avec vos donneurs d’ordres opérateurs de télécommunications ? Comment jugez-vous l’évolution de la relation de services au client – qui s’établit désormais en ligne et non plus par téléphone – et comment vous y préparez-vous ? Assiste-t-on à une augmentation des délocalisations ? Comment développer des offres différenciées ?
M. Olivier Duha. Le passage de l’intensité concurrentielle, vertueuse lorsqu’elle incite à l’innovation, au « very low cost » – facteur d’appauvrissement pour une filière – a toujours un impact dévastateur : l’introduction d’un quatrième opérateur dans la filière des télécommunications a induit une destruction de marges très importante, bien supérieure à celle qu’avaient anticipée les opérateurs historiques, contraints de réduire leurs coûts de production par un recours exacerbé à l’informatisation, à l’automatisation, à la robotisation et aux délocalisations.
Dans ma filière, l’effet fut immédiat. Certaines activités ont été arrêtées, les opérateurs ayant mis fin à leurs relations client pour certains forfaits sans engagement, le consommateur étant renvoyé aux forums de discussion en ligne en cas de problème. Certaines activités ont effectivement été délocalisées afin de fournir le même niveau de qualité à moindre coût. Enfin, la relation au client s’est déshumanisée avec le remplacement de l’homme par la machine et la mise en place de serveurs vocaux interactifs et d’automates, plus dangereuse encore que les délocalisations. Depuis neuf mois, la filière des télécommunications a perdu entre 20 et 25 % de ses effectifs en France, soit 7 000 à 8 000 emplois.
L’une des huit commissions de CroissancePlus est chargée d’identifier les meilleures pratiques de la zone euro en matière de relations entre les grands groupes et les PME, afin de faire évoluer la culture et le mode de fonctionnement des grands groupes. L’exemple des délais de paiement illustre le peu de cas que ceux-ci font de la préservation du tissu de leurs sous-traitants et de la qualité de leurs fournisseurs. Et, lorsqu’il s’agit de faire des choix, les grands groupes n’ont pas le réflexe du patriotisme économique. Ce n’est pas du protectionnisme pour le directeur des achats d’un groupe français que de privilégier, à coût et à qualité équivalents, les PME françaises. Nos concurrents allemands, américains et chinois le font.
M. Antoine Colboc. La proposition du rapport Gallois d’adopter un Small Business Act à la française n’a pas été reprise par le Gouvernement Ayrault.
Mme Corinne Erhel. Elle figure parmi ses objectifs.
M. Olivier Duha. La loi dite Chatel nous a porté un grand préjudice en rendant obligatoire la gratuité des hotlines – ce qui a également incité les industriels à s’implanter dans des zones à bas coût. Au cours des quinze dernières années, on a beaucoup arbitré en faveur du pouvoir d’achat du consommateur, ce qui a eu un impact direct sur l’emploi. Et notre offre industrielle s’est complètement uniformisée. Laissons donc au client le soin de choisir entre différentes qualités de service, comme c’est le cas pour le train ou l’avion. Sans détricoter la loi Chatel, il est tout à fait possible d’en faire cohabiter les dispositions avec une offre de service d’assistance prioritaire, sans serveur vocal interactif ni automate, cofinancée par les consommateurs qui le souhaitent. Cette ligne de revenu supplémentaire rendue aux opérateurs de télécommunications les inciterait à rester en France.
Mme Corinne Erhel. La mise en place d’une offre différenciée suppose le maintien d’une qualité de service suffisante pour l’offre dite « de base ». C’est pourquoi je préfère la notion d’offre différenciée à celle d’offre qualifiée de « premium ».
M. Olivier Duha. Certains pays ont été dirigistes en manière de législation des hotlines, conditionnant l’obtention d’un numéro spécial – Indigo, Vert… – au respect d’un cahier des charges incluant un temps de réponse d’une ou deux minutes au maximum pour 80 % des appels.
M. Christian Poyau. Nous, qui fournissons des portails web à Bouygues Télécom, devrions nous réjouir de la diminution du nombre des centres d’appel. Or, dans ma société, le nombre de personnes pour gérer tous ces sites web est passé de 120 à 70, en raison de la diminution des profits et donc des investissements de Bouygues. Il est bénéfique à tous que de grandes entreprises réalisent des profits, car ils sont réinvestis. Il ne s’agit donc pas de diminuer les profits des grandes entreprises, mais d’augmenter celui des petites.
M. Laurent Furst, président. Depuis deux jours, l’installation d’un centre de distribution d’Amazon dans le nord de la France a suscité la satisfaction générale. Elle est positive pour la région en question, mais ne fera pas vendre un livre de plus en France. Elle ne constitue qu’un transfert d’activité d’un secteur à un autre. C’est donc un jeu à somme nulle, voire à somme négative.
Mme Jeanine Dubié. Vous estimez que l’un des préalables nécessaires est la réduction de la dépense publique. Or l’un des objectifs du Gouvernement est le retour à un déficit public inférieur à 3 % du PIB et toutes les mesures qu’il a prises sont allées dans ce sens. Manifestement, cela ne vous convient pas. Qu’auriez-vous fait à sa place ?
M. Olivier Duha. La priorité, voire l’obsession qu’a le Gouvernement de ramener les déficits publics sous la barre des 3 % du PIB est saine et nous y souscrivons tout à fait. Cependant, il convient de distinguer les déficits publics de la dépense publique. Celle-ci est de l’ordre de 57 % de notre PIB, soit 10 % de plus que dans la zone euro. Ce niveau de dépenses élevé nécessite des recettes correspondantes, c’est-à-dire une pression fiscale qui s’exerce sur les entreprises et les consommateurs. Relancer la compétitivité de notre économie et la consommation implique une diminution de cette pression fiscale et donc de la dépense publique. Si la France avait le même niveau de dépenses publiques que la zone euro, comme le préconise François Hollande lui-même, elle économiserait 170 milliards d’euros, à comparer aux 20 milliards d’euros de détaxation du Plan Ayrault.
Mme Jeanine Dubie. La dépense publique et le système de protection sociale atténuent cependant les effets de la crise. En Espagne, ces effets sont dramatiques.
M. Olivier Duha. Certes, les dépenses publiques financent notamment une politique généreuse d’indemnisation du chômage, amortisseur que nous ne souhaitons pas voir disparaître. Mais ni le départ à la retraite à soixante ans ni les 35 heures ne relèvent de la protection sociale ! Et moins travailler ne constitue pas un progrès social ! Ces mesures ont des conséquences très lourdes.
En outre, le fonctionnement de l’État et de son millefeuille administratif coûte cher à la France qui dispose du taux d’externalisation des fonctions non régaliennes de l’État le plus faible d’Europe. Mon entreprise fournit à Pôle Emploi des prestations – fonctions-supports d’ordre strictement administratif – qui coûtent 40 % moins cher à cette agence, pour un taux de satisfaction 30 % supérieur ! Afin d’économiser les deniers publics et de fournir des débouchés à nos entreprises, la France doit lancer un grand plan d’externalisation de ce type de fonctions. C’est tout le sens du Small Business Act.
M. Laurent Furst, président. Les 35 heures sont à la fois un cancer économique et un progrès social. Je partage l’idée que, en période de crise, le système social joue un rôle d’amortisseur, mais, revers de la médaille, son coût est un facteur de non-compétitivité.
M. Olivier Duha. Un système de protection sociale qui n’est pas financé est tout de même artificiel ! Et cela fait trente-huit ans que ça dure !
M. Laurent Furst, président. J’en suis tout à fait convaincu puisque la commune que je gère n’aura pas un euro de dettes l’an prochain.
M. Christian Poyau. Autre exemple : sans doute aurions-nous procédé différemment, mais la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi va dans le bon sens. Il représentera 0,7 % de la masse salariale. Cependant, dans le même temps, une taxe complémentaire a été mise en place pour financer la remise en œuvre du départ à la retraite à soixante ans. Elle représente un coût de 0,1 % de cette masse salariale.
M. Laurent Furst, président. Par ailleurs, le versement transport va augmenter.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cette augmentation a été votée à l’unanimité !
Nos points de vue de départ étant très différents, je ne synthétiserai pas vos propos mais souhaite aborder quelques points concrets.
Le projet de loi de finances en cours d’examen prévoit une extension du crédit d’impôt recherche aux dépenses d’innovation. Cette réforme est nécessaire. Sans aller jusqu’à prévoir des contreparties à cet avantage ni des contrôles tatillons, comment garantir le bon usage de cette dépense fiscale ? Par exemple, des dépenses correspondant plutôt à du marketing qu’à de l’innovation doivent-elles bénéficier de ce crédit d’impôt, qui coûte actuellement la somme non négligeable de 5 milliards d’euros par an ?
Quant au crédit d’impôt compétitivité, il redonne des marges de manœuvre aux entreprises, mais que faire s’il est détourné de son objectif ? Son coût est estimé à 20 milliards d’euros par an, somme minime au regard du budget de l’État mais importante néanmoins, qui correspond peu ou prou aux actuels allègements de cotisations sur les bas salaires. Que pensez-vous de l’idée de contrôler l’utilisation de cet argent public ?
Enfin, en matière de droit du travail, nous débattons depuis plusieurs années en France de l’idée de « flexisécurité ». Les organisations de salariés que j’auditionne me parlent beaucoup plus de sécurité que vous, qui avez davantage insisté sur la flexibilité. Cela est bien normal mais, afin de rapprocher les points de vue et de renforcer les synergies dans notre pays, que représente pour vous la sécurité des salariés de vos entreprises ?
M. François Bergerault. Il y a trois ans, j’ai pu bénéficier du crédit d’impôt recherche lorsque, ayant commencé à proposer des cours de cuisine en ligne, j’ai embauché un ingénieur polytechnicien dans mes équipes. Depuis que ce salarié m’a quitté pour rejoindre Google, je n’ai plus droit à ce crédit d’impôt. Pourtant, je continue à développer la même société et fais toujours autant d’innovation. Cessons donc de taxer autant l’emploi tout en offrant de l’autre côté des aides à ceux qui hurlent le plus fort ! Une entreprise est-elle bonne parce qu’elle fait de l’internet ou parce qu’elle propose des cours de cuisine ? Une entreprise est bonne parce qu’elle embauche des salariés ! Si vous réduisez drastiquement les charges sociales, plus personne ne réclamera de crédit d’impôt.
M. Olivier Duha. S’agissant du crédit d’impôt innovation, il convient d’utiliser le système du rescrit fiscal qui permet d’énumérer la liste des dépenses pouvant en bénéficier. Nous souhaitons un dispositif clair, simple, lisible et stable.
Quant au crédit d’impôt compétitivité, je regrette que l’on éprouve le besoin de réfléchir à des contreparties et à des contrôles. Une suspicion permanente pèse sur les chefs d’entreprise et sur la manière dont ils peuvent utiliser ce que l’on considère implicitement comme un « cadeau » qui leur est fait ! Lorsque vous augmentez la taxation des entreprises, quelles contreparties leur offrez-vous ? Les entreprises françaises sont les plus taxées et les moins bénéficiaires d’Europe ! La France perd des parts de marché dans tous les secteurs, notre balance commerciale est largement déficitaire et nous devons remettre nos entreprises dans le droit chemin. Tout le monde le reconnaît et pourtant, lorsqu’on met en place une mesure fiscale, on parle immédiatement de contreparties ! Cette défiance est très irritante pour un chef d’entreprise. On a l’impression que c’est sans conviction que vous avez commandé le rapport Gallois et proposé le Plan Ayrault. Nous ne retrouverons pas le chemin de la croissance si nos entreprises ne sont pas dynamiques. J’ignore ce que feront les chefs d’entreprise de cet argent. Pour certains d’entre eux, c’est une question de survie. D’autres le réinvestiront dans l’innovation ou encore diminueront le prix de leur produit final pour redevenir compétitifs. D’autres enfin verseront peut-être des dividendes à leurs actionnaires, mais, sans ces financeurs, il n’y a pas d’entreprise et il n’est pas répréhensible de les rémunérer davantage afin de les conserver et d’éviter qu’ils n’aillent financer, à la place, des entreprises allemandes, britanniques ou italiennes. Ce crédit d’impôt ne doit faire l’objet d’aucune contrepartie.
Enfin, lorsque nous vous demandons de la flexibilité et de l’agilité, vous exigez encore une fois des contreparties ! Je vous ferai donc la même réponse : la France ayant le droit du travail le plus rigide au monde, nous n’envisageons nullement d’accroître cette ultra-régulation et cette ultra-protection dont nous souffrons tant. Bien au contraire ! La « flexisécurité » consiste à conférer de l’agilité et une capacité de rebond au chef d’entreprise, et à s’assurer qu’au cas où il doit un jour licencier ou diminuer ses capacités de production, l’État dispose d’un mécanisme d’aide à la réinsertion, pour former les personnes concernées et ainsi garantir leur employabilité. Cette responsabilité relève de l’État et non plus de l’entreprise. Il est normal que les entreprises contribuent à favoriser l’employabilité de leurs salariés lorsqu’elles en ont les moyens, mais c’est surtout lorsque les choses vont mal qu’intervient la notion de « flexisécurité ». Il est très difficile de répondre aux organisations syndicales qui réclament des contreparties à cette flexibilité, car ce sont ces amortisseurs sociaux qui expliquent qu’il y ait 3 millions de chômeurs et autant de CDD et de contrats d’intérim en France. À trop protéger les salariés, la France est devenue une usine à fabriquer des contrats précaires.
M. Laurent Furst, président. Si l’on ne facilite pas les licenciements, ne risque-t-on pas d’inciter à la délocalisation d’activités ? Si créer une entreprise suscite autant d’inquiétudes, personne ne le fera.
M. Christian Poyau. Si jamais mon entreprise bénéficie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, j’expliquerai à mes salariés la manière dont il sera utilisé. Mais je suis totalement opposé à ce qu’il fasse l’objet de contreparties car il existe toutes sortes de cas de figure. Les entreprises françaises vont très mal, notamment les PME et les ETI : il y a d’ailleurs moins de 1 000 ETI en France, soit dix fois moins qu’en Allemagne. Nous en sommes encore à la préhistoire ! Nous sommes au bord du gouffre, on ne nous tient plus que par une main, on nous en tend une deuxième en nous demandant d’abord de lâcher la première ! Faites donc confiance aux chefs d’entreprise ! Ils sont comme les journalistes, les hommes politiques, les médecins et les plombiers : ce sont globalement des gens bien qui se battent au jour le jour pour leurs entreprises.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Exigeons alors au moins de la transparence de leur part, comme pour les hommes politiques !
M. Christian Poyau. Les entreprises doivent expliquer leurs choix mais surtout, ne leur imposez aucune mesure coercitive !
M. Olivier Carré. On pourrait effectivement assouplir le code du travail – les organisations syndicales reconnaissant elles-mêmes les blocages qu’il suscite – et, en contrepartie, favoriser une plus grande cogestion du crédit d’impôt, ce qui correspond aux réalités microéconomiques des entreprises. Cette idée est d’ailleurs dans les intentions des ministres du travail et de l’économie – qui, à cet égard, ont pris à contre-pied une grande partie de la majorité. Par contre, l’intention qu’a le législateur de mettre en place une cogestion du dispositif ne veut pas dire qu’il soit souhaitable d’imposer des critères de gestion de celui-ci.
Certes, l’opinion a, de nouveau, confiance dans le travail et dans les entreprises. Elle reste toutefois défiante à l’égard des équipes dirigeantes, et cette défiance est plus forte en France que dans les autres pays.
M. Olivier Duha. À titre personnel, je suis très favorable à la cogestion, au rapprochement entre les salariés et le monde entrepreneurial et du capital, ainsi qu’au renforcement de la participation des représentants des salariés à nos prises de décision de management. Mes prédécesseurs et moi-même nous sommes d’ailleurs battus en faveur du développement de l’actionnariat salarié en France. Mais cela ne fonctionnera pas sur le fondement du système actuel tant la concentration du pouvoir syndical est importante. Je discute toute la journée avec des représentants de la CGT qui suivent la voix de Bernard Thibault – lequel a appelé à voter en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui, lui-même, veut la mort du système ! La politisation des corps intermédiaires, qu’ils soient syndicaux ou patronaux, pose un problème d’idéologie et de compétence aux chefs d’entreprise : on ne fait pas de politique dans une entreprise !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je ne suis pas d’accord, la question n’est pas là ! Favorisons l’accroissement du nombre de salariés syndiqués dans des organisations qui soient aussi représentatives que possible afin qu’ils participent aux décisions de l’entreprise.
M. Laurent Furst, président. Je remercie les différents intervenants pour cette audition éclairante à bien des égards.
Table ronde, ouverte à la presse, avec M. Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl Arc atlantique ; M. Gilles Benhamou, président-directeur général de Asteel Flash ; M. Matthieu Labbé, secrétaire général du Syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) ; M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato ; M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC) ; M. Jérôme Akmouche, directeur du SNDEC ; M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT) ; M. François Pénard, directeur des affaires sociales de l’UIT ; M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable « Industrie du poisson » à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale) ; M. Yves l’Épine, directeur général du groupe Guerbet ; M. David Warlin, responsable des affaires publiques du groupe Guerbet ; M. Philippe Robert, président-directeur général de la Générale du Granit ; M. Mathieu Coquelin, directeur de la Société de confection du Coglais ; M. Jacques Royer, président du groupe Royer ; M. Antonio da Silva, président de la Ferronnerie roncquoise ; M. Jérôme Frantz, directeur général de Frantz Electrolyse, vice-président de l’Institut de recherche en propriété industrielle (IRPI) et président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) ; M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) et Mme Irène de Bretteville, COOP de France
(Séance du jeudi 6 décembre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. M. Daniel Goldberg, rapporteur de la Mission d’information sur les coûts de production, et moi-même tenons à vous remercier, Madame, Messieurs, d’être venus aujourd’hui à cette table ronde qui rassemble des entrepreneurs représentatifs de la diversité de notre tissu économique.
Après avoir présenté votre activité, vous pourrez nous éclairer sur les questions cruciales du coût du travail, de la compétitivité dite « hors prix » et du décrochage des entreprises françaises sur les marchés national, européen et mondial.
Comment accueillez-vous les annonces du Gouvernement qui ont suivi la parution du rapport Gallois ? Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est-il un instrument efficace ? Comment jugez-vous les contreparties qui pourraient être exigées des entreprises ? Quelles sont les dispositions que vous souhaiteriez voir inscrites dans les textes législatifs ou réglementaires qui vont concerner ce crédit d’impôt ? Quelles sont celles que vous ne voudriez surtout pas y voir figurer ? Les allègements de charges sociales doivent-ils être concentrés sur les bas salaires ou doivent-ils, dans un objectif d’amélioration de la compétitivité de notre économie, concerner un éventail plus vaste des rémunérations ?
Enfin, quelles sont les réformes structurelles, voire sectorielles, dont vous préconisez la mise en œuvre ?
M. Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl Arc atlantique. Coopérative agricole structurée de l’amont à la filière aval, l’entreprise est située à Lamballe dans les Côtes-d’Armor. Cooperl Arc atlantique, née il y a quarante-cinq ans, regroupe 2 000 producteurs de porcs. Elle vise à accompagner nos adhérents dans l’ensemble des étapes de l’activité de la filière. Leader dans le secteur de la génétique porcine et de la nutrition du porc, elle représente une production de 6 millions de porcs par an, soit 20 % à 25 % de la production nationale. C’est la première structure française d’abattage de porcs – 120 000 par semaine – et de salaison. Enfin, Cooperl vient d’acquérir un petit réseau de boucheries de détail présentes dans les centres-villes.
Opérant sur le marché européen, les membres de la coopérative doivent pratiquer les mêmes prix que leurs concurrents. Or, le coût de la main-d’œuvre est trois fois moins élevé en Allemagne qu’en France. Cet écart a un impact sur la production qui décroît de 2 à 3 % par an en France, alors qu’elle progresse de 5 % en moyenne annuelle depuis une décennie en Allemagne. Aujourd’hui, l’existence de cette industrie de la viande – qui emploie 50 000 personnes en France – est menacée.
M. Gilles Benhamou, président-directeur général du groupe Asteel Flash. Créé en 2000, le groupe Asteel Flash est aujourd’hui le numéro 2 en Europe du manufacturing électronique. Présent dans huit pays – France, Chine, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, République Tchèque, Tunisie et Mexique –, il emploie 5 700 personnes, dont 1 200 en France, 2 000 en Chine et 1 000 aux États-Unis. Sa dimension internationale lui permet d’apprécier les données du marché du travail qui sont de nature à influencer le coût de production et la compétitivité. Le chiffre d’affaires réalisé en France ne représente plus actuellement que 22 % de celui du groupe.
L’une de nos préoccupations essentielles est relative aux distorsions en matière d’approche des marchés, qui existent entre notamment les Américains, les Chinois et les Français. Si nos industriels français développent tous leurs marchés dans des pays étrangers qui imposent eux-mêmes des règles significatives de « local contain », comment voulez-vous, à terme, avoir une industrie en France ? Quels que soient nos efforts en matière de prix ou de réduction de salaire, rien n’y fera si une telle distorsion subsiste. On ne créera pas d’emplois si l’on n’a pas de marchés en France. Même nos radars civils sont implémentés en Malaisie ! Avant de réduire le coût du travail, commençons donc par appliquer les mêmes règles que les autres pays ! Et je ne fais pas allusion uniquement aux pays en voie de développement. Moi, je n’ai aucun souci, je sais prendre les marchés en Californie, dans le New Jersey, mais je ne sais pas les prendre en France ! Commençons par nous poser concrètement les vraies questions sur les marchés publics et ceux des collectivités locales !
Par ailleurs, la flexibilité de l’emploi est un facteur essentiel qui conditionne la décision du groupe de créer des emplois en France ou de délocaliser. Nous ne pouvons en effet être compétitifs sur des marchés à fortes variations si le coût d’un licenciement représente dix années de salaires. Le personnel et la direction d’une entreprise doivent pouvoir établir des règles souples et citoyennes pour tenir compte de ce phénomène.
S’agissant des coûts de production, je félicite le Gouvernement pour sa décision. J’appelle en outre tous les journalistes ici présents à continuer à parler de l’entreprise et de la compétitivité qui a fait l’objet d’un parfait mutisme durant des dizaines d’années. Il a fallu attendre la parution d’un rapport évoquant la perte d’un million d’emplois industriels pour commencer à se réveiller ! J’en profite pour souligner que la mesure qui vient d’être adoptée aura pour effet de réduire les charges sociales non pas de 6 %, mais de 9 %, car le crédit d’impôt est exonéré fiscalement – 9 % de réduction de charges sociales sur les salaires et 33 % d’impôt, il reste 6 % en bas de ligne ! Ma seule réserve tient au fait que, contrairement à ce que préconisait le rapport Gallois, à savoir une concentration de l’effort sur les entreprises compétitives et industrielles, les mesures actuelles ont un champ d’application tellement large que leur impact sur la relance de la compétitivité ne sera sans doute pas significatif – seulement 20 % des entreprises bénéficiaires sont concernées par la compétitivité. Pour avoir un effet de levier nettement plus important, il aurait fallu concentrer les aides sur les entreprises compétitives.
Tels sont les trois thèmes qui me tiennent à cœur.
Enfin, je défie n’importe quel député d’arriver à établir un bulletin de salaire tellement c’est compliqué ! J’aimerais bien que l’on ait un peu conscience du travail que cela représente pour des entreprises auxquelles, du reste, des inspecteurs de la sécurité sociale n’hésitent parfois pas à appliquer des pénalités après six mois passés à procéder à des vérifications ! Et je ne parle pas du travail que cela représente pour les petites entreprises de moins de dix personnes ! Il y a donc beaucoup de sujets pratiques à traiter si nous voulons relancer notre industrie et créer de l’emploi.
M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato. Le groupe Arvato est une filiale du groupe allemand Bertelsmann. Il s’est implanté en France en 1996, à la suite du rachat d’un atelier de marketing direct situé près de Lens. Cette société, employant 380 personnes, était au bord du dépôt de bilan puisqu’elle accusait des pertes de 3 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros.
La stratégie de réinvestissement et de diversification permet aujourd’hui de dégager un chiffre d’affaires de 420 millions d’euros et d’employer 10 000 personnes en France et au Maroc, dont 6 500 dans notre pays. Depuis deux ans, Arvato est le leader français des centres de contact ; il est présent dans les secteurs de la logistique, du marketing direct et du marketing de services. L’activité reposant sur des bases logistiques fut transférée d’Allemagne en France il y a quinze ans, à une époque où le coût du travail était plus élevé de l’autre côté du Rhin. La décision serait probablement différente aujourd’hui !
Pour les centres de contact, la compétitivité coût s’évalue par rapport aux pays francophones. Même si les trois quarts de notre chiffre d’affaires sont générés en France – le dernier quart l’étant au Maghreb –, la compétitivité coût reste une préoccupation essentielle. Ainsi, le prix de la main-d’œuvre représente entre 70 % et 75 % de notre chiffre d’affaires. Son niveau pose la question du maintien de cette industrie en France. Plus généralement, il s’agit d’un sujet d’intérêt général touchant au développement de notre économie et de l’emploi.
M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC). Je dirige une entreprise familiale de décolletage, située en Haute-Savoie. Cette activité consiste à fabriquer des petites pièces métalliques de très haute précision. Baud Industries, l’un des leaders français de cette branche, travaille pour le secteur automobile – la moitié de notre production lui est destinée –, la connectique, le médical et l’horlogerie. Notre groupe est constitué de huit entreprises, dont trois sont installées en France, deux en Suisse, une en Pologne, une à Singapour et une en Tunisie.
Six cents entreprises de décolletage travaillent en France, dont 400 dans la vallée de l’Arve qui concentre la plus forte densité d’activité dans ce domaine au monde. Elles emploient 14 000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 2 milliards d’euros. Leurs concurrents sont mondiaux, les plus directs se situent en Allemagne mais aussi Outre- Atlantique et en Asie.
Le SNDEC a mis en place un groupe chargé d’évaluer le coût du travail en France et en Allemagne ; il en a comparé les résultats avec le ministère allemand de l’industrie qui a conduit la même étude. Il en ressort qu’un salarié travaillant dans le secteur du décolletage coûte 44 000 euros par an, charges comprises, à son entreprise en France, contre 34 000 euros en Allemagne. Cette différence ne s’explique pas par les salaires bruts, dont le niveau – comparable dans les deux pays – atteint, en moyenne, 26 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. L’écart provient des charges sociales qui représentent 10 % du chiffre d’affaires des sociétés françaises, contre seulement 5 % en Allemagne. Le taux de rentabilité est donc supérieur chez nos voisins, puisqu’il était compris, en 2010, dans une fourchette de 6 % à 7 % du chiffre d’affaires, contre 1,5 % à 2 % en France. Les marges de nos concurrents, trois fois plus fortes que les nôtres, leur permettent d’innover, de se développer, de recruter et de former davantage que nous pouvons le faire.
Nous avons accueilli très favorablement le rapport Gallois, mais sommes plus réservés sur les mesures prises par le Gouvernement. Les salaires allant jusqu’à 3,5 SMIC auraient dû entrer dans le champ du dispositif. Le pacte pour la compétitivité ne cible pas suffisamment l’industrie, puisque l’allègement qu’il génère représente 3,3 % de la masse salariale brute dans cette branche contre 4,3 % pour le commerce et 5 % pour les services. Ce sont donc des entreprises moins soumises à la concurrence internationale qui vont bénéficier principalement du CICE. Ce dispositif constitue une première étape certes utile, mais nettement insuffisante pour stimuler la compétitivité des entreprises françaises qui, seule, leur permettra de maintenir et de développer leur activité en France.
M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT). Tenthorey, l’entreprise familiale vosgienne de soixante personnes que je préside, réalise un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Elle cherchait, avant le 1er janvier 2005 et la fin des quotas dans le textile et l’habillement, à produire un volume permettant de gagner en productivité par l’abaissement du prix de revient. À la suite de ce changement, l’outil industriel et les qualifications des salariés ont été adaptés à une production en petite série. Les activités qui peuvent plus difficilement se différencier – comme la filature en amont – ont été abandonnées. Notre stratégie repose dorénavant sur la diversification des marchés. Ainsi, nous fabriquons, par exemple, 40 000 sacs de caisse en coton biologique pour Carrefour. Ce contrat possède un fort potentiel de croissance : il répond à une urgence environnementale, celle de remplacer les sacs en plastique ; il développe un partenariat entre un petit producteur et un grand distributeur ; il rejoint, enfin, des aspirations éthiques, exprimées par ceux que l’on nomme les « consom’acteurs ».
Le secteur du textile est présenté, depuis de nombreuses années, comme étant dans un état d’agonie prolongée. Or, en 2011, l’industrie textile française – composée de 2 300 entreprises dont 600 de plus de vingt salariés – a réalisé un chiffre d’affaires de 12,8 milliards d’euros, en croissance de 5 % par rapport à 2010. Ses 70 000 salariés travaillent dans la mode, la maison et les marchés techniques des transports, de la construction, de la santé, de l’emballage ou de l’agriculture. Ces marchés techniques représentent plus de 40 % de l’activité textile française. Depuis 2010, la branche emploie plus d’employés et de cadres que d’ouvriers, ce qui constitue une véritable rupture.
Le coût du travail atteint 60 % du chiffre d’affaires des confectionneurs de maille ou de lingerie et entre 20 % et 25 % dans les entreprises de tissage et dans celles de non-tissé. Le cabinet Werner a calculé que le coût de l’heure de travail dans l’industrie textile française s’élevait à 23,02 euros pour l’employeur, en 2011, contre 20,85 en Allemagne, 16,1 en Italie et 13,82 en Espagne. Il serait de 2,10 dollars en Chine et de 60 cents au Vietnam, mais nous ne nous comparons pas à ces pays en développement. Cette différence en Europe est due au poids des charges sociales, à l’absence de salaire minimum en Italie et en Allemagne et à son faible niveau en Espagne – 748 euros par mois en 2011 contre 1 365 en France, le SMIC horaire ayant augmenté de 41 % depuis 2001, alors que les prix n’ont progressé que de 21 %. Davantage que l’Allemagne, le principal concurrent de la France dans le textile est l’Italie. L’écart de 40 % du prix du travail au détriment de la France se retrouve dans la balance commerciale, qui a affiché un déficit de 884 millions d’euros dans ce secteur avec notre voisin transalpin en 2011.
Le prix des matières premières utilisées dans le processus de production – coton, polyester, laine, soie, polypropylène – connaît une grande volatilité : ainsi, le cours du coton a été multiplié par trois entre l’automne 2010 et mars 2011. Les grands producteurs – la Chine, l’Inde, le Pakistan et le Brésil – possèdent une industrie textile très développée, ce qui accroît la dépendance de l’Europe vis-à-vis de ces pays émergents qui ont la capacité de faire varier les prix ou de restreindre l’accès aux matières premières. L’Union des industries textiles cherche avec l’Union européenne à élaborer une diplomatie des matières premières qui permette de résoudre ce problème.
L’énergie occupe une part importante dans le coût de production, même si son poids se ressent davantage dans certains maillons de la filière textile – comme la production de fibres et de non-tissé qui consomme beaucoup d’électricité ou l’ennoblissement qui nécessite une grande quantité de gaz. Pour ces activités, le coût de l’énergie atteint 20 % du chiffre d’affaires des entreprises, qui sont donc sensibles à toute hausse du prix ou de la fiscalité énergétiques. Les PME industrielles doivent être protégées d’une augmentation brutale du coût de l’énergie et incitées, par une fiscalité « verte », à réduire leur consommation. Or, l’Union française de l’électricité a annoncé un accroissement des prix de l’électricité et du gaz. Si le nucléaire ne devait plus représenter que 50 % de la production d’énergie, le besoin d’investissement dans les énergies alternatives atteindrait 400 milliards d’euros, ce qui élèverait le prix du mégawatt par heure de 20 euros pour les entreprises, alors qu’il s’établit à environ 55 euros aujourd’hui.
Les taxes sur la production – taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), contribution au service public de l’électricité (CSPE) et impôts fonciers, dont la cotisation foncière des entreprises (CFE) – sont en progression ces dernières années ; elles atteignent 2,5 % de la valeur ajoutée et pèsent ainsi sur la compétitivité « coût » des entreprises industrielles.
S’agissant de la compétitivité « hors coût », le crédit d’impôt collection, propre au secteur de l’habillement et du cuir, doit être maintenu : il permet le renouvellement rapide des collections pour un coût budgétaire annuel inférieur à 150 millions d’euros. En outre, l’action d’Ubifrance doit être préservée, car elle a su créer des partenariats utiles pour l’exportation – y compris pour les branches dont la balance commerciale est déficitaire – en accompagnant les entreprises dans leur quête de relais de croissance sur les marchés étrangers. Dans l’industrie textile, 40 % du chiffre d’affaires des entreprises est réalisé à l’export.
Le CICE est une mesure positive pour trois raisons : sa montée en puissance ne durera que deux ans et non trois, si bien que les 20 milliards d’euros seront perçus dès 2014, ce qui aidera les entreprises à faire face à la dégradation de la conjoncture ; il s’ajoute aux allègements de charges sociales sur les bas salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC ; son ciblage est adapté à l’industrie du textile puisqu’il couvrira, selon COE-Rexecode, 80 % à 90 % de sa masse salariale.
Autre innovation heureuse, la création de la Banque publique d’investissement (BPI) permettra de lutter contre certains effets de la restriction du crédit. Cependant, des doutes subsistent quant à sa gouvernance nationale et régionale, au rôle accordé aux syndicats de salariés, au risque de clientélisme – selon M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, 90 % des engagements financiers seront décidés dans les régions – aux règles prudentielles applicables aux fonds d’investissement et aux opérations de financement, et aux garanties d’étanchéité entre les activités de prêt, d’apport de garantie et de fonds propres.
M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable « Industrie du poisson » à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale). Soixante-quinze entreprises constituent le tissu de l’industrie poissonnière, dont nous ne savons pas très bien si elle dépend du ministère des transports, de la mer et de la pêche ou de celui de l’agroalimentaire. Ce secteur emploie 12 000 personnes. Il élabore des produits – conserves de poisson, saumon et truite fumés, surimi, crevettes cuites ou aliments des Traiteurs de la mer – qui sont consommés pratiquement tous les jours par nos concitoyens. Chancerelle est un petit groupe familial breton, qui possède la plus ancienne conserverie de sardines encore en activité dans le monde – elle date de 1853. Nous produisons 80 millions de boîtes en France grâce au travail de 320 personnes, dont 70 % de femmes. Les conserves de sardines sont fabriquées à la main au cours d’un processus peu mécanisé. Nous privilégions les produits de qualité type « Label rouge » et « Pêche durable ».
Notre problème majeur, c’est la matière première, qui représente entre 45 % et 65 % du prix de revient. En effet, du fait de la baisse de la demande mondiale et de l’instauration de quotas, le prix du thon et de la sardine a augmenté de 60 % en deux ans. L’augmentation du prix du métal et du bisphénol A (BPA) – facteurs totalement exogènes – pèse également sur nos coûts. Les dépenses liées à l’éco-emballage ont progressé de 65 % en deux ans et celles liées au transport de 5 % à 8 %. Nous devons en outre faire face à des coûts – comme les frais liés à la logistique – transférés par nos clients. Enfin, les entreprises du secteur ont dû embaucher des juristes pour faire face à la multiplication des litiges. Ces dépenses supplémentaires n’étant pas répercutées dans les prix de vente, les marges des entreprises se réduisent, ce qui pose la question de la survie de notre activité.
L’augmentation globale de ces frais atteint 4,5 % à 5 %, alors que le gain escompté du CICE ne dépassera pas 0,3 % pour mon entreprise. Quant à l’écart du prix de revient entre la France et le Maroc – notre principal concurrent – s’élève à 40 %, dont 70 % sont dus aux matières premières, le reste provenant du coût horaire de la main-d’œuvre, onze fois inférieur au Maroc.
Le groupe Chancerelle a prouvé, depuis près de 160 ans, que la qualité permettait de vendre les produits plus chers. Cela nécessite un dialogue que nous parvenons à mener avec des enseignes étrangères, mais pas avec des établissements français. La démarche de négociation constructive échoue en France, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays. C’est d’autant plus préjudiciable que, pour exporter, nos entreprises doivent être fortes en France et gagner de l’argent, c’est-à-dire avoir un taux de marge élevé.
M. Yves l’Épine, directeur général du groupe Guerbet. L’entreprise familiale Guerbet est implantée depuis longtemps en Seine-Saint-Denis. Elle évolue dans le domaine de l’imagerie médicale de pointe. Seules cinq entreprises dans le monde sont capables de développer les mêmes produits que les nôtres – à savoir les produits que l’on injecte dans le corps humain pour procéder à des scanners à rayons X ou à des IRM. Comme l’ont reconnu le rapport Gallois et le pacte de compétitivité annoncé par le Premier ministre, la filière de la santé est porteuse d’avenir du fait, notamment, du vieillissement de la population.
Parmi les 1 400 personnes que Guerbet emploie, 1 000 personnes qui travaillent en France, dont 600 dans le Bassin parisien, notamment en Seine-Saint-Denis. Les cinq sites de production – dont quatre se situent en France – ont généré un chiffre d’affaires de 380 millions d’euros en 2011 et une croissance de 5 % cette année, niveau légèrement inférieur à celui de nos concurrents. Les exportations génèrent 70 % du chiffre d’affaires du groupe. La compétitivité est donc un enjeu majeur, dont l’étalon de mesure doit être la balance commerciale. Un dixième du chiffre d’affaires et 200 collaborateurs sont mobilisés pour la recherche et développement (R&D), car l’entreprise se positionne sur une production de haut de gamme.
L’entreprise est performante dans les secteurs de pointe de son activité, là où les compétences des ingénieurs biomédicaux et le génie créatif latin permettent à nos produits de se différencier. Pour ceux qui ne peuvent l’être, le prix est le premier critère de réussite, et notre groupe se trouve handicapé sur ce terrain-là.
Le résultat opérationnel est relativement faible – inférieur à 6 % lors des deux derniers exercices –, alors qu’il se monte à près de 12 % dans les entreprises génériques – qui n’utilisent que des copies – et à 20 % dans la pharmacie. Malgré cette insuffisance, la stratégie du groupe est ambitieuse, puisque celui-ci a investi 197 millions d’euros en France en sept ans et a créé beaucoup d’emplois. Aujourd’hui, le groupe est malheureusement fortement endetté, car il ne dégage pas les marges d’autofinancement nécessaires à la réalisation de ses investissements.
M. Benhamou a raison de regretter que les marchés publics français ne puissent pas privilégier les entreprises locales. Celles qui procèdent à des investissements, à des embauches, et qui lancent de nombreux projets de recherche ne sont pas reconnues par la procédure de la commande publique en France. Le Gouvernement semble conscient de ce problème et cette Mission devrait s’assurer de la mise en œuvre de réponses efficaces.
L’évolution du coût des matières premières est très défavorable : le prix de l’iode a doublé en deux ans et celui du gadolinium – provenant uniquement de Chine – subit de fortes variations.
Le CICE est un dispositif intéressant, mais il nous permettra à peine de compenser l’alourdissement des charges sociales décidé au cours de ces derniers mois. Son impact net en termes de compétitivité est donc faible voire quasiment nul.
L’un des handicaps principaux de l’économie française réside dans la grande complexité de son droit du travail. Le Global Competitiveness Report, rédigé par le Forum économique mondial, classe la France au 137e rang sur 144 pays pour les relations entre les employeurs et les employés et à la 141e place pour la flexibilité du marché du travail. Il s’agit d’un frein puissant à la baisse des coûts de production en France. Cela pèse forcément sur la compétitivité d’une entreprise comme la mienne, qui doit faire face à la concurrence de ses homologues allemandes, italiennes ou américaines.
Mesdames et Messieurs les députés, j’aurai quelques messages à vous délivrer avant de vous les transmettre par écrit. Comme l’affirme le rapport Gallois, l’économie française possède des atouts fondamentaux comme la qualité des formations, des infrastructures, l’esprit d’innovation, la qualité de vie et le coût de l’énergie. Ces atouts ne suffisent néanmoins pas pour faire venir de nouveaux emplois dans ce pays. En effet, comme les espèces, l’entreprise s’adapte et elle va là où il est plus facile, pour elle, d’évoluer, de se développer et de survivre. Nous aurons donc un frein tant que nous n’assouplirons pas le marché du travail. Il serait arrogant de penser que notre génie créatif latin compensera le poids des critères sociaux et fiscaux qui corsètent aujourd’hui le pays !
Des mesures sectorielles doivent être mises en œuvre dans le secteur de la santé. Les PME françaises qui procèdent à une innovation dans ce domaine en bénéficiant de subventions du Gouvernement – via le CIR ou Oséo – pâtissent d’un trop long délai pour obtenir le remboursement sur le marché de la France, ce qui retarde d’autant le lancement du produit à l’international. En quelque sorte, le Gouvernement reprend d’un côté ce qu’il a donné de l’autre ! En la matière, nous vous ferons une proposition très concrète qui ne devrait pas coûter d’argent à l’État.
Enfin, si, à chaque discussion d’un texte de loi, le législateur pouvait se demander comme cette loi aidera les entreprises implantées en France à exporter, nous aurions réussi cette table ronde !
M. Philippe Robert, président-directeur général de La Générale du granit. La Générale du granit est une petite entreprise, qui emploie 130 compagnons formés au Centre d’apprentissage de Louvigné-du-Désert. Cette entreprise familiale, créée il y a une cinquantaine d’années, est leader français dans le domaine des roches ornementales dures. Héritiers du savoir-faire des tailleurs de pierre traditionnels, nous utilisons des techniques sophistiquées à l’aide d’outils diamantés et de machines à commande numérique. Le travail de main est réservé aux finitions nobles nécessaires à la réalisation d’édifices et de monuments.
Nous avons fourni en granit breton l’aménagement de la place du Grand Louvre à Paris, de la mairie de Copenhague et de la Cour européenne de justice à Luxembourg, ainsi que le Swiss Re Building pour Norman Foster, le Musée d’art moderne pour Ieoh Ming Pei et les Champs Libres pour Christian de Portzamparc. Nous finissons actuellement la fourniture en granit du sol du tramway parisien. Nous avons également participé à la réalisation d’œuvres d’art : l’alignement du XXIe siècle à Rennes, l’amphithéâtre en plein air de Marta Pan, les sculptures de Satoru Sato à Tokyo et la boule de l’Assemblée nationale, réalisée pour le bicentenaire de la Révolution française. Notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier. Nos exportations, actuellement en diminution, représentent 25 % de notre production.
Les coûts de transport représentent 12 % de notre chiffre d’affaires. Depuis quelques années, ceux du transport routier ont fortement augmenté. Or nos produits sont pondéreux et notre implantation en Bretagne nous désavantage quand nous exportons vers l’Allemagne et l’Europe du Nord. Dans les années 80, quand Saint-Malo était le port du commerce du granit brut pour tout le nord de l’Europe, c’était un avantage pour nous, mais les nombreuses grèves des dockers et le blocage des bateaux ont provoqué le déplacement de ce commerce vers Anvers.
Il est dommage que la politique du transport ait privilégié la voie terrestre. Si l’on mettait en place des lignes de cabotage, la Bretagne se retrouverait au centre de l’Europe. Ce mode de transport désenclaverait une région tournée vers l’agroalimentaire, protégerait le transport local pillé par les transporteurs étrangers en mal de fret de retour et réduirait notre facture carbone en évitant le passage du fret par la Manche.
Le CIR ne nous concerne pas, car nous ne faisons pas beaucoup de recherche. Chez nous, la « matière grise » est dans la carrière. Sur le plan strictement technique, nous devrions bénéficier du crédit d’impôt en faveur des métiers d’art, mais nous sommes trop peu nombreux, dans la profession, pour faire du lobbying, ce qui explique que nous n’ayons pas eu accès à ce dispositif.
Le problème de l’accès au financement ne se pose pas pour nous en ce moment, puisque nous n’investissons plus.
Un de nos problèmes est le « verdissement » de l’économie, qui conditionne l’accès à la matière. Nous avons de plus en plus de mal à obtenir des autorisations d’exploitation. Nos principaux contrôleurs sont les services de l’État. Dans un premier temps, il s’agissait des directions régionales de l’industrie et de la recherche (DRIR), dont le personnel, constitué principalement d’ingénieurs, s’est « fonctionnarisé » quand ces instances sont devenues les directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE). Quand les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) leur ont succédé, le mot environnement a purement et simplement chassé celui d’industrie. ! Or, si nous voulons conserver nos emplois, il faut que nous puissions extraire nos matériaux sans que l’administration considère toute carrière comme destructrice de l’écosystème. Pour l’industrie, s’il vous plaît, rendez un peu de pouvoir aux ingénieurs !
Dans notre activité, le coût des salaires représente 35 % à 40 % du chiffre d’affaires. Nous subissons depuis des années la concurrence des entreprises chinoises ou indiennes, qui s’est imposée quand la France passait aux 35 heures et alors que l’Allemagne, notre principal client à l’exportation, augmentait au contraire le temps de travail hebdomadaire. Les salaires sont pour nous un poste crucial. Depuis trois ans, nous subissons en outre la forte concurrence de l’Espagne et du Portugal. Dans ces pays, le marché intérieur de la pierre naturelle de construction s’est effondré avec la crise, et les salaires réels ont fortement diminué. Ils ont été divisés de moitié au Portugal, où ils étaient déjà bas, et ils ont baissé de 30 % à 40 % en Espagne, ce qui compense largement le surcoût du transport. De plus, ces pays ont bénéficié d’aides importantes de l’Union européenne pour construire une filière industrielle dans des secteurs ruralisés, ce qui a fait baisser le coût de leurs investissements.
Dans la profession, la plupart des entreprises emploient moins de vingt personnes, et, de ce fait, ne sont pas soumises aux mêmes obligations que nous. Cette inégalité entre les sociétés de taille différente crée, dans le secteur, une concurrence déloyale. Je vous engage donc à être très attentifs aux effets de seuil lors de la mise en place de toute nouvelle réglementation.
Je vous ai remis un schéma de l’évolution depuis 1987 de notre chiffre d’affaires, de notre effectif, du montant des salaires chargés, de la somme des salaires, charges, énergie et transport, ainsi que du chiffre d’affaires à l’exportation, des impôts et taxes, et de l’excédent brut d’exploitation. Après le krach immobilier européen de 1992, le marché a baissé jusqu’en 1996. Lors du redémarrage, nous avons fortement exporté et retrouvé des marges grâce aux gains de productivité que nous ont ouverts nos investissements. Puis, la loi sur les 35 heures, en 1999, et l’augmentation du coût des transports, de l’énergie et des salaires ont rongé notre rentabilité, malgré une forte diminution de notre effectif. Nos prix ont augmenté. Devenus moins compétitifs, nous avons moins exporté, d’autant que l’arrivée des produits chinois a brisé nos marges. L’excédent brut d’exploitation est devenu inférieur au montant de nos impôts et taxes, ce qui nous interdit d’investir et d’embaucher. Depuis 2009, du fait de la crise mondiale et de la pression de nos concurrents ibériques, nous perdons de l’argent, ce qui ne nous était jamais arrivé.
Dans notre secteur – production à fort taux de main-d’œuvre et soumise à la concurrence internationale –, il faut baisser fortement les charges sur les salaires si l’on veut redonner de la compétitivité aux entreprises. Toute réduction de charges sera bonne à prendre, pourvu qu’elle soit forte et durable. Car nous ne pouvons nous engager sans visibilité : il faut cesser de modifier les règles à chaque changement de Gouvernement. Pour retrouver confiance, les petits entrepreneurs ont besoin de stabilité. Concentrez les aides sur les industries de production, les emplois de service suivront. Redonnez de la compétitivité à nos entreprises ! C’est un devoir politique.
M. Mathieu Coquelin, directeur de la Société de confection du Coglais. Je suis à la tête d’une petite société située dans l’Ille-et-Vilaine, à proximité de l’autoroute A84, qui fabrique des maillots de bain et de la lingerie haut de gamme. À sa création, en 1979, l’entreprise employait quinze personnes, avant d’évoluer et de travailler pour des clients prestigieux : Chanel, Vuitton, Eres ou Lise Charmel. Quarante-six employés sont actuellement répartis sur deux sites. Nos atouts sont la qualité, la réactivité et le conseil aux clients. Ceux-ci sont en majorité français, mais nous vendons aussi notre production en Europe, en Asie et en Amérique.
La confection française, gage de qualité, coûte cher. La main-d’œuvre représente plus de 80 % de nos charges. Dans ce domaine, nous ne pouvons rivaliser avec la concurrence étrangère. En Tunisie, le salaire moyen mensuel se monte à 150 euros, ce qui place le coût de la minute de travail à 0,12 euro, contre 0,5 en France. Un soutien-gorge de base coûte 2,40 euros en Tunisie, contre 10 dans notre pays.
Depuis dix ans, la confection française a connu une baisse considérable, imputable à la délocalisation de la production. Selon le rapport Gallois, l’industrie manufacturière ne représente en France que 10 % de la valeur ajoutée de l’ensemble des branches, contre 26 % en Allemagne et 14,5 % en Europe. Les perspectives commerciales s’améliorent cependant grâce au retour du « made in France ». Ainsi, un de mes clients historiques a choisi de revenir en France après quelques années de tentations étrangères. Depuis trois ans, nous collaborons avec une jeune marque qui prône le label made in France. Cette cliente fait partie des entreprises qui ont représenté la France au G20 de Mexico.
Nous avons toujours souhaité nous diversifier et évoluer tout en préservant nos valeurs : notre entreprise familiale et rurale noue un vrai partenariat avec ses clients. Nous travaillons en toute confiance avec eux pour maintenir notre éthique et notre qualité, qui est avant tout celle de notre personnel. Certaines employées travaillent pour nous depuis la création de l’entreprise, ce qui signifie que nous connaîtrons bientôt une vague de départs à la retraite. Pour l’anticiper, nous avons intégré six personnes depuis deux mois, dans le cadre d’un contrat de professionnalisation. Nous en accueillerons quatre autres en mars. Ce recrutement a été effectué en collaboration avec Pôle emploi, la chambre de commerce et notre organisme paritaire collecteur agréé (OPCA).
Nous rencontrons un double problème d’accès au financement.
La première difficulté vient des banques. Notre activité étant saisonnière, nous annualisons les heures de travail. Entre octobre et mars, l’activité est intense, et nous réalisons 70 % de notre chiffre d’affaires. Le printemps et l’été sont des temps de préparation de la collection, d’étude et de récupération des heures. De ce fait, notre trésorerie varie considérablement. En août et en septembre, quand notre trésorerie est au plus bas, il serait logique que nous recevions un soutien de notre banque, qui connaît notre historique et notre mode de fonctionnement. Ce n’est pas le cas. Nous rencontrons des difficultés majeures dans ce domaine.
La seconde difficulté tient à l’absence d’aides publiques. En 2011, l’entreprise a investi 8 % de son chiffre d’affaires, pourtant en baisse, pour acquérir, à la demande des clients, un système de traçage automatique qui nous a permis d’être en phase avec les nouvelles techniques de coupe et de ne plus utiliser d’ammoniaque, ce qui améliore les conditions de travail de nos employés. Par ailleurs, nous avons décidé de racheter une entreprise de notre secteur d’activité, qui se trouvait en liquidation judiciaire. Nous avons ainsi maintenu l’emploi de plus de dix personnes. Pour ces deux investissements, ni la communauté de communes, ni le conseil général, ni la région, ni l’État ne nous ont accordé la moindre subvention, alors que nous les avions sollicités, au prix de multiples démarches. Nous avions même réuni tous les acteurs autour d’une table. En vain. Je rappelle qu’en 2010, c’est avec le soutien de l’Union européenne, que le Programme de modernisation de l’industrie (PMI) a été mis en place en Tunisie ; 42 % des entreprises tunisiennes profitant de ce dispositif appartiennent à notre secteur d’activité. Si notre entreprise s’était située dans ce pays, le système dans lequel nous avons investi y aurait été financé à plus de 60 % par l’Union européenne.
Il est essentiel que les sociétés puissent investir et embaucher au moment opportun. Elles doivent se sentir non pas forcées, mais accompagnées et considérées pour redevenir compétitives et rentables. Notre secteur d’activité témoigne d’un grand savoir-faire et, malgré un coût-minute élevé, la demande de production existe. Reste que notre marge de manœuvre sur la trésorerie est trop faible. Pour avancer, nous devons pouvoir investir à bon escient.
M. Jacques Royer, président du Groupe Royer. Notre groupe familial, situé à Fougères, est leader dans la production, la distribution et la vente de chaussures au détail. Nous représentons 1 000 emplois dans le monde, et 750 en France, dans des villes moyennes comme Fougères, Cholet, Romans ou Saint-Omer. Nous distribuons environ 30 millions de paires de chaussures par an. Nous distribuons des marques américaines comme Converse ou New Balance, et des marques françaises que nous avons achetées peu à peu : Kickers, Aster, Mauduit, Stéphane Kélian ou Charles Jourdan.
Nous exportons 35 % de notre production, surtout vers l’Europe et, depuis peu, vers les États-Unis et l’Asie, l’exportation étant notre principal axe de développement. Le salaire annuel moyen que nous versons est de 36 000 euros bruts. En France, même si l’activité de production est réduite, nous employons beaucoup de cadres, de stylistes, de professionnels du marketing ou de la communication, et de techniciens. Nos concurrents sont essentiellement allemands et italiens. Le prix de revient d’une paire de Kickers est de trente-six euros en France contre dix-huit au Vietnam, mais nous parvenons à être compétitifs sur certaines gammes. Ainsi, nous avons monté un atelier de production de vingt-cinq personnes à Romans lorsque nous avons racheté la marque Charles Jourdan, mais l’écart entre le « made in France » et le « made in Italy » est de 30 % sur les articles de luxe.
Notre société est présente dans tous les réseaux de distribution. Nous vendons des marques différentes à Carrefour, à Décathlon, à des chausseurs succursalistes, à des responsables de boutiques de sport, à des grands magasins comme Le Printemps ou encore à Colette. Le réseau internet, où nous sommes leader, représente 14 % de notre activité.
Il y a moins de vingt ans, il existait encore 450 usines de chaussures en France. Il n’en reste que 82. Pour une consommation de 339 millions de paires en 2011, seuls 24 millions ont été produits dans notre pays, et encore partiellement, car les fabricants sous-traitent certaines activités en Tunisie, au Maroc ou ailleurs. Autant dire que le secteur s’est effondré. Après la guerre, quand mes grands-parents étaient ouvriers dans la chaussure, on trouvait encore 130 usines à Fougères. La production de chaussures ne représente plus, aujourd’hui, que 5 800 emplois en France.
Depuis dix ans, les détaillants ont vu augmenter deux postes de manière considérable : les charges liées à l’immobilier et les charges salariales, du fait des 35 heures. Pour compenser ces hausses, les grands succursalistes et d’autres réseaux de distribution multiplient leur prix par trois ou quatre, voire plus, alors que les détaillants appliquaient, il y a encore vingt ans, un coefficient de deux ou deux et demi.
Une entreprise comme la nôtre apporte une grande valeur ajoutée puisqu’elle intègre toute la filière – conception des produits, bureau d’études et des méthodes, style –, en dehors du « temps minute », qui est délocalisé en Espagne, au Portugal, en Italie, voire plus loin : au Maghreb, en Turquie, en Inde ou en Asie. Sur place, les usines intègrent des bureaux de contrôle et de développement.
Sur certains produits, notamment de « moyenne gamme », on voit mal comment on pourrait renverser le cours de l’histoire, mais, dans le « haut de gamme » et la maroquinerie, la France a encore sa place. Nous devons cependant nous protéger de la concurrence de nos voisins, notamment de l’Allemagne qui utilise la main-d’œuvre polonaise pour des activités ponctuelles, et des pays latins, où la flexibilité est plus grande.
Si la France conserve un patrimoine de marques importantes, les sociétés asiatiques ont acquis un réel savoir-faire technique. L’époque où les usines chinoises ne produisaient que du bas de gamme est révolue. En trente ans, leur production a considérablement gagné en qualité, et le dumping social n’est plus la seule raison de leurs succès. Il est essentiel de protéger nos entreprises qui possèdent des marques, car, si nos concurrents nous les rachètent, on voit mal quel patrimoine il nous restera.
Je suis heureux que nous soyons installés en Bretagne, car, pour nous, la compétence et les qualités humaines sont primordiales. Je retrouve le même savoir-faire dans les villes moyennes du Nord et du Sud-Ouest. Les banques régionales devraient favoriser cette implantation. Nos concurrents allemands ont des relations plus simples avec leurs banques. Ils ont, en général, deux partenaires : la Deutsche Bank et une banque du Land, qui les soutient sur le long terme.
M. Antonio Da Silva, président de La Ferronnerie Roncquoise. Je gère une PME de trente-deux personnes, dont le chiffre d’affaires est de 2,6 millions. Nous travaillons dans la métallerie pour l’industrie et pour le bâtiment collectif, industriel et commercial. Je suis également président régional de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) du Nord-Pas-de-Calais.
Les patrons des PME et des TPE sont inquiets. Le Gouvernement a-t-il conscience des difficultés que nous rencontrons au quotidien ? La mort dans l’âme, nous détruisons 1 500 emplois par jour. On nous demande des efforts importants, mais que fait-on pour réduire la pression qui pèse sur nous ?
Les syndicats présentent le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) comme un cadeau aux entreprises, mais son montant ne représentera, pour 2013, que 4 % d’un salaire annuel à temps complet, dans la limite de deux fois et demi le SMIC. Sous certaines réserves, le taux montera à 6 % en 2014. La première année, pour un SMIC à temps plein, l’entreprise recevra 684 euros pour douze mois d’activité, soit 57 euros par mois. Dans le secteur du bâtiment, où une entreprise doit décaisser 2 135 euros pour verser un salaire de 1 200 euros net au salarié, le crédit d’impôt représentera 732 euros annuels, soit 61 euros par mois.
Autre exemple, pour verser 1 800 euros nets au salarié, l’entreprise doit débourser plus du double : 3 789 euros. Si certaines conditions sont réunies, elle percevra 1 092 euros par an, soit 91 euros par mois au titre du CICE. En outre, ce crédit d’impôt constitue une créance sur le Trésor, de sorte qu’une société qui ne fait plus de bénéfice, ce qui n’est pas rare, pourra n’être remboursée que dans trois ans. En somme, plus les entreprises connaissent de difficultés, moins le CICE est opérant.
Dans un dispositif pérenne, le financement de la protection sociale ne peut reposer uniquement sur les charges assises sur les salaires, car cela pénalise la compétitivité des entreprises. Augmenter la TVA et la CSG permettrait de réduire les charges sociales en taxant davantage les importations, ce qui ferait baisser le coût du travail et augmenterait le salaire net. Nous, chefs d’entreprise, n’avons l’habitude ni de commander ni de manifester, mais l’équilibre économique et social du pays repose sur nos épaules. Le CICE est un mirage. Faites en sorte que nous puissions garder confiance et créer des emplois !
M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM). Je suis à la tête d’une entreprise familiale qui existe depuis quatre-vingt-treize ans. Quand j’y suis entré, en 1992, mon père employait cinquante personnes. L’effectif est monté à 280 en 2001-2002. Nous sommes aujourd’hui 120. Vous comprendrez pourquoi quand vous saurez que notre entreprise est spécialisée dans le traitement de surface des métaux pour l’industrie automobile. Le point de rupture s’est produit en 2000-2001, du fait de la loi sur les 35 heures, que j’avais d’abord soutenue car cette forme de partage du travail me semblait une piste intéressante. Je m’étais lourdement trompé.
La FIM, premier employeur industriel français, emploie 620 000 personnes dans les entreprises de plus de dix salariés, pour un total de plus de 800 000. En 2012, notre chiffre d’affaires atteindra 112 milliards d’euros, dont plus de 40 % à l’exportation directe et 60 % si l’on y ajoute l’exportation indirecte. La transformation des métaux et la fabrication des machines représentent chacune 45 % de notre activité, les 10 % restants correspondant au secteur de la mesure et de la précision, dont relève le matériel médical.
Le premier secteur, lié à l’automobile, marche mal. Le taux de croissance pour 2012 ne dépassera pas 1 %. En revanche, il atteindra 15 % pour l’équipement et les machines-outils, en dépit de la concurrence allemande, 20 % pour les machines agricoles, et 25 % quand les entreprises travaillent avec les États-Unis.
Le patron de PME que je suis serait ravi d’innover, d’offrir une qualification à ses collaborateurs et d’investir, mais comment faire quand l’entreprise ne gagne pas d’argent et quand les charges écrasent nos marges ? Le premier enjeu de la compétitivité est de restaurer ces marges. Les dix dernières années, les Allemands ont acheté 200 000 machines, les Italiens 5 000 et les Français 2 500 à 3 000. C’est dire quel retard nous avons pris.
Vous vous demandez s’il faut aider les hauts ou les bas salaires. Il y a vingt-cinq ans, la Corée s’est posé la même question. Ce pays de 35 millions d’habitants fabriquait du bas de gamme, quand son voisin, la Chine, comptait 1,3 milliard d’habitants et se consacrait au même type de production. Il a décidé d’arrêter du jour au lendemain les aides aux bas salaires pour aider les salaires qualifiés. En vingt ans, les Coréens ont monté une industrie qui force le respect dans nombre de secteurs.
Faire supporter en totalité aux entreprises le coût de la protection sociale et des allocations familiales revient à leur mettre au pied un boulet qui leur interdit de créer des richesses. Le Pacte gouvernemental pour la compétitivité, qui repose sur un mécanisme intelligent, va néanmoins dans le bon sens, mais il ne dégagera que 20 milliards, quand nous en attendions 80. Quant au terme de « contreparties », purement idéologique, il nous agace. Lorsque le Gouvernement a le courage d’allouer une partie de l’impôt à la création de richesses, on ne peut pas parler d’un « cadeau aux patrons ». Ce sont d’abord les employés qui en profiteront. Depuis vingt-trois ans, mon entreprise n’a pas redistribué un sou aux actionnaires. Une entreprise crée des richesses qu’elle redistribue autour d’elle, d’abord en son sein – aux managers, collaborateurs et actionnaires –, puis, à travers l’impôt, à toute la société. C’est le message qu’il faut porter à nos concitoyens si nous voulons gagner la bataille.
Le financement reste un problème. Oséo nous a beaucoup aidés en 2008, pendant la crise, mais cet organisme a atteint ses limites, car il n’est pas décisionnaire : ce sont les banques qui choisissent d’accorder des prêts aux entreprises et de leur ouvrir des lignes de crédit. La création de la BPI est une bonne nouvelle, si toutefois celle-ci a les moyens d’intervenir directement.
En France, la stratification du marché du travail est catastrophique, alors qu’un des enjeux majeurs de notre pays sera de transférer les compétences des secteurs qui ne marchent pas vers ceux qui avancent. En Bourgogne, j’ai eu l’occasion de visiter une boucherie industrielle qui employait une quarantaine de personnes. Toutes venaient d’une entreprise de mécanique qui avait fermé. Le seul travail qu’elles avaient retrouvé était l’équarrissage de la viande. Si nous ne parvenons pas à transférer les compétences vers des marchés porteurs, nous perdrons la compétition mondiale. Tel est l’enjeu des négociations que nous menons pour rendre le marché du travail plus flexible. Notre but n’est pas d’aller contre nos collaborateurs ; nous voulons au contraire faire les choses avec eux, en sortant de l’idéologie.
M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). Agriculteur en Lorraine, je produis d’une part des céréales, que je commercialise grâce à une coopérative agricole de Lorraine, et, d’autre part, des prunes, principalement des mirabelles, que je commercialise par l’intermédiaire des Vergers de Lorraine, dont je suis le trésorier. Ces deux coopératives ont adhéré à l’organisation COOP de France, l’une au titre des métiers du grain, l’autre au titre des fruits et légumes.
Nous vous avons adressé un tableau comparatif des modes de rémunération des salariés dans les vingt-sept pays de l’Union. Avec la Belgique, la France est le seul pays à financer l’intégralité de son modèle social par l’heure travaillée. Tous les autres fiscalisent au moins une part de la protection sociale, soit sur le budget de l’État, soit sur la TVA. Certains pays comme l’Allemagne, l’Autriche, Chypre ou la Finlande, n’ont pas de salaire minimum.
Nous nous heurtons non pas à un excès, mais à un manque d’Europe. Avant la mise en place de l’euro, certains pays utilisaient l’arme monétaire comme instrument économique, ce qu’ils ne peuvent plus faire aujourd’hui. C’est pourquoi, en 2003-2004, l’Allemagne a décidé de déréguler le marché du travail. À 200 kilomètres de chez moi, un producteur de mirabelles allemand peut embaucher du personnel pour seulement quatre ou cinq euros l’heure, sans être pénalisé par les mesures relatives aux 35 heures ou aux heures supplémentaires. Il peut même employer pendant 180 jours, sans aucune contrainte administrative, des personnes d’origine bulgare ou roumaine.
Le taux de couverture de la consommation de fruits en France par la production française est de 35 %, contre 67 % pour la consommation de légumes. Il y a dix ans, notre pays produisait et consommait 400 000 tonnes de pêches. Notre consommation n’a pas diminué, mais nous n’en produisons plus que 280 000 tonnes. Nous avons a perdu 30 000 hectares de verger en dix ans, soit 3 000 hectares par an. Or un hectare de verger représente entre 800 et 900 heures de travail par an. Le calcul est simple : l’abandon de deux hectares fait disparaître un ETP dans les vergers, ce qui entraîne la suppression d’un autre ETP dans la filière. Des coopératives ferment ; des industriels s’en vont. La dernière société qui transformait des fruits en Lorraine a mis fin à cette activité. Si elle continue à vendre des fruits, elle a délocalisé la production de l’autre côté du Rhin.
Pour l’abricot, la cerise et la pêche nectarine récoltés dans le sud de la France, la main-d’œuvre représente 50 % à 70 % des coûts de production. Pour l’abricot et la pêche nectarine, le coût réel de la main-d’œuvre – hors exonération – est de 8 000 euros à l’hectare. Il monte à 16 000 euros pour la cerise. Je pense néanmoins que l’arboriculture peut être une chance pour notre pays, parce que ces emplois sont localisés sur le territoire, et qu’il n’est pas difficile d’emmener les salariés jusqu’aux vergers. Il faudrait néanmoins commencer par mettre en place des règles sociales communes, au moins à l’intérieur de la zone euro. Si les pays ont été capables d’adopter une monnaie commune, je comprends mal qu’ils ne puissent pas établir un socle social européen, afin d’éviter des distorsions. On peut imaginer un salaire minimum général ou interne à chaque branche.
Il faudrait également faire mieux respecter des règles européennes à nos frontières. De plus en plus de cerises consommées en Europe sont produites en Turquie, alors que des produits phytosanitaires utilisés dans ce pays sont interdits dans l’Union. Pourtant, les contrôles restent centrés sur les produits français ou européens, et ignorent les produits d’importation.
Par ailleurs, veillons à ce que l’environnement ne tue pas l’environnement. Alors qu’un de nos problèmes majeurs est la gestion de l’eau, certains systèmes permettraient de stocker celle qui tombe naturellement en hiver pour l’utiliser en été. Pourtant, parce qu’un batracien, une araignée ou une plante se développe dans telle ou telle réserve, il se trouve toujours une association environnementale pour prendre sa défense en multipliant les recours devant les tribunaux administratifs. C’est ce qui explique qu’on ne puisse plus mettre en place aucune réserve collinaire, ce qui favoriserait pourtant la compétitivité.
En outre, j’aimerais savoir pourquoi les Allemands peuvent acheter un produit à l’exploitant plus cher qu’en France et le revendre moins cher au consommateur. Le système de distribution français est particulièrement opaque.
Enfin, je considère moi aussi qu’un assouplissement des règles du code du travail permettrait de gagner en compétitivité, surtout si l’on prévoit des accords de branche, comme il en existe dans certains pays de l’Union. Un tel assouplissement serait précieux dans les secteurs où le travail est saisonnier.
M. le président Bernard Accoyer. Messieurs, je vous remercie pour la densité et la variété de vos exposés.
M. Olivier Carré. Le CICE ayant évolué lors de nos débats, je vous invite à en lire les comptes rendus afin de dissiper certaines des craintes que vous avez exprimées. L’un des aspects du dispositif qui pourrait poser problème est la fixation du seuil de son assiette de calcul à 2,5 fois le SMIC, ce qui exclut tous les salaires dépassant les 30 000 euros bruts. Quels seront les effets de ce seuil ? Faut-il le faire évoluer d’ici à l’adoption définitive de la loi ?
M. Jean-René Marsac. Sans aborder le débat de manière idéologique, il faut néanmoins reconnaître que les actionnaires n’ont pas toujours un comportement vertueux. Ainsi, dans ma circonscription, une société était auparavant gérée par un fonds de pension américain allié à la Caisse des dépôts et consignations, avec un mandat social qui avait été donné à un groupe malais. Lorsqu’elle a repris cette société, l’entreprise Asteel Flash, que j’ai invitée ce matin, a adopté une stratégie beaucoup plus industrielle que son prédécesseur. Cela montre bien que le choix de la structure de pilotage du capital d’une entreprise détermine sa capacité à adopter une stratégie industrielle. Assortir le crédit d’impôt de garanties afin que son usage ne soit pas détourné au profit de la stratégie de profit des actionnaires ou de la politique de rémunération des dirigeants me semble relever non pas de l’idéologie, mais du bon sens.
M. Thierry Benoit. Je tiens à remercier les chefs d’entreprise ici présents, et plus particulièrement les trois entrepreneurs de la circonscription de Fougères en Ille-et-Vilaine, d’avoir accepté notre invitation. J’ai été très intéressé par le propos de ceux qui ont évoqué les thèmes de la flexibilité et du dialogue social. Le choix fait par la France, il y a une quinzaine d’années, de réduire la durée hebdomadaire du temps de travail, a porté préjudice à certaines activités. Quel est le coût d’une telle mesure et qu’en est-il de la flexibilité des salariés ? Disposez-vous d’éléments de comparaison en matière de droit du travail ? Que pensez-vous de ce qu’on appelle le « modèle suédois » qui concilie flexibilité du travail et dialogue social ?
Quant à la création de richesse et de valeur ajoutée, le Gouvernement a annoncé la mise en place du CICE, soit une aide de 20 milliards d’euros, ce qui est nettement insuffisant – l’un d’entre vous est allé jusqu’à parler de 80 milliards d’euros à transférer de la production vers d’autres assiettes. À titre personnel, je milite en faveur de la TVA sociale qui m’a été expliquée, il y a dix ans, par le sénateur Arthuis. Qu’en pensez-vous ?
M. Jean Grellier. Nous devons utiliser tous les leviers d’action en même temps — la compétitivité coût, la compétitivité hors coût et la compétitivité psychologique —, faire évoluer les esprits et créer une mobilisation en faveur de la réindustrialisation de l’ensemble de nos territoires. Il nous faut aussi améliorer le dialogue social territorial entre les acteurs politiques, les acteurs économiques et les partenaires sociaux, et utiliser tous les moyens possibles : le crédit d’impôt, le soutien à la recherche innovation, etc.
La politique de filières mise en œuvre à la suite des états généraux de l’industrie constitue-t-elle un atout pour notre pays ? Doit-elle être déclinée au niveau territorial ? Ne faut-il pas agir non seulement sur la compétitivité coût, mais aussi sur le niveau de gamme de nos produits et dans le domaine des qualifications, afin de mettre en adéquation les formations et l’emploi ? Les politiques de recherche et d’innovation sont-elles suffisamment connues des entreprises aujourd’hui ? Comment faire pour agir sur l’ensemble de ces leviers ?
M. Claude Sturni. Les mesures qui ont été prises pour diminuer les coûts de production sont-elles de nature à aider à produire en France - notamment dans les secteurs industriel et agricole ? Je me pose la question, car je suis originaire d’un territoire plutôt industriel, notamment spécialisé dans la mécanique, et partiellement rural. Il nous appartient d’exploiter au mieux les matières premières présentes sur sol français, de produire, de collecter et de créer des filières de transformation. Dans ma circonscription, j’entends très souvent parler de compétition entre l’Alsace et le pays de Bade : certains industriels du secteur agroalimentaire implantés dans ma région émigrent en Allemagne parce qu’ils ne peuvent plus transformer les produits en France.
Étant bien obligés de vous fonder sur des hypothèses, comment intégrez-vous dans vos décisions d’investissement à long terme les perspectives de réductions et d’allègements de certains impôts, d’une part, et d’augmentation des coûts et d’autres prélèvements obligatoires, d’autre part ? Quel est votre degré de confiance à l’égard des équilibres que nous cherchons à définir ? Pour ma part, je trouve le CICE peu lisible et compliqué. Il eût été beaucoup plus simple de diminuer le coût horaire du travail et donc les charges pesant sur celui-ci : qu’en pensez-vous ? Quant à ceux d’entre vous qui représentez des entreprises internationales ou du secteur concurrentiel, vous est-il aisé de comparer les coûts de revient d’autres pays avec les nôtres, dont il faut préalablement déduire toutes sortes de crédits d’impôt ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je remercie l’ensemble des intervenants d’avoir pris le temps de venir assister à cette table ronde. Je m’interroge moi aussi sur la pertinence du seuil du CICE, fixé à 2,5 fois le SMIC. Lors d’auditions précédentes, plusieurs intervenants ont dénoncé les effets pervers de ce seuil sur l’emploi et la progression des salaires. Certains ont considéré qu’il fallait concentrer le bénéfice du crédit d’impôt sur les bas salaires, jusqu’à 1,6 fois le SMIC - soit le seuil d’aide actuel - afin qu’il ait un effet sur l’emploi. D’autres se sont interrogés sur les effets d’un seuil fixé non pas à 2,5 mais à 3,5 fois le SMIC, comme le préconise le rapport Gallois. Le dispositif vous semble-t-il bien calibré ? Par ailleurs, les entreprises pourront bénéficier du crédit d’impôt dès 2013. Celui-ci vous permettra-t-il de valoriser vos bilans auprès des banques, sachant que les crédits bancaires se sont raréfiés depuis l’adoption des normes prudentielles des accords de Bâle III ?
Le crédit d’impôt n’est que l’une des 35 mesures du pacte de compétitivité annoncé par le Gouvernement au début du mois de novembre, à la suite du rapport Gallois. Lesquelles parmi ces mesures faudrait-il, selon vous, mettre en place plus rapidement ? Je pense notamment à la mise en place de filières, sachant que l’organisation en filières et la coopération entre donneurs d’ordres et sous-traitants sont l’une des forces des entreprises allemandes et que l’écosystème qu’elles ont créé est très efficace, notamment en cas de reprise d’entreprise.
La commande publique s’opère dans un monde concurrentiel : notre économie se veut relativement ouverte et la création de l’Union européenne fut fondée sur la libre circulation des biens et des personnes. Néanmoins, cette économie ouverte est organisée différemment au sein de la zone euro et chez nos importateurs. Dans ce contexte, comment l’État, les collectivités locales et les entreprises publiques peuvent-ils protéger nos marchés ? Tous les pays ne sont pas contraints par les règles que nous nous sommes imposées dans la construction européenne.
Enfin, selon vous, quels assouplissements du marché du travail vos salariés seraient-ils prêts à accepter en échange d’une sécurisation de leur emploi ?
M. le président Bernard Accoyer. Il y a une hiérarchie dans les urgences. La première de celles-ci consiste à restaurer les marges d’exploitation des entreprises, en écartant la distinction entre la compétitivité « coût » et la compétitivité « hors coût » au profit d’une approche globale de cette notion de compétitivité.
Deuxièmement, il faut remettre en cause la rigidité du travail – qu’il s’agisse du temps de travail, du droit applicable ou du poids des charges sociales et fiscales. Certes, la taxe professionnelle a été supprimée, mais les collectivités territoriales ont réinventé une fiscalité qui pèse lourd sur l’économie. Vous avez également souligné les lenteurs administratives qui font parfois obstacle à l’industrialisation et la commercialisation d’idées fécondes.
Troisièmement, vous accordez une priorité au coût de l’énergie et soulignez le danger qu’il y aurait à opter de façon hasardeuse pour une diversification de la production énergétique extrêmement coûteuse et inaccessible dans les délais prévus.
Quatrièmement, nous devons mener une politique volontariste en matière de commande publique : les autres pays de la zone euro ont adopté des règles plus souples que celles que se sont imposées les administrations publiques françaises locales et nationales. Nous avons d’ailleurs laissé se construire une Europe de la consommation sans avoir défendu une Europe de la production, à l’exception peut-être du secteur agricole qui est cependant actuellement menacé.
Quel plafond de salaire vous paraîtrait-il pertinent de fixer pour l’assiette du CICE afin que celui-ci profite aux secteurs exposés à la concurrence internationale ? Craignez-vous que les politiques n’interviennent dans les procédures d’attribution de financements par la BPI si elles se faisaient au niveau régional ?
M. Yves L’Épine. Concrètement, si le seuil de l’assiette du CICE est fixé à 2,5 SMIC, un chef d’entreprise aura tendance à ne pas augmenter le salaire de ceux de ses collaborateurs qui ont un revenu équivalent à 2,49 fois le SMIC. Pour éviter qu’ils ne partent dans une autre entreprise, ce plafond doit s’appliquer au salaire uniquement, et non à la rémunération globale. Ainsi, pour conserver le bénéfice du CICE, le chef d’entreprise maintiendra le salaire de ses collaborateurs sous le plafond, mais il augmentera la partie variable de la rémunération. Il paraît en outre indispensable que le seuil soit linéaire et non dégressif afin de privilégier les entreprises industrielles dont les salaires sont plutôt situés entre deux et trois fois le SMIC, surtout si ces entreprises ont fait l’effort de produire du « haut de gamme ». Si le plafond devait être porté à 3,5 SMIC dans l’avenir, nul n’ignore que cette hausse serait compensée par une dégressivité du taux du crédit d’impôt. Cela favoriserait les entreprises produisant du « haut de gamme » qui pourraient gagner des parts de marché au niveau international.
M. Gilles Benhamou. Un chef d’entreprise commence par se demander combien la mesure lui fera économiser l’année suivante. Une première évaluation grossière montre que mon entreprise réduira ses coûts d’un million d’euros, qu’elle allouera différemment.
Faut-il une aide située à hauteur de 80 milliards d’euros au lieu des 20 milliards prévus ? Là n’est pas la question ! Ce qu’il faut, c’est concentrer les mesures de relance sur le secteur productif et compétitif, fer de lance du redéploiement industriel, afin de créer un réel choc de compétitivité, si puissant que les 20 milliards d’euros prévus suffiront largement.
Par ailleurs, Asteel Flash a proposé à ses salariés un accord conjuguant flexibilité et sécurisation de l’emploi. Ce système de banque d’heures à trois ans nous permettrait d’adapter nos effectifs et de faire varier dans le temps, en fonction de la conjoncture, le nombre d’heures travaillées des salariés. Actuellement, le problème de la flexibilité, c’est qu’en fin d’année, une banque d’heures qui n’a pas été utilisée est perdue. Mais c’est totalement différent si nous avons trois ans pour réagir, comme nous le proposons. Le problème, c’est que même si les salariés sont d’accord avec un tel système, je ne peux le mettre en place sans courir un risque de contentieux, car c’est contraire au droit du travail. Un accord signé par la majorité des salariés d’une entreprise devrait prévaloir sur le code du travail et sur les décisions des organisations syndicales. Une entreprise c’est une collectivité : laissez ces collectivités agir, quitte à ce que le législateur fixe une majorité de vote à 80 % !
M. Emmanuel Commault. Je ne critiquerai pas le crédit d’impôt, qui est plutôt une bonne mesure, mais je souhaite rappeler le drame que vit le secteur agroalimentaire. La coopération agricole, en particulier, a su s’organiser en filières, mais le coût du travail est beaucoup trop élevé. Le problème qui se pose n’est ni celui du seuil du crédit d’impôt ni même celui du recours à ce type de mécanisme : il est d’une autre ampleur. Tandis que nous payons un salarié français 22 euros de l’heure, charges comprises, nos concurrents allemands paient un Roumain, un Ukrainien ou un Balte, 7 euros de l’heure – 80 % de la valeur ajoutée de notre entreprise sert à rémunérer la masse salariale. Si nous n’avançons pas sur la question d’une Europe sociale, nous serons incapables de maintenir les emplois de la filière agroalimentaire française.
Nous menons des stratégies de diversification et de différenciation. Cooperl est leader du bio en France et le porc bio représente 0,5 % de notre production. Les marchés agroalimentaires sont essentiellement des marchés de volume-prix. Lors d’un entretien avec l’un des conseillers de Dacian Ciolos, Commissaire européen chargé de l’agriculture, qui réfléchit à la prochaine politique agricole commune en cours de négociation, j’ai insisté sur la priorité absolue que constitue pour l’Europe le fait d’assurer des conditions convergentes pour les industries agroalimentaires. Ce conseiller m’a répondu que l’Europe n’avait pas vocation à traiter de l’harmonisation sociale. Or, ce problème urgent ne sera pas réglé par le crédit d’impôt !
M. Jérôme Frantz. Nous avions préconisé au sein du Groupe des fédérations industrielles (GFI) de concentrer les aides sur des exonérations de charges sociales non pas dans le secteur industriel, mais pour toutes les entreprises soumises à la compétition internationale. Le problème, c’est que cela est apparemment extrêmement compliqué.
Le CICE, tel qu’il a été conçu, n’est pas si mal que cela car il semble effectivement satisfaire tout le monde. Mais de grâce, concentrez-le sur les entreprises soumises à la compétition internationale ! Cela coûtera beaucoup moins cher à l’État et permettra d’aider les secteurs qui en ont effectivement besoin. Je vous renvoie au fascicule énonçant les douze propositions faites par le GFI avant les élections, dans lequel nous avons expliqué comment procéder.
Je souhaiterais également prolonger le propos de Gilles Benhamou : comment voulez-vous que nos entreprises soient les meilleures dans la compétition mondiale si le conflit y règne ? Ce qui fait leur force, c’est qu’elles ont des équipes soudées, prêtes à gagner des parts de marché ! Malheureusement, la France continue à fonctionner de manière idéologique en opposant constamment les patrons et les ouvriers ! Ce modèle n’existe plus dans les entreprises !
M. Marsac a évoqué le problème des fonds de pension : mais c’est au législateur qu’il revient de régler des situations aussi anormales, y compris pour les chefs d’entreprise qui sont alors victimes d’une concurrence déloyale. Mais ne raisonnez pas à partir d’exceptions ! Il y a, en France, 460 entreprises de plus de 1 000 personnes, sur 1,8 million d’entreprises qui emploient au moins un salarié. Et 1 000 entreprises font appel public à l’épargne. Or les pouvoirs publics, et notamment les parlementaires, fondent trop souvent leur raisonnement sur les entreprises du CAC 40. Qui plus est, sur ces quarante entreprises, il y en a trente-neuf qui, la plupart du temps, se comportent bien, et une qui, de temps à autre, se comporte mal. C’est elle qu’il faut sanctionner ! Une entreprise sert à créer de la richesse sur un territoire pour la redistribuer autour d’elle. La mondialisation a certes fait évoluer la situation, notamment avec l’émergence de fonds de pension américains qui investissent en France dans le seul but d’en extraire un maximum de richesse et de la redistribuer sur un territoire qui ne nous intéresse pas. Mais les entreprises apatrides n’existent pas ! Ce sont celles qui parmi nos entreprises doivent conquérir des marchés à l’étranger pour continuer à créer de l’emploi en France qu’il faut soutenir ! Et je le répète : partout dans notre pays, les chefs d’entreprise se comportent normalement avec leurs collaborateurs, sans quoi leur équipe ne pourrait fonctionner.
M. Dominique Decaestecker. Je souhaite revenir, premièrement, sur la commande publique. Dans notre secteur, l’État est certainement le plus mauvais acheteur. Les prix qu’il pratique à l’achat ne nous permettent pas de rémunérer nos salariés au-delà du SMIC. Mais ce n’est pas seulement une question de prix : deux autres problèmes entrent en ligne de compte.
Tout d’abord, le prix d’achat est le seul critère de sélection pris en compte par l’État, à l’exclusion de tout autre, par exemple la qualité ou la responsabilité sociale. En 2004, c’est l’État qui a poussé les entreprises de notre secteur à créer un label de responsabilité sociale. Or – c’est un comble – il est aujourd’hui le seul acheteur à ne pas exiger ce label. S’il le faisait, il se rendrait compte d’une des exigences de la responsabilité sociale : la dénonciation éventuelle d’un contrat doit intervenir au minimum six mois avant son terme.
Or – c’est le second problème – tous nos gros clients ou donneurs d’ordres donnent aujourd’hui des réponses à leurs appels d’offre au moins six mois avant la date de reconduction du contrat, à l’exception de l’État. Des salariés, parfois nombreux, employés par une entreprise pour une prestation réalisée au profit de l’État peuvent ainsi se retrouver sans travail du jour au lendemain. En ne respectant pas le délai de six mois, l’État ne laisse pas aux entreprises le temps de prendre leurs dispositions : chercher d’autres clients ou trouver des solutions pour leurs salariés. Il est donc essentiel d’améliorer les conditions de la commande publique.
Deuxièmement, je souligne le caractère déterminant des comparaisons de coût du travail pour la localisation de l’activité. Le groupe international d’origine allemande dans lequel je travaille a décidé, il y a douze ans, de fermer plusieurs entrepôts en Allemagne pour les recréer dans la commune d’Atton, sur la butte de Mousson, près de Nancy. La comparaison des coûts horaires du travail a constitué l’élément décisif : à l’époque, ce coût était, en Allemagne, supérieur de 25 % à ce qu’il était en France. Ce n’est plus le cas.
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et la recherche est une bonne mesure pour notre secteur et pour mon entreprise, même si en peut estimer que son ampleur – 20 milliards d’euros – n’est pas suffisante. Dans la mesure où, dans notre secteur, les décisions d’implantation sont fondées sur des comparaisons internationales du coût du travail, il est essentiel que ce crédit d’impôt soit considéré, dans le cadre des normes comptables internationales IFRS, non pas comme une réduction d’impôt, mais comme une diminution du coût horaire du travail. Pour revenir à mon groupe, c’est non pas le taux d’imposition mais, je le répète, le coût horaire du travail qui a constitué le critère déterminant dans sa décision d’implantation en France. Aucun chef d’entreprise n’est choqué de payer des impôts quand il réalise des profits.
J’ajoute que les contreparties au crédit d’impôt qui pourraient être exigées, notamment à la demande des organisations syndicales, seraient source de lourdeur et nuiraient à la clarté de la mesure. Elles en diminueraient non pas le coût, mais l’impact.
J’en viens, troisièmement, à la question de la TVA sociale. Toutes les mesures qui peuvent contribuer à réduire la masse salariale – qui représente 70 à 75 % du chiffre d’affaires dans notre secteur – sont opportunes. Cependant, les mesures que vous prenez aujourd’hui en faveur de la compétitivité-coût seront progressivement annulées par les surcoûts liés au financement de la santé et des retraites, qui vont augmenter mécaniquement dans les années à venir. Il convient donc de réformer le financement de la protection sociale. J’estime, à titre personnel, qu’il ne peut plus reposer sur le seul travail. Les consommateurs et les pays qui exportent leurs produits en France devront également y contribuer.
M. Lionel Baud. En Allemagne, dans le secteur automobile, les clients et les fournisseurs savent travailler ensemble. Ils ont été capables d’organiser de véritables filières, dans lesquelles prévaut une solidarité, d’ailleurs visible en temps de crise : les constructeurs allemands privilégient les entreprises sidérurgiques allemandes.
Nous ne disposons pas, en France, de filières bien organisées. On parle non pas de « clients » et de « fournisseurs », mais de « donneurs d’ordres » et de « sous-traitants ». C’est significatif. Vous pouvez aisément imaginer les relations qui en découlent entre les entreprises, ce qui a d’ailleurs suscité des débats.
Le précédent gouvernement avait pris des initiatives, notamment la création de la Plateforme de la filière automobile (PFA). Toutes les mesures de cette nature sont bienvenues. Il est indispensable que, dans chaque filière, tous les acteurs – clients, fournisseurs – soient représentés et puissent se parler. Dans le secteur automobile, les discussions ne doivent pas se résumer à des échanges entre les constructeurs et les fournisseurs de rang 1 ; elles doivent impliquer le réseau des fournisseurs dans son ensemble. Il convient que tous réfléchissent ensemble à la stratégie de la filière. Beaucoup d’efforts restent à faire dans ce domaine. L’absence de véritables filières constitue un handicap important pour la France par rapport à ses concurrents.
S’agissant des banques, les contraintes réglementaires et les nouveaux indicateurs imposés par les règles de Bâle III ne laissent pas d’inquiéter les PME. L’Allemagne, qui fait de l’accès de ses PME au crédit une priorité, a pris position : si ces critères dits de Bâle III ne sont pas modifiés, les banques allemandes ne seront pas tenues de les respecter. Et il en va de même d’ailleurs pour les banques américaines. En France, au contraire, on envisage de respecter les critères de Bâle III. Nous devrions pourtant adopter une position ferme et faire valoir que les banques doivent continuer à financer le tissu industriel. À défaut, les répercussions vont s’avérer sérieuses pour les PME.
M. Philippe Robert. Peu importe la nature et le niveau des aides. Ce qui compte, c’est la manière dont elles vont pouvoir être utilisées pour faire vivre les entreprises. Je suis d’accord : il convient de concentrer au maximum les aides sur les entreprises qui en ont réellement besoin, c’est-à-dire les entreprises industrielles. Vous ne pourrez pas redistribuer la richesse, si elle n’est pas d’abord créée.
Je reviens sur la question de la commande publique. Dans notre secteur, les emplois sont durables et ne sont pas susceptibles d’être délocalisés. Or, nos clients sont avant tout des collectivités territoriales. La richesse que nous redistribuons – une fois déduits les salaires, les impôts et les taxes – représente 53 % de celle que nous créons. On comprend mal, dans ces conditions, que des collectivités achètent moins cher à un concurrent étranger au risque de faire perdre cette richesse à l’économie locale, voire d’être confrontées à des suppressions d’emplois. Il en va d’ailleurs de même pour de nombreux produits consommés par les collectivités. On demande aux entreprises d’être citoyennes, mais c’est aux collectivités de montrer l’exemple !
D’autant qu’il est très difficile, dans notre secteur, de vendre à l’étranger. En Allemagne, par exemple, même lorsque nous sommes mieux placés dans le cadre d’un appel d’offres, c’est toujours un concurrent allemand qui nous est préféré. C’est également le cas, à plus forte raison, hors de l’Union européenne.
M. Jérôme Akmouche, directeur du Syndicat national du décolletage (SNDEC). Je reviens sur une mesure qui nous paraît nuire à la compétitivité : le plafonnement des ressources des opérateurs de l’État décidé dans le cadre des lois de finances pour 2012 et 2013.
L’enjeu porte actuellement sur la restauration des marges des entreprises pour leur permettre de financer l’innovation, facteur de différenciation et de compétitivité. Les industries de notre secteur font essentiellement de la sous-traitance et leur recherche et développement porte non pas sur les produits, mais sur les méthodes de production. Ce type de recherche et développement est difficilement éligible au crédit d’impôt recherche ou aux financements du Fonds unique interministériel (FUI). En outre, nos entreprises n’ont pas toujours les moyens de développer des compétences en interne pour mener à bien des travaux de recherche et développement. C’est pourquoi, dans notre secteur et dans d’autres, nous avons mutualisé nos efforts d’innovation au sein d’un centre technique industriel, qui permet des gains de productivité remarquables.
Cependant, à cause d’un malheureux amalgame avec d’autres de ses opérateurs, l’État a décidé de plafonner les ressources des centres techniques industriels, notamment du Centre technique de l’industrie du décolletage (CTDEC) et du Centre technique des industries mécaniques (CETIM). Concrètement, les entreprises du secteur versent un pourcentage de leur chiffre d’affaires pour financer les activités des centres techniques. Or, dès que le plafond fixé en loi de finances est dépassé, les contributions des entreprises sont reversées au budget de l’État, au lieu d’être consacrées aux travaux de recherche et développement menés par les centres techniques. Alors qu’on nous encourage à innover et à améliorer notre compétitivité hors coût, on freine ainsi notre effort d’innovation.
M. le rapporteur. Cette difficulté a également été relevée par les responsables de centres techniques industriels lorsqu’ils ont été auditionnés par la commission des affaires économiques.
M. Yves Dubief. Pour répondre à la question du président Bernard Accoyer sur la Banque publique d’investissement (BPI) et la régionalisation, nous serons très attentifs : il est bon que les décisions de la BPI soient prises au plus près du terrain, mais il conviendra de prendre en considération des critères tels que le caractère « porteur » du secteur d’activités et la viabilité de l’entreprise concernée, non de prendre des mesures de court terme pour sauvegarder des emplois n’importe comment dans tel ou tel territoire.
M. le rapporteur. Je préfère de loin cette approche au mot « clientélisme » que nous avons entendu tout à l’heure à propos des décisions d’élus et qui m’a paru un peu déplacé. Quoi qu’il en soit, il conviendra en effet d’être attentif à la manière dont seront utilisés les crédits de la BPI.
M. Jean-François Hug. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi me paraît une excellente mesure, mais je signale deux dangers.
Premièrement, dans notre secteur, les prix sont, non pas de jure mais de facto, bloqués. Certains estiment que la relance passe par le blocage des prix à la consommation : pour redresser la croissance, les industriels devraient accepter de baisser leurs prix et de réaliser des pertes, notamment dans le secteur alimentaire, qui représente pourtant à peine 10 % de la consommation en France. Or, c’est tout l’inverse : si les entreprises ne peuvent pas restaurer leurs marges, elles ne pourront pas vivre, payer leurs salariés et créer du pouvoir d’achat. Pour que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi soit efficace, il conviendrait, au préalable, de permettre aux prix de retrouver un niveau raisonnable – mesure, au demeurant, peu coûteuse. À défaut, nos entreprises risquent d’être noyées dans la masse des problèmes auxquelles elles sont confrontées.
Deuxièmement, le crédit d’impôt ne portera que sur deux ou trois années et l’économie pour les entreprises sera différée dans le temps. Ce dispositif est relativement complexe. Si les charges avaient été diminuées directement, le coût de revient aurait baissé en conséquence et nous aurions pu bénéficier de cette économie instantanément. Notre principale préoccupation est la visibilité. Pour investir, dans la mesure où leurs rendements sont peu élevés, les PME font des projections de rentabilité sur cinq à dix ans. Or, nous avons là une mesure, certes significative, mais dont la pérennité n’est pas garantie.
Troisièmement, l’intéressement constitue un mécanisme utile qui permet à une entreprise qui réalise des bénéfices de récompenser ses salariés en fin d’année. Or, entre 2009 et aujourd’hui, le forfait social à la charge de l’employeur sur les sommes qu’il verse à ce titre est passé de 2 à 20 %. Les salariés ne comprennent pas le sens d’un tel prélèvement, qui va à l’encontre de l’objectif recherché. On reproche aux employeurs de ne pas faire le nécessaire. Mais que représente le produit du forfait social pour le budget de l’État ? Sans doute pas grand-chose.
M. Jacques Royer. Je souscris aux propos de mes collègues. Nous avons beaucoup évoqué la nécessité du dialogue et de la proximité. Je souhaite insister sur un point : il nous faut à la fois davantage de décisions à l’échelon européen et à l’échelon local. D’une part, le cadre réglementaire général – les règles fiscales ou sociales – doit désormais être fixé au niveau européen. D’autre part, les débats doivent avoir lieu au niveau de l’entreprise, de la filière, éventuellement de la région.
Il peut paraître paradoxal de vous demander à vous, députés, de confier davantage de pouvoirs à l’Union européenne et aux régions, mais nous savons pouvoir compter sur votre sens de l’intérêt général.
M. le rapporteur. La décentralisation a beaucoup progressé depuis trente ans.
M. Jérôme Frantz. M. Olivier Carré nous a demandé sur quel prélèvement nous estimions souhaitable de transférer les charges sociales. Nous avons proposé la TVA plutôt que la CSG. En effet, comme l’a dit le président Accoyer, nous avons créé une Europe non pas de l’offre, mais de la demande, c’est-à-dire une Europe des consommateurs, totalement ouverte sur l’extérieur. Transférer une partie des charges sur la TVA reviendrait à taxer les importations. C’est, à nos yeux, essentiel : il convient de refermer, dans une certaine mesure, le marché européen.
Nous devons, en outre, exiger la réciprocité de nos partenaires. Dans le secteur de la mécanique, une entreprise mexicaine qui souhaite vendre ses produits en Europe paiera des droits d’entrée à hauteur de 1,7 % en moyenne. À l’inverse, une entreprise française acquittera, au Mexique, des droits de douane de 32 %. C’est ahurissant !
On redoute qu’une augmentation de la TVA ne pèse sur le consommateur. Or, en Allemagne, où le Gouvernement a transféré une partie des charges sociales sur la TVA, les entreprises ont restauré leurs marges et ont, en conséquence, baissé leurs prix. Il n’y a eu aucune incidence pour le consommateur.
Vous nous avez interrogés sur nos attentes. Nous demandons, bien sûr, que l’État réalise des économies ! Il est question d’aides, d’exonérations de charges, de crédit d’impôt. Cela montre bien que nous payons, d’abord, des charges et des impôts. D’une certaine manière, on nous redistribue l’impôt qu’on nous a prélevé. Certes, une grande partie de cet impôt sert à financer le fonctionnement de la collectivité nationale et nous ne nous y opposons nullement. Mais si l’État et, surtout, les collectivités territoriales étaient moins dispendieux, les entreprises seraient moins ponctionnées et pourraient créer davantage de richesse. On enclencherait un cercle vertueux. Bien sûr, il convient de ne stigmatiser ni les chefs d’entreprise, ni les collectivités territoriales, ni l’État. C’est ensemble que nous y parviendrons.
Vous nous avez interrogés, enfin, sur les attentes de nos salariés. Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Premièrement, le rôle de Pôle emploi aujourd’hui, ou des ASSEDIC hier, consiste non pas à aider nos anciens salariés à retrouver un emploi, mais à gérer le chômage. Pôle emploi est toujours prisonnier de ce système de pensée. Nous estimons qu’une réforme profonde est nécessaire : Pôle emploi doit avoir pour mission unique de réaliser le transfert de compétences que j’ai évoqué tout à l’heure. Nous disposerons alors d’un outil efficace qui permettra aux salariés de retrouver un emploi dans notre pays.
Deuxièmement, les relations sociales étaient assises, hier, sur des raisonnements collectifs. Lorsque la direction recevait les représentants du personnel, ils étaient les porte-parole de l’ensemble des salariés de l’entreprise. Aujourd’hui, quand une entreprise est en difficulté, on s’occupe non pas de la collectivité des collaborateurs qui demeurent dans l’entreprise, mais des individus qui en partent. C’est d’ailleurs le problème auquel vous êtes confronté dans votre circonscription, Monsieur le rapporteur, avec la fermeture de l’usine de PSA à Aulnay-sous-Bois. Tant que nous ne nous pencherons pas sur cette question de fond, nous ne parviendrons pas à résoudre les problèmes de flexibilité du travail. Telle est la mutation profonde à laquelle nous assistons dans nos entreprises et dans la société : le passage du collectif à l’individuel. Nous devons là aussi y réfléchir ensemble, avec les partenaires sociaux.
M. le rapporteur. Je tiens à préciser que la totalité des salariés est contrainte de quitter le site d’Aulnay-sous-Bois.
S’agissant de la TVA, je le rappelle, un tiers du coût du crédit d’impôt – 20 milliards d’euros – sera financé par l’ajustement des taux de TVA. Cela ne sera pas sans conséquences sur les projets des investisseurs et des bailleurs sociaux, ou encore sur les grandes commandes publiques, par exemple dans le domaine des transports ou de la construction. En outre, 10 de ces 20 milliards d’euros sont des économies que devront réaliser les administrations publiques au sens large.
Quoi qu’il en soit, je partage le point de vue qui a été exprimé par plusieurs d’entre vous : il est nécessaire de concentrer les aides sur les secteurs qui en ont réellement besoin.
S’agissant des centres techniques industriels, je propose aux députés membres de la Mission de travailler sur le sujet sans attendre la fin de nos travaux et la publication du rapport. Nous pourrions soulever cette question lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative en deuxième lecture.
M. Gilles Benhamou. Je souhaite revenir sur la question des aides à travers l’exemple de deux de mes clients. Le premier est une industrie de pointe qui a obtenu un important crédit d’impôt recherche pour une innovation remarquable. Il s’apprête à passer avec succès à la phase de production, mais celle-ci sera entièrement réalisée en Chine, où il emploiera 300 personnes.
Le second fabrique des produits beaucoup plus classiques et va augmenter ses volumes, en passant de 100 000 à 600 000 pièces. Il doit aujourd’hui choisir : soit il transfère la production en Tunisie, soit il recrute des ingénieurs et investit dans la recherche et développement pour diviser le temps et les coûts de fabrication et garder ainsi la production en France. Il ne recevra aucune aide.
Il faut donc faire attention : les critères d’obtention des aides doivent être adaptés aux objectifs que l’on cherche à atteindre.
On entend partout que l’innovation va nous sauver. Or, ce n’est pas exact : il convient avant tout que nos concitoyens travaillent dans nos entreprises et que ceux d’entre eux qui n’ont pas le niveau baccalauréat trouvent un emploi. C’est sur ce point que nous devons concentrer nos efforts. J’emploie à l’étranger vingt ou trente ingénieurs, appréciés pour leur niveau d’étude. Je n’aurais aucune difficulté à en recruter le double et à les envoyer partout dans le monde. En revanche, que devons-nous faire pour que nos compatriotes qui n’ont pas le niveau baccalauréat trouvent un emploi ? Il faut aider à la créativité pour maintenir la production en France. Cela vaut pour l’ensemble de nos métiers. Or, l’État ne verse aucune aide dans ces cas-là. Pour maintenir des emplois, le crédit d’impôt doit cibler les innovations qui portent sur le processus de production.
Il a également été beaucoup question de participation des salariés à la gouvernance des entreprises. Nous disposons déjà, en France, de délégués du personnel, de comités d’entreprise et de comités centraux d’entreprise, ainsi que d’organismes spécialisés qui peuvent contrôler les comptes à tous les niveaux. Ces instances permettent de discuter au sein de l’entreprise. Cela n’a guère de sens d’ajouter une nouvelle strate ou de prévoir une représentation des salariés au conseil d’administration. D’autant que, dans les sociétés multinationales, le conseil d’administration qui prend les véritables décisions peut très bien se tenir à l’étranger, par exemple aux Pays-Bas. Dans ce cas, le conseil d’administration français est factice ou ne se réunit même pas.
Nous devrions, en revanche, mieux réfléchir à la gouvernance des marchés publics, en particulier à la spécification des produits, tels que les compteurs d’EDF. Recourir à des spécifications ne constitue en rien une mesure anticoncurrentielle : c’est définir la manière dont on souhaite qu’un produit soit fabriqué. Ainsi, une collectivité publique qui préciserait, dans un cahier des charges, que 70 % d’un produit doit contribuer à créer de la richesse sur son territoire ne contreviendrait pas pour autant à la réglementation européenne. Toutes les entreprises en concurrence, qu’elles soient françaises ou étrangères, seraient soumises aux mêmes règles et devraient répondre à cette exigence définie par le commanditaire. De la même manière, lorsque les autorités chinoises accordent une licence pour fabriquer des véhicules en Chine, elles spécifient que 60 % de l’équipement doit être fabriqué sur leur territoire. Tous les constructeurs étrangers concourent selon les mêmes règles et doivent se conformer à cette spécification du marché public.
M. le rapporteur. Je vous remercie tous de votre disponibilité et de vos contributions. Nous en ferons le meilleur usage et vous ferons part de nos conclusions.
S’agissant du financement de la protection sociale, je fais partie de ceux qui préfèrent parler de « cotisations » plutôt que de « charges ». Néanmoins, l’un d’entre vous l’a dit : notre mode de financement n’est pas pérenne et ne peut demeurer en l’état, notamment s’agissant de la branche « Famille ». Ce sentiment est largement partagé aujourd’hui. Cependant, le système actuel ne disparaîtra pas complètement. D’ailleurs, personne ne le propose vraiment. Le débat porte sur la conservation d’un modèle de solidarité, bien ancré en France, ou sur son évolution vers un système plus assurantiel qui existe chez d’autres. Dans tous les cas, le montant des dépenses sociales devrait rester sensiblement le même à l’échelle du pays.
Comme vous le savez, le Premier ministre a installé un Haut conseil pour réfléchir à cette question. Des décisions seront prises sur la base de ses conclusions. Nous pourrons alors nous revoir pour savoir si elles vous conviennent.
Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis
(Séance du jeudi 13 décembre 2012)
M. le président Bernard Accoyer. Nous sommes heureux d’accueillir M. Patrick Artus, économiste de renom qui enseigne à l’université Paris I. Après avoir dirigé les études économiques à la Caisse des dépôts, il est actuellement directeur de la recherche et des études de Natixis, et siège également au conseil d’administration de Total, l’une des plus fortes capitalisations du CAC 40.
Monsieur Artus, nous vous remercions de nous éclairer sur l’évolution des relations entre les banques et les entreprises françaises à la suite du choc de la crise financière. Notre mission a suivi avec intérêt vos publications récentes, dans lesquelles vous vous inquiétez d’une possible récession, en 2013, sous l’effet de l’alourdissement des charges, notamment fiscales, sur nos entreprises. Nous aimerions également avoir votre sentiment sur les suites que le Gouvernement a entendu donner au rapport Gallois, ainsi que sur les raisons de la fragilité de notre industrie, dont le développement est entravé par des marges insuffisantes.
M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis. Je traiterai d’abord, si vous le voulez bien, de la fragilité de notre industrie et de la question de ses coûts, avant d’aborder les problèmes liés au financement de l’économie.
Le problème de l’industrie française, désormais assez clairement perçu, tient à la fois au coût du travail et au niveau de gamme de nos produits. Les coûts salariaux dans l’industrie, charges sociales comprises, sont pratiquement les mêmes en France et en Allemagne. Ils doivent cependant être corrigés en tenant compte du niveau de gamme, que l’on peut notamment quantifier en analysant la sensibilité de la demande aux prix : plus un produit est banal et bas de gamme, plus la demande est sensible à son prix. D’après les calculs de notre service de recherche, le salaire horaire dans l’industrie, au niveau de gamme de l’Allemagne, est de 45 euros de l’heure en France, contre 34 euros outre-Rhin. L’égalité des coûts salariaux unitaires est donc une illusion, la différence s’élevant en réalité à quelque 30 %.
En outre, lorsqu’on fait des comparaisons internationales, on néglige souvent le fait que l’industrie consomme beaucoup de services – transport, personnel intérimaire, informatique, comptabilité, nettoyage, immobilier... La part de cette consommation représente 80 % de la valeur ajoutée de l’industrie française et elle est presque uniquement constituée de salaires ; ainsi, dans le prix d’un produit industriel, les salaires des services pèsent deux fois et demie plus que ceux de l’industrie. Lorsqu’on compare la France et l’Allemagne, il faut donc opérer une seconde correction, en intégrant cet élément dans le calcul. Or, grâce aux réformes du marché du travail opérées par les lois Hartz I à IV, les salaires des services sont bien plus bas en Allemagne qu’en France. En conséquence, cette correction ajoute encore quelque 10 points à l’écart de compétitivité entre les deux pays.
Au total, l’écart des coûts entre la France et l’Allemagne s’établirait donc pratiquement à 40 %. Ce chiffre est peut-être un peu exagéré, mais les grandes entreprises françaises qui opèrent dans les deux pays à la fois – notamment les industries du ciment et de l’agroalimentaire – affichent souvent des écarts de coûts de l’ordre de 30 %.
Depuis la fin des années 1990, les coûts salariaux unitaires dans l’industrie ont un peu plus augmenté en France qu’en Allemagne, mais ce sont surtout les prix qui font la différence entre les deux pays : alors qu’ils augmentent un peu plus vite que les coûts en Allemagne, la France est obligée de baisser les siens pour pouvoir vendre. Cela tient, à nouveau, au niveau de gamme de nos produits : lorsqu’on fabrique du bas de gamme, on se retrouve concurrent de pays à coûts salariaux faibles, et on est obligé de baisser les prix pour continuer à vendre. L’écrasement des marges des entreprises françaises trouve ainsi sa cause dans la baisse des prix plutôt que dans la hausse des coûts, ou encore dans l’impossibilité, pour les industriels, de répercuter les hausses de leurs coûts – salaires ou matières premières – sur leurs prix. Il a d’ailleurs atteint un maximum, soit aux moments où l’euro s’appréciait – ce qui a forcé les entreprises à baisser leurs prix en euros pour ne pas augmenter leurs prix en dollars –, soit quand les prix des matières premières augmentaient rapidement, empêchant notre industrie d’intégrer cette hausse dans ses prix de vente. Il importe donc de regarder l’ensemble des coûts, les salaires ne jouant qu’un rôle secondaire.
C’est alors le cercle vicieux de ce que les économistes des années 1960 appelaient la « maladie hollandaise » qui s’installe : l’industrie étant peu profitable, il n’y a pas d’incitation à y investir ; le capital va alors vers les autres secteurs de l’économie, qui se désindustrialise. L’industrie française investit six fois moins que l’Allemagne dans la modernisation de son appareil productif : cette année, elle n’a ainsi acheté que 3 000 robots, alors que l’industrie allemande en achetait 19 000, et l’italienne 6 000.
La France est le seul pays de l’OCDE où la profitabilité des entreprises, qui s’est considérablement améliorée partout ailleurs, continue à diminuer. Cette situation singulière s’explique en grande partie par la disjonction entre l’évolution des salaires et l’état de l’économie. Dans beaucoup de pays – l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Allemagne –, quand le chômage augmente, la croissance des salaires ralentit rapidement alors qu’on observe le contraire en France : la montée du chômage ne fait pas obstacle à celle des salaires. Cette particularité de la formation des salaires dans notre pays est l’une des causes de la faible profitabilité de ses entreprises.
Notre service a aussi essayé de comparer l’évolution du coût salarial unitaire en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne. L’opération est délicate car elle suppose de quantifier la productivité, dont les données ne sont pas facilement accessibles. Tout semble indiquer, cependant, qu’alors que ces coûts étaient, à la création de l’euro, nettement plus bas dans les trois autres pays qu’en Allemagne, le rapport s’est inversé pour la France et l’Italie depuis 2004 ou 2005.
Le défaut de profitabilité de l’industrie française date de 2000-2001, mais il est difficile de l’attribuer à la baisse de la durée du travail, le coût salarial unitaire n’ayant pas particulièrement augmenté durant ces années. Les causes dominantes résident sans doute dans l’appréciation de l’euro à partir de 2001, dans l’apparition sur la scène des pays émergents – entre 1998 et aujourd’hui, le poids de la Chine dans le commerce mondial est passé de 1,5 % à 12 % – et dans la hausse des prix des matières premières, qui a commencé à ce moment-là.
Je vous ai remis un document intitulé – vous allez tout de suite comprendre pourquoi – « France : le sandwich » qui explique bien le problème. Contrairement au Japon, à l’Allemagne, à la Suède, à la Suisse ou à l’Autriche, la France n’est plus guère présente dans le haut de gamme, hormis quelques industries de luxe, l’aviation et la pharmacie. Or, dans la production du bas de gamme, nous sommes en concurrence avec des pays dont des coûts de production sont plus faibles que les nôtres : les pays émergents, mais désormais aussi l’Espagne et les États-Unis. Notre balance commerciale avec l’Espagne, naguère excédentaire d’une dizaine de milliards d’euros, est aujourd’hui déficitaire de quelque cinq milliards d’euros, car les coûts salariaux espagnols sont nettement plus faibles qu’en France, et ce pays a désormais des capacités disponibles pour exporter, notamment des produits agroalimentaires, des biens intermédiaires comme le ciment et l’acier, ou des automobiles. La concurrence américaine porte pour sa part sur toutes les productions consommatrices d’énergie, notamment la chimie pétrolière ou gazière – le plastique, le pneu ou l’isolation. Les gaz de schiste donnent, en effet, aux États-Unis un avantage compétitif énorme – de l’ordre de 20 % – par rapport à l’Europe, et l’industrie chimique européenne commence à souffrir.
On a donc un effet de sandwich : le haut de gamme part vers des pays qui s’y spécialisent, et le bas ou le milieu de gamme vers des pays qui ont des coûts salariaux ou des coûts d’énergie plus faibles. Ce problème est très difficile à corriger, car la montée en gamme – que la Suède a réussie dans les années 1990 et le Japon dans les années 2000 – exige un long travail, aux résultats très incertains, que les constructeurs français d’automobiles, par exemple, ne veulent même pas tenter, estimant qu’ils n’en ont pas la capacité, pour ne pas parler de la crédibilité nécessaire. Les nouvelles industries seraient sans doute mieux placées à cet égard.
Si l’on voulait plutôt agir sur les coûts salariaux unitaires, la tâche serait, là encore, ardue : il faudrait par exemple les baisser de 20 % pour être au niveau de l’Espagne. Les produits de ce pays se situent, en effet, à un niveau de gamme très voisin de celui des produits français, très inférieur à celui des produits allemands et, dans une moindre mesure, italiens. Il y a donc une concurrence assez naturelle entre les productions françaises et espagnoles, et elle se renforce rapidement.
L’anomalie en termes de profitabilité en génère une autre, dans la structure de financement : le taux d’autofinancement, c’est-à-dire la part des investissements des entreprises couverte par leurs profits, se situe en France juste au-dessus de 60 % alors qu’il dépasse 100 % dans pratiquement tous les autres pays. Ainsi, en Espagne, au terme des restructurations intervenues depuis quatre ans, ce taux s’élève à 120 ou 130 % ; il se situe entre 100 et 130 % aux États-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et au Japon. L’incapacité de nos entreprises à s’autofinancer – encore une particularité française – les rend financièrement fragiles et donc particulièrement vulnérables aux chocs.
L’image du sandwich résume donc parfaitement cette situation, qui n’admet que deux voies de sortie – monter en gamme ou baisser les salaires – dont aucune n’est aisément praticable. Si l’on s’obstine à ne pas réagir, on verra se poursuivre l’amenuisement de la taille de l’industrie, la baisse du niveau de gamme, et celle de la profitabilité. Il ne s’agit pas d’une crise brutale, mais d’un lent déclin de la capacité à fabriquer des produits compliqués qui se vendent à des prix relativement élevés. Plutôt que de niveau de gamme, on devrait d’ailleurs parler de différenciation des produits, car c’est elle qui assure des marges bénéficiaires importantes. Or, un produit peut être différencié sans être particulièrement sophistiqué, comme le montre l’exemple de Volkswagen qui, contrairement aux constructeurs automobiles français, génère des marges gigantesques.
En ce qui concerne le financement de l’économie, la perception varie selon qu’on adopte une perspective macro-économique ou de terrain. Familier des deux, j’en arrive à la conclusion qu’il est impossible de trouver une preuve macro-économique d’un quelconque rationnement du crédit aux PME, le ralentissement de celui-ci étant entièrement imputable à la baisse de la demande. Cette analyse est partagée par beaucoup, en particulier par Patrick Sevestre, dans un document de travail qu’il a rédigé récemment pour la Banque de France.
Si mon expérience de terrain confirme ce diagnostic, on peut aussi penser que cette demande est découragée par l’augmentation des marges de taux d’intérêt que les banques exigent des PME. Chez Natixis, depuis le début de la crise, nous avons ainsi fait passer ces marges de 30 à 90 points de base environ. Les entreprises françaises se financent, en effet, avec des marges de taux d’intérêt bien plus faibles que celles de tous les autres pays européens ; la situation d’avant la crise était aberrante, et il est normal et positif que les banques françaises aient augmenté leurs marges, qui sont d’ailleurs sans doute encore un peu trop faibles par rapport au risque réel.
Chercher à financer les PME et les ETI autrement que par le crédit ne constitue donc pas une piste pertinente : leurs besoins de financement sont entièrement satisfaits par les banques. Mais, je le répète, c’est parce que cette demande est aujourd’hui particulièrement déprimée. Les crédits aux PME ont augmenté de 2,8 % sur un an, mais ils ralentissent et finiront par décroître. Les budgets d’investissement pour 2013 connaîtront en effet une baisse de 10 à 20 % selon les entreprises. Les grands groupes se finançant sur les marchés, les banques ne savent plus à qui prêter : les demandes de crédit immobilier ont baissé de 25 % en un an ; la plupart des collectivités locales, qu’on avait imaginées rationnées, ne cherchent pas à emprunter ; les mises en chantier vont diminuer de 20 % et les entreprises ne demandent plus de crédit. Le problème se pose donc dans des termes exactement inverses de ce qu’on croit généralement !
À plus long terme, le principal problème qui se posera en matière de crédit viendra du ratio de liquidité – Liquidity Coverage Ratio (LCR) – de Bâle III. L’idée est de déterminer le montant des réserves de liquidités dont doivent disposer les banques à partir de stress-tests dans lesquels on simule une crise de liquidité bancaire, due par exemple à l’impossibilité d’accéder aux marchés financiers ou au retrait, par les déposants, d’une partie de leurs dépôts. Ces stress-tests sont extrêmement sévères car on y suppose que les banques ne peuvent pas faire appel à la BCE et doivent par conséquent disposer, dans leur bilan, de réserves de liquidité suffisantes pour faire face à la crise, sous forme de cash, d’obligations d’État, d’obligations sécurisées (covered bonds) ou de titres d’entreprise soumis à des conditions très restrictives. Tel qu’il est défini, ce ratio pousse les banques à avoir d’énormes réserves de titres publics, puisque tout ce qui relève du collatéral de la BCE n’est pas considéré comme réserve de liquidité.
Si ce ratio devait être imposé dans sa définition actuelle, l’ensemble des banques françaises seraient amenées à réduire de quelque 25 % les crédits inscrits à leur bilan. Les Banques populaires, avec lesquelles travaillent 70 % des entreprises françaises, auraient ainsi à ramener leur ratio crédits sur dépôts de 150 % à 100 % environ. Pour l’instant, cette perspective ne produit aucun effet, d’abord parce que la demande de crédit est très faible, ensuite parce que nous ne connaissons pas les caractéristiques du ratio de liquidité qui sera finalement adopté. La Commission européenne a en effet décidé de ne pas l’inscrire dans la directive CRD (« Capital requirements directive ») IV qui reprend les règles de Bâle III. Mais l’instauration d’un ratio aussi sévère constituerait une énorme menace pour les banques françaises – et quasiment pour elles seules, car si les banques anglaises seraient également touchées, ce serait dans une bien moindre mesure. En effet, contrairement aux banques allemandes, espagnoles ou italiennes qui disposent de réserves de liquidité importantes sous forme de dépôts bancaires, les nôtres n’inscrivent pas toute l’épargne des déposants à leur bilan : la partie du livret A centralisée à la Caisse des dépôts, les fonds d’OPCVM –organismes de placement collectif en valeurs mobilières – et d’assurance-vie n’y figurent pas. Elles ont donc les crédits, mais sans les dépôts correspondants. D’où un ratio crédits sur dépôts beaucoup plus élevé que dans les autres systèmes bancaires européens, et cette spécificité complique la discussion avec le comité de Bâle puisque les banques espagnoles, italiennes et allemandes ne voient aucune objection au ratio de liquidité envisagé. Les seules à protester sont les banques françaises et anglaises, heureusement soutenues par Mario Draghi.
Pour résumer, le problème de l’industrie française tient au couple salaires-niveau de gamme, déterminant une situation qui ne peut qu’empirer d’elle-même : comme nos entreprises n’ont pas les moyens de leur modernisation, le niveau de gamme relatif de leurs produits se dégrade par rapport à celui des pays concurrents. Aujourd’hui, les salaires baissant dans les pays du sud de l’Europe, ceux-ci gagnent en compétitivité sur le milieu et le bas de gamme. Depuis le début de la crise, les coûts salariaux unitaires continuent à monter en France et en Italie alors qu’ils baissent de plus en plus rapidement en Espagne ; ce pays devient donc un compétiteur de plus en plus dangereux.
Pour l’instant, la situation n’est pas aggravée par un problème de financement. Il n’y a donc aucune urgence à agir pour le financement des PME et il vaut mieux continuer à se concentrer sur celui des start-up, des entreprises innovantes et des créateurs. En revanche, il faut maintenir la pression sur la Commission et sur le Parlement européens pour qu’ils fixent un ratio de liquidité raisonnable car il pourrait y avoir là, pour le financement de l’économie, une menace infiniment plus sérieuse que le supposé rationnement du crédit par les banques, qui n’a de réalité qu’anecdotique.
M. le président Bernard Accoyer. Voilà un tableau et des projections bien préoccupants !
M. Olivier Carré. L’OCDE, l’Eurogroupe et bien d’autres dénoncent la rigidité des marchés du travail espagnol et français. L’Espagne a commencé de réagir et, chez nous, le Gouvernement ouvre maintenant ce chantier. On nous a dit que le niveau du SMIC – en valeur non pas absolue, mais relative – était un frein à l’emploi, en particulier à l’emploi des jeunes. Quel est votre avis sur ce point ? Comment améliorer la situation ?
Existe-t-il des études sur le coût « invisible » des contraintes administratives, qui semblent particulièrement pesantes en France ? Les industriels qui travaillent à l’international jugent en effet l’administration française moins business-friendly que ses homologues allemande ou anglo-saxonne.
M. Patrick Artus. Le vrai problème du marché du travail français, c’est qu’il n’y a aucune corrélation entre l’évolution des salaires et celle de la situation économique. Dans tous les autres pays de l’OCDE, lorsque la compétitivité se dégrade ou que le chômage monte, la progression des salaires ralentit ; la baisse du coût du travail constitue alors une force de rappel qui corrige la compétitivité et exerce ainsi un effet stabilisateur. Nulle force de rappel en France : le salaire ne réagit à rien – ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Il a une vie autonome, augmentant toujours dans la même proportion, quelle que soit la situation économique.
Deux explications peuvent être invoquées. D’abord le fait que l’évolution du SMIC suive, non celle de la conjoncture, mais bien plutôt celle des prix – quand il ne la devance pas. Comme ce salaire minimum se monte à 47 % du salaire médian, il en résulte un tassement de la hiérarchie des rémunérations dont une grande partie se retrouve, comme lui, déconnectée de la croissance.
D’autre part, la France fournit l’exemple même du concept de « syndicats d’insiders » théorisé par Robert Solow dans les années 1970. Lorsque les syndicats ne représentent dans les négociations avec les employeurs que les salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non ceux qui l’ont perdu –, les salaires ont tendance à augmenter en période faste et à simplement stagner en période difficile, mais ils n’évoluent jamais de manière à ramener les chômeurs à l’emploi. Dès que la situation s’améliore, ceux qui ont eu la chance de garder leur travail obtiennent de nouvelles hausses de salaires, ce qui maintient ceux qui l’ont perdu en dehors de l’entreprise. Il y a donc un effet de cliquet qui explique qu’en France l’inertie du chômage lors des périodes de reprise économique soit la plus élevée de tous les pays de l’OCDE.
Les réflexions académiques sur le sujet s’accordent sur la nécessité de rendre le niveau du SMIC dépendant de la croissance, afin qu’il augmente davantage lorsque la situation est bonne, et qu’il augmente moins, voire qu’il baisse, en cas de récession. Cette idée, qui faisait partie des propositions de campagne du président Hollande et qui est actuellement en débat, m’apparaît raisonnable. D’autre part, pour les négociations salariales, il conviendrait de se rapprocher du modèle allemand ou scandinave, pour y inclure, outre les salariés en CDI qui ont gardé leur emploi, les chômeurs et les salariés en CDD ou en intérim. Comme le montrent surabondamment les études sur le marché du travail, le niveau de négociation est ici important : une négociation très décentralisée – par usine ou par établissement – favorise les syndicats d’insiders alors qu’une négociation par branche est plus propice à une démarche macroéconomique visant à ramener au travail les chômeurs. Le modèle allemand de négociation par branche semble donc supérieur au modèle français, très décentralisé. Certains travaux anglais encore moins politiquement corrects montrent qu’il est très mauvais d’avoir plusieurs syndicats en concurrence ; le modèle allemand – un syndicat par branche – donne là encore de meilleurs résultats.
En revanche, il n’y a pas de travaux en France sur le coût de l’environnement administratif. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’administration que l’empilement de normes – de sécurité ou environnementales –, ainsi que leur application rigide par les directions régionales de l’industrie, qui sont mis en cause. Cependant, à ma connaissance, ce point non plus n’a pas fait l’objet d’études nationales. Certains patrons avancent bien des chiffres pour leur entreprise et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) évalue ce coût des normes en points de PIB, mais on ne sait comment elle est parvenue à ce résultat.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cet empilement de normes vous semble-t-il moindre chez nos concurrents européens ?
M. Patrick Artus. Je n’en suis pas sûr ; il me semble pire encore en Italie, similaire en Allemagne. Une partie de ces normes étant européennes, le problème excède le cas de la France.
M. Olivier Carré. Je crois que le problème vient, en France, de leur mise en œuvre a priori.
M. Olivier Véran. De nombreux experts partagent votre constat sans appel : la France a décroché, depuis plusieurs années, par rapport à ses concurrents. Prise « en sandwich » comme vous l’avez expliqué entre l’industrie allemande à haute valeur ajoutée et l’industrie, espagnole notamment, à bas coûts de production, notre industrie semble menacée de disparition. Il faut donc lui permettre de se moderniser, pour « monter en gamme ». J’aimerais recueillir votre avis sur le virage pris à cet effet avec le pacte de compétitivité, qui vise à remettre la France sur le chemin d’une économie de confiance. Le coût du travail se trouvera réduit grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le marché du travail est en cours de rénovation, le contrat de génération n’étant que l’exemple le plus récent de ce travail. Il est impératif que les entreprises mettent à profit ces nouvelles marges pour investir dans leur outil de production plutôt que pour augmenter les dividendes.
Mais la compétitivité de l’économie n’est pas seulement affaire de coûts. Quels leviers pourrait-on actionner pour améliorer la qualité des produits et des services ? Que peut-on espérer de cet effort ? Enfin, quel rôle l’Europe pourrait-elle jouer en ces matières ?
M. Patrick Artus. Le pacte de compétitivité va dans la bonne direction : pour la première fois depuis les chocs pétroliers des années soixante-dix, la France s’engage dans une politique économique de soutien à la production alors qu’elle avait jusqu’ici privilégié la consommation. Il importerait d’ailleurs de convaincre les investisseurs étrangers de ce changement d’attitude, qu’ils n’ont toujours pas perçu.
Depuis la création de l’euro, il y a treize ans, la demande intérieure a augmenté en France de 60 % en volume tandis que la production industrielle baissait de 5 % et que les importations doublaient. La production nationale n’a donc contribué en rien à satisfaire la hausse de cette demande : les aides à la consommation n’ont fait qu’accroître les importations – le dernier exemple de cela étant fourni par le soutien à l’énergie photovoltaïque.
Il ne faut pas, pour autant, attendre des résultats spectaculaires des mesures récemment adoptées. D’abord parce qu’elles sont de faible ampleur. En 2013, elles annuleront simplement les hausses d’impôt sur les entreprises décidées par ailleurs. Leur effet positif ne se manifestera qu’à compter de 2014, pour environ six milliards d’euros, à rapporter aux 100 milliards de déficit de profitabilité de nos entreprises. Dès lors, celles-ci n’augmenteront certes pas les dividendes, mais se contenteront de se désendetter ou de constituer des réserves financières, pour améliorer un taux d’autofinancement qui n’est aujourd’hui que de 62%. Il n’est certes pas mauvais qu’elles renforcent ainsi leur solidité financière, en réduisant leur dépendance à l’égard des banques et des marchés, mais il ne faut pas en escompter une relance des investissements et de l’emploi : aujourd’hui les entreprises françaises détruisent des capacités de production et n’expriment par conséquent aucun besoin d’investissement. On évitera surtout des dépôts de bilan. Depuis le mois d’octobre, les réseaux bancaires constatent en effet une très importante augmentation des difficultés des entreprises, avec une rapide élévation de la taille moyenne de celles qui sont touchées.
Il faut en outre préciser que, les salaires dans le secteur des services à l’industrie étant plus élevés que dans celui des services aux particuliers, le CICE ne pourra profiter à nombre d’entre eux du fait du seuil fixé à seulement 2,5 SMIC.
La question de la compétitivité hors coûts rejoint celle de la montée en gamme. Alors que la France bénéficie d’une excellente recherche fondamentale, celle-ci profite peu à l’industrie, en dépit du crédit d’impôt recherche. Ainsi le nombre d’ETI entretenant des rapports réguliers avec un laboratoire de recherche serait de l’ordre de 750 en France, contre 15 000 en Allemagne. Cette déperdition se retrouve dans d’autres statistiques, comme celles du nombre d’exportateurs ou de produits nouveaux : sur tous ces points, la France se situe à un niveau très inférieur à celui de l’Allemagne.
Comment corriger cette situation et faire en sorte que nos industriels aillent puiser des idées dans les laboratoires universitaires ? Cette pratique, aussi courante que spontanée aux États-Unis, a donné par exemple les succès du stylo-bille ou de la poêle Tefal. Le retard français en la matière s’explique peut-être par la taille insuffisante de nos entreprises.
Des investissements européens seraient-ils de nature à améliorer la compétitivité de nos économies ? Une chose est sûre : il faut impérativement diminuer le coût de l’énergie en Europe. Des entreprises grosses consommatrices d’énergie commencent à se délocaliser vers les États-Unis, en particulier vers la Louisiane. En effet, lorsque la pétrochimie européenne, qui emploie environ 1,5 million de personnes, doit payer 110 dollars le baril de pétrole, l’équivalent américain, tiré de l’industrie du gaz, s’établit plutôt à 18 dollars, soit six fois moins. Or il en va de 50 % des coûts de production.
Nous devons donc réfléchir aux moyens de fournir à nos industries une énergie nettement moins chère. Quand Gazprom, société russe, vend son gaz en Europe de l’ouest 14 dollars le million de british thermal units (BTU), les entreprises américaines obtiennent le même gaz à 3 dollars. On ne peut agir qu’à échelle européenne, pour opposer un front commun à Gazprom mais aussi pour interconnecter nos réseaux électriques.
De surcroît, en France, les dispositifs visant à proposer une électricité moins chère ne profitent pas aux entreprises, mais seulement aux particuliers. La situation est exactement inverse en Allemagne : là, c’est le consommateur qui subventionne l’industrie.
La baisse du coût de l’énergie aux États-Unis est un phénomène considérable, comparable en ampleur au début de l’exploitation du charbon dans le Royaume-Uni des années 1820. En outre, cette évolution se fait sans rencontrer d’obstacle d’ordre environnemental puisqu’on passe du charbon au gaz, ce qui divise par deux les émissions de CO2. Il faut donc s’attendre à une réindustrialisation massive de l’Amérique du nord grâce à une énergie à faible coût, qui plus est écologiquement vertueuse. Ce sera le produit d’une stratégie mûrie depuis vingt ans et en faveur de laquelle l’économie des États-Unis a déjà fortement investi pour obtenir à terme son indépendance énergétique.
L’Europe peut-elle conduire une politique analogue, qui ne peut évidemment reposer sur les seuls gaz de schiste, pour réduire sa facture énergétique ? Ce qui est sûr, c’est que si elle ne le fait pas, notre industrie subira un lourd handicap supplémentaire.
M. Olivier Véran. À Meylan, près de Grenoble, l’entreprise H3C-énergies a développé un procédé permettant aux entreprises de diminuer leur consommation d’énergie dans des proportions considérables – de 30 à 70 % –, à partir de l’évaluation de leurs besoins et de leurs installations.
M. Patrick Artus. C’est déjà bien mais, pour l’essentiel, ne sous-estimons pas la volonté farouche des Américains, républicains comme démocrates, de changer fondamentalement la donne énergétique afin de devenir totalement autonomes. Les effets sur l’économie mondiale seront considérables.
M. le président Bernard Accoyer. Le coût de l’énergie constitue un élément décisif pour la croissance. En plus du développement des puissances émergentes, nous allons assister au vigoureux redressement de la première puissance économique mondiale, pays le plus innovant et qui détient les meilleurs instruments de recherche fondamentale. Dans ce contexte, l’Europe semble mener une politique énergétique confuse, décidant souvent sous le coup de l’émotion – ainsi en matière nucléaire, après l’accident de Fukushima – ou sous l’emprise de partis pris excessifs, comme à propos de la prospection des gaz de schiste.
À la veille du grand débat sur l’énergie annoncé par le Gouvernement, ces éléments pèsent lourdement sur les déterminants des coûts de production en France, compte tenu notamment des arbitrages à effectuer entre énergies traditionnelles et énergies nouvelles. Comment, dans ces conditions, voyez-vous l’évolution de l’équation énergétique française ?
M. Patrick Artus. Si, cette année, l’industrie américaine dans son ensemble avait payé son énergie au prix européen, elle aurait subi un surcoût de 150 milliards de dollars.
Nous allons devoir, à moyen terme, réviser sensiblement à la baisse l’évolution du prix du pétrole. Les États-Unis vont en importer de moins en moins et la croissance mondiale sera plus faible que prévu. Les prévisions qui nous annonçaient un baril à 200 dollars en 2020 sont totalement démenties. Le cours actuel de 100 dollars ne tient qu’en raison de la politique de baisse de la production de l’Arabie saoudite, qui a besoin de maintenir le cours à un niveau artificiellement élevé pour financer ses dépenses. Dans un marché véritablement concurrentiel, ce cours se serait effondré, s’établissant probablement aux alentours de 30 dollars le baril. La production mondiale est actuellement supérieure à la demande, de cinq millions de barils par jour et elle risque de demeurer longtemps excédentaire. En supposant que les Saoudiens continuent de contenir l’offre tandis que les autres pays de l’OPEP produiraient à pleine capacité, le coût du pétrole devrait, au plus, se stabiliser. De ce fait, plusieurs autres sources d’énergie, fossiles comme non renouvelables, cesseront d’être rentables, notamment les schistes et les sables bitumineux canadiens.
Tous les scénarios établis au cours des dernières années, fondés sur la raréfaction et le relèvement du coût des énergies fossiles traditionnelles, se trouvent inversés, avec du gaz de moins en moins cher. Celui tiré du schiste sera bientôt en exploitation dans plusieurs pays, dont l’Argentine, le Danemark, la Pologne, la Chine…
Ce retournement de tendance risque bien de ne pas faciliter les choix politiques, d’autant que certains pays producteurs de pétrole – Iran, Irak et Venezuela – pourraient, à plus ou moins long terme, accroître leur production.
M. Claude Sturni. Le faible nombre de robots industriels installés en France est révélateur d’une certaine frilosité de nos entreprises. Comment l’explique-t-on ? La rigidité de notre marché du travail y contribuerait-elle, parce qu’automatiser supprimerait des emplois ?
Le seuil de rémunération retenu pour l’application du CICE ne démontre-t-il pas que l’on ne croit pas vraiment en l’avenir de notre industrie, et surtout pas dans sa possibilité de « monter en gamme » ?
M. Patrick Artus. Pour ce qui est de l’automatisation, le problème majeur réside dans l’incapacité des entreprises à investir, en raison de leur trop faible niveau d’autofinancement. Des études de la Banque de France ont montré que 80 % des PME françaises investissaient très peu, n’exportaient pas, ne grandissaient pas et n’embauchaient pas, se limitant à une stratégie de consolidation de leur bilan en vue d’une autarcie financière durable qui assure leur simple survie. Selon le Conseil d’analyse économique, seulement 10 % d’entre elles contribuent à la croissance, contre 50 % en Allemagne.
Le CICE résulte d’un compromis entre deux objectifs très différents : d’une part, poursuivre la baisse des charges sur les bas salaires afin de créer des emplois pour des jeunes non qualifiés ; d’autre part, fournir des marges à l’industrie pour qu’elle puisse se moderniser. Le premier, en favorisant l’emploi dans les services à la personne, dans la distribution, dans l’artisanat, tous secteurs sans grands potentiels de croissance, contribue à faire « descendre en gamme » l’économie française. Poursuivre efficacement le deuxième aurait nécessité un CICE beaucoup plus ambitieux. En effet, si l’on compare nos coûts salariaux avec ceux des autres pays européens, c’est quand on en vient aux jeunes ingénieurs et aux techniciens supérieurs qu’on constate l’écart le plus important – il serait de l’ordre de 30 % avec l’Allemagne. C’est pourquoi Louis Gallois proposait initialement que le CICE jouât jusqu’à 3,5 SMIC. Ne pas l’avoir écouté est une erreur, au détriment de la localisation des industries en France.
M. Jean-René Marsac. Vous avez brossé un panorama complexe et incertain. N’y a-t-il pas, tout de même, des filières ou des secteurs d’activité pour lesquels on peut envisager l’avenir avec un peu d’optimisme ?
M. Laurent Grandguillaume. Dès 1993, Peter Drucker prévoyait un retour de la géographie et de la géopolitique comme déterminants de l’évolution de l’économie mondiale. Ce qui s’est passé dans le domaine énergétique lui a donné raison, tout comme l’esquisse de ce que d’aucuns appellent déjà une « Chinafrique ».
Il avait également raison à propos de l’économie du savoir, qui semble s’être substituée à la vieille économie du capital décrite par Karl Marx. Les disparités en matière de savoir expliquent les inégalités dans la création de richesses aussi bien que dans leur répartition. D’où l’importance, dans cette économie de la connaissance, du débat en cours sur le brevet unique européen.
Enfin, le taux de change, aujourd’hui très favorable à l’euro, présente à ce titre de graves inconvénients pour la compétitivité de nos produits nationaux – y compris les vins de Bourgogne ! Pour nos viticulteurs, les problèmes de coût du travail ne viennent qu’au deuxième rang… Qu’attendre de la politique monétaire ?
M. le rapporteur. Envisagez-vous, compte tenu de votre constat inquiétant, des risques de récession dans notre pays ?
Qu’attendez-vous, à court et à moyen terme, de la Banque publique d’investissement (BPI) ? L’instrument est-il bien calibré ?
On ne retient le plus souvent du pacte de compétitivité que le CICE alors qu’il comporte une trentaine d’autres mesures. Cela étant, serait-il selon vous possible de moduler ce crédit d’impôt en fonction du type d’entreprises ou du secteur concernés ? En effet, les questions ne se posent pas dans les mêmes termes pour les services aux entreprises et pour les services aux particuliers, ce qui a pu amener à s’interroger sur l’efficacité véritable du nouveau dispositif pour le redressement économique de notre pays.
Vous venez de publier un ouvrage sur la crise de l’euro. Quelles modifications suggéreriez-vous dans le fonctionnement de la zone économique à dix-sept, comme d’ailleurs dans celui du marché intra-européen ? Comment l’euro, depuis sa création, a-t-il pesé, favorablement ou non, sur le développement économique de l’Union ?
M. Patrick Artus. La montée en gamme de nos productions industrielles relève-t-elle de choix stratégiques globaux a priori, ou vaut-il mieux, comme le Fonds stratégique d’investissement (FSI), appuyer les projets des entreprises en pensant qu’elles sont les mieux placées pour juger de ce qu’elles peuvent ou non ? Il faut sans doute combiner les deux approches.
Les secteurs qui conservent un avantage comparatif sont l’agro-alimentaire, les industries du luxe, l’aéronautique et la pharmacie. Mais c’est à peu près tout.
Aux États-Unis, selon le Department of Energy, le recours au gaz de schiste viserait à réduire les dépenses militaires afin de rééquilibrer le budget fédéral et de financer les dépenses de santé. Il permettrait en effet de ne plus importer, à partir de 2016, aucune ressource énergétique du Moyen-Orient, ce qui permettrait aux Américains de se désengager de cette région. L’objectif, on le voit, est autant géopolitique que budgétaire.
La création de l’Office européen des brevets (OEB) constitue, en effet, un indéniable progrès et je suis d’accord avec vous sur l’intérêt qu’aurait un brevet unique. En revanche, je ne vous suivrai pas en ce qui concerne le cours élevé de l’euro.
Notons d’abord que ce haut niveau de la monnaie unique ne saurait être imputé à la politique de la Banque centrale européenne (BCE) : depuis le début de la crise, celle-ci a créé plus de monnaie que la Réserve fédérale américaine. Que peut-elle faire de plus ?
Précisons surtout qu’un taux de change favorable à l’euro ne représente pas nécessairement un handicap économique. Une dépréciation monétaire avantagerait à court terme nos produits industriels, mais nous appauvrirait en renchérissant nos importations, dans une proportion supérieure aux gains obtenus à l’exportation. Ce serait donc une très bonne chose pour un pays très industrialisé comme l’Italie, mais pas pour la France et pour son PIB. C’est d’ailleurs pourquoi la Grèce, très dépendante des importations, ne veut pas renoncer à l’euro.
Je prévois en effet une récession économique en France pour 2013 et 2014. En raison d’un marché du travail très peu réactif, nos cycles économiques sont plus longs que ceux d’un pays comme l’Espagne. En cas de crise, notre consommation résiste mieux qu’ailleurs car les salaires ne s’ajustent pas immédiatement. Mais les difficultés finissent par nous rattraper, avec deux ans de décalage sur les autres. Le pire de la crise est donc devant nous, probablement en 2013, quand nos concurrents commenceront à se redresser un peu.
On peut difficilement moduler le CICE en fonction du type d’entreprises ou du secteur d’activité, ne serait-ce que pour des raisons de droit constitutionnel. La proposition initiale de Louis Gallois me paraissait préférable : faire jouer les allégements entre 2 et 3,5 SMIC, le tri sectoriel s’opérant alors par le simple effet de ces seuils.
S’agissant de la crise de l’euro, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que l’Allemagne accepte jamais d’aider les autres pays européens en laissant filer chez elle inflation et salaires. En effet, comme l’a confirmé il y a quelques jours le ministre allemand des finances, M. Schaüble, elle entend bien conserver son avantage compétitif et prendra, éventuellement, de nouvelles mesures en ce sens, comme l’avait fait le gouvernement Schröder. On pense à cet égard la même chose au SPD et à la CDU : presque tous les économistes allemands jugent que certains pays d’Europe vivent au-dessus de leurs moyens et que c’est donc à eux de consentir les sacrifices nécessaires. Autrement dit, les Allemands ne paieront pas d’impôts supplémentaires pour subventionner Volkswagen afin que l’entreprise construise des usines au Portugal… Pour reconstruire notre industrie, nous ne pouvons donc compter que sur nos propres forces !
M. le président Bernard Accoyer. Je vous remercie, Monsieur, de cette analyse sans concession.
Audition, ouverte à la presse, de l’Association française des entreprises privées (AFEP), représentée par M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema, M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema, Mme Stéphanie Robert, directrice de l’AFEP et M. Olivier Chemla, chef économiste
(Séance du jeudi 13 décembre 2012)
M. le président M. Bernard Accoyer. L’Association française des entreprises privées (AFEP) est une organisation patronale singulière, puisqu’elle regroupe la quasi-totalité des entreprises françaises du CAC 40, ainsi que d’autres groupes de grande taille. Son influence est généralement présentée comme déterminante pour faire valoir les intérêts des entreprises par des interventions aussi discrètes qu’efficaces auprès des pouvoirs publics. Elle fut créée au début des années quatre-vingt par M. Ambroise Roux, ancien président-directeur général de la Compagnie générale d’électricité (CGE), aujourd’hui disparue.
Arkema est un groupe chimique international qui emploie 14 000 salariés dans le monde dont 9 000 en France, où il dispose par ailleurs de trente usines et centres de recherche. Son capital étant, comme celui de la plupart des très grands groupes français, assez largement détenu par des investisseurs internationaux, M. Le Hénaff est bien placé pour évoquer les problèmes économiques de la France et le climat des affaires. Notre mission d’information est en effet intéressée par la façon dont les investisseurs étrangers perçoivent la situation française.
J’ajoute que le groupe Arkema, créé en 2004, a en réalité une longue histoire puisqu’il est né de la séparation des activités chimiques du groupe Total, qui est lui aussi représenté au sein de l’AFEP.
Nous aimerions en particulier, Madame, Messieurs, avoir votre avis sur les suites données par le Gouvernement au rapport Gallois.
M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema. Je m’exprimerai à la fois au nom d’Arkema et de l’AFEP, pour vous faire part de nos convictions sur le sujet de la compétitivité.
L’AFEP représente plus de cent grands groupes français et internationaux, qui emploient au total 5,8 millions de salariés et génèrent 1 500 milliards d’euros de chiffre d’affaires, une part significative des emplois et de cette valeur ajoutée étant d’ailleurs localisée en France.
Dès le mois de juin 2012, l’AFEP a lancé des groupes de travail sur le sujet de la compétitivité. Les directeurs généraux et les équipes des entreprises adhérentes s’y sont impliqués avec la volonté de constituer une force de proposition, de mettre en lumière certaines faiblesses et, surtout, de contribuer à la recherche de solutions concrètes avec le Gouvernement.
Arkema est le numéro un français du secteur de la chimie, et l’un des leaders mondiaux, face à des sociétés américaines, allemandes, chinoises et japonaises. Notre groupe exporte 75 % de sa production ; il réalise 10 % de son chiffre d’affaires en France, mais y emploie 50 % de ses salariés et y effectue 45 % de ses investissements industriels. Arkema est l’une des sociétés qui investit beaucoup en France, à hauteur de 150 à 200 millions d’euros par an. Par ce fort ancrage national et le fait qu’elle exporte beaucoup hors de France, notre société est directement concernée par le sujet de la compétitivité.
Quelques grands projets sont en cours de réalisation en France, parmi lesquels la conversion des sites de Lacq / Mourenx, dédiés aux dérivés du soufre extrait du gaz du gisement, la transformation de Jarrie – près de Grenoble – où nous investissons la meilleure technologie disponible pour la production de chlore, et la modernisation du site de Carling, en Lorraine. Ces trois projets représentent à eux seuls 200 millions d’euros d’investissements.
Par ailleurs, 75 % de notre recherche est implantée en France, nouvelle preuve - s’il en fallait une - du lien entre emploi et compétitivité. La situation serait bien différente sans le crédit d’impôt recherche, outil qui permet à la recherche française d’être compétitive. Enfin, notre société est cotée à Euronext Paris.
Malgré le fait que les grands groupes chimiques soient moins nombreux dans notre pays qu’en Allemagne - qui en compte cinq ou six – et qu’ils aient traversé des difficultés dans le passé, la France reste une terre de tradition chimique. Elle est le deuxième pays européen dans ce secteur et le cinquième dans le monde, même si le Brésil et la Corée du Sud l’ont rattrapée. La chimie française emploie 156 500 salariés sur notre sol, et jusqu’à 200 000 si l’on inclut les emplois indirects, sans compter les filières de la sous-traitance. Le solde commercial du secteur, très positif, est le troisième en France dans l’industrie, derrière l’aéronautique et l’agroalimentaire.
Toute mesure touchant à la compétitivité a un impact direct sur l’activité du secteur, qui emploie une large part de main-d’œuvre très qualifiée : 44 % des salariés d’Arkema ont des salaires supérieurs à 2,5 fois le Smic. Les investissements industriels supposent également d’importants besoins de financement, qui génèrent un endettement significatif.
Notre industrie est par ailleurs très consommatrice en énergie, notamment en gaz et en électricité, secteurs dont la compétitivité nous est par conséquent essentielle. Nous sommes également au cœur de bien des réglementations – notamment environnementales –, beaucoup des quelque 1 200 sites chimiques en France étant classés Seveso. Nous dépendons par ailleurs de façon très importante des transports, qu’il s’agisse du train, des pipelines, de la route ou des ports. Enfin, notre secteur est toujours l’un des premiers concernés par toute mesure de fiscalité environnementale.
La répartition moyenne des coûts de production peut être appréhendée à partir de ce qui serait une usine-témoin, représentative du secteur chimique en France dans son ensemble. Cette répartition s’établit comme suit : 44 % pour les matières premières – dérivés du pétrole ou produits biosourcés –, 10 % pour l’énergie – électricité et gaz –, 5 % pour le transport, 14 % pour les autres achats, 20 % pour les salaires – mais cette proportion monte à 40 ou 50 % hors achat de matières premières –, 3 % pour les taxes de production et 5 % pour les amortissements. La répartition peut bien entendu varier d’une usine à l’autre, mais elle illustre bien la situation moyenne en France.
Si l’on transpose la même usine-témoin en Allemagne ou aux États-Unis, la comparaison des comptes d’exploitation respectifs reflétera assez fidèlement les différences de rentabilité. Cette différence tient en premier lieu à la masse salariale, appréhendée du point de vue du salaire unitaire, des charges et de l’organisation du travail.
La deuxième source de différences concerne l’accès à l’énergie, dont le coût représente en moyenne 9 % en France, contre 8 % en Allemagne – compte tenu notamment des récentes mesures sur le prix de l’électricité – et 6,5 % aux États-Unis, qui profitent de plus en plus de l’exploitation des gaz de schiste. Des différences existent également dans le domaine des transports, les réseaux d’acheminement des produits chimiques étant sensiblement plus développés aux États-Unis – notamment à travers les pipelines – et en Allemagne. Ces infrastructures rendent également, dans ces deux pays, l’accès aux matières premières moins coûteux, de façon plus marginale en Allemagne mais sensible aux États-Unis.
Ces différences, qui portent donc sur quelques postes clairement identifiés, sont le fruit de l’histoire et des dispositions législatives successives. J’ajoute que la marge opérationnelle mentionnée pour les usines françaises est une moyenne : dans certaines d’entre elles, cette marge est très positive et dans d’autres, elle est devenue très négative, la rentabilité s’étant dégradée au fil des années.
Nous souhaitons appeler votre attention sur un certain nombre de points qui peuvent avoir un impact majeur dans le futur. Le premier concerne le coût de la transition énergétique, avec l’annonce de la baisse assez sensible de la part du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Selon diverses estimations, le coût de cette transition devrait avoisiner les 300 milliards d’euros en Allemagne. Or la compétitivité de la fourniture d’électricité est indispensable aux grandes industries, notamment celles qui sont délocalisables. L’Allemagne met par ailleurs en œuvre un certain nombre de mesures très favorables, qui requièrent toute notre vigilance car une différence est en train de se créer de part et d’autre du Rhin, s’agissant de l’accès à l’électricité des grands consommateurs électro-intensifs. Pour ceux-ci, l’avantage en faveur de l’Allemagne atteint aujourd’hui 20 %, alors que la situation était inverse il y a quelques années. Le coût de l’électricité, souvent encore perçu comme un avantage français, risque ainsi de devenir un handicap de compétitivité par rapport à des pays tels que l’Allemagne ou les États-Unis.
Le développement des gaz non conventionnels procure un indéniable avantage compétitif aux États-Unis : nous le constatons tous les jours, puisque nous y achetons du gaz et de l’électricité. Cet avantage se ressent aussi, de façon très sensible, sur le prix de revient des produits dérivés du gaz, comme certains plastiques, dont les exportations sont amenées à se développer. C’est là un point d’importance pour la pétrochimie et les fabricants de ces plastiques en France. En Europe, le prix du gaz relève de deux mécanismes : une formule industrielle d’une part, indexée sur le prix du pétrole brut, et le prix spot, apprécié à Zeebrugge. Selon que l’on se réfère à l’un ou l’autre de ces niveaux de prix, la différence entre le prix du gaz entre les États-Unis et l’Europe peut atteindre un rapport de 1 à 3, voire 1 à 4.
Par ailleurs, la chimie étant émettrice de gaz à effet de serre, elle est en première ligne sur les questions de fiscalité environnementale. Le problème est que toute nouvelle mesure en ce domaine peut pénaliser sa compétitivité par rapport à nos voisins européens. Nous vous lançons donc un cri du cœur, si vous me passez l’expression, pour vous demander d’exempter le secteur de toute nouvelle mesure à cet égard.
Nous ne sommes évidemment pas opposés à la réglementation, d’autant que des programmes tels que ceux issus du règlement REACH, dans lesquels nous sommes impliqués, ont aussi leurs bénéfices ; mais, bien que le sujet dépasse la France, la réglementation a un coût élevé sachant que l’on ne dénombre pas moins de 800 directives et règlements européens concernant la chimie. En d’autres termes, nos sites doivent se mettre en conformité avec plusieurs centaines de directives, ce qui suppose une main-d’œuvre dévolue, sans compter les coûts induits par l’évolution des sites concernés. À cette réglementation européenne s’ajoute parfois une réglementation spécifiquement française : les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) par exemple, qui entraînent des coûts élevés, les règles anti-séisme ou anti-vieillissement des installations, par exemple.
Les transports constituent un autre point de vigilance : qu’il s’agisse du fret ferroviaire, des ports, des pipelines ou de la route, certaines évolutions suscitent des inquiétudes. La Belgique, la Hollande et l’Allemagne disposent d’importants réseaux de pipelines pétrochimiques pour différents produits (éthylène, propylène) ; en France, les réseaux sont non seulement moins nombreux, mais aussi concentrés à l’est, sur un axe nord-sud, et réservés au seul éthylène. Ces différences concernent également d’autres types de transport.
Pour répondre à ces problématiques, un certain nombre d’actions, pas nécessairement très coûteuses, pourraient avoir des effets sensibles sur l’emploi et la compétitivité. Les industries électro-intensives ont beaucoup investi dans le consortium Exeltium qui, créé il y a deux ans, représente l’équivalent d’une demi-tranche nucléaire ; son coût, pour des raisons qui tiennent à la fiscalité qui s’y applique et à sa structure financière, a néanmoins dérivé, à telle enseigne que les prix qu’il propose sont désormais les plus élevés du marché. Il est donc urgent de restructurer cet outil, sur la compétitivité duquel la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt prévue par la loi de finances pour 2013 aura de lourdes conséquences. Nous nous demandons donc pourquoi Exeltium, qui était conçu pour être compétitif, n’est pas exempté d’une telle mesure de limitation, d’autant que le prix de l’énergie qu’il fournit se répercute directement sur la compétitivité des sites qui en dépendent.
Le crédit impôt recherche étant un excellent outil, il convient de le maintenir. Toutefois, sur le montant total qu’Arkema consacre à la recherche et développement en France, seuls 60 % sont directement concernés par ce crédit d’impôt ; un tel décalage tient sans doute à la définition de l’outil.
S’agissant du coût du travail, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est une mesure positive, simple et lisible. Pour Arkema, il représentera un gain de 7 millions d’euros, qu’il convient néanmoins de rapporter aux 12 millions de taxes et contributions sociales supplémentaires qu’il nous faudra acquitter suite aux mesures nouvelles prises depuis juillet dernier. En outre, plus de la moitié de notre main-d’œuvre, hautement qualifiée, ne pourra entrer dans le calcul du CICE : il faudrait donc, selon nous, ajuster celui-ci aux industries délocalisables et qui emploient ce type de main-d’œuvre, pour inclure dans ses modalités de calcul les salaires allant jusqu’à trois Smic.
Quant aux actions plus ciblées, la première pourrait viser les coûts de transport de l’électricité, et s’inspirer pour ce faire du modèle allemand.
S’agissant du coût de transport du gaz, on constate une forte différence entre le nord et le sud ; il nous semble donc nécessaire d’accélérer la mise en place du gazoduc « arc de Bourgogne ».
Nous souhaiterions par ailleurs qu’une partie du revenu des enchères de quotas CO2 soit allouée, comme c’est le cas en Allemagne.
Il nous paraît également nécessaire d’engager, en complément du récent décret relatif au passage des camions à « 44 tonnes », une adaptation des règles du transport transfrontalier, puisque ces camions ne peuvent, par exemple, passer la frontière entre la France et la Belgique, bien que ces deux pays aient adopté le 44 tonnes !
Quant aux pipelines pétrochimiques, des désenclavements sont nécessaires, à appréhender cependant au cas par cas.
Dans un autre domaine, pour ce qui concerne l’organisation du travail une plus grande flexibilité est également souhaitable.
Nous appelons enfin à une pause sur la réglementation, dont le niveau dépasse aujourd’hui les besoins. Il convient également de poursuivre le travail de simplification amorcé dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie.
Au-delà du cas de la chimie française, les recommandations de l’AFEP sont évidemment plus larges. La première concerne la transition énergétique, qui ne doit pas pénaliser la compétitivité et l’emploi. Elle doit donc faire l’objet de projections et d’évaluations, quant à son coût, son calendrier et son contenu.
L’AFEP ne peut que partager le constat de la nécessaire réduction des dépenses publiques, tant le décalage s’est creusé, en ce domaine, par rapport à un pays comme l’Allemagne. Des mesures sont donc nécessaires, sur les dépenses de fonctionnement comme sur les dépenses de prestations.
Le CICE va dans le bon sens ; cependant, il s’attaque sans doute davantage à la conséquence, c’est-à-dire au coût final pour l’entreprise, qu’à la cause, à savoir le financement d’une part très importante de la protection sociale par les entreprises. La réflexion doit donc être poursuivie.
Enfin, la rentabilité est un préalable à la fiscalité : compte tenu de la faible rentabilité des entreprises, par exemple, au sein du secteur de la chimie en France, il est logique que l’impôt sur les sociétés qu’elles acquittent reste faible. C’est par une fiscalité qui libère les énergies au sein des entreprises et favorise leur compétitivité que l’on inversera cette tendance, au bénéfice des recettes fiscales.
M. Laurent Grandguillaume. Le groupe Arkema figure dans le « top 100 » des entreprises les plus innovantes au niveau mondial. Quel est son taux de succès dans la validation des brevets qu’elle dépose ? Les Chinois sont en effet moins bons que nous en ce domaine.
Qu’en est-il de votre politique, dont je crois savoir qu’elle est ambitieuse, pour la reconnaissance de vos brevets au niveau international ?
Quelle proportion de vos brevets correspond à des innovations réelles ? Cette question me semble importante pour la compétitivité.
La commercialisation des biopolymères a fait l’objet d’accords internationaux : quel a été le processus suivi au sein de votre groupe ? Quels freins rencontrez-vous au niveau international, notamment à travers les dépôts de brevet, les réglementations ou d’autres difficultés juridiques ?
Enfin, la question du dialogue social, qui me semble essentielle à la compétitivité des entreprises, s’est récemment posée au sein du groupe Arkema. Quelles sont vos préconisations en la matière ?
M. Thierry Le Hénaff. Je ne puis vous répondre de façon exhaustive sur les brevets. Quoi qu’il en soit, le brevet unique européen me semble une avancée importante. Le coût du dépôt des brevets est de 9 000 euros par an en Europe, 6 000 euros aux États-Unis et 4 000 euros en Chine. Malgré cela, Arkema est l’une des sociétés qui investissent le plus en ce domaine : nos brevets, qu’ils protègent des procédés ou des produits, représentent la plupart du temps de véritables ruptures en matière d’innovation. Nous préférerions, d’ailleurs, que les processus de validation des brevets soient sensiblement plus sélectifs, car ils doivent protéger les vraies innovations alors que certaines revendications, faibles au fond, n’ont parfois pour but que de retarder la mise sur le marché de véritables innovations.
Même si notre recherche en France reste prééminente, nous souhaitons également la développer ailleurs. Un centre de recherche a ainsi été ouvert en Chine, car nous voulons apporter et protéger nos technologies partout dans le monde. Certes, en ce domaine, la Chine n’offre pas encore un niveau de protection comparable à celui de la France et de l’Europe, mais elle s’efforce d’évoluer.
Arkema est le leader mondial des plastiques de haute performance fabriqués à partir de matières premières bio-ressourcées, comme l’huile de ricin. Nous travaillons également, au sein de pôles de compétitivité, à la réalisation d’alliages entre thermoplastiques et fibres. Nos sites français étant très exportateurs, la compétitivité de ce type de production est essentielle. La France, il faut le rappeler, est l’un des leaders mondiaux pour la chimie des polyamides, celle des acryliques et celle des fluorés ; il est donc essentiel de protéger ces secteurs.
Le dialogue social est permanent, sur le site de Pierre-Bénite à Lyon – où nous avons en effet renoncé à un investissement – comme sur les autres sites. La philosophie des partenaires sociaux est de protéger les avantages acquis, là où la nécessité de préserver la compétitivité de certains sites, dans un contexte de concurrence et d’évolution réglementaire, nous conduirait à remettre en cause des avantages qui apparaissent moins justifiés qu’autrefois et à négocier davantage de flexibilité. De façon générale, nos institutions représentatives du personnel – comités d’établissement, comité central d’entreprise et comité de groupe européen – fonctionnent bien, ce qui ne préjuge pas, bien entendu, de la situation particulière de chaque site. Les partenaires sociaux doivent néanmoins comprendre que l’avenir de nos sites passe par à la fois par l’investissement, la compétitivité et la productivité, dans la mesure où les parts de marché, dans notre secteur, se jouent parfois à quelques euros par tonne.
M. Olivier Carré. Dans l’esprit du Gouvernement et du législateur, le CICE, qui devra faire l’objet de rapports devant des instances encore mal définies, semble s’inscrire dans une logique de cogestion, et ce afin de favoriser, nous dit-on, le dialogue entre la direction et les représentants des salariés. Avez-vous anticipé ce mode de gestion ? Comment entendez-vous faire évoluer la gouvernance pour le prendre en compte ?
Mme Stéphanie Robert, directrice de l’Association française des entreprises privées (AFEP). L’usage qui sera fait du CICE par les entreprises le sera dans la transparence ; c’est un élément important de son explicitation pour les entreprises, sachant que ce point fait actuellement l’objet d’une discussion entre les partenaires sociaux qui doit aboutir avant la fin de l’année. Je ne suis pas sûre, néanmoins, qu’il faille aller jusqu’à parler de cogestion.
Cet allégement de charges indirect doit au demeurant être mis en balance, comme l’a noté M. Le Hénaff, avec les augmentations récentes du poids des prélèvements fiscaux et sociaux qui pénalise la compétitivité des entreprises françaises. Nous souhaitons que les partenaires sociaux s’accordent, s’agissant de l’utilisation de ces sommes, sur la meilleure formule d’échange ; et, puisque les travaux parlementaires sont en cours, nous espérons que cet outil ne sera pas conditionné à certain nombre de critères, tels que les investissements ou même la non-distribution de dividendes, car cela empêcherait d’anticiper la comptabilisation de la créance qu’il représente dans les comptes et, partant, le priverait de son efficacité.
M. Thierry Le Hénaff. Je le répète, le solde entre le CICE, qui est en lui-même une bonne mesure, et les dispositions fiscales adoptées en juillet est négatif pour des entreprises comme la nôtre. Par ailleurs, je ne vois pas le lien avec la cogestion : j’espère donc qu’il ne s’agit pas de cela. En revanche, les institutions représentatives du personnel me paraissent un cadre tout à fait approprié pour faire le point sur l’utilisation de ce crédit d’impôt, comme c’est déjà le cas avec le crédit d’impôt recherche. C’est là un élément parmi d’autres du dialogue social que nous menons au sein de l’entreprise, à l’occasion des deux comités centraux d’entreprise (CCE) annuels, des CCE extraordinaires et de discussions informelles sur les sites ou au siège.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je comprends, madame Robert, la nécessité de comptabiliser le CICE dans le résultat opérationnel ; mais, sans parler de conditionnalité, nous veillerons évidemment à ce que ce crédit d’impôt ne soit pas utilisé pour le versement de dividendes, comme vous l’avez évoqué au détour d’une phrase. Ce point fait sans doute l’unanimité, d’ailleurs, au sein de notre assemblée.
Qu’en est-il de la politique de filières ? Comment envisagez-vous les faiblesses françaises, dans les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants, non seulement sur le territoire français, mais aussi à l’export ? Nous avons souvent entendu dire, en effet, que les Français ne savaient pas « chasser en meute ».
M. Patrick Artus, que nous venons d’entendre, s’est longuement exprimé sur les échanges entre groupes industriels et réseaux bancaires : sans déflorer ce qui ne doit pas l’être, y a-t-il des débats, au sein de l’AFEP, sur les moyens d’améliorer la fluidité entre les premiers et les seconds ?
Vous avez aussi évoqué, monsieur Le Hénaff, le coût de l’énergie. M. Artus a beaucoup parlé des gaz de schiste et des avantages qu’offre leur exploitation aux États-Unis. Mais pour ce qui concerne les sources d’énergie existantes, quelles sont les possibilités de négociation des entreprises que vous représentez avec les distributeurs concurrents ? L’Union européenne vous semble-t-elle jouer tout son rôle en la matière, dans un contexte de libéralisation du marché de l’énergie ?
Un réel pilotage économique et industriel ne vous semble-t-il pas nécessaire au niveau de la zone euro ? Qu’il s’agisse des échanges au sein du marché européen ou, bien entendu, de la concurrence des pays situés hors de l’Union, cette dernière paraît en effet sans tête, si vous me passez l’expression.
Enfin, sur la formation professionnelle – au sujet de laquelle on pourrait, pour le coup, parler de cogestion –, quelles sont les améliorations qui permettraient de favoriser la compétitivité ?
Mme Stéphanie Robert. La relation des grands groupes avec leurs sous-traitants, notamment à l’export, est évidemment un sujet d’importance. Au sein des groupes de travail récemment installés, nous sommes tombés d’accord pour dire que la « ville durable » illustrait bien ce phénomène. L’AFEP compte parmi ses adhérents de grandes entreprises ayant des compétences majeures en ce domaine, qui ont donc tout intérêt à s’organiser en réseau, y compris avec des entreprises de taille plus modeste. Grâce à cette logique de filière, nous pouvons proposer des produits complets à l’export ; mais, pour ce faire, nous devons disposer de démonstrateurs. Nous espérons donc que le futur projet de loi relatif au logement permettra d’en créer. C’est toute notre réglementation qui doit évoluer, sur des éléments aussi concrets que les appels d’offre ou les délais, si nous voulons exporter ces projets d’abord réalisés en France par des entreprises de tailles différentes et proposant des solutions complémentaires.
M. Olivier Carré. Cette question a été évoquée dans le cadre des investissements d’avenir : des projets labellisés doivent aboutir à la création de démonstrateurs. En quoi faudrait-il de nouvelles mesures ?
Mme Stéphanie Robert. Que les entreprises se fédèrent dans le cadre des investissements d’avenir en entraînant leurs sous-traitants est évidemment de bonne stratégie pour elles. C’est d’ailleurs la logique qui fut définie par la Conférence nationale de l’industrie ; reste à la concrétiser et à la projeter à l’international, ce qui passe, selon nous, par certaines évolutions réglementaires relatives aux démonstrateurs. Les grands industriels ont en effet conscience des nécessités de la coopération, d’autant que les exemples en la matière peuvent être dupliqués.
M. Thierry Le Hénaff. Sans constituer la panacée, les logiques de filière et la « chasse en meute » sont bien entendu essentielles. Du photovoltaïque aux batteries, en passant par les matériaux légers pour l’automobile et l’aéronautique, certaines filières à forte composante technologique ont besoin de la chimie. Le programme des investissements d’avenir a permis des avancées dans la création de filières ; Arkema participe, par exemple, au projet Compofast.
Les pôles de compétitivité jouent eux aussi un rôle important. Arkema est très présent au sein d’AXELERA, dont il est un des membres fondateurs. Tout ce qui vient en complément du crédit d’impôt recherche, qu’il s’agisse du programme des investissements d’avenir ou des pôles de compétitivité – pour peu qu’ils soient régulièrement évalués –, va dans le bon sens.
Quant aux liens entre industrie et réseaux bancaires, nous devons bien entendu être en mesure de financer nos développements, mais nous n’avons pas de soucis particuliers en ce domaine.
Mme Stéphanie Robert. La question du financement se pose de façon différente pour les grandes entreprises qui, contrairement aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), ont accès au marché international des capitaux et se tournent plus souvent vers l’offre obligataire.
Cela dit, nous sommes très attentifs à l’évolution des normes prudentielles, problématique pour le financement de l’économie, comme à celle de la fiscalité. La « surfiscalisation » de l’épargne financière en France, telle qu’elle vient notamment d’être décidée, nous inquiète car elle peut limiter le développement des fonds propres des entreprises, en particulier des ETI et des PME.
Cette question touche aussi à un enjeu qui nous est cher, celui de la souveraineté nationale. Une part toujours plus importante du capital de nos entreprises est détenue par des actionnaires étrangers. Ce phénomène n’est évidemment pas dramatique en lui-même, car il permet le financement des entreprises, mais il nous inquiète par les choix d’investissement auxquels il pourrait conduire à terme : plus une entreprise est détenue par des actionnaires étrangers, moins la sensibilité au développement du territoire national peut être forte.
M. Thierry Le Hénaff. L’actionnariat individuel est un élément essentiel, en France, pour une entreprise comme la nôtre. En ce domaine, la fiscalité a évidemment une grande incidence.
Quant au CICE, il ne doit en aucun cas être considéré comme un cadeau aux entreprises. Notre pays accuse un important retard en termes de compétitivité, et certaines usines sont en grande difficulté. Si nous étions dans une situation très favorable, je comprendrais l’argument du cadeau, mais nous n’en sommes pas là, loin s’en faut. Le CICE va dans le bon sens, mais il ne traite qu’une partie du sujet. Au demeurant, ma conviction profonde est qu’il n’y a aucun risque qu’il soit utilisé pour le versement de dividendes.
Par ailleurs, n’oubliez pas que la déductibilité des intérêts d’emprunt n’est pas un instrument d’optimisation fiscale mais, pour une entreprise très capitalistique comme la nôtre, un moyen de s’endetter pour investir en France : nous le faisons aujourd’hui à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros par an, mais ce ne pourrait plus être le cas sans ce dispositif.
Pour ce qui concerne la formation professionnelle, tout doit être fait pour favoriser l’employabilité des jeunes ; c’est là une priorité pour notre groupe, même si la réglementation Seveso, à laquelle sont soumis beaucoup de nos sites, y rend difficile l’emploi de jeunes en apprentissage.
Concernant l’électricité, nous ne sommes pas en contact avec les distributeurs, mais avec les producteurs d’électricité ; sans cela, nous ne pourrions bénéficier de prix compétitifs. La diversification au niveau de la distribution n’est donc pas un sujet pour un grand consommateur d’électricité comme Arkema : l’essentiel est de disposer d’un cadre garantissant un prix compétitif à long terme. Or le dispositif correspondant au consortium Exeltium qui a été mis en œuvre il y a deux ans, fonctionne mal ; il est donc urgent de le faire évoluer ; pour ce faire, nous avons besoin de l’aide du Gouvernement.
Enfin, la gouvernance économique européenne est sans doute un sujet important, mais les questions que j’ai soulevées restent très franco-françaises : pour un groupe comme le nôtre, il est donc plus urgent d’y répondre. Nous sommes évidemment prêts à aider le Gouvernement à trouver des solutions concrètes sur les sujets que j’ai évoqués.
M. Olivier Chemla, chef économiste à l’Association française des entreprises privées (AFEP). Les entreprises que nous représentons se félicitent de l’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), qui introduit un nouveau cadre de gouvernance au sein la zone euro, notamment pour les finances publiques. Nous soutenons la trajectoire de désendettement lancée par la France depuis plusieurs années, avec un objectif de 3 % de déficit en 2013 et d’équilibre des comptes en 2017, même s’il reste à préciser les moyens de l’atteindre.
Le rachat de titres souverains par la Banque centrale européenne sur les marchés secondaires nous donne par ailleurs des motifs d’espoir et d’avancées du point de vue de l’intégration européenne.
M. Daniel Goldberg. Madame, Messieurs, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) et M. Patrick Bouchez, président de l’Union des entreprises de Transport et de Logistique de France (Union TLF)
(Séance du jeudi 20 décembre 2012)
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Nous recevons ce matin M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers, la FNTR, et M. Patrick Bouchez, président de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France, l’Union TLF.
Votre activité, messieurs, est particulièrement importante pour l’économie puisque tous les secteurs d’activité sont plus ou moins vos clients. Les coûts de livraison et d’acheminement pèsent d’ailleurs lourdement dans les comptes d’exploitation de certaines entreprises.
Mais votre secteur supporte également de lourdes charges, d’autant qu’au fil des années vos activités ont été considérées de façon quasi exclusive sous l’angle de leur impact sur l’environnement. La mission n’oublie pas que les secteurs liés aux transports sont, en plus, soumis à une rude concurrence « intra-européenne », du fait notamment au dumping salarial et social auquel se livrent notamment certains transporteurs d’Europe de l’Est.
Par ailleurs, les fluctuations du prix des carburants et la future « écotaxe » routière vous contraindront à répercuter ces coûts supplémentaires sur vos clients français, ce qui pèsera inévitablement sur la compétitivité de ces entreprises. Pouvez-vous éclairer la mission sur les conditions de l’équilibre économique des secteurs du transport et de la logistique dans des pays comparables à la France ?
L’Europe du transport routier existe-t-elle ?
Quels rapports entretenez-vous avec les opérateurs ferroviaires ? La multimodalité, dont on parle depuis si longtemps, a-t-elle significativement progressé ?
M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers. Je tenterai de vous exposer en quelques chiffres les caractéristiques du transport routier, avant de dresser un état des lieux. Je m’arrêterai enfin sur l’impact de ce mode de transport sur le fonctionnement de l’économie.
Globalement, le secteur du transport et de l’entreposage compte environ 90 000 entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros et dégageant une valeur ajoutée d’environ 80 milliards d’euros. Le transport routier seul représente 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour une valeur ajoutée de 40 milliards d’euros. La filière « poids lourds » dans son ensemble, c’est-à-dire du constructeur à l’utilisateur, représente 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus d’un million d’emplois en France. Ces chiffres démontrent que ce secteur est un acteur économique de première importance. C’est surtout l’un des tout premiers pourvoyeurs d’emplois « ouvriers » en France, puisqu’il se situe dans les cinq premiers secteurs employeurs. L’impact de cette activité est donc significatif, non seulement sur l’aménagement du territoire, mais également s’agissant de l’emploi dans les territoires, nos entreprises étant généralement situées en dehors des grandes villes. Elles sont de ce fait des interlocuteurs privilégiés des élus locaux.
Le secteur est aussi un contributeur fiscal atypique, puisque nous sommes 4,5 fois plus fiscalisés que la moyenne de l’économie européenne, et sensiblement plus fiscalisés que nos concurrents européens, du fait notamment de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, anciennement TIPP.
Comme toute activité de transport, qu’il s’agisse de l’aérien, du maritime ou du terrestre, le transport routier ne peut fonctionner harmonieusement que s’il est en surcapacité structurelle. Cela a deux conséquences directes : une concurrence très tendue et des marges faibles – en année normale, notre marge moyenne nette est de 1,5 %.
Quatrième point, cette activité est de par sa nature – la mobilité – confrontée plus que toute autre à la concurrence internationale, y compris sur le territoire national, concurrence encore accrue par l’élargissement de l’Europe et la libéralisation des marchés européens, toutes les restrictions de circulation des biens et des personnes étant considérées comme des entraves à la concurrence.
Nous prévoyons que notre secteur d’activité subira en 2012 une récession de 5,4 %, pour une hypothèse de croissance du PIB de 0,3 % ; en 2013, la baisse devrait être de 1,6 %, pour une hypothèse de croissance du PIB, plutôt optimiste, de 0,8 %. L’année 2012 aura été pour nous celle d’un nouveau choc énergétique, avec une augmentation du prix du gazole de 9 %, après une hausse de 16,5 % du prix de l’énergie en 2011. Ce poste représentant 25 % de nos coûts, cette augmentation aura un impact très significatif sur l’équilibre de notre secteur.
Nous évoluons par ailleurs dans un contexte de concurrence fiscale et sociale très inégalitaire, qui nous vaut un lourd déficit de compétitivité, en particulier par rapport à nos voisins immédiats. À titre d’exemple, l’heure de conduite coûte 30 % moins cher en Allemagne – et je ne parle que des Länder de l’Ouest. D’où ce constat assez cruel : en un peu moins de vingt ans, le pavillon routier français a chuté de 67 % à l’international. Autre chiffre significatif, nos véhicules ne représentent plus que 17 % du trafic routier d’importation et d’exportation sur notre territoire.
L’enquête annuelle réalisée par la Banque de France, en liaison avec les services de la FNTR, sur la situation du transport routier indique que 18 % des entreprises de notre secteur, représentant près d’un tiers des effectifs, présentent un risque élevé de défaillance à court terme.
C’est dans ce contexte que va prochainement intervenir la mise en place de la taxe poids lourds. Cette taxe devrait rapporter 850 millions d’euros à l’État et 200 millions d’euros aux collectivités locales. L’administration estime que cette taxe entraînera pour notre secteur un surcoût de 350 millions d’euros du fait du report du trafic vers les autoroutes concédées. Devraient s’ajouter pour nos entreprises 180 millions d’euros de charges administratives, financières, techniques et organisationnelles. Les frais de collecte s’élèveront à 230 millions d’euros. L’État devrait enfin bénéficier d’une recette supplémentaire de TVA d’environ 200 millions d’euros. On voit que le coût de la taxe poids lourd dépasse très largement les 700 millions d’euros de marge nette dégagée annuellement par notre secteur. Il faut préciser que cette taxe sera acquittée à 75 % par les entreprises françaises, selon les chiffres du ministère des transports.
Outre le choc économique pour notre secteur, le mode de collecte retenu constitue une difficulté supplémentaire : le système de géolocalisation mis en place utilisera 4 100 péages virtuels répartis sur des sections de tarification de 3,8 kilomètres en moyenne, et générera 3,6 milliards de lignes de facturation par an. C’est une véritable usine à gaz.
Selon la volonté du législateur exprimée dans la loi Grenelle I, cette taxe doit être répercutée sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise. Nous sommes en train de discuter avec le ministre des transports des modalités de mise en œuvre de ce principe, de façon que la taxe aboutisse à un renchérissement du transport routier et non à un simple alourdissement des coûts de nos entreprises, lequel serait absorbé par le marché non harmonisé au profit de concurrents étrangers, faisant ipso facto perdre à cette taxe toute valeur environnementale.
Ce que notre secteur attend aujourd’hui, c’est d’abord, compte tenu de la nature même de notre activité, une meilleure harmonisation européenne. Deuxièmement, il est impératif d’améliorer notre compétitivité dans un marché de plus en plus européen et de plus en plus dérégulé. La comparaison avec nos concurrents immédiats – Allemagne, Pays-Bas et Belgique notamment – montre sans contestation possible que l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises passe par une réduction du coût du travail. Nous souhaitons enfin un environnement réglementaire stable et lisible. L’organisation de nos entreprises est en effet régulièrement bouleversée par la nécessité de s’adapter aux changements de réglementation. À titre d’exemple, au cours de la seule année 2013, nous devrons changer la configuration de nos 44 tonnes, assurer l’affichage des émissions de CO2, ce qui ne sera pas une mince affaire, et acquitter la taxe poids lourds. En outre nos véhicules seront à compter du 1er janvier 2014 soumis aux normes Euro 6.
Je voudrais, pour finir, souligner deux caractéristiques essentielles du transport routier. Premièrement, il est le sang qui irrigue notre économie : il ne peut pas y avoir d’économie performante si les marchandises ne sont pas acheminées au bon endroit à la bonne date. Deuxièmement, le transport routier est le véritable transport collectif de marchandises. La profession de transporteur ne se réduit pas à la capacité de faire rouler des camions : il s’agit de mettre à disposition les marchandises au moyen des techniques les plus performantes. Or, le transport routier est la technique de transport la plus adaptée à la plupart des cas, par sa souplesse, sa rapidité, sa capacité d’acheminer la marchandise de porte à porte. Cela dit, nous sommes demandeurs de modes de transport, non pas concurrents mais complémentaires, tels que le transport combiné.
Il faut ajouter à cela que le transport routier n’est pas cher puisqu’il représente en moyenne 2,5 % du coût des marchandises transportées, ce qui pousse à la délocalisation.
M. Patrick Bouchez, président de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France. Je voudrais préciser d’abord que l’Union TLF représente l’ensemble des métiers de la chaîne du transport de marchandises et de la logistique. Beaucoup de nos adhérents développent par ailleurs du transport multimodal.
Je partage pleinement les analyses de M. Deneuville sur le transport routier de marchandises. J’ajouterai simplement que le pavillon français ne recule pas seulement sur la route, mais également sur mer et dans les airs. Les principaux ports français ont enregistré ces dernières années un net recul de leur activité. Certes, la mise en place de la réforme portuaire, après avoir provoqué quelques tensions sociales, a permis ces derniers mois des gains de productivité. Cependant, comme pour toute entreprise, les marchés qui ont été perdus ne seront regagnés que très progressivement, les chargeurs ayant réorienté leurs flux vers les ports de Belgique et des Pays-Bas notamment. Le port du Havre a mis sept ans à retrouver les marchés qu’il avait perdus en quelques mois de conflits sociaux, en 1992. Aujourd’hui, le premier port de France est... Anvers ! Cela représente un grave handicap pour la compétitivité de nos entreprises. Le transport aérien ne se porte guère mieux. Roissy enregistrera cette année une réduction de 7 %, en volume, de ses activités de fret.
Nous devons cette situation à l’augmentation de nos coûts de production, notamment du coût du travail, qui creuse notre déficit de productivité avec les pays limitrophes, nos concurrents directs dans le secteur des transports.
Dans cette grisaille générale, un secteur se développe, même s’il s’agit d’une activité encore marginale : il s’agit du secteur fluvial. Celui-ci a connu une croissance annuelle de près de 10 % au cours des dernières années et une augmentation significative du transport des containers. D’où l’importance pour nos entreprises, mais aussi pour le développement de l’intermodalité ou du transfert modal, que des projets d’investissement tels que le canal Seine-Nord Europe soient menés à bien.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. La logistique prend dans certains territoires le relais des activités industrielles – c’est le cas à Aulnay-sous-Bois par exemple. Avez-vous le sentiment que ce secteur d’activité est suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics ? Le développement des activités de logistique ne contribuerait-il pas à réduire les coûts de production ? La volonté de développer le transport massifié n’est-elle pas contraire aux besoins des entreprises, dont le fonctionnement privilégie les flux tendus et les livraisons fractionnées ?
Vous avez souligné avec force, Monsieur Bouchez, que l’insuffisance de nos infrastructures portuaires constituait un handicap majeur pour notre économie. Peut-on l’évaluer en termes de réduction du chiffre d’affaires des entreprises françaises ?
Les projets de réforme de l’organisation ferroviaire, notamment de rapprochement entre la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), vous semblent-ils de nature à redynamiser le fret ferroviaire ?
Pouvez-vous estimer l’impact du crédit d’impôt sur l’économie de votre secteur d’activité ? Permettra-t-il de réduire le retard de compétitivité de notre pays, notamment vis-à-vis de nos voisins immédiats ?
M. Jean-Paul Deneuville. Une chaîne logistique n’est efficace que si chaque maillon de la chaîne est optimisé : une logistique de transport ne peut se concevoir que du premier au dernier kilomètre. Or, en dépit de l’importance de notre façade maritime, nos portes d’entrée maritime sont moins performantes que les grands ports européens. Si on considère l’importance des flux de marchandises, il est juste de dire que les principaux ports français ne se situent pas en France.
Il est vrai que la France, à la différence des Pays-Bas, par exemple, n’a jamais eu de grandes ambitions en termes de transport, alors qu’elle dispose d’un très vaste territoire. Elle n’a pas suivi non plus l’exemple allemand, qui s’appuie, d’une part sur des ports très solides, d’autre part sur un maillage logistique et des transports terrestres performants.
Le fer et la route sont par nature complémentaires parce qu’il ne peut pas y avoir de concurrence directe entre ces deux modes de transport. Le transport routier permet des délais plus rigoureux et des envois moins massifiés, plus conformes aux évolutions de la production. C’est le mode de la souplesse, du porte-à-porte, de la moyenne distance et de la rapidité par excellence.
La comparaison terme à terme des avantages de chacun de ces deux modes est cependant compliquée par le fait que l’entreprise SNCF est aujourd’hui le premier transporteur routier français. Dans le domaine du fret, le chiffre d’affaires de la SNCF ne cesse de régresser sur le rail et de progresser sur la route, au point qu’il est aujourd’hui sensiblement plus important sur la route que sur le fer ; l’État actionnaire montrant le mauvais exemple, voilà qui est quelque peu paradoxal ! Ce n’est pas propre en tout cas à encourager le report modal.
L’État manque également d’une véritable politique environnementale dans le domaine des transports. Le Grenelle a indiscutablement posé de bonnes questions, mais n’a pas apporté de bonnes réponses – nous savons que la taxe poids lourds n’a pas grand-chose à voir avec l’environnement. La lutte contre les gaz à effet de serre devrait plutôt s’inspirer des politiques européennes de réduction des rejets de gaz polluants : la fixation de normes européennes d’émission, jusqu’à l’application, à compter du 1er janvier 2014, de la norme Euro 6, plus exigeante pour nous que pour les voitures, aura permis de réduire de 95 % en vingt ans l’émission de ces gaz. C’est la bonne méthode : il vaut mieux verdir plutôt que bannir. Il est illusoire de penser qu’on favorisera le report modal, par une réglementation arbitraire ou par une taxation, puisque nous sommes d’ores et déjà excessivement fiscalisés.
Ce que nous demandons, c’est une véritable politique des transports, qui favorise le développement du multimodal et de l’intermodal tout en nous permettant de répondre aux besoins de l’industrie et de notre société de consommation. Il faut savoir que 99,5 % des objets de notre environnement quotidien ont été transportés par un camion : c’est là une donnée incontournable.
On ne peut pas envisager la problématique du transport massifié sans distinguer entre transport interurbain et transport urbain. À l’évidence, le modèle de la logistique urbaine – ce qu’on appelle le transport du dernier kilomètre – reste à inventer : ce sera l’enjeu des prochaines années. On peut imaginer des flottes captives de véhicules soumis à des normes environnementales spécifiques, pourquoi pas électriques. La logistique du transport interurbain sera naturellement différente, et ce serait commettre une lourde erreur que de ne pas différencier les approches.
Nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer l’impact du crédit d’impôt sur l’activité des entreprises du secteur. Je me contenterai donc de faire deux remarques. Premièrement, le déficit de compétitivité vis-à-vis des autres pays européens dont souffrent nos activités de transport est pour nous un problème prioritaire, et nous sommes demandeurs d’une réponse gouvernementale. Alors que le gouvernement précédent avait retenu le principe de la TVA sociale, le gouvernement actuel a choisi le crédit d’impôt. En tout état de cause, il faut impérativement améliorer la compétitivité de nos entreprises si on veut préserver l’emploi français. Jusqu’à présent, la culture de nos entrepreneurs fait qu’ils identifient la nationalité de l’emploi à celle de l’entreprise mais cela ne durera pas.
Cependant, notre déficit de compétitivité est tel que des mesures générales ne suffiront pas à le combler, d’autant qu’il faudra raisonner à fiscalité égale : il faudra donc imaginer des transferts de charges sur d’autres facteurs que le travail.
M. Patrick Bouchez. Il est impératif de ne pas dissocier les enjeux de logistique des enjeux de développement durable et de les inscrire dans une vision globale de l’aménagement du territoire. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Les syndicats des transitaires des ports du Havre, de Marseille, de Bordeaux, de Rouen, entre autres, étant affiliés à TLF, je peux vous indiquer que ces cinq dernières années, l’activité du port du Havre s’est réduite de 20 à 25 % en volume et celle de Marseille de 35 à 40 %. Si on constate depuis un peu plus d’un an un regain de productivité consécutif à la mise en place de la réforme portuaire, tout cela reste très fragile.
Nous sommes très attachés à la complémentarité des modes de transport. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’aujourd’hui les trois quarts des marchandises transportés sur notre territoire le sont sur moins de 200 kilomètres. Sur de telles distances, la question du transfert modal vers le fer ou les voies navigables ne se pose pas.
En ce qui concerne le rôle de l’État dans le secteur du transport de marchandises, rien dans les conditions d’intervention de Géodis, la filiale de la SNCF spécialisée dans le transport routier, ne le distingue des autres acteurs du secteur.
Il est encore trop tôt pour évaluer précisément l’impact du crédit d’impôt sur la compétitivité de nos entreprises. Il est probable cependant qu’il ne suffira pas à aligner notre compétitivité sur celle de nos concurrents européens, allemands, hollandais ou belges. Reste que cette mesure est bienvenue, même s’il nous est impossible de dire dans quelle mesure elle permettra de réduire notre déficit de compétitivité.
M. Marc Le Fur. Le transport routier est un secteur où l’on consomme massivement des heures supplémentaires. Quelles sont les conséquences de la suppression de leur défiscalisation pour vos entreprises et pour vos salariés ?
Où en est-on du cabotage routier ? Quels seront les effets de sa généralisation ? Dans les Côtes-d’Armor – où il n’y a pas, a priori, de transit de marchandises –, on croise des camions d’immatriculations très diverses…
Où en est-on de l’application du décret relevant à 44 tonnes le poids total autorisé en charge (PTAC) des poids lourds ? Quelles sont vos revendications en la matière ? Vouloir imposer une charge maximale par essieu n’est-il pas contradictoire avec l’objet même du décret ?
Certains départements ne vont-ils pas demander que l’écotaxe sur les poids lourds s’applique aussi sur la circulation sur les routes départementales les plus importantes ? Comment cette taxe sera-t-elle répercutée sur les donneurs d’ordre ? Dans certaines régions excentrées, éloignées des centres de consommation, son coût risque d’être redoutable !
Dans le Grand Ouest, les véhicules reviennent souvent à vide ; puisqu’il n’y a pas de donneur d’ordre pour le trajet retour, il sera impossible de répercuter la taxe. Devra-t-on la payer quand même ?
Pour une région comme la Bretagne, où l’agroalimentaire occupe une place prépondérante, le transport et la logistique sont essentiels ; or, à part le camion, il n’existe aucune solution efficace et économiquement viable.
M. Jean-Paul Deneuville. Pour bien comprendre l’enjeu des heures supplémentaires dans un secteur comme le nôtre, il faut revenir à la loi Aubry II de janvier 2000. Il existe dans cette loi des éléments plus décisifs que la fixation de la durée légale du travail à 35 heures. En effet, le temps de travail y est défini comme le temps passé au service de l’employeur – y compris dans des secteurs comme le nôtre. Nous sommes le seul pays d’Europe à le définir ainsi ! En conséquence, lorsqu’un véhicule attend dans la cour d’une usine son chargement, et que son conducteur est de ce fait contraint à vaquer à des occupations personnelles, cela fait partie du temps de travail pour un Français, mais pas pour un Allemand. Cela introduit une distorsion et, surtout, cela nous impose le recours à des heures supplémentaires et l’ouverture de droits à du repos compensateur. De ce fait, nous consommons beaucoup d’heures supplémentaires.
La « refiscalisation » des heures supplémentaires a un effet négatif, non pas tant pour les entreprises que pour les conducteurs ; on considère ainsi qu’elle provoque une perte de pouvoir d’achat d’environ 8 % pour les conducteurs « moyenne et longue distance ».
M. Marc Le Fur. Sur la base de quel salaire ?
M. Jean-Paul Deneuville. Sur la base d’un salaire moyen de 2 500 euros par mois – auquel il faut ajouter les indemnités pour frais de déplacement.
S’agissant du cabotage, l’Union européenne est fondée sur le principe de la suppression des frontières et toute restriction à la liberté d’aller et venir constitue un frein à sa construction. Cela étant, il importe de tenir compte du manque d’harmonisation fiscale et surtout sociale entre les pays membres.
Une nouvelle étape dans la libéralisation du cabotage routier devait être franchie au 1er janvier 2014. Les autorités françaises y ont clairement exprimé leur opposition dans une note à la Commission européenne ; cela va dans le sens que nous souhaitions. En revanche, le commissaire européen aux transports, M.Siim Kallas, est un ultralibéral, qui veut laisser l’empreinte de son passage à ce poste ; mais il n’a le soutien ni des gouvernements européens – sauf ceux des pays d’Europe de l’Est –, ni des professions routières. Même les Pays-Bas, pourtant traditionnellement libéraux, sont contre la libéralisation du cabotage au 1er janvier 2014 ! Compte tenu des contraintes de procédure – un acte positif est nécessaire –, il y a peu de risques que cela ait lieu.
M. Marc Le Fur. Le cabotage n’est-il pas déjà partiellement autorisé ?
M. Jean-Paul Deneuville. En effet – et la France est le deuxième pays le plus « caboté » d’Europe. Mais seules sont actuellement autorisées les opérations de transport consécutives à un transport international, dans la limite de trois opérations par semaine. Ce dispositif d’encadrement a été obtenu avec beaucoup de difficultés ; nous souhaitons qu’il soit maintenu. Il y a sur ce point concordance de vues entre la profession et le ministère.
Le relèvement à 44 tonnes du PTAC des poids lourds était à l’origine un engagement pris envers le monde agricole, mais des complications sont survenues : d’abord, le Conseil d’État a refusé que la mesure ne concerne que le transport des produits agricoles, puis le ministre de l’époque, Jean-Louis Borloo, a demandé que les poids lourds soient équipés d’un sixième essieu pour les transports au-delà de 40 tonnes. Personne en Europe, hormis les Britanniques, n’impose une telle contrainte ! Par conséquent, nous nous sommes opposés à cette exigence – étant entendu que nous ne sommes pas demandeurs d’une augmentation du tonnage : l’offre de transport tendant à être structurellement en surcapacité, compte tenu de la contraction actuelle des volumes de marchandises, ce n’est pas le moment de l’accroître !
Il fallut néanmoins négocier un compromis. Celui-ci, conclu en mars 2012, prévoit l’autorisation du 44 tonnes à cinq essieux en France, la charge par essieu étant limitée à 12 tonnes, au lieu de 13 : c’est l’élément qui impacte le plus les infrastructures. Cette décision suscitera des complications techniques, économiques et financières considérables, mais il s’agit d’un compromis acceptable – qui, de surcroît, rapproche la France de la norme européenne. Le ministre des transports a annoncé, à l’occasion de notre 67e congrès, à la mi-novembre, que le nouveau décret entrerait en vigueur au 1er janvier 2013. Cette clarification était nécessaire.
M. Marc Le Fur. Si votre organisation n’est pas favorable au 44 tonnes, les transporteurs de mon département, eux, le sont !
M. Jean-Paul Deneuville. Je n’ai pas dit que nous n’y étions pas favorables, mais que nous n’étions pas demandeurs. En outre, la profession a toujours été divisée sur le sujet – pour de multiples raisons.
Toujours est-il que si le 44 tonnes est autorisé, ce n’est pas parce que nous l’avons demandé. Mais nous gérons ce dossier, en prenant nos responsabilités. Et nous avons tous donné notre accord, en mars 2012, à un compromis qui tient compte à la fois des textes existants, de la volonté politique, des impératifs en termes d’infrastructure et de nos propres impératifs économiques.
S’agissant de l’écotaxe sur les poids lourds, l’effet report sur les départementales devrait être relativement faible puisque la taxe, qui concernait à l’origine les infrastructures nationales – soit quelque 10 000 kilomètres –, a vu son assiette élargie à 5 000 kilomètres d’axes dits de « report ».
M. Marc Le Fur. Parmi lesquels des départementales ?
M. Jean-Paul Deneuville. Oui.
M. Marc Le Fur. Dans ce cas, la recette ira au conseil général ?
M. Jean-Paul Deneuville. En effet ; selon nos estimations, le montant de la taxe collectée se répartira comme suit : 850 millions d’euros pour l’État, 200 millions pour collectivités locales et 230 millions pour le collecteur – à quoi s’ajoute un effet report sur les autoroutes évalué à 250 millions d’euros.
Quoi qu’il en soit, ne nous leurrons pas : si l’on note un effet report significatif, l’assiette de la taxe sera élargie. Aucune collectivité territoriale n’acceptera un traitement inéquitable !
Quant à la taxe elle-même, la loi Grenelle I prévoyait, premièrement, l’instauration d’une taxe sur la circulation utilitaire devant être payée pour les trois quarts par les entreprises routières françaises, deuxièmement, la répercussion de cette nouvelle charge sur « le bénéficiaire de la circulation de la marchandise ». Pour y répondre, l’État a créé une usine à gaz, dont la complexité amplifiera inutilement le choc économique provoqué par la taxe elle-même. Il est d’autant plus nécessaire de mettre en œuvre la « répercussion de la taxe sur le bénéficiaire », c’est-à-dire une majoration des prix du transport d’environ 5 % de région à région – des taux spécifiques s’appliquant à l’intérieur de chacune d’entre elles. Nous considérons que ce dispositif est un moindre mal ; toutefois, les taux avancés par la mission de tarification de Bercy nous paraissent très nettement sous-évalués.
Il s’agit en tout cas d’un catalyseur. Comment pourrions-nous à la fois supporter ce choc économique et gérer 4 100 péages virtuels – à comparer aux quelque 600 péages autoroutiers –générant, sur des tronçons moyens de 3,8 kilomètres, 3,6 milliards de lignes de facturation ? Il était difficile de faire pire !
M. Marc Le Fur. Je partage votre sentiment : tout a été conçu dans la perspective d’une alternative à la route, mais, dans bien des endroits et pour certains types de transports, celle-ci n’existe pas !
Où en est-on de l’éventuelle mention du montant de l’écotaxe au bas de facture de vente ? Quid des transports à vide ? La taxe touchera-t-elle également les petits camions utilisés pour le transport de proximité ?
M. Jean-Paul Deneuville. La taxe s’appliquera sur tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes, sans contournement possible – sinon de manière marginale. C’est le transport routier qui est frappé, qu’il s’effectue pour compte d’autrui ou pour compte propre.
M. Marc Le Fur. Cela concernera-t-il aussi le ramassage du lait ?
M. Jean-Paul Deneuville. Oui, de même que les véhicules des collectivités locales. Tout véhicule utilitaire de plus de 3,5 tonnes, dès l’instant qu’il utilisera un axe routier, sera taxé par géolocalisation, qu’il transporte ou non de la marchandise.
M. Patrick Bouchez. Je me contenterai de compléter quelques points.
La généralisation de l’écotaxe sur les poids lourds touchera même les véhicules utilisés pour la formation obligatoire de nos conducteurs ! Même si la majoration du prix du transport va dans le bon sens dans la mesure où elle incite à intégrer dans sa facturation le coût du voyage à vide, les taux communiqués officieusement sont insuffisants pour répercuter intégralement les charges sur le donneur d’ordre, compte tenu des coûts induits qui comprennent notamment les frais d’équipement, les frais de gestion et les frais financiers dus au décalage entre le paiement de la taxe et le règlement des clients.
Pour ce qui est du 44 tonnes, le décret du 4 décembre dernier, dont les dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2013, prévoit une diminution de 13 à 12 tonnes de la charge maximale à l’essieu, ainsi qu’une diminution de 31 à 27 tonnes de la charge totale autorisée pour un groupe de trois essieux – ou « tridem ». Les premières expériences montrent que, comme les véhicules ne sont pas adaptés, il faudra réduire leur chargement pour respecter ces contraintes. Il y aura donc plus de camions sur les routes qu’avant. On peut s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure !
S’agissant du cabotage, le dispositif actuel, pour être efficace, suppose que les pouvoirs publics effectuent des contrôles. Or certains de nos homologues étrangers, notamment d’Europe de l’Est, disposent de données statistiques d’activité sur notre sol antérieures à leur autorisation de caboter…
La refiscalisation des heures supplémentaires a un impact considérable sur le pouvoir d’achat de nos conducteurs. Nous avons pris notre part de responsabilité en signant hier des accords salariaux visant à le préserver en partie ; mais, pour ce faire, nous avons besoin que le dispositif d’allégement des charges sociales soit pérennisé. Selon nos estimations, 40 % des PME régionales de transport routier de marchandises termineront l’année 2012 avec un résultat d’exploitation négatif et, pour un tiers des autres, le résultat sera inférieur au montant des allégements de charges dont elles bénéficient. Toute remise en cause du dispositif ferait donc basculer 20 % de nos entreprises dans le rouge.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. En ce qui concerne le transport multimodal, et plus particulièrement les plateformes logistiques, les équipements existants vous paraissent-ils suffisants ? Le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes donnera-t-il un coup de frein ou un coup de pouce à vos activités ? A-t-on anticipé les infrastructures nécessaires pour redistribuer à travers la Bretagne les marchandises acheminées par avion ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Le ministre a évoqué en novembre la mise en œuvre d’un « paquet routier » global. Pensez-vous qu’une telle ambition contribuera à restaurer la compétitivité dans votre secteur ?
M. Jean-Paul Deneuville. Il s’agit en tout cas d’une initiative louable ! Je le répète : il ne peut y avoir de politique de transport que globale, prenant en considération la totalité des maillons, multimodaux et intermodaux, de la chaîne de transport, et incluant les plateformes logistiques. Cela forme un tout : la défaillance d’un seul maillon suffit à entraver le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne. L’émergence d’une vision globale en matière de politique des transports et de transport routier est une très bonne chose.
Ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Trop souvent, des prismes déformants, qu’ils soient ferroviaires ou environnementaux, ont contribué à sectoriser l’approche. Nous souhaiterions que soient privilégiées des approches modales et multimodales, et que l’on prenne en considération l’ensemble de la filière camion, du producteur jusqu’à l’utilisateur ; cela permettrait d’apprécier à sa juste valeur son poids économique et social – qui est comparable, voire supérieur, à celui de l’automobile.
Madame Chapdelaine, la combinaison des différents modes de transport – entre l’aérien, le maritime, le fluvial et le terrestre, et, au sein de ce dernier, entre le ferroviaire, le fluvial et le routier – est déjà intégrée ; mais cela ne se décrète pas : c’est le résultat de l’organisation du marché. Quelques intégrateurs mondiaux utilisent le transport aérien plutôt que le commerce maritime pour acheminer des marchandises d’un autre continent jusqu’en France. Un aéroport générera nécessairement des flux de marchandises, mais, au final, c’est le marché qui décidera. Le transport est une valeur ajoutée ; il s’adapte, et c’est cette souplesse qui fait sa force.
M. Patrick Bouchez. Je partage cette analyse. La répartition des volumes de fret entre les aéroports français montre qu’il existe une locomotive, Roissy, qui dessert l’arc atlantique de manière marginale. Le marché déterminera s’il est ou non pertinent d’accroître le volume de marchandises arrivant à Notre-Dame des Landes ; si la réponse est positive, notre capacité d’adaptation nous permettra de déployer les moyens routiers nécessaires à la desserte de la Bretagne et des régions limitrophes.
M. Marc Le Fur. Si l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes voit le jour – ce que nous souhaitons –, les communes situées à proximité des grands aéroports parisiens exigeront peut-être une diminution du trafic aérien lié au fret ; celui-ci se répercutera probablement sur le nouvel aéroport, facilement accessible depuis l’ouest parisien.
Afin de financer les nouvelles mesures prises dans le cadre de la loi de finances rectificative – dont le coût s’élève, je le rappelle, à 20 milliards d’euros –, le Gouvernement envisage de dégager 3 milliards grâce à la fiscalité écologique. Si l’on en croit certains échos de presse, le diesel serait mal vu. Quelles seraient les conséquences d’une hausse de sa taxation sur votre métier ?
M. Jean-Paul Deneuville. En matière de fiscalité, nous donnons déjà beaucoup, et l’écotaxe sur les poids lourds va en remettre une louche ! Dans ce domaine, la comparaison avec le reste de l’économie française n’est pas à notre avantage – ni celle avec nos collègues européens, d’ailleurs…
À l’origine, le diesel était une motorisation spécifiquement utilitaire. Ce sont les performances de l’industrie automobile qui ont permis de le mettre à la disposition des particuliers et des taxis. Aujourd’hui, les voitures haut de gamme fonctionnent autant au diesel qu’à l’essence. Les automobilistes ont le choix entre les deux motorisations, et le diesel bénéficie d’un avantage fiscal indiscutable.
En revanche, pour la circulation utilitaire, nous n’avons pas le choix : seuls les moteurs diesel peuvent répondre à ses exigences. C’est pour cette raison que le gouvernement Jospin a décidé en 2000 de différencier la fiscalité selon les utilisateurs, et que la directive sur l’énergie de 2003 a consacré ce principe au plan européen. Il est évident qu’une modification de la fiscalité à des fins environnementales ne devrait pas concerner la circulation utilitaire. En tout état de cause, nous réclamons un cessez-le-feu fiscal : on ne peut pas continuer à charger la barque ainsi !
M. Patrick Bouchez. Je suis d’accord. Prenons l’exemple de la surcharge carburant, qui s’applique en pied de facture – suivant les dispositions de la loi du 5 janvier 2006, qui prévoit que le prix du transport varie corrélativement au prix du carburant. Après quelques difficultés de mise en place, le système fonctionne désormais correctement. Mais avec la flambée des prix des carburants et l’éclatement de la profession – il existe aujourd’hui quelque 35 000 entreprises de transport routier de marchandises ! –, les PME du secteur ont de plus en plus de difficultés à ne pas déduire du prix de la prestation de transport, négocié avec le client, ce qu’elles sont contraintes de répercuter en pied de facture au titre de la législation. Cela doit nous conduire à être très vigilants.
M. Jean-Paul Deneuville. C’est là que l’approche en termes de « paquet routier » prend tout son sens. Avant de prendre une telle mesure, il faut en effet faire un état des lieux fiscal et évaluer ce que le transport routier verse actuellement comparativement aux autres secteurs économiques et aux concurrents étrangers. Il faut également préciser l’objectif d’une fiscalité environnementale : s’agit-il de taxer ou de réduire les émissions de CO2 ? Dans ce dernier cas, il serait plus efficace de jouer sur le potentiel de réduction du volume des émissions de CO2 dans le transport routier. Grâce uniquement à des démarches volontaires, et sans que cela ne coûte un centime aux pouvoirs publics, nous avons ainsi obtenu une réduction supérieure à ce que fera économiser le canal Seine-Nord !
M. Marc Le Fur. Quid du bridage du moteur ?
M. Jean-Paul Deneuville. Réduire les émissions de CO2 était l’un des enjeux du Grenelle de l’environnement. La réponse fut l’écotaxe sur les poids lourds, qui n’a rien d’environnemental, puisqu’il s’agit de la contrepartie de la privatisation des péages d’autoroute ! Pourtant, nous avions proposé des plans ambitieux de réduction des émissions de CO2. Nous sommes convaincus que la méthode suivie doit être progressive – comme ce fut le cas pour les gaz polluants –, elle doit aussi être lisible et européenne. Aujourd’hui, l’industrie automobile n’est pas capable de produire des véhicules performants au regard des objectifs définis pour 2020 et 2050. Nous obtenons pour le moment de meilleurs résultats en améliorant l’organisation d’entreprise. Quoi qu’il en soit, les objectifs pour 2020 seront atteints, et même dépassés dans notre secteur d’activité.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Messieurs, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-François Roubaud, président de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, et Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales
(Séance du jeudi 20 décembre 2012)
M. Daniel Goldberg, rapporteur. La mission a toujours gardé à l’esprit l’importance des PME et des TPE, qui assurent un rôle économique majeur par leur présence sur nos territoires. Elles sont créatrices d’emplois et de richesses, et se montrent, dans certains secteurs, plus innovantes que des grands groupes. Cependant, leur poids économique global reste trop peu connu. Quand la presse annonce que de grands contrats ont été obtenus à l’exportation par des groupes internationalisés, elle précise rarement qu’ils n’auraient pas pu l’être sans les nombreuses PME sous-traitantes. Des PME ou TPE se montrent même directement actives à l’exportation en offrant des produits ou des services appréciés par les marchés. Nous avons constaté leur dynamisme le 6 décembre, lors d’une table ronde réunissant des dirigeants de secteurs et de régions différents.
Que pensez-vous des suites données par le Gouvernement au rapport Gallois ? Quels moyens vous semblent les plus appropriés pour dynamiser l’innovation et la création d’emplois ? Pourquoi des pays concurrents réussissent-ils mieux que nous, notamment grâce à la compétitivité de leurs PME industrielles ?
Comment jugez-vous l’avancée des négociations sociales sur la sécurisation de l’emploi, dans lesquelles la CGPME joue un rôle important ? Êtes-vous optimiste quant à la possibilité de conclure rapidement un accord, et plus largement de faire évoluer le droit du travail dans le sens de la flexi-sécurité ? Enfin, comment envisagez-vous la formation professionnelle ? Souvent présenté comme « cogéré » par le patronat et les syndicats, le dispositif actuel, qui semble insuffisamment évalué, mérite sans doute une réorientation.
M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises. Signe d’un défaut de compétitivité, la France perd des parts de marchés par rapport à ses voisins européens. Depuis 2002, son solde commercial s’est dégradé chaque année de 8 milliards pour atteindre aujourd’hui un déficit de 70 milliards, dont la moitié concerne l’énergie.
La première explication se rapporte aux différents coûts supportés par les entreprises françaises.
Parmi nos handicaps figure d’abord le coût horaire de la main-d’œuvre : 32,70 euros en France en 2009, contre 30 en Allemagne, ce qui représente presque un écart de 10 %.
Si le coût de la protection sociale est quasiment identique dans les deux pays, le taux de cotisation sur les revenus salariés varie sensiblement. En Allemagne, 29 % des recettes affectées à la protection sociale sont supportées par les ménages et 34 % par les entreprises. En France, les taux sont respectivement de 21 % et de 44 %. Cette répartition des charges réduit la compétitivité de nos entreprises.
Par ailleurs, celles-ci n’ont pas intérêt à embaucher une main-d’œuvre peu qualifiée : pour un salaire inférieur à 1 400 euros, 12 % des cotisations sont à la charge des employeurs ; au-delà, le taux double. À l’inverse, les employeurs allemands sont incités à embaucher une main-d’œuvre plus qualifiée et les salariés, à se former. Nos petites entreprises doivent faire un effort en matière de formation.
Même si les produits français conservent une image de qualité, nous ne progressons pas dans ce domaine, contrairement à d’autres pays. Pour les promouvoir, nous devons améliorer notre image en termes d’innovation, de technologie et de notoriété.
L’évolution du coût des matières premières et la volatilité des taux de change sont très pénalisantes pour certaines branches. Le prix des produits alimentaires, notamment celui des oléagineux, a fortement augmenté, ces dernières années. Nous ne maîtrisons pas non plus le coût de l’énergie, qui a subi une forte hausse.
Certains atouts devraient toutefois nous permettre de rebondir : la qualité de notre système de santé, celle de nos salariés, leur productivité et nos infrastructures de transport. Notre démographie positive, poussée par un fort taux de fécondité, constitue une réserve de compétitivité pour les années à venir, à condition que les jeunes puissent trouver dans nos écoles une formation de qualité.
Après lecture du rapport Gallois, le Premier ministre a annoncé un pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Nous aurions préféré une baisse de charges à un crédit d’impôt, mais la somme de 20 milliards est suffisamment importante pour que nous ne fassions pas mauvaise figure. À présent que les règles du jeu ont été fixées – ce qui n’était pas le cas il y a deux semaines –, les entrepreneurs vont pouvoir s’engager, ce qu’ils hésitaient à faire tant qu’on pouvait encore craindre un retour en arrière. Il est donc probable que le dispositif fonctionnera convenablement.
Le pré-financement est essentiel pour les PME et les TPI, dont la trésorerie pâtit de la baisse des commandes et de l’allongement des délais de paiement, car la loi de modernisation de l’économie n’est pas respectée, même par l’État et les collectivités locales ! De plus, les banques ont du mal à accorder des découverts aux entreprises qui doivent financer leur besoin en fonds de roulement. Autant de facteurs qui expliquent les difficultés des PME, lesquelles détruisent 1 500 emplois par jour – soit plus de trois fois l’effectif de l’usine de Florange – sans qu’aucun journaliste n’en parle.
Nous souhaitons aussi qu’une partie de la protection sociale soit financée non plus par les cotisations des employeurs mais par la TVA ou la CSG. Il y a plusieurs années, nous avions proposé d’utiliser à la fois l’une et l’autre, en baissant en contrepartie les charges salariales, de façon à maintenir la consommation. Cette piste n’a pas été retenue. Peut-être devriez-vous y revenir, le semestre prochain, quand vous travaillerez sur le financement de la protection sociale et sur la dépendance.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME. Selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale, 77 % du financement de la protection sociale proviennent directement de revenus issus du travail. D’où la nécessité d’élargir l’assiette si l’on veut maintenir le niveau de protection actuel, sans préjuger d’autres économies à réaliser pour réduire le coût global des dépenses.
M. Jean-François Roubaud. Permettez-moi de suggérer encore quelques pistes.
Une manière d’éviter que la protection sociale ne soit financée uniquement par le coût de la main-d’œuvre est d’instaurer une flat tax.
Pour diminuer le coût des matières premières et mettre les entreprises à l’abri des variations, on pourrait rétablir la déductibilité de la provision pour fluctuation des cours des matières premières.
La transition énergétique est un autre chantier. On se dit qu’il n’y a pas lieu d’éluder le débat sur un sujet qui fâche, comme le gaz de schiste, quand on voit ce qu’en tirent les États-Unis sur le plan économique ! Je ne nie pas le problème environnemental, essentiellement lié à la fracturation hydraulique, mais il faut ouvrir le dossier de manière honnête avec des « sachants » de tous bords. Je ne suis pas sûr que tous ceux qui s’opposent à l’exploitation de ces gaz le fassent sur des bases très sérieuses.
S’il est judicieux que la Banque publique d’investissement – BPI – finance les ETI ou les entreprises innovantes, elle devra aussi combler les besoins de financement que les banques, pour des raisons en partie légitimes, n’assurent pas de manière satisfaisante. Cet établissement de crédit public ne doit pas évacuer le problème des petites ou très petites entreprises. Les assurances que nous avons reçues de M. Jean-Pierre Jouyet à cet égard doivent être rapidement suivies d’effet.
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sera probablement activé l’an prochain au niveau de la BPI. Reste à savoir ce que prévoiront les textes en matière fiscale et comptable pour permettre son préfinancement.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. L’Assemblée nationale a voté hier à l’unanimité le projet de loi portant création de la BPI.
M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales à la CGPME. Aujourd’hui, OSÉO propose un seuil pour les préfinancements de 20 000 euros, qui exclut de fait certaines entreprises, pour une quotité de 85 %, ce qui implique de recourir, pour la garantie, à un système de syndication. Plus inquiétant : selon les simulations, seules 18 000 entreprises seraient visées. Je me fonde sur des documents écrits et non sur des supputations. Nous devons donc nous montrer particulièrement vigilants.
Le crédit d’impôt, qui a été préféré à un allégement de charges, doit faire l’objet d’une triple analyse. D’abord sur le plan fiscal, une fois que le dispositif aura été validé par le Conseil constitutionnel. Ensuite, les modalités du préfinancement qui n’est pas possible si le crédit d’impôt est assorti de conditions suspensives ou résolutoires. Or les amendements au texte initial ont introduit des contreparties liées notamment à la rémunération du dirigeant et à la distribution. Enfin, une analyse comptable devra prendre en compte de manière globale le traitement du crédit d’impôt. Sera-t-il intégré dans l’assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) ? Il faut réagir rapidement si l’on veut éviter qu’il soit traité comme un produit, ce qui en changerait toute la philosophie.
M. Jean-François Roubaud. Les PME souffrent de la faiblesse de leurs marges, qui n’ont jamais été aussi réduites, ce qui les empêche d’investir. Elles pâtissent aussi de l’instabilité juridique et fiscale, comme l’indique le rapport Gallois.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Pendant les huit mois qu’a durés la rédaction de ce rapport, trente-quatre textes, essentiellement des normes réglementaires découlant de dispositions législatives nationales ou européennes, sont intervenus dans le seul domaine de la gestion des déchets ! C’est dire à quelle complexité est confronté le chef d’entreprise. Autre exemple : le forfait social, c’est-à-dire les prélèvements sociaux sur les sommes distribuées au titre de l’intéressement, de la participation ou de l’épargne salariale, est passé de 2 % à 20 % entre 2009 et 2012. Une telle augmentation remet en cause la nature même du dispositif.
M. Jean-François Roubaud. Dans certains secteurs comme l’hôtellerie ou la restauration, les petites entreprises souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Selon le référentiel métiers de Pôle emploi, 250 000 offres d’emploi sont restées non pourvues pendant plus d’un an. Dans l’hôtellerie-restauration ou dans les secteurs techniques, les entreprises n’arrivent pas à recruter. La métallurgie manque de tourneurs-fraiseurs. On cherche à embaucher dans la découpe de verre. Les experts comptables font également défaut. Bref, il est difficile de trouver du personnel compétent, ce qui ouvre la réflexion sur la formation professionnelle.
M. Jean-François Roubaud. L’objectif des négociations sociales sur la sécurisation de l’emploi est d’améliorer l’accès à l’emploi et de sécuriser les parcours professionnels. On se focalise généralement sur les contrats courts, mais pourquoi, dans 80 % des cas, les entrepreneurs préfèrent-ils les CDD aux CDI ? D’abord parce qu’un CDI les expose à une certaine insécurité. Il faut assouplir ces contrats si l’on veut les rendre plus attractifs. Ensuite, en raison de l’instabilité économique. Quand l’entrepreneur n’a pas de visibilité sur son carnet de commandes, ses marges de manœuvre sont réduites.
Pour finir, n’oublions pas que les CDD sont indispensables à certains secteurs et à certaines petites sociétés. Dans une entreprise de cinq ou dix salariés, lorsque le chauffeur livreur est malade, il faut immédiatement le remplacer. Évitons donc de nous focaliser sur les CDI.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Plus de 70 % des jeunes sont embauchés en CDD, mais plus de 85 % des contrats de travail en cours sont des CDI.
M. Jean-François Roubaud. La négociation est délicate. Elle porte sur plusieurs sujets qu’on n’épuisera pas en quelques mois. Il faut surtout trouver un accord gagnant-gagnant, c’est-à-dire sécuriser tant le salarié que l’entreprise. Pour nous, le principal frein aux CDI, ce sont les indemnités de licenciement, qui peuvent mettre en danger des TPI. L’un des points à aborder est donc la « barémisation » des indemnités.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La plupart des PME n’ont pas de DRH ni de responsables des relations sociales. C’est le chef d’entreprise lui-même qui affronte le code du travail. Certes, il doit être sanctionné en cas d’abus, mais s’il pèche, c’est le plus souvent par non-respect des procédures, parce qu’il est difficile de se conformer à des textes qui évoluent constamment. Entre 2005 et 2010, le code du travail est passé de 2 700 à 3 200 pages, ce qui signifie qu’il augmente d’une page tous les trois jours. Cette situation est ingérable pour un chef d’entreprise qui n’est pas spécialiste du droit social.
M. Jean-François Roubaud. Pour la formation, vous avez souligné l’importance de conserver une gestion paritaire. C’est un secteur très vaste, dans lequel il reste beaucoup à faire. Nous ne sommes pas opposés à des améliorations, mais il s’agit d’un domaine très complexe.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La CGPME, qui s’investit beaucoup dans la formation, mène une campagne pour la promouvoir dans les PME. Le nombre de salariés en formation dans les PME augmente, même s’il subsiste une importante marge de progression et si, plus l’entreprise est grande, plus la proportion de salariés en formation est importante.
La professionnalisation, au sens large du terme, est également essentielle. Le meilleur moyen d’être recruté par une entreprise est d’y travailler déjà. L’apprentissage est un bon dispositif sur lequel il faut capitaliser. Nous sommes preneurs de toute mesure qui inciterait les entreprises à s’y engager davantage.
Il existe une autre innovation intéressante : la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), qui découle d’un accord entre partenaires sociaux. En règle générale, un demandeur d’emploi s’adresse à Pôle emploi pour obtenir une formation, après quoi on essaie de lui trouver un poste. Dans le cadre de la POE, on commence par identifier une offre d’emploi non pourvue, puis l’on cherche un demandeur d’emploi dont les compétences peuvent correspondre au poste, et on lui propose une formation adaptée. À l’issue de celle-ci, plus de 85 % des salariés sont embauchés. C’est donc une solution qu’il faut promouvoir. Reste que les agents de Pôle emploi, souvent surchargés, peuvent juger plus simple de travailler avec des grandes entreprises que de faire du sur-mesure pour une PME.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Pouvez-vous détailler ce dispositif ? À quoi s’engage l’employeur ? J’imagine qu’il ne s’agit pas d’une forme de préembauche, puisque vous signalez un taux d’échec de 15 %.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Le POE n’est pas une préembauche, mais un dispositif qui associe l’entreprise, l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) et Pôle emploi. L’entreprise fait part d’un besoin. L’OPCA intervient essentiellement en tant que financeur. Pôle emploi détermine la compétence du salarié. C’est lorsque les trois acteurs se concertent que peuvent surgir des pesanteurs ou des retards, voire des divergences concernant le financement apporté par chacun.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. En matière de flexi-sécurité, vous avez parlé d’accord gagnant-gagnant visant à assouplir le CDI. Aux organisations représentant les salariés, je demande souvent quel type de flexibilité elles peuvent accepter. Vous qui représentez les entreprises, jusqu’où êtes-vous prêt à aller en matière de sécurité ?
Lors des précédentes auditions, certains intervenants ont souligné que le SMIC, en pesant sur le niveau des salaires en France, pouvait freiner la création d’emplois. Le ministre du travail lui-même a récemment évoqué une évolution des normes de fixation du SMIC. Quelles propositions pourriez-vous formuler à ce sujet ?
En matière de contrats de travail et de durée légale du travail, la comparaison internationale est, certes, rendue difficile par les spécificités des systèmes sociaux des différents pays, mais on devrait pouvoir s’inspirer de ce qu’il y a de meilleur chez nos voisins. Qu’en pensez-vous ?
Le dispositif du crédit d’impôt compétitivité emploi doit certainement être sécurisé et stabilisé ; mais les contreparties à son octroi sont particulièrement faibles. Quelle utilisation concrète les entreprises que vous représentez pourraient-elles en faire ? Servira-t-il au rétablissement de leurs marges fragilisées ? Appuiera-t-il une stratégie offensive ou défensive, d’embauche ou de sauvegarde d’emplois ? Aurait-il fallu donner la priorité à certains secteurs, notamment ceux exposés à la concurrence internationale ?
Alors que le pacte de compétitivité proposé par le Gouvernement comprend trente-quatre mesures, on ne parle que d’une seule d’entre elles – sans doute la plus attendue et la plus emblématique. Le rapport Gallois présentait également un grand nombre de pistes. Qu’en est-il de la réflexion sur l’organisation des filières, et sur le soutien à la croissance des PME et à leur transformation en ETI ? Quelles mesures concrètes attendez-vous, et avec quel calendrier de mise en œuvre ?
M. Jean-François Roubaud. Dans le cadre du dialogue social, nous avons proposé de mettre en place la couverture complémentaire santé pour les salariés, malgré le coût de cette mesure – plus d’un milliard d’euros par an – et la complexité de gestion du dispositif. Nous avons également soutenu l’idée de droits rechargeables pour les chômeurs, afin de conserver à ceux d’entre eux qui retrouvent un travail le reliquat de leurs droits, de façon à ce qu’ils soient mieux indemnisés s’ils se retrouvaient à nouveau au chômage. Cette mesure pragmatique devrait encourager le retour à l’emploi. Nous avons fait des propositions visant à sécuriser la mobilité professionnelle, en simplifiant la possibilité, pour le salarié, de trouver un autre emploi à quelques dizaines de kilomètres de son lieu de travail actuel. Nous essayons enfin d’avancer sur la question de la formation, l’individualisation du compte épargne formation (CEF) devant permettre à chaque salarié d’en bénéficier effectivement.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Il est essentiel de sécuriser tant les employeurs que les salariés ; il s’agit de renforcer la stabilité de l’emploi pour ceux qui en ont un, de faciliter l’accès à l’emploi pour ceux qui n’en ont pas, et d’améliorer la transition entre deux emplois. La formation tient ici un rôle essentiel, car plus l’on reste au chômage, plus il est difficile de retrouver un travail. Des deux côtés de la table, nous partageons donc la volonté d’insister sur ce point.
Il est important pour nous que les propositions en discussion soient applicables aux PME, certains dispositifs – comme les procédures collectives de licenciement – concernant presque exclusivement les grandes entreprises. La CGPME a ainsi beaucoup insisté sur le recours au contrat de travail intermittent – dispositif déjà existant dans le code du travail, mais méconnu et peu utilisé car subordonné à la conclusion d’un accord de branche, difficile à obtenir. Pour les très nombreux employés saisonniers comme pour leurs employeurs, le CDI est plus avantageux que le CDD : les premiers peuvent revenir dans l’entreprise l’année suivante, et les seconds, de leur côté, sont assurés de retrouver un personnel qualifié et opérationnel. Ce dispositif est donc gagnant pour les deux parties.
M. Jean-François Roubaud. S’agissant du SMIC, il nous paraît essentiel d’éviter les coups de pouce – même faibles –, par exemple par un contrat de mandature, de façon à permettre aux chefs d’entreprise d’avoir une lisibilité du dispositif à moyen terme. Le SMIC peut en effet constituer un frein à la création d’emplois, et l’on devrait réfléchir à la mise en place, pour le premier emploi des jeunes et les stagiaires d’école, d’un SMIC spécifique, moins élevé, de façon à leur mettre le pied à l’étrier.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Dans les entreprises de moins de vingt salariés, 30 % des effectifs sont au SMIC, alors qu’ils ne sont que 8 % dans les entreprises de plus de 500 salariés. L’augmentation du SMIC affecte donc en premier lieu les PME ; elle induit, par ailleurs, un effet sur l’ensemble de l’échelle des salaires, et donc sur toute la masse salariale des entreprises.
M. Jean-François Roubaud. Introduire des contreparties importantes à l’octroi du CICE serait contre-productif ; pour que le dispositif soit utile à nos entreprises, elles doivent rester faibles, et nous nous sommes battus pour cela. Il est juste que l’ensemble du personnel soit informé du montant du crédit d’impôt accordé à l’entreprise, mais l’on ne peut pas demander à une petite entreprise d’en détailler la ventilation. La somme reçue permettra au moins d’améliorer la marge, donc d’investir et d’embaucher. L’exigence de contreparties vérifiables dès l’année 2013 poserait de surcroît un problème de comptabilisation, et rendrait impossible le préfinancement. Si l’on veut que le dispositif fonctionne, mieux vaut se cantonner à la clause de l’information.
M. Pascal Labet. Le système fiscal français étant déclaratif, ce n’est qu’au deuxième trimestre 2014 – au moment du dépôt de la liasse fiscale – que les entreprises pourront déterminer l’assiette du crédit d’impôt, le problème étant d’autant plus aigu pour celles dont l’exercice comptable est décalé par rapport à l’année civile. Les TPE et les plus petites des PME ont donc peu de chances de bénéficier du CICE dès 2013. Pour maximiser l’efficacité du dispositif, il faudrait s’inspirer du régime du crédit d’impôt recherche – créé en 1983 et modifié vingt-quatre fois –, dont on peut supposer que même s’il reste perfectible, il a atteint un certain degré de maturité. Si, au contraire, l’on veut changer les méthodes de calcul, autant ne pas parler de crédit d’impôt, et mettre en place un autre type de dispositif.
M. Jean-François Roubaud. Ce crédit d’impôt sera un ballon d’oxygène pour nos entreprises, ce qui créera forcément de l’emploi et de l’investissement, même si l’on ne saurait dire dans quelles proportions. S’il a été mis en place pour favoriser en priorité notre industrie, l’octroi du CICE aux entreprises de services bénéficiera également à celle-ci, dans la mesure où elle en est consommatrice.
Le rapport Gallois contient par ailleurs beaucoup de propositions intéressantes sur l’innovation et l’organisation des filières. En matière de développement des PME et de leur transformation en ETI, les choses se mettent en place. Avant-hier, les grands groupes publics ont par exemple signé, au ministère des finances, une charte – qui s’inspire du modèle de l’association Pacte PME – dans laquelle ils s’engagent à soutenir les PME et à favoriser leur croissance. Le rapport préconise également d’améliorer notre système d’exportation en offrant à nos entreprises les meilleures conditions de financement en Europe. Le chef de l’État a d’ores et déjà mis les ambassadeurs au service des entreprises dans les pays étrangers, et les mesures prises par Mme Bricq promettent d’autres améliorations.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Certaines décisions sont particulièrement importantes pour nous, comme le maintien en l’état de l’ISF-PME – qui permet d’amener davantage de financements vers nos entreprises – et la stabilité du crédit d’impôt recherche. Celle de la contribution économique territoriale (CET), pourtant affichée, nous apparaît en revanche moins assurée, étant donné l’augmentation de la cotisation foncière des entreprises (CFE) dans les collectivités. La CGPME devra être véritablement associée à la prochaine étape de la révision des valeurs locatives, actuellement en cours, qui aura un impact fort sur la fiscalité locale, dont il nous faut anticiper les effets.
M. Jean-François Roubaud. Nous n’avons d’ailleurs eu aucun retour sur l’expérimentation qui a été menée dans ce domaine. Il faudrait ouvrir un débat sur cette réforme dont les conséquences pourraient être dramatiques.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Parmi les autres mesures du pacte de compétitivité, nous sommes particulièrement attachés au « test PME » qui impose d’évaluer, pour toute nouvelle mesure, les effets qu’elle pourrait avoir sur les PME. Trop souvent, en effet, on ne s’aperçoit des répercussions négatives qu’une fois que la mesure a été prise.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Que pensez-vous de la mise en place du contrat de génération ? Pourrait-il pallier les difficultés des très petites entreprises sans repreneur en permettant de préparer un jeune à assurer la relève ?
On entend souvent que les petites entreprises ont du mal à répondre aux marchés publics ; est-ce une réalité pour vos adhérents ? Que peut-on faire à ce propos ?
En Allemagne, lorsqu’une grosse entreprise obtient un marché à l’international, elle en fait en général bénéficier ses partenaires TPE et PME. Ce modèle peut-il être imité en France ?
M. Jean-François Roubaud. Le contrat de génération doit encore être testé, mais comme l’ensemble des partenaires sociaux qui l’ont signé, j’espère qu’il aura un effet incitatif. Entre 300 000 et 500 000 petites entreprises devront trouver un repreneur dans les années à venir, et pour les plus petites d’entre elles, le contrat de génération pourrait favoriser la transmission à un jeune.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Avoir ouvert le contrat de génération aux chefs d’entreprise – qui peuvent jouer le rôle du senior – garantit l’efficacité du dispositif en matière de transmission.
En Allemagne, 50 % des transmissions d’entreprise s’effectuent au sein de la famille, contre seulement 10 % en France, ce qui explique, entre autres, qu’il y ait en France si peu de grosses PME par rapport aux TPE.
M. Jean-François Roubaud. Les TPE pâtissent d’une réelle difficulté d’accès aux marchés publics, ne serait-ce que par méconnaissance ou à cause de la complexité des dossiers administratifs à remplir. Le Gouvernement a cependant la volonté de faciliter ces démarches : il vient de nommer un médiateur qui devra inciter les chefs d’entreprise à solliciter les marchés publics. De nombreux sites Internet sont créés pour informer et aiguiller les petites entreprises vers les marchés auxquels elles pourraient prétendre ; « France Marchés », portail internet mis en place par la presse quotidienne régionale, en partenariat avec la CGPME, en constitue un exemple.
En matière de collaboration entre grandes et petites entreprises, il existe une différence culturelle entre la France et l’Allemagne, mais depuis quelques années, des efforts sont menés en ce sens dans notre pays. L’association Pacte PME incite ainsi les grandes entreprises à emmener les petites à l’international. Les efforts doivent d’ailleurs être réciproques : beaucoup de grandes entreprises ont, en effet, du mal à trouver des volontaires parmi les PME. En somme, les choses s’améliorent, mais nous sommes encore loin des performances de nos amis allemands.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La CGPME s’est engagée dans cette démarche en passant des partenariats avec des grandes entreprises – comme GDF Suez – pour servir de relais et encourager les PME à la coopération.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Au moment où la réforme de la taxe professionnelle a été conduite à l’Assemblée nationale, nous étions nombreux à avoir des réserves sur la pertinence du dispositif finalement retenu, pourtant crucial pour les entreprises. Quelle est votre position sur le débat autour de la CFE ? Suffirait-il de lever quelques imprécisions ou bien souhaitez-vous une réforme plus approfondie des deux prélèvements qui remplacent désormais la taxe professionnelle ?
S’agissant des problèmes posés par la réglementation, comment rendre l’environnement administratif plus favorable à la création et au fonctionnement des PME ? Les intervenants précédents nous ont assuré que les entreprises françaises n’intervenaient pas suffisamment au niveau de la fixation des normes européennes, leurs homologues allemandes sachant bien mieux faire valoir leurs qualifications. Une fois définies, ces normes pèsent alors sur les marchés que nos entreprises auraient pu conquérir.
M. Jean-François Roubaud. La réforme de la taxe professionnelle, globalement saluée par les chefs d’entreprise, a été conçue pour favoriser l’industrie, et elle a rempli sa mission, fût-ce au détriment de certaines entreprises de services. La CET, qui a remplacé cette taxe, est composée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la CFE, qui est très sensible à la modification des valeurs locatives. Il est pourtant indispensable de garder le lien entre l’entreprise et son territoire : si l’on supprime toute taxe locale, plus une ville ne voudra d’une usine ; il faut donc trouver un équilibre.
Le problème de la CFE tient à l’augmentation très importante de la cotisation minimum qui n’a pas toujours été prise en compte par les assemblées locales au moment du vote des taux. Le Gouvernement a réagi rapidement, et le Parlement vient de voter des amendements autorisant les collectivités à revoir le montant de la CFE pour 2012. La levée de boucliers avait été violente dans les territoires touchés par les augmentations les plus significatives ; depuis, la réforme a bien évolué, mais il reste encore beaucoup à faire.
Mes collaborateurs ont souligné la complexité de la réglementation et de l’environnement administratif. Depuis quelques années, on travaille sur la mise en place du « coffre-fort électronique » et du principe « only once », une fois pour toutes, qui permettrait à l’entreprise de ne pas soumettre la même information aux administrations plusieurs fois. Pour l’heure, à chaque fois qu’une entreprise répond à un appel d’offres public, elle doit fournir des pièces identiques, le volume du dossier et la perte de temps qu’implique sa constitution pouvant se révéler rédhibitoires pour le chef d’une TPE.
La difficulté qu’éprouvent les TPE à devenir des PME, et les PME, des ETI, tient au problème de la transmission familiale, relevé par Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, à l’image de l’entreprise et du chef d’entreprise, mais également aux effets de seuil. Il y a ainsi 2,4 fois plus d’entreprises de 49 salariés que de 50 salariés, le blocage étant psychologique, mais également réglementaire : passer de 49 à 50 salariés implique, en effet, trente-quatre obligations administratives de plus, et un coût supplémentaire de l’ordre de 4 % de la masse salariale. Dans la négociation en cours, je propose donc d’expérimenter un moratoire de deux ou trois ans lorsqu’on franchit ce seuil, qui pourrait augmenter sensiblement le nombre des entreprises de plus de 50 salariés.
En ce qui concerne les normes européennes, nous ne faisons pas assez de lobbying à Bruxelles. Ce n’est qu’en 2003 que j’y ai installé une équipe permanente ; mais nos moyens restent modestes : elle ne compte que deux personnes et demie, contre dix pour les Anglais et quinze pour les Allemands. De plus, une fois que la norme est adaptée au niveau européen, on l’alourdit souvent encore davantage dans notre législation nationale, ce qui ne simplifie pas les choses pour nos entreprises.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Il serait utile de disposer d’études d’impact non seulement prospectives, mais également rétrospectives, afin d’évaluer systématiquement l’efficacité des textes et s’interroger sur leur maintien. Actuellement, on ajoute sans cesse de nouveaux dispositifs, sans en supprimer beaucoup ; il faudrait changer l’état d’esprit pour raisonner plutôt à périmètre constant.
Enfin, 85 % des textes en vigueur en France représentant la transcription de directives européennes, pour les organisations comme la nôtre, il est fondamental d’être présentes à Bruxelles et de travailler directement avec les parlementaires européens.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Madame, Messieurs, je vous remercie pour votre participation aux travaux de cette mission.
Table ronde, ouverte à la presse, avec les syndicats : Confédération française démocratique du travail (CFDT), représentée par Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles et M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste, Force ouvrière (FO), représentée par M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique et M. Philippe Guimard, assistant confédéral, Confédération générale du travail (CGT), représentée par M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Joseph Thouvenel, vice-président, Confédération générale des cadres (CFE-CGC), représentée par M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie-logement-développement durable, et M. Kévin Gaillardet, chargé d’études économiques, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), représentée par M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, et M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’Industrie de l’UNSA, Union syndicale Solidaires (SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques), représentée par Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales, et M. Morvan Burel, membre de la commission économique de Solidaires.
(Séance du jeudi 17 janvier 2013)
M. le président Bernard Accoyer. Après avoir entendu de nombreuses personnalités, et notamment des chefs d’entreprise, nous accueillons ce matin, dans le cadre de cette nouvelle table ronde, des représentants des grandes organisations syndicales.
Nous serons d’autant plus attentifs à vos propos, Madame, Messieurs, que l’accord sur la sécurisation de l’emploi signé il y a quelques jours entre trois des grandes centrales syndicales et les organisations patronales doit venir prochainement devant le Parlement. Dans son travail d’analyse des facteurs de compétitivité de l’économie française, notre mission a déjà relevé qu’au-delà du coût du travail et des charges sociales, il fallait également tenir compte d’éléments comme la qualité de la production, l’innovation ou les questions relatives au marché du travail. Nous aimerions également connaître votre vision de ce que devrait être la construction d’une Europe sociale.
Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles, CFDT. Cela fait des années que la CFDT considère la compétitivité au sens large comme une question importante. Preuve en est la contribution ne notre organisation au rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) consacré à ce sujet ainsi qu’à l’élaboration d’un document, avec d’autres organisations syndicales et des organisations patronales, sur une « Approche des déterminants de la compétitivité de l’industrie française » publié en juin 2011. Dans le cadre de ces travaux, nous avons dressé un diagnostic approfondi sur l’ensemble des facteurs de compétitivité, « coût » mais surtout « hors coût ».
Le rapport Gallois et le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi y font d’ailleurs largement écho. Le décrochage de compétitivité dont souffre l’économie française est d’abord le résultat d’un retard dans le domaine de l’innovation, d’un positionnement de gamme trop faible, d’une insuffisance de formation et de qualification des salariés, mais aussi de la faiblesse de notre tissu de petites et moyennes entreprises et des relations entre donneurs d’ordre et de sous-traitants. Pour reprendre une formule frappante de Louis Gallois, l’industrie française se trouve depuis plusieurs années « prise en étau entre les pays à valeur ajoutée, comme l’Allemagne, et les pays à bas coûts ». Certes le coût du travail ne doit pas être ignoré, mais il n’est qu’un des éléments à prendre en compte, d’autant qu’il est très variable selon les secteurs professionnels. Autre conclusion très importante pour nous, le rapport Gallois souligne le besoin d’un pacte de confiance et réaffirme que le dialogue social est un facteur de compétitivité : il ne peut pas y avoir de compétitivité économique sans compétitivité sociale, et d’abord au niveau des entreprises. Cela engage particulièrement la responsabilité des partenaires sociaux.
Le choix du crédit d’impôt compétitivité et emploi, le CICE, n’était pas le nôtre, même si nous comprenons la logique qui a présidé à sa création, notamment le souci de ne pas creuser le déficit budgétaire. L’enjeu est désormais de s’assurer que les marges ainsi dégagées iront bien à l’investissement productif et à l’emploi, et non aux dividendes. Nous avons obtenu, dans le cadre des négociations sur la sécurisation de l’emploi, une avancée extrêmement importante de ce point de vue, puisque l’accord prévoit que les instances représentatives du personnel devront être consultées sur l’affectation du crédit d’impôt.
Ce sujet ne doit pas occulter le fait que nous avons besoin de construire collectivement une compétitivité de long terme. Cela suppose une stratégie de croissance et de compétitivité à l’échelle européenne, qu’il s’agisse de la politique industrielle, du soutien aux activités stratégiques, des investissements de croissance ou des enjeux énergétiques. Nous avons également besoin, non seulement d’un « État stratège », mais aussi d’une véritable coopération avec les territoires. Le rapport Gallois souligne qu’une organisation des filières, supposant une vraie culture de coopération entre tous les acteurs – entreprises, banques, territoires – est un enjeu majeur. Elle impose également d’inciter fortement à une solidarité des donneurs d’ordre envers les sous-traitants et de veiller au lien entre services et industrie. Les filières doivent être aussi exemplaires en termes de dialogue social.
Parmi les autres éléments nécessaires à la construction d’une compétitivité de long terme, je citerai l’investissement dans la recherche et l’innovation, le rôle de la commande publique, l’investissement social, en particulier dans la formation et le développement des compétences.
De ce point de vue, l’accord sur la sécurisation de l’emploi est un accord ambitieux, pour reprendre le mot de notre secrétaire général, notamment par la place qu’il fait à l’anticipation et la faculté qu’il donne aux instances représentatives du personnel de peser sur les orientations stratégiques des entreprises.
Tous ces points devraient être développés dans le cadre des comités stratégiques de filière de la Conférence nationale de l’industrie, mais également à l’occasion du débat national sur la transition énergétique, étant donné l’importance du coût de l’énergie pour les entreprises. La réflexion devra également porter sur le rôle des pôles de compétitivité et des investissements d’avenir ainsi que sur celui dévolu à la nouvelle Banque publique d’investissement (BPI). Il ne faut pas non plus oublier la négociation paritaire sur la qualité de vie au travail qui doit s’ouvrir prochainement, et qui est à nos yeux extrêmement importante. En effet, le travail n’est pas seulement un coût : il peut être aussi source de performance, d’innovation et de créativité, à la condition que les représentants des salariés puissent peser sur les choix d’organisation du travail.
M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique de FO. À Force ouvrière, nous sommes très méfiants envers la « compétitivité » depuis que la puissance publique en use à tout propos, soit depuis 2009-2010. Cette notion nous semble le plus souvent un prétexte à la modération salariale, voire à terme à la remise en cause du financement de la protection sociale, et à l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le droit du travail. Dernièrement, le Gouvernement lui-même en a fait un des objectifs de la modernisation de l’action publique, la MAP, qui n’est que la poursuite et l’aggravation de la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP.
Pour toutes ces raisons, nous craignons l’instrumentalisation d’une terminologie qui stricto sensu ne veut rien dire, puisqu’elle n’est définie, ni sur le plan économique, ni sur le plan social. C’est pourquoi nous dénonçons la stigmatisation du coût du travail à laquelle se livre le rapport Gallois et comme le pacte de compétitivité, qui en font le responsable de tous les maux de l’économie française.
Nous approuvons en revanche tout ce qui est susceptible d’améliorer la compétitivité « hors coût », via notamment l’intervention de la puissance publique. De ce point de vue, des initiatives telles que la Conférence nationale de l’industrie et ses comités stratégiques de filière, ou encore la future Banque publique d’investissement, nous paraissent aller plutôt dans le bon sens. Il est bon que l’État, mais aussi les collectivités locales, dans le respect des négociations de branche, réunissent l’ensemble des acteurs d’une filière donnée pour réfléchir collectivement aux moyens de s’attaquer à tout ce qui freine le développement, la recherche ou l’innovation.
On a évoqué la thématique de l’énergie : nous considérons que l’indépendance énergétique et la relative faiblesse des coûts de l’énergie en France sont des atouts de compétitivité pour l’industrie française. Une politique publique favorisant le renforcement des filières énergétiques permettra à nos entreprises de se développer, y compris à l’exportation, pourvu qu’elle soit pérenne. A contrario l’instabilité des mesures d’incitation fiscale favorables au développement des énergies nouvelles a eu des effets catastrophiques sur l’activité et les emplois.
Nous ne sommes pas opposés au principe même de la BPI – nous étions favorables au regroupement d’Oséo, du Fonds stratégique d’investissement (FSI), de CDC Entreprises – ou du CICE, pourvu que l’octroi des aides publiques soit lié au maintien et au développement de l’emploi ou à l’investissement dans la recherche.
Nous préférons que la puissance publique intervienne, dans la concertation et le dialogue, pour donner du sens et de la lisibilité aux entreprises, aux secteurs et aux filières, plutôt qu’elle utilise le terme de compétitivité pour justifier la modération salariale, remettre en cause le financement de la protection sociale ou réduire les services publics.
M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, CGT. Permettez-moi d’abord de bien vouloir excuser l’absence M. Mohamed Oussedik qui, souffrant, ne peut être avec moi ce matin comme il était prévu.
La gravité de la situation économique, marquée par la faiblesse de la croissance, le développement du chômage et de la précarité, la baisse continue donc très préoccupante de la production manufacturière et de l’emploi industriel, ne doit pas faire oublier les problèmes structurels de long terme. Il ne faudrait pas non plus que l’analyse des coûts de production, puisque c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui, se limite au coût du travail.
La réduction des coûts de production, et singulièrement du coût du travail, ne saurait tenir lieu de stratégie de développement économique et social, à moins de mettre en concurrence les salariés, les territoires et les systèmes socio productifs. C’est tout le débat entre la compétitivité « coût » et la compétitivité « hors coût ».
Parmi les coûts de production, on parle très peu de celui du capital, c’est-à-dire des intérêts dus aux créanciers et des revenus de la propriété, notamment les dividendes versés aux actionnaires. Or l’évolution des coûts relatifs révèle une quasi-stabilité de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis les années 1990 après une chute dans les années 1980, alors que celle du capital augmente de façon continue et régulière. Si le manque de compétitivité de nos entreprises est dû au coût des facteurs de production, c’est plutôt le coût du capital que celui du travail qu’il convient d’incriminer.
Un développement économique et social durable suppose une vision de long terme qui rompe avec deux illusions. La première serait de croire qu’il suffit que tout aille bien pour le capital pour que l’économie dans son ensemble se porte bien. On voit bien que le fameux théorème de Schmidt, selon lequel les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain, ne se vérifie pas ! La seconde est celle qui voudrait que nous soyons entrés dans une société postindustrielle, sans usine. Nous pensons au contraire qu’il est nécessaire de développer l’industrie. Cela suppose une véritable politique industrielle, favorisant l’emploi qualifié et la R & D, mais également une politique énergétique cohérente susceptible de préserver l’avantage compétitif que constitue pour notre pays le coût de son énergie, et le développement des filières. Enfin la défense des droits sociaux des travailleurs et des représentants des salariés est également fondamentale. Le projet d’accord sur la sécurisation de l’emploi est loin d’être à la hauteur de ces enjeux.
C’est toute la question d’un « État stratège ». Mais il faut aller plus loin qu’une vision stratégique. Pour notre part, nous ne reculons pas devant le mot de planification stratégique. Nous avons besoin de politiques appropriées, définies en coopération avec les acteurs, et fondées sur la promotion des normes sociales et environnementales. Il faut dans cette perspective en appeler à la responsabilité de l’ensemble des acteurs, dirigeants des entreprises et organisations syndicales.
Trois exemples prouvent a contrario la nécessité de cette responsabilisation de l’ensemble des acteurs. La politique d’exonération sans condition des cotisations sociales, menée depuis une vingtaine d’années, coûte cher. Elle ne donne pas de résultats probants. Le crédit impôt recherche (CIR), qui coûte 5 milliards au budget de l’État, ne profite pas nécessairement à la recherche, et surtout pas assez aux PME. Enfin le CICE s’inscrit toujours dans la problématique de réduction du coût du travail, alors que le vrai problème est ailleurs.
Incontestablement, la valeur externe de l’euro est un vrai problème, même si une part importante des échanges commerciaux de la France se réalise à l’intérieur de l’Europe. Ce dernier point nous impose de réfléchir également à une autre construction européenne, qui ferait du social et du développement durable ses priorités.
Les accords de compétitivité qui seraient signés, notamment chez Renault, et même l’accord de sécurisation de l’emploi sont loin de répondre à ces enjeux. Il serait plus juste de parler de sécurisation de l’employeur, tant il est défavorable aux travailleurs.
M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Je vous invite à mon tour à lire l’excellente « Approche de la compétitivité française », cosignée par la CGPME, l’UPA, le MEDEF, la CFTC, la CFDT et la CFE-CGC. Ce document répond en partie aux questions relatives au coût du travail. Une telle coopération entre organisations syndicales et patronales autour d’un constat et dans la proposition est suffisamment rare pour être signalée.
Ce travail montre notamment que nous manquons d’outils statistiques fiables. Ainsi une comparaison des niveaux des coûts salariaux unitaires, et non de leur seule progression, serait nécessaire pour mesurer les convergences ou les divergences entre pays européens. Paradoxalement, cela n’empêche pas certains spécialistes de conclure.
D’une façon générale, ce débat gagnerait à s’affranchir de l’idéologie et à faire une plus grande place au pragmatisme. On ne peut pas avoir une vision purement économique de notre pays et de ses entreprises, déconnectée des enjeux sociaux. Il faut dire, par exemple, que le salaire minimum, c’est le minimum de salaire. Sans lui, la valeur travail ne serait pas respectée et la société devrait supporter des charges qu’il appartient aux entreprises d’assumer. Or le salaire minimum est trop souvent l’objet de discours idéologiques, qui font fi de sa nécessité économique et sociale. Je vous mets en garde contre les idéologues de l’ultralibéralisme. L’évolution de l’image de l’Irlande est exemplaire de ce point de vue. Il y a quelque temps, un rapport sénatorial en faisait un modèle, réunissant des qualités sans pareilles : peu d’impôts, peu de charges sociales, une grande flexibilité du travail. Il n’a pas fallu plus de quelques mois pour que vos collègues du Sénat décrivent dans un nouveau rapport un pays au bord de l’explosion : il s’agit toujours de l’Irlande !
Toute analyse du coût du travail devrait au moins être sectorielle. Ainsi, dans l’industrie, il est équivalent, voire inférieur, à ce qu’il est en Allemagne. Ce n’est pas du tout le cas dans l’agriculture.
Ce qui pèse sur la compétitivité de l’industrie française n’est pas tant le coût du travail que l’insuffisante adaptation de nos produits aux exigences du marché mondial. L’euro a été un révélateur de ce problème ancien, que nous occultions auparavant par la dévaluation. Le passage à l’euro a révélé l’erreur de nos industriels : ceux-ci avaient fait le choix de vendre moins cher des produits de moyenne gamme voire de bas de gamme. La conséquence, c’est que nous sommes aujourd’hui rattrapés par les pays émergents, sans pouvoir espérer nous aligner sur leur niveau de salaires ou leurs normes sociales. À l’inverse, les pays qui ont axé leur stratégie sur le haut de gamme, la qualité, le service s’en sortent.
Aujourd’hui, la mévente oblige nos entreprises à réduire leurs marges, ce qui compromet l’investissement. C’est pourquoi le crédit d’impôt sera pour elles un ballon d’oxygène, à condition qu’il soit consacré à investir dans l’innovation sur notre territoire : il ne faudrait pas qu’elles l’utilisent pour ouvrir des usines en Inde !
On ne peut pas cependant s’enfermer dans une perspective « franco-française » : le problème est européen. L’Europe est certes la bonne échelle pour affronter la mondialisation, mais aujourd’hui elle ne répond pas à nos besoins faute d’une position forte et consensuelle dans les négociations internationales. Dans notre désir d’être les meilleurs élèves de la classe, nous imposons à nos entreprises des règles que nos concurrents ne respectent pas. Ils inventent sans cesse de nouvelles normes pour ralentir l’accès de nos produits à leur marché. Nous ne pouvons pas continuer à ouvrir nos marchés sans réciprocité, comme nous l’avons fait notamment dans le secteur automobile. Si l’Europe n’est pas capable d’obtenir que les règles du jeu de la mondialisation soient respectées par tous, elle sera le dindon de la farce !
Il faut également que la mondialisation ait un socle social. Il est moralement inacceptable et économiquement suicidaire d’accepter comme nous le faisons de commercer avec des pays qui ne respectent aucune norme sociale, et font travailler des enfants. De même, il n’est pas normal de laisser entrer chez nous des produits qui échappent aux normes écologiques que nous imposons à nos industriels et qui augmentent leurs coûts de production. Là-dessus, l’Europe fait preuve d’une faiblesse coupable.
Pour la CFTC, l’accord sur la sécurisation de l’emploi n’est pas qu’un compromis entre les intérêts divergents des salariés et du patronat : il prend acte d’intérêts convergents. Je n’en évoquerai que quatre points. Il renforce la possibilité d’anticipation des salariés et de leurs représentants, et la réflexion commune avec la direction. Il comporte des outils pour améliorer la formation professionnelle. Il donnera aux entreprises la souplesse nécessaire pour affronter les périodes difficiles tout en préservant l’emploi. En effet, il est précisé en annexe de l’accord que l’absence de respect de la part de l’employeur de ses engagements en matière de préservation de l’emploi sera passible d’une sanction pénale. Il prévoit enfin des mesures financières incitant fortement à réduire le recours abusif aux contrats à durée déterminée et à favoriser le recours au CDI, notamment pour l’embauche des jeunes. Pour notre part, nous faisons le pari que cet accord permettra de maintenir et développer l’emploi dans notre pays.
M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie, logement, développement durable, CFE-CGC. Depuis une dizaine d’années, les marges de nos entreprises se dégradent inexorablement, au point que la balance commerciale de la France accusait un déficit de 71 milliards d’euros en 2011. Nous sommes entrés dans une spirale infernale, la réduction des marges des entreprises entraînant ipso facto la réduction de l’autofinancement, qui entraîne à son tour la dégradation de la note des entreprises cotées, un enchérissement du coût du capital et de ce fait une diminution de l’investissement.
Pour sortir notre économie de ce « vortex », Il faut absolument réindustrialiser notre pays, car c’est en grande partie l’industrie qui tire les services, et pour cela améliorer notre compétitivité. Reste à déterminer quels sont les facteurs de cette compétitivité.
L’« Approche de la compétitivité française », déjà évoquée, est très éclairant sur ce point en ce qu’elle analyse tous les facteurs, qu’il s’agisse de la compétitivité « coût » ou « hors coût ». Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que ce document insiste sur les facteurs de compétitivité « hors coût », tels que la R & D, la qualité du service, le service après-vente ou la dynamisation des exportations. Les facteurs de la compétitivité « coût » jouent, bien évidemment, leur rôle, mais de manière différenciée selon les secteurs d’activité. Si on se limite au secteur industriel, les différences des coûts de production entre les grands pays industriels de l’Union européenne ne sont pas considérables. Le problème de notre industrie automobile est lié à son positionnement en gamme.
Cela étant, nous pensons qu’on n’échappera pas à une réforme du financement de la sécurité sociale. Cela fait déjà une dizaine d’années que nous plaidons pour une cotisation sociale sur la consommation (CSC), afin de desserrer les contraintes qui pèsent sur le coût du travail et d’assurer un financement fléché et pérenne de la sécurité sociale. Un salarié, en situation instable, mal soigné, est moins productif, contribuant ainsi à la dégradation de la compétitivité. De ce point de vue, les PME-PMI sont très désavantagées par rapport aux grandes entreprises, alors qu’elles constituent le premier gisement de croissance et d’emploi.
L’accord sur la sécurisation de l’emploi traduit une approche pragmatique des questions sociales : il ne fait que généraliser ce qui se fait déjà dans bon nombre d’entreprises. Nous insistons notamment sur la nécessité d’associer en amont les salariés aux décisions des conseils d’administration.
Il ne faut pas négliger les raisons d’espérer. La France a des atouts, dans le domaine de l’énergie, en matière d’infrastructures ou dans le domaine de la formation, notamment supérieure. Ce dont nous avons besoin pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, c’est d’une vision de long terme. En effet, les investissements très capitalistiques nécessitent de la stabilité fiscale et législative et une simplification de la réglementation : c’est crucial pour nos PME-PMI, qui n’ont pas les moyens de faire face à l’inflation des normes.
Les pôles de compétitivité sont également à compter au nombre des raisons d’espérer, surtout s’ils deviennent des lieux de formation. Il faut créer plus de passerelles entre les grandes écoles et les universités et développer la formation continue et la formation initiale, notamment la formation en alternance et l’apprentissage, sur le modèle de nos voisins allemands. Ces formations doivent s’inscrire dans une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau des bassins d’emplois, dans la perspective de futures restructurations et redéploiements auxquels nous n’échapperons pas.
Le CICE nous paraît également un point positif, et pas trop compliqué à mettre en œuvre pour redonner de l’oxygène aux PME-PMI. De même, la création de la BPI va dans le bon sens.
Nous devons par ailleurs exploiter cet autre atout que constitue la forte capacité d’épargne des Français. Il faut notamment favoriser l’épargne longue, les investissements productifs s’inscrivant dans une logique de long terme.
Nos efforts en matière de compétitivité doivent prendre en compte le champ de contrainte au niveau européen, notamment les asymétries fiscales et sociales. Nous devons tout mettre en œuvre pour assurer la convergence de nos économies. La compétitivité tant vantée du modèle allemand est due à une diminution phénoménale en dix ans du coût du travail en Allemagne, à l’origine d’une augmentation significative du taux de pauvreté dans ce pays, au point que certains envisagent la création d’un salaire minimum.
En France, l’augmentation des salaires est insuffisante, notamment au regard du coût du logement, qui constitue un problème récurrent depuis une dizaine d’années, se traduisant par une dérive effarante des loyers qui réduit d’autant le reste à vivre dans le pouvoir d’achat des ménages. Malheureusement, la dégradation de l’excédent brut d’exploitation des entreprises françaises ne laisse guère espérer une évolution positive sur ce point.
M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, UNSA. Je voudrais évoquer en préambule le dernier accord de méthode qu’avec trois autres syndicats nous avons signé avec l’entreprise Arc International. Ce n’est pas le coût unitaire du travail qui a été au centre de notre réflexion, mais des questions comme celle de la performance de l’outil industriel, ou l’amélioration des fonctions support. À la différence de ce qui est négocié avec Renault, l’accord insiste sur les perspectives de montée en gamme du groupe, l’innovation, la R & D et la formation. En revanche, il ne met pas suffisamment l’accent sur l’association des instances représentatives des personnels aux orientations stratégiques de l’entreprise.
L’UNSA relève l’intérêt de l’accord sur la sécurisation de l’emploi, notamment dans le domaine de l’information des salariés et en matière de consultation des instances représentatives des personnels, auxquelles il ouvre les organes de gouvernance, conformément au huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »
Pour nous, la compétitivité n’est pas un gros mot, pourvu qu’on ne la limite pas à la réduction du coût du travail. Selon Eurostat, la différence de coût horaire du travail entre la France et l’Allemagne n’a pratiquement pas varié entre 2004 et 2012 : alors qu’il était de 30,80 euros en Allemagne et de 29,26 euros pour la France en 2004, il était respectivement de 36,24 euros et de 36,84 euros en 2012. Une différence de soixante centimes d’euro n’est pas de nature à remettre gravement en cause la compétitivité de nos entreprises. Par ailleurs, le dernier rapport annuel du CESE sur l’état de la France indique que « les dividendes et autres revenus aux actionnaires se sont élevés de 14% par rapport à l’excédent brut d’exploitation des entreprises non financières au début des années quatre-vingt-dix à plus de 30% en 2011. » Multiplier par deux la rentabilité du capital nous paraît quelque peu osé en cette période. Enfin dans Les Actualités de l’OIT du 5 décembre 2012 on apprend que les salariés ont obtenu une part réduite du revenu national parce qu’une part de plus en plus importante est allée au profit dans la plupart des pays.
Nous voulons, nous, mettre en exergue l’innovation, la recherche, la montée en gamme, et non pas uniquement la rentabilité financière. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur le CICE. Je voudrais simplement dire à ce stade, en vous renvoyant au rapport de l’Inspection générale des finances sur les dépenses et niches fiscales de 2011, qu’il faudra veiller à ne pas créer une nouvelle niche fiscale. Il est temps d’affirmer, à rebours du théorème de Schmidt, que les dividendes d’aujourd’hui sont la diminution de l’investissement de demain et le chômage d’après-demain.
M. Morvan Burel, membre de la commission économique, SUD. Les termes de ce débat sur la compétitivité nous semblent mal posés. Pour nous la compétitivité n’est pas un objectif politique du monde social : ce n’est qu’un moyen, mis en avant pour satisfaire la mondialisation libérale. Celle-ci est bien un choix politique et social auquel nous sommes totalement opposés parce qu’il est porteur de profonds déséquilibres.
En réalité la question du coût du travail dissimule la remise en cause du financement de la protection sociale, c’est-à-dire de l’égalité entre les citoyens. Le coût du travail est toujours mis en avant pour expliquer notre retard en matière de compétitivité. Or les salariés français sont les plus productifs en Europe. La comparaison avec l’Allemagne, présentée, après l’Irlande, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, comme le nouveau paradis économique européen, est instructive : en un an, un salarié français produit 75 000 euros de richesses, contre 63 000 euros pour un salarié allemand. Par ailleurs, le coût du travail horaire en France demeure plus bas que le coût du travail en Allemagne, puisqu’il est de 40,60 dollars en France, contre 43,80 dollars en Allemagne. Dans l’industrie automobile, un salarié français coûte environ 52 000 dollars par an, un salarié allemand 62 000 dollars.
En réalité le recul de la compétitivité de l’économie de la France s’explique bien davantage par le coût du capital que par celui du travail. En effet, depuis vingt ans, le niveau des dividendes a quadruplé en France, et les très hauts salaires continuent de capter une part toujours plus importante de la masse salariale. En dépit de la crise, la part des dividendes a continué d’augmenter depuis 2008, obligeant même les entreprises à s’endetter pour financer l’investissement.
On ne parle pas non plus du rôle de l’euro dans la dégradation de la compétitivité de la France, alors qu’il est passé de 0,9 dollar en 2000 à 1,6 dollar en 2008. De ce fait, le coût du travail aux États-Unis, qui était en 2000 supérieur de 17 % à ce qu’il était en France, lui était, en 2010, inférieur de 14 %. La comparaison avec les pays émergents nous est encore plus défavorable.
Le « modèle allemand » qu’on nous vante toujours sur cette question de la compétitivité n’est en rien généralisable. Il peut même être à bien des égards considéré comme un des facteurs explicatifs de la crise en Europe. Les mesures prises par le gouvernement Schröder et maintenues par le gouvernement Merkel ont généré de l’austérité, une déflation salariale et un creusement des inégalités. Si la France s’engageait dans cette voie, cela ne pourrait provoquer qu’une atonie générale de la consommation en Europe. Il est impossible que toute l’Europe se mette au diapason de l’Allemagne et produise des berlines de luxe.
Le problème c’est que la France fait partie d’un marché unique européen où marchandises et capitaux circulent librement, mais qui ne fait l’objet d’aucune mesure d’harmonisation dans le domaine social ou du droit du travail. Or, entre la France et les pays d’Europe centrale et orientale, le coût du travail varie de un à trois. Comment dans ces conditions continuer à parler de compétitivité sans exiger la mise en place au niveau européen d’une politique volontariste d’harmonisation des règles sociales et du travail ? Le système économique européen et mondial auquel nous avons souhaité appartenir nous entraîne dans une sorte de puits sans fond. : la France ne sera jamais compétitive. L’alignement permanent sur « le moins-disant social » ne nous paraît rien d’autre qu’une politique suicidaire.
On mesure à cette aune la vanité des dernières mesures prises en la matière, tels que les accords dits de compétitivité assouplissant le marché du travail, les exonérations de charges ou les divers crédits d’impôt, qui peuvent s’analyser comme du dumping fiscal. Ce type de mesures, qu’on nous vend depuis des décennies sans les assortir d’aucune condition, échouent invariablement. Elles ne font qu’aggraver la précarité de l’emploi.
La décision de créer la BPI est la seule décision qui nous semble aller dans le bon sens. Elle n’est malheureusement pas suffisante pour résoudre, à elle seule, les problèmes économiques auxquels nous sommes actuellement confrontés.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Compte tenu de la collaboration que vos organisations entretiennent certainement avec différents syndicats, comment entendez-vous porter la question européenne ?
Comment faire, par ailleurs, pour améliorer encore les accords existants ?
M. Thierry Benoit. Monsieur Haas, que répondez-vous à ceux qui craignent que la cotisation sociale sur la consommation ne fasse augmenter les prix à la consommation ?
Vous avez également évoqué, ainsi que M. Thouvenel, le rôle de l’Europe et la question de la réciprocité. Je rappelle à cet égard la décision de la direction générale « Commerce » de la Commission européenne de supprimer la taxe anti-dumping sur les briquets chinois sans avoir la garantie qu’ils présentaient le même niveau de qualité et de sécurité que ceux des entreprises européennes et notamment françaises. Quelles sont vos propositions dans ce domaine et en matière d’harmonisation des normes sociales et environnementales dans le marché européen ?
Enfin, le code du travail pourrait être réactualisé. Le dialogue social auquel nous venons d’assister me paraît annonciateur d’une nouvelle méthode de travail. Les organisations syndicales peuvent-elles envisager une évolution de la durée hebdomadaire du temps de travail en fonction des différentes phases de la carrière des salariés ? Entre vingt-cinq et cinquante-cinq ans, par exemple, cette durée pourrait, dans le cadre d’accords conclus au sein des entreprises, atteindre 39 ou 40 heures puis diminuer au-delà. Les dispositions relatives au tutorat envisagées voici quelques années par MM. Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, d’ailleurs reprises par l’actuel gouvernement et même amplifiées par le contrat de génération, semblent intéressantes. Peut-être faudrait-il également envisager de lier la durée du temps de travail à l’attractivité des métiers, qui commence à poser problème, et avec elle le renouvellement des générations dans certaines corporations. Vos organisations ont-elles des réflexions ou des propositions sur ces questions ?
M. Thierry Benoit remplace le président Bernard Accoyer au fauteuil présidentiel.
Mme Michèle Bonneton. En France, la productivité est globalement d’un haut niveau, bien que, selon la Fédération patronale de la machine-outil, l’âge moyen des machines soit de 19 ans en France contre 9 à 10 ans seulement en Italie ou en Allemagne. Alors que le capital est bien rémunéré, notre pays souffre d’un sous-investissement chronique. Comment peut-on remédier à cette situation avec d’autres mesures que celles que prévoit le CICE ? Que proposez-vous, en d’autres termes, pour favoriser l’investissement ?
Face au dumping social et environnemental et, plus généralement, à celui qui touche les normes, l’incapacité à instaurer un principe de réciprocité tient-elle à l’idéologie dominante de la Commission européenne ou à des freins plus techniques ?
Comment concilier la vision à long terme qui devrait prévaloir et le fait que les grands donneurs d’ordres révisent leurs stratégies à très court terme – parfois à six mois – lorsque leurs objectifs ne sont pas atteints, au prix souvent d’une certaine « casse sociale » ?
Quels sont, enfin, les effets positifs et négatifs de la disposition de l’accord qui vient d’être signé permettant de négocier des accords de maintien de l’emploi ?
M. Laurent Furst. Les entreprises françaises connaissent un vrai problème de compétitivité. Il nous conduit à un déclin économique dont nous ne voyons aujourd’hui que les prémices. Si les prélèvements sociaux et fiscaux contribuent certainement à alourdir les coûts de production, le salaire minimum est une base que l’on ne saurait considérer comme trop élevée, car il est ce qui permet à des familles de vivre. Quant à la protection sociale, elle est essentielle et nous y sommes tous attachés.
La vraie question n’a pas été abordée : alors que le commerce extérieur de la zone euro avec le reste du monde est excédentaire, celui de la France ne cesse de se dégrader. Comparer le modèle social de notre pays avec celui des pays en développement n’aurait pas de sens, mais la France rencontre un problème de compétitivité spécifique par rapport à ses voisins européens.
Le « taux de marge » – terme que je regrette de n’avoir entendu prononcer plus d’une fois ce matin – est historiquement faible aujourd’hui, mais il est bas depuis longtemps, ce qui explique le sous-investissement et la vétusté des équipements, ainsi que la difficulté qu’éprouvent les entreprises à se financer.
L’économie est un phénomène dynamique : le tissu économique se régénère, avec des entreprises qui meurent et d’autres qui se créent et se développent. Alors que 5 millions de Français cherchent un emploi, il faut qu’à l’autre bout de la chaîne quelqu’un ait envie de créer ces emplois. Or, il n’est question que de sanctions, de pénalisations, de contraintes et de charges. Un tel discours est-il propre à créer chez les artisans, les commerçants et les agriculteurs, ainsi que chez les industriels – français et étrangers –, l’envie de créer des emplois ? De nombreux centres de décision étant situés à l’étranger, qu’est-ce qui pourrait pousser un industriel européen à localiser une activité en France ? Le manque d’attractivité du climat économique, du climat psychologique et de l’environnement général ne me semble pas avoir été assez abordé dans les interventions que nous venons d’entendre.
M. Olivier Véran. Vous avez justement souligné, Madame Martin, qu’il n’y avait pas de compétitivité économique sans compétitivité sociale – c’est le sens de notre travail à tous. La base de la compétitivité ne doit-elle pas être tout simplement le dialogue social ? Cette méthode n’a cependant pas été très utilisée au cours des dix dernières années.
La grande conférence sociale de juillet 2012 a donné lieu à un accord unanime autour du dispositif du contrat de génération, dont nous avons voté tous les articles et dont le vote solennel doit avoir lieu la semaine prochaine. Quelle est votre opinion de cet outil de compétitivité économique et sociale ?
Il faut aussi saluer l’accord national interprofessionnel « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi », conclu voici quelques jours.
Vous avez également évoqué le pacte de compétitivité, qui agit à la fois sur la compétitivité-coûts et la compétitivité hors coûts – que je préférerais appeler « compétitivité-qualité ». Tous les intervenants ont plaidé pour une politique ambitieuse, indispensable pour reconquérir notre industrie. Elle passe, selon vous, par la formation en termes qualitatifs : qu’en est-il de la formation en termes « quantitatifs », c’est-à-dire de l’adaptation des filières de formation aux besoins des entreprises ? Quelles sont vos pistes de travail pour améliorer la promotion de certaines filières de formation que l’on dit désertées et pour lesquelles les entreprises cherchent à recruter en France et en Europe.
Vous avez souligné à juste titre, monsieur Thouvenel, l’importance de la formation tout au long de la vie.
La compétitivité-qualité passe aussi par l’innovation, qui exige, outre l’investissement, un accompagnement. L’importance des pôles de compétitivité et du lien fondamental qu’il faut renforcer sur tout notre territoire entre la recherche et le développement doit aussi être soulignée. Il convient également d’enseigner à nos entreprises une véritable culture de l’exportation, comme vous y avez justement insisté, Monsieur Haas.
En matière de financement, tous les orateurs ont accueilli favorablement la création de la BPI, ce dont on peut se féliciter.
Vous avez évoqué, Monsieur Pavageau, la nécessité d’assortir l’aide publique d’une conditionnalité. Je rappelle à ce propos qu’il nous faut éviter de reproduire les erreurs commises dans l’application du crédit impôt recherche (CIR) – élu d’une circonscription où est établi un fabricant français de panneaux solaires, je pense notamment aux importants investissements que ce dispositif a permis à Total de réaliser pour des panneaux solaires chinois et au moratoire que cette situation a provoqué, freinant la politique de transition énergétique. L’attribution d’aides publiques doit être intelligente et concertée, afin de favoriser notre économie.
M. Olivier Carré. Il a beaucoup été question ce matin de la rivalité entre le coût du travail et celui du capital. Or, la rémunération du capital intervient après les marges de financement de l’entreprise et ce n’est pas un hasard si elle est la plus faible d’Europe. Il nous faut donc nous interroger sur l’investissement, sur la pérennisation des emplois en place et sur la création de nouveaux emplois permettant aux entreprises de continuer à se développer. Bon nombre des économistes que nous avons auditionnés ont, je le rappelle, souligné la stabilité du partage de la valeur ajoutée au cours des dernières années.
La rigidité du marché du travail est présentée par la Commission européenne et par les économistes que nous avons entendus comme une singularité française. Les accords négociés la semaine dernière amélioreront-ils cette situation, sachant qu’il est souvent reproché aux centrales syndicales d’avoir plutôt tendance à défendre l’emploi en place qu’à faciliter la création d’emplois, ce qui est pour de nombreux économistes l’une des raisons expliquant la progression constante du socle du chômage ?
Lors du débat sur le CICE qui a eu lieu en commission des finances, le ministre a indiqué que la définition des conditions d’application de ce dispositif ne relevait pas, à ce stade, des parlementaires, mais des partenaires sociaux et que les principes issus des échanges entre ces derniers seraient repris lors de la transposition législative – avant l’été – des accords qui viennent d’être négociés. Pour certains, l’essentiel du CICE doit être consacré à la sécurisation et à la pérennisation des emplois, ainsi qu’à la formation, tandis que, pour d’autres, la priorité doit être donnée à la recherche – autant d’éléments qui, du reste, favorisent le capital, humain ou physique. Quelle lecture vont-elles faire de ces questions les différentes organisations syndicales ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je tiens à remercier les représentants des centrales syndicales de leur participation aux travaux de cette mission.
Tout d’abord, l’accord signé la semaine dernière entre les organisations patronales et approuvé à ce jour par trois des organisations représentées ici prévoit pour les entreprises connaissant de graves difficultés conjoncturelles la possibilité de conclure avec les syndicats représentatifs ou avec la majorité des salariés des accords, d’une durée maximale de deux ans, comportant une baisse de rémunération et/ou une augmentation du temps de travail, en contrepartie d’un engagement de maintien de l’emploi. Certains points de cet accord appellent-ils de votre part des réflexions particulières ?
Ce dispositif vous semble-t-il un bon exemple d’assouplissement permettant la sauvegarde de l’emploi ? Je rappelle que des discussions ont déjà eu lieu localement pour des accords de ce type, par exemple avec succès chez Bosch France, dans la région Rhône-Alpes, ou chez Continental – où elles se sont soldées par un échec.
Par ailleurs, le recours au chômage partiel – ou « activité partielle » – est présenté par certains économistes que nous avons auditionnés comme un amortisseur à la crise, permettant d’éviter la fermeture de certains sites industriels. Élu d’une circonscription comportant la ville d’Aulnay-sous-Bois, je suis particulièrement attentif à la stratégie affichée par PSA et aux annonces faites hier par Renault. Dans un pays qui compte déjà plus de 12 millions d’heures de chômage partiel par an, est-il possible d’aller plus loin dans le recours à ce mécanisme ? Disposez-vous d’une première évaluation des deux accords nationaux interprofessionnels signés dans ce domaine au début de 2012 et de l’accord de conventionnement de l’activité partielle de longue durée qui avait été mis en place à titre expérimental et a été prolongé jusqu’au 31 mars 2013 ?
En troisième lieu, plusieurs des personnes que nous avons auditionnées considèrent que les organisations que vous représentez défendent plutôt les « insiders », c’est-à-dire les personnes qui sont déjà sur le marché du travail, par opposition avec celles qui cherchent à y entrer. Comment faire en sorte que le dialogue social permette de représenter à la fois ceux qui sont en activité et ceux qui souhaiteraient l’être, en particulier les jeunes et les seniors, massivement exclus du marché du travail ?
En quatrième lieu, la surtaxation à l’assurance chômage des contrats à durée déterminée de courte durée, qui figure dans l’accord conclu la semaine dernière, vous paraît-elle suffisante ? Quels effets en attendez-vous en termes de création d’emplois ou pour freiner certains abus ?
En cinquième lieu, nous avons également entendu ici plusieurs membres du groupe des experts travaillant sur le SMIC proposer des évolutions notables en la matière. Quel est votre avis sur le niveau du SMIC et sur ses possibilités d’évolution, ainsi que sur les conséquences que peut avoir cette évolution sur les salaires supérieurs à ce niveau – plusieurs des personnes auditionnées ayant, je le rappelle, décrit le SMIC comme une « trappe à salaires » ? Le caractère interprofessionnel et national du SMIC doit-il, par ailleurs, être conservé ?
En sixième lieu, la formation professionnelle appelle des évolutions profondes pour améliorer la compétitivité « hors coûts », mais nous avons perçu chez les personnes auditionnées une certaine gêne quant aux améliorations à apporter à ce dispositif, dont les dépenses cogérées dépassent pourtant 30 milliards d’euros, hors crédits de l’enseignement supérieur spécialisé, soit un montant supérieur au budget de la défense nationale. Comment utiliser plus et mieux ces fonds au bénéfice des salariés et des demandeurs d’emploi ?
Enfin, quel bilan tirez-vous de la fusion entre l’ANPE et l’Unedic intervenue en 2009 et de l’accompagnement des salariés en recherche d’emploi par Pôle emploi ?
M. Joseph Thouvenel, CFTC. Nous vous répondrons par écrit sur certains points, comme la formation professionnelle – qui accuse un décalage problématique entre la masse financière mise en œuvre et l’efficacité des dispositifs, avec un taux d’évaporation important.
L’accord sur la compétitivité et l’emploi sécurise pour les salariés des accords qui existaient déjà. L’exemple de l’usine Continental de Clairoix est très éclairant à ce propos. L’employeur, dont l’actionnariat est allemand, propose de consolider le site et s’engage à investir pendant dix ans, moyennant la négociation d’un passage à 39 heures de travail hebdomadaire et du recours à des intérimaires. Un an plus tard, l’accord conclu en ce sens est remis en cause, car des changements intervenus du côté de l’actionnaire allemand. Un tel revirement n’aurait pas été possible en Allemagne, où le patronat n’aurait jamais trahi ses engagements vis-à-vis des syndicats allemands – mais il n’a pas hésité à le faire vis-à-vis de ses salariés français. Nous avons alors assisté à une démission totale du politique mais aussi du MEDEF, qui n’ont jamais déclaré qu’il était inacceptable de ne pas respecter un accord. Cette situation ne pourra pas se reproduire après l’entrée en vigueur de l’accord sur la compétitivité et l’emploi, dont l’annexe précise, dans son article 10, que le non-respect par l’employeur de ses obligations l’expose à une sanction pénale dont le principe doit figurer dans l’accord et que le juge même ne peut pas réduire. Ce dispositif apporte de la sécurité à une souplesse qui peut se révéler nécessaire lorsqu’un effort peut permettre à une entreprise de surmonter une période de difficultés.
Comme d’autres organisations, nous préférons un accord négocié et validé par une majorité, plutôt que d’envoyer des salariés directement au chômage. La méthode est bonne : la nécessité d’une majorité dans l’entreprise garantit l’acceptation par les salariés de l’effort qui permet d’éviter le chômage. Cette sécurisation des salariés est un progrès.
Pour ce qui concerne les baisses de rémunération, l’accord exclut de toucher au salaire minimum, et même aux salaires inférieurs à 1,2 SMIC. Cependant, comme l’indique une annexe de l’accord, la négociation n’est pas achevée : il est plus difficile de toucher aux salaires qu’au temps de travail, car les salariés établissent leur budget en fonction de leur salaire et, même avec un salaire du double ou triple du salaire minimum, on peut se trouver dans le rouge à la fin du mois. La discussion doit se poursuivre et il s’agit de diminuer non pas les salaires nets, mais le coût du travail pendant un ou deux ans, le temps de traverser une passe difficile. Autrement dit, il faudrait de réduire temporairement les prélèvements sociaux, ce qui se traduirait pas une créance que détiendrait l’URSSAF sur l’entreprise. J’ai évoqué cette proposition, qui émane de la CFTC, avec les représentants des organisations patronales et avec le cabinet du ministre. Il faudra bien évidemment se garder d’ « ouvrir les vannes » sans cadrer soigneusement un tel dispositif.
Ces exemples montrent que, s’il nous faudra faire vivre l’accord qui vient d’être conclu, celui-ci est déjà une bonne avancée, qui sécurise les salariés et les entreprises.
Les salariés seraient en droit, dans le cadre d’un accord de ce type, de refuser une baisse de rémunération, mais il faudra éviter les effets d’opportunité qui pourraient conduire certains salariés très bien rémunérés à profiter des difficultés rencontrées par l’entreprise pour recevoir, après leur refus, d’importantes indemnités de départ. L’article 5 de l’annexe de l’accord prévoit cependant clairement que les négociations doivent prendre en compte les contraintes d’ordre privé que peuvent supporter les salariés : il reviendra aux salariés de l’entreprise, qui connaissent la réalité de ce que vivent leurs collègues, d’affiner les cas où des contraintes familiales excluraient certains d’entre eux du bénéfice de l’accord. Ce dernier est donc assez pragmatique pour permettre une approche cas par cas.
Les entreprises doivent retrouver des marges suffisantes et le crédit d’impôt doit leur apporter un ballon d’oxygène, pourvu qu’il soit utilisé à juste titre pour développer l’excellence des produits, la recherche et l’innovation, ainsi que la meilleure organisation du travail. Dans les pays nordiques ou en Allemagne, le service après-vente est bien plus efficace qu’en France. L’effondrement des exportations françaises que nous observons alors que le reste de l’Europe exporte tient à un déficit non seulement de la qualité des produits, mais aussi des services. Ainsi, les machines qu’utilise l’entreprise Chèque Déjeuner pour imprimer ses nombreux chèques, sont importées d’Allemagne et coûtent chacune 300 000 euros, soit bien plus que les machines asiatiques qu’elle pourrait également utiliser, car le service assuré par des techniciens et la disponibilité de pièces détachées de qualité rendent ces équipements beaucoup plus fiables et plus sûrs. À nous de travailler pour que nos entreprises soient elles aussi parmi les plus fiables, ce qui suppose qu’elles puissent améliorer leurs marges, aujourd’hui trop faibles.
M. Olivier Carré. Où trouve-t-on les annexes à l’accord que vous avez évoquées ?
M. Joseph Thouvenel, CFTC. Vous les trouverez par exemple sur le site Internet de la CFTC-Paris. J’observe à ce propos que la presse et même certains juristes éminents ont commenté l’accord sans avoir lu ces annexes. Cela me semble un peu léger.
M. Pascal Pavageau, FO. Même après lecture de ces annexes, Force ouvrière ne signera pas cet accord et nous vous enverrons un document très complet exposant les raisons de notre refus, liées notamment au risque de dégradation des conditions de travail et des droits des salariés qui ne voudraient pas suivre un accord dit majoritaire dans l’entreprise.
De façon plus générale, nous voulons être prudents dans l’attente du texte législatif qui suivra l’accord qui vient d’être négocié, car nous pensons que de nombreuses dispositions de cet accord ne seront pas reprises, parce qu’elles ne pourront juridiquement ou constitutionnellement pas l’être. Je vous donne rendez-vous, pour le savoir, en mars ou avril.
Le texte de l’accord conduit en outre à ce que le droit s’élabore, dans un esprit quelque peu anglo-saxon, au niveau de l’entreprise. Nous sommes en complète opposition de principe avec cette démarche, car nous restons attachés aux accords interprofessionnels ou de branche au niveau national, ainsi qu’à une égalité de droits et de traitement pour tous les salariés dans l’application du droit du travail – ce qui n’interdit du reste pas que puissent être déjà négociés, dans des cadres nationaux, des accords permettant des adaptations temporaires, comme dans les cas déjà cités de Bosch et de Continental, auxquels on pourrait ajouter celui de Sevelnord. C’est donc la logique même du texte que nous contestons.
Par ailleurs, à en croire ce que nous avons entendu, tout serait compétitivité – ce qui signifie qu’en réalité, rien n’est compétitivité. En revanche, la question de la croissance n’a pas été évoquée, car tous les mécanismes de contrats aidés – qu’il s’agisse des emplois d’avenir ou des contrats de génération – ou le texte qui traduira une partie de l’accord ne sauraient régler le problème du manque d’activité, qui se traduit par la mise au chômage et l’impossibilité de la création d’emplois. Nous attendons de la puissance publique – État, Parlement et collectivités locales – une politique d’intervention plus ambitieuse, permettant de renforcer les filières. En Isère, l’exemple de Photowatt est typique d’une absence de politique publique industrielle pérenne, avec des allers-et-retours fiscaux qui ont déstabilisé l’entreprise. Cet exemple montre aussi que s’il existait dans le domaine des panneaux photovoltaïques une coopération européenne du type de celle qui a donné naissance à EADS, et que les dérives ultralibérales de l’Europe rendent aujourd’hui impossible, une capacité de production européenne réelle pourrait être au service d’une politique publique que partagent les Vingt-Sept sur les plans environnemental et énergétique. Il faut donc aller vers plus de coopération et vers une véritable politique européenne et, face au dumping social, revoir la directive européenne relative au détachement de travailleurs. L’intervention publique n’est pas un gros mot, mais elle doit correspondre à une stratégie.
Le deuxième point indispensable pour renouer avec la croissance consiste à donner les moyens de la consommation. Nous continuons donc à plaider pour l’augmentation des salaires. Nous ne sommes pas favorables à la démarche consistant à rompre avec le caractère national et interprofessionnel du SMIC pour mettre en place des SMIC de branche ou territoriaux. Notre revendication est de porter le SMIC à 80 % du salaire médian – je pourrai vous envoyer des documents présentant tous les éléments que nous pouvons faire valoir en ce sens.
Le CICE relève de la même problématique que l’aide publique en général, y compris dans le cadre de la BPI. Il n’est pas normal que les parlementaires ou les ministres ne puissent pas expliquer pourquoi le Fonds stratégique d’investissement (FSI) est entré au capital de telle entreprise plutôt qu’à celui de telle autre. Aujourd’hui, l’intervention dans des entreprises au moyen d’argent public n’est pas liée à une stratégie ou une orientation nationale. Il serait pourtant naturel que, dès lors que de l’argent public entre au capital d’une entreprise ou l’aide par quelque biais que ce soit, on puisse rendre compte de sa cohérence avec un cadre de politique publique. Or, la banque Oséo se comporte comme une banque privée et peut même refuser de donner à un préfet la liste des entreprises qu’elle aide dans son département. Ce n’est pas normal. Le crédit d’impôt, les concours de la BPI et les aides publiques doivent être assorties de conditions de façon à pouvoir vérifier en amont que ces actions s’inscrivent dans un cadre national, au même titre qu’une aide ou subvention attribuée par une collectivité implique un vote indiquant le sens de cette mesure. Nous serons très attentifs à cet aspect lors de la mise en œuvre de la BPI ou du CICE.
Nous ne sommes cependant pas favorables à toute logique de cogestion ou de co-orientation du choix : il n’est pas du rôle des élus représentants des salariés d’indiquer la destination ou les conditions d’attribution de l’argent public. Ils ont en revanche un rôle de garde-fou à jouer pour veiller à ce que soient précisés les motifs et le cadre de l’investissement et pour s’assurer que ce dernier ne serve pas à payer le déménageur qui délocalisera les activités de l’entreprise vers l’Europe de l’Est.
M. Nasser Mansouri-Guilani, CGT. N’étant pas mandaté pour répondre à toutes les questions posées, je vous invite à nous adresser la liste de toutes celles auxquelles vous souhaitez recevoir une réponse.
D’une manière générale, la problématique de la baisse des coûts salariaux est une impasse, comme le montre l’expérience des trente dernières années, où tout a été fait pour réduire le coût du travail, au point qu’on en vient à dire qu’il faudrait réduire les salaires. N’y a-t-il pas d’autres facteurs que le coût du travail ? Les statistiques prouvent que le coût du capital est un vrai problème et l’un des enjeux de la question du financement est de savoir comment réduire ce coût.
Alors que les banques disposent de liquidités importantes, le financement des PME se heurte à des obstacles. Il faut donc chercher à réduire le coût du financement de l’activité, de l’emploi et de l’investissement productif au moyen du système bancaire. Des expériences sont menées dans certaines régions, avec des financements communs de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de banques françaises permettant d’accorder des crédits bonifiés. De fait, lorsqu’il y a des garanties, les banques préfèrent accorder des crédits pour l’investissement plutôt que de placer l’argent à taux zéro. On peut donc réduire le coût du financement avec une meilleure organisation et une meilleure mobilisation du système bancaire.
J’en viens à quelques remarques sur les points qui ont été abordés ce matin.
Pour ce qui est tout d’abord du rôle des organisations syndicales dans le cadre européen, le vrai problème est de savoir comment traduire dans les décisions politiques la mobilisation des acteurs syndicaux. De fait, alors que, pour la première fois, la quasi-totalité des organisations adhérentes à la Confédération européenne des syndicats, hostiles aux politiques d’austérité, se sont mobilisées contre un traité européen, cette mobilisation n’a pas eu de traduction concrète dans les politiques publiques.
Quant à savoir comment combiner les préoccupations à long terme et les contraintes à court terme, il faut savoir quels droits doivent être accordés aux salariés pour leur permettre d’agir sur les choix stratégiques de l’entreprise. De ce point de vue, le projet d’accord nous semble très en deçà de ce qu’il faudrait faire. De fait, les salariés pourront avoir deux représentants au conseil d’administration des entreprises de plus de 500 salariés, mais celles-ci ne sont qu’au nombre de 229. En outre, deux administrateurs ne suffisent pas pour peser sur les choix stratégiques de l’entreprise.
En troisième lieu, la CGT considère qu’il faut créer un pôle financier public, dont la BPI peut être un élément, mais l’enjeu est beaucoup plus large que les quelque 40 milliards d’euros que mobilise cette dernière. En outre, les critères d’intervention de celle-ci ne sont pas fondamentalement modifiés par rapport à ce qui existe déjà. Enfin, les salariés doivent avoir leur mot à dire dans les orientations de ce pôle financier public.
En quatrième lieu, les réflexions menées sur le SMIC dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) suggèrent qu’il ne faut pas affaiblir ce dispositif, mais plutôt l’améliorer.
Enfin, nous avons besoin d’une vision stratégique de long terme, qui doit être construite de façon plurielle – tel est l’objet de la conférence sociale organisée l’année dernière. En outre, la proposition formulée par le CESE d’organiser tous les cinq ans, à mi-parcours des échéances électorales, des conférences prospectives me semble pertinente. Ces conférences permettraient à l’ensemble des acteurs de s’entendre sur un nombre limité d’objectifs, comme le montant des investissements ou le nombre des emplois, puis de prendre leurs responsabilités.
M. Jean-Luc Haas, CFE-CGC. L’accord qui a été négocié va dans le bon sens – nous pourrons vous adresser l’argumentaire que nous avons établi à ce propos.
Monsieur Benoit, vous vous êtes interrogé sur les conséquences sur les prix de notre proposition de cotisation sociale sur la consommation. Le rapport que nous avons élaboré sur la compétitivité, qui propose plusieurs pistes, en particulier à propos de la compétitivité hors coûts, a amorcé une réflexion sur le financement de la protection sociale, mais sans la quantifier. Il est complété par un autre rapport, élaboré par le groupe de travail « compétitivité » de la Conférence nationale de l’industrie piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman, qui a quantifié la sensibilité et l’élasticité des différents paramètres et les effets des mesures envisagées telles que la TVA, la cotisation sociale généralisée (CSG) ou la fiscalité écologique – qui devrait, selon nous, être dédiée à l’investissement lié à la transition énergétique et à l’amélioration de l’efficacité énergétique. La quantification a été confortée par deux modèles économétriques : celui de l’École centrale de Paris et celui du Trésor (Mésange), qui concluaient tous les deux dans le même sens. Dans le monde très concurrentiel où nous vivons, l’impact de la mesure serait limité. Ainsi, le passage de 16 % à 19 % du taux de TVA en Allemagne n’a pas donné lieu à une dérive inflationniste dans ce pays. L’élasticité devrait être, selon nous, de 0,2 à 0,3 % d’inflation.
Pour ce qui concerne la protection sociale, la modulation de la durée du travail aux différentes périodes de la vie mériterait débat. En tout état de cause, une telle logique aurait automatiquement un effet sur les salaires : les personnels concernés y seraient-ils prêts ? La liaison entre les jeunes, qui sont la richesse de demain, et les seniors, qui possèdent un potentiel qu’ils ont valorisé tout au long de leur vie, n’est pas inintéressante – elle fonde d’ailleurs le contrat de génération.
Sur les normes environnementales, que la France se garde de partir seule flamberge au vent et de s’imposer des contraintes que d’autres n’assumeraient pas. Il faudra s’en souvenir dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Certes, les émissions de CO2 sont un vrai problème à l’échelle de la planète. Mais quelles décisions prendre au niveau international et européen, notamment sur les quotas et les allocations de quotas ?
Oui, nous avons un problème de compétitivité, y compris à l’intérieur de la zone euro. En dix ans, notre pays est passé d’un excédent commercial de 6 milliards d’euros à un déficit de 71 milliards. Tous les effets de compétitivité hors coût ont tous joué dans le sens de la dégradation sans compter l’Allemagne qui a fait cavalier seul en choisissant de réduire drastiquement ses coûts du travail depuis dix ans, tout en renforçant les autres facteurs de compétitivité. Il n’empêche que sa position est devenue intenable, à tel point qu’elle réfléchit aujourd’hui à l’instauration d’un salaire minimum. Si l’on veut rééquilibrer les échanges, il faudra bien que les pays qui en ont les moyens – comme l’Allemagne – y contribuent. Est-il légitime, par ailleurs, que subsistent des asymétries fiscales alors que certains pays tels que l’Irlande n’ont été sauvés que grâce à l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE), sans que nous ayons pu les contraindre à revoir leur fiscalité pour la rapprocher de celle de l’Allemagne ou de la France ? Non.
M. Véran a évoqué la nécessité de constituer des filières, notamment dans l’énergie. Nous sommes là au cœur du débat sur la compétitivité. M. Louis Gallois l’a d’ailleurs noté dans son rapport : s’il y a un facteur de compétitivité coût qui joue en notre faveur, c’est bien le prix de l’énergie. Prenons garde à ne pas le dégrader. Nous devrons veiller tout particulièrement, dans le débat sur la transition énergétique, à l’ajustement d’un certain nombre de décisions. S’il est légitime d’accroître la part des énergies renouvelables et d’aller vers un mix énergétique plus harmonieux, encore faut-il que les coûts en soient compatibles avec la réalité économique. L’État doit adopter une attitude plus vertueuse, notamment respecter ses engagements quant à la contribution au service public de l’électricité. Il n’est pas normal qu’il attende que sa dette atteigne 5 milliards pour dédommager l’acteur historique. Pareille somme pèse sur la trésorerie d’une entreprise, et peut même compromettre sa notation financière – et donc ses conditions d’endettement.
Positionnons-nous donc sur la nouvelle filière des énergies renouvelables, où il existe un potentiel de croissance et des compétences en France, par exemple sur l’électronique de puissance grâce à la recherche-développement. Dans le secteur de l’énergie photovoltaïque, on a aujourd’hui recours à des matériels chinois ! C’est bien pourquoi il faut préparer nos filières en amont, notamment au sein des pôles d’excellence, comme celui de Grenoble, qui cherche notamment à améliorer les rendements des cellules sur les couches minces. Faisons émerger une filière française ; préparons en amont les compétences qui sont nécessaires, afin de fixer l’emploi en France.
En ce qui concerne le dispositif du CICE, la CFE-CGC était plutôt favorable à la proposition du rapport Gallois, à savoir retenir un seuil à 3,5 SMIC, qui aurait mieux embrassé la population active de l’ensemble du tissu industriel. Mais finalement le seuil a été fixé à 2,5 SMIC. De toute façon, il faudrait appliquer le principe marginaliste, comme dans notre système fiscal : pour les rémunérations supérieures à 3,5 SMIC, l’employeur devrait pouvoir bénéficier du CICE sur la partie inférieure ou égale à 2,5 SMIC.
Venons-en à la conditionnalité, sur laquelle M. Carré et Mme Bonneton nous ont interrogés. C’est aux entreprises qu’il revient de redresser notre outil de production, en améliorant les facteurs de compétitivité hors coût, en investissant dans la formation brute de capital fixe (FBCF), la recherche-développement et l’innovation, qui sont les facteurs de croissance de demain, afin de favoriser une croissance à long terme.
M. le rapporteur a soulevé la question du SMIC. Comme l’a dit M. Mansouri-Guilani, la Commission nationale de la négociation collective en a débattu récemment et les experts ont été unanimes à prôner son maintien, en le faisant évoluer. Vous avez évoqué deux points précis à cet égard : le caractère interprofessionnel et l’étiage national. Gardons-nous de multiplier le nombre des SMIC : notre système est déjà assez complexe comme cela ! Cela n’interdit pas d’envisager une évolution calculée d’après l’inflation constatée pour les 20 % revenus les plus bas, comme le préconisent les conclusions des travaux de la CNNC. Pour notre part, nous y sommes favorables.
La problématique est un peu comparable à celle du logement, qui ne se pose pas partout dans les mêmes termes : il y a des zones tendues, où les coûts ont dérivé – c’est le cas de la région Ile-de-France, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ou encore de l’arc Atlantique. Il faut arriver à traiter le problème par une détente foncière et la mobilisation de toute la filière pour construire dans des conditions économiquement acceptables et dans le respect de la nouvelle norme « bâtiment basse consommation ». Le logement a un poids déterminant dans le reste à vivre et le pouvoir d’achat des ménages.
En ce qui concerne le SMIC, il faut prendre en compte les effets de ses évolutions sur l’ensemble de l’échelle des salaires. Voilà des années, que dans bon nombre de branches –maintenant, c’est même la moitié –, le salaire minimum conventionnel est inférieur au SMIC. Or pour faire avancer la machine, il faut donner de l’espoir, de l’envie – notamment aux jeunes. Il faut, pour cela, des euros sonnants et trébuchants. Dans les négociations sur les rémunérations, les employeurs discutent de plus en plus souvent de la rémunération globale – en « vendant » aux représentants du personnel l’intéressement, la participation, la protection sociale… – et non plus du seul salaire, pour mieux peser dessus. Nous n’y sommes bien sûr pas opposés, mais ce n’est pas avec cela que l’on achète sa baguette ou son steak ! Le taux salaire/valeur ajoutée est relativement stable, autour des deux tiers. Mais ce ratio inclut les « périphériques » que sont notamment l’intéressement et la participation, qui ont augmenté, ce qui dissimule en fait une baisse de la part des salaires. L’effet volume contraint donc aussi la répartition de la masse salariale.
Notre position est donc la suivante. Si l’on fait évoluer le bas de la grille, il faut faire évoluer toute la grille des salaires, pour donner envie. Mais les chefs d’entreprise ne le feront que lorsqu’ils auront retrouvé des marges. Nous en revenons donc à l’éternel problème de la perte de compétitivité et du rétablissement des marges des entreprises.
M. Carré a évoqué l’éternelle « rivalité » entre capital et travail. Je ne pense pas qu’il faille opposer les deux. Simplement, il faut ajuster le tir en fonction des évolutions, pour assurer un rééquilibrage. Le vrai mal qui nous ronge, c’est le chômage. Nous ne l’éradiquerons que par une formation adaptée, la restauration des marges des entreprises et la dynamisation de nos exportations, bref par une dynamique de croissance fondée sur l’offre, et pas nécessairement sur la demande.
Permettez-moi pour finir de revenir sur le financement de la protection sociale. L’avantage de la CSC sur la CSG, c’est qu’elle fait contribuer les importations au financement de notre protection sociale, avec une faible élasticité à l’inflation, comme l’a noté le rapport piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie.
M. Olivier Carré. Permettez-moi de revenir sur l’effet de seuil introduit par le CICE du fait du choix d’un seuil « sec » de 2,5 SMIC. Quel sera le point de vue des organisations syndicales lorsqu’il s’agira de discuter le plan d’ensemble – plan d’investissement, plan d’embauches – de l’entreprise ? Se posera bien sûr la question du sort réservé aux salaires qui se situent juste au-dessus de la limite. Cela concerne sans doute davantage l’encadrement que les ouvriers, mais c’est une question importante, car on risque d’avoir un plafond « définitif » à 2,5 SMIC dans les entreprises. Nous avions posé la question lors de la discussion de la loi de finances rectificative, et j’avais même déposé – sans succès – un amendement visant à supprimer cet inconvénient.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. La question de M. Carré m’en inspire une seconde. Dans la mesure où les plus bas salaires bénéficient déjà – hors CICE – de 20 milliards d’euros d’allègements de cotisations jusqu’à 1,6 SMIC, aurait-il été préférable de « décaler » le barème des salaires concernés par le CICE, afin de toucher plutôt – par exemple – les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC ?
M. Jean-Luc Haas, CFE-CGC. Même avec des fonctions de linéarisation, les effets de seuil génèrent des trappes. Comme je le disais à l’instant, certains perdront donc l’espoir. C’est pourquoi le principe marginaliste nous paraît beaucoup plus sain.
M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’industrie (UNSA). Je me contenterai pour ma part de revenir sur deux points.
Mme Bonneton a parlé de la révision des stratégies des entreprises à court terme. La vision à court terme n’affecte hélas pas seulement l’investissement, mais aussi les objectifs assignés aux salariés. Un collègue de chez Hewlett Packard (HP France) m’expliquait l’autre jour que ses objectifs étaient désormais donnés au trimestre. « À la fin du trimestre, me disait-il, on ne sait pas ce qu’on va faire ensuite ; on ne sait même pas si l’on aura du travail… » Et de poursuivre : « il y a quelques années, j’avais un bureau. Aujourd’hui, mon bureau tient dans mon sac à dos : c’est mon portable et mon ipad, point. » Autant dire que le coût du travail est réduit. Ces gens-là sont bien rémunérés, mais comme le disaient mes collègues, ils vivent dans un stress permanent, puisqu’à chaque fin de trimestre, ils doivent se remettre en question et se demander s’ils auront encore du travail demain. C’est le côté dramatique et pervers de la vision à court terme.
Permettez-moi maintenant de répondre à M. le rapporteur sur l’accord sur le dialogue social. Bien qu’elle n’ait pas participé à sa négociation, l’UNSA est plutôt favorable à cet accord. Nous avons d’ailleurs signé fin 2012, dans une entreprise où nous sommes bien implantés, Sofedit Le Theil, anciennement Thyssen Krupp, un accord qui va dans ce sens. D’aucuns estiment que bloquer les salaires pour éviter les licenciements est une reculade. Nous pensons quant à nous que mieux vaut maintenir l’emploi que de risquer de le perdre en s’obstinant à passer en force.
Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales (SUD). Je suis frappée de constater que notre discussion sur les coûts de production fait l’impasse sur le poids déterminant des multinationales dans le commerce mondial. Or elles sont à l’origine de beaucoup d’exportations des pays du Sud ou émergents, y compris de la Chine, soit directement soit dans le cadre de joint-ventures. Raisonner à partir d’une vision du commerce mondial héritée des années 1970, c’est donc rester « à côté de la plaque ». La situation actuelle appelle une politique d’encadrement et de contrôle des stratégies d’investissement des multinationales. Toute autre politique est vouée à l’échec.
De notre point de vue, l’accord qui vient d’être signé est plus que déséquilibré – c’est un euphémisme – et porte en germe une vraie régression sociale. Contrairement au chômage partiel, qui est une mesure conjoncturelle, cet accord est une attaque contre la notion même de contrat de travail. L’objectif du patronat – se dégager de toutes les obligations conventionnelles et légales relatives aux licenciements – a été atteint. Nous ne pensons pas que ce soit un progrès social.
Revenons sur ces fameuses annexes. Dans l’article consacré au maintien dans l’emploi, il est dit que l’engagement de l’employeur à maintenir dans l’emploi les salariés auxquels s’appliquent les ajustements vaut pour une durée au moins égale à celle de l’accord – soit deux ans. Mais un petit codicille vient préciser que si la situation économique change, cet engagement pourra être revu. Bref, c’est un jeu de dupes !
Prenons maintenant les contrats précaires. L’idée de quotas avancée par les organisations syndicales nous paraissait plus adaptée que la mesure qui a finalement été retenue et qui n’empêchera rien. Je pourrais multiplier les exemples ! La généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé constitue certes une amélioration, mais n’oublions pas qu’elle fait aussi le jeu des assurances privées et de la sécurité sociale.
Nous le redisons, le « noyau dur » de cet accord est bien une régression sociale.
Le partage de la valeur ajoutée – qui s’opère largement, contrairement à ce qui a été dit, en défaveur des salariés – est un vrai problème, qui n’est plus du tout abordé. Il faut remettre sur le tapis la question du partage des gains de productivité, pour poser à nouveau celle de la réduction du temps de travail – qui, quoi qu’en disent ses détracteurs, est un facteur de création d’emplois. Cette idée est aujourd’hui abandonnée par la gauche, alors qu’elle pourrait constituer une piste pour répondre aux difficultés de l’heure.
J’en viens au SMIC et à l’échelle des salaires. Dans les entreprises publiques, on a instauré un écart maximal de 1 à 20 dans l’échelle des salaires. Mais dans le secteur privé, l’échelle des salaires ne fait même plus l’objet de discussions ! Parlons-en donc !
Voilà trente ans que nous ne cessons d’introduire des mesures de flexibilité, depuis celles qui ont favorisé les temps partiels contraints. Il est faux de prétendre que le marché du travail serait plus rigide en France que dans les autres pays de la zone euro. Cela fait trente ans, disais-je, que l’on multiplie les exonérations de cotisations patronales. Au bout du compte, le chômage et le nombre des licenciements continuent à augmenter ! La crise n’est donc pas seule en cause. De grâce, cessez de nous prendre pour des imbéciles ! De plus en plus d’économistes – qui ne sont pas tous de dangereux gauchistes – commencent d’ailleurs à contester cette vision mensongère d’un marché du travail français trop rigide.
Je terminerai sur Pôle Emploi, institution que je connais bien. Cette « usine à gaz » a été dénoncée dès l’origine par les organisations syndicales. Tout d’abord, il y a conflit d’intérêts puisque le payeur est devenu le conseiller. Pour faciliter la vie des demandeurs d’emploi, on aurait pu concevoir un rapprochement géographique de l’ANPE et des ASSEDIC, mais en aucun cas un rapprochement institutionnel. La véritable avancée consisterait à notre sens à mettre en place un service public de l’emploi et de la formation.
Quel modèle social voulons-nous ? S’il s’agit d’aggraver la paupérisation de nos concitoyens et les inégalités, nous sommes sur la bonne voie ! C’est précisément ce qui est en train de se passer en Europe ; l’OFCE va d’ailleurs jusqu’à parler « d’hystérie budgétaire » à propos des politiques d’austérité qui sont conduites. Continuons, et nous irons droit dans le mur !
S’agissant du crédit impôt recherche, chacun sait qu’il existe des cabinets de conseil aux entreprises spécialisés dans le détournement de ce dispositif à des fins d’évasion fiscale. La moindre des choses serait donc d’instaurer un contrôle drastique de l’administration fiscale sur ce dispositif. Cela semble hélas irréalisable en ces temps de baisse des effectifs.
Quant au CICE, il va devenir une nouvelle niche fiscale inefficace et onéreuse. À l’issue de la montée en puissance du dispositif, le crédit d’impôt devrait atteindre 6 % de la masse salariale. Que feront donc les employeurs, si ce n’est augmenter leur marge salariale via une hausse des hauts salaires ? Du point de vue de la justice sociale, il y a mieux ! Ce que dit le MEDEF est une chose, ce que font les entreprises en est une autre. Si l’on n’a pas conscience des stratégies qui sont à l’œuvre dans les grands groupes, on reste complètement « à côté de la plaque ».
M. Morvan Burel, SUD. Ayant la chance de travailler à la direction générale des douanes et d’avoir quelques connaissances sur le sujet, je commencerai par dire quelques mots de la réciprocité des accords de libre-échange – qui est au cœur de notre débat. Ces accords, qui ont totalement ouvert la concurrence entre les salariés à l’échelle mondiale pour le plus grand bénéfice des firmes transnationales, n’ont jamais fait l’objet ni d’une évaluation, ni d’une consultation démocratique, alors même que la question de leur efficacité peut être posée.
Prenons l’exemple du secteur automobile dont il est beaucoup question dans ce débat sur les coûts et la compétitivité. L’accord signé en 2010 avec la Corée du sud s’est traduit par des conséquences mesurables quant à la pénétration du marché européen, mais il reste impossible aux automobiles européennes de pénétrer le marché coréen. Il n’a pourtant pas été évalué. Le pouvoir politique en a eu l’ambition, mais celle-ci est restée lettre morte. Et on parle même de signer des accords équivalents, notamment avec le Japon. Il est tout de même préoccupant que la politique de libre-échange, dont découle pour une bonne part notre exigence de compétitivité, ne soit jamais étudiée.
M. Furst s’interroge sur le déficit de compétitivité dont souffre la France à l’intérieur même de l’Union européenne. Cela rejoint un autre phénomène étonnant : dans l’Union européenne à 27, les disparités en matière sociale, fiscale, de réglementation du travail ou de contraintes environnementales sont considérables. Pourtant, pour harmoniser les normes vers le haut, personne ne fait preuve d’un vrai volontarisme – la France non plus. Par exemple, l’Estonie pratique un taux d’imposition sur les sociétés de 0 %. Dans ces conditions, à quoi rime de comparer le déficit commercial français avec celui de l’Estonie ? La volonté de faire de l’Union européenne autre chose qu’une machine à tirer les conditions sociales vers le bas fait gravement défaut. La France elle-même ne tente guère de peser sur ce débat pour que l’Union européenne porte enfin un projet politique de progrès social plus consistant.
Quant au CICE, il aura pour effet immédiat de provoquer des baisses de ressources pour l’État et pour les organismes de sécurité sociale. Ainsi, à l’heure où nos finances publiques traversent une crise grave, la part des entreprises dans le financement de la protection sociale et leur contribution au budget de l’État sont encore appelées à baisser. De deux choses l’une : ou bien les déficits continueront à se creuser, ce qui est contraire à l’objectif du Gouvernement, ou bien il faudra procéder à un nouveau transfert de charges sur les ménages, qui pèsera lourdement sur la consommation. Nous risquons ainsi de nous retrouver dans une économie anémiée. Or la politique du « tout export » à l’allemande, tant vantée de ce côté-ci du Rhin, n’est pas généralisable : tout le monde ne peut pas fabriquer des biens de luxe à destination de marchés qui finiront par trouver leurs limites. Du reste, on voit mal qui pourrait acheter les biens en surproduction si les consommateurs restent sous-payés ! Bref, nous sommes dans une impasse : il ne sert à rien de s’interroger sur les moyens de la compétitivité si l’on n’a pas posé au préalable la question du modèle social dans lequel nous voulons vivre. Comme l’a dit ma camarade, cela fait trente ans que l’on nous martèle qu’il faut flexibiliser et privatiser, et cela fait trente ans que le chômage augmente.
M. Pascal Pavageau, FO. Permettez-moi d’ajouter quelques mots concernant le CICE. Selon nous, il a manqué un minimum de dialogue et de concertation, puisque sa mise en place n’a donné lieu à aucune discussion entre le Gouvernement et les confédérations syndicales, alors même que le Premier ministre s’y était engagé.
D’autre part, il n’existera aucun lien a priori entre ce crédit d’impôt et le niveau des salaires dans l’entreprise. On n’imagine pas – ce serait du reste matériellement impossible – que les résultats de la négociation annuelle obligatoire (NAO) puissent être favorables aux salariés du seul fait que l’entreprise a bénéficié du crédit d’impôt. Telle n’est d’ailleurs pas la vocation de celui-ci. En revanche, nous nous interrogeons sur la façon dont l’État pourra effectivement contrôler que le dispositif servira bien à développer l’activité de l’entreprise, à investir et à améliorer l’outil de travail et les conditions de travail. Je rejoins ici M. Carré. Nous ne pouvons être d’accord avec le Gouvernement lorsqu’il nous dit que l’État n’assurera pas ce suivi et n’imposera pas de conditions au bénéfice du CICE, à charge pour les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise de s’assurer que le crédit d’impôt est utilisé à bon escient.
Ce n’est pas l’aide publique à l’investissement, à la recherche et à l’innovation qui nous pose problème, mais le financement des 20 milliards du crédit d’impôt, qui sera notamment assuré par 10 milliards d’économies supplémentaires sur les services publics et par l’augmentation de deux taux de TVA, voire par la mobilisation de la fiscalité dite environnementale.
M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste (CFDT). La Confédération européenne des syndicats a insisté à plusieurs reprises sur les risques que les politiques d’austérité faisaient peser sur la croissance et sur l’emploi. Elle a proposé un contrat social en faveur de la solidarité et de la coopération en Europe, qui porte notamment sur le soutien et la promotion du dialogue social européen. Les nouvelles ne sont guère bonnes de ce côté, puisqu’aucun accord sur la révision de la directive sur le temps de travail n’a été obtenu. Le dialogue social européen est donc un peu en berne. Il faut le dire, il n’est guère soutenu par les institutions européennes – nous en payons les conséquences. Cela n’empêche pas les organisations syndicales françaises de rencontrer régulièrement la Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB), la grande organisation syndicale allemande – qui s’alarme aujourd’hui de la situation du modèle allemand. Si les données économiques sont satisfaisantes, ce n’est pas le cas des données sociales : le taux de pauvreté progresse, le taux d’activité des femmes est problématique, le nombre des « mini jobs » – emplois à taux de salaire très bas – augmente de manière inquiétante, notamment dans les services.
Par ailleurs, il est temps d’engager la lutte contre le dumping fiscal en Europe. L’harmonisation sociale et environnementale – dont vous avez beaucoup parlé – est sans aucun doute nécessaire. Nous voulons cependant souligner que l’optimisation fiscale bat aujourd’hui son plein en Europe. On parle souvent des paradis fiscaux extracommunautaires, mais il existe aussi des formes de paradis réglementaires et fiscaux intracommunautaires. Je m’étonne ainsi – à titre personnel – que des entreprises à capitaux publics comme EADS ou Renault-Nissan soient des sociétés de droit néerlandais – et non de droit français – soumises à la procédure fiscale applicable aux holdings néerlandaises.
J’en viens aux règles de réciprocité. Pour la CFDT, ces règles doivent se fonder sur la nécessité de soutenir un développement équilibré entre les différentes parties du monde. Il ne s’agit pas de priver les zones émergentes de développement, mais de faire en sorte que les normes internationales soient prises en compte dans les accords internationaux de libre-échange. Je pense notamment au respect des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT), au développement des socles de protection sociale et au respect du Protocole de Kyoto et de ses successeurs.
Ainsi que cela a été souligné, le taux de change de l’euro est aujourd’hui très élevé : au cours des dix dernières années, nous sommes passés de 1 à 1,6 dollar pour un euro. C’est d’autant plus problématique que les traités européens confient aux chefs d’État et de gouvernement la responsabilité de la politique de parité de l’euro. Or nombre d’économistes s’attendent à une guerre monétaire en 2013, les États-Unis cherchant à déprécier le dollar avec une création excessive de monnaie. Le Japon vient de s’engager à défendre une parité stable, voire à la baisse. Le yuan chinois, arrimé au dollar, ne pourra lui aussi que perdre de sa valeur par rapport à l’euro. Les chefs d’État et de gouvernement de l’Euroland doivent demander à la BCE d’intervenir sur les marchés pour stabiliser l’euro. Il a pris 3 % depuis le début de l’année. En supposant que le CICE entraîne une baisse d’environ 2% de nos coûts de production, elle serait annulée à l’international par la surévaluation de l’euro.
Par ailleurs, la CFDT est ouverte à la réflexion sur un nouveau financement de la protection sociale. Selon nous, il faut privilégier la piste de l’utilisation de la CSG, qui présente l’avantage d’être entièrement fléchée vers le financement de la protection sociale – on évite ainsi tout risque de dérive – et d’être bien connue des entreprises et de la plupart de nos concitoyens. Dans l’hypothèse d’un basculement des dernières cotisations sociales qui financent des services dits universels tels que l’assurance maladie ou la politique familiale, il nous semble préférable d’aller vers la CSG plutôt que vers un outil fondé sur la contribution « climat-énergie » – dont l’objet est de servir à la transition énergétique, et non d’alléger le coût du travail ou les coûts de production. De même, nous sommes plutôt défavorables à un basculement sur la TVA, qui entraînerait une hausse des prix et aurait un effet régressif – c’est-à-dire pèserait davantage sur les faibles revenus que sur les hauts revenus.
Je terminerai par le SMIC. La CFDT insiste régulièrement pour que les allègements de cotisations sociales soient soumis à une forme de conditionnalité. Sous le précédent gouvernement, il avait été envisagé de soumettre le bénéfice des allègements de cotisations sociales à la condition que les minima de branche soient supérieurs au SMIC. Dans le cas inverse et en l’absence de correction via une négociation de branche, l’avantage aurait pu être remis en question l’année suivante. Cette mesure n’a pas été mise en œuvre, et nous le regrettons : elle aurait pu être un outil de promotion du dialogue social et de la négociation salariale au niveau des branches et de l’entreprise, qui serve à sortir de la discussion sans fin sur le tassement des bas de grille salariale lié à l’augmentation du SMIC. Le SMIC ne doit pas être l’alpha et l’oméga dans le débat sur le pouvoir d’achat en France – Il n’est perçu que par 10 % seulement des salariés. Il reste que les autres salaires peuvent être impactés par ses réévaluations. Il faut donc mettre en œuvre une stratégie plus large du pouvoir d’achat, qui passe par une dynamisation de la NAO sur les salaires – à laquelle la conditionnalité des allègements de cotisations peut contribuer – et par d’autres mesures que nous avons défendues dans le cadre des discussions des dernières semaines.
Mme Isabelle Martin, CFDT. Je comprends votre impatience, mais vous pouvez être rassurés : nous prendrons le temps de vous adresser le texte complet de l’accord, annexes comprises, et de dialoguer avec vous sur cette question autant que cela vous paraîtra nécessaire.
Permettez-moi d’évoquer l’état d’esprit qui fut le nôtre dans cette négociation. L’enjeu était important : il y allait de l’approfondissement de la démocratie sociale et du dialogue social dans notre pays. Issue de la grande Conférence sociale, la négociation a fait l’objet d’un document d’orientation du Gouvernement, discuté et approuvé par l’ensemble des partenaires sociaux. Il me paraît important de le rappeler, même si nous n’arrivons pas tous aux mêmes conclusions sur le contenu de l’accord.
Le contexte économique et social est extrêmement difficile – montée du chômage, croissance en panne, perspectives moroses. Durant la grande crise de 2008-2009, nous nous sommes efforcés de défendre une exigence : former plutôt que licencier. Or nous avons eu dix fois moins recours au chômage partiel que les Allemands. Notre pays souffre ainsi d’un double handicap : non seulement la variable d’ajustement est le travail, mais on va d’emblée au licenciement. Changer cet état de choses était pour nous un enjeu majeur.
Il nous semble inadapté de parler de rigidité du marché du travail. Nous avons au contraire à faire face à une hyper-flexibilité sauvage – que nous avons cherché à encadrer, comme l’a expliqué Joseph Thouvenel. Nous ne pouvons en effet laisser les représentants syndicaux seuls face au chantage à l’emploi dans les entreprises.
À notre sens, il n’y a pas de problème sur la durée du travail. Nous sommes en revanche très préoccupés par la question de l’accès des jeunes à un emploi stable et par le taux d’activité de ceux que l’on appelle les seniors – qui ne cessent de fait de rajeunir ! Ces deux phénomènes font que la durée d’activité est désormais très limitée.
Nous sommes confrontés à un autre défi, auquel le rapporteur a fait allusion : il est effectivement parfois reproché aux organisations syndicales de ne représenter que les « insiders ». Je puis pourtant vous assurer que comme les autres organisations syndicales, nous sommes très préoccupés par la précarité des chômeurs et la situation particulière des jeunes et des femmes. Nous nous sommes battus, article après article, jusqu’aux derniers instants de la négociation – c’est pourquoi il importe vraiment de prendre en compte l’intégralité de l’accord, et dans sa version finale.
Un premier aspect important de la négociation concernait le dialogue social. On ne peut traiter de la même manière les entreprises qui jouent le jeu du dialogue social et essayent de former leurs salariés, et celles qui font le lit du chômage et de la précarité. Il fallait d’autre part porter un regard particulier sur les salariés des PME, voire des TPE. Enfin, il importait de progresser sur la question de l’accord majoritaire et de la place de la négociation dans l’entreprise et à tous les niveaux.
Nous avions donc trois objectifs. Il s’agissait d’abord de faire reculer la précarité ; nous reviendrons sur la taxation des contrats courts, l’encadrement des temps partiels, les droits rechargeables à l’assurance chômage et la généralisation de l’assurance complémentaire santé.
L’accord comporte un autre volet essentiel, que j’ai déjà évoqué : l’anticipation des mutations économiques. Les salariés et leurs représentants n’ont souvent pas le temps de comprendre la situation et de discuter des alternatives possibles aux projets de la direction, voire de négocier en termes d’emploi. C’est pourquoi nous avons introduit une consultation sur les options stratégiques de l’entreprise, ainsi qu’une vraie amélioration de ce qu’on appelait jusqu’à présent la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC).
Le dernier volet porte sur l’amélioration de la protection des salariés qui risquent d’être licenciés. Nous avons ainsi prévu une simplification et une unification du dispositif du chômage partiel, avec des incitations à la formation, et bien sûr l’encadrement des accords de maintien dans l’emploi, afin d’éviter tout chantage à l’emploi. Ces accords ont vocation à répondre de manière temporaire à de graves difficultés conjoncturelles. Ils doivent prévoir des sanctions en cas de non-respect de l’accord, ainsi que des garanties sur le partage du bénéfice économique lorsqu’il arrive à échéance. Enfin, il faut s’assurer que les dirigeants et les mandataires sociaux consentent un effort symétrique à celui des salariés. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter.
Tout cela doit s’inscrire dans une stratégie cohérente qui contribue à préparer l’avenir et à ouvrir des perspectives. En cette période de mutations, il est important d’avoir une vision de long terme et de tirer parti de nos atouts et de l’ensemble des compétences de nos filières.
Comment favoriser l’investissement et sortir d’une logique de sous-investissement ? Par exemple, pour un industriel comme M. Jean-Louis Beffa, la question de cette reconquête se pose aussi en termes de gouvernance et de stabilité. À cet égard, l’entrée des représentants des salariés dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise, même symbolique, est importante : elle doit permettre de lutter contre les logiques de court terme et de financiarisation. Il faut également consolider le travail accompli dans les filières, que ce soit dans le cadre des comités stratégiques de filière ou dans celui des plans filière. Ces résultats concrets doivent favoriser la cohérence des politiques publiques et des investissements d’avenir, et tous les mécanismes qui contribuent à la solidarité entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Ce n’est pas parce que l’on se trouve confronté à des problèmes conjoncturels qu’il ne faut pas amortir les chocs pour les sous-traitants : ils n’ont pas vocation à être la variable d’ajustement qui assure l’hyper-flexibilité des grands donneurs d’ordres. Même à court terme, ces derniers doivent œuvrer dans un esprit de responsabilité sociale et prendre en compte le tissu territorial et de la sous-traitance dans lequel ils sont inscrits.
Ces logiques de filière doivent autant que possible – et à tous les niveaux, en particulier dans les branches – s’articuler avec des négociations sur les emplois et les compétences. Il s’agit de s’inscrire dans une cohérence d’ensemble en œuvrant collectivement à un nouveau mode de développement plus équilibré.
M. Jean-Marie Poirot, UNSA. Au plan européen, Madame Chapdelaine, nous sommes confrontés à des difficultés du même ordre que celles rencontrées par les élus européens même si nous n’avons pas de Parlement. Nous peinons aussi à identifier des interlocuteurs patronaux qui soient en phase avec l’ensemble du patronat européen. M. Mermet a évoqué le rôle de la Confédération européenne des syndicats. Du côté allemand, je citerai non seulement la DGB, mais aussi le syndicat Verdi, qui représente les salariés des services. Tout ne fonctionne pas de la même façon dans nos pays respectifs, mais nous essayons de faire en sorte que les revendications dans un pays aboutissent. Dans la mesure où une grande partie des échanges se font à l’intérieur de l’Europe, une amélioration dans un pays se traduit par de la consommation dans un autre. En ce qui concerne la Confédération européenne des syndicats, je vous renvoie au contrat social qu’elle a proposé il y a quelques mois et à l’action menée en faveur d’un salaire minimum en Allemagne.
Vous nous avez interrogés sur la surreprésentation des insiders, monsieur le rapporteur. L’UNSA, souvent qualifiée de « petite organisation qui monte », partage plutôt votre opinion. Le fait est qu’un certain nombre de salariés se tournent aujourd’hui vers nous. Nous avions dit en 2011, au CESE, que la France n’aimait pas son avenir, car elle ne s’intéressait pas suffisamment à ses femmes et à ses enfants. C’est pourquoi nous avions proposé d’aller vers des actions positives, chiffrées et évaluées, pour ces deux populations.
J’en viens au CICE. Selon le document qui a été diffusé par le Premier ministre, ce crédit d’impôt n’est pas donné sans contrepartie aux entreprises. Son utilisation sera évaluée au niveau microéconomique de chaque entreprise et au plan macroéconomique d’ensemble. Au sein de l’entreprise, ne faudrait-il pas mettre à la disposition des représentants des salariés des outils d’analyse sur la performance économique de l’entreprise et sur l’efficience des choix opérés quant à sa gouvernance, son modèle économique et sa stratégie ? Nous convenons volontiers que même dans les accords que nous signons, il peut y avoir des insuffisances concernant la participation des salariés à la stratégie de moyen et long terme de l’entreprise. Il faut donc renforcer le dialogue social, et même la démocratie sociale. Le Parlement a ici à jouer un rôle d’incitation.
En septembre 2011, notre conseil national s’est prononcé défavorablement sur le système du crédit d’impôt, de la niche fiscale et sociale et de la dépense fiscale. Il est en effet plus difficile de piloter une non-recette que de suivre une dépense. Si l’État se veut stratège, son action doit donc passer davantage par la dépense que par la non-recette.
Quant au contrôle, il n’a rien de péjoratif : le skieur qui contrôle sa trajectoire ou le footballeur son ballon n’est pas un dangereux fonctionnaire borné, mais quelqu’un qui se donne les moyens d’atteindre son objectif. Le terme de pilotage me paraît donc plus adapté que celui de contrôle.
Le CICE est marqué par un certain nombre d’insuffisances : il n’est pas suffisamment centré sur l’industrie ; il renforce trop les allègements sur le coût du travail non ou peu qualifié. Le respect de la conditionnalité suppose de fournir des informations importantes aux représentants des salariés dans l’entreprise, et de garantir un certain droit de regard aux services de l’État. La situation de la direction générale des finances publiques et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ne permet hélas pas d’envisager de leur confier de nouvelles missions sans leur donner des moyens supplémentaires.
Je terminerai sur la modulation du travail en fonction de l’âge suggérée par M. Benoit. Si l’idée peut paraître séduisante de prime abord, je crains qu’elle n’aboutisse à multiplier les rigidités et à créer des effets de seuil. Nous lui préférons donc celle d’un renforcement de la médecine du travail, qui permettrait de moduler la charge du travail à la fois en termes de durée et en termes d’intensité.
M. Nasser Mansouri-Guilani, CGT. Nous sommes très critiques sur le CICE, qui s’inscrit toujours dans un objectif de réduction du coût du travail. C’est en ce sens que la CGT l’a qualifié de nouveau cadeau fait aux employeurs. Permettez-moi d’attirer votre attention sur le coût que représente ce dispositif pour la collectivité. Selon le Premier ministre, la mesure permettra de créer 300 000 emplois d’ici à 2017 – ce qui nous paraît bien optimiste. Si l’on rapporte le coût de la mesure – 20 milliards d’euros par an – au nombre de créations d’emplois attendues chaque année, soit environ 70 000, on peut se demander si cette dépense est vraiment raisonnable et indispensable à l’avenir de notre société.
Par ailleurs, nous souscrivons à l’idée qu’il faut conditionner toute forme d’aide aux entreprises. Mais les critères d’attribution doivent être définis avec les salariés, et le contrôle mis en œuvre avec eux. Le dispositif devra donc donner lieu à une évaluation microéconomique et macroéconomique.
Il a été fait référence à plusieurs reprises au rapport Gallois. On peut regretter que le Gouvernement ait choisi de confier un nouveau rapport à un patron, M. Gallois, qui ne pouvait que privilégier une vision patronale en dépit des idées qui sont les siennes, plutôt que de s’inspirer de l’avis du CESE sur la compétitivité, fruit d’un travail collectif et d’une vraie confrontation des points de vue.
M. Jean-Luc Haas, CFE-CGC. Je vous ai déjà dit tout le mal que nous pensions des effets de seuil. S’agissant des aides sociales et fiscales, il est primordial de définir ex ante des trajectoires avec des objectifs, de sorte que l’on puisse contrôler ex post. J’attire votre attention sur le fait qu’un groupe de travail, piloté par M. Jurgensen, s’est penché sur les aides dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie. À ce jour, il n’a pas produit de contribution. J’espère que nous pourrons tirer le moment venu tous les enseignements des travaux de ce groupe de travail.
Je rejoins par ailleurs certains de mes collègues sur l’étirement inconsidéré de l’échelle des salaires, notamment dans le dernier centile. Quelles que soient les compétences des individus, il est tout à fait anormal que l’échelle des salaires puisse aller de 1 à 100, voire à 200, 300 ou 400... Une échelle de salaires allant de 1 à 40, c’est déjà beaucoup. Nous ne mettons pas en cause le principe même de l’échelle de salaires, mais celles en vigueur actuellement – au prétexte que ce serait la loi du marché – ne sont pas acceptables. Pour qu’un marché existe, il faut qu’il ait de la profondeur. Ce n’est pas le cas : il s’agit plutôt d’une minorité qui se coopte, avec une sorte d’endogamie. Ce n’est pas sain. Veillons donc à ce qu’une minorité ne « siphonne » pas les ressources au détriment de la consommation des ménages et donc de la croissance.
Nous ne défendons aucune vision dogmatique du financement de la protection sociale. Je vous ai exposé notre position sur la cotisation sociale sur la consommation, qui présente l’avantage de faire contribuer les importations au financement de la protection sociale. La CSG a aussi son intérêt, et nous serons contraints d’y faire appel, notamment pour répondre au problème du financement de la dépendance. En attendant les débats du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi), nous devons privilégier une vision intégratrice et nous demander quelles cotisations peuvent être basculées sur la TVA, quitte à modifier de nouveau son taux minimum. Il faut utiliser tous les outils à notre disposition.
Nous sommes en revanche dubitatifs sur l’idée de mobiliser la fiscalité écologique, qui doit rester dédiée au traitement des problèmes d’environnement et de sobriété énergétique.
M. Thierry Benoit, président. Je remercie l’ensemble des organisations syndicales de leur participation. Je tiens à saluer la qualité et la densité de leurs interventions ainsi que les parlementaires qui ont participé à cette audition ou l’ont suivie via les réseaux de communication interne.
Je conclurai sur deux sujets qui me sont chers. Il s’agit d’abord, vous l’avez compris, de la modulation du temps de travail en fonction de l’âge, thème qui s’impose compte tenu de l’augmentation de la durée de cotisation des salariés et de la pénibilité de certaines professions de l’industrie, du bâtiment ou des travaux publics. Je partage bien sûr la préoccupation de la CFDT d’assurer l’accès des jeunes à un emploi durable, mais je pense que dans le contexte actuel, nous devons aussi envisager des dispositifs permettant d’assouplir la durée du travail au-delà de cinquante-cinq ou cinquante-sept ans, par exemple. Je porte donc un grand intérêt au contrat de génération, qui pourrait en constituer une préfiguration.
Un autre sujet me tient à cœur, celui de la TVA sociale. Non seulement il faut mobiliser tous les outils à notre disposition, mais cette mesure nous offrirait l’opportunité de taxer les importations.
Audition, ouverte à la presse, de MM. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » des Échos, éditorialiste économique à France Inter et Guillaume Duval, rédacteur en chef d’ « Alternatives économiques »
(Séance du jeudi 24 janvier 2013)
M. Laurent Furst, président. Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Bernard Accoyer retenu par des obligations dans sa circonscription.
Nous accueillons ce matin – grâce à une heureuse initiative de notre rapporteur Daniel Goldberg – deux journalistes économiques, M. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » du quotidien Les Échos, éditorialiste économique à France Inter, et M. Guillaume Duval, rédacteur en chef du magazine Alternatives économiques.
M. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » des Échos, éditorialiste économique à France Inter. Je ne veux pas assommer La mission avec des chiffres. Je voudrais plutôt vous présenter quelques idées que je tire de mon expérience : Les Échos publient chaque jour une centaine d’articles, dont 60 % portent sur des entreprises, et nous essayons en permanence de croiser micro et macroéconomie.
Nous sommes frappés de la vitesse à laquelle le monde change, de la rapidité avec laquelle l’Occident perd le monopole de la puissance économique. Les mouvements qui affectent les entreprises sont bien plus vifs que le débat politique, ou même la macroéconomie, ne le laissent penser. Mais la capacité de rebond des grands pays occidentaux est tout aussi impressionnante, notamment aux États-Unis, où les industries se réimplantent - The Economist en a longuement parlé cette semaine – ou en Allemagne.
En France, nous nous sommes collectivement trop focalisés sur la politique macroéconomique, sans regarder suffisamment ce qui se passait vraiment dans les entreprises. Dans les années 70 et 80, l’ajustement de l’économie française s’est fait par la dévaluation monétaire ; ensuite, il s’est fait par la dette et la dévaluation fiscale. Aujourd’hui, nous sommes au bout de ce chemin : le mouvement fiscal est en train de s’inverser ; devrons-nous en arriver à une politique de dévaluation salariale – ce qu’évidemment personne ne souhaite – ou bien arriverons-nous à sortir de nos problèmes par le haut, par la qualité ?
La question des coûts de production est presque une obsession pour les entreprises françaises – pour la plupart en tout cas. Certaines, dont les produits sont compétitifs, ne s’en préoccupent guère : parmi les entreprises que je connais, je pense notamment à un sous-traitant important du secteur automobile, qui compte parmi ses clients tous les grands constructeurs mondiaux, à l’exception de Honda, et dont les coûts salariaux ne représentent que 12 % des coûts, ou à une entreprise dont le chiffre d’affaires s’élève à une centaine de millions d’euros, et qui – grâce à ses ingénieurs ultra-qualifiés – vend à ses clients des économies d’énergie. Mais, pour la grande majorité des entreprises, les coûts salariaux posent bien problème – problème qui a longtemps été nié, à droite comme à gauche, ce qui a contribué à le rendre plus pressant.
Nous avons donc besoin d’un choc de compétitivité, et surtout d’un choc psychologique sur les coûts de production. Lorsqu’un patron paye un salaire de 100, le salaire direct en France se situe entre 40 et 50 : aucun autre pays ne connaît de tels écarts. C’est très loin d’être anodin. Il est ainsi devenu très difficile de fabriquer certains produits, quand le coût de la main-d’œuvre est très important dans le coût total – batteries de voiture ou poulets. Vous avez donc raison de vous interroger sur les coûts de production. Le Gouvernement a opéré un virage à 180 degrés sur cette question et il a eu raison.
L’état d’esprit a heureusement commencé à changer. Dès juin 2011, un rapport qui reconnaissait la perte de compétitivité de l’économie française et le niveau élevé des coûts de production avait été cosigné par la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et le patronat. Le rapport de Louis Gallois – chef d’entreprise internationalement reconnu et classé à gauche – a contribué également à ce changement des mentalités, de même que l’accord national interprofessionnel signé le 11 janvier dernier et l’accord en cours de négociation chez Renault.
On considère généralement que le coût du travail est à peu près le même en France et en Allemagne, mais que nous n’avons pas les produits de nos coûts. Toutefois, comme l’a montré Henri Lagarde, les comparaisons internationales ne tiennent pas compte de certains coûts – une dizaine de taxes, dont la taxe éco-emballages, par exemple. Quant à la durée du travail, elle serait également similaire, et l’on entend souvent que la France n’a pas grand-chose à envier aux autres pays sur ce plan-là : c’est faux ! En effet, si l’on considère les seuls salariés à temps plein, la France a bien la durée du travail la plus basse en Europe, avec 1 679 heures seulement, soit 225 heures de moins que les Allemands, comme l’a montré une étude de COE-Rexecode. Les macro-économistes rétorquent qu’il y a en Allemagne beaucoup plus de salariés à temps partiel, et que ce n’est là au total que le reflet d’un choix collectif de répartition de l’effort. Cela ne me semble pas pertinent : les emplois à temps partiel sont concentrés dans certains secteurs, notamment le commerce et les services à la personne ; les grands secteurs industriels – qui sont ceux qui nous importent quand on s’intéresse à la compétitivité externe – privilégient largement les emplois à temps complet. Or les salariés à temps complet, et notamment les cadres, travaillent bien moins que d’autres dans un certain nombre de pays.
Ensuite, on vante souvent une productivité française qui serait la plus élevée du monde ; mais cette statistique n’est là encore pas pertinente, puisqu’en France les plus jeunes et les plus âgés, qui ne sont pas les plus productifs, sont éliminés du marché du travail ; la base de comparaison est donc faussée. La productivité française est bonne, certes, mais elle n’est pas exceptionnelle.
Il faut également évoquer les coûts financiers indirects tenant, en particulier, aux délais et aux normes. Le Président François Hollande, devant l’Association des Maires de France, donnait lui-même récemment l’exemple suivant : en France, il faut en moyenne 184 jours pour construire un entrepôt, contre 97 en Allemagne et 27 aux États-Unis. Autre exemple, en 2009, une commune proche de Roissy a lancé une procédure d’aménagement de 70 000 mètres carrés de bureaux : à cause des nécessaires vérifications archéologiques, environnementales, juridiques, le premier coup de pioche est attendu en 2015 ! On pourrait encore citer les tours Hermitage à La Défense. Il faut en France plus de temps qu’ailleurs pour mener des projets économiques.
Ces contraintes pèsent lourdement sur la vie économique. Le droit, en France, c’est 26 millions de mots – 58 codes, 2 000 lois, 26 000 décrets, 400 000 normes. Ces chiffres, Les Échos les ont trouvés dans un projet de relevés de conclusions du récent conseil interministériel pour la modernisation de l’action publique ; ils avaient disparu de la version finale…
Une grande banque voulait récemment filialiser ses services informatiques : ceux-ci demeuraient dans le même bâtiment, les salariés conservaient le même contrat de travail ; il s’agissait seulement de créer une nouvelle structure juridique. Mais, pour mener à bien le projet, il aurait presque fallu un plan de sauvegarde de l’emploi, qui aurait permis aux salariés voulant partir d’être licenciés, ce qui à cinquante-huit ou cinquante-neuf ans peut être intéressant. Ce sont là des coûts indirects colossaux.
C’est peut-être pour toutes ces raisons que les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants sont si difficiles dans notre pays, contrairement à ce qui se passe en Suisse, en Allemagne ou en Belgique : les prix finissent par constituer la variable d’ajustement quasi unique. On peut le reprocher aux donneurs d’ordre, mais il faut tout de même s’interroger sur cette spécificité française.
L’échec de notre système éducatif à répondre aux besoins de l’économie constitue un vrai problème. On voit au contraire l’importance portée à l’apprentissage en Allemagne et dans les pays nordiques.
Cela dit, il ne faut pas se montrer trop pessimiste : beaucoup d’entreprises s’en tirent bien, et l’économie française peut rebondir. Mais nous avons un problème fiscal et social, et nous ne prêtons pas assez d’attention à la micro-économie – la presse économique est moins lue qu’ailleurs, ce qui dit quelque chose de la façon dont l’économie est perçue.
Pour conclure, j’insisterai sur un point : une vraie différence de mentalités sépare la France de l’Allemagne. Cette dernière rencontre, certes, des difficultés, symbolisées notamment par les minijobs, et elle devrait vraiment montrer l’exemple en adoptant un salaire minimal obligatoire ; mais son succès économique depuis dix ans est remarquable. Or, en Allemagne, le centre de gravité du débat politique, économique, médiatique, c’est l’ouvrier de l’industrie automobile ; en France, ce serait plutôt un salarié du secteur public, probablement un cadre territorial. Je n’émets là absolument aucun jugement de valeur ; mais c’est une profonde différence.
Notre modèle présente des atouts – son haut niveau de services publics notamment –, mais il faut le réformer profondément.
M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques. Mon point de vue ne sera pas si différent de celui de Dominique Seux que l’on pourrait se l’imaginer. À Alternatives économiques, nous essayons, nous aussi, de mêler micro et macroéconomie. Pour ma part, je suis ingénieur de formation, et j’ai travaillé quinze années dans l’industrie, notamment en Allemagne, avant d’en venir au journalisme.
Nous ne faisons pas partie de ceux qui sous-estiment ou relativisent le problème : celui-ci est vraiment très grave. La désindustrialisation a été accélérée par la crise et nous approchons, pour certaines branches et pour certains territoires, du point de non-retour, quand il n’est pas déjà atteint. Pour les produits manufacturés, notre déficit extérieur s’élève à 40 milliards d’euros, et pour l’énergie à 60 milliards. Certes, notre tourisme est excédentaire, mais de 7 à 8 milliards seulement : il va falloir accueillir vraiment beaucoup plus de touristes si l’on veut arriver à l’équilibre !
Les problèmes de coûts de production jouent manifestement un rôle majeur.
Je voudrais insister sur la question du taux de change de l’euro, qui est absolument centrale : l’euro valait 0,9 dollar en 2000, et 1,6 en 2008. Cette hausse représente un choc de compétitivité gigantesque ! Elle est pourtant rarement évoquée dans le débat public, peut-être parce que l’on considère que l’on n’y peut pas grand-chose.
Pourtant, cela veut dire qu’une heure de travail aux États-Unis, qui valait en 2000 14 % de plus qu’une heure de travail en France, en valait 14 % de moins en 2010. Il en va de même avec le Japon : une heure de travail japonais dans l’industrie manufacturière valait 18 % de plus qu’une heure de travail française en 2000, mais 21 % de moins en 2010. C’est phénoménal. Et c’est tout aussi vrai vis-à-vis des pays émergents : une heure de travail en Corée valait 46 % d’une heure de travail en France en 2000, et 41 % en 2010 ; une heure de travail à Taïwan valait 34 % d’une heure de travail en France en 2000, et 21 % en 2010. Les salaires dans les pays émergents ont pourtant augmenté, mais l’effet de cette hausse a été plus que compensé pour l’industrie européenne par la hausse de l’euro. Une des seules bonnes nouvelles de la crise, c’est donc la – légère – chute du cours de l’euro, qui est aujourd’hui à 1,30 dollar. Mais on peut craindre que ce cours ne remonte.
On pourrait pourtant agir. Les traités prévoient la possibilité d’une politique de change ; pour les Allemands, je le sais bien, ce n’est pas un sujet, et cela ne doit pas le devenir. Mais je suis surpris de la timidité des pouvoirs publics français sur ce point, dont Louis Gallois a pourtant souligné l’importance.
Certes, une baisse du cours de l’euro ne serait pas indolore : les consommateurs y perdraient du pouvoir d’achat – ils trouvent leur compte au cours élevé de l’euro, et c’est peut-être d’ailleurs pour cela que l’on ne s’en plaint pas trop – et notre facture énergétique augmenterait. Malgré les problèmes qu’elle pose, notamment pour nos finances publiques, il est donc plus urgent que jamais d’accélérer la transition énergétique : nous ne pouvons espérer une réindustrialisation que si le cours de l’euro baisse, et cette baisse ne se fera sans trop de perte de pouvoir d’achat et sans trop de difficultés de tous ordres que si nous importons moins de pétrole et moins de gaz.
On nous répond d’habitude que l’Allemagne a elle aussi adopté l’euro, et qu’elle fait pourtant exception. C’est vrai : le cours trop élevé de notre monnaie a profondément déstabilisé toute l’industrie européenne, sauf l’industrie allemande. Pourquoi ?
La réelle modération salariale des années 2000 n’est pas, je crois, le facteur déterminant. C’est certes une question controversée, mais les chiffres donnés par le Bureau of Labor Statistics américain continuent de montrer une différence de 10 % du coût du travail dans l’industrie – une heure de travail coûte 40 dollars en France, contre 44 dollars en Allemagne. Dans l’automobile, le coût annuel d’un employé était en 2008 de 62 700 euros en Allemagne, et de 52 100 euros en France. Une forte différence demeure donc, et ce n’est pas parce que le coût du travail serait devenu inférieur en Allemagne que celle-ci s’en sort si bien.
Il faut ajouter que cette modération salariale est due non pas principalement aux politiques menées par le gouvernement de Gerhard Schröder, mais plutôt à la faiblesse de la démographie allemande. L’économie allemande a en réalité tiré bénéfice de ce qui constituera pour elle un grave problème à l’avenir. En effet, avant que les enfants ne deviennent des citoyens productifs, il faut les nourrir, les éduquer, les loger, et cela coûte très cher. Il y a déjà, en Allemagne, plus de personnes âgées qu’en France, mais il y a tellement moins de jeunes qu’il y a au total moins d’inactifs par actif. Et cela joue tant sur les dépenses publiques que sur les dépenses privées.
Il existe surtout aujourd’hui un écart fantastique des prix immobiliers, ce qui a des conséquences pour les entreprises comme pour les particuliers. L’Allemagne a perdu 400 000 habitants depuis 2000 alors que la France en a gagné 5 millions dans le même temps. Ces évolutions se traduisent notamment par une différence en termes de pression sur les prix de l’immobilier : ces derniers n’ont pas bougé depuis quinze ans en Allemagne, et ils ont été multipliés par 2,5 en France, c’est-à-dire presque autant qu’en Espagne et dans les pays qui ont connu les bulles immobilières les plus importantes. En 2011, le prix moyen d’un logement était en Allemagne de 1 300 euros le mètre carré, contre 3 800 euros le mètre carré en France, soit un écart de un à trois !
L’écart des loyers est moindre, mais il demeure important. Ainsi, selon Eurostat, le poste « logement » dans la consommation des ménages était, en 1999, en Allemagne de 18 % supérieur à la moyenne européenne, et en 2011, il était devenu inférieur de 1 %. En France, il est resté stable, à environ 10 % au-dessus de la moyenne européenne. De tels chiffres expliquent pourquoi la modération salariale a été bien acceptée !
La France gagnerait donc à dégonfler sa bulle immobilière. Certes, cela ne serait pas indolore non plus, puisque cela reviendrait à appauvrir les ménages : le Crédit suisse a ainsi calculé que la France possède le quatrième patrimoine mondial, et que ce patrimoine est immobilier aux trois quarts. C’est un vieux problème français : on privilégie, historiquement, la rente foncière par rapport au capital productif ; et psychologiquement, c’est une question très sensible. Mais ce serait sans doute le levier interne le plus efficace pour rediriger l’épargne vers la production et relancer l’industrie.
L’Allemagne a aussi beaucoup bénéficié de la chute du Mur de Berlin : l’intégration dans l’Union européenne des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), dont les niveaux de salaire sont cinq fois inférieurs aux nôtres, lui a permis de gagner énormément en compétitivité, sans effriter sa base productive propre – cette transition a été très intelligemment gérée grâce au management des entreprises allemandes et à la place qu’y occupent les syndicats de salariés. Ce mouvement a permis à l’Allemagne de gagner énormément en compétitivité-coût : aujourd’hui, les Allemands désinvestissent en France – leur ancien pays à bas coût – et investissent dans les PECO.
L’Allemagne profite enfin énormément du positionnement de son industrie : elle maîtrise en effet l’industrie des biens d’équipement. Vous avez sans doute beaucoup entendu parler des entreprises de taille intermédiaire allemandes, le fameux Mittelstand : si elles sont si florissantes, c’est surtout parce qu’elles appartiennent à ce secteur des biens d’équipements où, avec 300 salariés, vous pouvez exporter partout parce que vous êtes le meilleur pour un type particulier de machine. L’Allemagne – 18 % des emplois européens – est présente à hauteur de 32 % dans le secteur des machines, contre 8 % pour la France qui représente -12 % des emplois européens. Dans ce secteur, elle pèse donc quatre fois moins que l’Allemagne. Or on ne peut garder une industrie que si on garde les machines qui vont avec ! En France, on achète aujourd’hui des machines allemandes, même dans des secteurs comme l’agroalimentaire. Or, cette spécialité a correspondu depuis dix ans aux besoins en forte expansion des pays émergents ; même quand Renault s’implante à Tanger, elle installe des machines allemandes. Il en va de même des voitures haut de gamme, domaine où cela fait bien longtemps que l’industrie automobile française a perdu pied.
Ce sont là les causes fondamentales de la réussite allemande ; si l’Allemagne s’en sort aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’en sept années de gouvernement de gauche « rose-vert », elle est devenue un pays plus inégalitaire que la France, avec plus de pauvres !
Sur le temps de travail, Dominique Seux a raison de dire qu’il faut distinguer temps complet et temps partiel ; mais il faut comprendre que c’est bien un choix de société. L’industrie allemande profite en effet pleinement d’un retard énorme de la société allemande, où les femmes ont toujours une place très subordonnée sur le marché du travail. Nous avons fait un tout autre choix, plus égalitaire entre hommes et femmes : cela représente sans doute des inconvénients, mais je souhaite bien du courage à ceux qui voudraient essayer d’inverser la tendance.
Dominique Seux a également eu raison d’aborder la question de l’éducation, centrale dans nos difficultés.
Enfin, le management à la française, autoritaire et hiérarchique, avec un PDG tout-puissant, est une spécificité qui coûte sans doute très cher à l’industrie. Le passage de M. Messier à la tête de Vivendi en est un exemple. Si l’on veut réindustrialiser, si l’on veut que les entreprises aient une logique de long terme, il faut revenir sur ce système. L’accord interprofessionnel du 11 janvier aborde un peu le problème, mais il faut changer beaucoup plus profondément qu’il ne le prévoit : il faut systématiser la structure à conseils de surveillance et directoires, il faut donner comme en Allemagne la moitié des postes aux salariés dans les conseils d’administration et des pouvoirs très étendus aux comités d’entreprise. En Allemagne, l’accord du comité d’entreprise est indispensable pour toute restructuration ! Les syndicats français ne sont pas plus idiots que les syndicats allemands : s’ils étaient dans la même situation, s’ils jouissaient des mêmes prérogatives, ils adopteraient également une attitude constructive et responsable.
M. Laurent Furst, président. Merci, Messieurs, pour ces interventions très riches.
Monsieur Duval, vous évoquez le cours de l’euro. Mais la France n’a-t-elle pas la mauvaise habitude de chercher des causes extérieures à ses problèmes endogènes ? Le commerce extérieur européen est resté à l’équilibre : il existe donc clairement une spécificité française. De plus, une forte part de notre commerce se fait avec d’autres pays de la zone euro : le taux de change n’a dans ce cas pas d’influence.
Vous avez l’un et l’autre beaucoup parlé de l’Allemagne, mais ne faudrait-il pas sortir de ce face-à-face pour voir comment s’en sortent d’autres pays ? On verrait alors apparaître une fracture entre le nord et le sud de l’Europe, avec une France au milieu du gué : les économies de l’Autriche, des Pays-Bas, du Danemark sont plutôt prospères.
M. Jean-René Marsac. Pensez-vous qu’il serait judicieux de développer des politiques industrielles ciblées, pour avantager certaines filières comme les industries agro-alimentaires, la santé, l’eau, les activités ferroviaires ?
De même, pourquoi ne pas développer des politiques géographiques ? Les relations de la France avec l’Afrique ne sont pas toujours simples, pour des raisons historiques, mais ce continent a un fort potentiel de croissance. Or nous n’avons pas de stratégie économique pour développer nos liens avec, par exemple, les pays méditerranéens, notamment ceux du Maghreb. Comment construire un nouveau partenariat économique ?
M. Michel Lefait. On entend souvent dire que le paritarisme, issu du programme du Conseil national de la résistance, est à bout de souffle et pourrait même constituer un frein à l’amélioration de la gouvernance des entreprises. Partagez-vous cet avis ? Comment, selon vous, lui redonner une nouvelle jeunesse ?
Le gaz de schiste fait l’objet de violentes controverses. Un infléchissement de la position française en la matière pourrait-il avoir des conséquences fortes sur les coûts de production ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. L’Allemagne ne doit effectivement pas nous obnubiler : certes, nous avons fêté cette semaine le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, mais nous ne devons pas regarder seulement ce qui se fait Outre-Rhin. Y a-t-il d’ailleurs une exception française à l’échelle européenne, ou bien n’y a-t-il pas plutôt une exception allemande ?
Vous avez évoqué l’euro fort, que j’appelle pour ma part l’euro cher. Au-delà de la politique de change, ne faudrait-il pas soulever le problème du gouvernement économique de la zone euro ? Pour lutter contre une économie mondialisée totalement dérégulée, sans doute faut-il se moderniser et faire des efforts, mais sans gouvernement économique fort, avec des orientations économiques claires, ne perdrons-nous pas de toute façon la bataille de la compétitivité ?
On débat beaucoup aujourd’hui de la politique de la demande et de celle de l’offre. Toute action sur la demande doit-elle être proscrite ? Il est sans doute nécessaire d’avoir une politique de l’offre, mais est-ce suffisant ? Ne perdons pas de vue les liens entre niveau de la dépense publique et croissance, rappelés très récemment par des économistes du FMI.
Le Gouvernement a fait un geste important, puisque le crédit d’impôt recherche sera dorénavant plus tourné vers l’innovation. Qu’est-ce qui pourrait permettre aujourd’hui aux entreprises d’innover plus, d’aller vers les secteurs les plus porteurs ? Vous avez parlé des normes en matière de bâtiment – le rapporteur budgétaire pour avis sur le logement que je suis compte bien mettre ce problème en avant lors de la discussion de la prochaine loi sur le logement, au printemps prochain –, mais il ne faut pas oublier que nous perdons des batailles sur le terrain des normes européennes.
Il faut effectivement une adéquation entre l’appareil de formation et les besoins de l’économie. Que faire pour adapter notre système de formation professionnelle ? C’est un budget très important, plus encore que celui de la défense nationale, et cela mériterait sans doute une enquête parlementaire !
Enfin, que pensez-vous de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier ? Pensez-vous que le fait que deux syndicats importants ne l’aient pas signé aura des conséquences sur la façon dont il sera appliqué sur le terrain ? Il prévoit un accord majoritaire dans les entreprises pour déroger au contrat de travail, et en cas d’absence d’accord majoritaire, une « phase d’homologation ». Quelle voie privilégieront les entreprises, selon vous ? Pensez-vous que les services de l’État disposeront des capacités d’expertise nécessaires ?
M. Dominique Seux. Je commencerai par rappeler qu’un journaliste n’est pas un expert ; c’est un généraliste. Restons humbles !
Sur l’euro, j’approuve les propos de Guillaume Duval : le cours de l’euro est un point essentiel. La Banque centrale européenne (BCE) a commencé par construire sa crédibilité internationale. Elle est allée jusqu’aux frontières de son mandat pour sauver les pays en difficulté, et on peut saluer le rôle qu’elle a joué dans la crise. Mais nous entrons aujourd’hui dans une guerre des changes, lancée par le Japon et les États-Unis, et nous verrons quelle sera son action.
On peut regretter que l’Eurogroupe ne soit pas une instance plus puissante, qui pourrait sinon s’imposer face à la BCE, tout au moins dialoguer avec elle. On a appris qu’en deux ans, l’ancien secrétaire au Trésor américain Timothy Geithner n’avait quasiment jamais appelé Jean-Claude Juncker : il a eu des contacts nourris avec la BCE, avec les ministres des finances français et allemand, mais il n’a pas éprouvé le besoin de contacter l’Eurogroupe. C’est dire le faible rôle de celui-ci.
L’euro est effectivement surévalué. Toutefois, la majorité de notre commerce extérieur se fait avec la zone euro.
S’agissant de l’Allemagne, je suis un peu gêné : la tentation est forte en France de la désigner comme coupable. L’Allemagne a eu de la chance : elle présentait, au bon moment, les bonnes spécificités. Ainsi, elle fabriquait des voitures haut de gamme quand l’élite chinoise s’est enrichie et a voulu, pour symboliser son nouveau statut, s’acheter des voitures qui correspondaient à cette richesse nouvelle. Inversement, la France a misé sur les services dans les années 80 et 90, ce qui s’est révélé une erreur collective.
Je ne suis pas spécialiste des filières économiques, mais il n’est pas normal que les industries agro-alimentaires allemande et néerlandaise puissent payer des ouvriers à des tarifs polonais ou tchèques. Quant à la filière nucléaire française, elle s’est livrée à des guéguerres internes qui l’ont beaucoup desservie. En matière de télécommunications, je suis inquiet de voir qu’Alcatel ne bénéficie pas d’une protection européenne équivalente à celle dont se sont dotés les États-Unis face aux équipementiers chinois. En matière d’automobile enfin, il est indéniable que nos entreprises ont commis des erreurs stratégiques ; mais est-il aujourd’hui simplement possible de fabriquer ou même d’assembler, dans un pays développé, des véhicules de moyenne gamme ? Ce n’est pas certain.
La situation du paritarisme est effectivement inquiétante. Il faut, certes, saluer la signature de l’accord du 11 janvier ; mais il est très ennuyeux que FO et la CGT, qui traversent il est vrai des turbulences internes, soient restées à l’écart. Et, si cette négociation avait eu lieu dans deux ou trois ans, nous n’aurions peut-être pas eu d’accord du tout ! J’espère que les négociations au sein des entreprises ne refléteront pas ce qui se passe au niveau national – certaines organisations, très protestataires nationalement, sont souvent infiniment plus réalistes localement.
Le gaz de schiste est devenu très important pour les États-Unis. Notre filière énergétique demeure puissante, mais les discours tenus en France ne sont pas engageants : cela ne l’aide sans doute pas à exporter. Il faut souligner la responsabilité des politiques de droite ou de gauche sur ce point.
Bien sûr, les politiques de rigueur menées depuis deux ans ont été trop fortes, trop massives, mais – c’est toujours le débat entre macro et microéconomie – je considère pour ma part qu’une politique keynésienne, dont les effets sont positifs à court terme, coûte très cher à long terme. J’ai un regret : nous aurions en effet sans doute pu négocier avec les Allemands, au mois de juin dernier, un assouplissement des critères s’il n’y avait pas eu d’incertitudes sur la ratification du pacte budgétaire ! Cela dit, nous ne respecterons pas les 3 % – nous serons probablement à 3,5 % – et ce ne sera pas un drame, mais cela ne m’empêche pas de souligner encore une fois, comme Les Échos le font depuis dix ans, que le niveau de la dépense publique en France n’est pas tenable.
M. Guillaume Duval. Oui, c’est vrai, le commerce extérieur de l’Europe est équilibré : d’une part, l’Allemagne exporte beaucoup en dehors de l’Europe, et d’autre part, l’Europe est en récession, et importe donc peu.
En fait, la Chine est le seul pays avec lequel notre commerce extérieur est extrêmement déséquilibré. Nous sommes en excédent vis-à-vis de nombreux pays du Sud, mais en déficit très fort vis-à-vis de la Chine. Et nous avons un vrai problème d’action collective face à ce pays : chaque dirigeant européen va faire sa cour à Pékin, qui pour vendre des centrales nucléaires, qui pour vendre d’autres produits industriels, et personne ne hausse le ton – à l’inverse de ce que font les États-Unis.
On peut bien sûr sortir avec profit du face-à-face avec l’Allemagne, mais, monsieur le président, les pays que vous avez cités ne sont pas les bons ! Les Pays-Bas vont très mal, économiquement et politiquement – eux non plus n’atteindront d’ailleurs pas les 3 %. L’extrême-droite y est aux portes du pouvoir, et l’ambiance y paraît parfois proche de la guerre civile. Croire que les politiques de rigueur excessives ne touchent que les pays du Sud pour épargner les pays riches qui semblent être le cœur stable de l’Europe serait une lourde erreur !
Quant au Danemark, c’est un des pays qui a le plus souffert de la crise ; la flexisécurité ne l’a absolument pas protégé et il a connu aussi une bulle immobilière très importante.
Je suis, par principe, très méfiant vis-à-vis des politiques par filières. Les facteurs qui concourent au succès du secteur industriel sont extrêmement divers ! En Allemagne, les filières s’organisent d’ailleurs elles-mêmes, sur le plan social en particulier, mais plus généralement aussi, et c’est sans doute une des choses que ce pays fait bien. Je ne suis pas sûr qu’un nouveau Plan calcul soit la solution miracle pour redresser notre industrie. Il vaudrait mieux que l’État s’occupe plus efficacement d’éducation, de cadre général.
La question des cibles géographiques est évidemment très intéressante. Le Gouvernement parle maintenant de « colocalisation » : nous pouvons agir avec le Maghreb pour essayer de bénéficier du même type d’avantages que ceux de l’Allemagne avec les PECO, même si cela se révélera sans doute plus difficile. À moyen terme, cela peut certainement constituer une bonne stratégie non seulement économique, mais aussi politique et sociale dans la mesure où cela aidera ces pays à se stabiliser. En ce sens, la relocalisation des centres d’appel ne paraît pas forcément une idée très pertinente, même si je peux comprendre les motivations des hommes politiques qui la proposent.
Faut-il exploiter le gaz de schiste ? Nous n’avons ni gaz ni pétrole, et c’est bien sûr une faiblesse ; mais c’est aussi une chance. La Corée ou le Japon ne disposent d’aucune ressource énergétique, et ce sont les pays qui se sont le plus développés ces dernières décennies. Disposer de ressources énergétiques, c’est souvent aller vers une économie de la rente, c’est souvent souffrir de problèmes de corruption – même les États-Unis n’y échappent pas. Couvrir la région parisienne de derricks ne résoudrait probablement pas nos problèmes économiques : il vaut sans doute mille fois mieux accélérer la transition énergétique, et dépenser moins d’énergie.
Quant au paritarisme, je ne crois pas qu’il soit à bout de souffle. Depuis la loi Larcher, les tentatives pour faire naître de nouvelles relations entre les partenaires sociaux ont été nombreuses ; l’accord du 11 janvier est en lui-même très important. Je ne partage d’ailleurs pas le pessimisme de Dominique Seux à son sujet : si la négociation avait eu lieu l’an prochain, un accord serait intervenu aussi, quoique différemment. Il est difficile, aujourd’hui, d’apprécier quelle sera concrètement la portée de cet accord, même si l’on peut sourire à l’idée que les partenaires sociaux se sont entendus pour rétablir l’autorisation administrative de licenciement.
Toutefois, il faut souligner que l’accord ne contribuera en rien à inverser la courbe du chômage cette année – malgré d’infinies discussions entre spécialistes, on peut d’ailleurs considérer que la flexibilité ne permet guère de faire diminuer le chômage. Pour faire reculer celui-ci, il faudrait réussir à négocier pour de bon une relance économique en Europe. Nous en avons les moyens : nos comptes sont équilibrés, et nos dettes bien moins importantes que celle des États-Unis. L’Allemagne connaît actuellement, elle aussi, un fort ralentissement économique, mais on ignore quelle sera sa réaction : au lieu d’accepter une relance, elle risque de se crisper encore davantage.
Cette bataille pour la relance est un enjeu central, et je suis déçu que le Gouvernement ne la mène pas avec plus de vigueur. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec Dominique Seux s’agissant du traité et de sa ratification.
L’une des questions essentielles pour l’Europe d’aujourd’hui, c’est celle de l’évasion fiscale des entreprises : même s’il est difficile d’en évaluer le montant exact, elle contribue sans doute fortement à déséquilibrer les finances publiques de notre pays. Or rien, absolument rien, n’a été fait pour lutter contre le dumping fiscal depuis 2008. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) – auquel ne participent pourtant pas les Anglais – ne comporte aucune avancée en matière d’harmonisation fiscale ! Pourtant, les entreprises utilisent énormément divers mécanismes pour déplacer leurs profits vers les juridictions qui ne les taxent que faiblement voire pas du tout – notamment l’Irlande. Cela fait mécaniquement baisser les marges des entreprises en France.
Ainsi, si l’on regarde les statistiques, un Français produirait annuellement 75 000 euros de richesses en moyenne, contre 63 000 euros pour un Allemand et 89 000 euros pour un Irlandais – soit 17 % de plus qu’un Français ! Mais cela n’a aucune réalité ! Cette statistique ne reflète que le dumping fiscal auquel ont notamment recours des entreprises américaines installées en Irlande. Je suis toujours très surpris de la faiblesse de l’intervention des pouvoirs publics français sur cette question.
Quant aux politiques de l’offre ou de la demande, il faut évidemment allier les deux. La bonne politique, c’est à mes yeux celle qui a été menée entre 1997 et 2001 : non seulement un fort soutien à la demande, grâce aux 35 heures, mais aussi un soutien intelligent à l’offre.
S’agissant de la formation professionnelle, l’apprentissage à l’allemande ne fonctionne que parce qu’il n’est pas une impasse – il faut en être conscient ! – : on peut être apprenti et devenir par la suite avocat ou PDG de son entreprise – l’ancien patron de Daimler, Jürgen Schrempp, a débuté comme apprenti-mécanicien dans l’entreprise. Si, en France, l’apprentissage demeure une voie de garage, il continuera à ne pas fonctionner.
L’accord du 11 janvier aborde la question de la formation, mais le niveau horaire du compte de formation y demeure très insuffisant. La question, c’est en effet celle de la possibilité pour les salariés de se former véritablement, d’acquérir de nouvelles qualifications, tout au long de leur vie. Nous restons pour notre part partisans de la réduction de la durée du travail – ce sera la seule façon de s’attaquer vraiment au chômage de masse –, mais sous une forme nouvelle : on pourrait imaginer qu’un salarié ait droit à un congé sabbatique payé de six mois tous les cinq ans, ou d’un an tous les dix ans, qui lui servirait à se former.
Je veux enfin souligner que les privatisations ont joué elles aussi un rôle négatif pour l’industrie en orientant le capital privé vers des activités rentières – on « plume » facilement l’usager de l’autoroute et du téléphone – alors qu’il faudrait plutôt le diriger vers la production et l’innovation.
M. Dominique Seux. Les privatisations, cela représentait 100 milliards au total, alors que l’assurance maladie, c’est 1 400 milliards !
M. Laurent Furst, président. La diversité des opinions est une richesse : merci d’avoir pris de votre temps pour répondre à nos questions.
Audition, ouverte à la presse, de Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini
(Séance du jeudi 24 janvier 2013)
M. Laurent Furst, président. Je vous prie de bien vouloir excuser le président de notre mission d’information, M. Bernard Accoyer, qui ne peut être présent aujourd’hui.
Nous accueillons maintenant Mme Colette Lewiner. Cette audition nous permettra d’aborder le sujet de l’énergie dans les coûts de production alors que, jusqu’à présent, nous avons surtout évoqué le coût du travail et des questions administratives et juridiques.
Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini. Contrairement aux invités de la précédente audition, je ne suis pas économiste ; j’ai une formation scientifique. Ancienne élève de l’École normale supérieure et docteur en physique, j’ai fait dix ans de recherche, puis je suis entrée dans le monde de l’Entreprise.
À EDF, d’abord, j’ai exercé différentes activités avant de créer la Direction commerciale. J’ai été à ce titre la première femme à occuper un poste de direction dans cette entreprise.
On m’a proposé ensuite de prendre la présidence de la filiale ingénierie nucléaire de la COGEMA (aujourd’hui AREVA), entité employant quelque 9 000 personnes et spécialisée dans le cycle du combustible nucléaire, de la fabrication au traitement des déchets. Durant mes six ans d’exercice, j’ai diversifié l’entreprise et l’ai positionnée sur de nouveaux marchés. Nous avons remporté de gros contrats au Japon et aux États-Unis. Comme c’est souvent le cas en France, cette entreprise disposait d’une excellente technicité mais n’était pas assez ouverte aux différents marchés. Sans doute avons-nous moins la « fibre » commerciale que les Américains, par exemple.
Il y a une quinzaine d’années, j’ai quitté le groupe GOGEMA pour rejoindre Capgemini et y créer le secteur de l’énergie, qui couvre les domaines de l’électricité, du gaz, du pétrole et de la chimie. Ce secteur a bien fonctionné. Nous avons accru notre chiffre d’affaires et notre notoriété. Les analystes nous classent parmi les premiers mondiaux, au même titre que de grands groupes comme IBM ou Accenture.
Depuis le 1er juillet dernier, je suis conseillère du président de Capgemini en matière d’énergie. Je siège par ailleurs dans de nombreux conseils d’administration – la loi qui impose un pourcentage de femmes dans leur composition ouvre en effet des opportunités !
Mon exposé se fonde sur les données de l’Observatoire européen des marchés de l’énergie, publication que nous avons lancée en 2001 et qui en est à sa quatorzième édition.
Le prix de l’électricité a un impact important sur certains secteurs industriels seulement : la sidérurgie, la métallurgie, la chimie, l’industrie du verre, les industries du papier et du carton, les matériaux de construction. Le coût de l’énergie pèse également indirectement dans d’autres secteurs, notamment en matière de transports.
Il faut noter aussi que ce coût a une incidence plus importante en Allemagne, où la part de l’industrie est de 27 % contre 19 % en France.
L’action du législateur européen en matière d’énergie – entamée avant 2000 et transposée, en France, à partir de 2004 – vise un triple enjeu : la compétitivité économique, la sécurité d’approvisionnement et le respect de l’environnement, qui a pris une importance croissante avec notamment le paquet énergie-climat signé en 2008. L’intention est louable, mais le résultat n’est pas complètement convaincant.
Une des idées de départ était qu’en rendant les transports de l’électricité parfaitement fluides en Europe, on optimiserait le mix énergétique grâce à des coopérations dépassant les entités nationales. On le sait, la France a un parc nucléaire important ; l’Allemagne a du charbon et a développé l’éolien ; la Grande-Bretagne a le gaz de la mer du Nord, etc. Pour être le plus efficace possible dans l’utilisation de l’ensemble de ces sources, il faut qu’il n’y ait pas d’ « embouteillages » sur les réseaux électriques. Or, en dépit d’améliorations, ce n’est pas encore totalement le cas.
En période de grand froid en France, on a importé l’année dernière 9 000 Mégawat, soit environ la capacité de neuf réacteurs nucléaires – nous en avons cinquante-huit sur le territoire. À cause des limitations induites par les réseaux, c’était le maximum que nous pouvions importer. Le « passage » de cette forte pointe de consommation a été très tendu. Le chauffage électrique étant très répandu, la consommation d’électricité dans notre pays est très sensible aux variations de température. En hiver, une baisse de température d’un degré augmente la consommation de l’équivalent de la production de deux réacteurs nucléaires (2 000 MW).
En Allemagne, la courbe annuelle de consommation d’électricité est moins contrastée parce que le chauffage au gaz prédomine.
Bref, les pays européens n’ont pas tous besoin d’énergie exactement en même temps et la solidarité européenne se justifie.
La politique européenne de l’énergie se fonde sur une conception libérale inspirée par les Britanniques et qui influence encore très fortement les membres de la Commission européenne. Il s’agit, en quelque sorte, de transposer à l’électricité et au gaz ce que la Commission a fait en matière de télécommunications.
La libéralisation a provoqué l’ouverture du marché des télécommunications, certes, mais il ne faut pas oublier que cette ouverture est concomitante à l’apparition et au développement du téléphone mobile. Le secteur de l’électricité n’a pas connu pas ce type de révolution technique. De plus, l’électricité et le gaz sont des industries lourdes nécessitant de gros investissements à très long terme. Entre le moment où l’on décide de construire une centrale nucléaire et le moment où on l’arrête, l’intervalle est de cinquante à soixante ans. La mise en place d’un marché libéralisé guidé par des signaux de court terme – le marché spot, la possibilité, pour le client, de changer de fournisseur, etc. – ne semble guère adaptée à une industrie qui a besoin de telles infrastructures !
Le législateur européen a mis une certaine volonté à faire fonctionner le concept. Les « paquets législatifs » se sont succédé sans que l’on puisse constater de véritable succès. En revanche, on a créé un environnement juridique très complexe.
La France, il faut le reconnaître, a traîné des pieds pour transposer ces « Directives » juridiques dans le droit français. Avant 2000, EDF et GDF détenaient le monopole de la production et de la vente. À partir de 2000, on a commencé à développer le concept d’éligibilité, en partant des très grands clients pour en arriver, en 2007, aux clients particuliers. Désormais, chacun a le droit de choisir son fournisseur.
La loi du marché n’est cependant pas toujours la meilleure. En 2000, l’Europe était en surcapacité de production. Si les prix étaient bas, c’était pour cette raison et non, comme on l’a pensé à l’époque, à cause de la dérégulation. Pour assurer leur rentabilité, les électriciens ont ensuite fermé des centrales et réduit leurs investissements, si bien qu’une tension est apparue sur les capacités de production à partir de 2005, faisant augmenter les prix des marchés de gros d’échanges d’électricité. Certains grands industriels français avaient quitté EDF – et, selon la règle établie à l’époque, ne pouvaient en redevenir clients –pour bénéficier de ces bas prix de marché.
Devant l’importante augmentation des prix sur les marchés de gros, ces industriels se tournèrent alors vers l’État pour lui demander un tarif de rattrapage, le TARTAM – tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché –, supérieur au tarif « vert » d’EDF mais inférieur aux prix de marché. Le TARTAM a été mis en place fin 2006. Ce dispositif déplut fortement à la Commission européenne, qui demanda à la France qu’elle supprime non seulement le TARTAM, mais tous les tarifs pour les clients non domestiques et que les prix de vente de l’électricité soient libres.
La pression de la Commission et différentes réflexions ont conduit à la loi NOME – nouvelle organisation du marché de l’électricité – de 2010. L’idée du texte est qu’il faut allouer de l’électricité nucléaire – dans la mesure où cette forme de production d’électricité est la plus compétitive,– aux opérateurs autres qu’EDF afin qu’ils puissent faire jouer la concurrence. EDF est donc contrainte de vendre de l’électricité nucléaire à ses concurrents à un prix dit « ARENH » – accès régulé à l’électricité nucléaire historique – dans la limite d’un plafond de 100 Térawattheures. Ce prix administré, censé refléter le coût complet la production d’électricité nucléaire pour EDF, est de 42 euros par Mégawattheure et devrait être porté à 45 euros.
Pourtant, le marché français reste peu ouvert à la concurrence : les principaux fournisseurs « alternatifs » sont GDF-Suez pour l’électricité et EDF pour le gaz ! Poweo a été racheté en partie par un groupe autrichien avant de fusionner avec Direct Énergie ; Altergaz a été racheté par l’italien ENI. Les fournisseurs alternatifs ne représentent que 20 % de la consommation du segment des industriels et 6,6 % de la consommation du segment des particuliers. Treize ans après le début de la dérégulation, on ne peut pas dire que l’ouverture à la concurrence dans les domaines de l’électricité et du gaz soit un succès dans notre pays !
Dans la période 1998-2011, le prix de l’électricité au détail augmente beaucoup moins fortement que celui du gaz. Cela tient au fait que le gaz est un produit que nous importons et que son prix, dans les contrats à long terme, est lié à celui du pétrole, lequel a atteint 150 dollars par baril en 2008 avant de retomber aujourd’hui aux alentours de 100 dollars – ce qui reste néanmoins élevé : le baril était à 20 dollars en 2002. La production d’électricité, elle, est moins tributaire des prix des combustibles fossiles.
Grâce à l’électricité d’origine nucléaire, l’électricité vendue en France est parmi les moins chères d’Europe. Le prix du gaz reste compétitif, mais dans une moindre mesure puisque, depuis la fin de l’exploitation du gaz de Lacq, nous sommes entièrement dépendants des importations.
Le prix de l’électricité fournie aux entreprises (à l’exclusion des grandes entreprises très fortement consommatrices d’énergie) est plus élevé de 60 % en Allemagne. L’électricité est également très chère pour les particuliers allemands.
L’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) estime – sans que nous ayons la possibilité de le vérifier, car les accords de dérogation dans les autres pays ne relèvent pas des données publiques– que l’Allemagne protège ses très grands industriels exportateurs en organisant des dérogations non pas sur le prix de l’électricité, mais sur celui du transport électrique. De plus, l’« interruptibilité », c’est-à-dire la capacité des entreprises à baisser leur charge à la demande en période de grand froid, est mieux rémunérée qu’en France. L’UNIDEN considère donc que les « électro-intensifs » allemands paient l’électricité 25 % moins cher qu’en France. Les industries françaises de même type, regroupées dans le consortium Exeltium, ont néanmoins négocié l’achat d’électricité sur le long terme au prix avantageux de 48 euros par Mégawattheure.
J’en viens à la notion de « transition énergétique », selon laquelle il faudrait produire plus d’énergies renouvelables pour émettre moins de CO2. Les météorologues, notamment ceux du GIEC – groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – imputent l’augmentation de la température de la planète aux émissions de gaz à effet serre, ainsi nommés parce qu’ils perturbent l’atmosphère et mettent la terre comme sous une serre. Il faut néanmoins noter que le gaz carbonique produit par l’activité humaine ne représente qu’une très petite portion du gaz carbonique échangé entre l’atmosphère et les océans.
L’accident de Fukushima, au Japon, a accentué le mouvement en faveur des énergies renouvelables. Ainsi, les projections des différents pays Européens pour 2025 font apparaître une diminution de la part du nucléaire, du charbon et du lignite et une augmentation des énergies renouvelables et du gaz. Le développement de l’énergie nucléaire est important en Asie –, mais il est ralenti en Europe car un certain nombre de pays européens (dont la France et l’Allemagne) souhaitent diminuer la part qu’il représente dans leur production d’électricité.
Cette évolution coûtera cher. Parmi les modes de production de l’électricité en France, l’hydraulique est le moins onéreux, mais on ne peut guère envisager de construire plus de barrages. Ensuite viennent, dans l’ordre, le nucléaire, le charbon, le gaz, l’éolien terrestre, l’éolien maritime et le solaire. L’éolien terrestre commence à pouvoir être compétitif, puisque son coût de production – 80 euros par kilowattheure – est du même ordre de grandeur que le coût prévu pour l’électricité produite par le nouveau réacteur EPR de Flamanville.
Il existe plusieurs estimations des coûts de production de l’électricité nucléaire en France : 39 euros par kilowattheure pour la commission Champsaur, dont le rapport a servi de base à la loi NOME ; 42 euros au titre de l’AREHN, puis, après la prise en compte des surcoûts liés à la prolongation de la durée de vie des centrales, à leur démantèlement et à la gestion des déchets radioactifs, 57 euros. Le nucléaire existant reste donc compétitif.
L’Allemagne, quant à elle, s’est toujours posée des questions sur sa production nucléaire. En mai 2011, après l’accident de Fukushima, Mme Merkel a décidé d’arrêter neuf réacteurs sur dix-sept. Cette décision était assurément politique – et ne l’a pas empêchée de perdre les élections régionales qui se sont déroulée à ce moment-là–, mais il est surprenant qu’elle l’ait prise sans concertation au niveau européen. Alors que nos pays sont interconnectés électriquement et solidaires, l’arrêt de cette capacité de production n’est pas négligeable pour l’équilibre du réseau européen !
Parallèlement à l’abandon total du nucléaire prévu en 2022, l’Allemagne veut réduire ses émissions de gaz à effet de serre, donc augmenter la part des énergies renouvelables. Aujourd’hui, elle ne se heurte pas tant à un problème de production, puisqu’elle a remis en service des anciennes centrales au charbon et, encore plus polluant, au lignite, qu’à un problème de transport électrique : les sites éoliens qu’elle veut continuer de développer sont en mer ou sur les côtes, dans le nord, alors que la consommation industrielle, notamment pour l’automobile, est plutôt concentrée dans le sud. Or il est très difficile aujourd’hui de construire des lignes électriques à haute tension car la population n’en veut pas. De plus, les Länder ne se battront pas pour accueillir des lignes qui les traverseront sans qu’ils en tirent aucun bénéfice.
Le coût de la transition énergétique en Allemagne a été estimé au départ à 400 milliards d’euros, dont la moitié pour les réseaux. J’y insiste : la transition énergétique, ce n’est pas seulement remplacer des centrales nucléaires par des éoliennes ; cela implique aussi de revoir entièrement le réseau. Siemens avance pour sa part le chiffre de 1 000 milliards d’euros, un spécialiste allant même jusqu’à 2 000 milliards, soit le coût de la réunification allemande ! Le prix de l’électricité payé par les industriels pourrait augmenter de 70 % d’ici à 2025.
La France, pour sa part, envisage de ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025, contre 75 à 80 % aujourd’hui. Grâce au nucléaire nous sommes actuellement en France le pays d’Europe qui émet le moins de CO2 par habitant.
L’UFE – Union française de l’électricité – estime à 422 milliards d’euros – dont 110 milliards pour la distribution et 50 milliards pour le transport – les investissements nécessaires à cette transition énergétique. Il faut y ajouter 170 milliards d’euros d’investissements d’efficacité énergétique, soit un total d’environ 600 milliards d’euros. L’augmentation du coût de l’électricité serait de 30 à 40 euros par Mégawattheure, soit l’équivalent de l’augmentation consécutive au Grenelle de l’environnement. Le différentiel avec l’Allemagne resterait néanmoins en notre faveur.
J’aborderai enfin la question des gaz non conventionnels. Ces « gaz de schiste », qu’il serait plus exact de nommer « gaz d’argile », sont renfermés dans poches enfermées dans des roches peu perméables à une certaine profondeur. Pour les extraire, on a recours à la fracturation hydraulique, le fracking.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Les Américains parlant aussi de massaging, on a récemment proposé d’utiliser le terme de « massage ».
Mme Colette Lewiner. Un massage énergique, dans ce cas ! Quoi qu’il en soit, cette technique consiste à créer des chemins dans la roche pour relier les poches contenant le gaz. Ainsi, celui-ci « percole » et on le recueille au moyen de puits verticaux comportant une partie horizontale.
C’est en 1970 que le Département Américain de l’Energie, voyant que les réserves de gaz des États-Unis allaient baisser, a décidé de travailler sur le fracking, déjà utilisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les puits verticaux classiques. La technique développée consiste à injecter dans la roche un mélange d’eau et de sable additionné de polymères qui permettent de reconstituer la roche. Depuis qu’une petite société texane a mis au point, en 1998, ce mélange nommé slick water (eau visqueuse), l’exploitation des gaz de schiste s’est développée de manière fulgurante aux États-Unis. En 2010, elle représentait 20 % de la production totale de gaz dans ce pays.
Les États-Unis possèdent et exploitent également du pétrole de schiste. Selon, l’AIE – Agence internationale de l’Énergie –, ils seraient ainsi en 2020 le premier pays producteur de pétrole, dépassant l’Arabie saoudite et devenant autosuffisants à la fois en gaz et en pétrole.
M. Laurent Furst, président. Avec une conséquence non négligeable pour l’Europe : les États-Unis, gendarmes du monde, protègent aujourd’hui nos sources d’approvisionnement et notre équilibre énergétique sans que nous ayons à fournir l’effort militaire et de politique extérieure, mais on peut se demander s’ils le feront encore demain.
Mme Colette Lewiner. En effet. La Ve flotte américaine est actuellement la force militaire prépondérante au Moyen-Orient.
Bref, s’il y a eu une révolution dans l’énergie au cours des vingt dernières années, c’est bien celle du gaz et du pétrole non conventionnels. Le prix du gaz des contrats européens de long terme est trois fois supérieur au prix du gaz au États-Unis, où les industries énergétivores comme la chimie ou les engrais bénéficient d’un avantage compétitif considérable. Les Américains estiment qu’ils ont créé 600 000 emplois grâce aux gaz de schiste.
Un grand différentiel de compétitivité s’est donc formé. Selon une étude commanditée par des industriels allemands, les prix de l’électricité devraient augmenter de 90 (aujourd’hui) à 98-110 euros par Mégawattheure en 2020 en Allemagne, alors que cette augmentation ne serait que de 48 à 54 euros aux États-Unis. L’électricité deviendrait deux fois plus chère pour les industriels allemands alors qu’ils sont exportateurs et en concurrence directe avec les industriels américains. De plus, les centrales au gaz se substituent aux centrales au charbon, faisant baisser les émissions de CO2 des États-Unis.
D’un point de vue environnemental, un des problèmes soulevés est celui du mélange injecté dans la roche. La technique actuelle ne présente probablement pas un risque majeur de pollution de la nappe phréatique, puisque les roches contenant ces gaz non conventionnels, sont en dessous des nappes. Le risque n’existe que si le puits est mal construit ou si l’eau, une fois remontée en surface, n’est pas stockée et traitée. Néanmoins, les exploitants ne veulent pas donner la composition des liquides utilisés, considérant que c’est un secret industriel. Plus de transparence serait souhaitable sur ce point. Certains soutiennent aussi que la fracturation induirait des micro-tremblements de terre. Si tel était le cas, ce serait vraiment des secoussessans conséquences significatives.
Pour ma part, je crois que l’on ferait mieux d’aborder le sujet de manière scientifique et non pas passionnelle : comment faire pour éviter tel ou tel problème induit par la technologie de fracturation hydraulique, et à quel coût ?
L’idée qu’il faille chercher une technologie alternative est sans doute politiquement astucieuse dans la mesure où elle pourrait permettre de rouvrir le débat. Pourquoi, cependant, se priver d’une technologie qui fonctionne ? Les technologies alternatives évoquées ne sont pas éprouvées et rien ne dit qu’elles n’auront pas d’inconvénients.
Il y a du gaz de schiste un peu partout en Europe – ainsi qu’en Chine, d’ailleurs. Les réserves françaises équivaudraient, selon les estimations, à cent ans de consommation. Leur exploitation nous redonnerait une indépendance énergétique alors qu’aujourd’hui nous importons 100 % de notre gaz. Or, pour l’instant, la France n’envisage même pas de faire l’inventaire de ces réserves.
Tout au contraire, les pays d’Europe orientale dont l’approvisionnement en gaz dépend à 100 % de la Russie considèrent sérieusement cette possibilité : la Pologne, malgré quelques déceptions, l’Ukraine, etc. Ces pays se rappellent que Gazprom (l’opérateur russe gazier), il y a quelques années, avait fermé les robinets de gaz en plein hiver ! L’exploitation des gaz de schiste représente pour eux une possibilité d’amélioration forte de leur indépendance énergétique.
L’Allemagne et la Grande-Bretagne, pour leur part, ont lancé des études pour examiner les conditions d’exploitation. En Europe, seules la Roumanie – pays pétrolier –, la Bulgarie et la France ont dit non.
À l’évidence, ces réserves de gaz pourraient changer les équilibres à la fois en termes d’indépendance énergétique et en termes d’économie.
M. Laurent Furst, président. Nous vous remercions pour cet exposé qui nous a beaucoup appris. Par votre culture, vous défendez le nucléaire français que vous connaissez à la perfection et vous souhaitez une autre approche concernant les gaz de schiste.
En matière d’orientation énergétique, notre pays est à la croisée des chemins. Or le prix de l’énergie a une incidence claire à la fois sur le niveau de vie de nos concitoyens et sur le niveau d’activité économique de la nation.
Élu d’une région frontalière, j’écoute parfois la radio allemande et je peux mesurer à quel point le coût de l’énergie et de l’électricité pour les ménages devient un enjeu de campagne électorale. Tels sont les spasmes de l’opinion : après l’accident de Fukushima, la grande majorité de la population allemande a approuvé la fermeture des centrales nucléaires au profit des énergies renouvelables. Mais le développement de ces énergies provoque une augmentation du prix de l’électricité. En période de crise, ce qui semblait évident hier ne l’est plus aujourd’hui. Chacun aurait donc intérêt à examiner sur ce qui se passe chez ses voisins.
Sauf erreur de ma part, l’idée de transition énergétique porte à la fois sur la nature des énergies et sur les volumes consommés. Comment optimiser, en France, notre consommation d’énergie ? Il me semble que l’on peut arriver à un consensus sur ces questions : moins on consommera d’énergie, mieux on se portera.
Mme Colette Lewiner. Je suis tout à fait d’accord.
Le paquet énergie-climat fixait trois objectifs pour 2020(les 3 fois 20)
Le premier est la réduction de 20 % des émissions de CO2 par rapport au niveau de 1990. Nous l’atteindrons non pas parce que le système européen d’échange des droits d’émissions de CO2 fonctionne – c’est tout le contraire –, mais parce que la crise a joué : les usines tournent moins ou se délocalisent. Le bilan total d’émissions de CO2 des délocalisations est très mauvais, bien entendu, puisque l’on allonge les transports et que les pays d’accueil sont moins regardants sur les émissions, mais, pour l’Europe seule, on constate une baisse des émissions.
Le deuxième objectif est de passer à 20 % d’énergies renouvelables dans l’énergie totale. Nous devrions l’atteindre.
M. Laurent Furst, président. Est-ce grâce à l’hydraulique historique, qui représente 12 % ?
Mme Colette Lewiner. En l’espèce, la France s’est fixé un objectif de 23 %. Ici, la crise a un impact négatif puisqu’elle diminue les investissements dans les éoliennes, panneaux solaires et autres.
Dernier objectif européen, le plus difficile à atteindre : un gain de 20 % en efficacité énergétique par rapport aux projections initiales. L’Europe a depuis a ramené cet objectif à 17 %, ce qui reste ambitieux car l’horizon de 2020 est très proche et les comportements ne se modifient que lentement. Les jeunes générations, bien qu’« écolos » dans l’âme, n’ont pas forcément de bonnes pratiques. Les Européens ont pris des habitudes de vie qui se rapprochent de celles des Américains. De plus, l’effort principal d’économies d’énergie doit porter sur le bâtiment. Si, avec les nouvelles réglementations, on construit des bâtiments neufs à basse consommation ou à énergie positive, la rénovation de l’ancien est un chantier considérable et très coûteux.
M. Laurent Furst, président. Il faut quelques années pour changer toutes les ampoules, dix ans pour changer le parc automobile et cent ans pour changer le parc immobilier !
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Concernant le gaz de schiste, vous avez évoqué les technologies alternatives. S’agit-il de démarches scientifiques fondées ou de simples hypothèses ? Pourquoi la France a-t-elle écarté l’idée d’une exploitation de cette ressource ?
Par ailleurs, si l’électricité issue du nucléaire est en effet moins chère, le problème de la fiabilité de ce mode de production se pose. Peut-on affirmer que notre production nucléaire est sûre ? Pourquoi ne l’était-elle pas au Japon ?
Enfin, quelle est la corrélation entre le coût de l’énergie et le coût de la production du produit fini ?
Mme Colette Lewiner. Les technologies alternatives d’extraction du gaz de schiste ne sont pas aussi éprouvées que la fracturation hydraulique. Et il faut arriver de toute façon à fracturer la roche. On parle d’utiliser du propane ou du CO2 à la place de l’eau, mais ces technologies n’ont pas du tout le niveau de maturité du procédé actuel, qu’il aura fallu trente ans pour mettre au point. Je me demande s’il ne vaut pas mieux chercher à améliorer la technologie existante.
L’explication du refus de la France face à la fracturation est complexe. Outre l’opposition de José Bové, un film a répandu des informations totalement erronées. Et, lors de la dernière période électorale, le gouvernement précédent a cherché à apaiser le débat en retirant les permis d’exploration qui avaient été accordés dans un premier temps.
Par ailleurs, on constate aux États-Unis que le bas coût du gaz de schiste ralentit le développement des nouveaux réacteurs nucléaires. Peut-être l’industrie nucléaire française cherche-t-elle à se protéger à cet égard. Il est également possible que l’on cherche à préserver les accords entre GDF-Suez et les Russes – la communication de Gazprom contre les gaz de schiste est à cet égard caricaturale!
Au total, un ensemble de circonstances a fait qu’il n’y a pas eu assez de communication et de mobilisation pour influencer la décision du gouvernement C’est une bonne chose que le sujet revienne en débat.
Quant à la production nucléaire, on peut peut-être souhaiter une sûreté renforcée mais , elle est indéniablement fiable. Contrairement à celui de Tchernobyl, l’accident de Fukushima s’est produit dans un pays de haute technologie. Il a été provoqué par la conjonction de deux événements de force exceptionnelle : le tremblement de terre et le tsunami. Le tremblement de terre seul n’aurait pas pu avoir de telles conséquences. De plus, les Japonais utilisent une technologie de réacteurs nucléaires à eau bouillante – la technologie française, elle, est à eau pressurisée – et les réacteurs de Fukushima avaient une enceinte de confinement de moins que les réacteurs français.
Il n’y aurait pas eu de conséquences significatives du tremblement de terre et du tsunami si l’on avait pu refroidir les réacteurs qui s’étaient bien arrêtés et notamment si les pompes de secours avaient été placées en hauteur. En l’occurrence, elles étaient placées assez bas et la vague du tsunami les a inondées. Un des retours d’expérience en France sera que l’on imposera la constitution de réserves d’eau sur tous les sites nucléaires.
L’accident de Fukushima est analogue à celui de la centrale de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis, dont on avait tiré les enseignements en aménageant les réacteurs. Si les Japonais avaient eux aussi procédé à ces aménagements, on aurait évité les explosions qui se sont produites par recombinaison entre l’hydrogène formé dans le bâtiment réacteur et l’oxygène de l’air, après que l’on eut tenté d’éventer l’enceinte soumise à une pression dangereuse. Les réacteurs français sont pour leur part dotés de recombineurs : en cas de création d’hydrogène sous l’effet de la chaleur, des catalyseurs permettent à cet hydrogène de se recombiner à l’intérieur du réacteur. À Fukushima, les explosions ont endommagé les bâtiments et accentué le rejet de radioactivité dans l’atmosphère.
Je ne partage pas la sévérité des reproches adressés aux exploitants. Ces personnes avaient subi un très fort traumatisme et ne savaient pas par exemple ce qu’étaient devenues leurs familles.
Pour tenir compte du retour d’expérience, nous renforcerons certaines parties des réacteurs et nous modifierons les modes opératoires.
Comme je l’ai indiqué, madame Chapdelaine, le coût de l’énergie a un impact significatif sur certains secteurs industriels : métallurgie, aluminium, chimie, engrais, etc. Mais tout le monde est concerné par les prix de l’électricité et du gaz. On a parlé de pouvoir d’achat « rendu » aux citoyens lorsque Free est entré sur le marché de la téléphonie mobile. Une électricité compétitive a également des effets positifs sur le pouvoir d’achat des Français.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Les deux objectifs européens, à savoir la dérégulation et la libéralisation d’une part, la règle du « trois fois vingt » d’autre part – 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 20 % de gain en efficacité énergétique et 20 % de part du renouvelable dans la production énergétique –, ne sont-il pas contradictoires ? Considérez-vous que la forme prise par la dérégulation, avec des opérateurs privés, permettra d’atteindre les objectifs environnementaux ?
Vous l’avez dit, le ralentissement économique dû à la crise et les délocalisations permettront sans doute à l’Europe de respecter l’objectif de réduction des gaz à effet de serre. L’impact environnemental « vertueux » de la crise varie-t-il selon les pays européens ? Peut-on évaluer ce qui ressortit à la crise et ce qui ressortit à une action spécifique de chaque pays ?
Par ailleurs, des statistiques communiquées à notre mission d’information laissent à penser que le prix de l’électricité acquitté par les grands industriels allemands serait devenu, en 2012, inférieur au prix payé par les industriels français. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
S’agissant des gaz non conventionnels, M. Gallois propose d’aller plus loin tandis que d’autres estiment que des problèmes connexes risquent de se poser y compris aux États-Unis, notamment la raréfaction des ressources en eau pour d’autres utilisations industrielles ou agricoles. Ne conviendrait-il pas de réfléchir à un code minier européen plutôt que de laisser chaque État membre mener sa politique de son côté ?
Avez-vous connaissance d’un accroissement de la demande des industries européennes en matière de traitement de l’eau ? La présence en France de groupes en pointe dans ce domaine demeure-t-elle un avantage appréciable pour notre pays ? Le cabinet Deloitte estime que la génération électrique décarbonée provoquera une augmentation importante de la consommation d’eau dans les années à venir.
Mme Colette Lewiner. Je n’ai pas les données des baisses d’émissions de CO2 dans chaque pays. En France, le niveau de départ est déjà très bas puisque notre électricité est presque entièrement décarbonée. Il est donc plus difficile de diminuer encore les émissions.
La Commission a même voulu, un temps, durcir l’objectif de réduction de 20% des émissions de CO2 en le faisant passer à 30 %, mais des pays comme la Pologne, qui a beaucoup de centrales à charbon, s’y sont opposés.
Pour les pays qui se sont mis au renouvelable, l’effet est bien entendu vertueux. Quant à l’Allemagne, qui souhaite arrêter sa production nucléaire pour faire du renouvelable, elle doit passer par une phase transitoire durant laquelle elle remet en service des centrales polluantes.
M. Laurent Furst, président. Et elle continue d’en construire. La plus grande centrale à charbon d’Europe est en Sarre.
Mme Colette Lewiner. Je suis frappée par le discours que le maire d’Essen, dans la Ruhr, prononce chaque année à l’occasion d’une manifestation réunissant tous les énergéticiens allemands : il ne manque jamais de rappeler que le charbon est une énergie nationale ! Même le lignite est encore exploité en Allemagne, quitte à déplacer des villages pour l’extraire. La population proteste peu, car cette activité est traditionnelle et représente des emplois.
Il sera donc intéressant d’observer l’attitude de l’Allemagne face à un renforcement des contraintes en matière d’émission de CO2. Je doute qu’elle continue à pousser en ce sens. Je suis également curieuse des statistiques d’émission de CO2 après l’arrêt du nucléaire.
Il y a un paradoxe allemand : de cœur, nos voisins sont très « verts », mais la réalité l’est moins.
J’en viens à votre question sur la dérégulation et l’objectif des « trois fois vingt ». Je ne dirais pas que l’Europe a dérégulé ou libéralisé : elle a plutôt fait de la « re-régulation », c’est-à-dire changé une régulation pour une autre plus complexe.
Dans un marché libéral, l’électricien doit mettre sa production sur le réseau pour satisfaire la demande, puisqu’il faut équilibrer à chaque instant la production et la consommation. La fourniture se fait en fonction de coûts croissants : d’abord l’électricité la moins chère à produire, c’est-à-dire le nucléaire, puis le gaz, l’hydraulique de barrage, etc. – sachant que l’électricité hydraulique au fil de l’eau, elle, est dite « fatale » car sa production ne peut être arrêtée.
Les énergies renouvelables changent cet ordre d’appel : il est devenu obligatoire de les utiliser en premier lieu, comme s’il s’agissait d’énergies « fatales ». Il s’ensuit une modification importante des prix sur les marchés de gros. Il y a bien distorsion des règles par rapport à ce que serait un marché libéralisé.
Aurait-on fait mieux en conservant les prérogatives des opérateurs historiques ? Sans doute en matière d’investissement. L’Europe manque aujourd’hui d’investissements tant dans les lignes de transport que dans les moyens de production, et l’existence de gros opérateurs disposant d’importants moyens financiers aurait facilité les choses. Le programme nucléaire français n’aurait pas pu se faire dans un contexte de dérégulation. Investir pour cent ans est quelque chose de difficile ! Lorsque l’État imposait des obligations à ces sociétés qu’il détenait à 100 %, elles s’y conformaient. Dans une optique législative complexe associant libéralisation et re-régulation, il est beaucoup plus compliqué d’arriver à des objectifs.
Du reste, on ne peut pas vraiment parler de politique énergétique européenne. Le seul point sur lequel l’Europe a son mot à dire de manière forte est l’allocation des droits d’émission de CO2. Elle en a d’ailleurs beaucoup accordé notamment pour les centrales au charbon.
La formule britannique de prix plancher des droits d’émissions de CO2 jouera probablement en faveur des énergies renouvelables. A partir de cette année, , ce plancher sera de 16 livres par tonne, soit environ 19 euros, alors que le prix du marché est de 7 euros et qu’il pourrait tomber en dessous de cette valeur. La Grande-Bretagne est donc passée d’un système très libéral à une pratique plus interventionniste. En matière de CO2, d’ailleurs, ne serait-il pas plus simple de taxer les émissions ? La question reste d’actualité.
Vous m’interrogez aussi sur la différence de prix de l’électricité pour les industriels gros consommateurs en Allemagne et en France. Selon l’UNIDEN, les aménagements tarifaires pratiqués en Allemagne –non facturation du coût du transport et rémunération de l’interruptibilité – permettent à ces grandes sociétés de payer leur électricité 25 % moins cher qu’en France, quand bien même, du seul point de vue des tarifs, le coût de l’électricité est inférieur de 60 % en France. Mais l’Allemagne favorise ses grosses entreprises dans tous les secteurs.
M. Laurent Furst, président. En agriculture aussi.
Mme Colette Lewiner. En matière postale, par exemple, elle n’a pas hésité à augmenter le tarif du timbre pour créer, avec Deutsche Post, une entreprise profitable qui a racheté l’américain DHL et est devenue une société internationale. En France, on a plutôt tendance à privilégier la protection du citoyen.
S’agissant des gaz non conventionnels, l’Europe a lancé un groupe de travail pour tenter d’établir des normes. Même si l’on ne va pas jusqu’à un code minier, ce serait à mon sens une bonne chose que les experts miniers européens fixent les conditions d’une éventuelle exploitation.
Concernant enfin votre question relative à l’énergie et au traitement de l’eau, je ne dispose pas des données me permettant de vous répondre. À titre d’exemple, toutefois, la consommation d’énergie des pays du Golfe est en forte croissance et le traitement de l’eau y entre pour 50 %. Cela explique que ces pays souhaitent s’équiper en centrales nucléaires en dépit de leurs ressources en hydrocarbures.
L’existence, en France, de grands opérateurs historiques de traitement de l’eau est à l’évidence un avantage. Il s’agit maintenant de vraies sociétés internationales.
M. Laurent Furst, président. Comme les OGM, les gaz de schiste sont devenus un sujet tabou en France. Il est devenu politiquement suicidaire d’aborder le sujet.
Il est par ailleurs surprenant que la France ferme ses centrales à charbon quand l’Allemagne en construit de nouvelles – tout en développant, il est vrai, des recherches pour limiter la pollution et les émissions de carbone : l’injection de vapeur d’eau dans le cycle de combustion, par exemple, sans que l’on ait encore obtenu de résultat probant.
Mme Colette Lewiner. On sait le faire techniquement mais le coût est élevé.
M. Laurent Furst, président. Lors d’une audition commune devant la commission du développement durable et la commission des affaires économiques, le président-directeur général d’EDF, M. Henri Proglio, a affirmé que l’évolution de la proportion d’électricité nucléaire dans la production totale pourrait atteindre 50 % sous le seul effet de l’augmentation de la consommation et de l’accroissement de la population, dans l’hypothèse d’un maintien du parc nucléaire français. Il faut donc trouver des moyens supplémentaires pour le reste de la production.
Enfin, l’argent du consommateur a servi à financer le développement de micro-centrales de production sur les toits un peu partout en France. En installant ces panneaux photovoltaïques solaires sur les toits des collectivités, les maires s’achètent sans trop d’efforts une image environnementaliste. Je suis favorable au photovoltaïque, mais je pense qu’il y aurait plus de sens à installer de grandes centrales dans le sud du pays, en imposant une taille minimale. Les micro-centrales polluent plus le réseau qu’autre chose et coûtent très cher au consommateur. Ne s’est-on pas offert jusqu’à présent une politique publique à bon compte en la faisant payer par des tiers ?
Mme Colette Lewiner. Si la consommation augmente suffisamment, il est vrai que l’on arrivera à 50 % d’électricité nucléaire sans fermer de centrales. Mais tout dépend de la maîtrise de la consommation d’énergie. Les prévisions pour 2030 ont été revues à la baisse en 2012 par rapport à celles de 2011. Si les efforts de maîtrise de la consommation sont à la hauteur de ce que l’on imagine – ce dont il est permis de douter –, on ne passera pas à la proportion de 50 % de nucléaire sans arrêter de réacteurs. Bref, le scénario de M. Proglio est possible mais pas certain.
S’agissant des panneaux solaires, qui convertissent les photons en électrons, leur rendement maximal est actuellement de 15 %. Au lieu d’essayer d’améliorer cette donnée pour faire baisser les coûts, l’Europe a encouragé l’installation de panneaux qui produisent une électricité chère et qui sont, de plus, importés de Chine. Dans cette politique de court terme – l’objectif de 20 % d’énergie renouvelable –, on en vient à aider l’industrie chinoise par des subsides publics !
L’horizon de 2020 est trop court aussi bien en matière d’efficacité énergétique qu’en matière d’énergies renouvelables, où les techniques ne sont pas matures. Mieux vaudrait dépenser moins d’argent et orienter la dépense vers la recherche et le développement, par exemple pour mettre au point des cellules photovoltaïques à meilleur rendement et développer une technologie française ou européenne de génération 2.
M. Laurent Furst, président. Ne pourrait-on vous définir comme une « colbertiste de l’énergie » ? Merci, en tout cas, pour toutes ces informations qui nous auront éclairés dans une période où tout change dans le domaine de l’énergie, où il existe, pour l’avenir, plus de questions que de certitudes et où l’on est confronté à une appétence sociale pour certains types d’évolution. Le sujet mériterait à lui seul une mission d’information !
Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Mathieu, président du réseau des Centres techniques industriels (CTI), M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), ainsi que de M. Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR et M. Alain Costes, directeur d’AFNOR Normalisation
(Séance du jeudi 31 janvier 2013)
M. le président Bernard Accoyer. Nous accueillons ce matin deux groupes d’intervenants : les centres techniques industriels (CTI), représentés par M. Christophe Mathieu, président du réseau des CTI, et M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), et l’AFNOR, représentée par M. Olivier Peyrat, son directeur général, et M. Alain Costes, directeur d’AFNOR Normalisation.
Les CTI sont des acteurs anciens, instaurés en 1948 par le gouvernement Ramadier pour « promouvoir le progrès des techniques » et « participer à l’amélioration du rendement et à la garantie de la qualité dans l’industrie ». Ils sont peu connus, sauf pour le Haut-Savoyard que je suis, qui connaît leurs apports pour notre industrie et sait combien ils aident celle-ci à résister en ces temps difficiles. Ils œuvrent donc au cœur de l’objet de notre mission, les coûts de production en France, qui ne peuvent être dissociés de la compétitivité.
L’AFNOR est une association qui ne compte pas moins de 2 500 entreprises dans ses rangs. Elle a pour mission d’animer et de coordonner le processus d’élaboration des normes, et de promouvoir leur application. Boris Vian y exerça un temps ses talents, ce qui a sans doute donné à l’AFNOR l’élan que l’on aimerait voir concrétisé par le succès de ses entreprises au service de l’intérêt général.
M. Christophe Mathieu, président du réseau des centres techniques industriels (CTI). Permettez-moi de commencer par vous présenter mes vœux, et de vous dire tout le succès que je souhaite à cette mission d’information sur les coûts de production en France. Je vous remercie de l’occasion qui nous est offerte de mettre en exergue le rôle que jouent aujourd’hui les CTI au profit des PME françaises et de leur compétitivité. À ce sujet, je vous précise d’emblée que selon nous, compétitivité coût et compétitivité hors coût doivent être appréhendées de manière globale.
Président du réseau des CTI, je dirige également le CTI de la construction métallique. Philippe Choderlos de Laclos vous parlera pour sa part du CETIM, qui est le plus important des CTI.
Je commencerai par vous présenter les CTI, dont vous avez déjà évoqué l’historique en citant la loi du 22 juillet 1948, monsieur le président. Je vous parlerai ensuite de nos activités en matière de normalisation, et de ce que nous faisons en matière de processus industriels – exemples à l’appui – pour contribuer à la compétitivité du tissu industriel français, et plus particulièrement des PME.
Nous représentons 22 organismes sur tout le territoire, qui emploient 3 200 collaborateurs travaillant pour 34 secteurs d’activité qui représentent eux-mêmes 1,5 million d’emplois directs en France et environ 65 000 entreprises – principalement des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Les missions des CTI se déclinent en quatre volets, tous fondés sur le progrès technique et l’innovation. Le premier est la création de la connaissance : nous contribuons à de nombreux projets de recherche, en France et sur la scène européenne. Le deuxième est la codification de la connaissance. C’est tout l’enjeu de l’organisation de la normalisation française, avec les trois volets sur lesquels les CTI interviennent : pré-normalisation, normalisation, diffusion et appropriation des normes par les entreprises. Viennent ensuite la transmission de la connaissance, qui recouvre l’assistance technique aux entreprises, les publications et la formation continue, domaine qui nous tient particulièrement à cœur, et enfin l’accompagnement de l’utilisation de la connaissance par des projets au profit des entreprises, autrement dit des prestations d’études.
La normalisation est une activité collective inscrite dans les contrats de performance à quatre ans signés entre l’État, les organisations professionnelles et les centres. C’est une activité stratégique pour nous, et c’est aussi un facteur de compétitivité pour les entreprises, qui doivent s’impliquer au mieux dans les différentes commissions sectorielles pilotées par AFNOR.
En matière d’expérience pré-normative, il est par exemple fait appel à l’expertise des CTI lorsqu’il faut aider les professions à étayer leurs positions. C’est ce que nous appelons des études – théoriques ou expérimentales – pré-normatives.
Les centres techniques participent aussi aux réunions de normalisation qui se tiennent à l’échelle nationale. Ils reçoivent pour cela un mandat de représentation des professions concernées. Nous sommes également impliqués dans les instances de normalisation.
Enfin, nous menons des études à caractère transversal afin de montrer comment la normalisation impacte l’expression des exigences des clients et des utilisateurs. Dans nos compétences étendues, nous essayons d’aider les professions dans la formulation de leurs besoins de normalisation, que ce soit pour les produits ou pour les matières premières.
Sept bureaux de normalisation relèvent des CTI et concernent respectivement le bois et l’ameublement, la construction métallique, l’horlogerie-bijouterie-joaillerie-orfèvrerie, l’industrie du béton, l’industrie de la fonderie, l’industrie textile et de l’habillement, et enfin la mécanique et le caoutchouc – ce dernier secteur est de la compétence de l’Union de normalisation de la mécanique et du caoutchouc. Ces bureaux de normalisation organisent le travail de normalisation, en concertation permanente avec l’AFNOR. Lorsqu’il faut faire appel à des expertises techniques, comme pour les études pré-normatives que j’ai évoquées, les CTI et les équipes d’ingénieurs travaillent à affûter les positions sur des bases scientifiques et techniques.
Je terminerai en évoquant les processus. Le thème central de votre mission d’information me semblant être celui de la compétitivité, la question est de savoir comment les CTI peuvent influer sur l’amélioration des processus et de la compétitivité.
Au niveau des procédés de fabrication, nous intervenons beaucoup sur les bilans carbone des entreprises. Le Centre technique de l’industrie du décolletage (CTDEC), que vous connaissez bien, monsieur le président, a travaillé sur la réduction du temps de réglage et de changement des outils, les conditions de coupe. En matière de formation des personnels, nous nous efforçons d’adapter les compétences aux évolutions technologiques. Au CTI de la construction métallique, nous sommes particulièrement fiers de l’important volume de formations qui a pu être dispensé aux ingénieurs suite à la mise en place des eurocodes en mars 2010. Cette démarche a permis à ces ingénieurs d’être à la pointe des nouveaux types de calculs constructifs. Cela fait partie de ce que j’appelle la « compétitivité psychologique » : les ingénieurs sont au cœur des avancées technologiques ; ils savent que grâce à leur travail, la compétitivité de l’entreprise peut s’améliorer.
Parmi les procédés à moyen terme permettant d’améliorer la compétitivité coût et hors coût, je citerai les analyses de cycle de vie, ou les travaux d’éco-conception des CTI, avec des projets financés par l’ADEME pour améliorer le recyclage des matières premières et des déchets. Non seulement les CTI jouent un rôle dans leur secteur, mais ils travaillent aussi entre eux sur des sujets de portée plus générale tels que le développement durable.
On dit que la France n’innove pas assez. Voyez pourtant ce que font les CTI au profit des PME, notamment pour accompagner leur développement technologique et leurs innovations. Ils le font par des transferts de technologies efficaces, qui répondent au mieux aux besoins du marché. Le transfert de technologies est un vrai métier : c’est le nôtre.
M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM). Mon intervention portera moins sur les CTI que sur les petites et moyennes industries (PMI) et l’innovation, thème qui m’est particulièrement cher. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer et – je l’espère – de vous transmettre un peu de la passion qui m’anime.
L’industrie est une valeur de la France. Nous devons la reconstruire et la développer à nouveau, à partir de sa composante la plus vivace et la plus prometteuse : les PMI et les ETI. C’est là que se jouent la bataille de l’emploi et celle de l’innovation. Force est malheureusement de constater que c’est aussi dans ce secteur que la mortalité et les difficultés des entreprises sont les plus importantes. Selon le dernier rapport de l’Observatoire des PME d’OSEO, qui m’a été communiqué en avant-première, nous sommes dans la troisième année consécutive de perte de marge pour les PMI et les ETI. Il faut distinguer le cas des ETI qui se portent très bien, comme Poclain ou Somfy, qui surfent sur la vague avec le soutien des pouvoirs publics, et celui de celles qui viennent de passer du statut de PMI à celui d’ETI – ce qui les met souvent en situation difficile. La traversée du désert sera longue avant de se hisser au niveau de Poclain et Somfy ! La population des PMI diminue, en tout cas dans les industries mécaniques : nous avons perdu pratiquement 10% des entreprises sur les quatre dernières années, alors que le chiffre d’affaires global est resté stable – ce qui tend à indiquer que la taille des entreprises a augmenté.
Cette situation me conduit à énoncer certaines préconisations. Il convient d’abord de faire la distinction entre recherche et innovation. Notre système octroie des aides à la recherche, mais pas à l’innovation. Ainsi, nous avons un crédit impôt recherche (CIR), mais pas de crédit impôt innovation. Beaucoup l’ignorent, mais cet état de fait est lié à l’encadrement communautaire des aides d’État à la recherche, au développement et à l’innovation (RDI), qui contraint totalement les aides pouvant être octroyées en-dehors de la partie recherche – laquelle a été sanctuarisée. L’interdiction des aides directes aux entreprises date du Traité de Rome. Elle est devenue intangible : tout ce qui existait auparavant en la matière – par exemple les avances remboursables en cas de succès octroyées par l’Agence nationale pour la valorisation de la recherche (ANVAR) – a aujourd’hui disparu. Il est désormais impossible de passer outre cet encadrement. Les États se retrouvent donc contraints de chercher des solutions pour contourner cet encadrement mortifère. L’Union européenne est aujourd’hui la seule région du monde à s’interdire d’apporter des aides directes à ses champions. Les Américains et les Japonais, eux, ne s’en privent pas ! Si nous ne le faisons pas, c’est précisément parce que ces aides sont efficaces, et qu’elles rompraient l’équilibre de la concurrence au sein de l’Union. Mais ce faisant, nous nous tirons une balle dans le pied. Je tenais à attirer votre attention sur ce point, car ces règlements sont en cours de renégociation. La position française va dans le bon sens, mais le système est installé, et l’inertie européenne extrêmement difficile à combattre.
Les PMI doivent évoluer vers la co-construction, et travailler de manière moins individualiste. Le travail en commun, tel qu’il est déjà pratiqué dans les régions grâce à des actions collectives régionales, est une excellente chose. Malheureusement, il est entravé par les règlements européens, qui nous font reconnaître que nous avons dépassé les seuils autorisés d’aide, et nous mettent en situation difficile.
Nous devons absolument aider l’innovation, et non la recherche. Même si nous sommes contraints par le cadre européen, nous pouvons trouver de meilleures solutions qu’aujourd’hui. Les aides accordées via le Fonds unique interministériel (FUI) et les pôles de compétitivité sont trop orientées vers les centres de recherche, au détriment des entreprises. Nous faisons de la recherche, pas de l’innovation. Pour faire de l’innovation, il faut des sujets plus en aval. Surtout, il faut éviter de mettre dix personnes autour de la table lorsqu’on tient un sujet d’innovation : c’est l’assurance de perdre deux ans à faire un contrat de confidentialité, et au final, de ne pas s’en sortir. Il faut absolument aller vers des contrats plus petits, à la portée des PME. Les seuils des projets éligibles aux pôles de compétitivité ont été remontés. Il faut désormais un projet à un million d’euros. Mais un million d’euros, c’est trop cher pour une PME. Bref, on a écarté les PME de tous les projets aidés dans le cadre du FUI. Il ne reste plus que les gros – si on y met les PME, c’est pour faire joli ! Pardonnez-moi cette brutalité, mais le sujet me tient véritablement à cœur. Encore une fois, il faut des projets plus petits, qui soient des clubs restreints – trois ou quatre partenaires au plus. Le FUI joue un rôle important, mais dans le sens de la recherche et développement en général, et non de la finalisation. On ne crée donc pas de valeur immédiate.
Il faudrait pouvoir passer du CIR à un crédit impôt innovation – ce qui est assez compliqué avec l’encadrement communautaire des aides d’État à la RDI.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Permettez-moi de vous faire observer que nous avons voté ce crédit d’impôt innovation (CII) dans la loi de finances de 2013.
M. Philippe Choderlos de Laclos. Mais il n’est pas encore entré en application. Ce ne sera d’ailleurs pas facile, car sa mise en œuvre sera contrainte pour les raisons que je vous ai exposées. En outre, la « case » innovation est mal balisée en termes de contrôle. Selon la Cour des comptes, le nombre de contrôles fiscaux est deux fois plus élevé pour le CIR que pour les autres dispositifs, et un contrôle sur deux débouche sur un redressement !
M. Olivier Carré. Ce point a été soulevé il y a quelque temps au sein de la MEC et l’on nous avait alors dit que cela n’était pas le cas !
M. Philippe Choderlos de Laclos. Je peux vous citer mes sources. La Cour des comptes a clairement établi que le « rendement » des contrôles fiscaux sur le CIR était bien supérieur à ce qu’il est ailleurs. Cela n’est pas le fruit d’un acharnement particulier, bien que la fréquence des contrôles sur les entreprises déclarant un CIR soit nettement supérieure à celle des contrôles sur les entreprises qui n’en déclarent pas. Mais en cas de contrôle, les redressements sont fréquents. Si vous envoyez un expert du CNRS dans une PME, vous pouvez être sûr de votre coup !
À trop vouloir établir un système « lisse » préservant la libre concurrence, sans aucun appui aux systèmes innovants, contrairement à ce que fait le monde entier, nous risquons de perdre la guerre de la compétitivité.
Il y a un remède : s’appuyer sur des structures technologiques ad hoc. C’est ce que font les Allemands avec les instituts Fraunhofer. En Allemagne, une entreprise innovante qui a besoin d’appui contracte avec un institut Fraunhofer. Si ce dernier juge le thème intéressant et innovant, il peut adjoindre à l’étude facturée à l’entreprise une étude d’appui, qu’il finance sur ses fonds publics. C’est euro-compatible, puisque la deuxième étude est dite non économique – elle a une portée générale. Elle n’en améliore pas moins largement la capacité d’étude qui se trouve mise au service de l’innovation. Il n’existe rien de tel en France. Les instituts Fraunhofer ont trois fois plus de moyens que le CETIM pour l’innovation : ils déposent donc trois fois plus de brevets que nous ! Donnez-nous des moyens, et nous ferons la même chose !
Le soutien à l’innovation va être transféré aux régions. C’est légitime : c’est à cette échelle que l’on peut accompagner les entreprises dans leurs innovations. Il faut avoir un système en étoile, avec des centres de ressources techniques (CRT), des structures régionales de taille critique – elles sont malheureusement en train de péricliter, sur fond de disparition du FEDER – et une structure nationale. C’est ce que nous faisons au CETIM : nous avons quatre satellites régionaux, et le CTDEC, qui a été mis en relation avec nous. Cela permet de mailler l’innovation et d’assurer une taille critique aux organismes. Il faut veiller à ne pas multiplier les conseils. Nous avons en France, au sein des Agences régionales de l’innovation (ARI), des milliers de « disous » qui viennent prodiguer leurs conseils aux entreprises. Mais des gens qui ne facturent pas leurs prestations peuvent-ils vraiment être crédibles ? Arrêtons d’écouter les « disous », et cultivons plutôt les « faisous » dans les CRT !
M. Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR. Comment aborder la question des coûts de production du point de vue de la normalisation et des outils de démonstration et de conformité à la normalisation qui s’y rattachent ?
Le premier point sur lequel je voudrais insister est la différence entre la norme réglementaire qui interdit, parfois qualifiée à bon droit d’absurde, et la norme volontaire, qui correspond à une pratique volontaire. Pour prendre un exemple simple, l’utilisation de feuilles de papier de format A4 – ou 21/29,7 – découle d’une norme ISO. Certains se souviennent peut-être du format 21/27. Il a été remplacé par le 21/29,7, qui présente l’avantage d’avoir un rapport hauteur sur largeur de racine carrée de 2, et donc de pouvoir être réduit ou agrandi à la photocopie en conservant ses propriétés. Pour votre information, le format A0 correspond à un mètre carré. Autre exemple : le CD ROM est une norme ISO.
AFNOR est donc le membre français des organisations européennes ou internationales en matière de normalisation. Nous travaillons avec un réseau d’intervenants de premier plan, au premier rang desquels opèrent les CTI.
Il y a vingt-cinq ans, les normes sur lesquelles nous travaillions étaient « franco-françaises » : les Français faisaient des normes pour les Français. C’est désormais l’inverse : 90% des normes travaillées avec AFNOR sont des normes d’essence européenne ou internationale.
Je m’intéresserai davantage ici aux normes volontaires : ce sont elles qui font gagner de l’argent. Elles répondent à une logique de réduction des coûts au niveau économique pour les entreprises et à une logique d’optimisation des coûts. Enfin, elles permettent une meilleure valorisation de ces coûts.
Réduction des coûts, car qui dit normalisation dit économies d’échelle, encouragement de la formation des intervenants, c’est-à-dire de ceux qui aident l’entreprise à produire, des jeunes qui entrent dans l’entreprise, des sous-traitants, clients et installateurs… On mesure là les bénéfices liés à une meilleure utilisation de l’information disponible ou à une meilleure exploitation du stock d’informations disponibles. La codification de l’information permet un libre partage de celle-ci. Avec l’effet de halo qui entoure la norme, nous sommes dans une logique d’optimisation des coûts.
Le rapport sur la simplification des mesures administratives dans l’industrie que votre collègue députée Laure de la Raudière a rédigé en 2010, à la demande du précédent gouvernement, a soulevé une question essentielle : comment mieux réglementer ? Vous l’aurez compris, il s’agit ici des normes réglementaires. Nous proposons de faire à l’échelle de notre pays ce que nous faisons déjà à l’échelle européenne : les « nouvelles approches », directives qui fixent des exigences essentielles et qui donnent aux entreprises le souhaitant – ce n’est pas une obligation ; c’est simplement un moyen reconnu – la possibilité de se référer aux normes européennes prises en application de ces directives. Il serait bon de faire de même à l’échelle de la France. Le rapport de la Raudière proposait par exemple que les entreprises ayant fait une démarche de mise en conformité avec la norme ISO 14 001, qui est la norme internationale en matière de systèmes de management de l’environnement, bénéficient d’une présomption de plus grande conformité à la réglementation, et donc d’un allégement des contrôles. Il s’agit de prendre en compte les approches volontaires, afin d’optimiser autant que possible le coût des contrôles subis.
La nouvelle approche à la française pourrait ainsi consister à lancer un défi aux acteurs économiques, les incitant à travailler sur des normes susceptibles d’apporter des réponses, et indiquant que les pouvoirs publics feront confiance aux entreprises qui mettent en place des démarches conformes à ces normes. Il ne s’agit donc pas d’une obligation. Prenons l’exemple du porte-bébé : la norme européenne est le porte-bébé vertical, ce qui n’a pas empêché une entreprise de commercialiser un porte-bébé ventral. L’innovation n’est donc pas entravée, mais ceux qui s’inscrivent dans la logique classique – celle du porte-bébé vertical – sont en mesure de poursuivre.
Nous devons en tout cas avoir conscience que le terrain de jeu est de moins en moins « franco-français ». J’aimerais par exemple attirer votre attention sur les projets de réglementation européens en matière de développement de carburants propres, et notamment le projet de directive sur les infrastructures, qui fait référence à des normes ou à des projets de normes européennes ayant un impact direct sur les entreprises d’origine française impliquées dans la filière. C’est désormais à l’échelle européenne ou internationale que le débat a lieu.
L’optimisation des coûts joue non seulement sur le plan microéconomique, mais aussi sur le plan macroéconomique. Selon les études conduites en 2009 par l’AFNOR et en 2010 et 2011 par ses homologues allemande et britannique, la normalisation contribuerait directement à la croissance de l’économie – en moyenne annuelle, cette contribution s’établirait à 0,8% sur la période 1950-2007. Ce chiffre est intéressant : il montre que tout euro investi dans des travaux de normalisation peut se traduire mécaniquement, grâce à l’effet de halo que j’évoquais à l’instant, par de la croissance.
Mais comme je vous l’ai dit, nous ne sommes pas seuls à jouer. Pour mieux me faire comprendre, je prendrai une comparaison sportive. Imaginons que des équipes jouent au rugby et d’autres au jeu à treize, et que la compétition pour les infrastructures et les terrains oblige à choisir une seule règle du jeu : les équipes qui appliquent l’autre règle seront défavorisées. Nous ne devons donc pas hésiter à défendre nos thèses au plan européen et international. Pour faire un raccourci digne de Boris Vian, je dirais même que pour diminuer les coûts de production en France, il faut sans doute développer l’apprentissage de l’anglais dans notre pays – puisque les négociations se font en anglais. Mieux défendre nos thèses au plan européen et international peut en effet nous permettre d’imposer la règle du jeu que nous sommes habitués à appliquer, que ce soit celle du rugby ou du jeu à treize… Il faut être conscient que même si nous coopérons souvent, nous sommes aussi dans une compétition européenne et internationale.
Pour ce qui est de la normalisation verticale, c’est-à-dire au sein d’un secteur, qu’il s’agisse de la mécanique, de l’électricité ou du bois et de l’ameublement, les choses sont sous contrôle : nous disposons de bons experts capables de défendre une position. L’AFNOR travaille dans de bonnes conditions avec les bureaux de normalisation qui sont ses partenaires. Selon le baromètre international que nous pourrons vous faire parvenir suite à la réunion, nous nous situons juste après les Allemands, mais devant les Américains, pour le ratio rapportant le PIB à des équivalences de prise de responsabilité au plan européen ou international en matière de normalisation. Les États-Unis, qui sont une grande puissance économique, ont une influence moindre au plan normatif.
Les véritables enjeux concernent en fait la normalisation verticale – par exemple en matière de santé, d’infrastructures, de smart grids, de carburants propres… La règle du jeu que nous proposons est ici confrontée à celles que proposent nos voisins. Et si la règle du jeu du voisin s’impose, les coûts microéconomiques de mise en conformité augmenteront nécessairement. Or ce n’est pas parce que nous n’allons pas à l’étranger que les étrangers ne viendront pas sur le marché français… Les normes ayant justement vocation à aplanir un certain nombre de difficultés et à homogénéiser, c’est un point qu’il faut garder à l’esprit.
Je voudrais également insister sur le lien vertueux qui existe entre normalisation, innovation et propriété intellectuelle. Certains disent que la norme tue l’innovation. Non : la norme volontaire est l’amie de l’innovation. Dans certains cas, c’est précisément grâce à la norme que l’innovation va être légitimée. Dans d’autres cas, c’est grâce à la norme que l’innovation va naître. Les chargeurs de téléphones portables, qui font maintenant l’objet d’une normalisation internationale, ont donné l’idée à une entreprise française, spécialisée dans les produits jetables, de travailler sur un système de recharge instantanée qui s’applique non plus à une marque ou à un type de portable, mais à tous les portables, qui suivent désormais la norme.
J’en viens à la relation entre norme et propriété intellectuelle. Deux approches sont ici possibles. La propriété intellectuelle – le fait d’avoir un brevet – vous rend propriétaire exclusif d’une innovation, moyennant quoi vous la remettez dans le domaine public au terme du brevet. C’est l’échange qui a été trouvé par la société : le partage de l’innovation en contrepartie d’un monopole temporaire. La normalisation correspond à l’inverse : tout le monde peut faire ce qui est dans la norme. Lorsque les partenaires travaillent sur des normes au plan européen ou international, si des titulaires de brevets laissent ceux-ci « embarquer » dans la norme, ils doivent s’engager à accorder une licence à tous ceux qui la demanderont. Autrement dit, ils échangent une stratégie « d’épicerie fine » – celle du brevet – contre une stratégie de très grande distribution, en cherchant la valorisation maximale. Imaginons que sur un produit, un institut Fraunhofer ait développé un brevet, qui est embarqué par ce produit, et qu’il y ait quelques centimes d’euro dans chacun des téléphones qui font venir, par exemple, du bluetooth. La propriété intellectuelle a été développée une fois, en partenariat, par exemple, entre un groupe d’entreprises et un institut Fraunhofer ; les Allemands sont capables de faire « embarquer » la norme, et prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent ; d’une certaine manière, ils se transforment en bureau d’études européen ou mondial, et ils sont prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent, sur la base du brevet que leur technologie et leurs moyens d’investissement auront permis de développer. Nous avons là des mécanismes très puissants et très vertueux.
Si nous adoptons une stratégie de montée en gamme, comme le préconise le rapport Gallois, il faut garder à l’esprit que celle-ci passe par la reconnaissance de la différence. On change de terrain de jeu. L’initiative qui a été prise dans le domaine de la construction avec les fiches environnement sécurité, qui permettent de prendre en compte les performances d’un certain nombre de produits, pourrait utilement être transposée à d’autres domaines. Des produits plus efficaces sur le plan énergétique et plus respectueux de l’environnement et du développement durable doivent bénéficier de meilleures conditions d’accès au marché. L’obsolescence programmée revient aussi régulièrement dans le débat : vaut-il mieux un produit qui vaut 100 et a trois années d’espérance de vie, ou un produit qui vaut 80 et qui n’a que deux années d’espérance de vie ? Sur des produits durables, avec le concours de partenaires de premier plan comme les CTI, nous devons être capables de définir des essais normatifs pour des biens durables, et de déterminer une espérance de vie selon les types de produits. Puisque le prix au kilo doit obligatoirement être affiché, pourquoi ne pas imaginer d’afficher un prix à l’année d’espérance de vie ou par rapport à des équivalents au plan environnemental, afin de distinguer l’offre la plus vertueuse ?
AFNOR est prête à apporter son concours à toute initiative qui serait prise sur ces points. Encore une fois, la norme volontaire est l’amie des expérimentations.
Pour conclure, je voudrais vous dire qu’AFNOR a lancé, avec des partenaires régionaux, des travaux qui ont abouti à un accord pré-normatif à l’échelle régionale. Ce document a été instantanément porté à l’ISO. C’était le bon moment : il fallait montrer que nous avions la théorie que nous proposions, mais aussi la pratique, et que nous étions capables de la partager avec nos partenaires au plan international.
M. le président Bernard Accoyer. Je remercie les orateurs pour la qualité de leurs exposés.
Selon les représentants des CTI, le manque de structures de soutien aux PME en mesure de débloquer des aides publiques en faveur de celles-ci pose problème. Les pôles de compétitivité et les pôles technologiques, qui peuvent recevoir le soutien de l’État, des collectivités locales ou de certaines intercommunalités, n’ont-ils pas un rôle à jouer en la matière, à l’instar des structures similaires d’autres pays industriels ?
M. Philippe Choderlos de Laclos. À n’en pas douter, les pôles de compétitivité ont joué un rôle très positif en confortant les collectivités territoriales dans des politiques d’innovation et de R&D, et en rapprochant la recherche et le pôle développement des entreprises.
Cela dit, je constate que de nombreux pôles de compétitivité ont vu le jour alors qu’aucun n’a été supprimé. Avons-nous vraiment les moyens d’une telle pratique ?
De la même manière, des plateformes régionales d’innovation fleurissent, notamment dans le sillage du grand emprunt. On trouve parmi elles le meilleur et le pire…
Les universités ont toujours créé des plateformes pour bénéficier de moyens, ce qui est bien normal. Elles montaient pour ce faire de magnifiques dossiers, pas forcément très crédibles, mais convaincants aux yeux du monde universitaire. Le grand emprunt a bouleversé la donne car la constitution d’une société par actions simplifiée (SAS) et une réelle rentabilité sont désormais exigées. Les universitaires ont donc recruté des consultants spécialisés pour élaborer de nouveaux dossiers et des business plan mirifiques qui, au final, ne tiennent pas compte de la réalité économique. Je crains qu’en région un certain nombre de projets passés au travers des mailles du filet ne soient promis à une mort plus ou moins lointaine et deviennent, en quelque sorte, les subprimes de l’innovation.
Il reste que nous avons besoin de plateformes pour soutenir des collectivités en matière de recherche, d’innovation et d’exploitation dans des bassins d’emplois, mais il faut prendre des précautions, et agir en maillage avec des acteurs nationaux. Le Centre technique des industries mécaniques est actuellement sollicité par une dizaine de plateformes : trois d’entre elles sont légitimes, trois suscitent des interrogations de notre part et demandent une reconfiguration… Quant aux autres, nous sommes tentés de leur servir de la mort-aux-rats.
Les projets existent, une dynamique est à l’œuvre, mais les initiatives sont très nombreuses. L’argent manque ; nous devons être efficaces. Faute de choix judicieux, des structures disparaîtront par manque de fonds alors qu’elles ne le méritent peut-être pas.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Lors de la discussion du dernier projet de loi de finances, nous avions voulu avoir l’assurance que l’extension du crédit d’impôt recherche à l’innovation ne servirait pas à autre chose. Des entreprises pourraient en effet avoir tendance à financer ainsi des dépenses qui, pour être nécessaires, n’en sont pas moins sans rapport réel avec l’innovation, par exemple en matière de marketing. Il faut y prendre garde même si, par rapport aux 4,5 milliards d’euros annuels du crédit impôt recherche, la part de l’innovation reste limitée. Nous avons compris que les CTI sont défavorables aux contrôles a posteriori. Peut-on savoir quel dispositif permettrait selon eux de cibler correctement l’innovation ?
Malgré l’interdiction des aides édictée au niveau européen au nom de la libre concurrence, nous avons tous en tête des exemples de pratiques moins prudes que celles de la France. Je pense à certaines régions espagnoles, et je connais des entreprises ayant eu du mal à se développer en France qui ont été accueillies à bras ouverts par des Länder allemands où elles ont bénéficié d’aides. Avez-vous les uns et les autres un avis sur la façon dont les différents pays européens jouent avec les règles collectives ? Quelles sont les marges de manœuvre ?
Que pensez-vous de la formation initiale dans notre pays ? Qu’en est-il de l’enseignement post-baccalauréat pour la formation des techniciens et des ingénieurs ? Quid de la formation professionnelle ?
Monsieur Olivier Peyrat, vous considérez que la France est plutôt bien placée, derrière l’Allemagne mais devant les États-Unis, dans la compétition de la normalisation. Les chefs d’entreprises que nous avons entendus en semblaient moins convaincus – il est vrai qu’ils comparaient surtout notre pays à l’Allemagne. Comment pouvons-nous mieux défendre les produits français dans les procédures de normalisation ?
Quel est l’impact de fragmentation de la chaîne de production et de la mondialisation de l’économie sur la normalisation ?
La France pourrait-elle, selon vous, mettre en place un réseau aussi puissant que celui de la Fraunhofer-Gesellschaft allemande que vous avez citée à plusieurs reprises ?
M. Christophe Mathieu. Les centres techniques industriels sont agréés au titre du crédit d’impôt recherche. Ils souhaitent jouer un rôle dans le développement du crédit d’impôt innovation, en particulier dans son orientation en faveur des PME françaises.
Nous avons la faiblesse de nous considérer comme l’un des acteurs qui connaît le mieux les petites entreprises des secteurs traditionnels de notre pays. Nous sommes donc prêts à faire le pari du crédit d’impôt innovation.
En matière de formation continue et professionnelle, les CTI travaillent évidemment de façon permanente avec le corps professoral. Il reste essentiel d’instaurer un continuum entre industrie et enseignants.
M. Philippe Choderlos de Laclos. L’enseignement professionnel de la mécanique a souffert de la volonté de recruter des diplômés : cela a conduit à écarter les professionnels connaissant bien leur métier, mais n’ayant pas un bac+5. Des classes ferment faute d’enseignants alors que le secteur devra embaucher 40 000 personnes tous les ans dans les cinq prochaines années – dont 50 % de techniciens et d’ingénieurs.
Certes, la mécanique n’attire pas les jeunes, d’autant que la télévision montre des fermetures d’usines. Il reste que la raréfaction des classes ne facilite pas l’orientation vers ce secteur.
S’agissant de la mécanique, la normalisation s’opère au niveau de l’ISO, organisme au sein duquel les Allemands contrôlent 130 commissions, comme les Américains ; les Français, 70, et les Chinois 45 au lieu de 3 ou 4 il y a cinq ans. Aujourd’hui, ces derniers sont donc candidats à tous les postes ; ils ont compris qu’accéder à la présidence ou au secrétariat d’un comité technique, c’est détenir le pouvoir. Il est clair que nous ne devons pas négliger ce débat.
Dans un premier temps, j’ai été très favorable au crédit d’impôt innovation, mais je suis aujourd’hui très perplexe. Le droit européen crée un environnement contraint ; la latitude d’action des uns et des autres, législateur compris, est donc très faible. En tout état de cause, il faut non seulement utiliser tout le champ ouvert pour l’aide à la recherche, au développement et à l’innovation – ce que le crédit d’impôt recherche n’est pas loin de faire –, mais également diligenter des contrôles efficaces. Ce dernier point ne va pas toujours de soi dans notre système où les contrôleurs négligent de se référer aux intentions du législateur.
En France, trop souvent, dans un premier temps, on ignore les règlements européens, ce qui n’empêche évidemment pas que l’on doive finalement s’y soumettre. Nous persistons dans cette attitude et l’histoire se répète. L’AII – Agence de l’innovation industrielle – a été créé en 2008 dans un contexte de volontarisme industriel français, mais en oubliant les règles européennes qui allaient la rattraper ; aujourd’hui, elle n’existe plus. Les Instituts de recherche technologique qui sont en ce moment dans l’antichambre de Bruxelles ne vont-ils pas subir le même sort ? Pourquoi ne pas avoir regardé les textes européens avant de créer ces structures ambitieuses ?
Le CETIM est actuellement rappelé à l’ordre par l’Union européenne pour avoir aidé, avec des participations supérieures à celles autorisées, plus de 1 000 PME dans le cadre de quatre-vingts programmes annuels d’actions collectives régionales menés depuis 2007. Bruxelles nous a mis en demeure de demander des comptes et des remboursements aux entreprises concernées ! Les bonnes intentions et la bonne volonté ne suffisent donc pas ; il faut anticiper et s’inscrire dans le cadre des règles qui nous contraignent. La leçon commence tout de même un peu à rentrer !
M. Olivier Peyrat. Dans la limite de ses ressources, qui sont très contraintes, l’AFNOR utilise les outils offerts par les technologies de l’information pour mettre à disposition de l’enseignement technique l’ensemble des normes mises à jour, dans des conditions similaires à celles réservées aux entreprises. Nous sommes également prêts à intervenir dans le cadre de la formation continue, même si aujourd’hui nos actions sont plus limitées dans ce domaine.
Pour en venir à l’influence des pays industriels en matière de normes, il est clair que si l’on calculait par pays le rapport entre PIB et nombre de présidences de comité technique et de sous-comité technique de l’ISO, l’Allemagne serait champion toute catégorie, et la France serait bien placée – elle boxe au-dessus de sa catégorie.
Je confirme qu’au-delà du secteur de la mécanique, la Chine prend la main dès qu’elle le peut, et qu’elle joue un rôle de plus en plus important au sein de l’ISO. Nous avons par exemple dû lutter âprement pour confirmer un leadership à deux dans le cadre des réflexions stratégiques énergétiques menées par cet organisme. Cela dit, ce sont nos partenaires et nous préférons travailler avec eux au sein de l’OMC et de l’ISO plutôt que de les voir développer une stratégie à l’américaine.
Comment améliorer la place de la France en matière de normalisation ? En dehors de l’apprentissage de l’anglais, je suggère de ne pas oublier que la normalisation est un processus de long terme. Le travail sur une norme internationale peut prendre trois ou quatre ans ; une intervention politique lors de l’étape finale ne sert à rien car toutes les options ont déjà été discutées. Il faut donc s’impliquer dans la durée en faisant preuve de cohésion et de cohérence. Contrairement à nous, nos amis Allemands savent s’en tenir collectivement et définitivement à une position unique. En interne, ils peuvent avoir des débats extrêmement vigoureux, le sang a pu couler sous la porte, mais une fois que celle-ci s’ouvre, ils font front tous ensemble.
En matière de contrôle des produits et de respect des règlements, l’OMC a clairement préconisé le recours à des normes et à des procédures internationales afin d’empêcher toute contestation – de la même façon que pour lutter contre le dopage, on a opté pour des contrôles par des laboratoires reconnus sur le plan international, travaillant sur la base de normes internationales.
Quel que soit le niveau de fragmentation d’un système de production, la norme finit toujours par s’imposer. Si vous la négligez, d’autres s’en préoccupent pour vous, et pas forcément dans le sens de vos intérêts. L’AFNOR signale aux secteurs concernés les projets en cours, mais personne n’est forcé de participer aux débats.
Je rappelle que la participation aux travaux de normalisation est éligible au crédit d’impôt recherche. Ce travail sur le futur de l’entreprise demande en effet du temps aux patrons ou aux cadres qui ne sont pas présents dans leur PME pendant qu’ils planchent avec l’AFNOR. Nous espérons que ce dispositif permettra de lever cet obstacle.
En Allemagne, mon homologue du Deutsches Institut für Normung (DIN) me l’a confirmé, pour qu’il soit donné suite à un projet de recherche, le critère des débouchés potentiels en matière de normalisation est essentiel. S’il ne satisfait pas à ce critère, un projet devient suspect.
M. Alain Costes, directeur d’AFNOR Normalisation. Environ 20 000 correspondants venant des entreprises participent aux travaux de normalisation, l’AFNOR assurant une fonction de support. Cette participation constitue un réel outil d’intelligence économique pour des entreprises qui rencontrent leurs homologues de tous les pays du monde et sont ainsi mieux à même d’anticiper les innovations et les évolutions du marché.
M. Olivier Peyrat. La normalisation est un réseau social économique.
M. le président Bernard Accoyer. Je remercie à nouveau nos invités pour la richesse de leurs interventions qui nourriront la réflexion des membres de la Mission d’information et de leur rapporteur.
Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande, M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, M. Christof Hennigfeld, ancien président de BBraun France, M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France, M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion du risque cardiaque de Sorin SpA, M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France et M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France
(Séance du jeudi 31 janvier 2013)
M. le président Bernard Accoyer. Mes chers collègues, nous organisons ce matin une table ronde réunissant des entrepreneurs allemands et italiens, que je remercie d’être parmi nous. Je tiens particulièrement à saluer la présence des conseillers économiques de l’ambassade d’Allemagne et de l’ambassade d’Italie.
Je demanderai, d’abord, à chaque personnalité invitée de présenter rapidement son entreprise, puis d’introduire, sous l’angle de son choix, les questions – désormais cruciales – du coût du travail et de la compétitivité dans son pays. Chacun pourrait s’en tenir à une intervention de cinq minutes de façon à laisser le temps aux députés présents de poser des questions.
La France est confrontée à des difficultés économiques que vous connaissez bien en tant que partenaires. Votre analyse nous intéresse donc au plus haut point.
S’agissant de l’Allemagne, qui est leader européen en termes de compétitivité, mesurée notamment à l’aune de son commerce extérieur, une question s’impose d’emblée : quelles sont les recettes du succès allemand ?
Les travaux de la mission ont notamment permis de souligner la politique mise en œuvre dans ce pays en termes de modération des coûts salariaux. Avez-vous le sentiment d’un écart important entre l’Allemagne et ses partenaires européens en la matière ? Qu’en est-il pour le secteur des services ? Quels sont le coût social et le degré d’acceptation des réformes prévues dans le cadre des lois Hartz, qui ont réformé le marché du travail mais qui semblent, à présent, mises en cause.
Quant à l’Italie, les derniers mois ont montré une crédibilité retrouvée de l’économie, le rétablissement de la confiance des marchés et le rebond des investissements étrangers. Mais un redressement complet ne peut évidemment pas intervenir dans un laps de temps si court ; d’autres problèmes demeurent donc, avec une croissance en berne, en raison notamment des hausses d’impôts et des plans sociaux. En votre qualité de dirigeants en France de filiales italiennes, vous avez en quelque sorte une double vision dont vous pouvez nous faire bénéficier. Comme à vos collègues allemands, je vous demanderai votre sentiment sur la nécessité d’une Europe de l’industrie.
M. Guy Maugis, président de Bosch France, président de la chambre de commerce franco-allemande. Bosch appartient à une fondation : l’entreprise n’est donc pas cotée. Son chiffre d’affaires s’est élevé, en 2012, à un peu plus de 52 milliards d’euros. Cette entreprise emploie 305 000 salariés, dont quelque 8 000 en France. Une des forces de Bosch est la recherche et le développement : le groupe a en effet déposé 4 200 brevets en 2012, ce qui fait plus de dix-neuf brevets par jour. L’innovation est du reste une des caractéristiques des entreprises allemandes.
La France et l’Allemagne, bien que voisines, sont des pays très différents dans leur organisation politique – l’Allemagne est un État fédéral où les Länder jouent un rôle majeur -, comme dans l’organisation de l’enseignement ou encore de la recherche. Mais surtout, le consensus national autour de la compétitivité des entreprises est une caractéristique culturelle allemande. Pour les Allemands, l’entreprise est un outil fragile que tous les acteurs doivent contribuer à protéger et à aider, en évitant notamment de freiner son développement. Au contraire, le consensus français porte sur le maintien du pouvoir d’achat. Pour les Français, c’est l’entreprise qui doit être taxée, plus que les particuliers, car ils sont persuadés que si le pouvoir d’achat va bien, l’entreprise ira bien. L’Allemagne et la France sont donc à front renversé puisqu’aux yeux des Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé et de la pérennité de l’entreprise, ainsi que de sa compétitivité, notamment à l’exportation.
Sur les dix dernières années, le coût horaire du travail a connu, en France, une lente dérive qui pèse sur la compétitivité des entreprises – en 2000, le coût du travail était 10 % plus bas en France qu’en Allemagne, mais il est aujourd’hui plus élevé de 10 %. Les usines françaises sont donc 10 % plus chères que les usines allemandes faisant le même produit sur les mêmes machines, ce qui est une vraie préoccupation. Comment, dans ces conditions, expliquer aux dirigeants allemands qu’il faut continuer de produire en France, d’autant que les taux de marge sont de 10 % plus élevés en Allemagne ? Il faut savoir que la taxe en France est fixe – l’entreprise paie d’abord –, alors que l’imposition allemande repose sur une taxe variable : les entreprises paient des taxes en cas de profit, ce qui leur permet, comme le révèlent les études microéconomiques, de prendre plus de risques, d’investir davantage dans la recherche et d’embaucher. Je m’en aperçois au quotidien comme président d’une filiale française d’un groupe allemand. L’écart des coûts de production lié à la structure de la taxation est fondamental pour le dynamisme des entreprises, même si la différence demeure minime en points de PIB.
M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France. Les Allemands hésitent toujours à se présenter comme porteurs d’un modèle spécifique. Nous ne sommes ni donneurs de leçons ni vendeurs de modèles.
Les réformes Hartz ont suscité en France des interrogations, voire de l’irritation. Leur philosophie tient en une phrase : mieux vaut un travail moins payé qu’un chômeur à la maison. Certes, personne ne peut vivre en étant payé trois euros l’heure, mais la société allemande préfère voir l’État apporter un soutien supplémentaire au travail, plutôt que financer intégralement le chômage. C’est un sujet qui mérite réflexion.
Le soutien aux entreprises de taille intermédiaire – ETI – repose, quant à lui, sur les appels d’offre et la transmission familiale.
Enfin, s’agissant de la recherche et du développement, les Allemands pensent « small is beautifull » : notre politique en la matière vise à renforcer les coopérations entre les institutions officielles et les entreprises, en préférant dix projets à cinq millions d’euros à un projet phare à cinquante millions. Les projets auront en effet d’autant plus de chance de réussir qu’ils seront plus proches des besoins du marché.
M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France. Je suis arrivé en France en 1963. J’ai également passé quinze ans aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Mon expérience me permet de dire que les Français regardent surtout vers le marché intérieur alors que les Américains, les Canadiens, les Britanniques ou les Allemands regardent vers l’extérieur, ce que vérifie également l’écart des balances commerciales, notamment françaises et allemandes.
Je représente une société phare du Mittelstand, la société Stihl, leader mondial dans son domaine. Ce qui me frappe, c’est qu’en France, pour évoquer les relations, souvent conflictuelles, au sein des entreprises, on oppose le « patron » au « travailleur », alors qu’en Allemagne, on parle de l’« entrepreneur » et du « collaborateur ». Cette différence sémantique est très importante : en effet, un entrepreneur entreprend un projet et un collaborateur y participe en travaillant aux côtés de l’entrepreneur, alors qu’en France un vrai fossé existe entre le patron et le travailleur.
Une étude réalisée pour le Fonds stratégique d’investissement montre que le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d’entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit. C’est ainsi que la Golf de Volkswagen n’a cessé de changer d’aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente, alors que si l’aspect ou la technologie d’un produit est totalement modifié, le modèle précédent perd toute valeur. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l’évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d’une amélioration continue des projets.
L’étude révèle aussi que l’écosystème du Mittelstand est le fruit d’un héritage historique. On ne saurait donc l’importer tel quel en France. L’histoire du Mittelstand commence bien avant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre d’une législation qui favorisait la transmission des sociétés à l’intérieur des familles grâce à une taxation avantageuse. Les PME ont également bénéficié de relations étroites avec les banques, les sociétés de recherche et les instituts, relations qui ne sont pas réservées aux seuls grands groupes. Le Mittelstand est donc intégré à l’ensemble du tissu industriel et commercial allemand.
M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande. Il n’existe pas, en Allemagne, de mesure phare de soutien à l’industrie ou aux PME : l’écosystème, qui est très régionalisé, en particulier sur le plan financier, repose notamment sur une politique de transfert de technologie et sur un système de formation impliquant directement les entreprises qui décident elles-mêmes du contenu de la formation : celle-ci est alors mise en place par les chambres de commerce et validée a posteriori par l’État. L’initiative part donc de la base vers le sommet, et non l’inverse. De plus, des associations accompagnent au quotidien, dans les régions, les différentes structures. L’entreprise étant au cœur de cet écosystème, sa santé est une préoccupation des salariés eux-mêmes, qui sont prêts à faire des sacrifices pour elle. Ces salariés pensent en termes non pas de confrontation, mais d’intérêt général, et c’est un état d’esprit qui se reflète aussi dans l’autonomie des conventions collectives. Les règles ne sont pas fixées par l’État ; elles sont le fruit d’une entente, parfois, évidemment, après un conflit.
La construction d’un tel système a pris des années. Les deux systèmes français et allemand étant très différents, l’un ne saurait servir de modèle à l’autre. S’il est toujours possible pour la France de s’inspirer du modèle allemand, il convient de rester lucide sur la nature de la société française.
Par ailleurs, les investisseurs allemands ont une image morose de la France. Aussi demeurent-ils dans l’expectative. Leur préoccupation principale, depuis plusieurs années, c’est la flexibilité du marché du travail : or, même si leur jugement doit être révisé à la lumière des accords du 11 janvier, ils croient peu à une flexibilisation du droit du travail français. En dehors même de la question des coûts de production, la France doit donc envoyer un message fort en ce sens pour attirer de nouveaux investisseurs. Sachant que les décisions d’investissement pour les dix prochaines années se prennent à l’heure actuelle, il n’y a pas de temps à perdre !
M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France. La filiale française du groupe Ferrero a cinquante ans. C’est la troisième société du groupe, ce qui est atypique, puisqu’une filiale française d’un groupe international pèse généralement entre 2 % et 3 %. Or Ferrero France pèse entre 12 % et 14 % du groupe. La raison en est simple : le business de Ferrero est très concentré sur la vieille Europe : l’Italie, l’Allemagne et la France représentent quelque 70 % du chiffre d’affaires.
Ferrero est, en France, leader national de la confiserie de chocolat. La filiale emploie 1 200 collaborateurs et possède une usine en Haute-Normandie. Elle fabrique deux produits : Nutella et Kinder Bueno.
Le fait d’être un groupe familial non coté en Bourse est un vrai avantage : en n’étant pas soumis aux pressions des actionnaires, le groupe a en effet le temps de se consacrer à la qualité de ses produits.
Ferrero France bénéficie d’un marché stable du fait que les produits de grande consommation résistent en France, contrairement à l’Italie. Le groupe a investi 40 millions d’euros sur les trois dernières années en France, tant dans l’usine que dans le secteur commercial. Ferrero France continue donc de tenir la comparaison avec les maisons italienne et allemande. L’équilibre est toutefois fragile, parce que le business n’est pas dynamique et que la structure de coût est importante en France. Cette structure repose sur cinq données principales.
S’agissant, tout d’abord, du coût des matières premières, nous souffrons particulièrement de la forte volatilité de la noisette. Or, compte tenu de la loi de modernisation de l’économie, la France est le pays où les hausses de tarifs sont le plus difficilement absorbables. Nous rencontrons des difficultés à adopter en France des tarifs reflétant les hausses des matières premières, si bien que, sur la partie haute de notre compte d’exploitation, le déficit se creuse par rapport à nos deux voisins.
Par ailleurs, le coût du travail, notamment le coût horaire des CDI, est en France plus élevé qu’en Italie de l’ordre de 25 % à 30 %, non seulement parce que le coût du travail est généralement plus cher en France qu’ailleurs, mais également parce que le consommateur français est de plus en plus attiré par des produits issus de sociétés qui auront démontré une vraie responsabilité sociétale. Contrairement aux entreprises italiennes, les entreprises françaises ont ainsi intégré la question sociétale dans leur stratégie, ce qui a un coût.
Le coût de la distribution est également supérieur en France à ce qu’il est en Italie notamment en raison de la loi de modernisation de l’économie. En revanche, nous avons la chance, en France, de bénéficier d’une distribution très concentrée : sept chaînes de distributeurs avec 7 000 points de vente suffisent pour réaliser 85 % de la valeur des produits de grande consommation, alors qu’il en faut 150 000 en Italie. Les logistiques ne sont donc pas les mêmes !
Si le coût de la communication est moins cher en France qu’en Italie, nous avons en revanche besoin d’investir davantage : en effet, un produit comme Kinder nécessite en France un plus grand investissement du fait que c’est dans notre pays un achat d’impulsion, alors que c’est en Italie un achat alimentaire.
Enfin, le taux d’imposition s’élève à 36,1 % en France contre 31,4 % en Italie.
Il conviendrait d’insister lors de la table ronde sur trois points : le coût du travail, la souplesse insuffisante du droit du travail en matière d’activité saisonnière et la pression fiscale, qui est anxiogène. Du reste, la famille Ferrero s’inquiète des débats franco-français, notamment en matière de taxation.
M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA. Bonfiglioli SpA, entreprise familiale ayant plus de cinquante-cinq ans d’existence, a trois divisions : une en Italie, une en Allemagne et une en France depuis 1977.
La filiale française est une PME de quatre-vingts salariés, dont le chiffre d’affaires est de 36 millions d’euros – le groupe emploie 3 300 salariés et fait 700 millions d’euros de chiffre d’affaires. Notre spécialité est la fabrication d’organes de transmission pour l’industrie.
Trois contraintes pèsent quotidiennement sur une PME comme la nôtre.
La première concerne les nombreuses défaillances auxquelles notre secteur doit faire face – dépôts de bilan, redressements judiciaires et liquidations –, et ce avant même l’arrivée à échéance des factures, ce qui est un signe de la mauvaise santé financière et du manque de solvabilité de nos clients. Ces défaillances n’entrent évidemment pas dans le coût du travail. Quelles mesures le législateur pourrait-il adopter pour protéger les fournisseurs ?
Deuxième contrainte : le télétravail, que nous encourageons pour les commerciaux ou certaines tâches administratives, doit être gagnant-gagnant tant pour l’entreprise que pour le collaborateur. Or la loi impose désormais de verser à celui-ci un supplément pour l’utilisation de mètres carrés à son domicile, supplément qui entre dans la déclaration d’impôt de l’intéressé et qui est taxable pour l’entreprise - ce coût s’ajoute au taux horaire.
Troisième point : certains salariés préfèrent percevoir les minima sociaux tout en effectuant, à côté, un travail non déclaré, plutôt que d’être légalement payés au SMIC en travaillant régulièrement au sein d’une entreprise. Ce phénomène a un coût caché, induit et difficilement mesurable, mais néanmoins réel car il entraîne une importante rotation des salariés sur certaines fonctions, au risque d’arrêter la chaîne de production, par exemple lorsqu’il n’y a plus personne pour réceptionner la marchandise ! Les indemnités de chômage ne doivent pas venir concurrencer les bas salaires.
La formation en alternance commence, quant à elle, par donner de bons résultats en France – sur les trois dernières années, sur quatre contrats de formation en alternance, nous avons procédé à trois embauches. C’est une des meilleures filières d’embauche, quasiment inexistante en Italie, contrairement à l’Allemagne, pays champion depuis des années de la formation en alternance.
M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion des troubles du rythme cardiaque de Sorin SpA. Nous attachons une grande importance à cette mission sur les coûts de production en France tant nous sommes convaincus que les technologies médicales de pointe peuvent jouer un rôle décisif dans la croissance du pays, voire dans sa stratégie de réindustrialisation.
Sorin est une ETI dans les technologies médicales de pointe pour les maladies cardio-vasculaires. Le groupe, dont les technologies médicales traitent 1 million de patients chaque année dans quatre-vingts pays, emploie 3 750 collaborateurs par le monde. Notre chiffre d’affaires s’élève à 750 millions d’euros.
Nous sommes présents industriellement en France à travers notre division de gestion des troubles du rythme cardiaque, qui représente un tiers de notre chiffre d’affaires.
Plus des trois quarts des 500 collaborateurs de Sorin France ont des emplois hautement qualifiés – ingénieurs de production, en recherche et développement et en support technique – et plus de 75 % de notre production est exportée aux quatre coins du monde. En 2011, notre groupe a investi 45 millions d’euros en recherche et développement, soit 60 % des dépenses du groupe. Avec une centaine de brevets, nous sommes le quatrième « déposeur » de brevets en France dans le domaine des technologies médicales.
Il faut savoir que 40 % du coût d’un stimulateur cardiaque sont liés à ses composants, 30 % à sa fabrication – ce sont les salaires – et 30 % à la recherche et développement, dont 80 % du coût tiennent aux salaires.
Pour Sorin, le coût du travail est donc la principale composante du coût de production, et la seule variable pour ses choix de localisation. Le coût du travail sur le site de Clamart en France est supérieur de 30 % à celui de Saluggia dans la région de Turin. Deux facteurs expliquent cet écart significatif. D’une part, les salaires italiens sont, à qualification égale, inférieurs de 20 % aux salaires français. D’autre part, les charges sont de l’ordre de 35 % en Italie contre 50 % en France. Certes, des éléments tels que la localisation peuvent moduler la pertinence de ces écarts : une usine en Île-de-France revient plus cher qu’une usine dans le Piémont. Il n’en reste pas moins que les coûts salariaux jouent nettement en défaveur de la France.
Pourquoi, dans ces conditions, le groupe Sorin a-t-il choisi de développer une forte présence industrielle en France ? L’activité que je préside est le résultat d’un rapprochement entre l’italien Sorin et le français Ela Medical, qui a été racheté par Sorin en 2001. En 2009, le groupe a inauguré à Clamart son centre d’excellence mondiale, lequel regroupe toute la production du circuit électronique, la R & D et la direction française de l’activité. Le site de Saluggia a été spécialisé dans l’assemblage final des boîtiers, qui est une activité à plus faible valeur ajoutée.
La raison ayant présidé à ce choix est l’innovation, qui est au cœur de notre activité, puisqu’elle est la valeur essentielle ajoutée à nos produits. C’est sur elle que reposent nos exportations. Or l’environnement en France est, de ce point de vue, très favorable. La rencontre du médecin et de l’ingénieur est en effet, dans notre secteur, au cœur du développement technologique. La France dispose d’un terreau très favorable à la formation d’ingénieurs de haut niveau, ainsi que d’une école de cardiologie de niveau mondial, qui bénéficie d’un enrichissement mutuel entre le privé et le public. En apportant des technologies innovantes, Sorin contribue à maintenir l’école de cardiologie à son plus haut niveau : ainsi, 1 200 patients participent à des études cliniques impliquant vingt-huit CHU et quatre-vingt-quatre centres hospitaliers en France. C’est ce partenariat, existant depuis de nombreuses années, qui explique le renforcement de notre ancrage en France.
Sorin est, par exemple, cofondateur du centre de Rennes qui a mis au point une thérapie de resynchronisation cardiaque, devenue aujourd’hui le standard pour le traitement des insuffisants cardiaques. Nous sommes également partenaires de l’IHU Liryc de Bordeaux.
Nous croyons à la nécessité de mieux structurer la filière des technologies médicales françaises en y participant de façon active. La prise de conscience des pouvoirs publics dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé et l’annonce par le Premier ministre d’une nouvelle réunion du CICS sont de bonnes choses et nous y travaillons activement.
La compétitivité-coût et la compétitivité-hors coût sont deux aspects indissociables de la santé d’une entreprise innovante comme la nôtre. Notre objectif est d’enclencher un cercle vertueux nous assurant des marges de manœuvre financières suffisantes pour investir dans la R & D et gagner de nouvelles parts de marché.
Sorin ne prévoit pas de diminuer sa présence en France, bien au contraire. Toutefois, toute entreprise est amenée à s’interroger régulièrement sur son outil industriel pour tenir compte de l’évolution de la conjoncture, de l’ouverture de nouveaux marchés et des efforts de compétitivité conduits par certains pays. Les facteurs de production d’une entreprise sont aujourd’hui plus mobiles que par le passé.
Plusieurs facteurs peuvent conduire Sorin à conforter son choix d’implantation en France. Il convient de saluer tout d’abord deux mesures fiscales qui contribuent à améliorer la compétitivité des sites français. Le premier est le crédit impôt recherche – il représente pour Sorin 4,5 millions d’euros sur ses 45 millions de dépenses en R & D – ; le second est le crédit d’impôt compétitivité emploi – le seuil de 2,5 SMIC représente 15 % de notre masse salariale en France.
Une mesure fiscale n’entraîne un effet d’aubaine que lorsqu’elle ne peut pas être intégrée à une planification stratégique de long terme. Pour limiter cet effet, la politique fiscale doit donc être simple, prévisible et stable – le crédit impôt recherche est un exemple à suivre.
Une réglementation favorisant l’entrée sur le marché de l’innovation pourrait également conforter l’ancrage de Sorin en France. Il n’est évidemment pas plus question pour notre entreprise que pour les pouvoirs publics de remettre en cause la réglementation relative à la sécurité sanitaire, qui est un impératif absolu, mais dans les secteurs innovants comme les technologies médicales, le temps de l’arrivée sur les marchés est un paramètre-clef, qui peut jouer davantage que le coût du travail. Pour les startup ou les PME il est souvent important d’exister et d’être référencées sur le marché national avant de pouvoir exporter. La capacité de favoriser l’entrée sur le marché intérieur d’une entreprise française est donc un élément primordial.
Il conviendrait enfin de mieux prendre en compte le retour sur investissement à long terme des dépenses de santé dans l’économie nationale. L’objectif de soigner le plus grand nombre possible de personnes au coût le moins élevé est important, mais à la condition qu’à l’intérieur de cet objectif soit posée de manière explicite la question du retour sur investissement dans la réindustrialisation de la France. Les technologies médicales de pointe ont un rôle stratégique à jouer dans le renforcement de la compétitivité industrielle et fiscale de la France.
M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France. Je suis très heureux de participer à cette table ronde, d’autant que le lien entre les économies française et italienne, dans le jeu triangulaire avec l’Allemagne, est souvent mal connu de l’opinion française alors qu’il est très fort, en raison notamment du niveau élevé des investissements français dans l’économie italienne.
De plus, on parle insuffisamment de la coopération industrielle entre nos deux pays bien que, sur les trente dernières années, des projets industriels sans équivalents en Europe aient été signés entre nos deux gouvernements.
L’Italie est très intéressée par le débat français, surtout depuis le pacte de compétitivité ou le récent accord entre les organisations syndicales et patronales.
Il faut savoir que le modèle italien est très lié à la régionalisation de son tissu économique ainsi qu’à l’existence d’un nombre très élevé de très petites entreprises.
Face à la crise de la demande intérieure, les entreprises italiennes ont rebondi sur les marchés internationaux. En 2012, les exportations ont connu une croissance d’autant plus forte que souvent les entreprises italiennes n’ont pas pu avoir accès en Italie même à des financements à des taux acceptables.
Le fonctionnement du marché intérieur européen doit être pris en considération de manière privilégiée pour analyser les relations entre les trois plus grands pays industriels européens que sont la France, l’Allemagne et l’Italie.
M. Laurent Furst. En France, la transmission des entreprises se révèle souvent difficile, en raison du niveau élevé de la fiscalité. Qu’en est-il en Allemagne et en Italie ? Pourrions-nous également avoir des précisions sur le fonctionnement des fondations allemandes ?
Par ailleurs, vos activités économiques ont-elles souffert de l’instabilité du droit français ? Qu’en est-il également du caractère invasif de l’administration française dans la vie des entreprises ? Pouvez-vous mesurer son incidence, moins aisément quantifiable que le coût du travail ou le niveau de la fiscalité ?
M. Michel Lefait. Monsieur Maugis, compte tenu de l’écart des coûts de production entre la France et l’Allemagne, pourquoi les Allemands continuent-ils de produire en France ?
Quant au redressement de la balance commerciale italienne, il ne peut que nous faire rêver. Quelle est la recette, si du moins il en existe une ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Comment analysez-vous les difficultés de l’industrie automobile française ? Si Fiat et Volkswagen se portent mieux, est-ce parce que ces deux industries ont su, contrairement à l’industrie automobile française, faire à temps les bons choix ?
Les succès économiques de l’Allemagne et de l’Italie tiennent-ils notamment à leur politique en matière d’innovation ?
Enfin, le recours, en cas de difficultés, au chômage partiel plutôt qu’aux licenciements est-il une réalité en Allemagne ?
M. Thierry Benoit. Je tiens à saluer la qualité des interventions des deux délégations, qui révèlent deux principaux points communs à l’Italie et à l’Allemagne. Premièrement, dans vos pays respectifs, vous êtes attentifs à ce qui se passe autour de vous et dans le monde : vous abordez naturellement la mondialisation des échanges, la circulation mondiale des biens, des personnes et des capitaux. Deuxièmement, chez vous, les chefs d’entreprise et leurs collaborateurs cherchent ensemble les moyens de rendre l’outil industriel compétitif.
Bien que l’un d’entre vous se soit défendu de pouvoir nous donner des leçons ou des recettes, j’aimerais que vous nous conseilliez sur les trois points suivants. Tout d’abord, il y a chez nous, depuis une bonne dizaine d’années, un débat sur la durée du temps de travail. À mon sens, en choisissant de réduire la durée hebdomadaire du travail, la France a signifié aux collaborateurs des entreprises que le travail était aliénant. Certains d’entre vous ont parlé de flexibilité. De fait, il me semble que nous aurions intérêt à encourager l’entrepreneur et ses collaborateurs à discuter de la durée du travail au sein des entreprises, en les laissant plus libres de le faire.
Ensuite, comment expliquer que notre pays, riche d’atouts, et en premier lieu d’une main-d’œuvre performante parce que courageuse, généreuse et volontaire, soit aussi celui au monde où le pessimisme et le scepticisme se développent le plus ? Le remarquez-vous, vous qui êtes nos voisins ? Comment analysez-vous ce phénomène ?
Enfin, comment comprendre que la France, pays beau et généreux, ait tant de mal à appréhender la mondialisation, perçue par plusieurs catégories de population, mais aussi par certains de nos gouvernants, comme une source d’anxiété plutôt que comme un atout ?
M. Olivier Carré. Je remercie à mon tour les orateurs de leurs propos très instructifs.
Ma première question est conjoncturelle. Votre présence atteste de votre attachement à vos sites français bien que vous apparteniez à des groupes italiens ou allemands. Nous venons hélas d’apprendre la fermeture – prévisible – du site Goodyear d’Amiens. Il y a un an, c’était environ une fois par mois qu’une société « étrangère » – dont le siège est multinational – annonçait ainsi la fermeture d’un site de production français ; aujourd’hui, cela arrive environ une fois par semaine, et nous n’en avons certainement pas terminé. Cette accélération est très préoccupante. Avez-vous, comme vous l’avez suggéré, des difficultés à défendre le site France auprès de vos directions lors des comités stratégiques ? Si tel est le cas, quelles sont les causes de leur inquiétude et quels arguments leur présentez-vous, vous qui êtes de bons ambassadeurs de notre pays ?
Ma seconde question est structurelle. On a beaucoup parlé de la coopération économique au niveau des États en vue de résoudre la crise en Europe. L’Allemagne fait des efforts pour alimenter la demande. Les gouvernements français successifs cherchent, par-delà l’alternance politique, à améliorer notre compétitivité, qui inquiète suffisamment nos amis allemands pour que, selon une rumeur démentie par le principal intéressé – mais il n’y a pas de fumée sans feu –, le ministre fédéral des finances ait commandé un rapport sur le sujet. Quelles mesures attendez-vous des hommes politiques français et de ceux des pays de vos maisons mères pour rendre la gouvernance économique européenne plus cohérente ? Je songe par exemple au débat ouvert depuis au moins deux ans sur l’harmonisation de la fiscalité des entreprises en Europe : au-delà des questions relatives à l’Irlande, l’unification des assiettes, chaque pays restant libre de fixer les taux, faciliterait l’intégration européenne des entreprises.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Pour cette dernière réunion de notre mission d’information avant l’audition de deux ministres prévue en février, nous avons souhaité, ayant entendu des économistes, des chefs d’entreprises français, des représentants des salariés et des journalistes économiques, donner la parole aux représentants de l’industrie européenne, que je remercie chaleureusement d’avoir répondu à notre invitation. Le point de vue extérieur apporté par des entreprises de pays européens proches, avec lesquels nous sommes en relation étroite, est en effet essentiel.
Que pensez-vous de la performance des entreprises françaises à l’exportation, dont vous n’avez guère parlé ? Comment se positionnent-elles dans vos pays respectifs ? En quoi leur tactique se distingue-t-elle de celle que vous employez vous-mêmes sur le territoire français ?
Vous avez plusieurs fois invoqué la nécessité de faire évoluer le marché du travail en France, en matière de droit social et de coût du travail – à propos duquel on emploie d’ailleurs plutôt chez vous, si je ne me trompe, le terme de « prix ». Un accord social a été conclu début janvier. Mais, en la matière, existe-t-il une ligne d’arrivée accessible ou ne s’agit-il que d’une ligne de fuite ? Car si, selon certains d’entre vous, la France est en retard sur l’Italie et sur l’Allemagne, on lit, notamment dans la presse économique française, que les représentants des chefs d’entreprise italiens et allemands voudraient déjà pousser plus loin, dans leurs pays respectifs, la flexibilisation du marché du travail.
Parmi ce qui distingue en particulier l’Allemagne de la France, on cite souvent la pratique sinon de la cogestion, du moins d’un dialogue social poussé, la grande représentativité des syndicats et, par voie de conséquence sans doute, leur audience auprès des chefs d’entreprise. Y a-t-il de ce point de vue, selon vous, une différence notable entre la France, l’Italie et l’Allemagne ? Comment progresser ensemble dans ce domaine ?
Une autre différence réside dans la situation démographique, qui influence l’activité économique puisqu’au-delà du débat sur le financement de la protection sociale, les jeunes générations arrivant sur le marché du travail sont dans nos trois pays moins nombreuses qu’auparavant. Y réfléchissez-vous ? Par ailleurs, la démographie n’est pas sans conséquences sur le prix de l’immobilier, pour les entreprises qui s’implantent comme pour les salariés qui doivent se loger. Y a-t-il de ce point de vue des différences notables entre nos trois pays ? Le fait que les revendications salariales soient plus vives en France qu’en Allemagne contribue-t-il à expliquer les difficultés françaises ?
À propos du Mittelstand, la France paraît en retard du point de vue des relations interentreprises – entre grands groupes et PME, donneurs d’ordre et sous-traitants. Pourriez-vous éclairer les décideurs publics que nous sommes sur les moyens d’améliorer l’organisation des filières ? La manière dont la commande publique – de l’État ou des collectivités locales – favorise sinon les entreprises nationales, du moins celles qui produisent sur le territoire, diffère-t-elle d’un pays à l’autre ?
Enfin, que pensez-vous de la manière dont l’Europe protège son tissu industriel des pays émergents – notamment la Chine, dont on parle beaucoup en France ? Comment développer des stratégies convergentes pour faire renaître des champions européens ?
M. Guy Maugis. En ce qui concerne les fondations, il s’agit d’une formule allemande originale qui permet de loger les actifs de l’entreprise afin d’organiser sa succession, y compris lorsque les enfants ne souhaitent pas en reprendre la gestion. La fondation Robert Bosch, issue de cette démarche, est dédiée à la recherche médicale et au rapprochement entre les peuples. D’autres entreprises familiales allemandes recourent à cette possibilité qui leur offre des avantages fiscaux. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle vertueux dont la France pourrait s’inspirer, notamment pour venir en aide aux nombreuses PME dont les fondateurs parvenus à l’âge de la retraite restent sans successeur.
En ce qui concerne la conjoncture, mon groupe estime que l’heure n’est plus à la crise mais à ce que l’on appelle un new normal, c’est-à-dire une perspective de trois à cinq ans de stagnation des marchés européens. Il nous faut donc nous habituer à vivre dans un monde sans croissance, comme l’a fait le Japon au cours des vingt dernières années. Dans ce contexte peu réjouissant, ceux qui tireront le mieux leur épingle du jeu seront les plus flexibles, les plus agiles et les plus rapides.
Qu’est-ce qui détermine l’attractivité d’un pays ? Comment convaincre son groupe d’investir en France ? Les atouts français sont bien connus : la qualité de la main-d’œuvre, en particulier les ingénieurs disponibles, et la démographie. Au contraire, l’Allemagne peine à recruter, en particulier le Bade-Wurtemberg dans le secteur automobile, où quelque 20 000 postes d’ingénieur sont vacants ; toutefois, nos voisins préfèrent embaucher en Italie et en Espagne plutôt qu’en France, ce qui nous ramène au problème de l’enseignement des langues vivantes dans notre pays et au côté un peu « paysan » des Français, qui préfèrent généralement rester chez eux. Un autre atout est le dynamisme de notre marché intérieur, qui reste le premier d’Europe. N’oublions pas que, dans une vingtaine d’années, il y aura plus de Français que d’Allemands.
En revanche, comme en atteste une étude que nous avons menée avec la chambre de commerce franco-allemande et que nous pourrons vous communiquer, l’attractivité de la France aux yeux de l’Allemagne diminue chaque année depuis six ans. La raison régulièrement invoquée pour l’expliquer est l’imprévisibilité des lois et règlements et l’instabilité qui en résulte. Entreprendre, c’est prendre un risque ; si l’on ajoute au risque de marché le risque fiscal et le risque social, cela fait beaucoup pour l’entrepreneur, qui choisira donc, toutes choses égales par ailleurs, de s’implanter là où la sécurité est maximale. Il lui faut limiter le risque pour pouvoir s’adapter à un à-coup de la conjoncture. Ainsi l’Allemagne a-t-elle pu réduire le temps de travail au sein des entreprises entre 2009 et 2011 pour laisser passer la crise en conservant les qualifications et les compétences ainsi que l’outil de travail, de manière à pouvoir les utiliser au moment de la reprise. Ce raisonnement a également permis de faire accepter la baisse des salaires qui s’est ensuivie.
Le contexte n’est plus le même. En France, on a du mal à s’adapter ; c’est en partie culturel. Voilà qui rebute les investisseurs : pourquoi investiraient-ils ici alors que la rentabilité y est plus faible qu’en Allemagne, qu’ils ne pourront pas s’y adapter à une situation nouvelle et que la fermeture, si le risque industriel a été mal évalué, coûtera aussi cher, voire deux fois plus, que l’investissement initial ? Chez eux, au moins la sécurité est assurée et les règles familières.
En ce qui concerne la commande publique et la solidarité des filières, le Français est individualiste et autonome alors que l’Allemand, dit-on, chasse en meute. Ainsi, quand Volkswagen part en Chine, il emmène tous ses sous-traitants avec lui. C’est aussi un gage de sécurité : bien que très entreprenants et disposés à s’implanter à l’étranger, les Allemands préfèrent, par crainte de l’inconnu, éviter de faire appel à un sous-traitant local. Les grands groupes français n’ont pas joué ce rôle d’ « aspirateur à l’exportation » vis-à-vis des PME. Des changements s’opèrent, mais ils sont progressifs et lents. En outre, la commande publique ne favorise pas la fourniture locale. Mon entreprise étant le premier producteur de panneaux solaires en France, je suis un peu agacé de constater que nos bâtiments publics sont systématiquement couverts de panneaux solaires chinois – qui ne sont pas toujours moins chers, qui sont doublement subventionnés, par le gouvernement chinois et par le nôtre, et qui ne sont guère satisfaisants du point de vue environnemental !
M. Wolfgang Ebbecke. Il a été question de cogestion. En Allemagne, les employés et les ouvriers sont représentés dans les conseils d’administration. En France, l’entrepreneur a toujours peur d’être face à des syndicats « extrêmes ». Le dialogue social diffère beaucoup de l’un de ces deux pays à l’autre. En Allemagne, un seul syndicat négocie face à une association ou un groupe représentant le patronat et chacun peut négocier au sein de sa société suivant ses besoins, car les ouvriers et employés, que la cogestion met au fait de la situation de l’entreprise, parlent et décident en conséquence. En France, les syndicats sont au moins cinq ou six à négocier et se battent entre eux dans l’espoir de gagner les prochaines élections au comité d’entreprise : il est beaucoup plus difficile pour l’employeur de pratiquer la cogestion et d’adapter sa politique à l’intérêt de sa société.
Malgré la démographie, en France, les charges sociales pèsent lourdement sur les entreprises alors qu’en Allemagne, en dépit de la baisse du nombre de cotisants, les caisses de sécurité sociale et les mutuelles sont bénéficiaires, car bien moins de personnes y exigent la gratuité des soins ou une pension de retraite pour laquelle ils n’ont jamais versé un centime. Les charges sociales nuisent à la compétitivité et à la productivité française.
M. Godz Schmidt-Bremme. J’ai été témoin de l’essor du Brésil, où j’étais en poste avant d’être nommé en France. On peut assurément négocier âprement l’ouverture de ces marchés en contrepartie de notre acceptation des produits et services locaux. Mais il serait trop facile d’écarter ces derniers au motif que les standards sociaux et environnementaux en vigueur ne seraient pas satisfaisants. Le Brésil applique à peu près les standards sociaux de l’Europe des années 70 et 80 – du moins dans les régions de l’Estado de São Paulo avec lesquelles nous coopérons : je ne parle pas de l’exploitation des caboclos dans le Nordeste. Ainsi, Mercedes a installé au Brésil son centre de compétences pour les moteurs de moyenne puissance, jusqu’à 400 chevaux. Le pays dispose des technologies aéronautiques et spatiales modernes.
En ce qui concerne la transmission des PME, nous avons introduit avec quelque succès une réduction de l’assiette d’imposition à hauteur de 95 %, voire 100 %, si l’héritier conserve l’entreprise pendant sept ou dix ans.
Troisièmement, la France a en Wolfgang Schäuble un ami francophile et francophone, qui se fait votre ambassadeur dans les discussions menées en Allemagne. En outre, les cinq sages dont on prétend qu’il leur aurait demandé un rapport sont parfaitement indépendants. En revanche, il est exact que la position française inquiète l’Allemagne. L’Allemagne, l’Italie, l’Union européenne ont besoin d’une France forte, économiquement forte.
Rappelons par ailleurs qu’il y a dix ans, l’Allemagne était considérée comme l’homme malade de l’Europe. Cela montre que l’on peut toujours changer la donne : il n’y a aucune raison de céder au pessimisme.
S’agissant enfin de la distinction entre coût et prix, j’ai entendu M. Gallois dire il y a quelques jours que l’Allemagne serait en position de dicter les prix et que la France aurait un problème non de coût mais de prix. J’ai été très impressionné par M. Gallois, mais je ne suis pas d’accord avec lui. Pour la Golf de Volkswagen, on ne peut pas demander le prix que l’on veut ! Passe encore pour les produits de luxe français, mais le prix des produits industriels, pour les Allemands comme pour les autres, est déterminé par le coût, par l’innovation et par le degré d’acceptation du consommateur.
M. Jörn Bousselmi. En ce qui concerne la commande publique, mon président estime qu’en France, on peut soutenir les PME. Toutefois, en Allemagne, on se demanderait non pas comment l’État peut créer de la demande pour les PME, mais comment développer la flexibilité ; il s’agit non pas d’acheter n’importe quel produit, mais d’offrir à l’entreprise la possibilité d’innover pour améliorer celui-ci. L’action publique porte ainsi tout entière sur l’amélioration du produit au travers de programmes d’innovation et de clusters. C’est l’alternative de la politique d’offre et de la politique de demande.
Les mots sont eux aussi révélateurs : là où les Français parlent de « chômage partiel », les Allemands emploient le terme Kurzarbeit – « travail réduit ». De même, les termes de « sous-traitants » et de « fournisseurs » ou de « partenaires » ne sont pas équivalents. Ce sont de petites choses, mais qui contribuent au rôle de la culture d’entreprise dans la société : selon ce point de vue, l’entreprise est dotée d’une dimension sociétale, irréductible à la nécessité pour le capitaliste de redistribuer l’argent qu’il aurait nécessairement pris quelque part.
Parviendra-t-on un jour à résorber l’écart ? Cette question ne se pose pas en Allemagne : pour nous, la globalisation et la concurrence sont telles qu’il ne peut y avoir de ligne d’arrivée mais seulement une course perpétuelle, qui oblige à se remettre chaque jour en question.
Du fait de sa démographie, l’Allemagne est obligée de s’appuyer sur un marché intégré de travailleurs caractérisé par une forte mobilité en Europe. Ce qui pose le problème de l’homologation de la formation professionnelle et de sa reconnaissance partout en Europe. Cette mobilité nécessaire pourrait être un atout pour la France étant donné le taux élevé de chômage de ses jeunes. Nous devrions partager le travail et la main-d’œuvre au lieu de vivre chacun de notre côté : c’est cela, l’Europe !
M. Wolfgang Ebbecke. Cela suppose que Bruxelles œuvre davantage pour la reconnaissance mutuelle des formations et des titres.
M. le président Bernard Accoyer. En effet. Or, jusqu’à présent, on a forgé une Europe de consommateurs plutôt que de producteurs. Nous devrons d’ailleurs prendre garde à ce qui adviendra de la politique agricole commune, dans la mesure où l’industrie est partenaire de ce volet essentiel de notre économie qui nourrit les Européens.
Monsieur Bousselmi, votre approche sémantique est très intéressante.
M. Frédéric Thil. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’on a changé de paradigme. En France, nous avons perdu en agilité et en flexibilité au cours des dernières années et notre moral est au plus bas, ce que les Italiens ont du mal à comprendre étant donné nos résultats macroéconomiques et au sein de ma société : ils sont frappés du décalage entre les résultats établis par des algorithmes financiers et notre propre perception.
J’ai également le sentiment que nous ne travaillons plus assez ensemble. En Italie, les liens sont bien plus étroits entre les parlementaires qui font la loi et le monde de l’industrie. Basés à Rouen, nous constatons un manque d’attractivité de la région, qui résulte de la proximité de Paris : nous avons du mal à faire venir des talents en Haute-Normandie. Or nous ne parvenons pas à travailler au niveau local avec le législateur et d’autres sociétés pour résoudre ce problème. Les Italiens réussissent mieux que nous dans ce domaine. Au lieu de faire de même, nous subissons individuellement les injonctions gouvernementales relatives au handicap, aux seniors, aux stagiaires, etc., et nous n’osons pas agir de peur des taxes afférentes.
Le coût du travail est plus élevé pour Ferrero France qu’en Italie ; en revanche, le prix est compétitif car nous disposons d’un véritable savoir-faire que nous nous efforçons de développer. Lorsque l’on parle de compétitivité, on invoque le coût, mais il faudrait aussi tenir compte de la valeur du travail. Nous avons 1 200 salariés qui travaillent en moyenne trente-cinq heures par semaine, ce qui équivaut à quelque 40 000 heures de travail hebdomadaire. Pour améliorer notre compétitivité et notre attractivité, mieux vaudrait chercher à optimiser la valeur de ces 40 000 heures plutôt que de se livrer à des calculs complexes sur les charges.
Nos consommateurs sont français mais nos clients sont internationaux, et ils font pression sur les prix. Ce qui nous renvoie à la LME. Pour notre part, nous nous intéressons plus au pouvoir d’achat qu’à l’effet de la volatilité des matières premières sur l’équilibre de notre compte d’exploitation.
Dans notre cas, la saisonnalité est très marquée : nous transportons quatre fois plus de marchandises au moment de Noël et de Pâques que le reste de l’année. Il nous serait donc utile de pouvoir recourir à des CDI de quelques mois, éventuellement cumulables avec d’autres sociétés – ce qui nous obligerait à travailler ensemble au niveau local.
En ce qui concerne la pression fiscale, la famille Ferrero est inquiète car on assiste en France à des débats anxiogènes, qu’il s’agisse de la taxe sur la bière, de l’amendement dit Nutella ou des profits nutritionnels. Or ces débats sont franco-français. Il n’est pas facile de faire comprendre à un groupe international, a fortiori italien, que l’huile de palme pose un problème crucial. En outre, l’année dernière, une fois l’impôt prélevé, il n’est rien resté des 10 millions d’euros de résultats supplémentaires que Ferrero France avait obtenus. Il est possible de l’expliquer à la famille en faisant valoir les textes législatifs en vigueur, mais cette situation sera difficile à supporter à long terme.
M. Gilbert Khawam. Je ne travaillais pas en France lorsque la loi sur les trente-cinq heures est entrée en vigueur, et j’ai pu mesurer ce qu’elle a changé. La loi elle-même n’est pas en cause, ni la négociation au sein de l’entreprise en fonction des contraintes, qui est une bonne chose. Le problème, si vous me permettez une formulation quelque peu provocatrice, est que l’on a créé une ou deux générations de jeunes pour qui le salaire rétribue le fait de venir au travail et à qui il n’est pas question de demander en plus de travailler…
L’intérêt du site France est indéniable : la France présente beaucoup d’avantages. Si l’on compare les coûts de production en France et en Italie, l’on constate que le salaire net est sensiblement le même, à ceci près qu’en France, il est imposable alors qu’en Italie l’impôt est prélevé à la source.
Quant à la capacité à exporter, il suffit pour la mesurer d’observer, dans les salons internationaux, le nombre d’entreprises allemandes, mais aussi italiennes, qui se regroupent. Je l’ai constaté au sein de mon groupe, les Italiens, même lorsqu’ils investissent en Chine ou en Inde, appliquent intuitivement une sorte de préférence nationale en travaillant avec des entreprises italiennes, même si ce phénomène est moins marqué qu’en Allemagne. Les entreprises françaises ne me paraissent guère pratiquer ce type de portage, mais il faudrait interroger sur ce point de grandes entreprises comme Total ou L’Oréal. Pourquoi les Italiens sont-ils actifs à l’exportation ? Parce que nombre d’entreprises italiennes sont de petites entreprises familiales qui, pour se développer, se tournent vers l’export puisque le marché italien est très concurrentiel et trop réduit. Cela ne leur coûte pas très cher au début ; elles travaillent beaucoup avec les chambres de commerce des pays où elles comptent investir.
Comment protéger l’industrie européenne ? Un moyen le permettait jusqu’à présent : la norme. Il sera désormais de moins en moins utilisé, du fait de l’influence des non-Européens, de plus en plus nombreux au sein des associations et organismes normatifs.
M. Stefano di Lullo. Je concentrerai mon propos sur les exportations, qui sont cruciales, car d’elles dépend la richesse d’un pays. Nous devons faire face sur le marché mondial à la concurrence de géants américains dont la capacité à exporter prend appui sur un marché local substantiel. Toute société qui cherche à développer un marché d’exportation devrait ainsi avoir à l’esprit le rôle de tremplin que peut jouer le marché local.
Par ailleurs, du moins en ce qui concerne les technologies médicales, la volonté des pouvoirs publics est essentielle pour créer une filière stratégique par-delà la tendance française à l’individualisme, ce qui nourrit la force de frappe et développe la capacité à exporter.
Permettez-moi enfin de vous faire part d’une anecdote. Notre activité d’exportation très développée me conduit souvent à voyager, notamment en Asie, et à travailler sur place avec les ambassades de France et d’Italie, ce qui m’a permis de constater une différence de culture. L’ambassadeur d’Italie et son équipe sont tout disposés à nous aider à nous installer dans un pays étranger. Nous organisons dans quelques jours au Japon une réception de 300 cardiologues japonais ; alors qu’il nous a été difficile d’obtenir de l’aide de l’ambassade de France, du côté italien tout était réglé en une vingtaine de minutes. Ce type de geste, comme d’autres, ne coûterait rien à l’État, mais révèle un certain état d’esprit dont les industriels pourraient tirer profit.
M. le président Bernard Accoyer. Merci de votre sincérité et de la rigueur de vos analyses, qui nous seront très utiles. Elles confirment que la situation exige d’aller beaucoup plus loin, plus vite, plus fort.
Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif
(Séance du jeudi 14 février 2013)
M. le président Bernard Accoyer. Monsieur le Ministre, soyez le bienvenu au sein de notre mission, dont l’objet constitue un enjeu majeur pour la compétitivité de nos entreprises. Nous arrivons au terme de nos travaux ; il était donc essentiel de vous entendre, tant l’industrie a été au cœur de nos auditions. Celles-ci ont révélé la gravité de la situation : la quasi-totalité des personnes que nous avons entendues nous ont fait part de leurs inquiétudes s’agissant des coûts de production en France et de la compétitivité de notre pays, pour des raisons qui seront détaillées dans le rapport. Le phénomène qui résume peut-être le mieux cette dégradation, observée depuis une bonne dizaine d’années, est l’écrasement des marges, lequel empêche les entreprises françaises de développer des programmes de recherche et d’innovation. De leur côté, les grands groupes et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui ont des débouchés dans les zones à forte croissance, notamment en Asie, résistent voire même progressent. Le coût de la production en France est donc un problème spécifique, en premier lieu pour les entreprises qui en sont dépendantes.
Dans ce contexte, nous attendions votre audition avec impatience et espérons qu’elle fera avancer notre réflexion.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les travaux de votre mission, que je remercie de son invitation, illustrent l’engagement fort de la représentation nationale au service de la reconstruction de notre appareil industriel que le Gouvernement, avec le rapport Gallois et le Pacte de compétitivité, a placé au centre du débat public et de son action. L’enjeu à plus court terme consiste à sauver des outils, des savoir-faire et des entreprises : ce travail difficile, qui m’a été confié, donne tout de même des résultats. Notre stratégie est similaire à celle suivie par l’Allemagne en 2008 et 2009. Nonobstant des chutes significatives dans les carnets de commandes, le système en vigueur outre-Rhin a permis de maintenir les outils en état de marche, de suspendre les contrats de travail grâce au chômage partiel et d’éviter la destruction d’entreprises. La France, où subsiste un penchant pour les licenciements et les démantèlements, n’a pas fait les mêmes choix. Notre stratégie de court terme, décentralisée, relève donc du « cas par cas »; nous la menons en attendant le redémarrage de l’économie de la zone euro, pour l’instant en panne : dix pays sur dix-sept sont en récession, la France y entrant et l’Allemagne n’en étant plus très loin.
Les coûts de production incluent les prix du travail, de l’énergie et du capital, sans oublier le facteur décisif du taux de change.
S’agissant du coût du travail, les comparaisons se focalisent sur l’Allemagne car ce pays est notre principal concurrent ; or, de 2000 à 2010, les coûts de production de l’industrie manufacturière s’y sont stabilisés alors que les nôtres augmentaient de 5 %.
Le coût n’est évidemment pas le seul facteur de compétitivité : celle-ci tient aussi à la qualité et à la montée en gamme des produits. L’économiste Michel Aglietta définit la compétitivité comme la capacité, pour une nation, à vendre son travail le plus cher possible. On peut vendre très cher un produit de valeur moindre, qui, s’il n’exaltait l’imaginaire ou le beau, selon les critères de ces artistes des temps modernes que sont les designers, ne se vendrait guère. Ces capacités créatives, ces atouts « hors coût » expliquent d’ailleurs la résistance de l’économie française, en dépit de ses difficultés et de la cruauté de la concurrence au sein même de la zone euro. Rappelons aussi que le coût du travail, dans le secteur des services marchands, a augmenté de 25 % en France, alors qu’il s’est stabilisé en Allemagne. Ces différents chiffres tiennent compte de la productivité, même si celle des travailleurs français est l’une des plus élevée d’Europe.
L’écart se creuse en raison du dumping des pays d’Europe du Sud, à commencer par l’Espagne et l’Italie, qui, pour remettre en ordre leurs comptes publics, ont adopté des mesures de déflation, lesquelles ont encore intensifié la compétition entre pays de la zone euro. Elles montrent aussi à quel point la question du coût du travail est devenue centrale. L’accord signé par la direction de Renault en Espagne prouve d’ailleurs que le groupe a opté, dans ce pays, pour la baisse des salaires alors qu’il se borne à les geler en France.
Le Gouvernement a donc pris le taureau par les cornes avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), lequel revient, pour la nation, à financer une diminution du coût du travail de 20 milliards d’euros en deux ans, de sorte qu’en 2014, la baisse des salaires inférieurs à 2,5 SMIC aura atteint 6 %. Les effets attendus sont un gain de croissance de 0,5 % et la création de 300 000 emplois, bien que ces chiffres soient contestés et, par nature, contestables. Reste que l’essentiel est de porter remède à la dégradation des marges des entreprises de toutes tailles qui opèrent sur le marché national, et, ce faisant, de diriger des ressources supplémentaires vers l’investissement.
Le débat sur le coût de l’énergie, ouvert dans le cadre de la conférence environnementale, offre des entrées multiples. Le premier enjeu est la souveraineté énergétique et la dépendance aux hydrocarbures – d’autant que la facture, en ce domaine, n’a jamais été aussi élevée –, sans parler de la dépendance géopolitique à l’égard des pays qui font les prix. Les énergies fossiles représentent 76 % du bouquet énergétique, contre 24 % pour l’électricité. Le prix d’accès à l’énergie est bien entendu un élément clé pour les industries électro-intensives soumises à la concurrence européenne et mondiale. L’électricité française présente le double avantage d’être sobre en carbone et peu coûteuse – puisqu’elle est 25 % moins chère que la moyenne européenne – en raison de son origine nucléaire, dont elle provient à 78 %, les autres sources étant l’hydroélectricité pour 10 %, l’éolien pour 2 %, le photovoltaïque pour 0,5 % et le thermique pour 10 %. Défendons, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, cet avantage compétitif que constitue le tarif de l’électricité, même s’il faudra financer l’évolution du « mix » énergétique et le développement des énergies renouvelables. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’opposer transition écologique et compétitivité des entreprises françaises : les stratégies peuvent être gagnantes et complémentaires.
Comme je l’ai indiqué hier à Mme Bonneton lors des questions au Gouvernement, en vingt ans, dix-neuf sites de production d’aluminium primaire ont fermé en France, soit une capacité de production de 1 million de tonnes, et la filière, qui a perdu 23 % de ses emplois en cinq ans, ne compte plus que 11 000 salariés. Rio Tinto Alcan, qui a racheté notre industrie via une OPA agressive et fait disparaître Péchiney en 2004, a aussi décidé de fermer le site de Saint-Jean-de-Maurienne, si bien qu’il ne subsiste que deux sites sur notre sol. L’électricité représente 40 % des coûts de l’aluminium ; or le mégawattheure coûte 10 euros de plus en Europe que dans le reste du monde. Toutes les grandes productions électro-intensives migrent donc, non en Asie, mais plutôt en Russie, au Canada et en Australie, pays comparables au nôtre au regard de la compétitivité, et qui ont eu l’intelligence de créer des conditions favorables pour ces industries. À nous de faire de même en négociant avec Bruxelles, afin de permettre à l’Europe de se ressaisir au lieu de détruire sa propre industrie par une politique énergétique contraire à ses intérêts et favorable aux délocalisations : c’est le sens des arguments que j’ai défendus, avant-hier, auprès des commissaires Antonio Tajani et Connie Hedegaard. Notre position ne consiste pas à défendre une réduction des standards européens en matière d’émission de CO2, mais à imposer au reste du monde de s’aligner sur eux car, en ce domaine, de deux choses l’une : soit l’Europe opte pour la dérégulation en son sein, comme pour l’acier ; soit elle oblige les pays qui exportent sur ses marchés à acquitter une taxe carbone aux frontières. Il convient de relancer cette idée, car nous ne pouvons pas accepter que l’Union inflige une telle taxe à ses propres industries et en exempte les autres. Les règles du jeu doivent s’équilibrer, car la mondialisation est aujourd’hui déloyale. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de défendre, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, un prix de l’électricité compétitif pour nos industries électro-intensives.
Le coût du financement fait lui aussi l’objet d’une compétition. Par sa cupidité excessive, dénoncée notamment par les prix Nobel Paul Krugman et Joseph Stiglitz, le système financier détruit des outils industriels rentables pour servir ses intérêts immédiats. Pour le contrecarrer, le Gouvernement a fait le choix de créer un système de concurrence, avec la Banque publique d’investissement (BPI), moins gourmande et plus patiente. Tout l’enjeu, pour cette banque, sera d’offrir une véritable alternative sans tomber dans les affres du Crédit Lyonnais, qui distribuait les crédits comme des subventions : elle devra définir une doctrine d’intervention que mon ministère est en train d’élaborer avec M. Dufourcq, futur directeur général de l’établissement.
La question du financement conduit aussi à poser celle de notre taux d’épargne, atout encore trop peu utilisé au profit de notre industrie manufacturière comme de l’ensemble de nos entreprises, vers lesquelles ne se dirigent que 4 à 10 % des 1 300 milliards d’euros d’encours de l’assurance-vie. La mission de Mme Karine Berger et de M. Dominique Lefebvre permettra de dégager des orientations en ce domaine : notre épargne ne doit pas seulement financer la dette publique des pays de la zone euro, mais aussi l’économie réelle.
J’en viens, pour conclure, au taux de change, que nos grands concurrents utilisent comme une arme économique à travers des dévaluations compétitives, qu’il s’agisse de la Banque d’Angleterre, de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale chinoise, et maintenant de celle du Japon. Ces politiques placent l’euro dans une situation délicate – sur laquelle le Gouvernement s’est exprimé –, mais aussi l’économie française et l’économie européenne dans son ensemble. Une dépréciation de l’euro de 10 % se traduirait au bout d’un an, pour la France, par un gain de croissance de 0,5 % et la création de 30 000 emplois ; à l’inverse, une appréciation de 10 % représente un manque à gagner de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires pour EADS et réduit à néant les effets du CICE, c’est-à-dire l’effort de 20 milliards consenti par la nation. Bref, nous devions réagir, comme nous l’avons fait au sein de l’Eurogroupe. L’euro, faut-il le rappeler, s’est apprécié de 30 % par rapport au yen depuis le 1er août 2012 et de 11 % par rapport au dollar. Le Président de la République a récemment déclaré qu’il ne devait pas fluctuer au gré des marchés : les parités ne peuvent être utilisées à des fins commerciales. Si nos concurrents mondiaux l’utilisent, il nous faudra, au nom de la réciprocité, faire de même.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Le taux de marge de nos entreprises, l’un des plus faibles d’Europe, freine leur développement et leurs investissements, alors que l’Allemagne, de son côté, a réussi à mettre en place un écosystème performant avec les pays d’Europe de l’Est. Les deux grandes entreprises automobiles françaises qui se sont implantées dans ces pays l’ont plutôt fait dans une optique de délocalisation que d’organisation de la filière. De ce point de vue, les « co-localisations » avec les pays du Maghreb s’inscrivent-elles dans un rapport gagnant-gagnant ?
Le texte dont nous débattons actuellement dans l’hémicycle intéresse aussi le coût du capital. Si on laisse de côté le problème majeur des paradis fiscaux, l’impact des règles prudentielles de Bâle III, mises en place après la crise de 2008, sur l’accès au crédit a été perçu différemment par les entreprises et les banques. Le credit crunch traduit-il une excessive frilosité de nos banques ? La création de filiales dans les paradis fiscaux ne contribue-t-elle pas à cette frilosité ?
Les chefs d’entreprise français, italiens et allemands, mais aussi les organisations professionnelles d’employeurs nous ont interpellés sur les conditions de transmission des entreprises, plus favorables en Allemagne qu’en France, malgré le pacte Dutreil.
La stratégie de filière revêt également une importance particulière. Les grands groupes allemands emmènent avec eux des sous-traitants pour gagner des marchés à l’exportation, ce que les entreprises françaises, jusqu’à présent, ne savent pas faire.
Le CICE est applicable aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC, alors que le rapport Gallois préconisait de fixer ce seuil à 3,5 SMIC. Pour des catégories comme les ingénieurs ou les techniciens diplômés, dont les salaires, en début ou milieu de carrière, sont souvent compris entre ces deux limites, le dispositif en Allemagne est plus avantageux. Ne pourrait-on élargir les aides à ces salariés, très minoritaires puisque 90 % des salaires, dans le secteur industriel, sont inférieurs à 2,5 SMIC ?
Cette question peut être mise en parallèle avec le récent discours de Barack Obama sur l’état de l’Union, dont la coïncidence avec le débat sur le budget européen est intéressante : le Président américain préconise en effet une politique de relance par la demande et des investissements considérables en faveur de la recherche-développement et de l’innovation. En plus de la relance par l’offre, objet du pacte de compétitivité, ne peut-on aussi, au niveau européen, envisager une relance par la demande ?
Je viens également, monsieur le ministre, de m’entretenir de la formation professionnelle avec votre collègue Thierry Repentin. Sur ce sujet, évoqué plusieurs fois au cours de nos auditions, les représentants des salariés comme des employeurs nous ont donné des réponses souvent évasives. Les sommes en jeu, pourtant considérables, devraient servir en priorité à notre système productif et soutenir sa compétitivité. Le Gouvernement compte-t-il avancer sur ce sujet, et, si oui, dans quels délais ?
Beaucoup de chefs d’entreprise nous ont par ailleurs alertés sur le non-respect, malgré la loi de modernisation de l’économie (LME), des délais de paiement qui grèvent leur trésorerie. Ne faudrait-il pas réduire ces délais à quarante jours ? Comment lutter contre les mauvais payeurs ?
Enfin, beaucoup de nos entreprises ont du mal à accéder à la commande publique, et même à la commande des grands groupes dans le cadre de la sous-traitance.
M. Jean Grellier. Le club « Produire en France », qui s’est réuni ici même cette semaine, a lui aussi évoqué le problème de l’accès aux marchés publics, problème qui, dans notre pays, est autant culturel que réglementaire : de fait, les entreprises françaises n’utilisent pas toutes les possibilités offertes par le code des marchés publics. La sécurisation de la production sur notre sol redonnerait pourtant des marges de manœuvre à nos entreprises, même si le problème de leur compétitivité est évidemment plus vaste.
S’agissant de la politique de filière, des outils tels que les Centres techniques industriels (CTI) ou encore le Conseil national de l’industrie sont sans doute trop peu connus des entrepreneurs.
Enfin, outre le Médiateur du crédit et le Médiateur des relations « inter-entreprises », il existe un Médiateur des marchés publics. Quel bilan peut-on faire de ces institutions ? Comment renforcer leur action auprès des entreprises et sur les territoires ?
Mme Michèle Bonneton. J’approuve la plupart des propos que nous venons d’entendre. Retenons tout de même quelques éléments positifs, à commencer par la productivité des salariés français, l’une des meilleures au monde, et les investissements étrangers, dont le niveau reste élevé par comparaison avec les autres pays européens : cela montre que les coûts de production sont maîtrisés ou, à tout le moins, qu’ils ne constituent pas un obstacle pour ces investissements.
Reste que, d’après une étude récente des professionnels de la machine-outil, l’outil de production français, dont la moyenne d’âge est de dix-neuf ans – contre dix en Italie et neuf en Allemagne –, accuse un retard important en termes d’investissements. Cette situation tient sans doute aux difficultés de financement des entreprises, liées notamment à la diminution de leur capacité d’autofinancement. La BPI, dont elles disent attendre beaucoup, sera-t-elle en mesure de répondre à leurs attentes, ou faut-il intervenir dans les plus brefs délais auprès du système bancaire ?
Je ne reviens pas sur l’innovation et la recherche de qualité, qui comptent aussi beaucoup. À cet égard, les entreprises apprécient beaucoup le crédit d’impôt recherche, qui a été reconduit.
La formation professionnelle semble réservée aux salariés qui sont déjà les plus qualifiés ; pour les autres, l’offre n’apparaît guère adaptée. La décentralisation régionale sera-t-elle suffisante ? Je crains fort qu’elle ne fasse passer la formation professionnelle dans les mains du privé : loin de moi l’idée de proscrire les partenariats public-privé en ce domaine, mais un fort engagement du secteur public me semble nécessaire.
Quant à l’énergie nucléaire, n’oublions pas ses « coûts cachés ». Une récente étude a ainsi montré qu’un accident sur un seul réacteur coûterait à la France 430 milliards d’euros, soit deux fois le coût de l’ensemble de notre parc. Et la facture provisoire de Tchernobyl se monte déjà à 1 000 milliards d’euros.
Si le coût des matières premières ne représente qu’une faible part du prix du produit fini, les marges brutes de certaines entreprises en ce domaine ne laissent pas de m’étonner : sur les minerais, elles atteignent par exemple 40 %, voire davantage, pour Rio Tinto. N’est-il pas urgent de réduire la consommation d’énergie et de matières premières en favorisant le recyclage et en innovant dans les processus de fabrication, selon le modèle de l’économie circulaire ?
S’agissant du coût du travail, rappelons que l’Europe est le principal marché pour nos entreprises : si les salaires européens faiblissent, la consommation risque de diminuer dans des proportions encore plus importantes qu’aujourd’hui.
Enfin, à l’international, pourquoi ne pas appliquer le principe du juste échange, fondé sur la réciprocité ou des critères sociaux et environnementaux ? L’Europe constitue l’ensemble le plus ouvert au monde : un rééquilibrage passerait sans doute par l’instauration de différentes barrières à ses frontières.
M. le ministre. Je remercie votre rapporteur Daniel Goldberg et l’ensemble des parlementaires engagés dans la cause du redressement industriel de notre pays. Si nous partageons les diagnostics, nous essayons aussi de partager les solutions. En ce sens, mon ministère est un ministère de l’unité nationale : il organise la coopération collective. Cadres, ouvriers, ingénieurs et dirigeants travaillent de concert, et nous nous efforçons de les convaincre de la justesse de nos orientations. Le combat du « made in France » consiste à faire prendre conscience à la société tout entière que la disparition de la production sur notre sol reviendrait à aliéner notre culture, notre identité, en un mot notre souveraineté : celui qui ne produit plus se met dans la main de celui qui produit. Une telle dépendance nous conduirait à l’appauvrissement. Comment, dès lors, financer notre modèle social, nos dépenses militaires, nos services publics ou notre réseau diplomatique ?
Or, force est de constater que la crise a produit des dégâts incommensurables. La prise de conscience concerne donc les consommateurs comme les producteurs. La responsabilité des premiers, liée à leur pouvoir d’achat, est pour cette raison très modeste, mais elle existe : tout consommateur doit réfléchir aux conséquences de ses actes. C’est le sens du marketing patriotique que j’encourage partout, à commencer chez les grands distributeurs. Les enseignes Intermarché et Leclerc vont ainsi estampiller leurs produits français par des drapeaux tricolores, et je demande à la grande distribution de favoriser les produits fabriqués en France. Selon la dernière enquête consacrée au sujet, le « made in France » est un critère d’achat primordial pour 78 % des Français, qui demandent seulement une information transparente; d’où le rôle essentiel des commerçants et distributeurs.
La question, au demeurant, se pose aussi pour les producteurs. Rappelons au passage que 18 % du PIB européen provient de la commande publique, laquelle est entièrement ouverte en France et entièrement fermée aux États-Unis, où le Buy American Act oblige les entreprises candidates à être installées sur le sol américain. Cet exemple montre que le principe de réciprocité est encore loin des préoccupations de la Commission européenne : en ce domaine, la bataille ne fait que commencer.
D’une manière générale, nous travaillons à une stratégie de relocalisation des activités productives. La France, ne l’oublions pas, dispose d’atouts importants : avec 678 projets d’implantation industrielle en 2012 – soit 13 par semaine –, elle est, sur ce plan, la première destination en Europe, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Dans la plupart des cas, toutefois, ces projets concernent des extensions de groupes déjà présents sur notre sol : nous démarchons donc des entreprises et des filières qui ne le sont pas encore, avec l’objectif de porter le nombre de projets d’implantation à 1 000 par an. Le Pacte de compétitivité et le CICE commencent d’ailleurs à peser dans les arbitrages que les multinationales font entre les pays européens. Je vous communiquerai les éléments de la campagne mondiale « Say Oui to France », que Mmes Fleur Pellerin, Nicole Bricq et moi avons lancée. Les arguments, que j’invite les parlementaires à relayer, ne sont pas minces. Selon une récente étude du cabinet KPMG, les coûts d’implantation sur notre sol sont dans le « top cinq » mondial : le foncier y est bon marché et, si le coût du travail est plus élevé, il est compensé par une énergie moins chère. Et j’appelle votre attention sur ce point.
Vous évoquiez, Madame Bonneton, les coûts cachés du nucléaire, mais le démantèlement d’une centrale en fin de vie crée surtout, dans un premier temps, des emplois de maître-chien autour du mausolée : le démantèlement lui-même intervient beaucoup plus tard. Nous avons plutôt intérêt à rénover nos centrales pour les maintenir en activité le plus longtemps possible : sans la rente qu’elles offrent, nous ne pourrons pas financer la transition énergétique. Comme l’observait Nicolas Hulot lors de la Conférence environnementale, il faudra choisir entre plusieurs solutions impossibles. Le pragmatisme doit donc nous guider.
Nous portons une attention toute particulière aux entreprises françaises ayant éloigné leurs centres de production, moins pour conquérir des marchés que pour s’internationaliser et se rapprocher des lieux de consommation : pourquoi délocaliser à plusieurs milliers de kilomètres pour exporter ensuite vers la France ? Notre travail s’inspire du slogan de campagne de Barack Obama « Let’s bring our jobs back home », qui a suscité la Reshoring Initiative, une association d’industriels américains, qui invite les entreprises à recalculer leurs coûts de production, compte tenu de l’explosion des salaires en Chine, de l’augmentation du prix de l’énergie – donc de la logistique aérienne et maritime –, de la mise en œuvre de fiscalités carbone partout dans le monde et de la volonté de raccourcir les délais de livraison par le rapprochement entre le consommateur et le producteur.
Dans les pays développés, consommateurs et producteurs sont d’ailleurs interdépendants, le « sur mesure » s’imposant à partir d’un certain niveau de qualité. Ce phénomène incite les entreprises à se réinstaller au plus près des consommateurs. L’exemple de Smoby, dans la filière du jouet, l’illustre. Victime des écarts de gestion de l’ancien dirigeant, cette entreprise, située près de Morteau, dans le Jura, avait été placée en redressement judiciaire. Un industriel l’a reprise, relocalisant des activités implantées en Chine et en Roumanie. L’innovation, la montée en gamme, la réduction des délais de livraison, la production en petites séries, la saisonnalité et la flexibilité du temps de travail – rendues possibles, soit dit au passage, par les 35 heures et bientôt renforcées par l’accord du 11 janvier dernier –, ont permis à cette entreprise de plasturgie, que beaucoup croyaient irrémédiablement condamnée, de renaître et de réembaucher. Atol, qui a de son côté relocalisé en France sa production de lunettes, et dont la publicité revêt un caractère patriotique, a vu son chiffre d’affaires progresser de 6 % par an. Rossignol, le fabricant de skis, offre un autre exemple de relocalisation.
Toute la bataille autour de l’accord chez Renault, c’est la bataille pour relocaliser les activités productives sur le sol français. Renault doit produire davantage en France. Et le pacte de compétitivité et son crédit d’impôt sont un élément de la discussion, laquelle ne porte pas tant sur les efforts à faire – et, qui, en vertu de l’accord du 11 janvier, seront partagés entre salariés et actionnaires – que sur les moyens d’éviter les licenciements en relocalisant. Nissan, Daimler, Renault sont fortement incités par l’État actionnaire à localiser leur production et leur assemblage sur le sol national. Cette politique va être relayée par l’Agence française pour les investissements internationaux à qui j’ai confié un programme qui consiste à démarcher les groupes français pour les convaincre de relocaliser.
Bien sûr, la question des coûts de production se pose. Le Mittelstand allemand dispose à ses portes des pays de l’Est hors zone euro. Pas nous, qui n’avons à nos frontières que la Grande-Bretagne et la Suisse où les coûts de production sont plus élevés qu’en France.
M. Laurent Furst. Et où, pourtant, l’industrie se développe !
M. le ministre. Nous voulons établir un partenariat « gagnant-gagnant » avec le Maghreb, dont les coûts de production sont faibles et qui pourrait constituer une étape du rapatriement des activités de l’Asie vers l’Europe. Plutôt qu’une implantation 100 % asiatique, nous proposons une relocalisation à 50 % en France et à 50 % au Maghreb. Le transfert des usines Renault de Turquie vers l’Algérie aura l’avantage indirect de recharger des usines sous-traitantes en France. Si je demande de la charge aux constructeurs sur le sol français, c’est pour mettre un terme à l’hémorragie chez les sous-traitants, qui sont au tapis. On parle des constructeurs, mais les tribunaux de commerce ont reçu une centaine de dossiers de sous-traitants. Ils ont perdu 20 % de leurs effectifs.
Pour mener ce travail de bénédictin, en n’écartant aucun dossier, nous nous appuyons sur trois éléments : le Pacte de compétitivité et la BPI qui nous servira à reconstruire les filières et à financer les PME qui sont dans leur sillage. La filière nucléaire embauchera d’ici à 2020 au moins 110 000 personnes – il ne faut surtout pas la démanteler – pendant que nous perdrons des dizaines de milliers de salariés dans l’automobile, un métier pourtant voisin. À nous d’organiser la transition en formant les personnels. Le même phénomène se produit dans la chimie où la chimie végétale innove et embauche.
Troisième élément, l’accord du 11 janvier dernier permettra d’équilibrer les rapports entre les actionnaires, les dirigeants et les salariés. Beaucoup d’accords « sauvages » sont conclus sur le terrain mais ils ne contiennent que des promesses. L’accord obligera à vérifier la réalité des difficultés rencontrées par l’entreprise au moyen d’une expertise préalable. Il vaudra pour deux ans, et comportera des clauses de retour à meilleure fortune de façon que les fruits obtenus après les sacrifices soient partagés. Enfin, l’accord s’appuiera sur une base majoritaire dans l’entreprise par référendum. Il instaure donc un cadre qui protégera les salariés contre les excès et les dérives. Il servira aussi à négocier l’usage que feront les entreprises du crédit d’impôt.
Dans certaines entreprises, il servira à investir, Madame Bonneton, vous qui vous préoccupez du vieillissement de l’appareil productif. En effet, nous accusons un retard considérable dans la robotisation. Nous sommes à la traîne, derrière l’Allemagne et l’Italie. Je m’apprête donc à lancer la filière robotique car, contrairement à ce que croyaient les canuts qui cassaient les machines pour préserver leur emploi, l’augmentation de la productivité et l’automatisation créent des emplois, même s’ils se transforment. Le crédit d’impôt apportera de l’oxygène à l’investissement privé.
Notre stratégie, et je réponds à votre rapporteur, repose à la fois sur l’offre et sur la demande. Nous améliorons les conditions de production tout en soutenant l’investissement public et privé. Pensez au programme de rénovation thermique, au très haut débit, aux infrastructures ferroviaires, aux réseaux électriques intelligents dans lesquels EDF doit investir 15 milliards d’ici à 2015, et je ne parle pas du compteur Linky. Dans l’entreprise, cela passe par la robotisation, l’amélioration de la combinaison productive, la montée en gamme.
Cette politique implique en effet une remise en cause des règles de la commande publique. Nous y travaillons très sérieusement mais nous n’en sommes qu’aux avant-projets. Nous avons besoin d’élus qui nous racontent ce qui se passe sur le terrain, dans les entreprises publiques, les établissements publics, les collectivités locales… Nous sommes prêts à faire bouger les choses et j’ai d’ailleurs nommé un médiateur des marchés publics, M. Jean-Lou Blachier, vice-président de la CGPME. Auditionnez-le, venez le rencontrer avec vos dossiers, saisissez-le, faites-le connaître.
En tant qu’actionnaire, l’État doit agir. C’est la première fois depuis vingt ans que le ministre de l’industrie a la responsabilité des 65 milliards de participations de l’État, et exerce la tutelle sur l’Agence des participations de l’État. Nous disons donc à la SNCF, à la RATP, à Areva de mettre l’accent sur le « made in France ». Et ne me parlez pas toujours des appels d’offres ! Nous ne sommes pas obligés d’être les plus zélés de la classe bruxelloise.
Ce n’est pas parce qu’on défend l’industrie qu’on ne défend pas les innovations nécessaires, notamment le recyclage. Nous avons une politique active en ce domaine dans toutes les filières. Hier, je réunissais la filière aluminium pour qui le recyclage est une condition de maintien de la compétitivité de l’outil de production, s’agissant de l’aluminium primaire. A ainsi été évoquée l’interdiction d’exporter les déchets d’aluminium et l’obligation qui serait faite aux industriels et aux consommateurs de passer par le crible du recyclage.
Je m’inscris en faux contre l’idée selon laquelle parce que nous serions pour le nucléaire, nous serions contre les énergies renouvelables. Nous voulons tout parce que nous sommes ambitieux ! Et s’il faut les gaz de houille et de schiste, pourquoi pas, si les technologies progressent ? Ayons l’intelligence de ne pas nous enfermer dans nos positions.
M. Philippe Baumel. L’actualité a mis en lumière les circuits compliqués suivis par la viande qui termine dans nos assiettes. Elle pose la question de la traçabilité et de l’opportunité du « made in France » pour retrouver un peu de transparence et assainir une filière opaque dans ses coûts et ses modes de production. On ne peut qu’être frappé par l’écart entre le prix payé à l’éleveur et celui du produit transformé. Ce constat ne vaut pas que pour la viande, pour les légumes aussi. Des sites, pourtant rentables, ferment dans nos départements, nous obligeant à consommer des légumes étrangers.
En Afrique, continent qui m’est cher et dont tout le monde s’accorde à dire qu’il émergera au xxiè siècle, nous avons du mal à conserver nos parts de marché face à la Chine et d’autres. Il faut impérativement abandonner les vieux schémas, du type Françafrique, qui donnaient à la coopération une allure d’économie de comptoir, pour une véritable diplomatie économique, qui nous fait cruellement défaut. Quelles sont les perspectives que le Gouvernement entend tracer en la matière, en partenariat avec nos grands groupes ?
M. Claude Sturni. En Alsace, on voit bien comment la filière agroalimentaire allemande s’est construite autour des matières premières, à partir d’une réflexion sur les coûts de production. Dans cet esprit, quelles sont, selon vous, les filières qui méritent d’être soutenues ? Alors que chacun s’efforce de regagner des parts de marché en dépréciant sa monnaie, le lien avec l’Allemagne est fondamental si l’on veut éviter d’être les « dindons de la farce ». Berlin est-il attentif à cette question ?
Vous avez vanté le coût du foncier, qui est bas en France parce que nous avons de la place. Mais il ne suffit pas de bâtir des usines au milieu des champs. Un industriel recherche non seulement de terrain bon marché, mais aussi de la main-d’œuvre qualifiée et des infrastructures adaptées. Ce triptyque doit être géré dans son ensemble, l’aménagement du territoire est nécessaire pour mettre en valeur nos atouts. Le groupe américain, pour lequel j’ai longtemps travaillé, privilégiait – et il n’était pas le seul – les villes moyennes, pas trop éloignées des pôles universitaires.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous avons été interrogés de nombreuse fois par les PME au sujet de la concurrence qu’elles subissent, notamment dans le bâtiment, du fait de la présence de salariés étrangers, dont les charges sont payées dans les pays d’origine, en particulier d’Europe de l’Est. Comment traiter le problème ?
J’insiste moi aussi sur l’incapacité des petites entreprises à répondre aux offres dans le cadre des marchés publics. Remplir un dossier n’est pas simple et on ne peut pas embaucher uniquement pour ça. Que peut-on faire pour elles ? Le cas de figure est analogue à celui de la formation professionnelle qui profite surtout aux plus diplômés.
Face aux industriels que nous rencontrons, comment lutter contre le préjugé qui veut que l’État soit incapable d’intervenir efficacement ? Si vous avez un argumentaire solide, nous sommes preneurs.
M. Jean-René Marsac. Moi aussi, je me demande comment identifier les filières dynamiques. L’avis des personnes auditionnées a semblé quelque peu partagé sur l’approche par filière.
La stratégie de développement conjoint avec le Maghreb est sûrement porteuse d’avenir.
S’agissant de la formation professionnelle, nous avons ciblé les faiblesses, les objectifs, mais je ne suis pas sûr que nous ayons une véritable stratégie. La formation tout au long de la vie, la passerelle d’un métier à l’autre, la mobilisation des moins qualifiés, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences font-ils une stratégie opérationnelle, offensive et efficace ? Il y a quelques années, nous avons voté un texte sur la formation tout au long de la vie, mais s’est-il traduit par l’accompagnement des salariés, par des animations territoriales ? J’y vois un des maillons faibles de notre politique de réindustrialisation.
M. Laurent Furst. Une remarque personnelle, d’abord, Monsieur le ministre : des membres du Gouvernement, vous êtes celui qui a le plus changé depuis sa prise de fonction !
M. le ministre. Vous auriez dû lire mon programme pour les primaires socialistes ! Je suis un « démondialisateur » en actes : rapprocher les lieux de production des lieux de consommation, tel est mon programme politique. Et je remercie François Hollande de me permettre de le mettre en œuvre. Je suis un colbertiste participatif, un mélange de Colbert et de Ségolène Royal.
M. Laurent Furst. Grâce au CICE, avez-vous dit, de grands groupes mondiaux arbitreraient en faveur de la France. Les industriels étrangers installés chez nous que nous avons auditionnés ne partageaient pas votre enthousiasme. Ainsi, le patron de Bosch France expliquait que, ses coûts de production étant supérieurs de 10 % à ceux d’outre-Rhin, les actionnaires allemands demandaient le rapatriement des activités. À mon échelle, j’ai développé avec mes collègues dans le Bas-Rhin, quatre zones d’activités économiques qui ont permis de créer 1 200 emplois. Or, depuis quatre mois, je ne reçois plus aucun coup de fil, ne serait-ce que pour demander des informations sur une éventuelle installation. L’attentisme et l’inquiétude sont considérables.
Lors de la dernière audition, les entrepreneurs nous ont déclaré être soumis à une triple instabilité : économique, fiscale – mais vous avez répondu en stabilisant cinq impôts –, et, enfin, juridique. Qu’en pensez-vous ?
Conseiller général pendant onze ans, je n’ai cessé de demander aux préfets qui se sont succédé qu’un préfet, ou un sous-préfet, soit spécialisé dans le développement économique car il s’agit d’un sujet transversal. Pour créer une zone d’activités économiques, il faut convaincre une à une les administrations qui n’ont pas de vision d’ensemble. À cet égard, l’installation dans les régions de commissaires au développement productif est une bonne nouvelle. Il faut que l’État se structure et se dote d’un outil propre à mobiliser tous les acteurs, même si je suis un partisan de la maîtrise de la dépense publique.
Si je retiens une chose de cette mission, c’est la problématique du taux de marge de nos entreprises qui explique leur sous-investissement. Il s’agit d’une faiblesse chronique qui conduit sans doute à notre moindre attractivité, à notre retard dans l’automatisation – 150 000 automates programmables en Allemagne, 35 000 en France. Pour rétablir les marges, le CICE n’est qu’un outil. Avez-vous une stratégie à moyen et long terme ? Les politiques économiques demandent de la constance.
Par ailleurs, que pensez-vous enfin du projet de la Deutsche Bahn de créer une ligne ferroviaire entre la Chine et l’Europe, pour profiter de la continuité territoriale, et réduire le délai d’acheminement des produits et surtout les coûts de la logistique ?
Mme Corinne Erhel. Je confirme les propos de ma collègue sur le recours à la main-d’œuvre des pays de l’Est à la fois dans le bâtiment et dans l’agriculture, qui tire les prix vers le bas. Or, sur le terrain, nous sommes désarmés.
Concernant la concurrence équitable sur le marché européen, les activités dites stratégiques, comme les télécommunications, traversent une crise majeure. Un grand équipementier est menacé mais les PME aussi sont attaquées. La production des équipements tant actifs que passifs est concernée. Il faut être particulièrement vigilant.
M. le ministre. L’affaire de l’agroalimentaire souligne l’internationalisation et l’opacité des circuits suivis par le « minerai » de viande, comme on dit, utilisée par l’industrie de transformation. Ce sera un épisode de plus dans l’histoire du retour au circuit court, dans l’esprit de démondialisation que je défends. Le ministre de l’agriculture a fait un exposé en conseil des ministres sur la relocalisation des activités de transformation au plus près de la matière première. Mais notre outil industriel s’est affaibli du fait de son obsolescence. Mon collègue Stéphane Le Foll a en tête un plan de réinvestissement dans l’agroalimentaire, avec l’aide de la BPI, comme nous l’avons fait dans chacune des filières où nous mettons à disposition, avec les grands opérateurs privés et l’État, un fonds de recapitalisation, donc de modernisation des équipements industriels. L’agroalimentaire a son délégué interministériel et un ministre dédié M. Guillaume Garo. Le circuit court a de l’avenir.
En Afrique, la Chine met en œuvre une stratégie d’implantation y compris dans les pays francophones. L’intervention au Mali a rendu à la France un prestige bien abîmé par certains discours prononcés en terre africaine. Je le ressens moi-même avec un regain d’activité autour de certains dossiers. Ainsi, pour achever la boucle ferroviaire entre la Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso, le Niger et le Bénin, qui permettra de transporter tant les voyageurs que les marchandises et les produits pondéreux, des présidents africains m’ont demandé une offre française pour concurrencer l’offre chinoise. Ce serait une façon de renouer nos liens.
Quelles filières choisir ? Dans une guerre, qu’elle soit économique ou pas, la stratégie enseigne de renforcer les points forts. Ainsi, face aux difficultés de la filière automobile, nous développons une stratégie d’endiguement pour préserver nos outils et nos savoir-faire, mais sans exclure l’innovation technologique. Le Premier ministre a fixé le cap du véhicule à 2 litres. Pour la première fois, nous avons réuni les deux constructeurs et les quatre grands équipementiers que sont Plastic Omnium, Valeo, Michelin et Faurecia, pour procéder ensemble à des choix : hydrogène, ou pas ; hybridation chez Peugeot, qui occupe la deuxième place sur ce créneau sur le marché européen – je rappelle que Toyota construit ses Yaris hybrides en France –, et tout électrique chez Renault qui a pris de l’avance dans ce domaine en repoussant à 120 kilomètres les limites de l’autonomie. Nous avons la chance d’avoir deux jambes pour avancer. Ce choix est parfaitement cohérent avec le plan automobile de soutien par les bonus et l’installation de bornes de recharge sur tout le territoire en liaison avec Autolib’ de l’entreprise Bolloré. Nous aurions pu ne rien faire, mais nous avons préféré l’unité des choix et la solidarité dans la décision.
Dans le secteur ferroviaire qui, lui, est toujours en croissance, nous en sommes encore au TGV de première génération. Les trains continuent de transporter 509 passagers en deux rames. Comment améliorer la compétitivité et construire le TGV du futur ? Nous avons passé commande à Alstom et Bombardier de 40 rames de première génération pour 5 milliards à condition que le TGV de deuxième génération soit sur les voies en 2018. En consommant autant d’énergie, voire moins, il transportera 300 personnes de plus, ce qui passe par la migration des moteurs hors des motrices, dans les bogies et les roues des moteurs. En outre, les capacités d’accélération et de décélération seraient améliorées, de façon à assurer des dessertes plus rapprochées. L’État a subordonné sa commande à des améliorations sur ces trois points. Nous voulons ainsi prendre des parts de marché dans le monde, pour conserver à la France son avance puisqu’elle est la première à avoir mis au point le TGV.
Pour les éoliennes et le photovoltaïque, l’Europe a une stratégie protectionniste car la Chine a détruit nos industries. Nous avons donc décidé avec Delphine Batho de construire un champion national dans le photovoltaïque et l’éolien. Nous avons mené à bien les appels d’offres lancés pour l’offshore et nous défendrons l’éolien terrestre « made in France » par la tarification et les spécifications.
Nous procédons à des choix technologiques en concertation. Voilà pourquoi j’ai parlé de colbertisme participatif, même si c’est un oxymore. Colbert imposait ses vues en dictateur éclairé. En ce qui me concerne, je réunis les professionnels, les partenaires sociaux, les pôles de compétitivité et je leur fais choisir les orientations et les options technologiques. Les décisions ne sont pas prises par des ministres dans la solitude de leur bureau, ou par des hauts fonctionnaires aussi talentueux soient-ils. La décision vient d’en bas et le politique l’appuie grâce à son leadership.
L’objectif consiste à reconstituer nos points forts et nous innovons. Le paysage des télécoms est dévasté par la concurrence excessive. Je n’accablerai personne mais, aux États-Unis, il y a trois opérateurs ; en Chine, deux ; en Europe, 140. En France, ils sont quatre et les prix sont les plus bas du monde. Les consommateurs ont raison d’applaudir mais c’est un choix de court terme. L’un des opérateurs connaît de très graves difficultés, il en restera trois. Alors, à quoi bon en avoir fait naître un quatrième ? Les prix remonteront inéluctablement. Et l’industrie européenne est à terre à cause du low cost. La stratégie du redressement productif, c’est d’abord défendre le producteur. Le consommateur ne peut pas avoir toujours le dernier mot, il doit être subordonné à la cause du « made in France ». Avec Fleur Pellerin, nous allons annoncer des mesures de politique industrielle pour les télécoms. Elles sont mal en point, des emplois disparaissent alors que le secteur est en croissance !
Pour l’environnement des entreprises, nous avons fait le choix avec le Premier ministre de stabiliser cinq grands impôts qui touchent de près la vie des entreprises : transmission, investissement, innovation et taxes locales. Aucun gouvernement n’avait pris pareil engagement sur cinq ans. C’est un acte politique majeur, comme l’accord du 11 janvier entre les partenaires sociaux.
Que les entreprises prises en ciseaux entre la baisse des coûts en Allemagne et leur montée en France manquent d’enthousiasme ne m’étonne guère, monsieur Furst. Sachez néanmoins que nous répétons à l’envi à Mme Merkel et aux dirigeants allemands qu’il faut faire remonter les salaires. Les déclarations communes faites au sommet du G20 de Los Cabos soulignaient la responsabilité des pays excédentaires à cet égard, pour faire cesser la désinflation compétitive. Si les Allemands ne font rien, ils risquent de précipiter l’Europe dans la récession, et eux avec. J’ai dit à mon homologue, le vice-Chancelier Philipp Rösler, qu’il fallait augmenter les salaires en Allemagne, pour faire repartir la zone euro. Nous attendons du gouvernement allemand, quelle que soit la majorité dont il sera issu, qu’il place au cœur de sa politique la demande, qui a été trop comprimée. D’ailleurs, la montée de la pauvreté en Allemagne est explosive.
Vous avez raison, monsieur le député, de soulever la question de l’instabilité juridique. À cet égard, le législateur est particulièrement concerné. Pour ma part, je fais de la résistance contre la prolifération des normes réglementaires, mais il serait bon que le législateur se penche sur les raisons du phénomène et qu’il l’endigue. Avec ses outils de contrôle qui lui permettent d’enquêter dans tous les ministères, le Parlement pourrait sans doute faire la lumière sur l’apparition de telle ou telle norme, et même sur l’origine de ses propres amendements.
S’agissant du moyen et long terme, l’État avait déserté le terrain industriel depuis des années. Sans ministère de l’industrie autonome, les titulaires étaient subordonnés aux intérêts de leur tutelle. Il n’y avait donc plus personne pour porter la contradiction et défendre les enjeux industriels face au ministère de l’environnement, à celui de l’économie ou de l’agriculture. Ce gouvernement a recréé les conditions d’un véritable débat public.
Il n’y a pas d’impuissance de l’État, sinon dans nos têtes. Prenez la nationalisation temporaire. Elle a été utilisée par l’Indonésie, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne, les États-Unis, Singapour… L’affaire « Mittal-Florange » aura eu au moins le mérite de faire tomber un tabou. La nationalisation temporaire est un outil d’affirmation des politiques publiques, qui rappelle la force de la politique à une multinationale surendettée qui a fait des LBO familiaux pour racheter, avec de l’argent qu’elle n’avait pas, et moyennant les services de Goldman Sachs, l’acier des Européens. Nous faisons le choix de réarmer l’État. Le projet de loi sur les sites rentables va dans ce sens. Je reviens de Bruxelles où j’ai rencontré les ministres de l’industrie belge et luxembourgeois, Jean-Claude Marcourt et Étienne Schneider. Pour la première fois, un front politique et syndical européen est en train de se dessiner face au groupe Mittal. Pour la première fois, la Commission européenne a demandé à une multinationale, qui a détruit 35 000 emplois en Europe depuis cette malheureuse OPA de 2006, de suspendre son plan social. L’esprit industriel viendrait-il enfin à l’Europe ? J’ai remercié et félicité le commissaire Tajani. Il y a donc moyen de reprendre la main et d’affirmer des positions plus fortes face aux exigences des marchés financiers qui ont la vue aussi courte que leurs appétits sont démesurés.
Au sujet des salariés détachés par leur pays d’origine, nous avons sonné l’alarme au plan européen. Les cas d’illégalité sont nombreux : être payé au SMIC polonais ou tchèque en France est illégal. Ce sont les résidus de la directive Bolkestein, du nom de ce taliban de l’ultralibéralisme qui défendait systématiquement la baisse du coût du travail et la hausse du coût du capital. Nous avons fait le choix de combattre ces pratiques illégales et nous demandons à nos partenaires de faire de même et de pousser à la hausse des salaires partout en Europe. C’est cela aussi l’Europe, elle peut aussi être sociale.
S’agissant de la construction d’une ligne de chemin de fer entre la Chine et l’Europe, sachez que je suis pour une remontée du prix des transports, parce que c’est un facteur de démondialisation, et de rapprochement des lieux de production et de consommation. Si nous voulons réindustrialiser l’Europe, nous avons intérêt à faire remonter les prix de la logistique et les salaires dans les pays d’Asie. Je n’approuve donc pas le projet de la Deutsche Bahn, par souci de cohérence. Vous pensiez que j’avais changé, monsieur Furst, je vous montre qu’il n’en est rien.
Oui, le taux de marge est un indicateur significatif de l’affaiblissement de notre économie dans la compétition européenne, d’abord, mondiale ensuite. Le Pacte de compétitivité devra régulièrement être réévalué avec la Représentation nationale en fonction des besoins de l’économie.
Quant aux délais de paiement de l’État, le sénateur Martial Bourquin s’est vu confier une mission à ce sujet. Nous sommes donc en plein travail sur ce sujet.
M. le président Bernard Accoyer. Nous vous remercions, Monsieur le ministre, d’avoir répondu de façon circonstanciée et attentive à toutes nos questions. Je suis persuadé qu’avec le rapporteur, nous en ferons le meilleur usage.
1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
2 () Rapport N°3929, novembre 2011.
3 () De source Eurostat pour l’année 2007, l’industrie (énergie comprise) représentait 16,7 % du PIB du Royaume-Uni contre 14,1 % en France.
4 () C'est le sens de la notion de compétitivité portée par le Conseil économique, social et environnemental qui la présente comme « la capacité d’une Nation à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité. Elle peut s’apprécier par l’aptitude d’un territoire à maintenir et à attirer les activités et par celle des entreprises à faire face à leurs concurrentes ».
5 () Pour l’ensemble de l’industrie et des services marchands, le coût horaire du travail en France avait dépassé celui de l’Allemagne dès la fin de l’année 2004 mais ce dépassement n’interviendra que plus tardivement pour la seule industrie manufacturière et s’établir ainsi à 36,8 euros contre 36,2 euros en Allemagne, au 2ème trimestre 2012 (cf. tableau « niveau et évolution du coût de l’heure de travail » en annexe du rapport).
6 () « Rémunération directe et primes représentaient, en 2008, 58 % du coût de la main-d’œuvre de l’industrie manufacturière en France et 65 % en Allemagne. La part des charges sociales dans le total de la rémunération est donc nettement inférieure Outre-Rhin ». Rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 sur « les déterminants de la compétitivité de l’industrie française ».
7 () «En outre, la part patronale des cotisations est plus forte en France : 2/3 des cotisations, contre 1/2 en Allemagne ». Idem
8 () Le 18 juillet 2012.
9 () Coût total de la main-d’œuvre/nombre d’heures effectivement travaillées (hors congés et absences).
10 () Coût horaire mesuré par Eurostat (les données, établies sur la base d’une enquête menée auprès des ménages, ne comptabilisent pas ceux qui n’ont pas travaillé durant la semaine sur laquelle porte cette enquête, ce qui majore le nombre d’heures travaillées).
11 () Coût total du travail par unité produite (en volume, aux prix de 2005) : définition dans le tableau 5 en annexe.
12 () Soit le total versé par l’entreprise pour chaque salarié.
13 () Salaire superbrut, au coût des facteurs.
14 () Compte non tenu des impôts sur les produits nets de subventions
15 () Audition conjointe par la commission des affaires économiques et la commission des finances de l’Assemblée nationale.
16 () sur cette question du niveau de gamme, voir également I) B) 3) « L’étau de la concurrence » et II) A).
17 () Rapport de l’OCDE de 2009 sur l’économie française.
18 () Revue française d’économie n° 2/vol XXVII.
19 () Le BTP, le travail intérimaire, les soins aux personnes, le nettoyage et l’entretien des immeubles, les travaux de peinture et les activités de sécurité.
Le salaire minimum est différent pour chacune de ces branches d’activité : il est de 13,70 pour un conducteur d’engin du BTP, mais de 7,50 euros pour un salarié d’une société de sécurité. Au sein d’un même secteur d’activité, le salaire horaire minimum peut ne pas être le même dans les anciens Länder de l’Ouest et les anciens Länder de l’Est : pour un intérimaire, il est de 8,19 euros à l’Ouest et 7,50 euros à l’Est et à Berlin.
20 () Décret n° 2013-123 du 7 février 2013 relatif aux modalités de revalorisation du salaire minimum de croissance.
21 () M. Helmut Schmidt, chancelier fédéral allemand de 1974 à 1982.
22 () alternatives économiques, hors-série n° 092- février 2012.
23 () Document conjoint de la CFDT, CGPME, UPA, CFE-CGC, CFTC, MEDEF, 2011.
24 () Rapport du centre d’analyse stratégique (CAE), 2012.
25 () Énergie contenue dans les produits énergétiques tirés de la nature. Elle est utilisée telle quelle par l’utilisateur final, ou transformée par la branche Energie en une autre forme d’énergie (l’électricité, par exemple) qui sera employée par l’utilisateur final, ou consommée dans le processus de transformation ou d’acheminement vers l’utilisateur. L’utilisation finale peut être à des fins non énergétiques, comme la fabrication de plastique à partir de pétrole.
26 () Mégatonnes d’équivalent pétrole.
27 () Audition du jeudi 24 janvier 2013 à 10h30.
28 () Audition du 13 décembre 2012.
29 () Cf. INSEE RÉSULTATS, n° 61 Économie - janvier 2013.
30 () Étude internationale sur les prix de l’électricité et du gaz naturel 2011-2012, juin 2012. Voir annexes.
31 () Rapport « énergies 2050 », page 87.
32 () Audition du 24 janvier 2013.
33 () Loi n°2010-1488 du 7 décembre 2010.
34 () Cf. David Habib, PLF 2013, n° 235 tome IV énergie.
35 () Proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, adoptée en Lecture définitive par l'Assemblée nationale le 11 mars 2013 (article 17).
36 () Audition du 13 décembre 2012.
37 () Ibid.
38 () Rapport n° 667 au nom de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, Sénat, Tome 2 : Comptes rendus des auditions et annexes, page 225, juillet 2012.
39 () Voir « L’essor des gaz de schiste américains menace la pétrochimie européenne », Les Echos, 12 février 2013.
40 () Audition du 24 janvier 2013.
41 () « Chiffre du jour : 100 milliards d'euros pour passer le nucléaire à 50 % du parc électrique d'ici 2030 », La Tribune, 28 novembre 2012.
42 () Audition du 24 janvier 2013.
43 () « world energy outlook 2012 »
44 () Audition du 24 janvier 2013.
45 () Audition du 13 décembre 2012.
46 () De récentes études menée par le National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) et l'université du Colorado ont mesuré des rejets de méthane, un gaz participant bien plus que le gaz carbonique au réchauffement climatique, pourraient être en fait bien plus important que ce que était autorisé. Cf Le Monde – 4 janvier 2013.
47 () Ce que l'on ne dit pas sur le miracle gazier américain – Robert Bell et Oleg Rusetsky- Les Echos – 27 décembre 2012.
48 () Audition du 24 janvier 2013.
49 () Audition du 13 décembre 2012.
50 () Insiders sound an alarm amid a natural gas rush, The New York Times, 25 juin 2011.
51 () Ruud Weijermars et David King, « Inflating US shale gas reserves », Petroleum Review , Londres , janvier 2012.
52 () « Gaz de schiste, la grande escroquerie », Nafeez Mosaddeq Ahmed, Le Monde diplomatique, mars 2013.
53 () « Shale gas will be the next bubble to pop. An interview with Arthur Berman », Oilprice, 12 novembre 2012 http://oilprice.com.
54 () « Le pionnier du gaz de schiste américain quitte la scène », Les Echos, 31 janvier 2013.
55 () Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.
56 () « Le modèle américain n’est pas transposable », La Croix, 13 novembre 2012.
57 () Libération – 21 février 2013.
58 () Journal Libération du 22 février 2013.
59 () Rapport précité, page 25.
60 () « Fracturation hydraulique ou stimulation de la roche », Pierre Le Hir, Le Monde, 18 mars 2013.
61 () "Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste", étude de faisabilité de MM. Christian Bataille, député, et Jean-Claude Lenoir, sénateur, 31 janvier 2013.
62 () « Le boom des gaz de schiste pose une nouvelle difficulté pour le secteur. Le marché américain qui misait sur le solaire pour son autonomie se ferme. Et les énergies renouvelables ont une pression supplémentaire pour rejoindre la parité réseau » cité in « Les petits fabricants français sans commande », Les Echos, 21 mars 2013.
63 () « Travels during the years 1787, 1788 et 1789 », Arthur Young, Londres 1792.
64 () Édition 2012, page 33.
65 () Audition du 20 décembre 2012.
66 () Audition du 13 décembre 2012.
67 () Notamment le rapport d’information n° 364 Sur l'action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique du territoire, Sénat, février 2013.
68 () Voir « La logistique en France : indicateurs territoriaux », ministère de l’économie, 2009.
69 () Ibid, page 11.
70 () Audition du 20 décembre 2012.
71 () Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, table ronde commune avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur le fret, mercredi 14 novembre 2012.
72 () Ibid.
73 () Audition du 20 décembre 2012.
74 () Ibid.
75 () « Panorama économique et financier du transport routier en France 2006-2010 », Étude réalisée par la Banque de France pour la Fédération Nationale des Transports Routiers, octobre 2011.
76 () Audition du 20 décembre 2012.
77 () Audition du 20 décembre 2012.
78 () Rapport d’information au nom du groupe de travail sur la réforme portuaire (1), de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, n° 728, 6 juillet 2011.
79 () Le professeur Emile QUINET, Ingénieur général des Ponts et Chaussées, est membre du conseil scientifique des économistes de la société du Grand Paris.
80 () « Evaluation socio-économique du projet de réseau public du Grand Paris », Comité stratégique du 14 décembre 2012, société du Grand Paris.
81 () Audition du 29 novembre 2012.
82 () Interview à BFM business du 18 décembre 2012.
83 () Sur la base d’enquêtes qu’elle mène auprès des banques privées, la Banque de France publie un indicateur traduisant les conditions offertes aux demandes de crédits des entreprises – volumes proposés, taux d’intérêt mais également garanties demandées. L’évolution de cet indicateur est reproduite par le graphique ci-dessus : s’il est positif, les conditions d’octroi de crédit se desserrent ; s’il est négatif, les conditions d’octroi de crédit se durcissent. Les données de la Banque de France indiquent qu’après une dégradation brutale et profonde entre 2008 et 2010, les conditions d’accès au crédit se sont rétablies de manière temporaire et limitée sur une année, entre 2010 et 2011. Depuis la fin de l’année 2011, une nouvelle phase de durcissement est constatée.
84 () Audition du 22 novembre 2012.
85 () L’endettement des sociétés non financières approche 60 % du PIB.
86 () Audition du 29 novembre 2012.
87 () Les Accords de Bâle III publiés le 16 décembre 2010 sont destinés à renforcer le système financier à la suite de la crise financière de 2007.
88 () M. Patrick Artus a ainsi défini les contraintes en matière de liquidité de Bâle III : « L’idée est de déterminer le montant des réserves de liquidités dont doivent disposer les banques à partir de stress-tests dans lesquels on simule une crise de liquidité bancaire, due par exemple à l’impossibilité d’accéder aux marchés financiers ou au retrait, par les déposants, d’une partie de leurs dépôts. Ces stress-tests sont extrêmement sévères car on y suppose que les banques ne peuvent pas faire appel à la BCE et doivent par conséquent disposer, dans leur bilan, de réserves de liquidité suffisantes pour faire face à la crise […]. Tel qu’il est défini, ce ratio pousse les banques à avoir d’énormes réserves de titres publics [….] ».
89 () Audition de M. Jean-Paul Chifflet, président de la Fédération bancaire française, directeur général de Crédit agricole SA, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale du 30 janvier 2013.
90 () Audition du 13 décembre 2012.
91 () Audition du 29 novembre 2012.
92 () Moins de 20 % du patrimoine des ménages est investi dans les entreprises françaises.
93 () Audition du 29 novembre 2012.
94 () États généraux de l’industrie, Bilan de la concertation.
95 () Audition du 29 novembre 2012.
96 () Audition du ministre par la commission des finances du 21 novembre 2012.
97 () Mon plan pour réduire les délais de paiement – les Echos – 12 mars 2013.
98 () Cette étude a été réalisée auprès de 136 métropoles mondiales, portant sur 17 secteurs d’activité et conjuguant 27 éléments de coûts.
99 () Rapport économique, social et financier, tome 1 relatif aux perspectives économiques 2012-2013 et évolution des finances publiques, annexé au projet de loi de finances pour 2013.
100 () Audition du 24 janvier 2013.
101 () Chiffre cité par M. Jawad Fassi-Fehri, avocat au barreau de Paris, Le Monde, 4 décembre 2012.
102 () Un regret, le logement – Le Monde – 4 mars 2013.
103 () Audition du 29 novembre 2012.
104 () les sociétés non financières représentent 60 % du PIB français. Le taux de marge des sociétés non financières est considéré comme le plus fiable sur le plan statistique pour appréhender la part des profits dans la valeur ajoutée.
105 () audition du 31 janvier 2013.
106 () Audition du 15 novembre 2012.
107 () Audition du 29 novembre 2012.
108 () Audition du 11 octobre 2012.
109 () Le Monde, 8 janvier 2013.
110 () Audition du 11 octobre 2012.
111 () Rapport présenté par Mme Mathilde Lemoine et MM. Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen.
112 () Audition du 13 décembre 2012.
113 () Audition du 13 décembre 2012.
114 () Audition du 18 octobre 2012.
115 () article du Monde du 8 janvier 2013.
116 () Audition du 22 novembre 2012.
117 () Audition du 14 février 2013.
118 () Il est en effet inférieur à celui de l’Allemagne (2.84 %), de l’Autriche (2.75 %), du Danemark (3.09 %), de l’Estonie (2.38 %), de la Finlande (3.78 %), de la Slovénie (2.47 %) et de la Suède (3.37 %).
119 () Il est également inférieur à celui de l’Autriche (1.87 %), du Danemark (2.09 %), de l’Estonie (1.49 %), de la Finlande (2.67 %), de la Slovénie (1.83 %) et de la Suède (2.34 %).
120 () Audition du 18 octobre 2012.
121 () Audition du 13 décembre 2012.
122 () Audition du 22 novembre 2012.
123 () Audition du 22 novembre 2012.
124 () The Global Competitiveness Report 2010-2011, World Economic Forum.
125 () Une famille de brevets est dite triadique lorsque l'invention qu'elle désigne a fait l'objet d'une demande de brevet auprès de l'Office européen des brevets (OEB) et de l'Office japonais des brevets (JPO) et de l'émission d'un titre de propriété à l'United States Patent and Trademark Office (USPTO). Autrement dit, un brevet triadique permet de protéger simultanément une invention sur les marchés américain, européen et japonais.
126 () 15 novembre 2012.
127 () Audition du 31 janvier 2012.
128 () Audition du 25 octobre 2012.
129 () Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
130 () Audition du 11 octobre 2012.
131 () Audition du 15 novembre 2012.
132 () « la crise qui vient, la nouvelle fracture territoriale », la république des idées, Seuil.
133 () Lorraine, Corse, Languedoc-Roussillon, Nord Pas- de- Calais, Picardie, Auvergne et Franche-Comté.
134 () Du rapport de Michel Camdessus, « Le sursaut - Vers une nouvelle croissance pour la France », paru en 2004 aux travaux plus récents émanant des partenaires sociaux : « Approche de la compétitivité française » ou du Conseil économique, social et environnemental : « La compétitivité : enjeu d’un nouveau modèle de développement » en 2011.
135 () Louis Gallois, « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012.
136 () Audition du 14 février 2013.
137 () Audition du 13 décembre 2012.
138 () Audition du 17 janvier 2013.
139 () Audition du 18 octobre 2012.
140 () Audition du 18 octobre 2012.
141 () Audition du 18 octobre 2012.
142 () Audition du 22 novembre 2012.
143 () Audition du 15 novembre 2012.
144 () Voir I-A- prix du travail et niveau de gamme.
145 () Patrick Artus, audition du 13 décembre 2012.
146 () Audition du 18 octobre 2012.
147 () Audition du 13 décembre 2012.
148 () Cf Rapport d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale, n°3929, 9 novembre 2011, page 39.
149 () Voir notamment l’audition de M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode le 25 octobre 2012.
150 () Le mal français, Alain Peyrefitte, Éditions Plon, 1977, p. 7.
151 () Cf rapport d’information n° 3929 précité, page 148.
152 () Audition du 13 décembre 2012.
153 () Cf rapport d’information n° 3929 précité, page 111.
154 () Audition du 24 janvier 2013.
155 () Friedland papers, « Design et innovation technologique : Quels avantages comparatifs pour la France ? », Lettre de prospective, décembre 2010, n° 27.
156 () Une famille de brevets constitue un ensemble de brevets pris dans différents offices dans le but de protéger une même invention. Une famille de brevets est dite « triadique » lorsque l’invention qu’elle désigne a fait l’objet d’une demande de brevet auprès de l’Office européen des brevets (OEB), de l’Office japonais des brevets (JPO) et de l’émission d’un titre de propriété à l’United States Patent and Trademark Office (USPTO).
157 () Financer la R&D, Jean-Paul Betbèze, Conseil d’analyse économique, 2005.
158 () Audition du 17 janvier 2013.
159 () Audition du 22 novembre 2012.
160 () Voir développements infra (partie III, A).
161 () Audition du 22 novembre 2012 de M. Jean-Camille Uring.
162 () Audition du 31 janvier 2013.
163 () Idem.
164 () « En finir avec la mondialisation anonyme - La traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi » Yves Jego Rapport à M. le Président de la république, 2010, page 29.
165 () Cf Audition du 14 février 2013.
166 () Cf Table ronde, ouverte à la presse, sur la protection des mentions et des marques du 9 octobre 2012 et audition de M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des finances, chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation du 27 novembre 2012.
167 () Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud (South Africa).
168 () L’imprécateur, Paris, Éditions du Seuil, 1974.
169 () Audition du 18 octobre 2012
170 () Audition du 11 octobre 2012 de M. E. M. Mouhoud, Professeur d’économie (Université de Paris Dauphine/CNRS).
171 () Comité National des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CNCCEF).2011. « Enquête sur les implantations à l’étranger des entreprises françaises ».
172 () Voir « Internationalisation, performances des entreprises et emploi », Alexandre Gazaniol, Presse des MINES, 2012.
173 () Audition de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2013.
174 () Cf Audition précitée du 11 octobre 2012.
175 () Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
176 () Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne, de MM. Lionel Fontagné et Guillaume Gaulier, Conseil d’analyse économique, 2008, Investissement direct étranger et performances des entreprises, de MM. Lionel Fontagné et Farid Toubal, Conseil d’analyse économique, 2010.
177 () Audition du 11 octobre 2012 de M. E. M. Mouhoud, Professeur d’économie (Université de Paris Dauphine/CNRS).
178 () Audition du 15 novembre 2012.
179 () Sinn H. (2004), Bazar Ecnonomy, Ifo Viewpoint n°50.
180 () Hollande en Algérie : La "colocalisation", nouveau moteur des relations France-Maghreb?, http://lexpansion.lexpress.fr, 19 décembre 2012.
181 () Audition devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale du 29 janvier 2013.
182 () Brésil, Russie, Inde et Chine.
183 () Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et l'Afrique du Sud.
184 () Bangladesh, Egypte, Indonésie, Iran, Corée du Sud, Mexique, Nigéria, Pakistan, Philippines, Turquie et Vietnam.
185 () Voir « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir », Grasset & Fasquelle (21 mai 2008).
186 () « La diplomatie économique, une priorité pour la France » - Tribune de Laurent Fabius, Les Echos, 23 août 2012.
187 () « Ces produits qui bouleversent le commerce mondial », Les Echos, 16 janvier 2013.
188 () Audition de M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode du 25 octobre 2012.
189 () « De nouvelles étapes dans la mesure du commerce en valeur ajoutée », table ronde du 16 janvier 2013, OCDE.
190 () Interview de M. Pascal Lamy, « Les délocalisations vers des pays à moindres coûts ne sont pas une fatalité », Les Echos, 16 janvier 2013.
191 () Audition du 11 octobre 2012.
192 () « Délocalisations : pour un néo-colbertisme européen », Rapport d'information n° 374 (2003-2004) de M. Francis GRIGNON, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 23 juin 2004.
193 () Audition du 11 octobre 2012 de M. E. M. Mouhoud, Professeur d’économie (Université de Paris Dauphine/CNRS). »
194 () Pour une histoire philosophique de la globalisation : Le palais de cristal à l’intérieur du capitalisme planétaire, Peter Sloterdijk, Hachette littérature, 2008.
195 () Interview précitée de M. Pascal Lamy.
196 () « La France, le pays aux 400.000 normes », Les Echos, 19 février 2013, page 13.
197 () M. Rémi Bouchez, Conseiller d’État, a été nommé en novembre 2010 et a cessé ses fonctions en janvier 2013.
198 () Voir notamment le rapport de la CCIP : « Simplifier l'environnement réglementaire des entreprises : une urgence pour la croissance française », Rapport de Monsieur Michel LAURENT, 17 mars 2011.
199 () Audition du 31 janvier 2013.
200 () Voir Audition de Mme Claude Revel, auteure du rapport commandé par le Gouvernement « Développer une influence normative internationale stratégique pour la France », de M. Alain Costes, directeur « normalisation » à l’AFNOR sur « la normalisation, outil de la compétitivité » et de M. François-Frédéric Piffard, par la Commission des affaires économiques le 13 mars 2013.
201 () « Développer une influence normative internationale stratégique pour le France » (rapport remis à Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, janvier 2013).
202 () « L’OMC et les normes internationales », Responsabilité & environnement n° 67, juillet 2012.
203 () Audition du 31 janvier 2013.
204 () Rapport précité, page 7.
205 () Audition du 31 janvier 2013.
206 () Ibid.
207 () Ibid.
208 () Ibid.
209 () audition du 26 juillet 2012, devant la commission des affaires économiques
210 () audition du 18 juillet 2013, devant la commission des affaires économiques
211 () Le Monde (11/12/2012)
212 () Audition du 27 février 2013 devant les commissions des affaires étrangères, des affaires européennes et des affaires économiques de l’Assemblée nationale
213 () Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996
214 () êts Laval, Viking et Rüffert, 2007 et 2008.
215 () Revue de l’OFCE, octobre 2010, « l’Allemagne : cavalier seul », Paola Monperrus-Veroni.
216 () OIT, janvier 2012 : « tendances mondiales de l’emploi 2012 ».
217 () La parité d’échange d’un mark de l’Est contre un mark de l’Ouest ne concernait pas en totalité les avoirs des Allemands de l’ex-RDA mais n’était accordée qu’à concurrence de 6000 DM ; au-delà de ce montant l’échange s’est effectué sur la base d’1 DM contre 2 marks de l’Est.
218 () « L’année 2010 avait toutefois enregistré pour la première fois depuis longtemps un léger rebond du nombre des exportateurs. Il n’a toutefois pas traduit une véritable rupture de tendance car ce résultat a été immédiatement suivi, en 2011, d’une nouvelle réduction du nombre des exportateurs (-2,1 %), cependant suivi d’un rebond correcteur (+ 2,7 %), d’après les premières statistiques publiées pour 2012 ».
219 () « L’Union européenne est principalement intervenue au titre du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) ».
220 () Entre 2000 et 2012, L’Allemagne a ainsi plus que doublé ses importations de biens en provenance des pays de l’Europe de l’Est notamment avec la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie et parallèlement l’accroissement du stock de capital détenu dans ses pays a eu pour effet de le porter à plus de 7 % du stock total de capital allemand).
221 () « Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes » Les Éditions du Seuil ; février 2013.
222 () La notion de contrainte extérieure traduit la dépendance d'une économie à l'égard des autres économies et peut se définir par l'impossibilité pour certains pays de concilier une croissance forte et l'équilibre des échanges avec l'extérieur. La principale manifestation de cette contrainte extérieure est donc l'existence d'un déficit commercial ou d'un déficit des transactions courantes.
223 () Dans une étude de septembre 2011, « les mauvaises performances françaises à l’exportation : la compétitivité prix est-elle coupable ? », Lettre n° 313, le CEPII a démontré que les prix (y compris le taux de change) n’expliquent que très faiblement les différences de performance de la France à l’exportation vis-à-vis de ses principaux partenaires européens.
224 () La balance des paiements courants comprend la balance commerciale de biens, la balance des services, la balance des revenus et celle des transferts courants.
225 () Le déficit courant 2012 ne sera disponible qu’en juin 2013.
226 () Cour des comptes, rapport public thématique, l’État et le financement de l’économie, juillet 2012.
227 () La balance des paiements courants et le besoin de financement mesuré par la comptabilité nationale sont en théorie égaux. Ils divergent en réalité légèrement en raison de différences de méthode de calcul.
228 () Chiffre tiré du rapport Gallois.
229 () Chiffre tiré du Pacte national pour la croissance présenté par le Gouvernement.
230 () Audition du 24 janvier 2013.
231 () En 2012, 266 usines de plus de 10 salariés ont fermé en France.
232 () Audition du 15 novembre 2012.
233 () dossier de presse relatif au CICE.
234 () Organismes relevant de l’article 207 du code général des impôts, partiellement soumis à l’IS.
235 () M. Pierre Moscovici, audition du 28 novembre 2012 par la commission des fiances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
236 () A propos de la politique de la demande, M. Louis Gallois avait déclaré au cours de son audition que, « bien que nourri au keynésianisme, au point de le porter dans mes gênes, j’ai été obligé de virer ma cuti, parce que la France souffre d’un véritable problème d’offre et que toute politique de la demande se traduirait par un afflux d’importation… Lorsque vous augmentez de 1% la demande en France, vous augmentez de 1,4% - et même de 1,6% à court terme – le montant des importations. »
237 () « Activités spécialisées, scientifiques et techniques ».
238 () Évaluation de l'impact économique du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) – Mathieu Plane – Revue de l'OFCE / Varia – 126 (2012).
239 () Ouvrage cité.
240 () Cette étude montre que la France se situe dans le peloton de tête au niveau mondial pour 2/3 des technologies d’avenir et se positionne comme leader ou coleader pour 1/5.
241 () 14 février 2013.
242 () Audition du 15 novembre 2012.
243 () La stratégie nationale de recherche et d’innovation porte sur 3 priorités : santé, bien-être et biotechnologies; urgence environnementale et écotechnologies ; information, communication et nanotechnologies.
244 () Pour un commissariat général à la stratégie et à la prospective, rapport au premier ministre, décembre 2012.
245 () La Conférence nationale de l’industrie a été créée par le décret n° 2010-595 du 3 juin 2010. Le Conseil national de l’industrie (CNI) lui a succédé en février 2013 avec une composition et des missions élargies.
246 () Douze filières stratégiques sont à l’heure actuelle identifiées : la filière aéronautique, automobile, des biens de consommation, de la chimie et des matériaux, de la construction ferroviaire, de la construction navale, des éco-industries, des industries agro-alimentaires, des industries et technologies de la santé, des industries de la mode et du luxe, du nucléaire, des services et technologies de l’information et de la communication (STIC).
247 () Les quatre groupes de travail transversaux sont les suivants : recherche et innovation, réglementation et simplification, emplois et formations, commerce international et industrie.
248 () 22 novembre 2012.
249 () Audition du 24 janvier 2013.
250 () Audition du 14 février 2013.
251 () Audition du 6 décembre 2012.
252 () La BPI a été créée par la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012, publiée au Journal Officiel du 1er janvier 2013.
253 () Audition devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale du 21 novembre 2012.
254 () On peut par exemple rappeler l’inquiétude médiatisée lors de l’entrée au capital du fonds américain Texas Pacific Group dans le fleuron technologique de la carte à puce Gemplus (devenu Gemalto), perçu comme une volonté américaine de mettre la main sur l'une des technologies françaises de pointe, au vu notamment de liens étroits entre les dirigeants de ce fonds et les services secrets américains.
255 () 50 milliards d’euros d’actifs, auxquels s’ajoutent 10 milliards de prêts sur fonds d’épargne et 2 milliards de redéploiements de crédits au titre des investissements d’avenir.
256 () Audition du 22 novembre 2012.
257 () Audition du 18 octobre 2012.
258 () Audition du 22 novembre 2012.
259 () Donnée tirée du rapport annuel de l’Observatoire de financement des entreprises par le marché.
260 () Audition du 22 novembre 2012.
261 () Audition du 22 novembre 2012.
262 () Depuis 2008, les compagnies d’assurance en Europe ont vendu plus de 400 milliards d’euros d’actions qu’elles détenaient dans leur bilan.
263 () Christian Saint-Étienne, Jean-Paul Betbèze, « Une stratégie PME pour la France », 12 juillet 2006.
264 () Chiffres tirés du rapport du Conseil d’analyse économique de 2007 sur l’évolution du commerce extérieur.
265 () Audition du 13 décembre 2012.
266 () Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) est une catégorie d’entreprises créée par la loi LME de modernisation de l’économie. Cette catégorie recouvre les entreprises qui n’appartiennent pas à la catégorie des PME et dont l’effectif est compris entre 250 et 5 000 salariés, le chiffre d’affaires annuel reste inférieur à 1,5 milliard d’euros pour un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros.
267 () Audition du 22 novembre 2012.
268 () Étude du 14 juin 2011 réalisée pour le Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie par l’institut COE-Rexecode.
269 () Audition du 18 octobre 2012.
270 () L’Allemagne : un modèle, mais pour qui ? - La Fabrique de l’industrie – Septembre 2012
271 () Made in Germany – Le modèle allemand au-delà des mythes - Seuil – Janvier 2013
272 () Audition du 11 octobre 2012.
273 () Rapport relatif au développement des entreprises de taille intermédiaire, présenté en 2008 par Mme Françoise Vilain au nom du Conseil économique, social et environnemental.
274 () Rapport du sénateur Bruno Retailleau au Premier ministre relatif aux entreprises de taille intermédiaire au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance, présenté en 2010.
275 () Audition 31 janvier 2013.
276 () Audition du 22 novembre 2012.
277 () Audition du 31 janvier 2013.
278 () Audition du 31 janvier 2013.
279 () Audition du 20 décembre 2012.
280 () L’association « Pacte PME » rassemble ainsi des grands comptes et des PME, afin de les mettre en contact et de diffuser des « bonnes pratiques ». Le pacte PME comporte un volet international, destiné à encourager le portage des PME.
281 () Audition du 24 janvier 2013.
282 () Rapport sur le dispositif juridique concernant les relations interentreprises et la sous-traitance.
283 () Audition du 14 février 2013.
284 () Chiffre 2009.
285 () Le considérant 2 de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 dispose que « la passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d’élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu’une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu’aux autres règles du traité ».
286 () Audition du 6 novembre 2012.
287 () Le Brésil a renforcé en 2012 un principe aux motivations similaires dans ce même secteur.
288 () Les critères énumérés à l’article 53 du code des marchés publics sont les suivants : « la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l’environnement, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d’utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d’exécution, la sécurité d’approvisionnement, l’interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles. D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché ».
289 () Ainsi, la jurisprudence communautaire a considéré qu’une réglementation réservant des marchés publics aux entreprises ayant leur siège social dans la région où ils doivent être exécutés et accordant, dans le choix des attributaires, une préférence aux associations temporaires ou consortium comprenant des entreprises locales, est discriminatoire (CJCE, 3 juin 1992, affaire. C 360/89, Commission c/République italienne).
290 () Chiffre tiré du Pacte national pour la croissance du Gouvernement.
291 () Audition du 20 décembre 2012.
292 () « La compétitivité c’est bien, la « coopétition » c’est mieux », la Tribune, 8 février 2013.
293 () Audition du 31 janvier 2013.
294 () Audition du 31 janvier 2013.
295 () Audition du 11 octobre 2012.
296 () L’institut de l’entreprise estime que les pôles de compétitivité représentent en 2012 1,5 % des brevets, 4,5 % des dépenses de R&D et 5 % des créations d’entreprises innovantes.
297 () Audition du 31 janvier 2013.
298 () Audition du 31 janvier 2013.
299 () Le Fonds unique interministériel (FUI) finance des projets de R&D collaboratifs de recherche appliquée, destinés au développement de nouveaux produits et services susceptibles d’être mis sur le marché à court ou moyen terme.
300 () Le rapport de la Cour des comptes « les aides aux entreprises en matière d’innovation et de recherche : la cohérence des dispositifs fiscaux et budgétaires » d’octobre 2011 indique que, pour 2010, le CIR s’élève à 4,5 milliards d’euros, contre 1,5 milliard au titre des aides budgétaires.
301 () À compter de janvier 2011, le crédit d’impôt recherche est égal à 40 % des dépenses pour les primo-accédants et les entreprises qui n’ont pas bénéficié du dispositif depuis plus de cinq ans, puis ramené à 35 % la seconde année. À partir de la troisième année, il est égal à 30 % des dépenses éligibles. Ces taux sont valables pour la tranche des dépenses inférieure à 100 millions d’euros, et passe à 5 % des dépenses pour la tranche supérieure.
302 () Évaluation de Jacques Mairesse et Benoît Mulkay relative à la période 1979-2003.
303 () Étude de l’Association nationale de la recherche et de la technologie de mars 2012.
304 () Audition du 15 novembre 2012.
305 () Le nombre de contrôles est toutefois faible. La Cour des comptes relève qu’en 2009, sur les 12 949 bénéficiaires du CIR, seules 295 ont fait l’objet d’un contrôle.
306 () Audition du 31 janvier 2013.
307 () Le prototype ou l’installation pilote d’un nouveau produit est un bien qui n’est pas destiné à être mis sur le marché, mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d’un nouveau produit.
308 () Audition du 12 décembre 2012 par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.
309 () Comme l’indique le Pacte national pour la croissance, les ETI indépendantes sont un taux d’exportations plus faible que les ETI appartenant à un grand groupe (16% pour les premières contre 22% pour les secondes).
310 () Audition du 22 janvier 2013.
311 () Le rapport Gallois recommandait d’aligner les conditions de crédit et des garanties exportation, en volume, quotité et taux sur le meilleur niveau constaté dans les pays avancés.
312 () On rappellera, sur ce point, qu’actuellement Ubifrance ne dispose pas de réseau régional alors que son homologue britannique UK Trade and Investment (UKTI) dispose d’une équipe de plusieurs centaines de personnes pour détecter les entreprises exportatrices en région.
313 () Audition du 31 janvier 2013.
314 () Audition du 31 janvier 2013.
315 () Audition du 22 janvier 2013.
316 () Audition du 12 décembre 2012 par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.
317 () Livre blanc de l’Association des Collectivités Sites d'Industrie Automobile (ACSIA) publié en juin 2012. http://carfree.free.fr/documents/enrayer-le-declin-du-site-automobile-france.pdf.
318 () Pour Saïd Hammouche, fondateur du cabinet Mozaïk RH, les recruteurs « sont dans une logique de garantie et prennent zéro risque. Dans ces cas-là, le candidat choisi est bien souvent celui qui ressemble le plus à l’entreprise dans laquelle il postule. » dans Quartiers pôles d’emplois, Libération, 21 février 2013.
319 () En juin 2010, Philippe Varin a nommé Grégoire Olivier directeur des opérations en Asie ; c’est le premier membre du directoire installé en permanence à l’étranger.
320 () Le Traité de Maastricht comporte toutefois un titre – succinct et fort peu contraignant - consacré à la politique industrielle.
321 () La politique de la concurrence relève des quatre politiques (avec la politique agricole commune, la politique commerciale commune et la politique monétaire) pour lesquelles l’Union européenne dispose de compétences exclusives.
322 () le 13 décembre 2012.
323 () Dans les années 2000, seuls deux grands projets industriels européens ont été promus : GALILEO (futur GPS européen) en 2005 et SESAR (le ciel unique européen) en 2004 et 2009.
324 () Estimations de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
325 () Audition du 24 janvier 2013.
326 () Audition du 17 janvier 2013.
327 () On peut citer l’exemple du retrait de Siemens du groupe Areva ou encore la récente tentative de rapprocher EADS et BAE Systems dans le secteur certes sensible de la Défense.
328 () Initiatives d’excellence destinées à faire émerger des pôles d’enseignement supérieur et de recherche de niveau mondial.
329 () M. Guillaume Duval a ainsi fait remarquer que l’apprentissage restait encore trop en France une voie de garage, contrairement à l’Allemagne, en citant l’exemple de l’ancien président de Daimler qui a débuté comme apprenti-mécanicien dans l’entreprise.
330 () Dans son rapport annuel de 2013, la Cour des comptes a consacré un chapitre à ce thème : « le financement de la formation professionnelle continue : une refonte inaboutie du réseau de collecte ».
331 () Part dans le financement de la formation professionnelle : entreprises : 42% ; État : 16% ; régions : 15%.. Delort A., La dépense nationale pour la formation professionnelle continue et l’apprentissage, en 2008, Dares Analyses, Novembre 2010.
332 () Les OPCA pourraient conserver un rôle clé notamment à travers des activités de conseil, d’ingénierie et de mutualisation des fonds, mais de façon optionnelle, comme en Allemagne.
333 () Global Competitiveness Report 2011-2012 (p. 470) du World Economic Forum. A la question « Comment caractérisez-vous les relations entre salariés et patrons dans votre pays ? », les répondants ont répondu par une note allant de 1 (confrontation) à 7 (coopération). Avec une réponse moyenne de 3,3, la France se situe en 137e position mondiale sur 143. Il ne s’agit toutefois que d’un ressenti sur un échantillon non détaillé et pas nécessairement une réalité objective. http://www3.weforum.org/docs/WEF_GCR_Report_2011-12.pdf
334 () En 2005, la législation a fait passer la durée des mandats de délégués du personnel et élus au comité d’entreprise de 2 à 4 ans, contre l’avis des organisations de syndicats de salariés.
335 () La déduction de 66% des cotisations syndicales n’est effective que pour les salariés non-imposables, ce qui pénalise la syndicalisation des salariés les plus moins rémunérés ou les plus précaires.
336 () Interview dans Médiapart, 28 février 2013. B. Gazier fait ainsi référence aux trois choix définis par Albert Hirschman en 1970 dont disposent des individus mécontents – Exit, Voice et Loyalty – en montrant qu’ils ne « s’opposent peut-être pas aussi mécaniquement qu’on le croit en France ».
337 () Le Monde, 3 janvier 2013.
338 () AFP, 6 février 2012.
339 () France : conclusions de la Mission de la Consultation de 2012 au titre de l’article IV du FMI, 29 octobre 2012.
340 () Impôt à taux unique.
341 () Haut Conseil du financement de la protection sociale « État des lieux du financement de la protection sociale en France », 31 octobre 2012.
342 () Sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) et l’Agence française de développement.
343 () Makers, la nouvelle révolution industrielle – Pearson – 2012.
344 () améliorer l’efficacité des systèmes agricoles, améliorer l’efficacité énergétique et construire des bâtiments verts, lancer les énergies renouvelables, développer le verdissement de la pêche, de la foresterie, des activités industrielles, promouvoir le tourisme vert, développer les transports non motorisés et les carburants propres, traiter les déchets, améliorer l’assainissement.
345 () Le Monde -14 janvier 2013.
346 () La Région Ile-de-France met au point un système de tiers financement : une société d’économie mixte impliquant la région , treize collectivités , dont Paris, la Caisse des dépôts et consignations, la caisse d’épargne d’Ile de France a été créée en janvier et dotée d’un capital de départ de 5,3 millions d’euros. Cet organisme sera chargé d’une double mission :la rénovation des logements et le développement des énergies renouvelables.
347 () Les avionneurs veulent accélérer l’utilisation des biocarburants dans l’aéronautique – La Tribune – 23 mars 2012.
348 () Zone Euro : 28,2 euros ; Allemagne : 31,4 euros ; France : 35, 1 euros
349 () réseaux de distribution d’électricité intelligent.